18/10/2012

Les leçons de Gomméville

Gomméville est une petite commune de 150 habitants, située en Haute Côte d'Or, à la frontière de l'Aube. A 15 km de Châtillon, la ville est traversée par la Seine. Dans le cadre de la continuité écologique des cours d'eau, le cas de Gomméville est étudié depuis 2005 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et le syndicat de rivière – aujourd'hui le Sicec (Syndicat des cours d'eau du Châtillonnais), qui gère le contrat de rivière Sequana sur le bassin hydrographique de Seine-Amont.

Une roue Fonfrède pour la microcentrale
Le maire de Gomméville, Jean-Paul Rommel, a fait état assez tôt de sa volonté de produire de l'énergie hydro-électrique afin de procurer des revenus à sa ville. En octobre 2008, la commune a racheté à cette fin le moulin de la famille Verniquet. « Quand on dispose d’un tel patrimoine, on se doit de le faire vivre », expliquait l'élu au Bien Public. La DDT a étudié le projet de microcentrale de la commune et donné son accord réglementaire, sans obligation particulière de franchissement piscicole (passe à poissons). Ce franchissement ne deviendra en effet obligatoire qu'à la publication du classement des rivières.

La Commune a fait appel à un bureau d'études pour la faisabilité de son projet. Si la hauteur de chute est modeste, le débit de la Seine au droit du moulin est soutenu : un module moyen de l'ordre de 10m3/s. Le maire a fait un choix d'équipement compatible avec la dévalaison des poissons (nage de l'amont vers l'aval) : le bureau a donc travaillé sur des hypothèses de vis hydrodymanique (vis d'Archimède) ou de roue à aubes, parfois appelée « aqualienne ». C'est une roue Fonfrède qui a été retenue pour la production.

Ce système a plusieurs avantages : rotation lente et « ichtyocompatible » (n'affectant pas le poisson), tolérance aux feuilles et petits débris, donc moindre maintenance (pas de dégrilleur au canal d'amenée), peu de génie civil (appuis pour l'arbre et reprofilage du bief), bonne tenue du rendement lorsque le débit varie (même si ce rendement est probablement moindre au débit d'équipement que ne le serait celui d'une turbine de type Kaplan).

Quatre vannes de décharge, deux passes à poissons
Dans la mesure où l'installation de Gomméville était reconnue comme « règlementaire » par la DDT, le syndicat Sicec est intervenu en « mesure complémentaire ». Le maire Jean-Paul Rommel souhaitait de toute façon que l'installation de la microcentrale communale ne soit pas nuisible du point de vue écologique. Il a d'ailleurs accepté que le débit minimal biologique réservé soit relevé à 20% : 2 m3/s au lieu de 1 m3/s. Ce débit réservé désigne la quantité d'eau qui doit en permanence être librement disponible au franchissement des poissons. Le Sicec l'a calculé en fonction du débit d'étiage le plus sévère observé tous les 5 ans (QMNA5, débit d'étiage mensuel moyen à retour quinquennal).

Le syndicat de rivière a donc assisté la commune de Gomméville dans les aménagements écologiques. : passerelle de sécurité, réfection de quatre vannes de décharge améliorant le transit sédimentaire et installation de deux passes à poissons pour le franchissement piscicole. Les deux passes ont été rendues nécessaires par la géométrie du site : le seuil est loin en amont de la prise d'eau turbinable. Selon le volume du débit (plus ou moins 12 m3/s comme valeur-seuil), l'obstacle de franchissement est situé au niveau du seuil ou au niveau du moulin. La passe installée au moulin aura un dispositif de suivi, non permanent cependant (campagne de piégeage). Ce sont des passes à bassins successifs, les espèces cibles de la Seine étant ici les Salmonidés, et non les anguilles.

Le coût total des aménagements écologiques de Gomméville est d'environ 280 k€. La commune prend en charge 30% de ce coût. Le reste a été financé par le Sicec et par l'Agence de l'eau (qui a abondé le projet à hauteur d'une des deux passes). Quant au coût de la microcentrale hydraulique, la commune en assumera aussi une partie, avec par ailleurs le soutien de l'Ademe, du Conseil général et des fonds européen de développement rural.

Quels enseignements de l'exemple de Gomméville ?
A l'heure où la continuité écologique déchaîne les passions entre les « pour » et les « contre », et où certaines communes sont insatisfaites des propositions de leur syndicat de rivière (cas de Semur), la petite commune de Gomméville apporte des enseignements intéressants.

D'abord, Gomméville montre que la volonté des élus permet de promouvoir la micro-hydroélectricité comme source d'activité et de revenus pour des territoires ruraux qui, par ailleurs, en manquent cruellement.

Ensuite, un travail de fond entre les communes, leurs syndicats de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau permet de dégager des solutions où la continuité écologique, le patrimoine historique et la production énergétique sont conciliés au lieu d'être opposés. Ce qui a été possible à Gomméville est possible ailleurs : la condition en est une vraie vision d'avenir pour le propriétaire du site, et une vraie écoute de la part des syndicats et administrations de l'eau.

Le Sicec, que nous avons contacté, spécifie que les aménagements à fin de continuité écologique restent une exception par rapport au choix de l'effacement (destruction de l'ouvrage). La raison en est que du point de vue de la continuité écologique, les dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire sont à la fois moins efficaces et plus coûteux. Le syndicat de Haute Seine, comme les autres en France, tend donc à favoriser la solution qui lui semble économiquement et écologiquement optimale. Et il y est bien sûr fermement invité par l'Agence de l'eau, qui répartit une bonne part des budgets du ministère de l'Ecologie sur le bassin hydrographique Seine-Normandie.

Ce raisonnement est cohérent, mais à certaines conditions qui, hélas, ne sont pas aujourd'hui explicitées dans le débat public ni dans le discours des administrations de l'eau. Si l'on ne prend en compte que la continuité écologique, alors la solution optimale sera par définition une « renaturation » du site, c'est-à-dire un effacement de toute influence anthropique. Mais voilà, la question de fond demeure derrière cette prétention à « l'optimalité » : en quoi la vision publique de l'eau doit-elle envisager les rivières sous l'angle exclusif de cette continuité écologique ? Le patrimoine historique des rivières et leur potentiel énergétique ne font-ils pas partie eux aussi des biens communs que la puissance publique doit protéger et non détruire ? Si la concertation démocratique est réellement organisée, n'est-ce pas aux habitants et riverains de choisir la solution de continuité écologique qui leur paraît meilleure ?

Ni la directive cadre européenne sur l'eau ni les lois françaises depuis 2006 n'imposent en soi l'effacement des ouvrages hydrauliques : dans l'application des nouvelles normes de qualité de rivière, le choix des solutions reste toujours un choix démocratique. 

14/10/2012

Premier classement, premier recours

Le bassin hydrographique Loire-Bretagne a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a publié le nouveau classement des rivières (voir cet article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Le classement des rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient à deux orientations de même article de loi : « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ». 

Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude UFE 2011. Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel. Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin. 

On pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au contraire les acteurs de terrain.

Cet effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une logique aberrante.

L'immense majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1 sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère que la transition vers des énergies non-fossiles demande de mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et particulièrement les productions électriques qui seront de plus en plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les différents indices pour la mesurer (IBGN, IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions (effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par exemple que la France est poursuivie par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à appliquer la directive nitrates.

Il est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du développement durable. Combien de conflits juridiques et de batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du problème et faire entendre raison aux décideurs ?

12/10/2012

Agenda

Les 13 et 14 octobre prochain, l'association Passe Pierre organise à Semur-en-Auxois une exposition sur la faune et la flore de l'Armançon. Des conférences sont notamment prévues sur les carpes, les rapaces nocturnes et la biodiversité de la rivière. Du 8 au 11 novembre, le Salon international du patrimoine culturel se tient à Paris, au Caroussel du Louvre. La Fédération française des associations de sauvegarde de moulins sera présente (stand C14, Salle Gabriel) pour défendre le « troisième patrimoine de France », aujourd'hui menacé. Du 20 au 22 novembre, la FFAM participera aussi au Salon des maires (Porte de Versailles, Paris), où elle remettra le Prix 2012 « Nos moulins ont de l'avenir ».

10/10/2012

Onema: discours de colloque, discours de terrain

Les Rencontres de l'Onema n°16 publient le compte-rendu d'un Colloque sur le thème : L'eau, ingénierie d'un continuum. Ce colloque a été organisé par le Groupe d’application de l’ingénierie des écosystèmes (Gaié) et par l'Office de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), les 13 et 14 décembre 2011. La Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a indiqué une obligation de résultats en terme de qualité de l'eau d'ici 2015. Et l'entrée en vigueur de la Trame Verte et Bleue (TVB) du Grenelle signale que le « continuum aquatique » sera un élément important de cette qualité de l'eau, du moins pour le législateur.

L'Onema revient sur les conditions de mise en œuvre de cet objectif qu'il a très largement contribué à promouvoir ces dernières années. Plusieurs passages ont attiré notre attention, et suscité quelques réflexions.

Le conflit et le désaccord comme moteurs de l'action...
si une seule vision est sûre de l'emporter ?
Le compte rendu du colloque note le rôle du « conflit comme moteur de l'action » : « Pour être efficace du point de vue écologique, la mise en place d’un projet devra nécessairement avoir un impact sur des pratiques en place. Les points de désaccord sont donc incontournables avant que le projet soit accepté et adapté localement. En effet, un projet qui n’aurait pas de détracteurs reviendrait en fait à ne pas changer les choses. L’implication des citoyens dans la connaissance des problèmes environnementaux est indispensable pour susciter l’intérêt des politiques publiques, comme de l’opinion publique, sur la gestion du continuum aquatique. »

Si le désaccord voire le conflit sont ainsi fructueux, il ne fait pas de doute que l'Onema est ravi de travailler en Auxois-Morvan. Car dans les cas où ils en ont été informés, comme pour le projet-pilote de Semur-en-Auxois, les propriétaires, riverains et citoyens ont très clairement exprimé leur désaccord avec la continuité écologique telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée.

Accepter le désaccord est une chose, en accepter la conséquence en est une autre. La continuité écologique est trop souvent perçue aujourd'hui comme un diktat, où la conclusion est posée d'avance et où la concertation est factice : on a tout à fait le droit d'être en désaccord... à condition expresse de reconnaître finalement que l'on avait tort ! Il va de soi que cette vision du désaccord n'a rien à voir avec le caractère fructueux du débat démocratique entre visions antagonistes.

Le désaccord en question n'est pas interne à la science, il ne porte pas sur telle ou telle équation de l'écoulement de l'eau ou du transport de ses charges solides. Non, il concerne plus fondamentalement la place que doit occuper la continuité écologique dans la lutte pour la qualité physique, chimique et biologique de l'eau ; et la compatibilité de la continuité écologique avec les autres dimensions socialement reconnues de l'eau : l'eau comme histoire, comme paysage, comme ressource, comme loisir, etc.

De tels désaccords ne sont pas solubles dans une décision préfectorale ni dans un conclave scientifique. Ils sont l'objet de la démocratie et, disons-le clairement : le débat démocratique sur la continuité écologique n'a pas eu réellement lieu. Plus exactement : il n'a pas été présenté dans les termes normaux d'un débat démocratique où les citoyens et leurs élus, informés clairement des conséquences concrètes des décisions, pouvaient accepter ou non ces conséquences. Tout le monde acquiesce à l'idée abstraite de « diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels » (art 371.1 C. env., objet de la TVB) ; mais encore faut-il savoir à quels coûts, selon quelles priorités et avec quelles conséquences un tel objectif est atteint. Si, lors des débats parlementaires, il était apparu aux élus que la continuité écologique signifiait concrètement un choix entre des aménagements très coûteux ou un effacement (coûteux aussi) du patrimoine hydraulique français, jamais la réforme n'aurait été votée en l'état.

En conséquence, le vrai débat a lieu non pas lors de l'adoption de la loi, mais lors de son application.

Choix d'actions au service du même objectif...
mais sur le terrain, le choix est-il si vaste ?
A propros de cette application sur le terrain de la continuité écologique, le compte-rendu du colloque se poursuit par une remarque intéressante sur la nécessité d'un réalisme dans l'action : « Il convient également de fixer des objectifs écologiques qui soient compatibles avec une mise en œuvre d’actions. Par exemple, la suppression des clapets des moulins est un moyen de restaurer la continuité, mais n’est pas une fin en soi. Pour ce même objectif, une autre solution pourra être adoptée dans un autre contexte. »

Il est notable que l'Onema reconnaisse ainsi la diversité des moyens de parvenir à la restauration d'un continuum aquatique, et n'envisage pas la destruction des vannes et biefs des moulins comme la seule voie possible. Nous ne manquerons de rappeler cette position aux agents de l'Office en Côte d'Or.

Encore faut-il que cette diversité des moyens d'actions, vertueusement promue sur le plan des principes, se retrouve réellement dans les faits et les actes. Pour continuer à citer le projet-pilote de continuité écologique de Semur-en-Auxois, initié par l'Onema, l'Agence de l'eau Seine-Normandie se déclare prête à soutenir l'effacement d'un barrage à hauteur de 450.000 euros de subvention (soit la quasi-totalité du coût), mais refuse actuellement de verser un seul centime d'euro pour construire une passe à poisson et redimensionner la vanne en vue d'un meilleur transport sédimentaire.

Cette position est tout à fait incompréhensible : si la continuité écologique est le vrai objectif et si l'Agence de l'eau dispose d'un budget pour un projet-pilote, il n'y a aucune raison de choisir arbitrairement une solution plutôt qu'une autre. Ce manque de rationalité dans les choix publics conduit les citoyens à la conclusion suivante : c'est bien l'effacement du barrage qui est l'objectif, et derrière lui l'effacement du maximum d'obstacles en rivière.

La supposée pluralité des moyens d'action au service de la continuité écologique paraît donc un leurre. Mais dans ce cas, il ne faut pas s'étonner que la politique de continuité écologique soit conflictuelle : les administrations de l'eau ne doivent pas tenir un double langage, très ouvert dans leurs plaquettes publiques et très fermé sur le terrain.

Accepter l'incertitude et le caractère expérimental des actions...
tout en soutenant une loi s'appliquant partout et tout de suite ?
La conclusion du compte-rendu du colloque ne suscite pas moins d'interrogations. L'Onema écrit ainsi : « Il faut rester modeste face à la réelle maîtrise des écosystèmes. Si l’ingénierie cherche à produire des systèmes contrôlés, ce caractère prévisible est difficilement compatible avec les processus naturels. Il est nécessaire d’être prêt à laisser un certain degré d’autonomie aux systèmes, garder à l’esprit le caractère expérimental des actions conduites ainsi que du temps pour qu’elles aient un effet, les écosystèmes pouvant mettre un certain délai à réagir. Le défi est de réussir à prendre en compte et intégrer la notion d’incertitude dans les décisions des pouvoirs politiques, mais également dans les demandes de la société. »

Tout d'abord, l'Onema ne devrait pas réserver à ses colloques à public restreint cette reconnaissance sur l'incertitude de ses savoirs et de ses pratiques : tout le monde a le droit d'en être informé, et il existe même un devoir d'informer sur les incertitudes et les risques qu'elles impliquent.

Les documents de l'Onema plus souvent diffusés vers les élus et les citoyens devraient donc préciser clairement que l'effet exact des obstacles à l'écoulement sur la biomasse et la biodiversité aquatiques n'est pas mesuré avec un haut degré de précision. Et que la suppression systématique de ces obstacles à l'écoulement reste une expérimentation à grande échelle dont on est bien incapable de simuler par modèle numérique l'ensemble des effets à long terme. Car si c'était faisable, les hydrologues auraient réalisé pour les rivières ce que les climatologues ont fait pour l'atmosphère et l'océan : des modèles permettant d'analyser les conditions aux limites du système hydrographique à différentes hypothèses, seule solution pour évaluer les trajectoires d'évolution (par exemple avec ou sans obstacles) et probabiliser ainsi les risques de certaines trajectoires inopportunes. Pour le dire plus clairement : avant de supprimer à marche forcée des milliers de seuils, glacis et barrages, prendre la précaution de vérifier qu'il n'existe pas d'effets indésirables et que les bénéfices écologiques sont proportionnés au coût (un modèle numérique à maille assez réaliste étant le seul outil pour cela).

Que les spécialistes en hydromoprhologie et hydro-écologie reconnaissent le caractère incertain de leur savoir et la dimension expérimentale de leurs actions est une chose, et plutôt une bonne chose. C'est une grande qualité d'un chercheur ou d'un ingénieur que de reconnaître ainsi les limites actuelles de son domaine de travail, au lieu de véhiculer l'image d'une science toute-puissante et infaillible.

Mais que cette reconnaissance des incertitudes donne lieu à une loi, un classement des rivières et une injonction à l'action immédiate à grande échelle sur les rivières françaises pose des questions importantes. Là encore, la rationalité des choix publics doit être mise en question : en vertu de quoi un savoir encore incertain et une pratique encore expérimentale donnent lieu si rapidement à une loi ? La sagesse la plus élémentaire ne commande-t-elle pas d'affermir les connaissances avant de bouleverser les équilibres pluriséculaires de nos rivières ?

Ces questions sont publiquement posées, et nous serions bien entendu ravis d'en publier les réponses. Car c'est cela, le débat démocratique informé permettant aux citoyens comme à leur élus de se construire une opinion.

05/10/2012

Assises de l'énergie en Côte d'Or

Les Assises de l'énergie en Côte d'Or se tiendront à Dijon, le jeudi 25 octobre 2012. L'association Hydrauxois participera à la demi-journée, avec un double objectif. D'abord s'informer des dispositifs mis en place sur l'Auxois-Morvan dans le cadre de la transition énergétique : Schéma régional climat, air, énergie (SRCAE), Plan climat-énergie territorial (PCET), retours d'expériences sur les projets locaux engagés dans le domaine de l'énergie. Ensuite, sensibiliser des interlocuteurs (Ademe, Siceco, élus) au cas particulier de la micro-hydraulique. Par rapport aux filières biomasse, solaire ou éolienne, la micro-hydraulique est souvent négligée malgré ses nombreux avantages : technologie mature, bilan carbone très favorable, empreinte paysagère nulle, restitution intégrale de l'eau, nombreux sites de production potentielle sur les rivières, productible quotidien et saisonnier raisonnablement prévisible (dans une certaine fourchette de probabilité liée aux variations de pluviométrie). La micro-hydraulique a aussi des besoins spécifiques en investissement, équipement et accompagnement des porteurs de projets, car les niveaux de puissance installable sur l'Auxois-Morvan (quelques dizaines de kW en autoconsommation à quelques centaines de kW en vente réseau) déterminent des attentes très différentes.

02/10/2012

Nouveau classement des cours d'eau de 2013: quels enjeux ?

Déjà cette année dans le bassin Loire-Bretagne, et en 2013 dans l'ensemble de la France dont notre bassin Seine-Normandie, un nouveau classement des cours d'eau sera adopté. Les habitants de l'Auxois-Morvan peuvent consulter le projet de classement de leurs rivières (par tronçons) sur cette page de la DRIIE.

Ce classement des rivières s'inscrit dans le cadre de la « continuité écologique », promue par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2 (2010, Trame bleue), interprétations françaises de la directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée par l'Union européenne en 2000.

Classement des rivières : un enjeu déjà ancien
L'idée d'un classement des rivières n'est évidemment pas nouvelle, puisque le premier classement imposant des échelles à poissons en France date de la loi du 31 mai 1865. Avant même cette époque, et comme le signale ce site, certaines rivières françaises connaissaient les « passe-lits », plans inclinés à 10-15° de pente entre la retenue amont et l'aval du seuil, dont l'entretien pouvait être rendu obligatoire par des coutumes. De même, les échelles à poissons existaient localement avant la loi de 1865 à des fins de renouvellement du stock piscicole (image : extrait du Bulletin de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de Lozère, 22, 1861, cliquer pour agrandir).

La loi de 1865 marque néanmoins la prise de conscience du législateur moderne, et elle signale dans son article 1 : « Des décrets du Conseil d’État, après avis des conseils généraux du département, détermineront les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à assurer la libre circulation du poisson. » Un certain nombre de décrets (exemple) ou décisions interministérielles (exemple, en bas) vont aboutir soit à l'obligation d'installer les échelles à poissons, soit à l'interdiction pure et simple de construire des ouvrages hydrauliques nouveaux sur certains cours d'eau.

D'autres classements suivront à mesure que les rivières françaises seront équipés d'ouvrages hydro-électriques remplaçant les ouvrages hydromécaniques. Le système actuellement en vigueur, appelé à être modifié prochainement, connaissait les rivières « réservées » et les rivières « classées ». Ce classement était issu d'une agrégation de lois ayant commencé en 1919, avec la loi sur l'énergie hydraulique, suivie par la loi de 1976 sur la protection de la nature, la loi de 1984 sur la pêche en eau douce, la loi de 1992 sur l'eau (article L232-6 du Code rural, puis article L-432-6 du Code de l'environnement).

Le premier enseignement est que le souci du franchissement piscicole est ancien. Il n'y a pas eu des siècles d'aveuglement suivis d'une lumineuse et récente prise de conscience, mais plutôt des séries d'ajustement tentant de concilier les usages hydrauliques et la biodiversité aquatique.

Liste 1 et liste 2 : leur signification
Venons-en au nouveau classement des rivières appelé à entrer en vigueur rapidement. Les rivières seront désormais classées en deux catégories : liste 1 et liste 2. (Carte ci-dessous : le classement des bassins de l'Armançon, du Serein et de la Cure, cliquer pour agrandir).

La liste 1 désigne les rivières à préserver, en très bon état écologique, les tronçons considérés comme réservoirs biologiques, les rivières à enjeu de migrateurs amphihalins (vivant alternativement en eau douce et salée, comme le saumon, la truite de mer, l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Sur ces rivières, aucun ouvrage hydraulique nouveau ne sera autorisé et les ouvrages existants devront se mettre en conformité avec la continuité écologique, c'est-à-dire assurer le transport sédimentaire et le franchissement des poissons (montaison, dévalaison).

La liste 2 désigne les rivières à restaurer, en état écologique moyen à mauvais. Là aussi, les ouvrages hydrauliques existant devront être mis au norme, mais la construction de nouveaux équipements ne sera pas interdite a priori.

Aujourd'hui, 7% des rivières sont considérées comme en très bon état écologique, 38% en bon état écologique, 38% en état écologique moyen, 11% en état écologique médiocre et 4% en mauvais état (rapportage Reportnet-Wise 2009).

La classement des rivières proposé en lien plus haut (pour le bassin Seine-Normandie) précise, pour chaque tronçon, les espèces d'intérêt, la présence d'un enjeu migrateur (besoin de franchissement dans le cycle de vie de certains poissons), l'état sédimentaire (niveau du transport de charge solide par charriage) et, les cas échéant, des objectifs précis (existence d'un « axe anguille », connexion avec un réservoir biologique, reformation de frayères, etc.).

Mise en application du classement : nécessité du réalisme
Les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans à compter de la publication du classement des cours d'eau pour mettre leurs ouvrages en conformité avec les exigences de la préfecture. Concrètement, ce sont les services de la police de l'eau (DDT, Onema) qui transmettront aux propriétaires ou exploitants les consignes préfectorales.

Le problème est le suivant : la continuité écologique peut signifier bien des choses. Une « ouverture raisonnée des vannes », comme le proposent beaucoup d'associations de moulins, est par exemple un moyen de favoriser le transit sédimentaire et la circulation piscicole en dévalaison, de biefs en biefs. Le propriétaire s'engage, en fonction de consignes de l'Onema, à actionner le vannage et à assurer un certain débit à certaines périodes de l'année où le cycle de vie des espèces le réclame.

Cette hypothèse serait la plus simple et la plus conforme à l'emploi des moulins, même si elle implique une présence permanente du propriétaire – les moulins en « résidence secondaire » devront trouver des solutions pour respecter le fonctionnement de leurs ouvrages, de manière pas très éloignée de leur usage historique.

Mais l'Administration de l'eau peut se montrer plus stricte et réclamer la pose de passes à poissons. Là encore, il y a des gradients de complexité dans les équipements demandés.

Le Code de l'environnement prévoit la circulation des migrateurs vivant alternativement en eau douce et salée. Ce qui supposerait dans la région des passes à anguilles, dont la conception présente un certain coût. Encore l'anguille tolère-t-elle des rampes à pente forte, et en tête de bassin versant, comme l'Auxois-Morvan, les individus sont adultes. (Ci-contre : anguille commune d'Europe, Ron Offermans, Wikimedia Commons)

En revanche, si l'Administration exige des passes adaptées à toutes espèces non amphihalines (Salmonidés d'eau douce et Cyprinidés), la perspective change complètement : ces dispositifs de franchissement (passe naturelle « rustique », passe à bassins successifs) demandent énormément de génie civil en raison de la nécessité d'une faible pente, faible puissance volumique de l'eau et faible turbulence de l'écoulement. Le coût devient alors tout à fait prohibitif pour la plupart des propriétaires. Et, disons-le, assez aberrant dans la période de grave crise que nous connaissons.

Bref, la mise en oeuvre du nouveau classement sera affaire de réalisme :
  • soit on convient qu'il faut des réformes progressives, raisonnables et soutenues par des subventions quand elles ont des coûts importants sur un site donné ;
  • soit on exige des passes disproportionnées en laissant les propriétaires à eux-mêmes et en les menaçant d'amende ou d'effacement de leurs ouvrages.

Dans la seconde hypothèse, le nouveau classement des rivières sera conflictuel. Ce n'est évidemment souhaitable pour personne. Et surtout pas pour la continuité écologique, qui n'a aucune chance de succès dans notre pays si elle est menée par voie autoritaire et ruineuse.

Eclaircir la constitution du classement :
une transparence indispensable
Classer chaque tronçon de rivière française est une bonne chose : encore faut-il par la suite expliquer et justifier le classement en question auprès des riverains, et du public en général.

Notre association demandera en conséquence la publication de la documentation primaire ayant permis de réaliser le nouveau classement. En effet, si l'on prend l'exemple du tronçon de l'Armançon de l'aval du barrage du Pont au confluent avec la Brenne, le classement se contente de mentionner parmi les espèces concernées par la continuité écologique les « cyprinidés rhéophiles » (à côté des anguilles).

Cette expression pour le moins cryptique ne signifie pas grand chose aux riverains et propriétaires d'ouvrages, ni aux citoyens en général.

Quand on va sur la base documentaire Eau France, la requête sur « cyprinidés rhéophiles » ne donne que 33 résultats, dont la plupart ne sont pas spécifiques à ces espèces, et on ne trouve rien sur les travaux d'analyse et mesure du tronçon d'intérêt. La base KMAE de l'Onema ne donne que 16 résultats, dont au moins deux concernent les rhéophiles (pas spécialement cyprinidés) dans notre région, un travail de Boet et al 1991 sur le bassin de l'Yonne, et un autre de Berrebi dit Thomas et al 1998 sur le bassin de la Seine. Ces études ne sont pas récentes, et aucune ne mentionne la continuité écologique.

Une recherche sur le mot-clé « Armançon » donne bien 87 résultats sur Eau France, mais un classement par date ne révèle aucune étude piscicole récente permettant de connaître le peuplement actuel et historique des cyprinidés rhéophiles, ni de préciser les besoins et capacités en franchissement d'obstacles de chacune des espèces.

Les cyprinidés rhéophiles ne sont qu'un exemple parmi d'autres, sur un tronçon parmi d'autres. S'il s'agissait de recherche fondamentale ou appliquée, ces questions ne concerneraient bien sûr que les chercheurs. Mais voilà, comme le classement des cours d'eau risque de se traduire localement par des destructions du patrimoine hydraulique ou des aménagements particulièrement coûteux, ces questions concernent désormais toute la société.

Par ailleurs, s'il est tout à fait louable que le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'Eau s'appuient sur la science, nul n'ignore que la science est fondée sur la publication de ses résultats et de ses méthodes : c'est ce qui permet la critique, donc le progrès des connaissances.

Aussi la parfaite transparence sur la détermination des espèces demandant des dispositifs de franchissement sera-telle requise dès le classement publié.

Les principaux points de progrès :
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
Le nouveau classement des cours d'eau et l'obligation de mise en conformité sur la période 2014-2019 se présentent donc comme un chantier de travail important, avec plusieurs axes demandant clarification entre les riverains, propriétaires, associations et administrations de l'eau.

L'association Hydrauxois travaillera en particulier les points suivants :

• Rapport coût-bénéfice écologique : déterminer site par site quelle solution présente un gain environnemental pour un coût moindre ; éviter toute application systématique alors que chaque ouvrage sur chaque tronçon de rivière est un cas particulier ;

• Optimisation des passes à poissons : travailler avec les ingénieurs pour proposer des dispositifs de franchissement minimisant le coût du génie civil tout en conservant le bénéfice écologique attendu ;

Suivi d'analyse : équiper un certain nombre de sites de dispositifs d'observation afin de mesurer les effets réels des aménagements, ainsi que leurs points faibles en vue d'une amélioration future (attractivité des passes, effets de luminosité, problèmes de recirculation, etc.) ; publier les résultats de manière transparente pour informer le public des gains écologiques observés ;

Soutien de l'Etat : la rivière comme la biodiversité sont des biens communs, donc l'effort de continuité écologique doit être soutenu par des subventions publiques, au pro rata des coûts d'équipement exigés par le demandeur (Etat). D'autant que l'immense majorité des moulins ne tire aucun revenu de l'énergie hydraulique, contrairement aux grands barragistes ; le principe d'une « prime à la passe » sera donc promu ;

Articulation de la continuité écologique avec le patrimoine et l'énergie : la continuité écologique est l'occasion de rappeler aux propriétaires leur devoir d'entretien du patrimoine historique que représentent les ouvrages hydrauliques, mais c'est aussi le moment de leur proposer une aide à l'équipement hydro-électrique, en conformité avec les plans de transition énergétique que la région Bourgogne, la France et l'Europe ont engagé ; toute demande de passe impliquant un génie civil important devra donc être associée à une analyse de préfaisabilité afin de mutualiser éventuellement les coûts de la passe et ceux d'un équipement hydro-électrique (s'il est inexistant au droit de l'ouvrage, sinon une modernisation de l'équipement existant).

L'association Hydrauxois défendra cette ligne de propositions auprès des autorités administratives, techniques et scientifiques en charge de l'eau sur les bassins de l'Armançon, du Serein et la Cure. Elle la défendra également auprès de tous les citoyens d'Auxois-Morvan et de leurs élus, car le risque de destruction du patrimoine rural et technique de notre région est bien réel (voir l'exemple inquiétant du projet-pilote de Semur-en-Auxois). Et elle ne peut évidemment que conseiller aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques de la rejoindre, afin de peser ensemble dans les négociations à venir.

28/09/2012

Deux rapports sur l'énergie

Deux rapports sur l'énergie apportent des informations intéressantes concernant l'hydro-électricité : celui du Centre d'analyse stratégique, intitulé Des technologies compétitives au service du développement durable (pdf), et la dernière édition de L'Etat des énergies renouvelables en Europe (pdf, Observ'ER).

Le CAS rappelle que l'hydro-électricité est aujoud'hui la première source d'énergie renouvelable dans le monde (16% de l'électricité, 3000 TWh/an), quoique la puissance installée ne représente que 35% du potentiel. En France, l'hydro-électricité représente également la première source d'énergie renouvelable : 25.000 MW installés, 70 TWh/an, 12% de l'électricité produite.

Les enjeux stratégiques identifiés par le CAS sont : la rénovation et modernisation du parc installé, la gestion des contraintes environnementales et l'harmonisation avec les autres usages de l'eau, le développement de la puissance hydro-électrique en lissage des autres productions intermittentes (solaire, éolien) et donc notamment en stockage (barrage réservoir saisonnier / nterannuel, station de transfert d'énergie par pompage STEP). La rapport souligne que la France possède d'excellentes compétences techniques et scientifiques dans le domaine hydraulique, et des acteurs de dimension mondiale comme Alstom Hydro (en turbines / générateurs de grande puissance).

Le Centre d'analyse stratégique reste cependant peu disert sur le potentiel de la petite hydro-électricité (PCH). Le rapport Observ'ER est plus complet à ce sujet.

On y apprend que l'Italie domine l'Europe avec 2664 MW installés en petite hydro de moins de 10 MW, suivie par la France (2010 MW), l'Espagne (1926 MW) et l'Allemagne (1740 MW). Pour la production énergétique (différente de la puissance nominale), l'Italie reste en tête (10,9 TWh/an), mais l'Allemagne prend la deuxième position (6,9 TWh/an) et la France la troisième (6,7 TWh/an). A l'échelle de l'Europe, la petite hydro-électricité représente un CA de 2,6 milliards d'euros et emploie 16.000 personnes. Ces chiffres seraient de 2500 personnes et 400 millions d'euros en France.

Le potentiel de développement de l'hydro-électricité en France reste important, et sera nécessaire pour soutenir la transition énergétique engagée par notre pays comme par les autres nations industrialisées.

L'énergie hydraulique en Auxois-Morvan : quels besoins?

Les besoins en Auxois-Morvan, sur lesquels travaille notre association, sont notamment :

• l'identification de la puissance hydraulique installable (par ordre décroissant de puissance, les barrages de retenue alimentant le canal de Bourgogne, le réseau des anciennes centrales hydro-électriques de la fin XIXe siècle et début XXe siècle, les moulins et les réseaux d'assainissement),

• la fluidité et l'efficacité des contacts entre petits producteurs potentiels, investisseurs, installateurs ou équipementiers, agences de l'Etat ou syndicats en charge du développement durable (Ademe, Siceco),

• la prise de conscience et la mobilisation des élus locaux, afin de penser l'énergie hydraulique comme une ressource du territoire d'Auxois-Morvan pourvoyeuse d'emplois et de revenus,

• la mutualisation de la maintenance et surveillance des ouvrages quand la densité d'équipement s'y prête et que les propriétaires en éprouvent le besoin,

• la concertation avec l'Agence de l'Eau, les syndicats de rivières, la DDT et l'Onema afin que la continuité écologique soit l'occasion d'une modernisation énergétique des ouvrages hydrauliques (et non pas de dépenses improductives en génie civil, a fortiori d'une destruction du potentiel hydraulique au moment où nos sociétés en ont besoin).

Vaste chantier : toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Photos : turbine Kaplan 90 kW et sa bache, pour équipement de basses chutes en micro-hydro-électricité. Didier Beaume, DBH

27/09/2012

Le Bien Public évoque les moulins (et M. Stutz la beauté de la nature...)

Le Bien Public s'est fait hier longuement écho de l'action menée par l'Arpohc en Haute Côte d'Or et Châtillonnais. Le journal a notamment rappelé que la mise en place de la politique de continuité écologique se traduira par une forte pression sur les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. Dans cet article, le président du Syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonnais (Sicec), Jean-Claude Stutz, affirme pour sa part à propos de la continuité écologique : «Il s'agit bien de favoriser un écoulement et un régime hydrologique naturel. Il n'y a rien de plus beau qu'une rivière mais rien de plus laid qu'un cours d'eau où les éléments ne sont pas charriés normalement».

Ce point de vue sur la «beauté» et la «laideur» est évidemment, et par définition, subjectif. Cela fait plusieurs siècles qu'aucun cours d'eau de Côte d'Or n'a d'écoulement parfaitement naturel, puisque la présence anthropique sur les rivières est ancienne. Et cette présence anthropique persistera. Suggérer qu'elle est forcément «laide» est un argument assez étrange quand on connaît le magnifique patrimoine hydraulique de la région. On peut également rappeler que le régime « plus naturel » d'écoulement valait jadis des crues meurtrières et catastrophiques à la Seine : heureusement que des barrages et systèmes de régulation ont été conçus dans l'ensemble du bassin hydrographique, afin protéger biens et personnes en laminant ces crues... Il en va de même sur l'Armançon, qui connaissait dans les siècles passés des crues redoutables et des étiages sévères.

On peut enfin observer dans l'image ci-dessus une réalisation de continuité écologique dans le Châtillonnais (ruisseau des Goulottes, Nod-sur-Seine ; citation extraite du rapport d'activité Sequana 2010). Considérer que la destruction du petit ouvrage de franchissement a renforcé la beauté du site est, décidément, une affaire très subjective... 

25/09/2012

Loi de 1919 et droit d'eau

Les services de la DDT et de l'Onema sont venus le lundi 24 septembre 2012 faire un constat de l'état du barrage de Semur-en-Auxois, notamment de ses ouvrages hydrauliques : la digue, le barrage, la vanne, le canal d'amenée et la conduite forcée, la chambre d'eau, le canal de fuite. Ce type de constat peut être fait sur tout ouvrage (moulin ou ancienne usine) par la police de l'eau, qui possède cette prérogative parmi d'autres. (Image ci-dessous : la face aval de la chambre d'eau).

C'est l'occasion de rappeler en quoi consiste le « droit d'eau », particulièrement selon la loi de 1919. On appelle droit d'eau « fondé en titre » la capacité d'un propriétaire d'ouvrage hydraulique d'exploiter la force motrice de l'eau. Le propriétaire peut être un particulier, une personne morale de droit privé, une collectivité territoriale ou l'Etat. Il existe trois régimes différents :
• les moulins des cours d'eau domaniaux, navigables et flottables, présents avant l'Edit de Moulins de 1566 ;
• les moulins des cours d'eau non domaniaux présents avant l'abolition des privilège féodaux (4 août 1789) ou aliénés pendant la Révolution ;
• les moulins ou usines présents entre la Révolution et 1919, disposant d'un règlement d'eau au moment de la promulgation de la loi de 1919.

Dans les trois régimes, le propriétaire doit attester l'existence de son bien avant les dates de référence (1566, 1789, 1919), et cela par tout moyen : cartes anciennes, mention du site dans les documents d'archives ou les actes administratifs. Il doit vérifier par ailleurs s'il existe un règlement d'eau, règlement préfectoral qui spécifie les conditions d'usage de l'eau au droit de l'ouvrage (un moulin du XVIe siècle peut très bien avoir bénéficié d'un règlement d'eau actualisé au XIXe ou au XXe siècle).

Le cas du régime institué par la loi de 1919

La loi du 16 octobre 1919 a réglementé l'usage de l'énergie hydraulique en France, après le rapide développement de l'hydro-électricité ayant débuté dans les années 1880. Cette loi (associée à divers décrets d'application et secondée par les lois sur l'eau de 1992, 2006) précise qu'il existe trois cas exceptionnels d'autorisation d'utiliser l'énergie hydraulique, autorisation hors procédure et à durée illimitée :
• pour les usines autorisées avant 1919 et d'une puissance inférieure à 150 kW (art. 18),
• pour les usines fondées en titre d'existence légale (art. 29),
• pour les usines faisant partie d'entreprises déclarées d'utilité publique (art. 29).

En d'autres termes, un propriétaire d'ouvrage répondant à ces conditions peut exploiter l'énergie de l'eau sans demander une autorisation ou concession à la préfecture. Mais il va de soi que le propriétaire en question doit respecter l'ensemble des obligations prévues dans le Code de l'environnement et le Code de l'urbanisme, ainsi que les règlementations spécifiques de la protection environnementale et fluviale (par exemple les sites Natura 2000, la Trame bleue du Grenelle, etc.).

Le cas particulier du Foulon de la Laume à Semur-en-Auxois est intéressant : le site peut en effet témoigner de la présence d'un moulin existant au XVe siècle, dont il reste certains éléments patrimoniaux ; de la présence d'une usine et d'ouvrages hydrauliques à partir de 1891, ainsi que d'un règlement d'eau de la même année, avec un équipement inférieur à 150 kW. Soit deux régimes différents de fondé en titre.

Il est à noter que le droit d'eau au sens du fondé en titre d'avant 1789 ou de la loi sur l'énergie de 1919 ne requiert nullement le bon état des ouvrages concernés – et pour cause, il faudrait que sur chaque moulin ou chaque usine de France on trouve des éléments d'exploitation parfaitement fonctionnels, datant parfois de plusieurs siècles, et ce n'est évidement pas le cas ! La jurisprudence des tribunaux administratifs, cours administratives ou du Conseil d'Etat reconnaît donc que l'état de ruine n'est pas une condition suspensive du droit d'eau. La circulaire MEEDDM 2010/3 du 25 février 2010 rappelle d'ailleurs aux agents publics des éléments de jurisprudence en ce sens. On peut annuler un droit d'eau si le seuil ou barrage a quasiment disparu et n'existe plus qu'en traces ou vestiges (CE 2004, arrêt 246929), mais ces conditions de délabrement sont extrêmes.

Le cas du Foulon de la Laume

Dans le cas du barrage de Semur-en-Auxois, toutes les parties prenantes sont au moins d'accord sur un point : bien loin d'avoir disparu ou de n'être présents qu'à l'état de vestiges, le barrage et la digue forment des obstacles très efficaces à l'écoulement ! Ils ont donc conservé leur capacité à exploiter la force motrice de l'eau par création d'une certaine hauteur de chute et redirection du débit vers le canal d'amenée. Il existe par ailleurs une volonté manifeste de donner un usage au barrage : convention de mandat Sirtava-Commune de 2010 visant à un projet d'aménagement à fin de continuité écologique, travaux municipaux d'entretien consignés dans le registre de l'ouvrage, réalisation d'une visite technique approfondie (VTA) par un bureau d'études hydrauliques, commande d'un rapport sur l'usage énergétique du barrage (à notre association), pose d'une échelle de mesure de chute nette par observation de la remontée d'eau en canal de fuite, réunions d'information en mairie avec des producteurs locaux d'hydro-électricité, annonce d'un futur chantier municipal et citoyen, etc.

Pour en avoir le cœur net, notre association a transmis le dossier complet du barrage (y compris bien sûr les documents Sirtava / Cariçaie) à deux experts indépendants (ne se connaissant pas et n'habitant pas la région) : un historien spécialiste de la concertation entre patrimoine historique et continuité écologique ; un avocat expert en droit de l'environnement et reconnaissance des droits d'eau. L'un comme l'autre ont considéré comme manifeste l'existence du droit d'eau de la Commune sur le site du Foulon de la Laume. Et fortement douté que la Préfecture s'engage à une remise en cause de ce droit d'eau comme le laissait entendre le diagnostic du bureau Cariçaie. Mais à dire vrai, ce n'est pas le seul point critiquable de ce diagnostic, comme nous l'avons rappelé ici et comme le Collectif de sauvegarde du barrage l'a montré au cours des 9 derniers mois.

Droits et devoirs des propriétaires

Au-delà du cas de Semur-en-Auxois, notre association attire toutefois l'attention de tous les propriétaires d'ouvrages hydrauliques d'Auxois-Morvan : ils disposent certes de droits, que nous entendons bien sûr défendre, mais aussi de devoirs, que nous entendons aussi rappeler. Notamment le devoir d'entretenir leur bien. 

En raison des nouvelles règlementations de continuité écologique, l'administration va se montrer beaucoup plus stricte dans les mois et années à venir. Et cette rigueur sera fondée si le propriétaire laisse son bief, son seuil et ses ouvrages à l'abandon, sans tenir compte de leurs effets physiques et biologiques sur la rivière. Une gestion responsable et raisonnable des biens riverains est aujourd'hui une condition sine qua non d'un dialogue constructif entre tous les acteurs de l'eau.

Pour aller plus loin :
Rapport du Conseil d'Etat 2010 : L'eau et son droit (pdf)

21/09/2012

Un chantier pour le barrage de Semur-en-Auxois


La Commune de Semur-en-Auxois vient d'annoncer le prochain lancement d'un chantier municipal et citoyen sur le site du barrage de la ville, visant notamment à restaurer l'usage énergétique de ce dernier. Le chantier sera ouvert aux bénévoles, particuliers ou associations. Il va de soi que l'association Hydrauxois s'inscrira pour participer à cette tâche commune, et rendre ainsi au barrage de la ville tout le lustre qu'il mérite. 

Sur ce site du Foulon de la Laume, en 1461, Jehan et Jacot Ylaire dit Marmaignot obtinrent du duc de Bourgogne l'autorisation de construire un moulin foulon (dégraissage et traitement des laines). Bien plus tard, en 1890-1891, on construisit l'usine hydro-électrique qu'EDF exploita jusque dans les années 1960. Le Foulon de la Laume est donc l'héritier de cinq siècles d'usage de l'énergie hydraulique. Notre génération doit prendre soin de ce très bel héritage pour le léguer aux générations futures ! Et à l'heure où la transition énergétique s'impose en France comme partout ailleurs, l'installation d'une petite centrale hydro-électrique sera un défi passionnant pour les Semurois.

17/09/2012

Au Moulin Lallemant, le patrimoine est bien vivant!

Les amoureux de l'eau et du patrimoine connaissent probablement le Moulin du Foulon, à Arnay-sous-Vitteaux. Il est la propriété de Robert Lallemant, et présente une particularité remarquable : cette famille de meuniers transmet l'ouvrage et le savoir-faire depuis 1840. Voilà un patrimoine bien vivant ! Le mot «foulon» désigne un moulin utilisé pour battre et dégraisser les laines, ce qui était probablement le premier usage historique du moulin actuel. Mais la production de farine s'est imposée voici plus de 150 ans.

Robert Lallemant et son équipe produisent aujourd'hui des farines déposées sous la marque La Bruchon d'Auxois. Les meuniers mélangent des variétés pures des blés d'Auxois afin de produire plusieurs farines, dont les qualités sont testées dans le laboratoire du Moulin. L'équipement actuel du Moulin du Foulon permet un débit de 650 kg blé / heure. Si vous êtes habitant de l'Auxois, vous savez désormais quel fournisseur choisir : Robert Lallemant parvient à associer une production locale avec une très haute exigence de qualité.

Côté technique hydraulique, le Moulin du Foulon présente un autre atout : on peut y voir le fameux régulateur Lallemant, conçu au XIXe siècle par un ancêtre du propriétaire actuel (première photo en haut, ci-contre ; cliquez pour agrandir l'image). Ce mécanisme ingénieux avait pour fonction d'assurer un débit régulier entre le bief et les ouvrages hydrauliques, régularité indispensable pour le travail du blé mais aussi pour les turbines des installations électriques. Car roues ou turbines, les ouvrages qui transforment l'énergie cinétique de l'eau en énergie mécanique puis électrique sont très sensibles aux emballements. Le régulateur Lallemant équipait ainsi de nombreuses petites usines hydro-électriques de Côte d'Or au début du XXe siècle.

Aux Journées du Patrimoine qui se tenaient le week-end dernier, il y avait foule au Moulin du Foulon : c'est une excellente nouvelle, et cela témoigne de l'enthousiasme des amoureux du patrimoine hydraulique. Le Bien Public signale même qu'un autre moulin, situé à Athie, a eu la surprise de voir arriver des visiteurs alors que cette année, il ne participait pas aux Journées !

Plus d'information à propos du Moulin du Foulon.

16/09/2012

Accord Hydrauxois-Arpohc

Une délégation d'Hydrauxois a participé le samedi 15 septembre 2012 à l'Assemblée générale des l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliquesdu Châtillonnais (Arpohc), dirigée par le dynamique Christian Jacquemin (ci-contre, photo du bureau).

Les deux associations ont conclu un accord sur plusieurs initiatives communes : veille documentaire sur l'hydraulique, co-publication du futur Guide de la continuité écologique, réflexion partagée pour mettre en place une base d'information en ligne sur le patrimoine, engagements de terrain pour la défense des ouvrages menacés d'effacement sur la Côte d'Or.

12/09/2012

Réflexion sur le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE)

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, modifiant le Code de l'environnement, les lois Grenelles 1 et 2 (Trame verte et bleue), le Plan de gestion de l'anguille sont autant de textes ayant introduit en droit français la notion de continuité écologique. Celle-ci implique que les rivières françaises connaissent :

  • un bon transit sédimentaire (transport des particules en suspension et des charges solides de type sables, graviers, etc.)
  • un bon franchissement piscicole (libre circulation des poissons migrateurs, évitement de l'isolement génétique des poissons non migrateurs, possibilité de fuite en cas de pollution locale, etc.).

Le ROE : une base de données produite par l'Onema
L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a produit un outil de recherche et d'aide à la décision : le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE). Il s'agit d'un recensement systématiques des seuils de moulins, barrages, ponts, écluses, digues et autres ouvrages hydrauliques.

Au total, pour la dernière version en date de ce recensement, on compterait près de 80.000 «obstacles à l'écoulement» sur les rivières françaises (carte ci-contre). Et le recensement n'étant pas achevé, il est probable que l'on dépassera les 100.000. Rien d'étonnant à cela puisque l'homme a presque toujours développé ses cités et ses civilisations autour de la ressource en eau. En Côte d'Or, on compte par exemple 1351 obstacles recensés dans la dernière version en ligne du ROE. A l'échelle de la France, environ la moitié des obstacles sont formés par des seuils en rivières et des barrages (un barrage commence à partir d'une hauteur de 2 mètres).

Vous pouvez consulter le ROE sous forme de carte des rivières, à cette adresse. (Attention, le rafraîchissement est très lent et demande un bon débit de connexion). Ou bien sous forme de tableur Excel, à cette adresse (télécharger le ROE, en bas. Attention cette fois, comme il y a des dizaines de milliers d'entrées dans le tableur de type Excel, ce n'est pas facile de s'y retrouver).

Le ROE, une certaine vision des ouvrages hydrauliques
Les concepteurs du ROE sont généralement des chercheurs, ingénieurs ou techniciens en hydrophysique, hydrobiologie et hydro-écologie. La notion même d' « obstacle à l'écoulement » pour désigner des ouvrages hydrauliques témoigne de cette vision issue de leurs disciplines scientifiques. Mais cette vision est forcément réductrice, au sens où elle n'envisage qu'une seule dimension des ouvrages en question. Pour le comprendre, on peut dire que la ville de Paris est un obstacle à l'écoulement aérodynamique sur le Bassin Parisien ; mais personne n'aura évidemment l'idée de qualifier ainsi la capitale française (même si de fait, certains chercheurs en sciences du climat s'intéressent beaucoup aux changements de rugosité sous la couche limite!).

On ne peut donc pas réduire un barrage, un seuil ou un bief de moulin à la seule notion d'obstacle. Cette vision serait très simplificatrice si elle prétendait résumer tous les regards possibles sur les ouvrages hydrauliques. Et très inquiétante si elle devenait le « mono-langage » de l'administration en charge de l'eau.

Les lois de l'hydrodynamique impliquent de toute évidence que nos seuils et barrages modifient le régime des écoulements, donc la circulation des sédiments et celle des poissons. Ce point n'est pas en question, il relève d'une physique élémentaire désormais bien établie. Ce qui est plus douteux en revanche, c'est l'assertion selon laquelle les obstacles à l'écoulement représenteraient la principale menace pour la qualité biologique des rivières françaises.

Une présence bientôt millénaire
Les seuils et petits barrages ont connu un grand développement à partir du Moyen Âge. Aux XIe-XIIIe siècles, les ouvrages hydrauliques profitent de l'invention de l'arbre à cames, qui permettait de transmettre l'énergie à toutes sortes d'instruments mécaniques. Le moulin devient l'usine du développement agricole et industriel de cette période. Cet usage de l'eau ne fera que croître jusqu'au XIXe siècle. Si l'obstacle à l'écoulement représentait la principale pression sur les espèces piscicoles, il est douteux que nos rivières possèdent encore le moindre poisson après plusieurs siècles de cette exploitation intensive de l'énergie hydraulique.

Cela fait bientôt un millénaire que le régime de l'écoulement des rivières françaises (et européennes) est soumis à une forte influence anthropique, de même que son peuplement piscicole. Cette pression adaptative lentement mise en place a impliqué des évolutions progressives des espèces présentes dans les cours d'eau. Certaines se sont raréfiées, d'autres ont prospéré selon qu'elles étaient adaptées ou non au régime modifié de l'eau (changements de température, vitesse, minéralisation, oxygénation, etc.). Faute d'archives d'observation sur une très longue période, il est difficile de statuer sur la mesure de biodiversité et biocomplexité des biefs et retenues, a fortiori de déterminer le poids relatif de chaque facteur d'influence quand on soupçonne un appauvrissement biologique du cours d'eau.

L'influence progressive des ouvrages hydrauliques paraît moins dommageable que des pressions plus récentes et plus brutales : la surexploitation de pêche (surtout en Occident pendant la phase d'ascension démographique 1750-1950), la pollution massive par les effluents industriels, agricoles et ménagers, l'introduction d'espèces invasives et parasites au détriment des espèces patrimoniales, la multiplication des usages de l'eau en milieu urbain comme rural. Dans un des articles les plus cités de la littérature sur la question, David Dudgeon et ses collègues citent la fragmentation de l'habitat induite par la modification du flux comme l'un des facteurs de perte de la biodiversité en eau douce, mais non comme le facteur dominant (Dugeon et al. 2006).

Hiérarchiser les risques, et ne pas se tromper d'urgence
De l'avis général des chercheurs, ces questions de fragmentation de l'habitat aquatique sont sans doute importantes, mais elle sont aussi sans commune mesure avec une menace qui se profile à l'horizon et qui forme un risque de premier ordre pour la biodiversité : le changement climatique, et ses conséquences hydrologiques en particulier (modification rapide du cycle de l'eau à échelle régionale, étiages ou crues plus sévères, acidification des eaux, etc.).

Encore tout récemment, 22 chercheurs ont publié dans Nature un article montrant que la menace n°1 sur la biodiversité résidait dans des changements brutaux à seuil critique, et que parmi ces changements figure notre modification actuelle du cycle du carbone (Barnosky et al 2012). Dans cette hypothèse, on ne parle pas de la raréfaction de quelques espèces sur des cours d'eau, mais bien de pertes en biodiversité qui seraient comparables aux cinq grandes extinctions de l'histoire de la Terre.

Toute décision publique est fondée sur une hiérarchie des risques, des bénéfices et des opportunités. Concernant les ouvrages hydrauliques, il apparaît que leur capacité à limiter l'usage des énergies fossiles (donc l'effet de serre) est un avantage plus important que l'inconvénient éventuel de leur influence (déjà multiséculaire pour la plupart) sur la sédimentation ou le peuplement piscicole. C'est du moins une position que l'on peut déduire logiquement d'un très nombre d'articles scientifiques publiés ces dix dernières années.

Cela ne signifie pas qu'il faut accepter de manière conservatrice le statu quo : bien des ouvrages ne sont pas correctement entretenus (présence du propriétaire et vannage régulier, ou automatisation), certains sont laissés à l'abandon. Et dans le cas des barrages, des aménagements peuvent aisément améliorer la qualité écologique de l'eau.

Se réapproprier le ROE
Le référentiel des obstacles à l'écoulement est incontestablement un travail utile de l'Onema, et sa mise à disposition du public est une heureuse initiative, qu'il faut saluer. Il serait souhaitable que toutes les données primaires de l'Onema (campagnes de mesures) soient également accessibles, afin de pouvoir évaluer localement l'évolution récente des espèces sur les cours d'eau.

Le ROE permettra de débattre de son usage initialement prévu, à savoir l'état du transit sédimentaire et de la circulation piscicole. Et des aménagements à fin de continuité écologique seront bien sûr nécessaires sur les sites présentant des altérations manifestes du cycle de vie de certains poissons, ou des processus d'érosion-sédimentation.

Mais pour les associations, dont Hydrauxois, ce ROE servira également à deux autres usages non prévus par ses concepteurs : dresser une cartographie du patrimoine hydraulique régional ; produire un atlas hydroélectrique détaillé, notamment pour les PCH (petites centrales de puissance inférieure à 500 kW).

Si ROE signifie aujourd'hui référentiel des obstacles à l'écoulement, cette base pourrait aussi bien s'appeler « référentiel des opportunités énergétiques » ou « référentiel des ouvrages en danger ». Car ce qu'elle décrit, ce sont parfois des ouvrages qui représentent un héritage patrimonial important, sans être entretenus ni valorisés ; ou des ouvrages qui, produisant une certaine hauteur de chute et/ou un débit d'eau dévié du lit mineur, permettent une exploitation hydro-électrique locale.

Estimer le productible en petite hydroélectricité
Pour ce dernier point, on peut en effet réaliser une première estimation de puissance hydraulique en connaissant la hauteur de chute et le débit moyen au droit d'un ouvrage. La formule est :

ρ.g.H.Q

ρ (rho) représente la masse volumique de l'eau (1000 kg/m3), g la force de gravité (9,81 N/kg), H la hauteur brute (en mètre) et Q le débit moyen interannuel (en m3), le résultat étant en watt (W). On peut supprimer la masse volumique de valeur 1000, ce qui donne un résultat directement en kilowatt (kW)

Le productible final en énergie électrique est bien sûr plus complexe (il dépend des pertes en charge, des rendements de chaque élément de production, etc.), mais la puissance hydraulique brute du débit d'équipement donne déjà une bonne approximation du potentiel.

Il existe des estimations disponibles, par exemple dans les Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE ) ou dans le travail important réalisé en 2011 par l'Union française de l'électricité (UFE 2011). Mais la méthodologie est différente et un travail de terrain mené sur la base des ouvrages hydrauliques existants sera complémentaire. Elle est aussi pour les associations l'occasion de découvrir toutes les facettes de leur territoire, certaines étant encore méconnues.

Un objectif : l'équilibre
Le Code de l'environnement (article L211-1) précise la pensée du législateur en appelant à une «gestion équilibrée» de la ressource en eau. L'équilibre sera le maître-mot d'Hydrauxois et il suppose une prise en compte multidimensionnelle de la qualité et de la valeur de l'eau : physique, chimique, biologique et écologique, bien sûr ; mais aussi historique, patrimoniale, paysagère, sociétale et énergétique.

07/09/2012

Un forum incontournable pour les passionnés

Si vous êtes passionné(e) d'ouvrages hydrauliques, et particulièrement si vous envisagez une production d'énergie, le Forum de la petit hydroélectricité deviendra vite un site indispensable. Outre des offres de matériel d'occasion, des passionnés de France et de Belgique échangent leurs expériences. Les turbines classiques (Francis, Kaplan, Pelton) sont à l'honneur, mais on discute aussi sur le forum des modèles plus anciens (Fourneyron, Jonval, Fontaine, Singrün...) que certains restaurent, ainsi que des roues hydrauliques. Dans le domaine électrotechnique, des discussions très pointues permettent de résoudre certains problèmes d'installation ou de maintenance. Et, last but not least, beaucoup de propriétaires de moulins ou de petites usines témoignent de leurs expériences actuelles avec la police de l'eau (Onema, DDT) ou les diverses administrations. Un échange de bonnes pratiques très enrichissant, et très prometteur pour le renouveau actuel du patrimoine et de l'énergie hydrauliques!

04/09/2012

Le projet-pilote de Semur: un signal inquiétant pour l'Auxois-Morvan

Dans le Cercle Les Echos de ce jour, on peut lire ce jour une tribune très intéressante de Bertrand Lavaud sur les mauvais rapports entre patrimoine et écologie à Semur-en-Auxois. L’auteur reprend à son compte les arguments qui ont été développés au cours des derniers mois par un Collectif d’associations de la ville de Semur – Passe Pierre, Auxois Ecologie, Semur en Transition… et les particuliers qui ont fini par fonder Hydrauxois !

Sur la ville de Semur-en-Auxois, l’Onema et le Sirtava (syndicat de bassin versant) ont décidé dès 2006 de mener un « projet-pilote » de continuité écologique sur un petit barrage d’ancienne usine et deux glacis de moulins. L’étude de faisabilité (diagnostic, avant-projet sommaire) a été confiée à un cabinet d’études (Bief-Cariçaie).

Or, les associations locales ont constaté que l’étude présentait de graves lacunes, parmi lesquelles :
  • le règlement d’eau du barrage datant de 1891 (fondant le droit d'eau de la ville selon la loi de 1919) n’avait pas été retrouvé alors qu’il existait en préfecture ;
  •  le potentiel énergétique des sites n’avait pas été estimé afin que leurs propriétaires jugent en connaissance de cause ;
  • l’architecte du secteur sauvegardé de la ville, l’architecte des bâtiments de France et la DRAC n’avaient pas été saisis pour une estimation de la valeur patrimoniale des sites concernés ;
  • l’analyse environnementale se limitait à un seul prélèvement piscicole sur une seule période (sans aucune autre mesure écologique des retenues et biefs concernés) ;
  • l’étude ne proposait aucune simulation du bénéfice-risque écologique de chaque solution (aménagement ou effacement) ;
  • le régime d’écoulement ne faisait pas l’objet d’une modélisation numérique (évolution avant/après des étiages, des crues, etc.) ;
  • la seule solution suggérée pour le site principal (barrage) était l’effacement, sans proposition sur un aménagement ;
  • la seule solution financée par l’Agence de l’eau était l’effacement, sans aide aucune pour des dispositifs de franchissement ;
  • la solution favorisée consistait non seulement à effacer les ouvrages, mais à faire disparaître (dérocter) la base granitique de certains d'entre eux, conception pour le moins curieuse de la «renaturation» de l'Armançon ;
  • la concertation avait été réduite au strict minimum, et dans un langage très peu accessible aux citoyens (il n’avait pas été dit clairement aux habitants que la solution consistait dès le départ à détruire le patrimoine de leur ville).

Aux yeux de l’association Hydrauxois, la manière dont ce projet-pilote a été mené est très inquiétante pour la politique de continuité écologique en Auxois-Morvan. 

Les spécialistes de ces questions, comme par exemple Jean-René Malavoi et Damien Salgues (Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition du cahier des charges pour les études des compartiments hydromorphologie et hydroécologie, Onema-Cemagref 2011, pdf), posent des exigences beaucoup plus strictes sur la qualité des études requises avant de décider de la destruction d’ouvrages hydrauliques à fin de continuité écologique.

Et au-delà des hydrophysiciens et hydrobiologistes, qui possèdent une certaine vision de l’eau dans leur domaine de compétence, les solutions d’aménagement ou d’effacement doivent impérativement mobiliser une approche pluridisciplinaire afin que soient également prises en compte les dimensions patrimoniales, historiques, culturelles, sociétales et énergétiques des sites concernés.

L’association Hydrauxois travaille à la prochaine publication d’un Guide de la continuité écologique, intégrant un questionnaire évaluatif de qualité. Ce document sera diffusé aux maîtres d’ouvrage publics et privés. Il servira de base de concertation avec les syndicats de bassin versant, l’Onema, les DDT et les Agences de l’eau. Hydrauxois espère bien sûr que cette concertation sera fructueuse, car la continuité écologique est un enjeu passionnant et important pour nos rivières. Mais elle ne se réalisera pas sur la base d'une négation des autres enjeux-clés que représentent le patrimoine et l'énergie hydrauliques.


03/09/2012

Journées du patrimoine

A l'occasion des Journées du patrimoine (15 et 16 septembre 2012), vous pourrez notamment visiter dans notre région :
Moulin du Foulon, à Arnay-sous-Vitteaux ; Grandes forges de Buffon ; Moulin forge de Noiron-sur-Bèze ; Moulin de Vernusse, Saint-Pierre-en-Vaux ; Forges du Val Suzon ; Moulin Chevalier, Messanges ; Centre du Toueur, Saint-Léger-des-Vignes ; Les sept écluses de Rogny.

01/09/2012

VTA du barrage de Semur-en-Auxois

Des membres de l'association Hydrauxois ont participé, le 28 août dernier, à la visite technique approfondie (VTA) du barrage de Semur-en-Auxois. Cette VTA a été réalisée par le bureau d'études Somival, qui assure déjà le suivi technique d'autres barrages dans la région (Pont, Grosbois-en-Montagne, etc.).

La VTA est une inspection obligatoire, à période décennale pour les barrages de classe D (moins de 5 mètres). Dans le cas particulier du barrage de Semur, menacé de destruction par un projet d'aménagement porté par le Sirtava, le compte-rendu de la visite technique permettra une évaluation objective de l'état du génie civil, et des éventuels travaux de mise en conformité du site si le maître d'ouvrage (Commune de Semur) choisit plutôt un aménagement. Cette dernière solution est défendue par Hydrauxois et par le Collectif de sauvegarde rassemblant plusieurs autres associations semuroises (Passe-Pierre, Auxois Ecologie, Semur-en-Transition). Rappelons que plus de 700 persones ont déjà signé la pétition pour le maintien et la restauration du barrage.

Lire l'article du Bien Public.