La biodiversité remarquable des cours d'eau du Châtillonnais et du plateau de Langres, en particulier ses populations de salmonidés réputées jusqu'au début des Trente Glorieuses, a-t-elle décliné depuis 50 ans à cause des ouvrages hydrauliques? Pierre Potherat apporte une réponse négative dans un remarquable livre sur l'histoire récente de ces rivières. Cet ingénieur géologue d'Etat aujourd'hui à la retraite montre que, bien au contraire, ce sont des travaux lourds visant à faire circuler l'eau plus vite qui ont asséché peu à peu les aquifères de la région, perturbé l'hydrologie de nappes et des lits, créé un environnement aquatique défavorable. Loin d'être des adversaires du vivant, les ouvrages bien gérés peuvent contribuer à son retour, ce que montre la co-existence séculaire des moulins et des truites. A condition pour les gestionnaires publics de ne plus se tromper de cibles dans leurs actions.
On connaît la chanson qu'ont voulu nous apprendre depuis quinze ans des syndicats de rivière, des agences de l'eau et d'autres acteurs publics : si les poissons ont disparu des rivières, c'est à cause des "obstacles à l'écoulement" qui les parsèment. La majorité de ces obstacles étant, dans nos campagnes, des moulins, des forges et des étangs.
Cette chanson, Pierre Potherat n'en comprend ni le refrain ni les paroles. Pour une raison simple, elle ne correspond pas aux faits d'observation. Enfant du Châtillonnais, ingénieur géologue et ingénieur en chef de l'Etat pendant 45 ans, pêcheur passionné et amoureux des rivières, Pierre Potherat a passé des décennies au bord de la Seine, de l'Ource, des cours d'eau du plateau de Langres. Il a connu, comme de nombreux autres "anciens" de sa génération, des rivières poissonneuses et en particulier riches en truites dans les années 1940 à 1960. De mêmes témoignages existent en France-Comté voisine, on pense aux travaux pionniers de Jean Verneaux.
Cette abondance des salmonidés a commencé à décliner après les années 1960. Or, les moulins et les étangs n'ont aucun rapport avec cette temporalité : ils sont présents depuis des siècles pour la plupart, et si une chose est à remarquer au 20e siècle, c'est plutôt qu'ils ont eu tendance à disparaître ou à ne plus être gérés comme outils de production. Il n'y a donc aucun sens à les accuser d'avoir fait fortement décliner des espèces qui n'avaient eu aucun problème particulier à co-exister avec eux pendant des générations d'humains, et plus encore de truites !
Qu'est-ce qui a changé à compter des années 1960 et 1970 ?
Le livre de Pierre Potherat est une passionnante enquête à ce sujet. Elle n'aborde pas le point des pollutions, tout en signalant que c'est évidemment un sujet à explorer, mais se concentre sur les spécialités de l'auteur, l'hydrogéologie et l'hydromorphologie des rivières de zones calcaires, voire karstiques. L'étude montre que des travaux lourds ont été réalisés sur les cours d'eau du Châtillonnais, dans le but d'éviter les inondations, menant à des curages, reprofilages, recalibrages, chenalisations qui ont eu des effets pervers nombreux. Des habitats de berges et d'annexes hydrauliques ont disparu. L'hydrologie surtout s'en trouve affectée : l'eau des saisons pluvieuses n'étant ni retenue ni stockée dans les aquifères (où elle pourrait trouver des capacités de dizaines de millions de mètres cubes dans la zone étudiée!), elle file à l'aval pour laisser des débits d'été de plus en plus secs et fluctuants. Cette eau plus rare se réchauffant aussi plus vite, le cocktail n'est évidemment pas fameux pour les salmonidés et autres poissons de tête de bassin. Surtout si l'on y ajoute tous les ingrédients chimiques absents voici deux générations, et désormais ubiquitaires.
Pour retrouver la biodiversité remarquable des cours d'eau du Châtillonnais, Pierre Potherat propose des pistes. L'une d'elles est de revenir à une gestion intelligente et active des ouvrages qui, loin d'être des ennemis de la truite et du vivant en général, peuvent au contraire en être des alliés précieux. Une vision tout à fait conforme aux convictions des associations de riverains et propriétaires dont le but est de retrouver cette action conjointe autour des patrimoines naturels, culturels et techniques. Un ouvrage à lire et à faire lire !
Extrait de l'introduction
Par un bel après-midi de mai ou juin 1953, j’avais à peine 5 ans, je m’évertuais à dessiner sur la route avec un petit arrosoir d’eau puisée dans le lavoir municipal de Charrey sur Seine.
Après une bonne demi-heure d’un labeur passionnant, en remplissant mon arrosoir je piquai la tête la première dans le bassin. Promptement une main charitable m’a empoigné par le fond de culotte et m’a tiré de ce mauvais pas. C’était la main de ma mère qui gardait un œil sur moi tout en faisant sa lessive.
Loin de me rebuter cette péripétie n’a fait que conforter mon attirance vers l’eau. Celle de la rivière, des biefs, des vannages aux eaux bouillonnantes et chantantes, des mares et même celle des fossés, et autres chenaux, autant de milieux hébergeant une biodiversité aquatique exceptionnelle à l’époque.
Rapidement j’ai emboité les pas de mon père s’en allant taquiner la truite le dimanche, mais je ne devins autonome qu’à l’ouverture de la pêche de 1960, année de mes 12 ans et de mon premier permis.
Tout cela pour dire que j’ai assidument fréquenté les bords de Seine depuis la fin des années cinquante. J’en connaissais tous les méandres, toutes les coulées, tous les contre-courants et je les ai vus changer au fil des années avec un pincement au cœur, me demandant si mes petits-fils pourraient un jour goûter au plaisir de capturer quelques belles saumonées ou plus simplement apprécier les instants magiques passés au bord de ce cours d’eau dans une nature encore préservée et face à des paysages magnifiques avec en toile de fond le Mont Lassois qui livre peu à peu son histoire et ses secrets.
Au début des années 2010, quelques temps avant de revenir profiter de ma retraite dans ma région natale, j’ai souvent eu l’occasion d’accueillir des amis dans le Châtillonnais et de leur faire visiter notre belle région. Tous, sans exception, ont été frappés par la beauté de nos paysages, en particulier celle de la « cuesta de Chatillon », barrière naturelle dont le flanc sud supporte le vignoble du crémant du Châtillonnais et constitue la première manifestation morphologique de la présence du bassin parisien tout proche. Les trouées de la Laignes, de la Seine, de l’Ource et de l’Aube qui entaillent ce relief représentent autant de portes d’entrée vers Paris, le site de Vix, vu du haut du Mont Lassois, étant la plus prestigieuse de toutes.
La tranquillité de nos forêts les a également séduits mais ils ont surtout remarqué l’abondance d’eau dans les nombreuses rivières descendant du versant nord-ouest du plateau de Langres. Le cours de celles-ci est jalonné de remarquables bâtiments anciens ayant hébergé des activités, pour certaines millénaires, couvrant la minoterie, l’huilerie, le sciage du bois, la fonte du minerai de fer et le travail de ce métal pour la production de divers outils et objets métalliques nécessaires au labeur journalier des habitants de nos campagnes : paysans, artisans, ouvriers agricoles, religieux etc.
Le plateau de Langres est considéré comme le château d’eau du bassin parisien au regard des abondantes précipitations qui alimentent l’immense aquifère constitué par les calcaires du Jurassique moyen et supérieur. Les rivières qui y naissent, en particulier la Seine et ses affluents, possèdent, ou plutôt possédaient, des débits importants 6 à 8 mois de l’année. La disponibilité d’une énergie hydraulique gratuite et abondante rend donc compte de l’implantation d’innombrables installations constituant le petit patrimoine local pluriséculaire, parfois millénaire: moulins, scieries, fourneaux, forges, lavoirs etc.
Des aménagements importants pour l’époque moyenâgeuse, voire plus ancienne, ont été effectués. Il s’est agi en premier lieu d’un recalibrage de la rivière à l’amont de vannages de manière à disposer d’une retenue d’eau suffisante pour faire tourner les roues hydrauliques. Le reste des travaux a consisté, soit en canaux d’amenée d’eau (biefs,) avec chenaux de restitution de celle-ci à la rivière (canaux de fuite), soit en vannes et chenaux de décharge, soit en déversoirs de sécurité. Parfois, de simples seuils ou digues disposés en travers de la rivière principale permettaient d’alimenter une ou deux roues hydrauliques. L’ensemble formait encore il y a peu un entrelacs de canaux et chenaux auxquels il convenait d’ajouter les fossés de drainage des prairies naturelles occupant le lit majeur des rivières. Le tout, parfaitement entretenu jusqu’il y a peu de temps, étant du plus bel effet esthétique et d’une grande importance dans la biodiversité.
Dès le début du XXème siècle, plus encore après la grande guerre, l’activité artisanale, voire industrielle a commencé à décliner pour aboutir à la situation actuelle : plus aucun moulin, plus aucune forge, plus aucune scierie ne fonctionne au bord de l’eau.
Cependant bien des bâtiments, avec leurs aménagements, subsistent, en particulier certains moulins ou forges, achetés par des particuliers pour en faire leur demeure principale, voire secondaire.
Ainsi sont restés certains ouvrages tels que d’anciens vannages agrémentés de cascades aux eaux tumultueuses qui restent des lieux de promenade très prisés des villageois ainsi que des gens de passage.
Fort de l’attrait des paysages et de la richesse du patrimoine de notre région je m’étais pris à rêver d’un circuit des moulins qui aurait pu attirer et intéresser nombre de visiteurs et apporter une plus-value au « Parc National des Forêts ». C’était sans compter sur la volonté des pouvoirs publics de faire appliquer sur les rivières du Châtillonnais la continuité écologique de la manière la plus dure qui soit en faisant financer à la collectivité l’effacement d’un maximum d’ouvrages.
Quand un peu avant 2010, j'ai eu vent de la mise en place d’un vaste programme de suppression des ouvrages hydrauliques qui jalonnent le cours de nos rivières, j’ai tout d’abord pensé à une « fake news », comme on dit aujourd’hui. Ce programme avait en effet pour objectif de favoriser le repeuplement naturel des cours d’eau en facilitant la circulation des poissons et des sédiments qui encombrent parait-il le lit mineur. Ceux qui, comme moi, sont nés dans l’immédiat après-guerre ou même bien avant, entre les deux guerres, peuvent témoigner de la quantité exceptionnelle de poissons peuplant les rivières du Châtillonnais jusque dans les années 60. Comment ont-ils fait, ces poissons, pour se reproduire jusqu’à cette époque alors que nombre des ouvrages fonctionnaient encore? Bizarrement aucune association ni fédération de pêche n’a réagi quand ces programmes ont été annoncés à l’orée du XXIème siècle. Peut-être une certaine confiance dans l’action des pouvoirs publics était-elle encore de mise?
Référence : Pierre Poterat, Si les truites pouvaient parler. L’histoire récente des rivières
Plateau de Langres en général et du Châtillonnais en particulier. Les cas de la Seine et de l’Ource, 153 pages.
Pour se procurer le livre (13€) :
- Office du Tourisme de Châtillon, 1 rue du Bourg, 21400 Châtillon
- Musée Trésor de Vix, 14 rue de la Libération, 21400 Châtillon
- Librairie Page 21, 3 rue du président Carnot, 21400 Châtillon
- On en commandant directement à l'auteur à : p.potherat@orange.fr
Celles là ne parlent plus...
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J'attribue cette folie soit à la crétinerie ambiante, soit à l'incommensurable paresse contemporaine ! tant il est vrai que détruire et ne rien faire sont plus au goût du jour que l'acquisition de compétences et le savoir faire laborieux.
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