31/08/2014

Vallée du Cousin: la destruction des seuils de moulins coûte deux fois plus cher que leur aménagement écologique

Le Parc naturel régional du Morvan bénéficie d'un contrat LIFE+ pour la restauration écologique du Cousin Aval. Sur la période 2011-2015, le contrat est de 3,2 millions d'euros. Soit une somme considérable, et une somme prélevée sur l'argent public.

Comme notre association l'a montré dans ses précédentes publications (voir ci-dessous), les seuils des moulins du Cousin représentent une altération modeste des écoulements, et rien ne démontre à ce jour qu'ils sont les principaux responsables de la raréfaction des truites et des moules perlières. Ces deux espèces étaient présentes dans la rivière au XIXe siècle, alors même que tous les moulins étaient déjà en place depuis 150 à 400 ans. Il est reconnu que les seuils du Cousin Aval ont des hauteurs modestes et un impact proportionné. On est très loin des grands ouvrages hydrauliques et infranchissables.

Un faible impact écologique, une vraie valeur patrimoniale et touristique, 
un potentiel énergétique
Ces moulins, s'ils ne représentent pas une grave atteinte à l'écologie et la morphologie du Cousin, sont en revanche partie intégrante du paysage de la vallée et du patrimoine historique de l'Avallonnais. Ils représentent par ailleurs un certain potentiel énergétique, à l'heure où le Ministère de l'Ecologie a décidé d'appuyer sur l'accélérateur en ce domaine et de créer des "emplois verts".

Le Parc du Morvan a demandé au bureau d'études BIOTEC de proposer une stratégie de restauration. Dans 9 cas sur 24, le bureau d'études a proposé des solutions alternatives : soit la destruction complète du seuil de moulin, soit son aménagement par une passes à poissons (ou une rivière de contournement). Il va de soi que, compte-tenu du fort intérêt patrimonial et énergétique des moulins, notre association préfère le choix de l'aménagement non destructif, qui a pour vertu d'améliorer la circulation des truites, espèce hôte des larves de moules perlières.

Mais ce choix est-il économique ?

Comme le montre l'estimation de BIOTEC dans le tableau ci-dessus (travaux seuls, hors coût de dossier, avec chois de la solution la plus ambitieuse dans chaque cas), la destruction des 9 seuils para arasement ou dérasement représente un coût de 845 k€ alors que leur aménagement écologique représente un coût de 410 k€. Autrement dit la destruction, qui a de nombreux désavantages, est aussi l'option la plus dépensière: deux fois plus coûteuse.

Pourquoi pousser à la destruction du patrimoine hydraulique?
On doit donc sans regret favoriser les solutions de franchissement piscicole, et profiter des économies ainsi réalisées pour améliorer d'autres aspects de la morphologie et de l'écologie de la rivière. Et pour aider les collectivités à lutter contre la pollution chimique du Cousin et de ses affluents.

Hélas, plusieurs adhérents et riverains nous ont prévenu que le Parc du Morvan refuse dans certains cas le financement des passes à poissons, préférant le choix le plus destructeur (ou abandonnant le maître d'ouvrage à ses problèmes, sans lui faire bénéficier du financement très généraux de LIFE+ et sans améliorer du même coup l'état écologique du site).

Notre association aura l'occasion de revenir sur ce problème manifeste de gouvernance, auprès des médias et dans une réunion d'information en septembre. Nous verrons dans un prochain article la question du potentiel énergétique des 24 sites, question qui a malheureusement été totalement délaissée.

Autres études sur le Cousin
Les moulins du Cousin et les truites
Les moulins et les moules perlières

29/08/2014

Transition énergétique: le message de Ségolène Royal aux agents de l'Etat

A l'occasion du séminaire de travail de Madame la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, avec les directrices et directeurs départementaux et régionaux du ministère (DDT, DREAL) et les directrices et directeurs de l’Agence de l’Environnement et de l’Energie (Ademe), Ségolène Royal a tenu les propos suivants :

1) la mutation énergétique n’est pas une contrainte à subir mais une chance à saisir et la clef de ce que, pour le dire vite, j’appellerai une vraie sortie de crise. Il faut donc, de toutes nos forces, accélérer le mouvement pour obtenir des résultats;  
2) il faut un cadre clair à l’action conjointe des citoyens, des entreprises, des collectivités et de l’Etat et en finir avec les usines à gaz procédurales, fussent-elles inspirées par les meilleures intentions : clarifier n’est pas alourdir les pressions réglementaires, fiscales et autres qui dissuadent d’agir alors que, dans l’action publique, c’est le pouvoir d’impulsion qui doit l’emporter, au service de la protection de l’environnement et des personnes;  
3) d’où l’importance de mettre en place des outils concrets et des aides incitatives accessibles à tous, qui permettent à chacun de s’impliquer et d’y trouver un bénéfice.  
4) Simplifier, innover et faciliter pour entraîner : tels sont, à mes yeux, les maîtres-mots de la démarche à mettre en œuvre avec le renfort de la loi, avec l’appui du Ministère et grâce à votre implication dans tous les territoires. 

Avec tous les acteurs de la petite hydro, nous aurons à coeur de rappeler dans les prochains mois ces engagements. Car pour le moment, moulins et usines hydrauliques doivent affronter la réalité suivante :

  • remise en cause des droits d'eau et règlements d'eau qui fondent légalement l'usage de l'énergie hydraulique;
  • découragement fréquent à équiper les sites;
  • contrôles environnementaux systématiques et répétés (quand les gros pollueurs sont bien moins contrôlés);
  • menace de destruction des seuils et barrages sans lesquels il n'y a aucune puissance hydraulique;
  • financement totalement injuste en faveur de l'effacement des ouvrages;
  • exigences disproportionnées de franchissement piscicole qui plombe la rentabilité des projets ;
  • complexité des dossiers IOTA "loi sur l'eau", multiplicité des interlocuteurs sur un même projet;
  • opacité du contrôle règlementaire par l'Onema et les DDT-M.


On jugera donc la nouvelle orientation du Ministère de l'Ecologie aux actes sur le terrain, plutôt qu'aux paroles en séminaires...

28/08/2014

Un guide Onema 2014 sur la franchissabilité des obstacles par les poissons

L'Onema vient de publier dans sa collection "Comprendre pour agir" un guide complet sur l'évaluation du franchissement des obstacles à l'écoulement par les différentes espèces de poissons. Le guide a été conçu selon le protocole ICE (information sur la continuité écologique) partagé par les administrations, les acteurs de l'environnement, de l'eau et du territoire, les bureaux d'études, les chercheurs, ingénieurs et techniciens. Au sommaire de cet ouvrage de 200 pages : rappel sur la continuité écologique et l'ichtyofaune, énoncé des principes généraux du protocole ICE, diagnostic de la franchissabilité à la montaison, prédiagnostic pour les obstacles équipés de dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons de divers types).

La lecture de ce guide est très conseillée pour tous les maîtres d'ouvrages dont la rivière a été classée en liste 2 et qui ont une obligation d'aménagement à terme. En particulier, pour des rivières comme l'Armançon dont le principal enjeu migrateur de montaison est l'anguille adulte, on peut estimer que nombre de seuils présentent déjà des voies de reptation depuis l'aval, dont la pente et la rugosité sont à examiner de près selon les critères indiqués dans le guide.

Référence : Onema, Baudouin JM et al (2014), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes, 202 p. (Si le téléchargement est long, essayez cet autre lien direct sur le site Onema).

01/08/2014

Aménagement de la vallée du Cousin: les moules souffrent-elles des moulins?

Après un premier travail consacré à la truite fario, la deuxième étude de notre association sur le Cousin aval est dédié à la moule perlière. En voici les principales conclusions. Elles ne justifient en rien la pression actuelle des animateurs du Parc naturel régional du Morvan (et des autorités en charge de l'eau) pour détruire les seuils de la rivière, effaçant l'histoire, le paysage et le potentiel énergétique de la vallée avallonnaise sans gain important pour l'environnement. Nous reviendrons prochainement sur les graves problèmes de gouvernance dans l'action du PNR Morvan.

• Jadis présente en grande quantité dans les bassins à socle cristallin des rivières françaises et européennes, la moule perlière a été progressivement décimée par des pêches surabondantes, des modifications des écoulements et des berges, et surtout par des pollutions chimiques diffuses ou concentrées, pollutions auxquelles l’espèce est très sensible.

• Les populations de moules perlières du Cousin sont attestées par des observations au XIXe siècle, mais leur signalement est alors noté comme récent et leur population paraît déjà peu nombreuse. On ignore l’évolution démographique locale de cette population.

• Les moulins, leurs retenues et leurs biefs ne constituent pas des milieux particulièrement hostiles à l’implantation de populations de moules perlières. Le ralentissement de l’écoulement peut avoir un rôle bénéfique dans certaines circonstances. 

• L’arasement des seuils de moulins du Cousin devrait être sans effet notable sur les populations de moules perlières dans la zone Natura 2000, car les facteurs dégradants ne sont pas liés au premier chef à la continuité longitudinale. Les études menées depuis une dizaine d’années suggèrent que les recalibrages du lit et les modifications de berges sont les premières causes d’évolution négative des populations. 

• Les pollutions d’origine agricole et domestique ont également eu un impact négatif. La charge en phosphore et phosphates est aujourd’hui localement supérieure à la tolérance des moules perlières en certaines zone du linéaire. 

• Enfin, le taux d’étagement de la zone du Cousin étudiée par le programme LIFE+ / PNR Morvan est de 21,6% (25,6 m de hauteur aménagée sur 118,4 m de dénivelé total), qui signifie globalement un faible impact. 

Référence
Hydrauxois-OCE (2014), Les moules perlières du Cousin Aval ont-elles disparu à cause des moulins et ont-elles la capacité de recoloniser la rivière ?, Restauration hydro-écologique de la Vallée du Cousin Aval, étude n°2, 13 p. 

27/07/2014

Hydro-électricité en Bourgogne: rencontres régionales BER-ADEME 2014

Pour plus d'informations et pour inscription, contactez Bourgogne Energies Renouvelables au téléphone (03.80.66.54.57), par courriel (visites@ber.asso.fr) ou courrier (BER, Tour Elithis, 1C boulevard de Champagne, 21000 Dijon).

21/07/2014

Pollution: l'état déplorable de certains bassins français

Une équipe française (EDF, CNRS-Université de Lorraine), suisse (Institut fédéral de science et technologique aquatique, Dübendorf) et allemande (Universités de Leipzig et de Coblence-Landau) vient de publier dans les PNAS une analyse des pollutions organiques sur 4000 sites européens disposant de mesures.

Parmi les principales conclusions de ce travail :

  • 223 composés chimiques sont identifiés en rivière ;
  • aux doses mesurées, ils présentent un risque toxique aigu (14% des cas) et chronique (42%) pour les invertébrés, les algues et les poissons ;
  • les substances les plus dommageables sont les pesticides, les tributylétain (TBT), les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les ignifuges bromés ;
  • l’effet cocktail (interaction et potentialisation des substances) n’a pas été modélisé, de sorte que l’évaluation de toxicité est éventuellement sous-estimée ;
  • toutes les substances artificielles chimiques ne sont pas analysées (notamment pas les molécules médicamenteuses à effet perturbateur endocrinien) et tous les sites n’ont pas la même qualité de mesure.

Le constat est donc celui d’un échec de la politique de qualité de l’eau, notamment en France comme le démontrent les cartes en illustration. On constate notamment que les bassins Seine-Normandie et Loire-Bretagne figurent parmi les plus pollués d’Europe occidentale.

Combien de temps va-t-on prétendre que la continuité écologique longitudinale est une mesure prioritaire pour l’atteinte du bon état écologique au sens de la Directive-cadre 2000 sur l’eau? Quand les Agences de l'eau et la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie vont-elles reconnaître la responsabilité de leur échec?

Il devient urgent de sortir de l’idéologie (ou du jeu des lobbies en Comités de bassin), de regarder ce que nous disent les mesures et d’agir en conséquence pour adresser les besoins prioritaires de nos rivières, et non l'absurde cosmétique des effacements d'ouvrages hydrauliques.

Référence : E. Malaj et al (2014), Organic chemicals jeopardize the health of freshwater ecosystems on the continental scale, PNAS, epub

Illustration : risques aigus (gauche) et chroniques (droite) pour les espèces d’eau douce dans les bassins fluviaux d’Europe occidentale et centrale. © PNAS

19/07/2014

Autre temps, autres mœurs: le rapport de Louis Suquet sur la Seine (1908)

On désigne par « perte » la propension d’un cours d’eau à voir disparaître son lit naturel par infiltration souterraine dans des zones calcaires (karstiques).  Lors des basses eaux (étiage), la rivière peut connaître des assecs complets sur une partie de son linéaire, qui alterne alors des pertes et résurgences.

Ce problème se pose depuis longtemps dans le bassin amont de Seine, en particulier autour de Châtillon-sur-Seine où la rivière, au débit peu soutenu en été, traverse des terrains géologiquement très perméables du Bathonien et de l’Oxfordien. La ville de Châtillon a procédé dès le début du XIXe siècle à une artificialisation du cours de la rivière (création d’un canal de dérivation), pour éviter les problèmes de salubrité liés au défaut d’eau, ainsi que le chômage complet de certaines usines et l’absence de ressource pour l’irrigation.  Mais le problème a néanmoins persisté.


Dans un rapport de 1908 (voir lien ci-dessous), Louis Suquet, ingénieur des Ponts et Chaussées, expose à M. le Maire de Châtillon-sur-Seine ses préconisations pour remédier aux pertes de la Seine.


Le document est très intéressant à lire, car il montre comment la création et la gestion des ouvrages hydrauliques concourent à un usage équilibré de l’eau. Sa lecture devrait intéresser les décideurs et techniciens du SICEC, syndicat de rivière désormais en charge du linéaire séquanien. La tendance actuelle à la « renaturation » des cours d’eau part de l’idée qu’on doit rendre aux rivières leur libre-cours. Hélas, les rivières font peu de cas des hommes, et leur libre-cours peut aussi bien signifier des crues en hiver que des sécheresses en été, toutes dommageables aux riverains et à leurs activités.

Comme le réchauffement climatique est par ailleurs appelé à modifier l’hydrologie, le Conseil scientifique de l’Agence de l’eau Seine-Normandie a récemment suggéré de réfléchir à deux fois avant d’effacer les ouvrages. Un conseil de bon sens, que M. Suquet n’aurait pas renié et que ses successeurs devraient méditer…

Référence : M. Suquet (1908), Etude sur les pertes de laSeine en amont de Châtillon-sur-Seine, 7 pages (pdf)

13/07/2014

La Bèze en lutte contre l'effacement de ses ouvrages hydrauliques

L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (AERMC) est réputée avoir des positions moins intégristes que ses consoeurs de Seine-Normandie et Loire-Bretagne, dont on sait hélas! l'ardeur à encourager et financer les seuls travaux de destruction absurde du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique de nos bassins versants. Mais c'est aussi parce qu'en Bourgogne et sur ce bassin rhodanien, il y a relativement peu de rivières classées en liste 2 de l'article 214-17 C env. Ce classement, rappelons-le, impose la correction des impacts écologiques des seuils et barrages avant 2017 ou 2018. Cette insistance sur les seuils et barrages n'est nullement une obligation européenne: c'est un choix franco-français, tenant à divers facteurs (positions très radicales de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie, attitude maximaliste de certains agents ONEMA, ententes cordiales entre certains lobbies pollueurs au sein des Comités de bassin, trop ravis de détourner l'attention sur les seuils pour continuer les pollutions chimiques, etc. Voir notre synthèse complète sur la Cöte d'Or et le rappel de ce qu'exige réellement la DCE 2000).

Un reportage intéressant de France 3 nous enseigne néanmoins que lorsqu'une rivière du bassin RMC est classée en L2, comme c'est le cas de la Bèze, les pratiques sont les mêmes qu'en Seine-Normandie ou en Loire-Bretagne : une forte pression pour la suppression des barrages par les syndicats et les agences. Le Syndicat Intercommunal du Bassin de la Bèze et de l'Albane a ainsi mandaté un bureau d'études pour analyser le cas de la poudrerie de Vonges et, comme c'est le cas sur toutes les autres rivières classées L2, la solution la plus destructive est celle retenue. Mais ce n'est du tout du goût des riverains.

Des propriétaires ayant des centrales hydro-électriques ou des projets de centrale sur la Bèze nous avaient déjà avertis qu'ils ont rencontré un discours assez radical de la part de la DDT et  de l'ONEMA, avec l'imposition de passes à poissions de plusieurs centaines de milliers d'euros, décourageant toute activité énergétique et dépassant évidemment la solvabilité des maîtres d'ouvrage. Ce chantage financier a pour seul but de contraindre les propriétaires à accepter la destruction. Il décourage totalement ceux qui ont envie de reprendre une activité de production électrique dans le cadre de la transition énergétique.

La Coordination Hydro 21, rassemblant les associations de défense du patrimoine et de l'énergie hydrauliques (APGBCO, ARPOHC, Hydrauxois), a rencontré le cabinet du préfet de Côte d'Or à la fin de l'année 2013 pour demander de toute urgence une concertation sur cette politique désastreuse, qui rencontre une hostilité croissante sur les rivières et les biefs. Malgré la promesse que le directeur territorial nous rencontrerait rapidement, on attend toujours. Faut-il en venir au contentieux, voire au conflit, pour être entendu ? Ce serait dommage.

09/07/2014

Moulin du Boeuf en lutte !

Le dimanche 28 juin, une bannière a été posée sur le Moulin du Boeuf à Bellenod-sur-Seine. Cette propriété de M. Bouqueton est le symbole de l'acharnement actuel des autorités en charge de l'eau en vue de détruire les ouvrages hydrauliques et les droits d'eau qui leur sont attachés. Le cas est désormais en contentieux au tribunal administratif. Le nombre croissant de propriétaires qui rejoignent les associations de la Coordination Hydro 21 et leurs consoeurs de Bourgogne suggère la nécessité d'une vraie concertation collective sur les rivières, pour le moment absente. Nous avions déposé un dossier de travail au cabinet de la préfecture de Dijon, en copie à la DDT : aucune suite n'a été donnée à nos demandes d'information. De la même manière, les nombreuses réflexions contenues dans notre dossier complet sur la continuité écologique n'ont fait l'objet d'aucun retour de la part de la DDT, de l'Onema, ni des syndicats de rivières, des agences de l'eau ou des autorités politiques en charge de l'environnement. Nos documents sont publics : chacun peut donc juger sur pièce, et constater que les associations sont force de proposition, mais qu'elles rencontrent un silence hostile. L'absence volontaire de concertation est donc largement caractérisée, et si elle devait persister, les tribunaux seront saisis pour la sanctionner.


06/07/2014

Les Rencontres hydrauliques dans le Bien Public

Compte-rendu très fidèle de nos Rencontres dans le Bien Public (édition du 6 juillet 2014). Un grand merci à tous les participants, à la Commune de Semur-en-Auxois et aux exposants professionnels : Green City Energy, Watec Hydro / Ercisol, Turbiwatt, Hydreo Engineering. La date des prochaines Rencontres est déjà connue, dernier week-end de juin comme chaque année, soit les 27-28 juin 2015. Nous comptons sur vous tous qui nous lisez pour nous rejoindre et pour renforcer la belle dynamique créée depuis 2 ans.

27/04/2014

Un guide Onema pour le débit minimum biologique

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5%). Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau. Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

L'Onema a édité un guide technique pour assurer le débit minimum. Le document est intéressant, il rappelle les formules hydrauliques permettant le calcul du débit dans les différents dispositifs : échancrure, déversoir à mince ou large paroi, orifice et ajutage, ouverture en fond de vanne guillotine, modules à masque… Tous les moyens sont possibles pourvu que le débit soit exact dans son calcul, et garanti quand la rivière est à l'étiage. Gare aux contrôles !

En l'absence de production, et s'ils n'ont pas eu le temps de concevoir un dispositif spécifique, les moulins doivent fermer à l'étiage (ou en basses eaux) les vannes ouvrières en entrée de bief ou de chambre d'eau, éventuellement fermer les directrices de la turbine en chambre si c'est le seul dispositif de contrôle du débit amont. Dans ce cas, le débit de la rivière passera entièrement sur le déversoir.

Référence : Baril D., Courret D., Faure B., (2014), Note technique sur la conception de dispositifs de restitution de débit minimal, 23 p. (lien pdf)

Illustration : orifice en vanne, dénoyé à l'aval. © Onema

21/04/2014

Les moulins de Côte d’Or et de Bourgogne en 1809

En 1809, le Ministère de l’Intérieur du premier Empire napoléonien demande aux préfets d’établir par départements une statistique des moulins à blé. Ce travail, connu sous le nom de "statistique impériale", offre de précieuses informations sur l’état de la meunerie française à l’aube des Temps Modernes (cf. Rivals 2000).

953 moulins à eau en Côte d’Or, 3528 en Bourgogne
Quel était l’équipement en moulins de notre département et de notre région ? La statistique de 1809 nous apprend que la Côte d’Or comptait 953 moulins à eau (et 43 moulins à vent). Parmi les moulins à eau, 890 avaient une roue verticale (soit 93,4%) et 63 une roue horizontale.

Le département bourguignon le mieux pourvu n’était pas la Côte d’Or, qui arrive en 2e position, mais la Saône-et-Loire avec 1421 moulins à eau. Tous étaient ici à roue verticale. Vient ensuite la Nièvre avec 584 moulins à eau (dont 24 à roue horizontale), puis l’Yonne avec 570 moulins à eau (dont 37 à roue horizontale).

Au total, la Bourgogne de 1809 totalise donc 3528 moulins à eau. Si la densité peut paraître impressionnante, la Bourgogne est cependant loin d’être la région la mieux pourvue. A nombre de départements et superficie à peu près équivalents, l’Auvergne compte par exemple 5936 moulins en ce début de XIXe siècle. Les deux Normandie, pourtant peu montagneuses, totalisent 5114 moulins. La Franche-Comté voisine affiche 3603 moulins à eau, sur ses trois départements du Doubs, du Jura et de la Haute Saône.

Une décroissance progressive au cours des deux derniers siècles
Concernant la Côte d’Or, il est intéressant d’analyser l’évolution dans le temps des moulins (puis usines hydrauliques) en activité. Dans la statistique des moteurs hydrauliques de 1899, le nombre d’établissement est de  568. Le relevé de la taxe de statistique de 1921 précise que 451 moulins et usines sont encore en activité.

On observe donc une décroissance progressive des moulins en activité. Cette tendance s’explique par l’évolution technique de la meunerie, qui fut toujours de très loin la première activité de production associée aux moulins, et notamment par la généralisation de l’énergie fossile, d’abord sous la forme de la machine à vapeur (« pompe à feu ») alimentée au charbon,  puis du moteur électrique dont l’énergie primaire sera fournie indifféremment par le charbon, le pétrole (fioul) ou le gaz.

Enseignements énergétiques et écologiques
Si nos ancêtres ne connaissaient pas les lois de la mécanique des fluides ou de l’hydraulique, ils possédaient néanmoins une expérience des usages de l’eau datant de la première révolution industrielle du Moyen Âge central, celle qui vit l’éclosion cistercienne dans nos contrées et la généralisation de la roue hydraulique. Cela signifie que les 3528 sites bourguignons équipés en 1809 étaient exploités car ils présentaient un intérêt énergétique justifiant le coût important de l’implantation d’un moulin.

C’est une bonne nouvelle dans la perspective contemporaine de la transition énergétique, car ces 3528 moulins historiques sont autant de  sites potentiels pour l’implantation de micro-centrales hydroélectriques au fil de l’eau.

Du point de vue écologique, l’analyse des statistiques historiques n’est pas moins intéressante. Elle montre en effet que l’impact morphodynamique et piscicole de la micro-hydraulique au fil de l’eau a tendanciellement baissé (et non augmenté) au cours des deux derniers siècles. Il est difficile dans ces conditions d’attribuer aux moulins la responsabilité de la dégradation récente (essentiellement à partir de la seconde moitié du XXe siècle) de la qualité chimique, physique et biologique des cours d’eau bourguignons (ou français).  Quand on analyse la dynamique de peuplement de certaines espèces repères, comme la truite, l’anguille ou l’écrevisse, on constate qu’il n’existe pas de corrélation avec la présence des moulins sur la rivière (voir cet exemple pour les écrevisses et cet exemple pour les truites).

Référence : Rivals Claude (2000), Le moulin et le meunier, 2 volumes, éditions Empreinte.

Illustrations : en haut, moulin à eau dans l’Encyclopédie ; en bas, l’ancien Foulon Marmillot à Semur-en-Auxois (rivière Armançon), un exemple de site abandonné depuis 1809 où la rivière a repris ses droits.

Autres articles sur Hydrauxois :
Moteurs hydrauliques en Côte d’Or : la Statistique de 1899
Moulins et usines hydrauliques en Côte d’Or : la Statistique de 1921
Potentiel micro-hydraulique en Côte d’Or à l’heure de la transition énergétique

05/04/2014

Le taux de retour énergétique (EROEI) de l’énergie hydraulique

Nous avons déjà rapporté les travaux de chercheurs montrant que l’énergie hydraulique possède le meilleur bilan carbone et le meilleur bilan matières premières de toutes les sources d’énergie électrique. Voici une nouvelle donnée, concernant le taux de retour énergétique, appelé EROEI (energy return on energy invested). Le EROEI se calcule par  la quantité d’énergie que l’on produit sur le cycle de vie d’un dispositif divisée par la quantité d’énergie nécessaire à la construction, la maintenance et le démantèlement du dispositif.

Rappelons qu’en soi, l’énergie est partout dans la nature. Le problème qui se pose aux sociétés humaines est de mettre au point des équipements qui captent une quantité suffisante de cette énergie pour satisfaire les besoins tout en ayant un minimum d’impacts sur les milieux et sur la santé. Nous pouvons tous pédaler pour produire notre électricité, mais le taux de retour (EROEI) de cette solution sera très faible et le temps que nous pédalons, nous ne pourrions pas faire grand chose d’autre ! De même, nous pouvons mettre des biocarburants partout pour remplacer le pétrole, mais il n’y aura plus assez de surfaces agricoles pour les cultures alimentaires, avec de surcroît un effet négatif sur la qualité du sol et de l’eau.

L’EROEI est donc une donnée importante pour savoir si une source d’énergie est vraiment intéressante et soutenable dans la durée. Deux auteurs américains ont fait une synthèse d’une vingtaine de travaux existant sur l’EROEI. Le résultat est donné dans le schéma ci-dessous.

On le voit : l’énergie hydraulique a de très loin le meilleur EROEI de toutes les sources analysées ! Elle dépasse le charbon, qui est l’une des sources les plus polluantes de chaleur et d’électricité, mais aussi les hydrocarbures, le nucléaire et les autres énergies renouvelables (d’un facteur 10 à 20). La raison de ce remarquable taux de retour énergétique ? L’énergie hydraulique est simple à mettre en œuvre et utilise des matériaux robustes. Son génie civil, s’il est bien conçu, franchit sans problème les décennies, voire les siècles (comme en témoignent les 60.000 moulins encore présents sur nos rivières).

Il faut souligner que ce calcul concerne l’hydro-électricité continentale (fil de l’eau et retenue), et non pas l’hydraulique maritime. En effet, les dispositifs visant à exploiter l’énergie des mers (courant, houle, marées, etc.) ont un rendement inférieur (la plupart ne récupère que l’énergie cinétique), mais un coût d’installation, maintenance et démantèlement supérieur, ainsi qu’un coût notable de distribution (ligne HT à construire sur les côtes).  L’EROEI de l’hydraulique maritime serait donc plus faible, même si son potentiel total est plus important.

Source : Murphy DJ, Hall CAS (2010), EROI or energy return on (energy) invested, Ann NY Acad Sci, 1185, 102–118

Note : à juste titre, Davis Murphy et Charles Hall soulignent que l’EROEI reste un indicateur très peu utilisé par les pouvoirs publics et les décideurs en général, alors qu’il exprime le véritable rendement d’une énergie dans une logique de développement durable. Le calcul de l’EROEI n’est donc pas unifié à ce jour (ce qui ne change pas les ordres de grandeur indiqués ci-dessus). La non-prise en compte de l’EROEI  aboutit à subventionner des énergies qui ont un taux de retour nul ou très faible (par exemple le biocarburant à base de maïs, qui dépense autant de pétrole qu’il n’en économise). Ou à ignorer les énergies dont le développement devrait être prioritaire, ce qui est le cas de l’hydroélectricité.

23/02/2014

Qualité piscicole de la Tille et réflexions sur l'Indice poissons rivière (IPR)

La France doit répondre devant l’Union européenne de la qualité chimique et écologique de ses rivières (directive-cadre sur l’eau 2000, DCE 2000). Dans le compartiment biologique, la qualité piscicole d’un cours d’eau est mesurée par l’Indice poissons rivière (IPR). L’IPR consiste à mesurer l’écart entre la composition du peuplement sur une station donnée, observée à partir d’un échantillonnage par pêche électrique, et la composition du peuplement attendue en situation de référence, c’est-à-dire dans des conditions très peu ou pas modifiées par l’homme.

Dans le cadre de la réalisation d’une étude d’opportunité hydro-électrique pour la Commune de Rémilly-sur-Tille, notre association a été amenée à rechercher les IPR disponibles pour la Tille (photo ci-dessous, la rivière en aval du barrage communal).


Quelques rappels préalables sur cette rivière : son bassin versant (1300 km2) est à 90% situé sur la Côte d’Or et 10% sur la Haute Marne. La rivière a un linéaire total de 82,7 km de sa source à la confluence avec la Saône. L’Ignon, la Venelle et la Norges sont les principaux affluents de la Tille. Ce bassin versant est l’objet de cultures céréalières et parfois d’occupations humaines denses (région dijonnaise, sous-bassin de la Norges).

Du point de vue des ouvrages hydrauliques, le bassin versant de la Tille comptait 81 ouvrages à l’époque des relevés de Cassini (XVIIIe siècle), pour 69 aujourd’hui. Sur la Tille même, le nombre d’ouvrages s’établit à 25 (SOGREAH 2010).

Sur 9 données IPR, 7 indiquent une qualité bonne ou excellente
Sur la période 2001-2011, dont les données sont publiquement disponibles, on compte 9 relevés de l’Indice poissons rivière sur la Tille : à Marey-sur-Tille en 2006, à Cessey-sur-Tille en 2008 et 2010, à Til-Châtel en 2007, 2009 et 2011, à Champdôtre en 2007, 2009 et 2011.

Le graphique ci-dessous montre les scores IPR correspondant. Sur ces 9 scores IPR, 2 sont en qualité mauvaise, 5 de qualité bonne, 2 en qualité excellente. Les stations de Champdôtre (à l’aval) et de Til-Châtel (à l’amont) sont notamment en qualité bonne ou excellente sur toutes les mesures.


En faisant hypothèse que le score IPR est un reflet précis de la qualité piscicole d’une rivière, on peut observer que la forte présence historique et actuelle des ouvrages hydrauliques n’est pas associée à une dégradation importante de la rivière. En particulier, la bonne qualité piscicole à Til-Châtel (amont) est notable : la plupart des ouvrages hydrauliques de la Tille étant considérés comme infranchissables (plus de 0,5 m), on aurait dû observer un gradient de dégradation de plus en plus marqué vers la source, avec des espèces pouvant dévaler mais non remonter. Or, il n’en est rien.

On observe en passant  un problème : doit-on exiger pour la qualité piscicole au sens de la DCE 2000 un IPR bon ou excellent sur chaque point de mesure d’une rivière? Ou peut-on tolérer que l’indice soit bon à certains endroits et mauvais à d’autres? A-t-on vérifié lors de la construction de l’IPR la variation spatiale naturelle de la biomasse et de la biodiversité? On imagine aisément que chaque hectare de cours d’eau ne comporte pas exactement la même répartition ni la même densité d’espèces, donc la mesure pour être précise doit intégrer une marge d’erreur ou une échelle qualitative d’incertitude.

Mais on peut faire une autre hypothèse, à savoir que l’IPR est un indice problématique d’évaluation de la qualité d’une rivière.

Quand on regarde de plus près les scores, on s’aperçoit en effet qu’ils peuvent varier presque du simple au double sur une courte période de temps : de 17,0 à 10,2 à Cessey-sur-Tille entre 2008 et 2010, de 11,9 à 6,4 entre 2009 et 2011 à Champdôtre.  La mesure d’une grandeur doit être proportionnée à sa variabilité spatiale et temporelle : si une population de poissons est stable, une mesure rare (par exemple annuelle ou quinquennale) suffit à l’estimer ; si elle présente une forte variabilité (naturelle ou forcée par un facteur externe quelconque), la fréquence de la mesure doit être augmentée. Le seul moyen de mesurer cela est de constituer des séries assez longues pour analyser la variance et l’écart-type des résultats, leur dispersion étant la mesure de stabilité du phénomène (et/ou de la robustesse de l’indice censé quantifier le phénomène).

Questionner la notion de "peuplement naturel" de référence
La présente étude amène donc à questionner le rôle exact des obstacles à l'écoulement dans l'évolution de la qualité piscicole. Mais elle conduit aussi à s'interroger sur la valeur de l'Indice Poissons Rivière.

Les tentatives de classement des cours d'eau sont anciennes (voir Wasson 1989 pour une revue en langue française). La plus ancienne est la capacité biogénique de Léger (1909), la plus récente l'IPR (2001) et entre celles-là on trouve de nombreuses autres d'autres : les niveaux de Ricker (1934), les quatre zones de Huet (1949) rapportées à la largeur, profondeur et pente, les trois zones benthiques d'Ilies et Botosaneanu (1963), les 10 niveaux biotypologiques de Verneaux (1976), etc.

Le dernier indice en date est l'IPR (en anglais FBI pour Fish Based Index), mis au point entre 1996 et 2001, normalisé AFNOR en 2004 et choisi pour répondre aux exigences d'analyses biologiques de la directive-cadre européenne sur l'eau. Du point de vue méthodologique, l'IPR ne se distingue guère de ses prédécesseurs. «La version normalisée de l’IPR prend en compte 7 métriques différentes. Le score associé à chaque métrique est fonction de l’importance de l’écart entre le résultat de l’échantillonnage et la valeur de la métrique attendue en situation de référence. Cet écart (appelé déviation) est évalué non pas de manière brute mais en terme probabiliste  (…) Les modèles de références ont été établis à partir d’un jeu de 650 stations pas ou faiblement impactées par les activités humaines et réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain.» (Belliard et Roset 2006, voir aussi Oberdorff et al 2001 et 2002 pour la construction).

La notion de même de « zone » cohérente de grande dimension a été activement critiquée et fait toujours l'objet de débats théoriques en écologie des milieux aquatiques. La succession  rapide des « échelles de mesure » dans chaque pays et les critiques que chacune d'elles soulève invariablement – y compris l'IPR qui, à peine normalisé, est entré en phase de révision –  suggère une interrogation plus fondamentale sur la capacité de toute échelle à permettre une comparaison efficiente entre deux masses d'eau ou même deux stations d'une même masse d'eau.

Chaque biotypologie ou zonation identifie des paramètres qui influent bel et bien le peuplement piscicole, même si cette influence varie. Mais la prédictibilité de la présence d'une espèce exigerait un modèle multiparamétrique d'une grande complexité puisque tous ces paramètres devraient y figurer, ainsi que toutes les interactions entre ces paramètres. Au final, cela revient à considérer que chaque rivière, voire chaque tronçon d'une rivière possède son identité physique, chimique, trophique, morphologique, etc. de sorte que la comparaison par étalonnage manque souvent son objet.

C'était déjà la conclusion tirée par H.B.N. Hynes dans une célèbre lecture à Stuttgart en 1975 où, ayant montré à partir de l'exemple d'un cours d'eau de vallée la chaîne des déterminations physiques de productions de particules minérales et organiques formant la base du système trophique, le chercheur concluait : «Ces relations sont importantes et elles sont si complexes qu'elles défieront la plupart des efforts. Elles rendent clair en revanche que chaque cours d'eau est comme un individu, et donc pas vraiment aisé à classifier» (Hynes 1975). En introduction,  il rappelait malicieusement «Dieu n'est pas plus taxonomiste qu'il n'est mathématicien, ce qui est une illusion écologique».

Depuis bientôt quarante ans que ces remarques ont été formulées, le débat n'est pas clos dans la communauté savante.

Une autre critique, sur le plan épistémologique, concerne l'idée même d'une "naturalité" du peuplement piscicole. De nombreux travaux ont montré (par exemple Tales 2009 en Seine-Normandie) que les espèces aujourd'hui présentes sur nos bassins hydrographiques sont très souvent importées par l'homme, et non pas "naturelles" au sens d'issues directement de l'état des cours d'eau au sortir de la dernière glaciation. De surcroît, viser la parfaite naturalité des cours d'eau ("renaturation") exigerait non seulement de supprimer les obstacles à l'écoulement, mais également de stopper l'intégralité des effluents agricoles, industriels et domestiques, les empoissonnements des fédérations de pêche, les canalisations, etc, bref d’éliminer toute présence et influence humaines.

En conclusion, à retenir
- Malgré la présence importante et ancienne d’ouvrages hydrauliques réputés infranchissables, la qualité piscicole de la Tille mesurée par l’IPR est, dans la majorité des mesures disponibles sur la période 2006-2011, «bonne» ou «excellente».

- Ce constat permet de douter de l’importance des seuils et barrages dans la dégradation des rivières, en particulier de leur volet piscicole. L’impact cumulatif des ouvrages aurait dû aboutir à un IPR mauvais sur l’ensemble du linéaire, ce qui n’est pas le cas.

- Le score d’IPR calculé au même lieu présente cependant une variance notable dans le temps, ce qui pose question sur la robustesse de l’indice et de sa mesure.

- Plus largement, les typologies de rivières présentent des biais méthodologiques et épistémologiques. Cela explique que, malgré plus d’un siècle de réflexion scientifique, aucune de ces typologies n’est parvenue à s’imposer pour ses qualités descriptives et prédictives.

- La notion même de «naturalité» d’un cours d’eau, qui est à la base des comparaisons paramétriques de l’IPR et des autres biotypologies, devrait être questionnée car toutes les civilisations sédentaires utilisent et modifient les masses d’eau depuis sept millénaires. Un indice conçu pour le rapportage à court terme à l’Union européenne devrait a minima inclure une pondération associée à la densité humaine de peuplement le long de la rivière, donnant une vision plus réaliste de ce qui est faisable ou non à l’horizon 2015, 2021 et 2027.

- Plus fondamentalement encore, certains hydrobiologistes considèrent chaque rivière comme un «individu» ayant des propriétés physico-chimiques et une histoire éco-biologique (incluant l’influence anthropique) singulières. Si cette hypothèse est exacte, normaliser la biomasse et la densité spécifiques attendues est un exercice dénué de sens.

- D'un point de vue très pratique, et pour les rivières classées en liste 2 en 2012-2013, la DDT et l'Onema devront produire les IPR disponibles aux maîtres d'ouvrages qui leur en font la demande. L'ambition des aménagements devant être proportionnée au gain environnemental attendu, une rivière en bon ou excellent état piscicole (au sens de l'IPR et de la DCE 2000) ne requiert pas des dispositifs très coûteux puisque la franchissabilité piscicole n'y est pas un facteur dégradant du bon état écologique. Dans les cas où l'IPR est mauvais, une analyse détaillée des causes de dégradation devra être produite par l'autorité en charge de l'eau.

Références
Belliard J, Roset N (2006), Indice Poissons Rivière (IPR). Notice de présentation et d’utilisation, CSP-Onema, 22 p.
EPTB Saône & Doubs (2010), Etat des lieux. Dossier de candidature au contrat de bassin de la Tille, 60 p.
Oberdorff TD et al (2001), A probabilistic model characterizing riverine fish communities of French rivers: a framework for environmental assessment, Freshwater Biology, 46, 399-415
Oberdorff TD et al (2002), Adaptation et validation d’un indice poisson (FBI) pour l’évaluation de la qualité biologique des cours d’eau français, Bull. Fr. Pêche Piscic, 365/366, 405-433.
Oberdorff TD et al (2002), Development and validation of a fish-based index (FBI) for the assessment of rivers “health” in France, Freshwater Biology, 47, 1720-1735.
SOGREAH – EPTB Saône & Doubs (2010), Restauration physique des milieux aquatiques et gestion des risques d’inondations sur le bassin versant de la Tille, 203 p.
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de Seine, CNRS programme Piren-Seine.
Wasson JG (1989), Eléments pour une typologie fonctionnelle des eaux courantes. I. Revue critique de quelques approches existantes, Bull Ecol, 20, 2, 109-127

04/02/2014

Continuité écologique: la goutte d’eau qui fait déborder le bief…

Nous avons reçu Sur le devant de la Seine, le bulletin d’information du Sicec (Syndicat intercommunal des cours d’eau du Châtillonnais) et de Sequana, contrat de rivière Seine Amont sur les bassins de Seine, Ource, Laigne, Aube, Sarce et Arce.

En pages 2 et 3, un article sur le classement des rivières et la continuité écologique. Le bulletin étant (notamment) financé par les fonds versés par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, et l’Agence de l’Eau Seine-Normandie étant (notoirement) championne dans la politique aveugle de destruction des seuils et barrages, le contenu de l’article est (évidemment) un éloge de l’effacement présenté comme "solution optimum"


Information ou propagande ?
A l’appui de cet «argumentaire», le dessin ci-contre. Qui résume à lui seul la vision totalement biaisée de nos interlocuteurs. On voit la rivière «en présence d’un ouvrage», et c’est évidemment la désolation : des poissons morts, des bouteilles vides, des boites de conserve, un tas de sédiments que l’on imagine à peu près aussi pollués qu’un site Seveso. Tout cela ayant évidemment pour cause le seuil en rivière. Seconde image : la même rivière sans son barrage. Et là, miracle : les poissons nagent dans une eau limpide d’où toute pollution a disparu.

Cette image est un pur exercice de désinformation.

Et un exercice que nous jugeons extrêmement regrettable pour un syndicat de rivière ayant pour mission une information objective des citoyens et des élus.

La réalité des seuils en rivière pour les meuniers et usiniers, ce sont des monceaux de détritus qui sont retirés par eux chaque année de l’eau, car récupérés dans leurs grilles de bief. Cette pollution, c’est nous, c’est vous, c’est la France entière qui prend ses rivières pour des poubelles. Des dizaines, des centaines voire des milliers de kilos de détritus. Demandez par exemple aux petits producteurs de l’Ouche à l’aval de Dijon, qui récupèrent toutes les immondices de la Préfecture et de son si peu écologique lac Kir. (Il est vrai que les anciens biefs de la Capital de Bourgogne furent pour la plupart asséchés par des «modernisateurs» avisés,  donc leurs héritiers et «décideurs» de nos rivières n’ont sans doute plus tellement la culture hydraulique des Navier, Bazin et Darcy).


Même dans les rivières les plus modestes, même à proximité de leurs sources, on trouve de tels déchets. Voilà ci-dessus la vérité des rivières, la vérité que ne veulent apparemment voir ni les syndicats, ni les agences de bassin ni les autorités en charge de l’eau. (Merci à Pascal qui a photographié ces ordures retirées de sa grille).

La réalité est donc à l'opposé du discours du Sicec : des seuils et biefs bien gérés contribuent à la qualité de l'eau.

Répéter 100 fois un mensonge n’en fait jamais une vérité…
Sur le fond, il est inacceptable de continuer à laisser croire que le seuils et barrages forment la première cause de dégradation des rivières. Répéter 100 fois un mensonge n’en fera jamais une vérité.

Il n’existe aucune base scientifique robuste à la désignation des seuils et barrages comme cause principale ou même importante d’altération de la qualité de l’eau. Si les 50.000 à 70.000 moulins de France détérioraient gravement la faune piscicole, il n’y aurait plus un seul poisson dans nos cours d’eau depuis longtemps. Si les 50.000 à 70.000 moulins de France empêchaient le jeu de l’érosion, du transport et de l’alluvion, leurs retenues seraient comblées depuis belle lurette. Car des moulins, il y en avait plus encore voici 150 ans, et ni les truites ni les écrevisses ne manquaient à l’appel.  Quand des impacts existent – et ils peuvent très bien exister –, ce sont des aménagements simples et de bon sens qui doivent les corriger, pas des destructions pseudo-écologiques à la pelleteuse financées par le contribuable sans lui demander son avis.

Le pire est que le Sicec est bien placé pour le savoir : il a réalisé en 2011-2012 un état zéro du bassin de Seine Amont qui concluait que les premiers facteurs d'impact restent les pollutions. Mais alors, pourquoi ce premier numéro de Sur le devant de la Seine n'est-il pas justement consacré à ce problème prioritaire? Pourquoi encore et encore rabâcher le catéchisme de la destruction du patrimoine hydraulique?

L'échec de la politique de l'eau se cherche des boucs émissaires et des écrans de fumée
Mais peu à peu, on commence à comprendre la vérité des rivières et des aquifères : la France a 20 ans de retard sur le traitement des pollutions d’origine agricole, industrielle, ménagère, pharmaceutique. Les seuils et barrages paient l’échec des politiques de l’eau, échec acté par la Cour des Comptes, et encore l’année dernière par le rapport Lesage et par le rapport Levraut, échec qui vaut déjà à la France une nouvelle condamnation pour non-respect de la directive Nitrates de 1991, échec qui lui vaudra soyons-en sûr sa condamnation future pour non-respect de la Directive cadre sur l’eau 2000, de la Directive Pollutions de 2008 et de la Directive Pesticides de 2009.

Ceux-là mêmes qui sont les premiers responsables de ce désastre – les Agences de l’eau créées en 1964, les responsables successifs du Ministère de l’Ecologie et de sa Direction de l’eau, les lobbies ayant l’écoute de Matignon ou de l’Elysée et ayant construit un Grenelle bancal qui ne traite aucun problème de fond mais saupoudre de l'illusion d'action efficace – et qui devraient en rendre des comptes aux citoyens et aux élus essaient depuis quelques années de travestir leur inaction passée par un surcroît stérile d’agitation sur la question des seuils et barrages.

Au fond, ce dessin caricatural promu par le Sicec nous dit une vérité sans bien s’en rendre compte. On ne lutte pas contre la pollution, on se contente de la faire disparaître du regard. De la faire filer au plus vite vers les estuaires et vers les océans. Là où elle ne se voit plus, et permet à chacun de dormir tranquille. Face à cette bonne conscience retrouvée à bon compte, que valent quelques vieilles pierres de nos biefs?

Source : Sicec Sequana (2014), Sur le devant de la Seine, n°1, 8 p.

Pour en savoir plus sur Hydrauxois :
Sur les truites qui ne meurent pas des seuils et barrages
Sur les écrevisses qui ne meurent pas des seuils et barrages
Sur l’Armançon qui n’est pas dégradé au premier chef par les seuils
Sur le Serein qui n’est pas dégradé au premier chef par les seuils
Sur la Seine qui n’est pas dégradée au premier chef par les seuils
Sur les nitrates qui ne reculent guère depuis 20 ans
Sur les mesures de pollution qui sont incomplètes ou inexistantes

Pour en savoir plus sur OCE :
Dossier complet de la Continuité écologique en Côte d'Or
Absence de liens entre seuils et indice de qualité piscicole
Absence de liens entre moulins et qualité de l’eau au XIXe siècle
Corrélation douteuse entre taux d’étagement et qualité piscicole

20/01/2014

Obstacles à l'écoulement?

Senailly, Quincy-le-Vicomte, Rougemont, Aisy-sur-Armançon… il est difficile de voir les seuils en rivière cette journée du 20 janvier 2014 (cliquer l'image ci-dessous pour agrandir). A peine des remous de surface traduisent-ils un ressaut hydraulique. Et pour cause : la brusque montée des eaux suite au passage d'un épisode pluvieux soutenu a noyé les ouvrages. Et inondé les prés riverains. De toute évidence, ces variations hydrologiques naturelles rétablissent à intervalles réguliers la libre circulation des poissons, notamment des migrateurs comme l'anguille. Nous conseillons à tous les maîtres d'ouvrage de réaliser des photos et vidéos de leurs seuils ainsi noyés. Car l'autorité en charge de l'eau (DDT, Onema) doit justifier la nécessité des passes sur chaque ouvrage, dans le cadre d'une procédure contradictoire où il s'agit d'estimer la gravité de l'impact environnemental et la proportionnalité de la réponse à cet impact. Un certain nombre d'experts considèrent que les seuils de moulin ne forment pas des altérations telles qu'elles justifient des effacements ou des aménagements coûteux, surtout en tête de bassin versant.

07/01/2014

Le combat du Moulin du Boeuf dans le Bien Public

Malgré 1700 signatures remises en préfecture, le soutien des pêcheurs, des élus locaux et des riverains, ainsi qu'un argumentaire complet sur la préservation de la qualité écologique de la Seine en cas d'une reprise d'activité énergétique sur le site, le Préfet de Côte d'Or a refusé de revenir sur son arrêté d'annulation du règlement d'eau du Moulin du Boeuf à Bellenod-sur-Seine. Ce sera donc le contentieux devant le tribunal administratif, et le maintien d'une forte mobilisation citoyenne pour défendre les moulins et usines hydrauliques sur nos territoires. En particulier pour que M. Bouqueton reconquiert la liberté de produire son électricité. Il est regrettable que, sur le bassin Seine-Normandie, l'Etat brime ainsi ceux qui investissent dans la restauration du patrimoine et dans la production d'une énergie locale. Ci-dessous, l'article du Bien Public (12/12/2013), journal qui assure une remarquable couverture de nos actions en Côte d'Or.

20/12/2013

Aménagement de la Vallée du Cousin: les truites souffrent-elles des moulins?

Comme nous l'avions annoncé (voir ici et ici), notre association travaille sur une analyse critique du Programme LIFE+ Continuité écologique porté par le Parc du Morvan dans la vallée du Cousin. Il s'agit de savoir si les moulins sont le principal obstacle à la présence de truites fario et de moules perlière dans la rivière morvandelle. Le premier volet est disponible: il concerne la truite fario (téléchargement ci-dessous). Voici la synthèse des principaux points.

• Les populations de truite fario du Cousin Aval (comme du Cousin Amont) exhibent une faible densité et biomasse dans le cours principal, mais une surdensité sur certains des affluents.

• Le profil thermique du Cousin Aval montre des eaux réchauffées sur certaines parties du linéaire, sans que les températures n’excèdent cependant la zone de tolérance des truites fario.  Aucun modèle des variations de température du Cousin n’est proposé dans les travaux de l’Onema, du PNR ou des bureaux d’étude.

• Les analyses historiques, notamment la monographie de référence d’Emile Moreau en 1898, montrent que la truite fario était très commune dans la rivière alors que tous les moulins étaient  déjà présents sur son linéaire.

• Les candidats à la raréfaction de la truite sur le Cousin sont nombreux, notamment : création du lac artificiel de Saint-Agnan, pollutions diffuses (domestique, agricoles, sylvicoles, industrielles, médicamenteuses), modification des berges et de la ripisylve, réchauffement climatique et îlot de chaleur urbain, surpêche et braconnage, introduction d’espèces concurrentes et notamment d’espèces ichtyophages, pathologies.

• S’agissant du cas particulier de la truite,  il est possible d’améliorer le biotope par des interventions ciblées sur certains seuils de moulin : passe en contournement des seuils les plus élevés, bonne gestion du débit minimum biologique, restauration de ripisylve sur des berges déboisées. Toutefois, l’absence de corrélation manifeste entre présence de la truite et présence des moulins exclut des programmes destructeurs du patrimoine hydraulique et invite les parties prenantes du dossier à mieux analyser les difficultés d’implantation de la truite fario.

Référence
Hydrauxois-OCE (2013), Les truites du Cousin Aval souffrent-elles de la présence des moulins ? Restauration hydro-écologique de la Vallée du Cousin Aval étude n°1, 13 p. (pdf)

05/12/2013

Ecrevisses du Morvan: les vraies causes de leur disparition

A l’heure où l’on parle de restaurer la qualité environnementale des cours d'eau, le cas des écrevisses est particulièrement emblématique. Ces crustacés d’eau douce ont longtemps été des mets de choix et les anciennes générations se souviennent encore de leur abondance en rivière.  Les écrevisses autochtones ont aussi besoin d’une eau en bonne santé : absence de pollutions, bonne oxygénation, diversité des écoulements.  Elles sont donc un biomarqueur de la qualité chimique et écologique des milieux aquatiques.

Il existe aujourd’hui trois espèce d’écrevisses autochtone en France : l’écrevisse dite à pieds rouges (Astacus astacus Linné),  l’écrevisse dite à pieds blancs (Austropotamobius pallipes Lereboullet), l’écrevisse de torrent (Austropotamobius torrentium Schrank). L’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus Eschscholtz), parfois considérée comme espèce française, est en réalité originaire d’Europe de l’Est. Rivières, étangs et lacs ont été colonisés par trois autres espèces importées du continent nord-américain : l’écrevisse américaine (Orconectes limosus Rafinesque), l’écrevisse de Californie ou écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus Dana), l’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarckii Girard). A partir du milieu des années 2000, on a identifié une septième espèce, pour la première fois dans le Doubs : Orconectes juvenilis Hagen (Chucholl et Daudey 2008). Elle aussi est originaire d’Amérique du Nord (Kentucky, Indiana).

La situation des écrevisses est marquée par un déclin des espèces autochtones tout au long du XXe siècle, et une expansion rapide des espèces importées (Collas, Julien et Monnier 2007). En particulier, les écrevisses de Californie et du Louisiane ont un comportement agressif, une bonne résistance aux pathologies et une capacité à s’adapter à des milieux aquatiques variés. Elles peuvent donc entrer facilement en compétition avec les espèces autochtones dans leurs dernières niches écologiques préservées. Les espèces nord-américaines sont notamment porteuses saines de la peste de l’écrevisse (aphanomycose, infestation par le parasite Aphanomyces astaci).

Aujourd’hui, on trouve encore en Bourgogne l’écrevisse à pieds blancs dans 128 ruisseaux sur 593 échantillonnées. L’écrevisse à pieds rouges n’est plus présente que dans deux ruisseaux et deux étangs. Les quatre espèces importées ont en revanche colonisé les cours d’eau. (Lerat, Paris et Baran 2006). Une étude menée plus spécifiquement sur le Morvan par Jérôme Mahieu et Laurent Paris a permis de mesurer avec précision l’évolution des populations d’écrevisse (Mahieu et Paris 1998). L’écrevisse américaine a été introduite dès les années 1920, l’écrevisse du Pacifique dans les années 1970, l’écrevisse des torrents dans les années 1980 et l’écrevisse de Louisiane semble apparaître dans les années 1990.

Les écrevisses autochtones à pieds blancs et pieds rouges subirent une première vague de mortalité en Morvan dans les années 1870 et 1880, avec semble-t-il l’apparition de l’aphanomycose. Mais elles survécurent. La comparaison entre les relevés de 1940 et de 1997 montre qu’au cours de la seconde partie du XXe siècle, les écrevisses à pieds blancs ont disparu de près de la moitié de leur ancienne aire de répartition, et les écrevisses à pied rouges des trois-quarts (voir schéma ci-contre).

L’analyse de causes de cette disparition permet de déceler plusieurs facteurs :
- concurrence des espèces importées ;
- maladies (outre la peste des écrevisses, on signale la maladie de porcelaine ou thélohaniose) ;
- apparition de nouveaux étangs dédiés à la pêche de loisir (avec concentration fer et ammonium, réchauffement d’eau, zones propices aux écrevisses importées) ;
- sylviculture (sapin de Noël notamment) avec recul des feuillus, destruction de ripisylve, utilisation d’engins à moteur et usage massif de phytosanitaire ;
- pollution par produits chimiques agricoles ou sylvicoles et rejets domestiques diffus (eaux usées) ;
- braconnage et surpêche, introduction de carnassiers des étangs (brochets, perches).

Le point qui mérite d’être souligné en conclusion, c’est le rôle a priori nul ou marginal joué par les moulins dans l’évolution des populations d’écrevisses morvandelles. En effet, quasiment tous les moulins de Nièvre, Yonne et Côte d’Or sont antérieurs à la Révolution française. Les modifications d’écoulement induites par leurs seuils et chaussées sont donc anciennes, et ne sont pas corrélées au déclin rapide observé au cours des 100 dernières années. Nous disions en introduction que les écrevisses sont emblématiques : élément familier et menacé de notre patrimoine aquatique, elles illustrent bien les vraies causes d’altération des rivières, mais aussi l’absence de discernement des politiques publiques actuelles de continuité écologique.

Références
Chucholl C, T Daudey (2008), First record of Orconectes juvenilis (Hagen, 1870) in eastern France: update to the species identity of a recently introduced orconectid crayfish (Crustacea: Astacida), Aquatic Invasions, 3, 105-107.
Collas M, C Julien, D Monnier (2007), La situation des écrevisses en France. Résultats de l'enquête nationale réalisée en 2006 par le Conseil Supérieur de la Pêche, Conseil Supérieur de la Pêche, Délégation régionale de Metz, 42 p.
Lerat D, L Paris, P Baran, Statut de l’écrevisse à pattes blanches Austropotamobius pallipes Lereboullet, 1858) en Bourgogne : bilan de 5 années de prospection, Bull Fr Pêche Piscic, 380-381, 867-882.
Mahieu J, L Paris (1998), Les écrevisses en Morvan, Cahiers scientifiques du Parc Naturel Régional du Morvan, 1, 68 p.

03/12/2013

Moulins du Cousin: une analyse approfondie par le PNR du Morvan, dans le cadre du programme Life+ Continuité écologique

Comme nous l'avions mentionné dans un précédent article, le Parc Naturel Régional (PNR) du Morvan porte aujourd'hui un projet de restauration écologique du Cousin aval, sur financement du programme européen LIFE+ Continuité écologique.

Les travaux des bureaux d'études chargés du diagnostic écologique et morphologique viennent d'être mis en ligne. Nous nous en félicitons puisque nous avions souhaité depuis l'été cette mise en ligne afin de proposer une analyse critique des documents. Les questions que nous poserons seront notamment les suivantes :
- la truite fario et la moule perlière souffrent-elles à titre principal des seuils de moulin?
- l'intervention sur les seuils de moulin a-t-elle une probabilité élevée de restaurer les habitats pour ces espèces?
- y a-t-il une garantie de résultat et une analyse coût-avantage?
- les autres facteurs de dégradation du Cousin sont-ils correctement mesurés?
- quel est le coût comparé des options d'aménagement ou d'effacement?
- la valeur culturelle et patrimoniale des biens est-elle prise en compte?
- la dimension paysagère, notamment l'évolution de la vallée aux étiages, a-t-elle été intégrée?
- le potentiel énergétique a-t-il sa place dans la réflexion?

Seule une lecture approfondie des documents venant d'être publiés nous permettra d'apporter les réponses, au début de l'année 2014. Nous organiserons une réunion publique d'information à ce sujet.

D'ores et déjà, une première lecture rapide permet d'observer que le travail mené sous l'égide du PNR Morvan a très correctement pris en compte l'existence des ouvrages, sans les réduire à leur seule dimension d'obstacle à l'écoulement : une fiche complète et détaillée est consacrée à chacun d'eux, avec une analyse juridique et historique. Sans préjuger de la validité de cet aspect précis (les questions de droit d'eau sont assez complexes), on peut d'ores et déjà souligner qu'il s'agit là d'un bel exemple d'étude approfondie. Il n'est pas isolé puisque l'EPTB Saône & Doubs (avec les syndicats de la Tille) nous a montré en novembre dernier une initiative, elle aussi fort intéressante, de fiches moulins des bassins Tille-Bèze-Albane, commandées par ses soins à un bureau d'études.

Ces bonnes pratiques doivent impérativement se généraliser : elles permettent en effet de prendre en compte la cohérence du bassin versant, d'analyser les problèmes fonctionnels sur chaque ouvrage hydraulique, de chercher des solutions équilibrées et concertées. Nous souhaitons donc que sur financement de l'Agence de l'eau Seine-Normandie, de tels travaux soient menés sur les bassins de Seine amont (SICEC), Armançon (SIRTAVA) et Serein (Syndicat du Haut-Serein). C'est d'autant plus nécessaire que, dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique (214-17 C Env), l'autorité en charge de l'eau devra de toute façon motiver de façon circonstanciée les mesures de police administrative qu'elle entend imposer sur chaque ouvrage.

Même si nous aurons probablement certains désaccords d'interprétation sur les priorités d'action pour le Cousin, nous devons donc souligner la belle qualité du travail engagé par le PNR du Morvan. Et nous le faisons de bonne grâce : à partir du moment où les maîtres d'ouvrages hydrauliques et leurs associations participent pleinement à la concertation, et où cette concertation n'est pas l'imposition d'une mesure décidée d'avance, le travail sur les rivières se déroulera dans les meilleures conditions.

Illustration : un exemple de plan en crayonné de chaque ouvrage hydraulique du Cousin. Au total, 24 sites de la partie aval de la rivière ont ainsi été étudiés. © PNR Morvan, Life+

01/12/2013

En finir avec une idée reçue: "Equiper un moulin? Cela ne produit presque rien!"

Plusieurs fois,  des interlocuteurs nous ont dit : «Equiper des moulins ? Mais cela ne représente presque rien en énergie !». Dernièrement, c’était un technicien de rivière sur l’Armançon qui tenait ce discours. Examinons si cet argument est fondé.

Tout d’abord, il faut comparer ce qui est comparable : une roue de moulin sur une petite rivière ne représente pas grand chose par rapport à une grande éolienne de 5 MW sur une colline bien ventée (un facteur 1000 en dessous pour la puissance nominale, un facteur 250 pour le production énergétique réelle), et cette éolienne elle-même ne représente pas grand chose par rapport à une centrale nucléaire à cinq réacteurs (un facteur 1000 en dessous, à nouveau). Il n’est pas très fécond de comparer ainsi des pommes et des bananes !

On doit donc comparer la turbine ou roue de moulin avec ce qui est comparable : si l’on parle d’une petite rivière, comme c’est le cas pour tous les tronçons amont de cours d’eau et leurs chevelus de petits affluents en Côte d’Or, on peut par exemple comparer l’équipement du moulin par une turbine ou roue avec l’équipement de son toit par des panneaux solaires photovoltaïques.

Le rayonnement solaire moyen est de 1000 kWh / m2 / an dans nos régions, et le rendement moyen d’un mètre carré de panneaux solaires est de 15%.  Donc tous comptes faits, mettre 20 m2 de panneaux solaires va produire en moyenne 8 kWh par jour. (Chiffre évidemment variable selon la région, l'insolation, etc. mais le productible sera de cet ordre).

Une très petite rivière (comme le Rabutin ou l’Ozerain en tête de bassin par exemple) a un potentiel minimal réaliste de 3 kW en débit d’équipement disponible toute la journée et presque toute l'année. Avec le rendement habituel de l’hydro-électrique, une turbine peut produire 56 kWh par jour, une roue 35 kWh.

On voit que l’équipement hydraulique d’un moulin très modeste produira 4 à 7 fois plus que son équipement solaire photovoltaïque. Rappelons que le solaire PV est aujourd’hui racheté par EDF-OA environ 30 centimes d’euro par KWh alors que l’hydraulique est racheté environ 12 c€ par kWh. Cela signifie que le solaire PV produit 4 à 7 fois moins que l’hydraulique en dimensionnement et coût comparables, mais que l’hydraulique coûte 3 fois moins cher à la collectivité que le photovoltaïque. En fait, le tarif de rachat du kWh hydraulique est devenu quasiment équivalent au prix payé par le consommateur.

Par ailleurs, on a parlé ici des petites rivières et des têtes de bassin. Mais dès que l’on descend un peu sur le bassin versant, le débit est plus soutenu : pour un moulin situé typiquement sur l’Armançon à Semur-en-Auxois, sur le Cousin à Avallon, sur le Serein à Toutry ou sur la Brenne à Montbard, la puissance hydraulique disponible sera dix fois plus élevée que dans notre exemple à 3 kW. Rappelons qu’outre le prix et la puissance, l’hydraulique possède également le meilleur bilan carbone et le meilleur bilan matière première de toutes les énergies renouvelables :  son empreinte écologique est remarquablement faible.

Loin de nous l’idée qu’il faut décourager telle ou telle énergie renouvelable. En revanche, il n’est pas sérieux pour un décideur ou un technicien de prétendre que les moulins sont négligeables en énergie et ne doivent pas être équipés. Si tel était le cas, le même raisonnement conduirait à abandonner en priorité tout équipement solaire PV, micro-éolien et géothermique pour particuliers en France, dont le rendement énergétique est moins intéressant que celui de la petite hydraulique !

La vérité est que le potentiel de la petite hydraulique est négligé dans notre pays. Il l’est soit par ignorance du domaine énergétique et de ses ordres de grandeur, soit par volonté idéologique de détruire les seuils de moulin.  Dans l’un et l’autre cas, cette négligence n’est plus acceptable : aucune rivière de France, si modeste soit-elle, n’est dénuée d’un potentiel énergétique digne d’être exploité à l’heure de la transition énergétique.

Illustrations : le Rabutin à Bussy-le-Grand, hydrologie assez typique d’une très petite rivière des plateaux calcaires à marnes de l’Auxois. Même sur ces modestes cours d’eau, un équipement hydraulique bien conçu peut produire l’équivalent annuel de la consommation électrique dune famille, chauffage compris. Pour un résultat comparable, il faudrait installer 150 m2 de panneaux solaires, ce qui coûterait bien plus cher au propriétaire comme à la collectivité.  Et dans ces vallées parfois encaissées, le micro-éolien aurait un rendement médiocre en raison des turbulences et rugosité de la couche-limite.

Pour aller plus loin : découvrez le potentiel hydraulique de Côte d’Or et la manière dont il était exploité au XXe siècle. Grâce à la volonté des maîtres d’ouvrage et à l’action des associations de la Coordination Hydro 21, ce beau potentiel est aujourd’hui redécouvert et plusieurs projets d’équipement sont déjà en route. Si vous possédez un moulin, contactez-nous pour en parler (mail dans la colonne de droite). Si vous produisez déjà, inscrivez-vous pour partager votre expérience sur le Forum de la petite hydro-électricité.

27/11/2013

Evolution des populations de poissons depuis 20 ans: des résultats qui ne confirment pas l'impact majeur de seuils et barrages

L’Onema vient de rendre publique sur son site une synthèse sur les tendances observées dans les populations de poissons d’eau douce de la France métropolitaine entre 1990 et 2009 (Onema 2013). Ce document reflète, assez tardivement, une étude parue en 2011 dans le Journal of Fish Biology (Poulet et al. 2011).

Au sein de la base de données des milieux aquatiques et piscicoles (BDMAP), une sélection a été faite de 590 stations bénéficiant d’une durée égale ou supérieure à 8 années de suivi. Soit un total de 7746 pêches électriques de contrôle des populations piscicoles en rivière. La couverture est relativement correcte du point de vue national et toutes les tailles de cours d’eau sont représentées, avec  une dominante de petites rivières en ordre de Strahler 3 ou 4 (les ordres 1 à 4 sont nettement plus représentés que les ordres 5 à 8). Au total, 48 espèces ou taxons sont concernés.

A l’échelle nationale, on observe une augmentation de richesse spécifique moyenne (biodiversité), qui gagne 1,4 espèce en moyenne. L’augmentation s’observe sur 58% des stations tandis qu’une diminution est constatée dans 34% d’entre elles.

Concernant l’occurrence par espèce, les résultats sont également positifs puisqu’une augmentation significative est observée dans 42% des cas et un déclin significatif dans 11% des cas seulement.  Concernant la densité moyenne, la même tendance est relevée : une augmentation significative dans 74% des cas, un déclin significatif dans 17% des cas.

Qui sont les gagnants et les perdants (si l’on peut dire) de ces tendances dans la population piscicole ? Le résultat n’est pas toujours celui que l’on pouvait attendre.

Ainsi, sans grande surprise, des poissons nouvellement introduits – comme le silure, l’aspe, le pseudorasbora et l’épirine lippue – voient leur population grimper, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les populations autochtones. D’autres comme l’anguille, le brochet ou la truite commune sont en revanche en déclin.

En revanche, on observe aussi le déclin plus surprenant d’espèces connues comme assez adaptables à des eaux polluées ou réchauffées (tanche, brème commune). Il en va de même pour la carpe.

D’autres espèces plus exigeantes en qualité de milieu ou plus rhéophiles sont en revanche en hausse dans les rivières : barbeau, apron du Rhône, chevesne, lamproies ou chabot.

Ce qu’il faut retenir :

• dans la mesure où il y a augmentation globale (mais pas forcément locale) de tous les indices sur la période (biodiversité, occurrence, densité), il est difficile de parle d’un état catastrophique des populations piscicoles en France métropolitaine ;

• les causes de l’évolution des espèces ne sont pas analysées, et l’on sait que cette attribution de causalité est très difficile en raison des pressions multiples (pollutions diffuses et aiguës, surexploitation par pêches et braconnages, réchauffement climatique, introduction d’espèces invasives, dégradations morphologiques de toute nature, etc.) ;

• le schéma observé d’évolution des espèces ne permet pas de dire que les seuils et barrages (principaux objets des efforts de continuité écologique) jouent un rôle majeur. Si tel était le cas, on devrait en effet observer un gradient de dégradation plus marqué de l’aval vers l’amont (à mesure que les impacts des obstacles se cumulent) et concernant en priorité les espèces rhéophiles (que l’on suppose affectées dans leur cycle de vie par les retenues à écoulement lent). Or il n’en est rien.

Il resterait certainement des points techniques à débattre, comme la mesure de significativité des prélèvements sur une même station, qui est un point assez complexe en hydrobiologie. Mais quand on commence à prendre des mesures scientifiques de long terme, au lieu d’imprécations subjectives, voire idéologiques, on est convié à une grande modestie sur le niveau de nos connaissances des rivières et à une grande prudence dans le choix de nos actions. Puissent les décideurs en prendre compte.

Références
Onema (2013), Tendances évolutives des populations de poissons de 1990 à 2009, Les Synthèses, n°7, mai.
Poulet N, Beaulaton L,  Dembski S (2011), Time trends in fish populations in metropolitan France: insights from national monitoring data, Journal of Fish Biology, 79, 1436-1452.

A consulter également : notre dossier d'analyse des liens entre présence de seuils et indice de qualité IPR (OCE)

Illustrations : richesse spécifique 1990-2009 (en haut), tendances pour trois espèces (en bas). © ONEMA