14/10/2012

Premier classement, premier recours

Le bassin hydrographique Loire-Bretagne a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a publié le nouveau classement des rivières (voir cet article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Le classement des rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient à deux orientations de même article de loi : « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ». 

Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude UFE 2011. Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel. Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin. 

On pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au contraire les acteurs de terrain.

Cet effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une logique aberrante.

L'immense majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1 sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère que la transition vers des énergies non-fossiles demande de mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et particulièrement les productions électriques qui seront de plus en plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les différents indices pour la mesurer (IBGN, IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions (effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par exemple que la France est poursuivie par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à appliquer la directive nitrates.

Il est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du développement durable. Combien de conflits juridiques et de batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du problème et faire entendre raison aux décideurs ?

12/10/2012

Agenda

Les 13 et 14 octobre prochain, l'association Passe Pierre organise à Semur-en-Auxois une exposition sur la faune et la flore de l'Armançon. Des conférences sont notamment prévues sur les carpes, les rapaces nocturnes et la biodiversité de la rivière. Du 8 au 11 novembre, le Salon international du patrimoine culturel se tient à Paris, au Caroussel du Louvre. La Fédération française des associations de sauvegarde de moulins sera présente (stand C14, Salle Gabriel) pour défendre le « troisième patrimoine de France », aujourd'hui menacé. Du 20 au 22 novembre, la FFAM participera aussi au Salon des maires (Porte de Versailles, Paris), où elle remettra le Prix 2012 « Nos moulins ont de l'avenir ».

10/10/2012

Onema: discours de colloque, discours de terrain

Les Rencontres de l'Onema n°16 publient le compte-rendu d'un Colloque sur le thème : L'eau, ingénierie d'un continuum. Ce colloque a été organisé par le Groupe d’application de l’ingénierie des écosystèmes (Gaié) et par l'Office de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), les 13 et 14 décembre 2011. La Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a indiqué une obligation de résultats en terme de qualité de l'eau d'ici 2015. Et l'entrée en vigueur de la Trame Verte et Bleue (TVB) du Grenelle signale que le « continuum aquatique » sera un élément important de cette qualité de l'eau, du moins pour le législateur.

L'Onema revient sur les conditions de mise en œuvre de cet objectif qu'il a très largement contribué à promouvoir ces dernières années. Plusieurs passages ont attiré notre attention, et suscité quelques réflexions.

Le conflit et le désaccord comme moteurs de l'action...
si une seule vision est sûre de l'emporter ?
Le compte rendu du colloque note le rôle du « conflit comme moteur de l'action » : « Pour être efficace du point de vue écologique, la mise en place d’un projet devra nécessairement avoir un impact sur des pratiques en place. Les points de désaccord sont donc incontournables avant que le projet soit accepté et adapté localement. En effet, un projet qui n’aurait pas de détracteurs reviendrait en fait à ne pas changer les choses. L’implication des citoyens dans la connaissance des problèmes environnementaux est indispensable pour susciter l’intérêt des politiques publiques, comme de l’opinion publique, sur la gestion du continuum aquatique. »

Si le désaccord voire le conflit sont ainsi fructueux, il ne fait pas de doute que l'Onema est ravi de travailler en Auxois-Morvan. Car dans les cas où ils en ont été informés, comme pour le projet-pilote de Semur-en-Auxois, les propriétaires, riverains et citoyens ont très clairement exprimé leur désaccord avec la continuité écologique telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée.

Accepter le désaccord est une chose, en accepter la conséquence en est une autre. La continuité écologique est trop souvent perçue aujourd'hui comme un diktat, où la conclusion est posée d'avance et où la concertation est factice : on a tout à fait le droit d'être en désaccord... à condition expresse de reconnaître finalement que l'on avait tort ! Il va de soi que cette vision du désaccord n'a rien à voir avec le caractère fructueux du débat démocratique entre visions antagonistes.

Le désaccord en question n'est pas interne à la science, il ne porte pas sur telle ou telle équation de l'écoulement de l'eau ou du transport de ses charges solides. Non, il concerne plus fondamentalement la place que doit occuper la continuité écologique dans la lutte pour la qualité physique, chimique et biologique de l'eau ; et la compatibilité de la continuité écologique avec les autres dimensions socialement reconnues de l'eau : l'eau comme histoire, comme paysage, comme ressource, comme loisir, etc.

De tels désaccords ne sont pas solubles dans une décision préfectorale ni dans un conclave scientifique. Ils sont l'objet de la démocratie et, disons-le clairement : le débat démocratique sur la continuité écologique n'a pas eu réellement lieu. Plus exactement : il n'a pas été présenté dans les termes normaux d'un débat démocratique où les citoyens et leurs élus, informés clairement des conséquences concrètes des décisions, pouvaient accepter ou non ces conséquences. Tout le monde acquiesce à l'idée abstraite de « diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels » (art 371.1 C. env., objet de la TVB) ; mais encore faut-il savoir à quels coûts, selon quelles priorités et avec quelles conséquences un tel objectif est atteint. Si, lors des débats parlementaires, il était apparu aux élus que la continuité écologique signifiait concrètement un choix entre des aménagements très coûteux ou un effacement (coûteux aussi) du patrimoine hydraulique français, jamais la réforme n'aurait été votée en l'état.

En conséquence, le vrai débat a lieu non pas lors de l'adoption de la loi, mais lors de son application.

Choix d'actions au service du même objectif...
mais sur le terrain, le choix est-il si vaste ?
A propros de cette application sur le terrain de la continuité écologique, le compte-rendu du colloque se poursuit par une remarque intéressante sur la nécessité d'un réalisme dans l'action : « Il convient également de fixer des objectifs écologiques qui soient compatibles avec une mise en œuvre d’actions. Par exemple, la suppression des clapets des moulins est un moyen de restaurer la continuité, mais n’est pas une fin en soi. Pour ce même objectif, une autre solution pourra être adoptée dans un autre contexte. »

Il est notable que l'Onema reconnaisse ainsi la diversité des moyens de parvenir à la restauration d'un continuum aquatique, et n'envisage pas la destruction des vannes et biefs des moulins comme la seule voie possible. Nous ne manquerons de rappeler cette position aux agents de l'Office en Côte d'Or.

Encore faut-il que cette diversité des moyens d'actions, vertueusement promue sur le plan des principes, se retrouve réellement dans les faits et les actes. Pour continuer à citer le projet-pilote de continuité écologique de Semur-en-Auxois, initié par l'Onema, l'Agence de l'eau Seine-Normandie se déclare prête à soutenir l'effacement d'un barrage à hauteur de 450.000 euros de subvention (soit la quasi-totalité du coût), mais refuse actuellement de verser un seul centime d'euro pour construire une passe à poisson et redimensionner la vanne en vue d'un meilleur transport sédimentaire.

Cette position est tout à fait incompréhensible : si la continuité écologique est le vrai objectif et si l'Agence de l'eau dispose d'un budget pour un projet-pilote, il n'y a aucune raison de choisir arbitrairement une solution plutôt qu'une autre. Ce manque de rationalité dans les choix publics conduit les citoyens à la conclusion suivante : c'est bien l'effacement du barrage qui est l'objectif, et derrière lui l'effacement du maximum d'obstacles en rivière.

La supposée pluralité des moyens d'action au service de la continuité écologique paraît donc un leurre. Mais dans ce cas, il ne faut pas s'étonner que la politique de continuité écologique soit conflictuelle : les administrations de l'eau ne doivent pas tenir un double langage, très ouvert dans leurs plaquettes publiques et très fermé sur le terrain.

Accepter l'incertitude et le caractère expérimental des actions...
tout en soutenant une loi s'appliquant partout et tout de suite ?
La conclusion du compte-rendu du colloque ne suscite pas moins d'interrogations. L'Onema écrit ainsi : « Il faut rester modeste face à la réelle maîtrise des écosystèmes. Si l’ingénierie cherche à produire des systèmes contrôlés, ce caractère prévisible est difficilement compatible avec les processus naturels. Il est nécessaire d’être prêt à laisser un certain degré d’autonomie aux systèmes, garder à l’esprit le caractère expérimental des actions conduites ainsi que du temps pour qu’elles aient un effet, les écosystèmes pouvant mettre un certain délai à réagir. Le défi est de réussir à prendre en compte et intégrer la notion d’incertitude dans les décisions des pouvoirs politiques, mais également dans les demandes de la société. »

Tout d'abord, l'Onema ne devrait pas réserver à ses colloques à public restreint cette reconnaissance sur l'incertitude de ses savoirs et de ses pratiques : tout le monde a le droit d'en être informé, et il existe même un devoir d'informer sur les incertitudes et les risques qu'elles impliquent.

Les documents de l'Onema plus souvent diffusés vers les élus et les citoyens devraient donc préciser clairement que l'effet exact des obstacles à l'écoulement sur la biomasse et la biodiversité aquatiques n'est pas mesuré avec un haut degré de précision. Et que la suppression systématique de ces obstacles à l'écoulement reste une expérimentation à grande échelle dont on est bien incapable de simuler par modèle numérique l'ensemble des effets à long terme. Car si c'était faisable, les hydrologues auraient réalisé pour les rivières ce que les climatologues ont fait pour l'atmosphère et l'océan : des modèles permettant d'analyser les conditions aux limites du système hydrographique à différentes hypothèses, seule solution pour évaluer les trajectoires d'évolution (par exemple avec ou sans obstacles) et probabiliser ainsi les risques de certaines trajectoires inopportunes. Pour le dire plus clairement : avant de supprimer à marche forcée des milliers de seuils, glacis et barrages, prendre la précaution de vérifier qu'il n'existe pas d'effets indésirables et que les bénéfices écologiques sont proportionnés au coût (un modèle numérique à maille assez réaliste étant le seul outil pour cela).

Que les spécialistes en hydromoprhologie et hydro-écologie reconnaissent le caractère incertain de leur savoir et la dimension expérimentale de leurs actions est une chose, et plutôt une bonne chose. C'est une grande qualité d'un chercheur ou d'un ingénieur que de reconnaître ainsi les limites actuelles de son domaine de travail, au lieu de véhiculer l'image d'une science toute-puissante et infaillible.

Mais que cette reconnaissance des incertitudes donne lieu à une loi, un classement des rivières et une injonction à l'action immédiate à grande échelle sur les rivières françaises pose des questions importantes. Là encore, la rationalité des choix publics doit être mise en question : en vertu de quoi un savoir encore incertain et une pratique encore expérimentale donnent lieu si rapidement à une loi ? La sagesse la plus élémentaire ne commande-t-elle pas d'affermir les connaissances avant de bouleverser les équilibres pluriséculaires de nos rivières ?

Ces questions sont publiquement posées, et nous serions bien entendu ravis d'en publier les réponses. Car c'est cela, le débat démocratique informé permettant aux citoyens comme à leur élus de se construire une opinion.

05/10/2012

Assises de l'énergie en Côte d'Or

Les Assises de l'énergie en Côte d'Or se tiendront à Dijon, le jeudi 25 octobre 2012. L'association Hydrauxois participera à la demi-journée, avec un double objectif. D'abord s'informer des dispositifs mis en place sur l'Auxois-Morvan dans le cadre de la transition énergétique : Schéma régional climat, air, énergie (SRCAE), Plan climat-énergie territorial (PCET), retours d'expériences sur les projets locaux engagés dans le domaine de l'énergie. Ensuite, sensibiliser des interlocuteurs (Ademe, Siceco, élus) au cas particulier de la micro-hydraulique. Par rapport aux filières biomasse, solaire ou éolienne, la micro-hydraulique est souvent négligée malgré ses nombreux avantages : technologie mature, bilan carbone très favorable, empreinte paysagère nulle, restitution intégrale de l'eau, nombreux sites de production potentielle sur les rivières, productible quotidien et saisonnier raisonnablement prévisible (dans une certaine fourchette de probabilité liée aux variations de pluviométrie). La micro-hydraulique a aussi des besoins spécifiques en investissement, équipement et accompagnement des porteurs de projets, car les niveaux de puissance installable sur l'Auxois-Morvan (quelques dizaines de kW en autoconsommation à quelques centaines de kW en vente réseau) déterminent des attentes très différentes.

02/10/2012

Nouveau classement des cours d'eau de 2013: quels enjeux ?

Déjà cette année dans le bassin Loire-Bretagne, et en 2013 dans l'ensemble de la France dont notre bassin Seine-Normandie, un nouveau classement des cours d'eau sera adopté. Les habitants de l'Auxois-Morvan peuvent consulter le projet de classement de leurs rivières (par tronçons) sur cette page de la DRIIE.

Ce classement des rivières s'inscrit dans le cadre de la « continuité écologique », promue par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2 (2010, Trame bleue), interprétations françaises de la directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée par l'Union européenne en 2000.

Classement des rivières : un enjeu déjà ancien
L'idée d'un classement des rivières n'est évidemment pas nouvelle, puisque le premier classement imposant des échelles à poissons en France date de la loi du 31 mai 1865. Avant même cette époque, et comme le signale ce site, certaines rivières françaises connaissaient les « passe-lits », plans inclinés à 10-15° de pente entre la retenue amont et l'aval du seuil, dont l'entretien pouvait être rendu obligatoire par des coutumes. De même, les échelles à poissons existaient localement avant la loi de 1865 à des fins de renouvellement du stock piscicole (image : extrait du Bulletin de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de Lozère, 22, 1861, cliquer pour agrandir).

La loi de 1865 marque néanmoins la prise de conscience du législateur moderne, et elle signale dans son article 1 : « Des décrets du Conseil d’État, après avis des conseils généraux du département, détermineront les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à assurer la libre circulation du poisson. » Un certain nombre de décrets (exemple) ou décisions interministérielles (exemple, en bas) vont aboutir soit à l'obligation d'installer les échelles à poissons, soit à l'interdiction pure et simple de construire des ouvrages hydrauliques nouveaux sur certains cours d'eau.

D'autres classements suivront à mesure que les rivières françaises seront équipés d'ouvrages hydro-électriques remplaçant les ouvrages hydromécaniques. Le système actuellement en vigueur, appelé à être modifié prochainement, connaissait les rivières « réservées » et les rivières « classées ». Ce classement était issu d'une agrégation de lois ayant commencé en 1919, avec la loi sur l'énergie hydraulique, suivie par la loi de 1976 sur la protection de la nature, la loi de 1984 sur la pêche en eau douce, la loi de 1992 sur l'eau (article L232-6 du Code rural, puis article L-432-6 du Code de l'environnement).

Le premier enseignement est que le souci du franchissement piscicole est ancien. Il n'y a pas eu des siècles d'aveuglement suivis d'une lumineuse et récente prise de conscience, mais plutôt des séries d'ajustement tentant de concilier les usages hydrauliques et la biodiversité aquatique.

Liste 1 et liste 2 : leur signification
Venons-en au nouveau classement des rivières appelé à entrer en vigueur rapidement. Les rivières seront désormais classées en deux catégories : liste 1 et liste 2. (Carte ci-dessous : le classement des bassins de l'Armançon, du Serein et de la Cure, cliquer pour agrandir).

La liste 1 désigne les rivières à préserver, en très bon état écologique, les tronçons considérés comme réservoirs biologiques, les rivières à enjeu de migrateurs amphihalins (vivant alternativement en eau douce et salée, comme le saumon, la truite de mer, l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Sur ces rivières, aucun ouvrage hydraulique nouveau ne sera autorisé et les ouvrages existants devront se mettre en conformité avec la continuité écologique, c'est-à-dire assurer le transport sédimentaire et le franchissement des poissons (montaison, dévalaison).

La liste 2 désigne les rivières à restaurer, en état écologique moyen à mauvais. Là aussi, les ouvrages hydrauliques existant devront être mis au norme, mais la construction de nouveaux équipements ne sera pas interdite a priori.

Aujourd'hui, 7% des rivières sont considérées comme en très bon état écologique, 38% en bon état écologique, 38% en état écologique moyen, 11% en état écologique médiocre et 4% en mauvais état (rapportage Reportnet-Wise 2009).

La classement des rivières proposé en lien plus haut (pour le bassin Seine-Normandie) précise, pour chaque tronçon, les espèces d'intérêt, la présence d'un enjeu migrateur (besoin de franchissement dans le cycle de vie de certains poissons), l'état sédimentaire (niveau du transport de charge solide par charriage) et, les cas échéant, des objectifs précis (existence d'un « axe anguille », connexion avec un réservoir biologique, reformation de frayères, etc.).

Mise en application du classement : nécessité du réalisme
Les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans à compter de la publication du classement des cours d'eau pour mettre leurs ouvrages en conformité avec les exigences de la préfecture. Concrètement, ce sont les services de la police de l'eau (DDT, Onema) qui transmettront aux propriétaires ou exploitants les consignes préfectorales.

Le problème est le suivant : la continuité écologique peut signifier bien des choses. Une « ouverture raisonnée des vannes », comme le proposent beaucoup d'associations de moulins, est par exemple un moyen de favoriser le transit sédimentaire et la circulation piscicole en dévalaison, de biefs en biefs. Le propriétaire s'engage, en fonction de consignes de l'Onema, à actionner le vannage et à assurer un certain débit à certaines périodes de l'année où le cycle de vie des espèces le réclame.

Cette hypothèse serait la plus simple et la plus conforme à l'emploi des moulins, même si elle implique une présence permanente du propriétaire – les moulins en « résidence secondaire » devront trouver des solutions pour respecter le fonctionnement de leurs ouvrages, de manière pas très éloignée de leur usage historique.

Mais l'Administration de l'eau peut se montrer plus stricte et réclamer la pose de passes à poissons. Là encore, il y a des gradients de complexité dans les équipements demandés.

Le Code de l'environnement prévoit la circulation des migrateurs vivant alternativement en eau douce et salée. Ce qui supposerait dans la région des passes à anguilles, dont la conception présente un certain coût. Encore l'anguille tolère-t-elle des rampes à pente forte, et en tête de bassin versant, comme l'Auxois-Morvan, les individus sont adultes. (Ci-contre : anguille commune d'Europe, Ron Offermans, Wikimedia Commons)

En revanche, si l'Administration exige des passes adaptées à toutes espèces non amphihalines (Salmonidés d'eau douce et Cyprinidés), la perspective change complètement : ces dispositifs de franchissement (passe naturelle « rustique », passe à bassins successifs) demandent énormément de génie civil en raison de la nécessité d'une faible pente, faible puissance volumique de l'eau et faible turbulence de l'écoulement. Le coût devient alors tout à fait prohibitif pour la plupart des propriétaires. Et, disons-le, assez aberrant dans la période de grave crise que nous connaissons.

Bref, la mise en oeuvre du nouveau classement sera affaire de réalisme :
  • soit on convient qu'il faut des réformes progressives, raisonnables et soutenues par des subventions quand elles ont des coûts importants sur un site donné ;
  • soit on exige des passes disproportionnées en laissant les propriétaires à eux-mêmes et en les menaçant d'amende ou d'effacement de leurs ouvrages.

Dans la seconde hypothèse, le nouveau classement des rivières sera conflictuel. Ce n'est évidemment souhaitable pour personne. Et surtout pas pour la continuité écologique, qui n'a aucune chance de succès dans notre pays si elle est menée par voie autoritaire et ruineuse.

Eclaircir la constitution du classement :
une transparence indispensable
Classer chaque tronçon de rivière française est une bonne chose : encore faut-il par la suite expliquer et justifier le classement en question auprès des riverains, et du public en général.

Notre association demandera en conséquence la publication de la documentation primaire ayant permis de réaliser le nouveau classement. En effet, si l'on prend l'exemple du tronçon de l'Armançon de l'aval du barrage du Pont au confluent avec la Brenne, le classement se contente de mentionner parmi les espèces concernées par la continuité écologique les « cyprinidés rhéophiles » (à côté des anguilles).

Cette expression pour le moins cryptique ne signifie pas grand chose aux riverains et propriétaires d'ouvrages, ni aux citoyens en général.

Quand on va sur la base documentaire Eau France, la requête sur « cyprinidés rhéophiles » ne donne que 33 résultats, dont la plupart ne sont pas spécifiques à ces espèces, et on ne trouve rien sur les travaux d'analyse et mesure du tronçon d'intérêt. La base KMAE de l'Onema ne donne que 16 résultats, dont au moins deux concernent les rhéophiles (pas spécialement cyprinidés) dans notre région, un travail de Boet et al 1991 sur le bassin de l'Yonne, et un autre de Berrebi dit Thomas et al 1998 sur le bassin de la Seine. Ces études ne sont pas récentes, et aucune ne mentionne la continuité écologique.

Une recherche sur le mot-clé « Armançon » donne bien 87 résultats sur Eau France, mais un classement par date ne révèle aucune étude piscicole récente permettant de connaître le peuplement actuel et historique des cyprinidés rhéophiles, ni de préciser les besoins et capacités en franchissement d'obstacles de chacune des espèces.

Les cyprinidés rhéophiles ne sont qu'un exemple parmi d'autres, sur un tronçon parmi d'autres. S'il s'agissait de recherche fondamentale ou appliquée, ces questions ne concerneraient bien sûr que les chercheurs. Mais voilà, comme le classement des cours d'eau risque de se traduire localement par des destructions du patrimoine hydraulique ou des aménagements particulièrement coûteux, ces questions concernent désormais toute la société.

Par ailleurs, s'il est tout à fait louable que le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'Eau s'appuient sur la science, nul n'ignore que la science est fondée sur la publication de ses résultats et de ses méthodes : c'est ce qui permet la critique, donc le progrès des connaissances.

Aussi la parfaite transparence sur la détermination des espèces demandant des dispositifs de franchissement sera-telle requise dès le classement publié.

Les principaux points de progrès :
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
Le nouveau classement des cours d'eau et l'obligation de mise en conformité sur la période 2014-2019 se présentent donc comme un chantier de travail important, avec plusieurs axes demandant clarification entre les riverains, propriétaires, associations et administrations de l'eau.

L'association Hydrauxois travaillera en particulier les points suivants :

• Rapport coût-bénéfice écologique : déterminer site par site quelle solution présente un gain environnemental pour un coût moindre ; éviter toute application systématique alors que chaque ouvrage sur chaque tronçon de rivière est un cas particulier ;

• Optimisation des passes à poissons : travailler avec les ingénieurs pour proposer des dispositifs de franchissement minimisant le coût du génie civil tout en conservant le bénéfice écologique attendu ;

Suivi d'analyse : équiper un certain nombre de sites de dispositifs d'observation afin de mesurer les effets réels des aménagements, ainsi que leurs points faibles en vue d'une amélioration future (attractivité des passes, effets de luminosité, problèmes de recirculation, etc.) ; publier les résultats de manière transparente pour informer le public des gains écologiques observés ;

Soutien de l'Etat : la rivière comme la biodiversité sont des biens communs, donc l'effort de continuité écologique doit être soutenu par des subventions publiques, au pro rata des coûts d'équipement exigés par le demandeur (Etat). D'autant que l'immense majorité des moulins ne tire aucun revenu de l'énergie hydraulique, contrairement aux grands barragistes ; le principe d'une « prime à la passe » sera donc promu ;

Articulation de la continuité écologique avec le patrimoine et l'énergie : la continuité écologique est l'occasion de rappeler aux propriétaires leur devoir d'entretien du patrimoine historique que représentent les ouvrages hydrauliques, mais c'est aussi le moment de leur proposer une aide à l'équipement hydro-électrique, en conformité avec les plans de transition énergétique que la région Bourgogne, la France et l'Europe ont engagé ; toute demande de passe impliquant un génie civil important devra donc être associée à une analyse de préfaisabilité afin de mutualiser éventuellement les coûts de la passe et ceux d'un équipement hydro-électrique (s'il est inexistant au droit de l'ouvrage, sinon une modernisation de l'équipement existant).

L'association Hydrauxois défendra cette ligne de propositions auprès des autorités administratives, techniques et scientifiques en charge de l'eau sur les bassins de l'Armançon, du Serein et la Cure. Elle la défendra également auprès de tous les citoyens d'Auxois-Morvan et de leurs élus, car le risque de destruction du patrimoine rural et technique de notre région est bien réel (voir l'exemple inquiétant du projet-pilote de Semur-en-Auxois). Et elle ne peut évidemment que conseiller aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques de la rejoindre, afin de peser ensemble dans les négociations à venir.