31/10/2012

Assises de l'énergie en Côte d'Or : un bilan très positif

Le 25 octobre 2012 se sont tenues les Assises de l'énergie en Côte d'Or, au Palais des Congrès de Dijon, à l'initiative du Siceco soutenu par l'Ademe. Deux représentants d'Hydrauxois y ont assisté, parmi 250 autres personnes, essentiellement des élus locaux. L'après-midi fut très riche en exposés et débats. En voici une synthèse, orientée bien sûr sur l'hydraulique.

Un constat fut partagé par tous les intervenants : la transition énergétique n'est plus une option, mais une nécessité pour de multiples raisons (le coût croissant du fossile impliquant un déficit de balance commerciale et une précarité des ménages, le risque du réchauffement climatique). Cette transition prendra deux formes : d'abord des économies d'énergie (de l'ébriété à la sobriété), dans le domaine notamment du transport et du chauffage ; ensuite une production d'énergie diversifiée accordant une part croissante aux sources renouvelables.

Bourgogne : 2 à 3 MW de micro-hydraulique d'ici 2020
En Bourgogne comme ailleurs, ces sources d'énergie renouvelable sont multiples : l'éolien, la biomasse (bois, déchets, biocarburants, biogaz), le solaire, la géothermie et bien sûr l'hydraulique. Le Schéma régional Climat, air et énergie (SRCAE) a été présenté : cet outil directeur à échelle de la région permet de dessiner les énergies à développer à horizon 2020 (23% de renouvelable dans le mix énergétique), puis 2050 (division par 4 des émissions carbone, donc de la part fossile du mix).

Pour la petite hydraulique telle que nous la promouvons en Auxois-Morvan, le SRCAE prévoit 2 à 3 MW supplémentaires de puissance d'ici 2020 (2,5 MW et 5 GWh en hypothèse moyenne), auxquels s'ajoutent l'amélioration des installations existantes (54 à 57,5 MW, gain de 4 GWh). Sachant que les équipements ont une puissance modeste, cela représente plusieurs centaines de moulins ou anciennes à usines à développer rapidement. D'autant plus rapidement que la complexité règlementaire des projets hydro-électriques imposent plusieurs années entre la décision de produire et le premier kWh produit. Plusieurs élus ont d'ailleurs signalé lors des débats que cet objectif hydro-électrique demandait une conciliation urgente avec la continuité écologique telle qu'elle est actuellement défendue par les Agences de l'eau et par les représentants de la DDT et de l'Onema. L'association Hydrauxois s'est ouvert du problème à M. François Bellouard, directeur études et projets de la DREAL Bourgogne, et a sollicité une réunion de travail à ce sujet.

Le cadre de la transition énergétique ne se limitera pas au SRCAE. Le Conseil général de Côte d'Or (sous la responsabilité de M. Jean-Noël Thomas et avec l'agence Auxilia) prépare actuellement un Plan Climat Energie Territorial (PCET) à l'échelle du département, tandis que le Siceco, sous l'impulsion de son directeur général Jean-Michel Jeannin et avec l'agence Energies Demain, publiera en 2013 également un Schéma énergétique départemental. L'association Hydrauxois travaille dès à présent à une contribution sur la place de la micro-hydraulique dans ces dispositifs départementaux, car le potentiel de cette énergie est difficile à appréhender avec les outils classiques de modélisation énergétique.

Les collectivités locales aux avant-postes
Au plan national, et non plus local, ces réformes en cours se déroulent à l'horizon de deux lois très importantes : l'une sur la décentralisation, l'autre sur la transition énergétique. Un grand débat sur l'énergie aura lieu entre décembre et avril prochains. Ces lois vont repréciser le rôle des collectivités locales dans la transition énergétique : les collectivités maîtrisent aujourd'hui les réseaux (dont elles sont propriétaires sur leurs territoires), mais elles devraient acquérir un rôle croissant sur les postes de production d'énergie et de maîtrise d'énergie. Le cas du parc éolien et des chaufferies bois du Pays de Saint-Seine (Catherine Louis) a permis d'illustrer cette évolution, de même que les exemples de montages en sociétés d'économie mixte présentés par Sergie (86) ou le Syndicat intercommunal d'énergie, d'équipement et d'environnement de la Nièvre (SIEEEN, 58).

Le bilan de ces premières Assises de l'énergie est donc très positif. Les acteurs locaux ont une claire conscience de la nécessité de développer toutes les énergies renouvelables du territoire, et aucun n'envisage de se priver de la contribution hydraulique dès lors que celle-ci assure sa compatibilité avec la continuité écologique.

Une cohérence nécessaire du discours public
Il reste néanmoins un problème de cohérence à résoudre, car les Agences de l'eau et l'Onema tiennent aujourd'hui un discours de terrain poussant à l'effacement des obstacles à l'écoulement plutôt qu'à la modernisation énergétique-écologique des moulins et des anciennes usines. 

Ce choix n'est évidemment pas viable au regard de la transition énergétique, puisque l'effacement de l'obstacle équivaut à la disparition du potentiel d'énergie hydraulique. Et ce dernier n'est pas négligeable. Pour la seule ville de Semur-en-Auxois, que notre association a bien étudiée en raison des circonstances de sa naissance, l'équipement du barrage communal et des seuils privés présents sur l'Armançon pourrait par exemple représenter près de 300 kW de puissance cumulée, soit (en tenant compte du facteur de charge hydraulique) l'équivalent de la consommation électrique totale de plus de 120 foyers. 

On voit donc, concrètement, ce que peut apporter la micro-hydraulique à la transition énergétiques de nos territoires.

26/10/2012

Armançon : un bilan écologique et hydrologique

Le schéma d'aménagement et des gestion des eaux (SAGE), porté par le syndicat de rivière Sirtava, a dressé un Rapport environnemental (2010) du bassin de l'Armançon, dont la version définitive a été publiée cette année après consultation administrative et enquête publique (voir le Rapport d'enquête).

Ce rapport est l'occasion de rappeler les faits essentiels sur l'état de l'Armançon, principal cours d'eau de l'Auxois, notamment sur la qualité physique, chimique et biologique de son eau. Nous focaliserons ici plus volontiers sur l'Armançon cote-dorien, sachant que la rivière coule aussi dans l'Yonne et l'Aube.

Un bassin versant allongé
Le bassin versant de l'Armançon occupe au total 3100 km2, en forme de bande orientée Sud-Est / Nord-Ouest. L'ensemble des cours d'eau y occupe 1255 km de linéaire. La partie amont en Auxois est très dense en rus et ruisseau, formant un « chevelu » de cours d'eau alimentant l'Armançon et ses grands affluents. Les masses d'eau souterraines en Auxois, appelées aquifères, se développent dans un socle géologique à dominante marnes et calcaires, avec des affleurements plus compacts et plus imperméables du socle cristallin du Morvan.

Du point de vue hydromorphologique, le bassin versant de l'Armançon présente « un certain équilibre sédimentaire », comme l'avait établi la mission Hydratec 2007. Les érosions de berges fournissent une charge alluviale assez importante (transport de particules fines, sables, graviers, voire galets), avec des faciès d'écoulement variés. Il existe donc ce que l'on nomme des « espaces de mobilité fonctionnelle » où les rivières conservent un équilibre physique.

Pour la végétation (ripisylve, nom donné aux arbres en bordures de rivière), on observe que 46% du linéaire des cours d'eau sont dépourvus de végétation, 36% possède une végétation discontinue et 18% des formations boisées épaisses. Il existe deux principales espèces végétales invasives : la renouée du Japon et le faux acacia, contre lesquels on ne connaît pas de moyen de lutte eficace à ce jour.

Concernant les poissons, le Rapport note que « le bassin de l'Armançon est globalement caractérisé par une richesse piscicole en lien avec la diversité de ses habitats (ruisseaux, rivières, lacs, canal). 32 espèces ont été recensées ». L'Armançon est une rivière cyprinicole (dominante de « blancs », 2e catégorie de pêche), mais ses petits affluents sont généralement salmonicoles (truites et ombres, 1re catégorie). Il existe trois espèces invasives reconnues chez les Crustacés : les écrevisse américaines, écrevisses de Floride et écrevisses de Louisiane. Elles sont surtout présentes en amont (Auxois) et menacent l'espèce patrimoniale (écrevisse à pieds blancs) par concurrence de territoires ou charge pathogène. (Le Rapport ne mentionne pas le cas des silures, sur lequel des témoignages négatifs ont été rapportés, y compris en bassin Amont).

Les pollutions d'origine anthropique
Le territoire est à dominante rurale : 67 % d'occupation agricole, 30% de forêts et seulement 2% de sols artificialisés (villes, zones d'activité). On compte 105.138 habitants dont 38% en Côte d'Or.

Premier problème : la pollution domestique, avec 56% des raccordements collectifs en bon fonctionnement, mais 44% en état insatisfaisant pour l'ensemble du bassin. S'y ajoutent les assainissements autonomes, en état plus néfaste encore puisque 90% sont non conformes et 75% de la charge polluante y est rejetée après usage. Conséquence : rejet de matières organiques et oxydables (DBO, DCO, NH4), de nitrates, de matières azotées et phosphorées.

La pollution agricole représente un autre enjeu pour la qualité biologique et chimique de l'eau. Le territoire est rural, dominé par l'élevage en Auxois et par la culture céréalière vers l'aval. Cela représente une forte ponction d'eau en irrigation (215.000m3/an) et abreuvage (515.000m3/an). Le Rapport environnemental note que la qualité physico-chimique est « passable » sur le bassin, avec trois « altérations déclassantes » : les nitrates, en tête de bassin et à l'aval ; les produits phytosanitaires sur presque tout le bassin ; les matières azotées et phopshorées, également rejetées sur l'ensemble des eaux superficielles. Il en résulte que « la qualité des peuplements piscicoles connaît une nette dégradation d'amont en aval ».

A cette pollution agricole et domestique s'ajoute enfin la pollution industrielle, qui est localisée à quelques sites (par exemple Montbard pour l'Auxois) : rejets de métaux, hydrocarbures et pesticides, formant autant de « substances toxiques prioritaires ». Il existe aussi une « pollution artisanale » car les très petites entreprises déversent ce que l'on appelle des « déchets toxiques en quantité dispersée » : solvants, encres, colles, vernis, huiles, liquide de refroidissement, batteries etc.

La question des seuils et barrages
La question des « obstacles à l'écoulement » est bien sûr abordée dans le Rapport environnemental. Elle concerne les ouvrages hydrauliques placés sur le lit mineur (seuils et glacis de moulins, barrages) ou sur les berges (enrochements, digues). La mission Hydratec 2007 avait évalué à 140 le nombre de seuils présents sur le linéaire de l'Armançon, sans données pour les affluents (Brenne, Armance, Créanton, Cernant, Brionne, Prée et les nombreux ruisseaux).

Les obstacles dits longitudinaux sont ceux qui modifient l'écoulement de l'amont à l'aval. Avec deux effets : un blocage partiel du transport solide, accumulant les sédiments à l'amont et provoquant un déficit à l'aval ; l'entrave à la circulation des poissons, principalement à la montaison (remontée vers l'amont).

Les obstacles dits latéraux (en bord de rivière) empêchent quant à eux la formation spontanée de zones humides présentant des alternances saisonnières (marnage). Ces zones humides sont propices à la biodiversité. Les obstacles latéraux peuvent également empêcher la connexion de milieux différents.

Le dernier effet jugé néfaste pour les obstacles à l'écoulement est l'affaiblissement des capacités d'auto-épuration des cours d'eau, en raison de l'accumulation et stagnation dans les retenues amont des biefs.

En conclusion : quelques orientations nécessaires
L'association Hydrauxois défend le patrimoine et l'énergie hydraulique sur nos rivières, mais elle est évidement concernée par l'environnement aquatique. Et tous les amoureux de l'eau le sont, quelle que soit la dimension de l'eau qu'ils préfèrent. Le Rapport environnemental du SAGE nous paraît appeler les remarques suivantes.

• Ce Rapport manque de précision dans le domaine biologique et écologique, par rapport à d'autres travaux sur des rivières de la région. Nous parlerons prochainement d'un travail mené en Haute Seine, qui est très approfondi de ce point de vue. Ainsi, sur l'Armançon, il existe peu d'informations sur la macrofaune benthique, sur l'avifaune, globalement peu de détails sur le peuplement piscicole par rivières et tronçon de rivière dans le cas de l'Armançon.

• Il en va de même pour les questions de pollution chimique. Les différents effluents à problème sont certes énumérés, mais on ne dispose pas de profondeur historique pour mesurer l'évolution de la qualité des eaux et de la quantité des rejets. Par ailleurs, on ne dispose pas non plus des critères de qualité posés par la directive-cadre européenne sur l'eau, de sorte que l'on évalue mal l'état réel des rivières. Rappelons qu'en 2011, une analyse approfondie sur les micropolluants, menée par le service observation et statistique du Commissariat au développement durable sur 91% des rivières, a révélé la présence de 413 micropolluants (sur 950 étudiés) dont un certain nombre affecte la santé et l'environnement, même à faible dose (source, pdf).

•Les données rassemblées indiquent que par rapport aux pollutions persistantes, au premier rang desquelles la pollution agricole par rejet d'effluents culture-élevage et la pollution domestique par défaut d'assainissement, les obstacles à l'écoulement ne représentent pas un problème prioritaire. Malgré leur présence multiséculaire dans la plupart des cas, l'état sédimentaire est jugé à l'équilibre sur le bassin versant, et la biodiversité piscicole reste de bonne tenue sur le bassin.

• Certains résultats sur les obstacles à l'écoulement demandent approfondissement. Par exemple, les relevés sédimentaires opérés par le Sirtava sur la retenue du barrage de Semur ne montraient pas de niveaux de pollution anormaux. Or le barrage étant sans usage depuis plusieurs décennies (non vanné), et situé non loin d'une ancienne décharge municipale, cela pose question sur l'auto-épuration jugée défaillante à l'amont immédiat d'un obstacle. Ce point serait à vérifier empiriquement, en procédant à des mesures de sols et sédiments plus approfondies. Il en va de même pour l'érosion de la biodiversité piscicole de l'amont vers l'aval, observée dans le Rapport : ce devrait être l'inverse, puisque l'effet des obstacles est de plus en plus marqué vers l'amont (non-franchissements successifs en montaison, la dévalaison n'étant pas entravée).

• Tout cela ne signifie pas que l'inaction est de mise pour les seuils ou barrages, mais nous serons vigilants sur la hiérarchie des actions en terme de qualité de l'eau. Les investissements des collectivités, du syndicat de rivière comme de l'Agence de l'eau n'étant pas extensibles à l'infini, il faut mettre comme priorité la qualité chimique et biologique des eaux, par lutte contre les pollutions directes. Et en ce qui concerne les restaurations de continuité écologique, il convient de cibler d'abord les « points noirs »... et de le faire avec une certaine honnêteté intellectuelle. Un grand barrage VNF de 20 mètres de hauteur est un obstacle autrement paralysant pour la circulation du poisson qu'un glacis de moulin médiéval. Néanmoins, si le syndicat de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau apportent leur contribution technique et financière, il sera tout à fait possible d'améliorer la continuité morphologique et biologique en construisant des passes à poissons et en modernisant les vannages. Voire en arasant ou dérasant certains obstacles, une fois vérifié que l'opération est compatible avec l'intérêt patrimonial et qu'elle ne prive pas l'Auxois d'une ressource énergétique facilement exploitable.

22/10/2012

Un guide remarquable pour la restauration énergétique des moulins

Bien des moulins sont intéressés par la restauration de leurs ouvrages hydrauliques et la mise en place d'une production d'énergie. Mais les questions sont nombreuses, et le sujet complexe. Ai-je le droit de produire de l'électricité ? Que disent les règlementations ? Dois-je m'orienter vers l'autoconsommation ou la revente au réseau ? Quelles sont les options techniques (roues hydrauliques, vis hydrodynamiques, turbines, générateurs synchrones et asynchrones, etc.) ? Et les contraintes environnementales, architecturales ou autres ?

On trouve plusieurs publications en ligne de l'Ademe ou de France Hydro Electricité. Mais elles sont rarement adressées aux moulins et centrales de très petite puissance (moins de 100 kW). Les travaux suisses de l'Office fédéral de l'énergie, programme PACER, donnent quant à eux des explications détaillées sur les principes techniques de la petite hydro-électricité, mais ils sont de niveau ingénieur.

Un travail remarquable permet pourtant au propriétaire de moulin de comprendre les enjeux. Il s'agit d'un mémoire de maîtrise soutenu par Michel Heschung (ingénieur ENSTIM), et intitulé Guide pour la réhabilitation des moulins hydrauliques en vue de la production d'électricité. Conçue de manière très opérationnelle, rédigée dans un style clair et abordable, cette publication fait un point complet sur chaque aspect d'un projet hydro-électrique. Sa lecture est donc très vivement conseillée à tout propriétaire caressant l'idée de remettre en service la production hydraulique de son moulin. Mais aussi à tous les curieux en quête d'une introduction de grande qualité à ces questions.

Téléchargement (pdf, 3,7 Mo)

A noter : Pour ceux qui préfèrent une version papier, le Guide de M. Heschung a été édité en livre par la FFAM. Il coûte 32 euros port compris, ou 26 euros sur stand de la Fédération lors de ses manifestations régionales.  

18/10/2012

Les leçons de Gomméville

Gomméville est une petite commune de 150 habitants, située en Haute Côte d'Or, à la frontière de l'Aube. A 15 km de Châtillon, la ville est traversée par la Seine. Dans le cadre de la continuité écologique des cours d'eau, le cas de Gomméville est étudié depuis 2005 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et le syndicat de rivière – aujourd'hui le Sicec (Syndicat des cours d'eau du Châtillonnais), qui gère le contrat de rivière Sequana sur le bassin hydrographique de Seine-Amont.

Une roue Fonfrède pour la microcentrale
Le maire de Gomméville, Jean-Paul Rommel, a fait état assez tôt de sa volonté de produire de l'énergie hydro-électrique afin de procurer des revenus à sa ville. En octobre 2008, la commune a racheté à cette fin le moulin de la famille Verniquet. « Quand on dispose d’un tel patrimoine, on se doit de le faire vivre », expliquait l'élu au Bien Public. La DDT a étudié le projet de microcentrale de la commune et donné son accord réglementaire, sans obligation particulière de franchissement piscicole (passe à poissons). Ce franchissement ne deviendra en effet obligatoire qu'à la publication du classement des rivières.

La Commune a fait appel à un bureau d'études pour la faisabilité de son projet. Si la hauteur de chute est modeste, le débit de la Seine au droit du moulin est soutenu : un module moyen de l'ordre de 10m3/s. Le maire a fait un choix d'équipement compatible avec la dévalaison des poissons (nage de l'amont vers l'aval) : le bureau a donc travaillé sur des hypothèses de vis hydrodymanique (vis d'Archimède) ou de roue à aubes, parfois appelée « aqualienne ». C'est une roue Fonfrède qui a été retenue pour la production.

Ce système a plusieurs avantages : rotation lente et « ichtyocompatible » (n'affectant pas le poisson), tolérance aux feuilles et petits débris, donc moindre maintenance (pas de dégrilleur au canal d'amenée), peu de génie civil (appuis pour l'arbre et reprofilage du bief), bonne tenue du rendement lorsque le débit varie (même si ce rendement est probablement moindre au débit d'équipement que ne le serait celui d'une turbine de type Kaplan).

Quatre vannes de décharge, deux passes à poissons
Dans la mesure où l'installation de Gomméville était reconnue comme « règlementaire » par la DDT, le syndicat Sicec est intervenu en « mesure complémentaire ». Le maire Jean-Paul Rommel souhaitait de toute façon que l'installation de la microcentrale communale ne soit pas nuisible du point de vue écologique. Il a d'ailleurs accepté que le débit minimal biologique réservé soit relevé à 20% : 2 m3/s au lieu de 1 m3/s. Ce débit réservé désigne la quantité d'eau qui doit en permanence être librement disponible au franchissement des poissons. Le Sicec l'a calculé en fonction du débit d'étiage le plus sévère observé tous les 5 ans (QMNA5, débit d'étiage mensuel moyen à retour quinquennal).

Le syndicat de rivière a donc assisté la commune de Gomméville dans les aménagements écologiques. : passerelle de sécurité, réfection de quatre vannes de décharge améliorant le transit sédimentaire et installation de deux passes à poissons pour le franchissement piscicole. Les deux passes ont été rendues nécessaires par la géométrie du site : le seuil est loin en amont de la prise d'eau turbinable. Selon le volume du débit (plus ou moins 12 m3/s comme valeur-seuil), l'obstacle de franchissement est situé au niveau du seuil ou au niveau du moulin. La passe installée au moulin aura un dispositif de suivi, non permanent cependant (campagne de piégeage). Ce sont des passes à bassins successifs, les espèces cibles de la Seine étant ici les Salmonidés, et non les anguilles.

Le coût total des aménagements écologiques de Gomméville est d'environ 280 k€. La commune prend en charge 30% de ce coût. Le reste a été financé par le Sicec et par l'Agence de l'eau (qui a abondé le projet à hauteur d'une des deux passes). Quant au coût de la microcentrale hydraulique, la commune en assumera aussi une partie, avec par ailleurs le soutien de l'Ademe, du Conseil général et des fonds européen de développement rural.

Quels enseignements de l'exemple de Gomméville ?
A l'heure où la continuité écologique déchaîne les passions entre les « pour » et les « contre », et où certaines communes sont insatisfaites des propositions de leur syndicat de rivière (cas de Semur), la petite commune de Gomméville apporte des enseignements intéressants.

D'abord, Gomméville montre que la volonté des élus permet de promouvoir la micro-hydroélectricité comme source d'activité et de revenus pour des territoires ruraux qui, par ailleurs, en manquent cruellement.

Ensuite, un travail de fond entre les communes, leurs syndicats de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau permet de dégager des solutions où la continuité écologique, le patrimoine historique et la production énergétique sont conciliés au lieu d'être opposés. Ce qui a été possible à Gomméville est possible ailleurs : la condition en est une vraie vision d'avenir pour le propriétaire du site, et une vraie écoute de la part des syndicats et administrations de l'eau.

Le Sicec, que nous avons contacté, spécifie que les aménagements à fin de continuité écologique restent une exception par rapport au choix de l'effacement (destruction de l'ouvrage). La raison en est que du point de vue de la continuité écologique, les dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire sont à la fois moins efficaces et plus coûteux. Le syndicat de Haute Seine, comme les autres en France, tend donc à favoriser la solution qui lui semble économiquement et écologiquement optimale. Et il y est bien sûr fermement invité par l'Agence de l'eau, qui répartit une bonne part des budgets du ministère de l'Ecologie sur le bassin hydrographique Seine-Normandie.

Ce raisonnement est cohérent, mais à certaines conditions qui, hélas, ne sont pas aujourd'hui explicitées dans le débat public ni dans le discours des administrations de l'eau. Si l'on ne prend en compte que la continuité écologique, alors la solution optimale sera par définition une « renaturation » du site, c'est-à-dire un effacement de toute influence anthropique. Mais voilà, la question de fond demeure derrière cette prétention à « l'optimalité » : en quoi la vision publique de l'eau doit-elle envisager les rivières sous l'angle exclusif de cette continuité écologique ? Le patrimoine historique des rivières et leur potentiel énergétique ne font-ils pas partie eux aussi des biens communs que la puissance publique doit protéger et non détruire ? Si la concertation démocratique est réellement organisée, n'est-ce pas aux habitants et riverains de choisir la solution de continuité écologique qui leur paraît meilleure ?

Ni la directive cadre européenne sur l'eau ni les lois françaises depuis 2006 n'imposent en soi l'effacement des ouvrages hydrauliques : dans l'application des nouvelles normes de qualité de rivière, le choix des solutions reste toujours un choix démocratique. 

14/10/2012

Premier classement, premier recours

Le bassin hydrographique Loire-Bretagne a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a publié le nouveau classement des rivières (voir cet article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Le classement des rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient à deux orientations de même article de loi : « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ». 

Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude UFE 2011. Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel. Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin. 

On pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au contraire les acteurs de terrain.

Cet effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une logique aberrante.

L'immense majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1 sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère que la transition vers des énergies non-fossiles demande de mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et particulièrement les productions électriques qui seront de plus en plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les différents indices pour la mesurer (IBGN, IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions (effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par exemple que la France est poursuivie par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à appliquer la directive nitrates.

Il est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du développement durable. Combien de conflits juridiques et de batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du problème et faire entendre raison aux décideurs ?