16/11/2014

Pas besoin de l'énergie hydraulique pour la transition? Vérité des chiffres, vanité des paroles...

Quand on travaille à promouvoir la petite hydro-électricité dans les territoires ruraux, on s'entend parfois dire que celle-ci représente un potentiel négligeable et que les objectifs de la transition énergétique seront largement assurés par d'autres moyens que l'équipement des moulins et petites usines à eau.

Nous avions déjà dénoncé ce sophisme dans un précédent article. Les tout récents chiffres sur l'énergie renouvelable publiés dans le bilan annuel du Ministère de l'Ecologie (lien pdf) nous incitent à revenir sur cette question, car ils mettent en lumière la distance qu'il y a entre les belles promesses et les réalités de terrain.

L'hydraulique reste, et de très loin, la première énergie renouvelable française
Ainsi, en terme de production d'abord, on observe que l'énergie hydraulique reste (et de très loin) la première ENR en France. Ave 77,1 TWh en 2012 (dernière année consolidée), l'hydraulique a produit 4 fois plus que l'éolien et 20 fois plus que le solaire.


Mais ce sont surtout les chiffres de proportion des ENR dans la consommation finale d'énergie qui interpellent. Nous sommes censés atteindre 23 % en 2020, mais nous sommes à 13,7% seulement, et les chiffres montrent que pour ce qui concerne les ENR électriques (hors chaleur et carburant), la part des sources d'énergie hors hydraulique reste très modeste : par exemple 0,8% pour l'éolien et 0,6% pour les autres sources (dont solaire) en 2012. De sorte que même si l'on quadruplait la puissance installée, cela ne ferait jamais que 3,2% et 2,4% du bilan de consommation énergétique totale.


La vérité est donc que la transition énergétique progresse lentement, que nous sommes encore très loin des objectifs affichés pour 2020 et que l'hydraulique représente toujours la part majoritaire de l'énergie renouvelable non carbonée en France. Bien sûr, comme le montre l'exemple de certains voisins (Allemagne, Danemark, Espagne), les ENR non hydrauliques ont une forte marge de progression. Il ne s'agit pas pour nous d'opposer des énergies largement complémentaires, mais de souligner que chacune est nécessaire à l'atteinte des objectifs.

Libérer les biefs pour accélérer la transition énergétique
La part de l'hydraulique peut encore augmenter : il y a plus de 700 sites équipables en Côte d'Or, plus de 3000 en Bourgogne, plus de 60.000 en France. Pour engager ces sites dans la production d'une énergie locale et propre, il faut résolument changer les orientations de la politique de l'eau et de l'énergie, en particulier pour les petites puissances :
  • moratoire à effet immédiat sur les effacements de seuils et barrages en rivières classés liste 2 de l'article 214-17 C. env
  • accélération des reconnaissances légales (droit d'eau, règlement d'eau) avec présomption de conformité du génie civil existant ;
  • aide publique systématique et non-conditionnelle si des aménagements écologiques (sédimentaires ou piscicoles) sont demandés ;
  • simplification du dossier réglementaire accompagnant le projet, avec interlocuteur unique du côté des autorités ;
  • instauration du compteur double sens sans limite de durée pour les sites en autoconsommation injectant leur surplus sur le réseau ;
  • simplification des CODOA, contrats de raccordement et de rachat pour toutes les puissances inférieures à 150 kW (seuil de la loi sur l'énergie de 1919 qui définit raisonnablement la petite hydro).

Le potentiel de la petite hydro en équipement des sites déjà existants est d'environ 1 GW en France, soit l'équivalent d'un réacteur nucléaire, avec le meilleur bilan carbone / matière première de toutes les énergies productrices d'électricité, avec également une prévisibilité de 24 h parfaitement pilotable par les réseaux. L'équipement des moulins et usines à eau, avec toutes ses dimensions (turbines, vis ou roues ; génératrices ; transmission et automatisation ; passes à poissons et dispositifs de protection environnementale ; vannes et organes mobiles…), représente un formidable bassin d'emplois, d'échanges et d'activités disséminées sur tous les bassins versants de nos territoires.

On ne peut plus accepter de voir ce potentiel brimé par des dérives conservatrices ou doctrinaires de la réglementation actuelle, au nom d'une politique de l'eau qui est par ailleurs reconnue comme un échec écologique.

14/11/2014

Faites ce que je dis, ne dites pas ce que je fais: le mauvais exemple de l'Etat au barrage de Pont-et-Massène

A l’occasion des travaux de vidange, de confortement et d’adaptation aux hypothèses de crues exceptionnelles du barrage de Pont-et-Massène, une enquête publique est menée. L’association HYDRAUXOIS émet les 3 observations suivantes.

Nous mettons en garde contre toute dégradation de l’Armançon aval par relargages intempestifs des sédiments lors des travaux et nous souhaitons que des contrôles de turbidité (mesure de matières en suspension) soient régulièrement effectués par les services instructeurs de police et surveillance de l’eau. Par exemple, mise en place d’une station de mesure automatique haute fréquence à l’aval du barrage.

Nous regrettons que le maître d’ouvrage (VNF) ne profite pas des travaux pour installer une unité de production énergétique. Le potentiel hydroélectrique du barrage est de l’ordre de 200 kW en puissance, 1.000.000 kWh en productible, soit l’équivalent consommation de 200 foyers. Le temps de retour sur investissement serait très court, l’énergie produite aurait un très bas taux carbone, l’impact sur les milieux ne serait pas aggravé par rapport à la situation actuelle. En pleine transition énergétique, la non-installation d’une centrale hydroélectrique nous paraît en conséquence un choix anti-économique et anti-écologique.

Nous regrettons que le maître d’ouvrage (VNF) ne profite pas des travaux pour assurer la continuité écologique (franchissement piscicole) au droit du barrage de Pont-et-Massène. Celui-ci constitue le plus important obstacle au franchissement de tout le bassin versant de l’Armançon, empêchant notamment toute circulation des cyprinidés rhéophiles et des anguilles vers la tête de bassin. Nous ne comprenons pas que l’État exige d’aménager des moulins modestes et souvent franchissables, alors qu’il ne montre pas l’exemple sur les barrages dont il est gestionnaire.

Image : projet d'évolution de l'évacuateur de crue du barrage de Pont-et-Massène, vue de l'aval, ©VNF.

12/11/2014

Les élus de Côte d'Or pointent des méfaits et incohérences de la politique de l'eau

A lire ci-dessous : les questions écrites de François Sauvadet et Laurent Grandguillaume, élus de Côte d'Or, aux ministres. A signaler que François Sauvadet, président du Comité de bassin Seine-Normandie, a aussi exprimé en conférence de presse à Semur-en-Auxois son fort scepticisme sur la continuité écologique et condamné "l'inutilité" des effacements de seuils de moulins. Sur ce point, il a rejoint la positon publiquement exprimée deux semaines plus tôt par François Patriat (Conseil régional) à Pont-et-Massène. Les élus des territoires ruraux constatent de plus en plus souvent la détresse des maîtres d'ouvrage hydraulique, la complexité inouïe de la règlementation, la gabegie d'argent public malgré la crise et la liquidation d'un potentiel énergétique local. Quant aux maires, dont plusieurs ont adhéré aux associations de la Coordination Hydro 21 ou leur ont demandé conseil, ils ne comprennent pas pourquoi l'Etat se déclare prêt à financer généreusement la destruction de leur patrimoine et paysage de rivière, alors que tant d'argent manque pour améliorer les assainissements, aider les agriculteurs à respecter les normes de dépollution, veiller à limiter le risque croissant d'inondation, entretenir les berges et les ouvrages, etc. Si le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'Eau n'entendent pas ces messages convergents issus de la parole démocratique, le blocage déjà observé va se renforcer.



06/11/2014

Protéger l'anguille pour mieux la pêcher... l'incohérence du Ministère de l'Ecologie a-t-elle une limite?

Le Ministère de l'Ecologie a décidé de doubler le quota de civelles (juvéniles des anguilles) destinées à la commercialisation, cela alors même que l'anguille est considérée comme une espèce menacée dans les cours d'eau français et européens, à la suite de sa raréfaction brutale depuis le début des années 1980 (voir la fiche INPN de cette espèce).

Dans un communiqué (pdf), la FNPF exprime son désaccord sur ce choix gouvernemental, tout en soulignant qu'il n'existe toujours aucun retour d'évaluation sur le Plan de gestion de l'anguille.

En Yonne et Côte d'Or, la rivière Armançon a été classée en liste 2 au titre de la continuité écologique (art 214-17 C env.) avec l'anguille comme principal enjeu migrateur amphihalin. Le Ministère de l'Ecologie et l'Agence de l'eau imposent donc des effacements d'ouvrages ou des aménagements coûteux sur le bassin de Seine Amont pendant qu'ils délivrent un blanc-seing de prédation sur le bassin de Seine Aval et autres zones estuariennes.

Cette incohérence, où seul surnage le poids de plus en plus manifeste des lobbies dans la politique de l'eau, serait risible si ses conséquences n'étaient pas aussi graves pour le patrimoine hydraulique de nos territoires, et pour les propriétaires désemparés des ouvrages menacés.  Et également pour l'anguille, bien sûr, espèce dont le recrutement reste très faible dans les rivières malgré une petite amélioration récente. Rappelons que les ouvrages hydrauliques de l'Armançon étant présents depuis un à huit siècles, il est peu probable qu'ils soient la cause d'un déclin essentiellement documenté depuis 30 ans.  Rappelons aussi que les pêcheurs avaient autorisation de traquer l'anguille comme espèce "nuisible" dans les rivières de première catégorie jusque dans les années 1980, de sorte que leurs fédérations à la mémoire courte ne sont pas toujours les mieux placées pour donner des leçons de bonnes pratiques...

Photo : Wikimedia, CC

A lire sur le sujet : l'excellent ouvrage d'Eric Feunteun (2012), Le rêve de l'anguille, Buchet-Castel. Un des meilleurs spécialistes internationaux de l'anguille expose de manière précise et vivante nos connaissances sur l'espèce, ainsi que les enjeux de sa protection.

05/11/2014

Dahm et al 2013: encore une étude scientifique observant le faible impact de la morphologie sur la qualité piscicole

Veronica Dahm et ses collègues travaillent au Département d'écologie aquatique de l'Université de Duisburg-Essen (Allemagne) et à l'Institut d'hydrobiologie et de management des écosystèmes aquatiques de l'Université des sciences de la vie de Vienne (Autriche).

Qu'ont fait les chercheurs germano-autrichiens dans leur travail? Ils ont d'abord constaté que la majorité des études analysent les mesures biométriques des rivières et de leurs réponses aux facteurs environnementaux de stress à partir de bases de données petites et hétérogènes. Un problème méthodologique que nous soulevons depuis longtemps, mais qui n'inquiètent pas plus que cela les décideurs, hélas… Les auteurs ont donc sélectionné 2302 sites de mesure en Allemagne et en Autriche, qui présentent des résultats assez cohérents pour permettre l'analyse des populations de poissons (n=713), de macro-invertébrés (n=1753) et de diatomées (n=808). Les sites en question ont été subdivisés en rivières de plaine et rivières de montagne.

Corrélation faible entre les facteurs hydromorphologiques
et la dégradation piscicole

L'indice multimétrique prédictif utilisé pour la faune piscicole n'était pas l'IPR exploité en France, mais l'EFI + (European Fish Index), mis en oeuvre dans le cadre de la Directive européenne sur l'eau DCE 2000. Au sein de l'EFI+, onze facteurs sont pris en compte qui indiquent la plus ou moins grande tolérance des espèces à des environnements dégradés.

V. Dahm et ses collègues ont ensuite croisé ces mesures de qualité biologique avec les données disponibles sur quatre causes connues d'impact : l'hydromorphologie, la qualité physico-chimique, l'occupation des sols en rive, l'usage des sols sur le bassin versant. Chacune de ces causes est subdivisée en facteurs. Par exemple pour la physico-chimie : conductivité, oxygène, pH, nitrate, phosphate total. L'hydromorphologie comporte 8 facteurs dont trois sont liés aux obstacles à l'écoulement.

Quel est le principal résultat ? La mesure de coefficient de corrélation de rangs de Spearman indique qu'il n'y a pas de facteur majeur de stress, mais tous les indices biologiques dans tous les types de rivières sont impactés de manière plus forte par la qualité physico-chimique de l'eau. Par exemple, pour les poissons, le r de Spearman varie de 0,14 à 0,16 selon les indices formant la métrique EFI+, ce qui est positif mais faible (moins de 2% de la variance expliquée), alors que pour les nitrates, cette corrélation monte de 0,29 à 0,45 et, pour les phosphates, de 0,24 à 0,45. La corrélation positive avec la dégradation de l'indice est donc deux à trois fois plus prononcée pour la physico-chimie que pour l'hydromorphologie.

L'excès de nutriment lié aux usages des sols sur bassin versant
reste le premier facteur de dégradation

Conclusions des chercheurs : "L'excès de nutriment et l'occupation des sols sur le bassin versant sont les deux facteurs de stress discriminant pour tous les groupes d'organisme, dépassant les effets du stress hydromorphologique à l'échelle des sites." Et ils ajoutent : "Nos résultats suggèrent que beaucoup de rivières sont encore considérablement affectées par l'excès de nutriments (eutrophisation), ce qui peut être directement relié à l'usage des sols sur leur bassin versant".

Certes, comme nous avons coutume de le rappeler, une étude scientifique n'est jamais qu'un élément parmi d'autres dans un vaste corpus de connaissances en cours de construction. La position de sagesse consiste à examiner les raisons pour lesquelles les conclusions des travaux divergent (si c'est le cas), afin d'améliorer les outils d'observation, d'expérimentation et de modélisation. C'est la différence entre la science et l'idéologie, la première progresse par autocritique permanente et ouverte de ses méthodes et de ses résultats, la seconde se bloque sur des dogmes indiscutables.

Comme le travail de Van Looy et al 2014 sur la Loire et ses affluents, cette étude germano-autrichienne incite donc à la plus grande prudence dans nos choix publics sur les rivières. Elle va à l'encontre des positions dogmatiques des autorités françaises en charge de l'eau, dont la politique de qualité des rivières a manifestement été choisie en fonction du travail d'influence des lobbies plutôt que du travail de recherche des scientifiques. L'ensemble de ces éléments sera bien sûr opposé aux dites autorités publiques lorsque, conformément à la loi, elles devront motiver et justifier sur chaque ouvrage du caractère proportionné des aménagements à fin de continuité écologique.

Référence : Dahm V. et al. (2013), Effects of physico-chemistry, land use and hydromorphology on three riverine organism groups: a comparative analysis with monitoring data from Germany and Austria, Hydrobiologia, 704, 1, pp 389-415

Note complémentaire : rappelons que dans la même revue Hydrobiologia, une équipe de chercheurs allemands a étudié 24 tronçons de rivières ayant bénéficié d’une opération de restauration morphologique, et a testé le résultat directement en fonction des critères de qualité de la DCE (les indicateurs objectifs du rapportage à l’Union européenne). On observe un effet sur les populations de poissons (dans 11 cas sur 24, soit une minorité d’expériences), mais rien de notable sur les populations de macrophytes et macro-invertébrés. Conclusion la plus remarquable : une seule opération de restauration écologique sur 24 permet d’arriver au bon état écologique au sens de la DCE, soit un taux d’échec énorme montrant que l’hydromorphologie n’est pas au cœur des enjeux les plus urgents de qualité des rivières au sein de l’Union européenne. Il est donc mensonger de prétendre que l'effacement des seuils est une condition sine qua non du "bon état" au sens de la DCE 2000, et il est temps que les représentants du Ministère de l'Ecologie et des Agences de l'eau cessent de proférer ces mensonges d'Etat tout en dilapidant l'argent public. Pour une autre étude récente montrant que la restauration a malgré tout de effets positifs, voir Lorenz AW et al. 2013 ci-dessous. Cela n'est pas contradictoire et cela rappelle l'importance des études quantitatives multicritères (comme Dahm et al 2013 ou Van Looy et al 2014), qui sont rares en hydro-écologie, par rapport aux études qualitatives sur site, qui sont légion : on peut toujours trouver quelques effets positifs sur tel ou tel compartiment biologique quand un barrage est effacé, mais cette mesure seule ne dit jamais si un effet supérieur aurait été obtenu avec un autre choix. C'est donc une affaire de balance entre les coûts engagés, les avantages écologiques relatifs obtenus et, aussi, les effets non-environnementaux indésirables (qui sont nombreux dans le cas des effacements de seuils et barrages).
Références : Haase P. et al (2013), The impact of hydromorphological restoration on river ecological status: a comparison of fish, benthic invertebrates, and macrophytes,  Hydrobiologia, 704, 1, pp 475-488. Lorenz AW et al. (2013), Do adult and YOY fish benefit from river restoration measures?, Ecological Engineering, 61, A, 174–181