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10/10/2015

Lettre ouverte à M. François Sauvadet sur le SDAGE Seine-Normandie

Le SDAGE Seine-Normandie est sur le point d'être adopté. Trois associations de Bourgogne saisissent le Président du Comité de bassin Seine-Normandie, M. François Sauvadet, pour exposer la dérive grave de ce texte, dont les orientations en matière de continuité écologique vont très au-delà des exigences de la loi et dont certaines propositions inacceptables feraient l'objet d'une requête en annulation si elles devaient être votées en l'état. 

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.

Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.

Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.

En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.

C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.

Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."

Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement. 

Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.

On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.

Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.

Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.

Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage ! 

De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?

Monsieur le Président,

Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.

Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.

Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.

Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.

Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.

C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)

Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau

02/10/2015

Rivières: l'administration trahit la loi de Grenelle et la LEMA 2006, nos députés et sénateurs doivent réagir!

Les représentants des citoyens français ont volontairement supprimé l'hypothèse d'effacement des seuils et barrages dans le cadre de la trame bleue, lors de l'élaboration de la loi Grenelle 1 de 2009, de même qu'ils ne l'ont pas mentionnée dans la LEMA 2006. Or, la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et ses représentants en Agences de l'eau passent outre ce choix de prudence, exercent des pressions constantes en vue de détruire les ouvrages, refusent de financer de manière réaliste les dispositifs de franchissement et tentent aujourd'hui d'imposer l'effacement des seuils et barrages comme solution prioritaire de certains SDAGE 2016-2021. Nous appelons les députés et sénateurs, comme l'ensemble des élus, à faire cesser immédiatement cette dérive antidémocratique qui soulève une vague croissante d'indignation au bord des rivières.

M. Gérard Aubéry, président de l'Association des amis des moulins de l'Indre, nous a rappelé les éléments d'élaboration de la loi de Grenelle 1, en 2009. L'article 26 de cette loi (devenu article 29) a été débattu par la commission paritaire mixte entre l'Assemblée nationale  et le Sénat. Très clairement, et comme le montre cet extrait (cliquer pour agrandir), le débat portait sur la question de la mention de "l'effacement" des ouvrages.

La version finalement retenue de la loi parle de l'aménagement des ouvrages, et préfère exclure cette notion d'effacement. Elle réserve par ailleurs cet aménagement aux seuls cas les plus problématiques, et demande une "mise à l'étude" :
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.
Ce choix est conforme à l'article L-214-17 du Code de l'environnement qui, dans le domaine de la continuité écologique, ne mentionne nullement les mots arasement ni dérasement. Ce sont les notions positives de gestion, entretien et équipement qui sont mises en avant pour les ouvrages situées en rivière classée au titre de la liste 2 (obligation d'aménagement à 5 ans) :
Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
Par ailleurs, dans le texte du Grenelle 1 de 2009, députés et sénateurs ont fortement souhaité le développement de l'énergie hydraulique. L'article 19 est explicite :
La production d'électricité d'origine hydraulique dans le respect de la qualité biologique des cours d'eau fait partie intégrante des énergies renouvelables à soutenir.
Bien loin de détruire les ouvrages, la loi de Grenelle appelle donc à leur équipement énergétique, et écologique quand c'est nécessaire. Ce qui est au demeurant la position soutenue par notre association.

L'effacement des ouvrages tente de s'imposer par les voies opaques des SDAGE
La Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie a trahi ces orientations en imposant, à travers les représentants de l'administration au sein des Agences de bassin, une prime à l'effacement dans les textes d'orientation et programmation (SDAGE) de plusieurs Agences de l'eau. Rappelons à ce sujet que la soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende permettant au premier de se défausser sur d'autres de certaines de ses orientations, mais une légende qui a été parfaitement dénoncée par le Conseil d'Etat dans le rapport L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Il convient également de rappeler que les Comités de bassins des Agences de l'eau n'ont qu'une représentation très appauvrie, et qu'en particulier les principaux concernés par la continuité écologique (association de moulins, de riverains, de protection du patrimoine, etc.) ne figurent pas dans le collège censé donner sa voix à la société civile. Le fonctionnement opaque et complexe des Agences de l'eau ne saurait en aucun cas produire une légitimité démocratique telle qu'il puisse prétendre contredire les engagements du législateur.

Or, les Agences de bassin font ouvertement fi de la mesure et de la prudence souhaitées par ce législateur. Ainsi, le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne pose à propos des obstacles à la continuité écologique :
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. Cependant, d’autres méthodes peuvent être envisagées (ouverture des vannages, aménagement de dispositifs de franchissement adaptés). Sans préjudice des concessions existantes, les objectifs de résultats en matière de transparence migratoire à long terme conduisent à retenir l’ordre de priorité suivant :1. effacement. Pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés cette solution sera privilégiée ;2. arasement partiel et aménagement d’ouvertures (échancrures...), petits seuils de substitution franchissables par conception
Au mépris des choix privilégiés dans les textes de loi, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne exerce ainsi une pression financière pour ne subventionner que les solutions d'effacement et d'arasement partiel, non prévues dans la loi de Grenelle de 2009 ni dans la loi sur les milieux aquatiques de 2006. Cette orientation a pour effet de pousser les propriétaires d'ouvrages vers la pseudo-solution contrainte de la destruction de leur bien, vu le coût exorbitant des travaux en rivière pour les dispositifs de franchissement. Elle est à l'origine de la plupart des contentieux de mise en oeuvre de la continuité écologique, alors qu'un financement public intégral de dispositifs de franchissement résoudrait la plupart des problèmes (voir ici le coût).

On retrouve exactement le même choix d'effacement dans le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin de Seine-Normandie, qui spécifie :
L’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement. Il convient de réduire le taux d’étagement afin de maximiser les fonctionnalités écologiques des cours d’eau classés en liste 2.

Conclusion : appel à moratoire et commission d'enquête
Les élus doivent être informés de la dérive de l'administration, qui poursuit un programme idéologique et irrationnel de destruction du patrimoine hydraulique français en même temps qu'elle est incapable d'obtenir des résultats convaincants pour l'application des directives européennes sur l'eau et les milieux aquatiques.

Nous appelons ces élus non seulement à s'engager en faveur d'un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin de retrouver l'apaisement nécessaire à la concertation, mais également à engager une commission d'enquête sur les dysfonctionnements graves de la politique de l'eau, qui a fait l'objet d'une impressionnante succession de rapports dénonçant des pratiques inefficaces voire douteuses, ainsi que de condamnations par l'Union européenne : rapports Cour des comptes 2013 sur l'Onema et 2015 sur les Agences de l'eau, rapport CGEDD 2012 sur l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, rapports Lesage et Levrault sur les carences de résultats, rapport 2015 de la Commission européenne sur les carences du rapportage DCE 2000 et les retards sur les pollutions, condamnations à répétition depuis 2001 par la CJUE pour non application des directives nitrates et eaux usées.

Par les effets cumulés de sa complexité, de sa partialité, de son opacité et de son inefficacité, la politique publique de l'eau traverse une crise grave de légitimité. Sa transformation n'est plus une option, mais une nécessité.

Illustration : destruction de l'ouvrage Floriet sur la Seine en 2015, alors que les relevés de l'Onema indiquaient un Indice Poissons Rivières de bonne qualité écologique selon les termes de la DCE 2000. La destruction des ouvrages est aujourd'hui le choix privilégié par les autorités et gestionnaires de l'eau, à l'encontre des volontés du législateur comme de la majorité des riverains. L'argent public dépensé inutilement pour cette cosmétique de l'action pseudo-écologique ne l'est pas pour la lutte contre les pollutions de l'eau, où la France accuse un grave retard.

19/09/2015

Taux d'étagement et de fractionnement: ces indicateurs ne peuvent en aucun cas fonder des objectifs sur les rivières

Faut-il une rivière étagée par les seuils et barrages à 10%, 20%, 40%... de sa pente? Est-ce un problème si l'étagement est à 38%, 56%, 74% ? Ce genre de question incongrue risque de devenir de plus en plus courant. En effet, certains gestionnaires de bassin entendent faire des taux d'étagement et de fractionnement des rivières des outils décisionnels inscrits dans les SDAGE et préconisés pour les SAGE, notamment en Loire-Bretagne et en Seine-Normandie. Cette tentative est caractéristique des dérives de la politique de l'eau dans le domaine de la continuité écologique : on se précipite sur une science encore balbutiante pour imposer des objectifs qui deviennent vite des dogmes, en brandissant des chiffres fétiches et des outils gadgets, sur fond d'endormissement général de l'esprit critique.

Quelques indicateurs pour décrire les obstacles à l'écoulement
Il existe plusieurs indicateurs permettant de décrire l'impact cumulé des ouvrages hydrauliques sur la morphologie d'une rivière ou sa franchissabilité. Rappelons d'abord les principaux.

Taux d'étagement : rapport de la somme des hauteurs des seuils sur la hauteur totale du dénivelé naturel (en %). Il est actuellement préconisé en rivière à faible pente.

Taux de fractionnement : rapport de la somme des hauteurs des seuils sur le linéaire total (en m/km). Il est plutôt préconisé pour les têtes de bassin.

Taux de linéaire contrôlé : rapport de la somme des longueurs de remous hydraulique sur le linéaire total (en %).

Densité d'ouvrage : rapport du nombre d'ouvrages sur le linéaire total (en ouvrage/km).

S'y ajoutent les taux de fragmentation des migrateurs, plus complexes, calculant les franchissabilités des obstacles de l'embouchure vers l'amont (espèces amphihalines) ou la dimension relative des espaces de circulation (libre-accès aux habitats) cloisonnés par des ouvrages au sein d'un tronçon.

Taux d'étagement et de fractionnement : pas de base fiable sur leur valeur explicative
Certains SDAGE en cours de formalisation (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) préconisent d'utiliser les taux de fractionnement ou d'étagement comme des outils d'objectif et de décision pour les gestionnaires. Cette orientation n'est pas acceptable, et nous appelons d'ores et déjà les associations / syndicats concernés à opposer un refus de principe à l'adoption de ces taux comme indicateurs d'objectif, aussi bien dans les SDAGE que dans les SAGE ou autres contrats de gestion de rivière.

A notre connaissance, le seul travail ayant tenté de quantifier l'effet du taux d'étagement sur la qualité écologique de la rivière est un mémoire de master (Chaplais 2010), ayant suivi la proposition d'usage de cet indice (Steinbach 2009, voir Huger et Schwabb 2011). Ce travail est intéressant en soi, mais il montre d'évidentes limitations : faible échantillonnage (2 bassins et 2 hydro-écorégions), faible pouvoir explicatif (analyse bivariée ne prenant pas en compte toutes les variables d'impact sur la qualité de l'eau, formant autant de facteurs confondants quand on cherche une causalité), 70 à 80% de la variance piscicole non expliquée par l'analyse, limitation à l'IPR et à certaines de ses sous-composantes, etc. (voir ici notamment).

Absence de lien déterministe entre l'état écologique et les seuils 
Des travaux récents parus dans la littérature scientifique "revue par les pairs" et ayant utilisé la densité d'ouvrages ont montré que seule une faible variance de l'IPR s'explique par cet indicateur (Van Looy et al 2014 ;  Villeneuve et al 2015), la biodiversité totale des rivières n'étant généralement pas impactée (Shannon, richesse spécifique). A tout le moins, on attend du gestionnaire de rivière qu'il choisisse des indicateurs ayant fait déjà l'objet d'une analyse scientifique assez avancée, en particulier quand ils sont appelés à avoir des impacts considérables sur la vie des riverains.

Les taux d'étagement et de fractionnement, comme les autres indicateurs de morphologie cités en début de cet article, doivent faire l'objet d'analyse scientifique approfondie. Ils peuvent être des outils intéressants, mais il faut préalablement travailler sur leur capacité descriptive et prédictive. Le mémoire de S. Chaplais précité indiquait l'imminence d'une étude à grande échelle dirigée par D. Salgues : à notre connaissance, ses résultats ne sont pas publiés. Commençons donc par là.

Même sur la seule base des travaux connus sur le taux d'étagement, il est avéré qu'il existe des rivières en bon état écologique avec des étagements compris entre 80 et 100%, des rivières en mauvais état écologique avec des étagements compris 0 et 20%. L'idée de fixer un objectif a priori au niveau d'un bassin versant ou d'une rivière n'a donc aucun sens : il faut d'abord définir l'état écologique, chimique et morphologique de chaque masse d'eau, ensuite analyser les causes de dégradation dans l'hypothèse d'un état moyen à mauvais, enfin seulement agir sur les causes identifiées.

Les mesures DCE (inexistantes ou incomplètes sur nombre de masses d'eau) plus importantes que les "gadgets" des effaceurs
Le taux d'étagement et le taux de fractionnement peuvent être utilisés comme des indicateurs descriptifs de la rivière parmi d'autres, en aucun cas ils ne sauraient être porteurs par eux-mêmes d'un objectif de score induisant des obligations d'aménagement (ou même des choix de priorisation sans analyse complète des pressions du bassin versant).

Il serait urgent que les gestionnaires de l'eau passent moins de temps à formaliser des "gadgets" visant in fine à justifier leur doctrine a priori de suppression des seuils, et davantage d'efforts à satisfaire nos obligations européennes de connaissance des milieux, à savoir la mesure systématique et continue dans le temps de l'intégralité des indicateurs de qualité biologique, physico-chimique, morphologique et chimique des masses d'eau. Ce qui est très loin d'être acquis, en particulier sur des bassins comme Loire-Bretagne et Seine-Normandie ayant la prétention d'aménager de manière autoritaire les seuils sans même prendre la précaution élémentaire de mesurer et modéliser l'état de leurs rivières.

Note juridique : au plan du droit, il paraît douteux que ces taux d'étagement ou de fractionnement soient en mesure de fonder des mesures de police administrative. On ne peut contraindre à des aménagements qu'en référence à des lois ou des règlements, pas en sortant du chapeau un critère défini dans un bureau. Si une association  est confrontée à une tentative pour imposer ces taux comme outil de gestion impliquant des obligations sur un bassin versant, il conviendra de saisir le Préfet (le cas échéant le tribunal administratif) afin de clarifier leur statut.

06/06/2015

Avis négatif sur le SDAGE Seine-Normandie

Le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin de Seine-Normandie, porté par l'Agence de l'eau (AESN), est soumis à enquête publique jusqu'au 18 juin prochain. Nous invitons nos adhérents et sympathisants à donner leur opinion dans le questionnaire en ligne, et nous exprimons ci-dessous les réserves qui nous conduisent à refuser ce SDAGE. Les principales raisons en sont le déficit démocratique de la gouvernance, l'absence de représentants des moulins et des riverains dans les processus de décision, l'inefficacité de l'action publique pour l'état chimique et écologique des rivières du bassin, le manque de transparence et d'accès aux données réelles sur cet état, le caractère autoritaire et irréaliste des mesures de continuité écologique, l'inégalité persistante devant les charges publiques liées à l'amélioration de la qualité de l'eau. Ces points seront soumis au Préfet coordonnateur de bassin.

L'association Hydrauxois observe que :

- le 2e Collège du Comité de bassin ne comporte aucun représentant des moulins ni des riverains, les commissions techniques et géographiques de l'AESN n'ont pas procédé à des auditions systématiques des associations et fédérations rassemblant ces usagers, en conséquence le SDAGE dès sa conception ne respecte pas le principe d'une gestion équilibrée de l'eau et d'une participation démocratique aux décisions la concernant;

-  le bon ou très bon état écologique des rivières de Seine-Normandie ne concerne que 38% d'entre elles, très loin de l'objectif affiché et maintes fois répété de 68% pour 2015, laissant planer un sérieux doute sur l'efficience de la dépense publique en matière de gestion de l'eau du bassin;

- le bon état chimique ne concerne que 32% des masses d'eau, le déclassement en mauvais état venant dans la majorité des cas de la pollution diffuse des HAP, sans que ce déclassement chimique ne soit réellement analysé dans ses causes, ses conséquences (réglementaires et environnementales) ni les moyens réels d'y remédier pour respecter nos obligations de bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau à l'horizon 2027;

- les documents présentés en analyse au public n'offre aucun accès aux données brutes d'analyse de la soixantaine d'indices de qualité biologique, physico-chimique et chimique exigés par la mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000);

- les services techniques de l'AESN n'ont pas été en mesure de nous fournir un fichier de données démontrant que les mesures de qualité de la DCE 2000 sont réellement et intégralement effectuées sur l'ensemble des masses d'eau du bassin (les fichiers fournis n'offrant que des résultats partiels eu égard à nos obligations de suivi et rapportage de la qualité de l'eau), ce qui induit un soupçon légitime d'un défaut de connaissances scientifiques approfondies de l'état écologique et chimique réel de chaque bassin versant, donc d'un défaut de fondement objectif pour les décisions du SDAGE relatives à la priorisation et hiérarchisation des mesures de gestion de l'eau;

- dans le domaine de la restauration morphologique et de la continuité écologique, l'Agence de l'eau SN n'arrive de son propre aveu à suivre en moyenne qu'une centaine de travaux sur les seuils et barrages par an sur l'ensemble du bassin, admet elle-même que 750 ouvrages seulement seront suivis entre 2016 et 2021, cela alors que le nombre de seuils classés L2 sur le bassin est compris entre 5000 à 7000 ce qui impliquerait un rythme de gestion des dossiers dix fois plus important que celui admis comme réaliste par l'Agence de l'eau;

- le projet de schéma directeur du SDAGE SN acte de la difficulté de mise en oeuvre des opérations de restauration morphologique, en particulier de celles concernant les aménagements de seuils et barrages en lit mineur : coût économique important, complexité technique sous-estimée, manque d'acceptabilité sociale et de consensus politique, difficulté à caractériser le bénéfice environnemental des travaux liés à ce compartiment;

- le SDAGE ne tient aucun compte de son propre constat de difficulté sur la période 2004-2015 et son Orientation 19 du projet (Assurer la continuité écologique pour atteindre les objectifs environnementaux des masses d’eau) se contente de réitérer les mêmes objectifs sans apporter de solution nouvelle pour s'affranchir des limites mises en lumière dans le bilan;

- plus gravement encore, le SDAGE SN 2016-2021 ferme dans son Orientation 19 la porte à toute évolution de la réflexion sur l'aménagement des ouvrages et se contente d'enjoindre l'administration à persister dans une voie qui donne déjà lieu à des contentieux judiciaires, des protestations politiques, des difficultés économiques et troubles sociétaux sur les rivières;

- en particulier, le SDAGE ne modifie en rien la politique actuelle de l'Agence de l'eau SN qui consiste à financer la seule destruction des seuils et barrages, laissant aux propriétaires publics et privés la charge exorbitante de supporter le coût élevé des aménagements de continuité écologique, cela en contradiction avec le principe d'égalité des citoyens eu égard aux nombreuses aides publiques accordées à des usagers ayant des activités bien plus dégradantes pour la qualité de l'eau que la présence de seuils et barrages.

En conséquence de ce qui précède, l'Association Hydrauxois :

- donne un avis négatif au projet actuel de SDAGE 2016-2021 sur le bassin Seine-Normandie;

- demande au Préfet coordonnateur de bassin de différer l'adoption de ce SDAGE afin d'apporter une réponse adaptée aux manquements signalés dans la présente;

- examinera l'opportunité d'un recours en contentieux administratif si le SDAGE Seine-Normandie venait à être adopté sans que ces demandes soient satisfaites.

20/12/2014

Révision des SDAGE 2015 : participez !

Les SDAGE (schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux) fixent pour 5 ans les grands choix politiques et économiques sur l'eau, en particulier les rivières. Ils sont en cours de renouvellement en 2015 avec concertation du public, cela sur chacun des grands bassins versants hydrographiques (Seine-Normandie, Loire-Bretagne, Adour-Garonne, etc.).

Vous pouvez lire cette page pour la présentation générale des consultations. Ensuite, il vous faut cliquer sur la carte, aller sur le site de l'Agence de l'eau de votre bassin et retrouver la bonne page, exemple ici en Seine-Normandie.

Nous conseillons vivement à toutes les associations, mais aussi à tous les particuliers riverains et maîtres d'ouvrage ainsi qu'à tous les élus de déposer des avis. Ces participations seront très précieuses pour changer les orientations de la politique de l'eau et témoigner des innombrables problèmes rencontrés en rivière.

Les axes sur lesquels nous nous battrons en tant qu'association, en interpellant directement les Comités de bassin, sont les suivants:

  • un moratoire à effet immédiat sur la mise en oeuvre des effacements dans le cadre du 214-17 C env
  • une étude de risque à l'échelle de tous les bassins versants avant le moindre effacement d'ouvrage (risques milieux, biens et personnes liés aux changements globaux d'écoulement par cumul des actions locales sur les seuils, barrages et digues)
  • une analyse coût-avantage sur les opérations de restauration écologique déjà menées sur chaque bassin afin d'optimiser la dépense publique des Agences
  • un changement de la politique de subvention avec soutien plus élevé et moins limitatif aux dispositifs de franchissement sédimentaire / piscicole (au minimum 50% de subvention Agences sans condition sur les usages du seuil + complément Région)
  • une valorisation du potentiel hydro-électrique dans le cadre de la transition énergétique et de l'égalité des territoires
  • une meilleure prise en compte de l'ensemble des dimensions de la rivière, ce qui inclut outre l'énergie et l'écologie, le patrimoine, le paysage, les loisirs, les usages
  • une transparence et une accessibilité totales à l'ensemble des données sur l'eau, à savoir les mesures (mises à jour) des volets chimique, physico-chimique, biologique et morphologique de la qualité des rivières.

Dans les prochains mois, mobilisez-vous massivement à nos côtés, participez et faites participer tous vos proches !