22/10/2012

Un guide remarquable pour la restauration énergétique des moulins

Bien des moulins sont intéressés par la restauration de leurs ouvrages hydrauliques et la mise en place d'une production d'énergie. Mais les questions sont nombreuses, et le sujet complexe. Ai-je le droit de produire de l'électricité ? Que disent les règlementations ? Dois-je m'orienter vers l'autoconsommation ou la revente au réseau ? Quelles sont les options techniques (roues hydrauliques, vis hydrodynamiques, turbines, générateurs synchrones et asynchrones, etc.) ? Et les contraintes environnementales, architecturales ou autres ?

On trouve plusieurs publications en ligne de l'Ademe ou de France Hydro Electricité. Mais elles sont rarement adressées aux moulins et centrales de très petite puissance (moins de 100 kW). Les travaux suisses de l'Office fédéral de l'énergie, programme PACER, donnent quant à eux des explications détaillées sur les principes techniques de la petite hydro-électricité, mais ils sont de niveau ingénieur.

Un travail remarquable permet pourtant au propriétaire de moulin de comprendre les enjeux. Il s'agit d'un mémoire de maîtrise soutenu par Michel Heschung (ingénieur ENSTIM), et intitulé Guide pour la réhabilitation des moulins hydrauliques en vue de la production d'électricité. Conçue de manière très opérationnelle, rédigée dans un style clair et abordable, cette publication fait un point complet sur chaque aspect d'un projet hydro-électrique. Sa lecture est donc très vivement conseillée à tout propriétaire caressant l'idée de remettre en service la production hydraulique de son moulin. Mais aussi à tous les curieux en quête d'une introduction de grande qualité à ces questions.

Téléchargement (pdf, 3,7 Mo)

A noter : Pour ceux qui préfèrent une version papier, le Guide de M. Heschung a été édité en livre par la FFAM. Il coûte 32 euros port compris, ou 26 euros sur stand de la Fédération lors de ses manifestations régionales.  

18/10/2012

Les leçons de Gomméville

Gomméville est une petite commune de 150 habitants, située en Haute Côte d'Or, à la frontière de l'Aube. A 15 km de Châtillon, la ville est traversée par la Seine. Dans le cadre de la continuité écologique des cours d'eau, le cas de Gomméville est étudié depuis 2005 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et le syndicat de rivière – aujourd'hui le Sicec (Syndicat des cours d'eau du Châtillonnais), qui gère le contrat de rivière Sequana sur le bassin hydrographique de Seine-Amont.

Une roue Fonfrède pour la microcentrale
Le maire de Gomméville, Jean-Paul Rommel, a fait état assez tôt de sa volonté de produire de l'énergie hydro-électrique afin de procurer des revenus à sa ville. En octobre 2008, la commune a racheté à cette fin le moulin de la famille Verniquet. « Quand on dispose d’un tel patrimoine, on se doit de le faire vivre », expliquait l'élu au Bien Public. La DDT a étudié le projet de microcentrale de la commune et donné son accord réglementaire, sans obligation particulière de franchissement piscicole (passe à poissons). Ce franchissement ne deviendra en effet obligatoire qu'à la publication du classement des rivières.

La Commune a fait appel à un bureau d'études pour la faisabilité de son projet. Si la hauteur de chute est modeste, le débit de la Seine au droit du moulin est soutenu : un module moyen de l'ordre de 10m3/s. Le maire a fait un choix d'équipement compatible avec la dévalaison des poissons (nage de l'amont vers l'aval) : le bureau a donc travaillé sur des hypothèses de vis hydrodymanique (vis d'Archimède) ou de roue à aubes, parfois appelée « aqualienne ». C'est une roue Fonfrède qui a été retenue pour la production.

Ce système a plusieurs avantages : rotation lente et « ichtyocompatible » (n'affectant pas le poisson), tolérance aux feuilles et petits débris, donc moindre maintenance (pas de dégrilleur au canal d'amenée), peu de génie civil (appuis pour l'arbre et reprofilage du bief), bonne tenue du rendement lorsque le débit varie (même si ce rendement est probablement moindre au débit d'équipement que ne le serait celui d'une turbine de type Kaplan).

Quatre vannes de décharge, deux passes à poissons
Dans la mesure où l'installation de Gomméville était reconnue comme « règlementaire » par la DDT, le syndicat Sicec est intervenu en « mesure complémentaire ». Le maire Jean-Paul Rommel souhaitait de toute façon que l'installation de la microcentrale communale ne soit pas nuisible du point de vue écologique. Il a d'ailleurs accepté que le débit minimal biologique réservé soit relevé à 20% : 2 m3/s au lieu de 1 m3/s. Ce débit réservé désigne la quantité d'eau qui doit en permanence être librement disponible au franchissement des poissons. Le Sicec l'a calculé en fonction du débit d'étiage le plus sévère observé tous les 5 ans (QMNA5, débit d'étiage mensuel moyen à retour quinquennal).

Le syndicat de rivière a donc assisté la commune de Gomméville dans les aménagements écologiques. : passerelle de sécurité, réfection de quatre vannes de décharge améliorant le transit sédimentaire et installation de deux passes à poissons pour le franchissement piscicole. Les deux passes ont été rendues nécessaires par la géométrie du site : le seuil est loin en amont de la prise d'eau turbinable. Selon le volume du débit (plus ou moins 12 m3/s comme valeur-seuil), l'obstacle de franchissement est situé au niveau du seuil ou au niveau du moulin. La passe installée au moulin aura un dispositif de suivi, non permanent cependant (campagne de piégeage). Ce sont des passes à bassins successifs, les espèces cibles de la Seine étant ici les Salmonidés, et non les anguilles.

Le coût total des aménagements écologiques de Gomméville est d'environ 280 k€. La commune prend en charge 30% de ce coût. Le reste a été financé par le Sicec et par l'Agence de l'eau (qui a abondé le projet à hauteur d'une des deux passes). Quant au coût de la microcentrale hydraulique, la commune en assumera aussi une partie, avec par ailleurs le soutien de l'Ademe, du Conseil général et des fonds européen de développement rural.

Quels enseignements de l'exemple de Gomméville ?
A l'heure où la continuité écologique déchaîne les passions entre les « pour » et les « contre », et où certaines communes sont insatisfaites des propositions de leur syndicat de rivière (cas de Semur), la petite commune de Gomméville apporte des enseignements intéressants.

D'abord, Gomméville montre que la volonté des élus permet de promouvoir la micro-hydroélectricité comme source d'activité et de revenus pour des territoires ruraux qui, par ailleurs, en manquent cruellement.

Ensuite, un travail de fond entre les communes, leurs syndicats de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau permet de dégager des solutions où la continuité écologique, le patrimoine historique et la production énergétique sont conciliés au lieu d'être opposés. Ce qui a été possible à Gomméville est possible ailleurs : la condition en est une vraie vision d'avenir pour le propriétaire du site, et une vraie écoute de la part des syndicats et administrations de l'eau.

Le Sicec, que nous avons contacté, spécifie que les aménagements à fin de continuité écologique restent une exception par rapport au choix de l'effacement (destruction de l'ouvrage). La raison en est que du point de vue de la continuité écologique, les dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire sont à la fois moins efficaces et plus coûteux. Le syndicat de Haute Seine, comme les autres en France, tend donc à favoriser la solution qui lui semble économiquement et écologiquement optimale. Et il y est bien sûr fermement invité par l'Agence de l'eau, qui répartit une bonne part des budgets du ministère de l'Ecologie sur le bassin hydrographique Seine-Normandie.

Ce raisonnement est cohérent, mais à certaines conditions qui, hélas, ne sont pas aujourd'hui explicitées dans le débat public ni dans le discours des administrations de l'eau. Si l'on ne prend en compte que la continuité écologique, alors la solution optimale sera par définition une « renaturation » du site, c'est-à-dire un effacement de toute influence anthropique. Mais voilà, la question de fond demeure derrière cette prétention à « l'optimalité » : en quoi la vision publique de l'eau doit-elle envisager les rivières sous l'angle exclusif de cette continuité écologique ? Le patrimoine historique des rivières et leur potentiel énergétique ne font-ils pas partie eux aussi des biens communs que la puissance publique doit protéger et non détruire ? Si la concertation démocratique est réellement organisée, n'est-ce pas aux habitants et riverains de choisir la solution de continuité écologique qui leur paraît meilleure ?

Ni la directive cadre européenne sur l'eau ni les lois françaises depuis 2006 n'imposent en soi l'effacement des ouvrages hydrauliques : dans l'application des nouvelles normes de qualité de rivière, le choix des solutions reste toujours un choix démocratique. 

14/10/2012

Premier classement, premier recours

Le bassin hydrographique Loire-Bretagne a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a publié le nouveau classement des rivières (voir cet article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Le classement des rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient à deux orientations de même article de loi : « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ». 

Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude UFE 2011. Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel. Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin. 

On pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au contraire les acteurs de terrain.

Cet effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une logique aberrante.

L'immense majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1 sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère que la transition vers des énergies non-fossiles demande de mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et particulièrement les productions électriques qui seront de plus en plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les différents indices pour la mesurer (IBGN, IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions (effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par exemple que la France est poursuivie par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à appliquer la directive nitrates.

Il est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du développement durable. Combien de conflits juridiques et de batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du problème et faire entendre raison aux décideurs ?

12/10/2012

Agenda

Les 13 et 14 octobre prochain, l'association Passe Pierre organise à Semur-en-Auxois une exposition sur la faune et la flore de l'Armançon. Des conférences sont notamment prévues sur les carpes, les rapaces nocturnes et la biodiversité de la rivière. Du 8 au 11 novembre, le Salon international du patrimoine culturel se tient à Paris, au Caroussel du Louvre. La Fédération française des associations de sauvegarde de moulins sera présente (stand C14, Salle Gabriel) pour défendre le « troisième patrimoine de France », aujourd'hui menacé. Du 20 au 22 novembre, la FFAM participera aussi au Salon des maires (Porte de Versailles, Paris), où elle remettra le Prix 2012 « Nos moulins ont de l'avenir ».

10/10/2012

Onema: discours de colloque, discours de terrain

Les Rencontres de l'Onema n°16 publient le compte-rendu d'un Colloque sur le thème : L'eau, ingénierie d'un continuum. Ce colloque a été organisé par le Groupe d’application de l’ingénierie des écosystèmes (Gaié) et par l'Office de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), les 13 et 14 décembre 2011. La Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a indiqué une obligation de résultats en terme de qualité de l'eau d'ici 2015. Et l'entrée en vigueur de la Trame Verte et Bleue (TVB) du Grenelle signale que le « continuum aquatique » sera un élément important de cette qualité de l'eau, du moins pour le législateur.

L'Onema revient sur les conditions de mise en œuvre de cet objectif qu'il a très largement contribué à promouvoir ces dernières années. Plusieurs passages ont attiré notre attention, et suscité quelques réflexions.

Le conflit et le désaccord comme moteurs de l'action...
si une seule vision est sûre de l'emporter ?
Le compte rendu du colloque note le rôle du « conflit comme moteur de l'action » : « Pour être efficace du point de vue écologique, la mise en place d’un projet devra nécessairement avoir un impact sur des pratiques en place. Les points de désaccord sont donc incontournables avant que le projet soit accepté et adapté localement. En effet, un projet qui n’aurait pas de détracteurs reviendrait en fait à ne pas changer les choses. L’implication des citoyens dans la connaissance des problèmes environnementaux est indispensable pour susciter l’intérêt des politiques publiques, comme de l’opinion publique, sur la gestion du continuum aquatique. »

Si le désaccord voire le conflit sont ainsi fructueux, il ne fait pas de doute que l'Onema est ravi de travailler en Auxois-Morvan. Car dans les cas où ils en ont été informés, comme pour le projet-pilote de Semur-en-Auxois, les propriétaires, riverains et citoyens ont très clairement exprimé leur désaccord avec la continuité écologique telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée.

Accepter le désaccord est une chose, en accepter la conséquence en est une autre. La continuité écologique est trop souvent perçue aujourd'hui comme un diktat, où la conclusion est posée d'avance et où la concertation est factice : on a tout à fait le droit d'être en désaccord... à condition expresse de reconnaître finalement que l'on avait tort ! Il va de soi que cette vision du désaccord n'a rien à voir avec le caractère fructueux du débat démocratique entre visions antagonistes.

Le désaccord en question n'est pas interne à la science, il ne porte pas sur telle ou telle équation de l'écoulement de l'eau ou du transport de ses charges solides. Non, il concerne plus fondamentalement la place que doit occuper la continuité écologique dans la lutte pour la qualité physique, chimique et biologique de l'eau ; et la compatibilité de la continuité écologique avec les autres dimensions socialement reconnues de l'eau : l'eau comme histoire, comme paysage, comme ressource, comme loisir, etc.

De tels désaccords ne sont pas solubles dans une décision préfectorale ni dans un conclave scientifique. Ils sont l'objet de la démocratie et, disons-le clairement : le débat démocratique sur la continuité écologique n'a pas eu réellement lieu. Plus exactement : il n'a pas été présenté dans les termes normaux d'un débat démocratique où les citoyens et leurs élus, informés clairement des conséquences concrètes des décisions, pouvaient accepter ou non ces conséquences. Tout le monde acquiesce à l'idée abstraite de « diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels » (art 371.1 C. env., objet de la TVB) ; mais encore faut-il savoir à quels coûts, selon quelles priorités et avec quelles conséquences un tel objectif est atteint. Si, lors des débats parlementaires, il était apparu aux élus que la continuité écologique signifiait concrètement un choix entre des aménagements très coûteux ou un effacement (coûteux aussi) du patrimoine hydraulique français, jamais la réforme n'aurait été votée en l'état.

En conséquence, le vrai débat a lieu non pas lors de l'adoption de la loi, mais lors de son application.

Choix d'actions au service du même objectif...
mais sur le terrain, le choix est-il si vaste ?
A propros de cette application sur le terrain de la continuité écologique, le compte-rendu du colloque se poursuit par une remarque intéressante sur la nécessité d'un réalisme dans l'action : « Il convient également de fixer des objectifs écologiques qui soient compatibles avec une mise en œuvre d’actions. Par exemple, la suppression des clapets des moulins est un moyen de restaurer la continuité, mais n’est pas une fin en soi. Pour ce même objectif, une autre solution pourra être adoptée dans un autre contexte. »

Il est notable que l'Onema reconnaisse ainsi la diversité des moyens de parvenir à la restauration d'un continuum aquatique, et n'envisage pas la destruction des vannes et biefs des moulins comme la seule voie possible. Nous ne manquerons de rappeler cette position aux agents de l'Office en Côte d'Or.

Encore faut-il que cette diversité des moyens d'actions, vertueusement promue sur le plan des principes, se retrouve réellement dans les faits et les actes. Pour continuer à citer le projet-pilote de continuité écologique de Semur-en-Auxois, initié par l'Onema, l'Agence de l'eau Seine-Normandie se déclare prête à soutenir l'effacement d'un barrage à hauteur de 450.000 euros de subvention (soit la quasi-totalité du coût), mais refuse actuellement de verser un seul centime d'euro pour construire une passe à poisson et redimensionner la vanne en vue d'un meilleur transport sédimentaire.

Cette position est tout à fait incompréhensible : si la continuité écologique est le vrai objectif et si l'Agence de l'eau dispose d'un budget pour un projet-pilote, il n'y a aucune raison de choisir arbitrairement une solution plutôt qu'une autre. Ce manque de rationalité dans les choix publics conduit les citoyens à la conclusion suivante : c'est bien l'effacement du barrage qui est l'objectif, et derrière lui l'effacement du maximum d'obstacles en rivière.

La supposée pluralité des moyens d'action au service de la continuité écologique paraît donc un leurre. Mais dans ce cas, il ne faut pas s'étonner que la politique de continuité écologique soit conflictuelle : les administrations de l'eau ne doivent pas tenir un double langage, très ouvert dans leurs plaquettes publiques et très fermé sur le terrain.

Accepter l'incertitude et le caractère expérimental des actions...
tout en soutenant une loi s'appliquant partout et tout de suite ?
La conclusion du compte-rendu du colloque ne suscite pas moins d'interrogations. L'Onema écrit ainsi : « Il faut rester modeste face à la réelle maîtrise des écosystèmes. Si l’ingénierie cherche à produire des systèmes contrôlés, ce caractère prévisible est difficilement compatible avec les processus naturels. Il est nécessaire d’être prêt à laisser un certain degré d’autonomie aux systèmes, garder à l’esprit le caractère expérimental des actions conduites ainsi que du temps pour qu’elles aient un effet, les écosystèmes pouvant mettre un certain délai à réagir. Le défi est de réussir à prendre en compte et intégrer la notion d’incertitude dans les décisions des pouvoirs politiques, mais également dans les demandes de la société. »

Tout d'abord, l'Onema ne devrait pas réserver à ses colloques à public restreint cette reconnaissance sur l'incertitude de ses savoirs et de ses pratiques : tout le monde a le droit d'en être informé, et il existe même un devoir d'informer sur les incertitudes et les risques qu'elles impliquent.

Les documents de l'Onema plus souvent diffusés vers les élus et les citoyens devraient donc préciser clairement que l'effet exact des obstacles à l'écoulement sur la biomasse et la biodiversité aquatiques n'est pas mesuré avec un haut degré de précision. Et que la suppression systématique de ces obstacles à l'écoulement reste une expérimentation à grande échelle dont on est bien incapable de simuler par modèle numérique l'ensemble des effets à long terme. Car si c'était faisable, les hydrologues auraient réalisé pour les rivières ce que les climatologues ont fait pour l'atmosphère et l'océan : des modèles permettant d'analyser les conditions aux limites du système hydrographique à différentes hypothèses, seule solution pour évaluer les trajectoires d'évolution (par exemple avec ou sans obstacles) et probabiliser ainsi les risques de certaines trajectoires inopportunes. Pour le dire plus clairement : avant de supprimer à marche forcée des milliers de seuils, glacis et barrages, prendre la précaution de vérifier qu'il n'existe pas d'effets indésirables et que les bénéfices écologiques sont proportionnés au coût (un modèle numérique à maille assez réaliste étant le seul outil pour cela).

Que les spécialistes en hydromoprhologie et hydro-écologie reconnaissent le caractère incertain de leur savoir et la dimension expérimentale de leurs actions est une chose, et plutôt une bonne chose. C'est une grande qualité d'un chercheur ou d'un ingénieur que de reconnaître ainsi les limites actuelles de son domaine de travail, au lieu de véhiculer l'image d'une science toute-puissante et infaillible.

Mais que cette reconnaissance des incertitudes donne lieu à une loi, un classement des rivières et une injonction à l'action immédiate à grande échelle sur les rivières françaises pose des questions importantes. Là encore, la rationalité des choix publics doit être mise en question : en vertu de quoi un savoir encore incertain et une pratique encore expérimentale donnent lieu si rapidement à une loi ? La sagesse la plus élémentaire ne commande-t-elle pas d'affermir les connaissances avant de bouleverser les équilibres pluriséculaires de nos rivières ?

Ces questions sont publiquement posées, et nous serions bien entendu ravis d'en publier les réponses. Car c'est cela, le débat démocratique informé permettant aux citoyens comme à leur élus de se construire une opinion.