25/03/2013

Le bilan carbone de l'énergie hydraulique

La raison pour laquelle nous développons des énergies renouvelables dans le cadre de la transition énergétique est double. D’une part, les énergies fossiles ne sont pas durables, leur stock géologique offre une quantité finie à un coût d'extraction économiquement accessible et la forte demande mondiale risque de se traduire par une déplétion rapide des ressources en pétrole, puis en gaz puis en charbon. On observe déjà que la hausse du prix du pétrole depuis le milieu de la décennie 2000 affecte les économies, particulièrement les économies totalement dépendantes des importations comme la France.

D’autre part, la combustion des ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon) produit des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ce gaz à effet de serre à longue durée de vie atmosphérique (plus d’un siècle) a pour propriété d’absorber et réemettre le rayonnement infra-rouge émis par le Terre, agissant comme une sorte de couverture qui augmente la température de la surface et de la basse atmosphère : c’est le mécanisme bien connu du réchauffement climatique.

Les sources d’énergie les plus intéressantes sont donc celles qui émettent le moins de CO2 tout au long de leur cycle de vie. Cette notion d’analyse par cycle de vie (LCA en littérature anglo-saxonne) est importante. En effet, un dispositif de production et conversion d’énergie coûte lui-même de l’énergie pour sa production, son installation, son entretien, son démantèlement. Dans la mesure où cette énergie est fossile — car le fossile reste dominant en cimenterie, métallurgie, transport, etc. —, mêmes les sources renouvelables produisent en réalité du CO2.

4 g eqCO2 par kWh produit : le meilleur bilan de toutes les énergies productrices d’électricité
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a produit un rapport sur les énergies renouvelables et leur capacité à limiter la probabilité d’un réchauffement climatique dangereux à l’horizon 2050 (GIEC 2012). Ce rapport inclut notamment une synthèse de toutes les analyses cycles de vie réalisées sur les différentes formes d’énergie. Le tableau de synthèse (cliquer l’image) donne les estimations de ces travaux.

Voici donc en grammes d’équivalent-CO2 par kWh produit la valeur moyenne (50e percentile) constatée pour les différentes sources d’énergie (électrique).
Hydraulique : 4 g
Hydraulique marine : 8 g
Eolien : 12 g
Nucléaire : 16 g
Biomasse : 18 g
Solaire thermodynamique : 32 g
Géothermie : 45 g
Solaire photovoltaïque : 80 g
Gaz naturel : 469 g
Pétrole : 840 g
Charbon : 1001 g

On observe donc que l’hydraulique de fleuve et rivière possède le meilleur bilan CO2 de toutes les sources connues d’énergie électrique. Bien sûr, et sans surprise, l’hydraulique produit 250 fois moins de dioxyde de carbone que les centrales thermiques à charbon. Mais aussi 3 fois moins que les éoliennes, 4 fois moins que le nucléaire, 20 fois moins que le solaire photovoltaïque.

Il faut noter que cette estimation se fait dans le cadre de projet de novo (création de site), c’est-à-dire en incluant le coût carbone (important) de la construction du barrage béton. Quand en plus l’énergie hydraulique se contente de réinvestir un site existant (seuil de moulin ou barrage d’usine), sa charge carbone n’en est qu’améliorée.

Ce bilan carbone très favorable s’ajoute donc aux autres avantages connus de l’énergie hydro-électrique, et en particulier de la petite hydraulique que nous défendons sur notre département. Il rend décidément incompréhensible la timidité du soutien public dont bénéficie aujourd’hui cette source d’énergie — elle devrait être la première à être déployée pour atteindre dans de bonnes conditions les objectifs 2020 de 23% d’énergie produite par source renouvelable et 14% de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Son seul désavantage connu (modification du transit sédimentaire et de la circulation piscicole) peut être aisément corrigé par des aménagements ou des mesures compensatrices, lorsqu’il est avéré que l’effet est nuisible.

Référence : GIEC (2012), Renewable Energy Sources and Climate Change Mitigation. Special Report, Cambridge University Press. Voir annexe II, pp. 979 suiv. pour les modes de calcul.

Illustration : Lucy, centrale thermique charbon de Montceau-les-Mines.

19/03/2013

Continuité écologique et manque de concertation avec les associations: le CGEDD prend acte


Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) vient de publier un rapport de diagnostic sur la mise en œuvre de la continuité écologique. Ce rapport prend acte des nombreux blocages observés entre les propriétaires d’ouvrages hydrauliques et les représentants de l’autorité en charge de l’eau (DDT, Onema, Agences) ou les syndicats de rivière porteurs des SAGE.

On trouvera ci-dessous les recommandations du rapport. Parmi les points à retenir, et qui rejoignent parfaitement les observations menées par Hydrauxois, la Coordination Hydro 21 et l’OCE (voir notre dossier) :
- il existe une carence manifeste d'information sur le terrain;
- il paraît réaliste d’assouplir les délais de mise en œuvre de la continuité s’il y a des accords contractuels entre administrations et associations;
- il est indispensable de clarifier les conditions et coûts de mise en application de la continuité écologique, au regard des bénéfices attendus, et d’envisager des alternatives (par exemple gestion concertée de vannages);
- il est urgent d’évaluer l’apport de la pico- et micro-hydro-électricité (puissance de 5 à 150 kW), sa rentabilité et sa faisabilité;
- il est nécessaire que les associations impliquées dans le patrimoine et l’énergie hydrauliques soient mieux représentées et écoutées à tous les échelons, aussi bien les SAGE au niveau du bassin versant que les SDAGE sur les bassins hydrographiques ou les réunions nationales de concertation à la Direction de l’eau du ministère de l'Ecologie.

Le CGEDD reste en revanche en retrait sur d'autres problèmes observés :
- le manque de robustesse scientifique et de contrôle empirique sur bon nombre d'assertions dans le domaine de la continuité écologique;
- le défaut généralisé de mesure (et information sur la mesure) de la qualité physique, chimique et biologique de chaque masse d'eau;
- la dispersion totalement anormale des coûts d'aménagements, notamment des passes à poissons;
- l'opacité manifeste sur les bonnes pratiques d'aménagément, avec des solutions parfois acceptées sur des ouvrages / des rivières / des départements mais refusées sur d'autres.
- le rappel ferme de l'obligation de réserve et de neutralité des agents administratifs, ainsi que leur obligation de répondre aux sollicitations d'information ou de concertation dans le cadre des missions de service public.

Recommandations du CGEDD

1. La mission recommande d'engager une démarche de qualification/certification des bureaux d'études, axée sur les points suivants: définition de la compétence de l'écologue intervenant, contenu et niveau de sa formation initiale, diplômes universitaires correspondants, niveau des responsabilités assumées actuel et passé, ampleur des références « expertes » maîtrisées, méthodes et matériels utilisés, références de chantiers de réalisation. 

2. La gestion concertée et garantie des vannages paraît constituer, pour certaines rivières une solution simple et pertinente de restauration de la continuité écologique. La mission recommande d'en examiner systématiquement l'intérêt et la faisabilité dans le cadre des études préalables, et d'envisager, lorsque cela peut sembler pertinent, un programme de remise en état des vannes. Il appartient cependant à l'Onema d'en encadrer les conditions et les limites, à la fois en terme d'efficacité et de coût

3. La mission considère cependant que l'intérêt relatif des ouvrages et l'état des équipements ne justifie pas systématiquement des interventions coûteuses pour la collectivité. Par contre, il lui apparaît souhaitable de définir des critères d'appréciation partagés susceptibles de bien identifier ceux qui, de part leur intérêt patrimonial et leurs usages, méritent d'être préservés. 

4. La mission recommande la mise au point de grilles multicritères du type de celle utilisée sur le bassin de la Sèvre Nantaise comme susceptibles de constituer une base d'évaluation de l'intérêt des ouvrages, commune aux différentes parties prenantes concernées par l'aménagement de la rivière. 

5. L'attente de reconnaissance des fédérations de propriétaires paraît légitime. La mission propose qu'elle trouve une réponse au niveau d'une meilleure représentation dans certaines instances nationales, régionales (groupe de travail du Comité national de l'eau, comités de bassin et commissions locales de l'eau (CLE). Pour être fructueuse, une telle reconnaissance doit cependant induire une participation constructive de la part des associations et de leurs fédérations, indispensable au développement d'un véritable partenariat

6. La mission constate un certain blocage sur le sujet sensible de la pico hydroélectricité dont il serait souhaitable de sortir rapidement en donnant la parole aux experts reconnus, voire en diligentant les examens complémentaires nécessaires. Si un inventaire exhaustif du potentiel en matière de pico-électricité devait être lancé, la mission recommanderait la constitution d'un comité de pilotage constitué notamment de professionnels du domaine, de l'administration, de l'Onema ... en prévoyant l’exploitation des bases de données de ce dernier. L'impact environnemental au regard des engagements européens est à prendre en compte, notamment sous l'angle de l'effet cumulatif d'une succession de petits ouvrages hydroélectriques.

7. Il est recommandé à l'Onema de développer un partenariat plus institutionnel, organisé au niveau central, avec les fédérations de propriétaires de moulins. Il pourrait porter sur les thèmes suivants : explicitation des réponses scientifiques aux objections formulées par les fédérations de propriétaires ; aide à la rédaction de cahiers des charges-type pour les travaux de mise aux normes ; mise en commun de bases de données répondant aux attentes directes des propriétaires ... Cette initiative pourrait être élargie, en tant que de besoin, à des juristes. À charge pour les fédérations nationales et associations locales de relayer ces outils auprès de leurs adhérents.

8. La mission recommande à la Deb et aux services : 
- la signature rapide des arrêtés de classement des cours d'eau au titre du L214-17 CE, clés de voûte du Parce. Les conséquences doivent en être expliquées aux usagers dont les propriétaires de moulins, et faire l'objet d'une instruction complémentaire aux services insistant sur la nécessité de fixer des priorités dans les conséquences de ce classement ;
- la mise en œuvre d'un ambitieux programme de formation à l'attention des personnels en charge de l'application du Parce, sans négliger les aspects psychologique, sociologique, patrimoniaux et paysagers ;
- le rappel aux propriétaires de leurs droits et devoirs, sous la forme d'une campagne d'informations, associant si possible étroitement leurs fédérations
- un repositionnement du Parce sous la bannière des plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT) au niveau départemental et du schéma régionale de cohérence écologique (SRCE) au niveau régional

9. La mission recommande à l'administration et à ses partenaires de mettre les notaires en capacité de remplir efficacement leur obligation d'information et de transcription dans les actes de transfert de propriété, des droits et devoirs liés à la continuité écologique, et pour cela de fournir un appui au Conseil supérieur du notariat et à son Institut de formation

10. La mission recommande de desserrer les délais de mise en conformité prévus par la loi, dès lors qu'une démarche contractuelle collective active avec les maîtres d'ouvrage est engagée. 

11. La mission suggère à l'administration (DGALN, Onema, agences de l'eau) et aux associations de mieux formaliser de manière concertée des modalités pratiques de mise en œuvre de la loi et du Parce. 

Référence : CGEDD (2013), Plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce). Diagnostic de mise en œuvre, Rapport n°008036-01

Voir aussi notre dossier complet : OCE-Coordination Hydro21 (2013), Continuité écologique en Côte d’Or

09/03/2013

Echanges sur l'hydraulique et son potentiel

Le Siceco (Syndicat intercommunal d’énergies de Côte-d’Or) vient de publier le bilan des échanges des Assises de l’énergie en Côte-d’Or, qui se sont tenues le 25 octobre 2012 (voir notre compte-rendu). Le document n’est pas encore disponible en pdf. Deux interventions ont retenu notre attention.

Remettre en service les seuils existants
Dominique Lapôtre (Conseil régional) : « La région de Bourgogne ne dispose pas d’un fort potentiel en hydro-électricité. Il y a là un conflit d’usage entre la volonté de produire une énergie renouvelable et les préoccupations environnementales. On n’est pas en train de créer de nouveaux seuils, mais plutôt d’en effacer. Actuellement, l’hydraulique passe plutôt par la remise en service des seuils existants, là où des turbines n’étaient plus en fonctionnement »

Nous sommes d’accord avec ce point de vue de la Conseillère régionale. L’effet exact des seuils et barrages sur la qualité des milieux aquatiques reste à ce jour un sujet de recherche scientifique, dont les conclusions ne sont pas toutes robustes. En Bourgogne et particulièrement en Côte d’Or, la question prioritaire n’est pas la création de barrages, mais l’équipement énergétique et l’aménagement écologique des infrastructures existantes : barrages-réservoirs de VNF alimentant le canal de Bourgogne, réseau d’adduction d’eau potable, centaines de moulins et anciennes usines dont les seuils en rivières sont déjà en place. Il est beaucoup moins coûteux d’utiliser ce génie civil installé que de créer des sites de novo. Et cela a plus de sens du point de vue du patrimoine et de l’environnement : la fonction originelle des moulins est restaurée, leur usage régulier implique la prise en compte des équilibres sédimentaires et piscicoles.

Evaluer correctement le potentiel et les avantages
François Bellouard (Dreal) : « Il y a bien pour la région Bourgogne des objectifs de croissance de l’hydro-électricité. Ils sont de 3MW. C’est peu et il faut déjà, dans un premier temps, travailler à l’amélioration des installations existantes. 3MW correspondent à une centaine de turbines complémentaires à mettre en place. C’est vraiment très peu au regard d’une éolienne de 2 MW. Trouver ces 3MW supplémentaires est quelques chose qui est loin d’être évident (…) L’idée que l’on se fait de l’hydroélectricité par opposition à l’éolien, c’est que c’est une énergie permanente. C’est loin d’être le cas sur des petits cours d’eau. On n’est pas en région Rhône-Alpes ».

Les arguments du Directeur des études et projets à la Dreal Bourgogne appellent quelques commentaires.

• Trouver 3 MW de puissance hydraulique d’ici 2020 et pour toute la Bourgogne devrait être une chose assez aisée : pour la seule Côte d’Or, qui n’est pas le département bourguignon le plus favorisé en raison de sa position géographique de tête de bassin versant, le potentiel est probablement proche du double (voir ici). Autant dire que la micro-hydraulique peut non seulement aider à atteindre l’objectif de 2020 (23% d’énergie renouvelable), mais aussi l’objectif 2050 (80% d’énergie non carbonée).

• Il sera difficile d’améliorer les centrales en production du point de vue énergétique : en effet, les nouvelles exigences environnementales vont se traduire par des pertes de charge (grilles et exutoires de dévalaison, débit minimum biologique monté à 10% minimum du module en 2014). Une modernisation des turbines pourrait au mieux compenser cette perte. Encore faut-il que cette modernisation ait un sens : la technologie hydraulique en moyenne et grande puissance est mature, aussi est-il peu probable que les centrales EDF ou petite entreprises vendant actuellement au réseau gagnent énormément de rendement (celui-ci se situe déjà à 80-90% au débit d’équipement, il n’y a pas eu d’évolution récente notable dans les Kaplan ou Francis de chutes moyennes à basses).

• Le potentiel hydraulique est bien sûr faible par rapport au potentiel éolien. Mais l’éolien (ou aucune énergie renouvelable en particulier) ne suffit pas à atteindre les objectifs de transition énergétique. Il est donc inutile d’opposer les sources d’énergie entre elles : toutes seront nécessaires pour produire sur le territoire des substituts aux usages fossiles. Même si l’hydraulique ne représente que 1% de cette substitution, il sera opportun de le développer. D’autant que son tarif de rachat reste plus intéressant (moins cher) pour la collectivité : en terme de priorité, mieux vaut exploiter d’abord les sources d’énergie les moins chères, laissant le temps aux autres de gagner en maturité (et donc de voir leur coût de revient baisser, ce que l’on observe à rythme assez rapide pour le solaire).

• Quand elle est exploitée au fil de l’eau et non en éclusée, comme c’est le cas en Bourgogne, l’énergie hydraulique a bel et bien un caractère quasi-permanent : la turbine fonctionne tant que le débit de la rivière est au-dessus du débit d’armement. Et à la conception du dispositif pour un site particulier, on fait en sorte que cette plage de fonctionnement soit la plus large possible. En revanche, le rendement et la production de l’hydraulique varient avec le débit des rivières, donc en dernier ressort avec la pluviométrie. On ne peut bien sûr exclure des années très sèches impliquant des productions faibles.

Illustrations : barrage (eau potable) à Chamboux ; éolienne à Sombernon.

02/03/2013

La petite hydraulique en Côte d'Or d'après la Taxe de statistique de 1921

5 MW de puissance, 22 GWh de production annuelle, l'électricité de 8000 habitants et un équivalent revenu de 2,2 millions d'euros produit sur le territoire : tel pourrait être le bilan de la micro-hydraulique en Côte d'Or si 80% des seuils et barrages exploités en 1921 (au nombre de 451 à l'époque) étaient aujourd'hui remis en service. Ces données n'incluent pas l'équipement des grands barrages-réservoirs gérés par VNF et des systèmes d'adduction d'eau potable.

Source : la Taxe de statistique de 1921
La loi du 16 octobre 1919 sur l'énergie hydraulique stipulait dans ses articles 8, 16 et 39 que les entreprises utilisant la force de l'eau devaient payer un taxe de 5 centimes par kW de puissance nominale. Cette obligation concernait les ouvrages fondés en titre aussi bien que ceux faisant l'objet d'une autorisation ou concession. Les revenus fiscaux étaient reversés pour moitié aux départements et pour moitié aux communes.

Par circulaire interministérielle du 27 février 1921, il a été demandé d'établir un relevé des taxes de perception pour toutes les usines utilisant un moteur hydraulique en dehors des eaux du domaine public. Ce relevé, appelé Taxe de statistique, a été établi dans chaque département français, puis mis à jour les années suivantes (tous les cinq ans à compter de 1922 pour les petites puissances, à revenu fiscal trop faible pour justifier une enquête annuelle, en dehors des nouvelles installations ou changement d'installations existantes ayant été signalées à l'administration par les propriétaires).

Les Archives départementales de Côte d'Or possèdent la Taxe complète de 1921 (cote SM23897). L'intérêt de ce document est qu'il renseigne avec précision les hauteurs de chute, débits et donc puissances hydrauliques brutes au droit de chaque ouvrage.

Les données des 451 sites cote-doriens
La Taxe de statistique 1921 donne une image  très précise de la capacité hydraulique du département. Les résultats confirme ce qui avait été observé par notre association sur la base de la statistique des moteurs hydrauliques de 1899 et l'analyse du catalogue détaillé d'un constructeur. Entre 1899 et 1921, le nombre de sites recensés a baissé de 568 à 451.

Nombre total de sites équipés : 451 ; Bassin de Seine : 235 ; Bassin de Loire : 21 ; Bassin du Rhône : 195

Puissance totale : 6209 kW (6,2 MW) ; Puissance Seine : 2450 kW (40%) ; Puissance Loire : 191 kW (3%) ; Puissance Rhône : 3568 W (57%) ; Puissance moyenne : 13,8 kW ; Puissance médiane : 8,8 kW ; Puissance maximale : 130 kW ; Puissance minimale : 0,7 kW

Hauteur moyenne : 2,8 m ; Hauteur médiane : 2,4 m ; Hauteur maximale : 19,7 m ; Hauteur minimale : 0,5 m

Débit moyen : 644 l/s ; Débit médian : 395 l/s ; Débit maximum : 4000 l/s ; Débit minimum : 12 l/s

Puissance des 10 rivières les plus équipées : Ouche 1356 kW ; Seine 620 kW ; Ignon 479 kW ; Tille 397 kW ; Bèze 275 kW ; Armançon 272 kW ; Ource 248 kW ; Vingeanne 243 kW ; Serein 198 kW ; Oze 156 kW.

Quelques observations
Les puissances décrites dans la Taxe de statistique de 1921 représentent une base plutôt qu'un maximum. On observe par exemple certaines anomalies : ainsi, l'usine hydro-électrique de Semur-en-Auxois est donnée à 25 kW alors qu'en 1921, elle était déjà équipée de deux turbines totalisant plutôt 100 kW. Par ailleurs, d'autres centrales beaucoup plus puissantes n'étaient pas en place lorsque la Taxe de Statistique a été publiée. Quelques exemples de centrales cote-doriennes installées au cours du XXe sècle (données de CLER 1994) : centrale d'Auxonne 700 kW ; centrale de Drambon 210 kW ; centrale d'Heuilley 689 kW ; centrale de Perigny (Belleville) 500 kW ; centrale de Saintte-Colombe-sur-Seine 400 kW ; centrale d'Arc-sur-Tille 260 kW...

Les faibles puissances moyenne (13,8 kW) et médiane (8,8 kW) indiquent que beaucoup de sites cote-doriens sont destinés à l'autoconsommation (quelques kW), par exemple la production de chauffage (ou l'alimentation de véhicules électriques). Cette caractéristique est due à l'hydrologie modeste d'une tête de bassin versant, et de faibles dénivelés en dehors de certaines zones du Morvan et des Hautes Côtes.

Le classement des rivières en liste 1 ou liste 2 n'entrave pas la restauration de sites de production. En effet, seule la construction de nouveaux sites est interdite en liste 1 (mais la remise en fonction des sites anciens est autorisée, si elle est assortie d'une mise en conformité avec la continuité écologique).

En comptant un facteur de production de 0,5 (qui intègre charge, rendement, débit réservé) et en limitant à 5 MW (20% des sites de 1921 non exploitables), on obtient une production annuelle de 22 GWh. La consommation électrique domestique est estimée à 2,75 MWh par an et par habitant (Eurostat, Insee, RTE, 2011), donc la micro-hydraulique pourrait fournir l'équivalent de la consommation de 8000 personnes. En équivalent revenu (10 c€/kWh), elle représenterait 2,2 millions d'euros produits sur le territoire chaque année.

Ces données sont importantes pour les décideurs. Elles montrent que la micro-hydraulique peut apporter une part modeste, mais réelle, à la transition énergétique dans le département.

Références
CLER (1994), Energies renouvelables en Bourgogne. Bilans et propositions. Rapport édité pour le Conseil Régional.
Ministère des Travaux publics (1921), Taxe de Statistique. Etat récapitulatif des usines existantes à la date du 31 décembre 1921.

Remerciements : nous remercions vivement M. Jean-Marie Pingault (FFAM) d'avoir recherché et copié les Taxes de statistique présentes aux Archives départementales de Côte d'Or.

Illustration : les bassins hydrographiques de Côte d'Or, carte accompagnant la mise à jour de la Taxe en 1926.

26/02/2013

Classement des rivières de Côte d’Or: premiers éléments sur la circulation des poissons



L’arrêté de classement des rivières du bassin Seine-Normandie, pour la partie occidentale de la Côte d’Or, impose aux maîtres d’ouvrage d’assurer la libre circulation d’un certain nombre d’espèces piscicoles, ainsi qu’un bon transit sédimentaire. Chaque rivière classée du département (toutes ne le sont pas, ou pas intégralement) a ses obligations en la matière. On peut consulter l’arrêté de classement Seine Normandie à cette adresse. Le classement Loire-Bretagne (qui concerne le bassin de l’Arroux à l’extrême Sud du département) est consultable ici. Les rivières dépendant du bassin Rhône-Méditerranée, à l’Est du département, n’ont pas encore d’arrêté de classement (la proposition en cours est consultable sur ce site). Rappelons qu’une rivière non classée en liste 1 ou 2 n’a pas d’obligation de continuité écologique sur la période 2013-2018.

Pour commencer à éclaircir ces questions, nous évoquons ici la question du franchissement piscicole, notamment du sens de circulation des espèces (l’autre dimension importante étant le transit sédimentaire, qui sera abordée ultérieurement).

Quelles espèces piscicoles concernées ? 
Les espèces les plus souvent concernées par la continuité en Côte d’Or sont les suivantes : anguille, blageon, bouvière, brochet, lamproie de Planer, lote, truite fario, vairon, vandoise. Sont aussi mentionnés parfois les cyprinidés rhéophiles sans précision, ce qui peut inclure (outre les vairons et vandoises déjà cités) le chevesne, le goujon, le hotu, le spirlin et le barbeau. Chaque rivière n’est concernée que par quelques-unes d’entre elles.

Ces espèces sont considérées comme patrimoniales, et certaines sont protégées. L’ombre commun est parfois signalé en Seine Amont (Champagne plutôt que Bourgogne), mais c’est un choix discutable. En effet, les travaux du Piren Seine (un programme du CNRS) ont montré que l’ombre est considéré comme une espèce importée en Seine-Normandie, où il n’est signalé que vers 1950 (Tales 2009). Difficile d’y voir un intérêt patrimonial dans une logique de renaturation. Il en va de même pour le hotu, qui est une espèce importée en Seine-Normandie.

Pour les espèces dont la circulation doit être assurée, quelles vont être les étapes ? La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne quelques premières indications. Les maîtres d’ouvrage vont être contactés par les services de la préfecture afin d’être informés de leurs obligations nouvelles. Ils devront en réponse exposer la manière dont ils entendent assurer la continuité écologique au droit de leur ouvrage.

Montaison ou dévalaison ?
Faut-il assurer la montaison ou la dévalaison des poissons ? La montaison désigne la possibilité de remonter la rivière vers l’amont (donc surmonter la hauteur du seuil ou barrage) alors que la dévalaison ou avalaison désigne la capacité de franchir sans heurt l’obstacle vers l’aval.

La circulaire du 18-01-2013 précise : «Assurer la circulation des poissons migrateurs s’entend, d’une manière générale, à la montaison et à la dévalaison. La règle est donc d’assurer la circulation dans les deux sens, ce qui est particulièrement essentiel pour les espèces amphihalines. Cependant, les mesures à imposer doivent tenir compte de la réalité locale et des enjeux réels des cours d’eau, de l’impact des barrages et de la proportionnalité des coûts par rapport à l’efficacité et aux bénéfices attendus.»

Dans bien des cas, la simple dévalaison devrait être suffisante en Côte d’Or, selon la première analyse de notre association. Il y a plusieurs motifs à cela.

• La circulaire d’application insiste sur le caractère «progressif» et «proportionné» des mesures à prendre. Or la Bourgogne étant située en tête de bassin versant, elle est peu concernée par le remontée des grands migrateurs amphihalins (saumons, aloses, anguilles, etc.) depuis l’Atlantique ou la Manche. Les axes prioritaires de ces espèces sont bien sûr sur la façade occidentale du pays. Même les anguilles présentes en Côte d’Or sont par définition adultes puisque l’espèce se reproduit dans la mer des Sargasses et achève sa croissance en fleuve et rivière : elles ont avant tout besoin de dévaler sans heurt pour rejoindre l’océan et, au final, leur lieu de reproduction.

• La simple dévalaison est encore la règle de «bon sens», comme le signale la circulaire d’application, dans l’hypothèse où l’espèce concernée rencontre rapidement un obstacle non franchissable à l’aval ou à l’amont de l’ouvrage. Dans ce cas, assurer la montaison est hors de proportion puisque le poisson sera de toute façon bloqué par la configuration naturelle du cours d’eau.

• Dans le cas de la Côte d’Or s’ajoute la situation particulière due aux grands barrages de retenue de VNF, qui alimentent le canal de Bourgogne (Cercey, Chazilly, Grosbois I et II, Panthier, Tillot et Pont). Ces barrages n’ont aucun projet d’aménagement à ce jour, alors qu’ils représentent des obstacles infranchissables. Leur proximité d’un autre ouvrage suggère que la simple dévalaison sera dans ce cas la solution la plus progressive et proportionnée au sens de la circulaire d’application. D’autant que la circulaire insiste sur le caractère évolutif de la continuité : quand VNF installera des ascenseurs ou écluses à poissons sur ses propres ouvrages, il deviendra réaliste d’assurer la montaison sur les tronçons concernés. Mais ce n’est pas le cas pour la période 2013-2018.

• Pour les espèces holobiotiques (vivant dans un seul milieu, eau douce en Côte d’or en dehors de l’anguille), la question se pose de savoir si elles sont réellement « migratrices » et si cette migration impose la montaison. Par exemple, les cyprinidés rhéophiles ne sont pas usuellement considérés comme des migrateurs : ils recherchent des eaux vives (ce que signifie leur nom de « rhéophile »), et ces eaux plus turbulentes peuvent être disponibles sur le linéaire de la masse d’eau, à l’amont ou à l’aval des ouvrages. Chaque cas devra être étudié — c’est-à-dire chaque espèce dans chaque rivière, et les conditions de son cycle de vie (accessibilité des frayères et milieux de croissance notamment, si possible connaissance historique sur la densité de peuplement de l'espèce).

• En résumé, la dévalaison permet aux poissons d’éviter la « sectarisation » entre les biefs, de rejoindre des zones propices au développement ou de regagner l’océan pour les grands migrateurs. Une transparence migratoire vers l’aval avec un minimum de mortalité et morbidité est souhaitable. La montaison doit répondre à un besoin biologique précis : rejoindre un lieu indispensable à la reproduction et au développement de l’espèce. Peu de poissons présents dans le classement des rivières de Côte d’Or exigent ce besoin, principalement parce que le département est situé en tête des trois bassins versants (rhodanien, séquanien, ligérien) sans enjeu migrateur important. Cette montaison a par ailleurs un coût plus élevé, un entretien plus complexe du dispositif de franchissement et le principe de proportionnalité exige en conséquence d’examiner attentivement le bénéfice attendu.

Comment et dans quel cas assurer la dévalaison ?
La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne de premières indications. «La dévalaison peut être assurée par direction des poissons vers un by-pass ou une goulotte de dévalaison  ou  par  surverse  du  barrage  s’il  n’est  pas  trop  haut.  L’aménagement  doit  être accompagné de la mise en place de grilles à espacement adapté, combinées à un réglage de la vitesse d’approche des grilles et un guidage vers l’exutoire, dès lors qu’il y a lieu d’empêcher les individus de pénétrer dans une dérivation dans laquelle ils sont soumis à une forte probabilité de mortalité : turbines non ichtyocompatibles, pompages, conduite forcée, mise en pression, etc.

«La dévalaison peut être assurée par des mesures de gestion telles que l’arrêt du turbinage et l’ouverture des vannes lors des pics de dévalaison de l’anguille notamment, ou encore telles que le piégeage-transport ou un abaissement de la retenue. La mise en place d’une mesure d’arrêt de turbinage dépend très fortement de la possibilité de cibler les pics de dévalaison afin de réduire au maximum les pertes énergétiques.» 

La circulaire envisage donc principalement les ouvrages équipés en hydroélectricité (ou pompage). Qu’en est-il déjà de la dévalaison pour les seuils sans équipement ?

Dans l’ouvrage classique consacré au franchissement piscicole, Michel Larinier et ses collègues observent que les poissons de taille inférieure à 10-13 cm ne subissent aucun dommage quelque soit la hauteur de chute, et que les poissons de taille supérieure risquent des lésions lorsque la vitesse d’impact acquise pendant la chute dépasse 15-16 m/s, soit des hauteurs de chute importante — pour un poisson de taille supérieure à 60 cm, il faut par exemple 13 m de chute pour atteindre la vitesse critique. (Larinier et el 1999)

La plupart des obstacles à l’écoulement de Bourgogne ayant des tailles modestes (moins de 2 m, et jamais plus de 5 m en dehors des ouvrages VNF), le risque de blessures par choc paraît donc très faible. Un simple déversoir suffit à la dévalaison.

Pour les ouvrages possédant un équipement hydromécanique, l’adaptation dépend de chaque site. Les roues et vis d’Archimède sont considérées comme ichtyocompatibles car leur vitesse de rotation est très lente, et les tests n’ont pas montré de mortalité ou morbidité (voir par exemple Hydrauxois 2013 pour les vis d’Archimède). Pour les turbines, dont la mortalité piscicole induite est proportionnelle à la vitesse de rotation, un système grille-exutoire permet de guider le poisson vers une zone non létale (voir Courret et Larinier 2008).

Et dans le cas de la montaison ?
Dans certains cas, la mise en place d’un dispositif de montaison sera nécessaire. On les appelle des passes ou échelles à poissons, pour les ouvrages de taille modeste (jusqu’à 5 mètres environ). On trouve de nombreux guides en ligne : par exemple en référence Aigoui et Dufour 2008, Larinier et al 1999, Larinier et el 2006 (les liens mènent aux pdf ou aux pages où l'on peut charger les pdf).

Pour retenir l’essentiel :

• On peut concevoir des passes dites naturelles ou rustiques, consistant à construire un bras de rivière artificiel partant de l’amont de l’obstacle et rejoignant l’aval. Ce bras est enroché afin de casser la puissance de l’écoulement et permettre au plus grand nombre d’espèces de l’emprunter. Sa pente est typiquement située entre 2 et 4% pour les espèces présentes en Côte d’Or.

• Quand le terrain ne s’y prête pas, on construit une passe à poisson au niveau de l’ouvrage formant obstacle au franchissement. La passe, généralement en béton, peut être à bassins successifs, à échancrures latérales ou à ralentisseurs, le premier modèle étant le plus indiqué pour les espèces de Côte d’Or. La conception de ces passes dépend principalement de la capacité de nage (croisière, pointe) et de saut des espèces concernées.

• Les anguilles demandent des passes spécifiques, dont la pente peut être forte (30-40%) mais dont le fond doit être garni de rugosités (brosses, macroplots) permettant la montée. Néanmoins, ces dispositifs conviennent mieux aux jeunes anguilles (civelles, anguillettes) et pour les anguilles adultes (cas de la Côte d’Or), il peut être plus simple d’adapter la passe « tout poisson » si elle est prévue.

• Ces passes doivent être conçues en fonction des contraintes hydrologiques (persistance d’un tirant d’eau à toutes les hypothèses de débit saisonnier de la rivière) et écologiques (attractivité de l’entrée de la passe). Elles doivent être entretenues, principalement pour les embâcles et les engravements qui provoquent le colmatage de l’entrée ou des bassins intermédiaires.

Ce que l’autorité en charge de l’eau doit produire sur le département (et mettre à disposition de chaque maître d’ouvrage)
La circulaire d’application insiste à plusieurs reprises sur le caractère «proportionné» des aménagements, et elle spécifie que l’on doit analyser les enjeux réels de cours d’eau comme les bénéfices attendus.

Une analyse détaillée de ces enjeux sur chaque ouvrage devra nécessairement être éclairée par les mesures de qualité de la masse d’eau que l’administration doit mettre à disposition des propriétaires, et qu’elle est censée avoir réalisées aussi bien pour le rapportage de la Directive-cadre sur l’eau que pour la constitution du classement lui-même.

Pour ce qui est en particulier de la circulation des poissons, l’Onema doit produire sur chaque masse d’eau — en priorité les masses d’eau classées — l’ensemble des relevés de pêche ayant permis de constituer l’Indice poisson rivière, qui est la mesure de la qualité piscicole. Ces relevés permettent déjà au maître d’ouvrage de connaître les espèces présentes dans le tronçon concerné, notamment lorsque le classement est imprécis (comme pour les cyprinidés rhéophiles sans plus de détail, par exemple). Ils autorisent également à comparer la fréquence des poissons et la qualité IPR selon le taux d‘étagement des rivières similaires, donc à identifier avec plus de précision les espèces sensibles aux seuils et les gains attendus.

Il est également nécessaire, comme cela a été fait en Haute Seine, que les pressions anthropiques sur chaque masse d’eau soient identifiées, en particulier celles qui affectent les populations piscicoles : le bénéfice réel d’une restauration de continuité écologique dépend toujours des autres facteurs dégradant la qualité de l’eau et limitant l’espoir d’une reconquête du tronçon par les poissons. Cela fait partie de la «proportionnalité» de l'aménagement au sens de la circulaire d'application.

Concernant la morphologie, l’autorité en charge de l’eau doit produire la description de chaque tronçon et en particulier les informations sur les substrats, les types d’écoulement, l’état des berges, la présence de frayères, caches et annexes hydrauliques. Seule une cartographie complète aval/amont permettra d’estimer au mieux les aménagements nécessaires sur chaque ouvrage.

Enfin pour la cohérence hydrographique, il serait nécessaire de disposer à l’échelle de chaque bassin et depuis la rivière principale (ordre de Strahler le plus élevé) des axes de continuité envisagés et des points noirs persistants en l’absence de classement de certains tronçons (typiquement les chutes naturelles et les barrages VNF, plus généralement les obstacles dont l’aménagement ne sera pas assuré sur la période 2013-2018 d’exécution de l’arrêté).

Une garantie de succès : des dispositifs simples, efficaces et peu coûteux
Comme notre association et ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 l’ont relevé dans le dossier Continuité écologique en Côte d’Or, une condition évidente du succès de la continuité dans le domaine piscicole sera la capacité à mettre à disposition des maîtres d’ouvrage des équipements efficaces, à moindre coût et à moindre entretien.

En soi, assurer un débit minimum biologique le plus transparent possible en montaison et en dévalaison ne poserait pas de difficulté particulière si les travaux des chercheurs, ingénieurs et techniciens avaient conduit à définir progressivement des solutions abordables.

Mais c’est plutôt l’inverse qui s’observe : le problème principal des ouvrages de franchissement est l’anormale dispersion des coûts observés sur les chantiers et, globalement, le coût moyen très élevé au mètre de chute (entre 30.000 et 80.000 euros selon les études). Les passes les plus fréquentes car les plus adaptées à un grand nombre d’espèces — en bassins successifs — ne sont en définitive que des blocs de béton : que, pour des ouvrages modestes entre 1 et 5 m, leur prix puisse couramment dépasser celui d’une berline, voire d’une maison individuelle est tout simplement incompréhensible du point de vue des matériaux mobilisés. Et inacceptable pour les maîtres d’ouvrages comme pour les dépenses publiques (quand la passe bénéficie d’une subvention, ou d'une indemnité si la charge de construction est jugée spéciale et exorbitante, comme le prévoit l'art 214-17 C env.).

Il importe donc de mener une enquête publique sur l’ensemble des passes installées, afin de comprendre l’origine exacte de la dispersion des coûts, d’identifier le juste prix des prestataires (bureaux d’études ou maîtres d’œuvre) et de définir les solutions qui présentent le meilleur ratio coût-efficacité. Ni l’opacité (des dépenses non justifiées par des bénéfices environnementaux non mesurés) ni l’arbitraire (des positions variables de l’administration d’une rivière l’autre en France) ne seront de mise si l’on souhaite que la franchissabilité piscicole soit assurée dans les meilleures conditions sur la période 2013-2018.

Enfin, notre association comme ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 conseille à tous les maîtres d'ouvrage de profiter de ces travaux de modernisation écologique pour installer une production hydro-électrique: avoir toutes les contraintes d'aménagement et entretien de son site sans avoir les avantages d'une production n'est pas une situation très avantageuse. De surcroît, un projet hydro-électrique ouvre droit à diverses subventions. Que les moulins et petites usines retrouvent ainsi leur vocation à l'heure de la transition énergétique sera la meilleure garantie d'une attention du maître d'ouvrage à l'ensemble des paramètres de la rivière, dont la continuité écologique.

Inversement, accepter d'effacer son ouvrage hydraulique représente une perte importante pour le propriétaire (disparition du droit d'eau attaché au bien, dégradation du miroir d'eau de la retenue et de la valeur paysagère) et des risques non mesurés (changement des régimes de crue et étiage, effets sur le bâti). Le choix de l'effacement est toujours possible, mais la perte de valeur du bien va généralement au-delà de la subvention consentie par l'Agence de l'eau (ne finançant qu'une partie des travaux en rivière et ne prévoyant rien pour indemniser le maître d'ouvrage).

Références
Aigoui F et M Dufour (2008), Guide des passes à poissons, VNF CETMEF.
Courret Larinier M (2008), Guide pour la conception de prises d’eau ‘ichtyocompatibles’ pour les petites centrales hydroélectriques, Ademe-Onema-Cemagref
Hydrauxois (2013), La vis d'Archimède. De l'irrigation antique à l'énergie moderne, 18 p.
Larinier M et al (1999), Passes à poissons. Expertise, conception des ouvrages de franchissement, Collection Mise au point.
Larinier M et al (2006), Guide technique pour la conception des passes à poissons ‘naturelles’, Rapport d’étude. 67p
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de la Seine, Piren Seine.

Illustrations : Wikimedia Commons (de haut en bas CMGLee, Harke, sans auteur)