08/09/2014

Moulins du Cousin : réflexions sur 8 siècles de patrimoine

Grâce aux travaux de Françoise Wicker sur l'histoire des moulins du Cousin, nous disposons des dates de premières mentions des moulins concernés par le programme LIFE+ de restauration écologique de la rivière.

En voici le tableau, classé par ordre croissant d'apparition :


Tous les ouvrages sont fondés en titre
Les moulins du Cousin ont donc un présence attestée depuis 3 à 8 siècles, le plus récent d'entre eux apparaissant au tout début du XVIIIe siècle. Il est permis de tirer de cette remarquable ancienneté du patrimoine hydraulique du Cousin quelques réflexions.

Du point de vue juridique d'abord, tous les moulins du Cousin sont de droit d'eau fondé en titre, et seul un état de ruine complet de leurs ouvrages hydrauliques permettrait de nier leur caractère légal. Notre association aura prochainement l'occasion de le rappeler à la DDT 89, dont les services de police de l'eau ont entrepris de contester la validité de certains droits d'eau. Notre association est hélas! coutumière de cette posture, dont nous nous sommes déjà plaint jusqu'à la direction de tutelle des agents administratifs au Ministère de l'Ecologie, et que nous continuerons de combattre, y compris devant les tribunaux quand ce sera nécessaire.

L'impact morphologique des moulins est faible
Du point de vue écologique ensuite, et surtout, le bon sens indique que si les moulins du Cousin affectaient gravement la faune de la rivière, leurs effetsn'aurait pas attendu des centaines d'années pour se manifester.

En fait, il est très improbable que les altérations morphologiques des moulins (changements d'écoulement et de franchissabilité dus au seuil en rivière) entraînent un impact notable sur les populations de truites et de moules perlières. On sait en effet par des témoignages historiques assez robustes (cf les références citées dans nos travaux sur les moules et sur les truites) que ces espèces étaient observées dans la rivière à la fin du XIXe siècle, malgré la présence pluricentenaire des moulins. On sait aussi qu'au cours du XXe siècle, l'effet morphologique des moulins n'a fait que s'atténuer (ruine et disparition de certaines ouvrages, présence de brèches et échancrures facilitant le transit piscicole, etc.), et non pas s'amplifier. Cela signifie que la disparition progressive des moules et la raréfaction des truites s'expliquent très vraisemblablement par l'apparition d'autres facteurs limitants / dégradants au cours des 100 dernières années, et certainement pas par les modifications morphologiques modestes, présentes depuis fort longtemps et ayant créé un nouveau profil d'équilibre de la rivière dès les XVIIe-XVIIIe siècle. (A noter que ces observations valent pour d'autres espèces sensibles aux perturbations comme les écrevisses du Morvan, dont le déclin n'a aucune corrélation manifeste avec la densité des seuils).

Nos connaissances sont encore lacunaires
Parmi les causes d'altération piscicole méritant un examen, on peut citer notamment : réchauffement climatique (hausse de la T moyenne de l'air ayant des effets sur la T de l'eau par transfert thermique), changement quantitatif des prélèvements en eau pour les usages humains, pollution par les composés chimiques d'apparition récente (domestiques, agricoles, sylvicoles et industriels, ainsi que les micro-polluants médicamenteux), recalibrage du lit / modification des rives (avec effets sur les températures, les sédiments, les macro-invertébrés et les niches écologiques en berges), effets direct (prédation, surpêche, braconnage) et indirects (rempoissonnement d'élevage, introduction accidentelle d'espèces concurrentes et de pathogènes) de la pêche de loisir.

Il est remarquable que les deux bureaux d'études (BIOTEC et SIALIS) ayant procédé à l'étude du Cousin Aval n'ont pas développé de modèle de la rivière incluant l'ensemble de ces impacts que nous venons de mentionner (fût-ce pour les disqualifier, mais de manière scientifiquement robuste). Pas plus que ces bureaux d'étude (ni l'ONEMA) n'ont disposé d'un état zéro de la population piscicole assez ancien dans le temps pour juger de l'évolution réelle des truites et des moules, de sorte que la quantification même du déséquilibre piscicole est finalement absente (ou simplement présumée par des biotypologies posant des problèmes intrinsèques de méthode, cf nos observations à ce sujet sur la Tille).

Ces observations ne sont pas anodines pour l'avenir de la rivière :
- d'une part, les choix du Parc du Morvan en terme de restauration du Cousin doivent être proportionnés à l'importance des impacts ;
- d'autre part, dans le cadre du classement L1-L2 du Cousin prenant effet d'ici 2017, l'autorité en charge de l'eau (DDT, ONEMA) doit motiver ses demandes d'aménagements sur chaque site, dans le cadre d'une procédure contradictoire, avec des éléments de preuve sur la proportionnalité impact / solution.

Ne soyons pas amnésiques!
Pour conclure, les huit siècles (au moins) de présence des moulins dans la Vallée du Cousin devraient inciter les acteurs de la rivière à quelque humilité lorsqu'ils doivent prendre des décisions relatives à ce patrimoine. La dictature du court-terme et de l'urgence nous aveugle souvent et, sous prétexte que nous avons l'opportunité de quelques moyens juridiques et financiers, nous nous croyons libres de faire ce que nous voulons, sans consacrer trop de réflexion à la longue durée, vers le passé comme vers l'avenir. Mais l'amnésie n'enfante généralement que l'erreur!

La restauration du patrimoine hydraulique presque millénaire du Cousin et la réflexion sur de nouveaux usages adaptés aux enjeux de notre siècle seraient créatrices de valeur pour l'Avallonnais. L'enjeu mérite une large concertation entre les riverains, les élus, les gestionnaires de la rivière et les autorités administratives.

Notre énergie pour la France

L'association Hydrauxois a exposé sur le site participatif "Votre énergie pour la France" son action pour le développement de la petite hydro-électricité en Bourgogne (restauration du site du Foulon de la Laume à Semur-en-Auxois, conseils aux communes et particuliers qui souhaitent se lancer dans la production d'électricité d'origine hydraulique). La petite hydro, avec près de 80.000 sites de production en France dont plus de 3500 en Bourgogne, doit prendre toute sa place dans la transition énergétique ! C'est en effet une énergie propre, locale, à très faible bilan carbone et matières premières, possédant un bon facteur de charge, appréciée des riverains, susceptible d'apporter des revenus et des emplois dans les territoires ruraux.

06/09/2014

Vallée du Cousin, LIFE+ : échanges avec le Parc du Morvan

Nous avons reçu de Nicolas GALMICHE (Parc du Morvan) cette réponse à notre précédent article. Nous la publions volontiers, avec à sa suite notre réponse.

Pour faire suite à votre dernier article « Vallée du Cousin : la destruction des seuils de moulins coûte deux fois plus cher que leur aménagement écologique », je tenais à vous éclairer sur quelques points:

« Or, bien que l’étude de juin 2013 commandée à BIOTEC démontre que l’aménagement des seuils de moulin coûterait deux fois moins cher... le Parc semblerait préférer leur destruction. »

Le Parc n’a pas de préférence pour la suppression des seuils de moulin. Il s’est attaché à apporter son aide aux propriétaires d’ouvrages dans la Vallée du Cousin, en proposant des solutions écologiquement et sociologiquement acceptables. A ce titre, tous les propriétaires d’ouvrages concernés ont reçu une fiche individuelle avec des solutions permettant de rétablir la continuité écologique. Ensuite, avec les propriétaires volontaires, souhaitant donc poursuivre la démarche vers la phase travaux, un scénario d’aménagement a été choisi en concertation avec eux et validé par les services de l’Etat (DDT et ONEMA) et les financeurs. Le choix des scénarii s’appuie sur l’étude de BIOTEC et tient compte de l’existence légale de l’ouvrage, de son usage (économique) et de son état. Les intérêts patrimoniaux ont également été pris en compte dans les solutions techniques qui ont été imaginées par la suite : maintien du bief en eau, maintien du seuil ou d’une partie… Les solutions étudiées et imaginées, avec chaque propriétaire,  ne répondent pas au seul besoin réglementaire, mais ont une visée plus globale de restauration de cours d’eau et du patrimoine naturel de la Vallée du Cousin. 


« Il est reconnu que les seuils du Cousin Aval ont des hauteurs modestes et un impact proportionné. On est très loin des grands ouvrages hydrauliques et infranchissables ».

Oui, tout est relatif... Plus que le dimensionnement des ouvrages, ce sont leur accumulation et leur absence de gestion qui créent des impacts. La franchissabilité n’est pas le seul critère à prendre en compte. La modification des facies, générée par la retenue d’eau, est un critère prépondérant.

Concernant les impacts des grands barrages, ils sont autrement plus importants et plus « directs » sur la rivière. De la même façon, le PNRM intervient sur ces questions. Par exemple, par le financement de bassins de décantation à l’aval du barrage de St Agnan, via le contrat global Cure-Yonne, ou en participant au relèvement du débit réservé du lac de Crescent.

« Au vu de cette estimation, les décideurs devraient sans regret favoriser les solutions de franchissement piscicole et profiter des économies ainsi réalisées pour améliorer d’autres aspects de la morphologie et de l’écologie de la rivière. Par exemple pour aider les collectivités à lutter contre la pollution chimique du Cousin et de ses affluents. »

Pour les raisons citées précédemment, le Parc mène les actions qu’il juge efficaces, dans un budget raisonnable. Le critère coût n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Le PNRM mène aussi tout un panel d’actions de restauration, à l’échelle des bassins-versants, avec différents acteurs socio-professionnels (Agriculteurs, forestiers, maires, riverains…). Il lutte entre autre contre les pollutions chimiques (Mesures agro-environnementales, plan de désherbage en ville…). Il entreprend également des actions de restauration hydromorphologique, sur le Cousin amont par exemple (Champeau-en-Morvan). Et il agit sur la continuité écologique « hors seuils de moulins »… Je vous encourage alors à visiter le site du Parc afin de vous informer sur l’ensemble des programmes d’actions liés à la restauration des cours d’eau du Morvan.

« Ils représentent par ailleurs un certain potentiel énergétique, à l’heure où le Ministère de l’Écologie a décidé d’appuyer sur l’accélérateur en ce domaine et de créer des  emplois verts ».

Concernant le potentiel hydroélectrique du Cousin, il ne s’agit pas de mettre en opposition sur un plan idéologique la micro-électricité et la biodiversité mais il faut relativiser le gain de la production d’énergie escompté par rapport au coût et à l’impact du maintien de l’artificialisation du cours d’eau. Etant donné ses faibles débits et les hauteurs de chute peu importantes, le potentiel hydro-électrique semble peu important. D’ailleurs, peut être pourrez-vous, à votre tour, m’apporter des éléments sur la rentabilité d’une nouvelle installation sur le Cousin aux regards de tous les critères évoqués (Installation, rénovation, entretien…) ? De plus, nous prévoyons l’équipement d’une passe à poissons sur le moulin Léger. Moulin qui, comme vous le savez, fait actuellement usage de l’hydroélectricité !


Concernant votre tableau de synthèse « Estimation des coûts travaux seuls en milliers d’Euros, BIOTEC 2013 », vos conclusions sont un peu hâtives et usent de nombreux raccourcis.

Tout d’abord, il est vrai que le dérasement ou l’arasement d’un ouvrage peut avoir un coût supérieur à l’installation d’une rampe en enrochement. Cela s’explique assez simplement par le fait que les mesures d’accompagnement de tels travaux (diversification du lit mineur exondé, recepage…) et les reprises de maçonnerie sont assez onéreuses, si les linéaires sont importants.  Ceci dit, de manière générale, je tiens à souligner que cela est moins vrai lorsque l’on parle de passe à poissons de type « à bassins successifs » (De mon expérience, environ 30 000 euros par mètre de chute).

Ensuite, pour revenir au cas du Cousin, ces coûts estimatifs ont évolué dans les différents projets avec les propriétaires. Sachez, par exemple, que le dispositif de franchissement au Moulin Cadoux est estimé à 153 000 euros et à 134 000 euros au Moulin de la Papeterie. Pour mémoire, sachez également, que le projet de contournement du Moulin Sapin a été estimé à 80 000 euros. Ce projet de contournement est effectivement moins cher et certainement plus efficace en termes de franchissement piscicole mais malheureusement tous les propriétaires ne disposent pas suffisamment de foncier pour un tel aménagement. A contrario, les travaux de dérasement partiel de la Rochette sont estimés à 74 000 euros, Michaud 63 000 euros, Ferme des nids 64 000 euros et Templier 62 000 euros. Le dérasement du Moulin de la côte Cadoux a coûté 6 000 euros. Donc, dans le cas du Cousin, les travaux de dérasement (partiel) ont un coût moins élevé que les dispositifs de franchissement ! 

Vous aurez donc compris qu’il est difficile de donner un coût moyen en fonction de la typologie de l’aménagement. Vous aurez compris également que les choix qui sont faits par le Parc et ses partenaires sont autrement plus complexes que ce que vous décrivez. C’est pourquoi, je vous demande donc de bien vouloir apporter les rectifications nécessaires à votre article afin de ne pas créer de la confusion pour vos lecteurs et ne pas attiser les tensions.

La réponse de l'association

Nous remercions M. GALMICHE et le Parc du Morvan de ces précisions. Nous nous félicitons évidement des actions générale du Parc en faveur de l'environnement mentionnées dans la réponse ci-dessus. Et pareillement quand il y accord entre le Parc et le maître d'ouvrage hydraulique sur un projet, avec un consentement éclairé par une information sincère sur les conditions de cet accord. Toutefois, sur le dossier précis du Programme LIFE+ Cousin Aval, nous apportons ci-dessous quelques précisions nécessaires. Et nous rappelons que si le territoire du Parc du Morvan recouvre un très beau patrimoine naturel, c'est aussi un patrimoine historique, culturel et paysager, ainsi qu'un tissu social qui doit préserver son avenir économique.

Destruction ou aménagement. Le Parc du Morvan dit ne pas avoir de préférence pour la destruction des ouvrages hydrauliques des moulins du Cousin. Nous nous en félicitons, mais pour juger des actes et non pas des paroles, nous manquons d'information à ce sujet. Soyons donc clair : sur les 24 sites concernés par le projet LIFE+ Cousin Aval, combien de fois le Parc a-t-il proposé / engagé une destruction (dérasement, arasement) et combien de fois un aménagement (passes à poissons, rivière de contournement) ? Par ailleurs, puisque le Parc se dit très ouvert, pourquoi refuse-t-il encore la construction de passes à poissons à certains propriétaires, alors qu'il dispose largement du budget pour cette solution?

Modification de faciès. Le Parc du Morvan souligne que la hauteur de chute n'est pas le seul critère pour juger des ouvrages, mais que l'on doit aussi envisager le changement de faciès dû à la retenue. Il va de soi qu'une rivière ouvragée par l'homme n'a pas le même type d'écoulement sur son linéaire qu'une rivière naturelle. Le Cousin est en l'occurrence modifié par les moulins depuis plusieurs siècles. La question est de donner une mesure objective, réelle, de la gravité de cet état de fait ; en particulier de la gravité relative du changement de dynamique par rapport aux autres causes d'altération des milieux, car les actions correctives doivent être proportionnées aux impacts. Comme nous l'avons montré dans nos travaux de relecture critique des travaux des bureaux d'études (voir ici et ici), il n'existe pas de démonstration convaincante à ce sujet. Le taux d'étagement du Cousin est relativement faible par rapport à d'autres rivières (21,6%, alors qu'à titre de comparaison, les bassins versants de Loire-Bretagne se donnent comme objectif de qualité DCE de ramener à 50% le taux d'étagement des cours d'eau, soit deux fois plus que le Cousin). Qu'il existe des zones d'écoulement lentique (retenues) en alternance à l'écoulement lotique (naturels) n'est certainement pas une catastrophe de nature justifier des arasements / dérasements le plus nombreux possibles : la diversité des écoulements est préservée, la majorité du linéaire reste non impactée dans sa morphologie et sa dynamique et la biodiversité totale est à tout prendre plus importante. De même, des réchauffements locaux peuvent rendre les retenues peu propices aux espèces thermosensibles au plus chaud de l'été, mais cela n'empêche évidement pas la rivière de disposer de nombreux habitats plus frais et donc plus favorables à ces espèces. Les bilans piscicoles faits par l'ONEMA sur le Cousin se gardent d'ailleurs de conclure que le recrutement faible de truites et espèces d'accompagnement est essentiellement dû aux moulins, de même que ces analyses montrent des recrutements salmonicoles normaux à élevés dans des zones non impactées de la rivière. A dire vrai, aucun modèle hydro-écologique ou hydro-biologique du Cousin n'a été conçu (malgré le financement assez large de l'Europe et de l'Agence de l'eau depuis plusieurs années), donc on n'est pas en mesure de procéder à des simulations scientifiquement robustes de la rivière en faisant varier tel ou tel paramètre. Pas plus qu'on est capable de simuler l'évolution historique de son peuplement piscicole. Dès lors, où sont les preuves réelles et les quantifications exactes de l'impact des moulins? Et si le Cousin en son profil actuel offre déjà des zones propices aux truites, au nom de quelle vision extrémiste faudrait-il que la totalité de la rivière, en chaque recoin de son linéaire, soit reprofilée à la seule fin d'optimiser la présence de cette espèce? 

Prise en compte du patrimoine. Dans certains cas que nous avons étudié, il n'y a aucune prise en compte réelle de l'intérêt historique, patrimonial et paysager des ouvrages. A notre grand regret puisque nous avions mentionné la bonne tenue des premiers travaux. On mentionne certes en quelques paragraphes l'histoire du site… mais on n'en déduit rien ! Or l'intérêt pour le patrimoine ne doit pas seulement se déclarer, il doit se manifester par des actions concrètes. Le meilleur moyen de montrer la prise en compte du patrimoine hydraulique, ce serait donc d'aider à le restaurer dans le respect des milieux. Donc à faire preuve d'une gestion durable, équilibrée et raisonnée de la rivière, où un seul facteur ("renaturation" environnementale) n'engage pas le sacrifice de tous les autres (énergie, patrimoine, paysage, tourisme, etc.). Vouloir transformer l'écologie en force de destruction du patrimoine, c'est le meilleur moyen d'en détourner les citoyens, alors que les rivières sont bel et bien des enjeux environnementaux de premier plan ! Rappelons que jusque dans les années 1980 et 1990, il était courant que les établissement publics en charge des rivières et bassins versants aident les propriétaires à construire des vannages fonctionnels, des ouvrages de franchissement, des berges consolidées ou reboisées, etc. Il n'y a donc aucune fatalité au divorce écologie-patrimoine observé depuis la loi sur l'eau de 2006 et l'on ne doit pas rayer 5 siècles d'histoire au prétexte d'une mode passagère dont le principal motif est le retard français sur les vraies causes de dégradation des rivières.

Estimation coût et coût réel. Dans notre article, nous nous basons sur les seuls documents publics disponibles, en l'occurrence la stratégie BIOTEC 2013. Si cette estimation a été faite l'an passé, c'est bien pour guider le décideur. Nous souhaitons évidement que le Parc publie dans les meilleurs délais les coûts réels des travaux, puisqu'il s'agit d'argent public. Concernant ces coûts, nous attirons l'attention sur la nécessité de les décomposer précisément. Par exemple, deux bureaux d'études ont déjà été sollicité (BOTEC et SIALIS) pour le programme LIFE+ Cousin Aval et certains propriétaires bénéficiant de passes à poissons ont même eu la surprise de voir arriver sur leur bief un troisième bureau d'études… dont les plans sont de surcroît différents des projets proposés par l'un des deux premiers ! Donc évidement, s'il n'y a pas efficience dans l'organisation de la dépense et si l'on multiplie les prestataires, on pourra toujours conclure que telle ou telle solution est coûteuse. Nous aurons l'occasion d'échanger à ce sujet avec la presse sur un cas précis, afin de donner les bonnes informations aux riverains. Le Parc mentionne par ailleurs le cas du Petit Cadoux comme exemple un coût faible. Mais la plupart des observateurs et riverains se demandent pourquoi on a dépensé le moindre centime à faire venir des engins en rivière, alors que ce seuil très modeste et déjà presque effacé avait un impact à peu près nul. Toujours dans le registre des coûts, signalons que tout projet de restauration écologique devrait faire l'objet d'une analyse coût-avantage claire, permettant de quantifier les bénéfices écologiques réels selon différentes hypothèses de dépense. A notre connaissance, il n'y a aucune garantie du retour de la truite et de la moule perlière au terme des aménagements du Cousin. Dans une situation où l'argent public est rare, nous sommes en droit de questionner la rationalité des dépenses et leur priorité réelle pour l'environnement.

Potentiel énergétique. Celui-ci n'a fait l'objet d'aucune estimation par le Parc et ses prestataires, et donc d'aucune information des propriétaires et du public. Nous trouvons pour le moins étonnant que la Parc du Morvan emploie le mot "idéologie" quand, justement, son absence d'analyse montre à tout prendre un certain a priori idéologique ou doctrinal : celui d'un désintérêt manifeste pour l'hydraulique comme énergie renouvelable. C'est bien dommage car cette énergie hydraulique a le meilleur bilan carbone / environnemental à plus bas coût, un atout non négligeable à l'heure où le réchauffement climatique est considéré comme menace de premier ordre sur l'avenir de la biodiversité (y compris en rivière, cf. l'avis prudent et raisonnable du Conseil scientifique du bassin de Seine-Normandie). Par ailleurs, affirmer que la plupart des propriétaires n'ont pas de projet énergétique est doublement discutable : d'une part, tout est fait pour ne pas les informer ou les décourager de ces projets (voir plus loin à propos de la DDT) ; d'autre part, si un propriétaire n'a pas de projet énergétique aujourd'hui, un héritier ou un futur acquéreur en aura peut-être demain. Toute personne connaissant l'histoire pluriséculaire des moulins sait que ceux-ci sont parfois restés au chômage pendant des années, voire des décennies, mais qu'ils finissaient le plus souvent par retrouver un usage conforme à leur destination (produire un travail grâce à la force de l'eau). Une fois détruit en revanche, le moulin disparaît et avec lui son potentiel… Sur cette question énergétique, nous publierons prochainement une première analyse d'ordre de grandeur et nous avons exprimé au SIVU du Cousin notre souhait que cette dimension soit désormais systématiquement analysée.

"Créer de la confusion", "attiser les tensions". En démocratie, il est normal de débattre et il est sain que tout le monde ne soit pas du même avis. La confusion et la tension viennent de l'absence de transparence dans l'action, alors qu'un budget de 3 millions d'euros d'argent public s'apprête à modifier le visage séculaire d'une vallée. Elles viennent du fait que concrètement, la restauration de continuité écologique consistera à envoyer des pelleteuses en rivières pour détruire des sites, sans que ce choix quelque peu violent ait été formulé avec clarté et sans que les riverains, qui ont aussi leur mot à dire, ne soient saisis de la question et ne puissent exprimer leurs choix. Elles viennent encore du fait que les propriétaires n'ont pas été complètement informés sur la valeur foncière de leur droit d'eau, dont la disparition est présentée comme anecdotique (alors qu'un moulin sans droit d'eau devient juste une maison en zone inondable).  Ajoutons à cela ce qui ne se dit pas, mais se pratique hélas : par exemple la DDT 89 qui menace de casser certains droits d'eau des moulins du Cousin, cela à seule fin de pousser les propriétaires à accepter la disparition de leur bien. Tant que les parties prenantes du dossier adopteront ces positions agressives ou opaques, tant qu'un vrai débat démocratique ne sera pas engagé, les amoureux du patrimoine, de l'énergie et de l'environnement hydrauliques seront contraints de se défendre par tous les moyens dont ils disposent.  

Pour conclure, nous prenons M. GALMICHE et le Parc du Morvan au mot : si aucun propriétaire ne souhaitant de passe à poissons n'est rebuté dans sa demande, et si le Parc inclut désormais le patrimoine et l'énergie dans sa communication sur la Vallée du Cousin (comme sur les autres rivières du Morvan), notre association figurera parmi les plus fervents promoteurs de sa démarche. Nous voulons construire ensemble, et non pas diviser : les moulins sont prêts à se mobiliser pour la qualité de l'eau si l'on cesse les menaces de destruction et le harcèlement administratif. Nous aurons l'occasion de mesurer les intentions réelles des uns et des autres dans une réunion de concertation, le 29 septembre prochain. D'ici là, nous exposerons à la presse et sur le web les évolutions du dossier.

31/08/2014

Vallée du Cousin: la destruction des seuils de moulins coûte deux fois plus cher que leur aménagement écologique

Le Parc naturel régional du Morvan bénéficie d'un contrat LIFE+ pour la restauration écologique du Cousin Aval. Sur la période 2011-2015, le contrat est de 3,2 millions d'euros. Soit une somme considérable, et une somme prélevée sur l'argent public.

Comme notre association l'a montré dans ses précédentes publications (voir ci-dessous), les seuils des moulins du Cousin représentent une altération modeste des écoulements, et rien ne démontre à ce jour qu'ils sont les principaux responsables de la raréfaction des truites et des moules perlières. Ces deux espèces étaient présentes dans la rivière au XIXe siècle, alors même que tous les moulins étaient déjà en place depuis 150 à 400 ans. Il est reconnu que les seuils du Cousin Aval ont des hauteurs modestes et un impact proportionné. On est très loin des grands ouvrages hydrauliques et infranchissables.

Un faible impact écologique, une vraie valeur patrimoniale et touristique, 
un potentiel énergétique
Ces moulins, s'ils ne représentent pas une grave atteinte à l'écologie et la morphologie du Cousin, sont en revanche partie intégrante du paysage de la vallée et du patrimoine historique de l'Avallonnais. Ils représentent par ailleurs un certain potentiel énergétique, à l'heure où le Ministère de l'Ecologie a décidé d'appuyer sur l'accélérateur en ce domaine et de créer des "emplois verts".

Le Parc du Morvan a demandé au bureau d'études BIOTEC de proposer une stratégie de restauration. Dans 9 cas sur 24, le bureau d'études a proposé des solutions alternatives : soit la destruction complète du seuil de moulin, soit son aménagement par une passes à poissons (ou une rivière de contournement). Il va de soi que, compte-tenu du fort intérêt patrimonial et énergétique des moulins, notre association préfère le choix de l'aménagement non destructif, qui a pour vertu d'améliorer la circulation des truites, espèce hôte des larves de moules perlières.

Mais ce choix est-il économique ?

Comme le montre l'estimation de BIOTEC dans le tableau ci-dessus (travaux seuls, hors coût de dossier, avec chois de la solution la plus ambitieuse dans chaque cas), la destruction des 9 seuils para arasement ou dérasement représente un coût de 845 k€ alors que leur aménagement écologique représente un coût de 410 k€. Autrement dit la destruction, qui a de nombreux désavantages, est aussi l'option la plus dépensière: deux fois plus coûteuse.

Pourquoi pousser à la destruction du patrimoine hydraulique?
On doit donc sans regret favoriser les solutions de franchissement piscicole, et profiter des économies ainsi réalisées pour améliorer d'autres aspects de la morphologie et de l'écologie de la rivière. Et pour aider les collectivités à lutter contre la pollution chimique du Cousin et de ses affluents.

Hélas, plusieurs adhérents et riverains nous ont prévenu que le Parc du Morvan refuse dans certains cas le financement des passes à poissons, préférant le choix le plus destructeur (ou abandonnant le maître d'ouvrage à ses problèmes, sans lui faire bénéficier du financement très généraux de LIFE+ et sans améliorer du même coup l'état écologique du site).

Notre association aura l'occasion de revenir sur ce problème manifeste de gouvernance, auprès des médias et dans une réunion d'information en septembre. Nous verrons dans un prochain article la question du potentiel énergétique des 24 sites, question qui a malheureusement été totalement délaissée.

Autres études sur le Cousin
Les moulins du Cousin et les truites
Les moulins et les moules perlières

29/08/2014

Transition énergétique: le message de Ségolène Royal aux agents de l'Etat

A l'occasion du séminaire de travail de Madame la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, avec les directrices et directeurs départementaux et régionaux du ministère (DDT, DREAL) et les directrices et directeurs de l’Agence de l’Environnement et de l’Energie (Ademe), Ségolène Royal a tenu les propos suivants :

1) la mutation énergétique n’est pas une contrainte à subir mais une chance à saisir et la clef de ce que, pour le dire vite, j’appellerai une vraie sortie de crise. Il faut donc, de toutes nos forces, accélérer le mouvement pour obtenir des résultats;  
2) il faut un cadre clair à l’action conjointe des citoyens, des entreprises, des collectivités et de l’Etat et en finir avec les usines à gaz procédurales, fussent-elles inspirées par les meilleures intentions : clarifier n’est pas alourdir les pressions réglementaires, fiscales et autres qui dissuadent d’agir alors que, dans l’action publique, c’est le pouvoir d’impulsion qui doit l’emporter, au service de la protection de l’environnement et des personnes;  
3) d’où l’importance de mettre en place des outils concrets et des aides incitatives accessibles à tous, qui permettent à chacun de s’impliquer et d’y trouver un bénéfice.  
4) Simplifier, innover et faciliter pour entraîner : tels sont, à mes yeux, les maîtres-mots de la démarche à mettre en œuvre avec le renfort de la loi, avec l’appui du Ministère et grâce à votre implication dans tous les territoires. 

Avec tous les acteurs de la petite hydro, nous aurons à coeur de rappeler dans les prochains mois ces engagements. Car pour le moment, moulins et usines hydrauliques doivent affronter la réalité suivante :

  • remise en cause des droits d'eau et règlements d'eau qui fondent légalement l'usage de l'énergie hydraulique;
  • découragement fréquent à équiper les sites;
  • contrôles environnementaux systématiques et répétés (quand les gros pollueurs sont bien moins contrôlés);
  • menace de destruction des seuils et barrages sans lesquels il n'y a aucune puissance hydraulique;
  • financement totalement injuste en faveur de l'effacement des ouvrages;
  • exigences disproportionnées de franchissement piscicole qui plombe la rentabilité des projets ;
  • complexité des dossiers IOTA "loi sur l'eau", multiplicité des interlocuteurs sur un même projet;
  • opacité du contrôle règlementaire par l'Onema et les DDT-M.


On jugera donc la nouvelle orientation du Ministère de l'Ecologie aux actes sur le terrain, plutôt qu'aux paroles en séminaires...

28/08/2014

Un guide Onema 2014 sur la franchissabilité des obstacles par les poissons

L'Onema vient de publier dans sa collection "Comprendre pour agir" un guide complet sur l'évaluation du franchissement des obstacles à l'écoulement par les différentes espèces de poissons. Le guide a été conçu selon le protocole ICE (information sur la continuité écologique) partagé par les administrations, les acteurs de l'environnement, de l'eau et du territoire, les bureaux d'études, les chercheurs, ingénieurs et techniciens. Au sommaire de cet ouvrage de 200 pages : rappel sur la continuité écologique et l'ichtyofaune, énoncé des principes généraux du protocole ICE, diagnostic de la franchissabilité à la montaison, prédiagnostic pour les obstacles équipés de dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons de divers types).

La lecture de ce guide est très conseillée pour tous les maîtres d'ouvrages dont la rivière a été classée en liste 2 et qui ont une obligation d'aménagement à terme. En particulier, pour des rivières comme l'Armançon dont le principal enjeu migrateur de montaison est l'anguille adulte, on peut estimer que nombre de seuils présentent déjà des voies de reptation depuis l'aval, dont la pente et la rugosité sont à examiner de près selon les critères indiqués dans le guide.

Référence : Onema, Baudouin JM et al (2014), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes, 202 p. (Si le téléchargement est long, essayez cet autre lien direct sur le site Onema).

01/08/2014

Aménagement de la vallée du Cousin: les moules souffrent-elles des moulins?

Après un premier travail consacré à la truite fario, la deuxième étude de notre association sur le Cousin aval est dédié à la moule perlière. En voici les principales conclusions. Elles ne justifient en rien la pression actuelle des animateurs du Parc naturel régional du Morvan (et des autorités en charge de l'eau) pour détruire les seuils de la rivière, effaçant l'histoire, le paysage et le potentiel énergétique de la vallée avallonnaise sans gain important pour l'environnement. Nous reviendrons prochainement sur les graves problèmes de gouvernance dans l'action du PNR Morvan.

• Jadis présente en grande quantité dans les bassins à socle cristallin des rivières françaises et européennes, la moule perlière a été progressivement décimée par des pêches surabondantes, des modifications des écoulements et des berges, et surtout par des pollutions chimiques diffuses ou concentrées, pollutions auxquelles l’espèce est très sensible.

• Les populations de moules perlières du Cousin sont attestées par des observations au XIXe siècle, mais leur signalement est alors noté comme récent et leur population paraît déjà peu nombreuse. On ignore l’évolution démographique locale de cette population.

• Les moulins, leurs retenues et leurs biefs ne constituent pas des milieux particulièrement hostiles à l’implantation de populations de moules perlières. Le ralentissement de l’écoulement peut avoir un rôle bénéfique dans certaines circonstances. 

• L’arasement des seuils de moulins du Cousin devrait être sans effet notable sur les populations de moules perlières dans la zone Natura 2000, car les facteurs dégradants ne sont pas liés au premier chef à la continuité longitudinale. Les études menées depuis une dizaine d’années suggèrent que les recalibrages du lit et les modifications de berges sont les premières causes d’évolution négative des populations. 

• Les pollutions d’origine agricole et domestique ont également eu un impact négatif. La charge en phosphore et phosphates est aujourd’hui localement supérieure à la tolérance des moules perlières en certaines zone du linéaire. 

• Enfin, le taux d’étagement de la zone du Cousin étudiée par le programme LIFE+ / PNR Morvan est de 21,6% (25,6 m de hauteur aménagée sur 118,4 m de dénivelé total), qui signifie globalement un faible impact. 

Référence
Hydrauxois-OCE (2014), Les moules perlières du Cousin Aval ont-elles disparu à cause des moulins et ont-elles la capacité de recoloniser la rivière ?, Restauration hydro-écologique de la Vallée du Cousin Aval, étude n°2, 13 p. 

27/07/2014

Hydro-électricité en Bourgogne: rencontres régionales BER-ADEME 2014

Pour plus d'informations et pour inscription, contactez Bourgogne Energies Renouvelables au téléphone (03.80.66.54.57), par courriel (visites@ber.asso.fr) ou courrier (BER, Tour Elithis, 1C boulevard de Champagne, 21000 Dijon).

21/07/2014

Pollution: l'état déplorable de certains bassins français

Une équipe française (EDF, CNRS-Université de Lorraine), suisse (Institut fédéral de science et technologique aquatique, Dübendorf) et allemande (Universités de Leipzig et de Coblence-Landau) vient de publier dans les PNAS une analyse des pollutions organiques sur 4000 sites européens disposant de mesures.

Parmi les principales conclusions de ce travail :

  • 223 composés chimiques sont identifiés en rivière ;
  • aux doses mesurées, ils présentent un risque toxique aigu (14% des cas) et chronique (42%) pour les invertébrés, les algues et les poissons ;
  • les substances les plus dommageables sont les pesticides, les tributylétain (TBT), les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les ignifuges bromés ;
  • l’effet cocktail (interaction et potentialisation des substances) n’a pas été modélisé, de sorte que l’évaluation de toxicité est éventuellement sous-estimée ;
  • toutes les substances artificielles chimiques ne sont pas analysées (notamment pas les molécules médicamenteuses à effet perturbateur endocrinien) et tous les sites n’ont pas la même qualité de mesure.

Le constat est donc celui d’un échec de la politique de qualité de l’eau, notamment en France comme le démontrent les cartes en illustration. On constate notamment que les bassins Seine-Normandie et Loire-Bretagne figurent parmi les plus pollués d’Europe occidentale.

Combien de temps va-t-on prétendre que la continuité écologique longitudinale est une mesure prioritaire pour l’atteinte du bon état écologique au sens de la Directive-cadre 2000 sur l’eau? Quand les Agences de l'eau et la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie vont-elles reconnaître la responsabilité de leur échec?

Il devient urgent de sortir de l’idéologie (ou du jeu des lobbies en Comités de bassin), de regarder ce que nous disent les mesures et d’agir en conséquence pour adresser les besoins prioritaires de nos rivières, et non l'absurde cosmétique des effacements d'ouvrages hydrauliques.

Référence : E. Malaj et al (2014), Organic chemicals jeopardize the health of freshwater ecosystems on the continental scale, PNAS, epub

Illustration : risques aigus (gauche) et chroniques (droite) pour les espèces d’eau douce dans les bassins fluviaux d’Europe occidentale et centrale. © PNAS

19/07/2014

Autre temps, autres mœurs: le rapport de Louis Suquet sur la Seine (1908)

On désigne par « perte » la propension d’un cours d’eau à voir disparaître son lit naturel par infiltration souterraine dans des zones calcaires (karstiques).  Lors des basses eaux (étiage), la rivière peut connaître des assecs complets sur une partie de son linéaire, qui alterne alors des pertes et résurgences.

Ce problème se pose depuis longtemps dans le bassin amont de Seine, en particulier autour de Châtillon-sur-Seine où la rivière, au débit peu soutenu en été, traverse des terrains géologiquement très perméables du Bathonien et de l’Oxfordien. La ville de Châtillon a procédé dès le début du XIXe siècle à une artificialisation du cours de la rivière (création d’un canal de dérivation), pour éviter les problèmes de salubrité liés au défaut d’eau, ainsi que le chômage complet de certaines usines et l’absence de ressource pour l’irrigation.  Mais le problème a néanmoins persisté.


Dans un rapport de 1908 (voir lien ci-dessous), Louis Suquet, ingénieur des Ponts et Chaussées, expose à M. le Maire de Châtillon-sur-Seine ses préconisations pour remédier aux pertes de la Seine.


Le document est très intéressant à lire, car il montre comment la création et la gestion des ouvrages hydrauliques concourent à un usage équilibré de l’eau. Sa lecture devrait intéresser les décideurs et techniciens du SICEC, syndicat de rivière désormais en charge du linéaire séquanien. La tendance actuelle à la « renaturation » des cours d’eau part de l’idée qu’on doit rendre aux rivières leur libre-cours. Hélas, les rivières font peu de cas des hommes, et leur libre-cours peut aussi bien signifier des crues en hiver que des sécheresses en été, toutes dommageables aux riverains et à leurs activités.

Comme le réchauffement climatique est par ailleurs appelé à modifier l’hydrologie, le Conseil scientifique de l’Agence de l’eau Seine-Normandie a récemment suggéré de réfléchir à deux fois avant d’effacer les ouvrages. Un conseil de bon sens, que M. Suquet n’aurait pas renié et que ses successeurs devraient méditer…

Référence : M. Suquet (1908), Etude sur les pertes de laSeine en amont de Châtillon-sur-Seine, 7 pages (pdf)

13/07/2014

La Bèze en lutte contre l'effacement de ses ouvrages hydrauliques

L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (AERMC) est réputée avoir des positions moins intégristes que ses consoeurs de Seine-Normandie et Loire-Bretagne, dont on sait hélas! l'ardeur à encourager et financer les seuls travaux de destruction absurde du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique de nos bassins versants. Mais c'est aussi parce qu'en Bourgogne et sur ce bassin rhodanien, il y a relativement peu de rivières classées en liste 2 de l'article 214-17 C env. Ce classement, rappelons-le, impose la correction des impacts écologiques des seuils et barrages avant 2017 ou 2018. Cette insistance sur les seuils et barrages n'est nullement une obligation européenne: c'est un choix franco-français, tenant à divers facteurs (positions très radicales de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie, attitude maximaliste de certains agents ONEMA, ententes cordiales entre certains lobbies pollueurs au sein des Comités de bassin, trop ravis de détourner l'attention sur les seuils pour continuer les pollutions chimiques, etc. Voir notre synthèse complète sur la Cöte d'Or et le rappel de ce qu'exige réellement la DCE 2000).

Un reportage intéressant de France 3 nous enseigne néanmoins que lorsqu'une rivière du bassin RMC est classée en L2, comme c'est le cas de la Bèze, les pratiques sont les mêmes qu'en Seine-Normandie ou en Loire-Bretagne : une forte pression pour la suppression des barrages par les syndicats et les agences. Le Syndicat Intercommunal du Bassin de la Bèze et de l'Albane a ainsi mandaté un bureau d'études pour analyser le cas de la poudrerie de Vonges et, comme c'est le cas sur toutes les autres rivières classées L2, la solution la plus destructive est celle retenue. Mais ce n'est du tout du goût des riverains.

Des propriétaires ayant des centrales hydro-électriques ou des projets de centrale sur la Bèze nous avaient déjà avertis qu'ils ont rencontré un discours assez radical de la part de la DDT et  de l'ONEMA, avec l'imposition de passes à poissions de plusieurs centaines de milliers d'euros, décourageant toute activité énergétique et dépassant évidemment la solvabilité des maîtres d'ouvrage. Ce chantage financier a pour seul but de contraindre les propriétaires à accepter la destruction. Il décourage totalement ceux qui ont envie de reprendre une activité de production électrique dans le cadre de la transition énergétique.

La Coordination Hydro 21, rassemblant les associations de défense du patrimoine et de l'énergie hydrauliques (APGBCO, ARPOHC, Hydrauxois), a rencontré le cabinet du préfet de Côte d'Or à la fin de l'année 2013 pour demander de toute urgence une concertation sur cette politique désastreuse, qui rencontre une hostilité croissante sur les rivières et les biefs. Malgré la promesse que le directeur territorial nous rencontrerait rapidement, on attend toujours. Faut-il en venir au contentieux, voire au conflit, pour être entendu ? Ce serait dommage.

09/07/2014

Moulin du Boeuf en lutte !

Le dimanche 28 juin, une bannière a été posée sur le Moulin du Boeuf à Bellenod-sur-Seine. Cette propriété de M. Bouqueton est le symbole de l'acharnement actuel des autorités en charge de l'eau en vue de détruire les ouvrages hydrauliques et les droits d'eau qui leur sont attachés. Le cas est désormais en contentieux au tribunal administratif. Le nombre croissant de propriétaires qui rejoignent les associations de la Coordination Hydro 21 et leurs consoeurs de Bourgogne suggère la nécessité d'une vraie concertation collective sur les rivières, pour le moment absente. Nous avions déposé un dossier de travail au cabinet de la préfecture de Dijon, en copie à la DDT : aucune suite n'a été donnée à nos demandes d'information. De la même manière, les nombreuses réflexions contenues dans notre dossier complet sur la continuité écologique n'ont fait l'objet d'aucun retour de la part de la DDT, de l'Onema, ni des syndicats de rivières, des agences de l'eau ou des autorités politiques en charge de l'environnement. Nos documents sont publics : chacun peut donc juger sur pièce, et constater que les associations sont force de proposition, mais qu'elles rencontrent un silence hostile. L'absence volontaire de concertation est donc largement caractérisée, et si elle devait persister, les tribunaux seront saisis pour la sanctionner.


06/07/2014

Les Rencontres hydrauliques dans le Bien Public

Compte-rendu très fidèle de nos Rencontres dans le Bien Public (édition du 6 juillet 2014). Un grand merci à tous les participants, à la Commune de Semur-en-Auxois et aux exposants professionnels : Green City Energy, Watec Hydro / Ercisol, Turbiwatt, Hydreo Engineering. La date des prochaines Rencontres est déjà connue, dernier week-end de juin comme chaque année, soit les 27-28 juin 2015. Nous comptons sur vous tous qui nous lisez pour nous rejoindre et pour renforcer la belle dynamique créée depuis 2 ans.

27/04/2014

Un guide Onema pour le débit minimum biologique

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5%). Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau. Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

L'Onema a édité un guide technique pour assurer le débit minimum. Le document est intéressant, il rappelle les formules hydrauliques permettant le calcul du débit dans les différents dispositifs : échancrure, déversoir à mince ou large paroi, orifice et ajutage, ouverture en fond de vanne guillotine, modules à masque… Tous les moyens sont possibles pourvu que le débit soit exact dans son calcul, et garanti quand la rivière est à l'étiage. Gare aux contrôles !

En l'absence de production, et s'ils n'ont pas eu le temps de concevoir un dispositif spécifique, les moulins doivent fermer à l'étiage (ou en basses eaux) les vannes ouvrières en entrée de bief ou de chambre d'eau, éventuellement fermer les directrices de la turbine en chambre si c'est le seul dispositif de contrôle du débit amont. Dans ce cas, le débit de la rivière passera entièrement sur le déversoir.

Référence : Baril D., Courret D., Faure B., (2014), Note technique sur la conception de dispositifs de restitution de débit minimal, 23 p. (lien pdf)

Illustration : orifice en vanne, dénoyé à l'aval. © Onema

21/04/2014

Les moulins de Côte d’Or et de Bourgogne en 1809

En 1809, le Ministère de l’Intérieur du premier Empire napoléonien demande aux préfets d’établir par départements une statistique des moulins à blé. Ce travail, connu sous le nom de "statistique impériale", offre de précieuses informations sur l’état de la meunerie française à l’aube des Temps Modernes (cf. Rivals 2000).

953 moulins à eau en Côte d’Or, 3528 en Bourgogne
Quel était l’équipement en moulins de notre département et de notre région ? La statistique de 1809 nous apprend que la Côte d’Or comptait 953 moulins à eau (et 43 moulins à vent). Parmi les moulins à eau, 890 avaient une roue verticale (soit 93,4%) et 63 une roue horizontale.

Le département bourguignon le mieux pourvu n’était pas la Côte d’Or, qui arrive en 2e position, mais la Saône-et-Loire avec 1421 moulins à eau. Tous étaient ici à roue verticale. Vient ensuite la Nièvre avec 584 moulins à eau (dont 24 à roue horizontale), puis l’Yonne avec 570 moulins à eau (dont 37 à roue horizontale).

Au total, la Bourgogne de 1809 totalise donc 3528 moulins à eau. Si la densité peut paraître impressionnante, la Bourgogne est cependant loin d’être la région la mieux pourvue. A nombre de départements et superficie à peu près équivalents, l’Auvergne compte par exemple 5936 moulins en ce début de XIXe siècle. Les deux Normandie, pourtant peu montagneuses, totalisent 5114 moulins. La Franche-Comté voisine affiche 3603 moulins à eau, sur ses trois départements du Doubs, du Jura et de la Haute Saône.

Une décroissance progressive au cours des deux derniers siècles
Concernant la Côte d’Or, il est intéressant d’analyser l’évolution dans le temps des moulins (puis usines hydrauliques) en activité. Dans la statistique des moteurs hydrauliques de 1899, le nombre d’établissement est de  568. Le relevé de la taxe de statistique de 1921 précise que 451 moulins et usines sont encore en activité.

On observe donc une décroissance progressive des moulins en activité. Cette tendance s’explique par l’évolution technique de la meunerie, qui fut toujours de très loin la première activité de production associée aux moulins, et notamment par la généralisation de l’énergie fossile, d’abord sous la forme de la machine à vapeur (« pompe à feu ») alimentée au charbon,  puis du moteur électrique dont l’énergie primaire sera fournie indifféremment par le charbon, le pétrole (fioul) ou le gaz.

Enseignements énergétiques et écologiques
Si nos ancêtres ne connaissaient pas les lois de la mécanique des fluides ou de l’hydraulique, ils possédaient néanmoins une expérience des usages de l’eau datant de la première révolution industrielle du Moyen Âge central, celle qui vit l’éclosion cistercienne dans nos contrées et la généralisation de la roue hydraulique. Cela signifie que les 3528 sites bourguignons équipés en 1809 étaient exploités car ils présentaient un intérêt énergétique justifiant le coût important de l’implantation d’un moulin.

C’est une bonne nouvelle dans la perspective contemporaine de la transition énergétique, car ces 3528 moulins historiques sont autant de  sites potentiels pour l’implantation de micro-centrales hydroélectriques au fil de l’eau.

Du point de vue écologique, l’analyse des statistiques historiques n’est pas moins intéressante. Elle montre en effet que l’impact morphodynamique et piscicole de la micro-hydraulique au fil de l’eau a tendanciellement baissé (et non augmenté) au cours des deux derniers siècles. Il est difficile dans ces conditions d’attribuer aux moulins la responsabilité de la dégradation récente (essentiellement à partir de la seconde moitié du XXe siècle) de la qualité chimique, physique et biologique des cours d’eau bourguignons (ou français).  Quand on analyse la dynamique de peuplement de certaines espèces repères, comme la truite, l’anguille ou l’écrevisse, on constate qu’il n’existe pas de corrélation avec la présence des moulins sur la rivière (voir cet exemple pour les écrevisses et cet exemple pour les truites).

Référence : Rivals Claude (2000), Le moulin et le meunier, 2 volumes, éditions Empreinte.

Illustrations : en haut, moulin à eau dans l’Encyclopédie ; en bas, l’ancien Foulon Marmillot à Semur-en-Auxois (rivière Armançon), un exemple de site abandonné depuis 1809 où la rivière a repris ses droits.

Autres articles sur Hydrauxois :
Moteurs hydrauliques en Côte d’Or : la Statistique de 1899
Moulins et usines hydrauliques en Côte d’Or : la Statistique de 1921
Potentiel micro-hydraulique en Côte d’Or à l’heure de la transition énergétique

05/04/2014

Le taux de retour énergétique (EROEI) de l’énergie hydraulique

Nous avons déjà rapporté les travaux de chercheurs montrant que l’énergie hydraulique possède le meilleur bilan carbone et le meilleur bilan matières premières de toutes les sources d’énergie électrique. Voici une nouvelle donnée, concernant le taux de retour énergétique, appelé EROEI (energy return on energy invested). Le EROEI se calcule par  la quantité d’énergie que l’on produit sur le cycle de vie d’un dispositif divisée par la quantité d’énergie nécessaire à la construction, la maintenance et le démantèlement du dispositif.

Rappelons qu’en soi, l’énergie est partout dans la nature. Le problème qui se pose aux sociétés humaines est de mettre au point des équipements qui captent une quantité suffisante de cette énergie pour satisfaire les besoins tout en ayant un minimum d’impacts sur les milieux et sur la santé. Nous pouvons tous pédaler pour produire notre électricité, mais le taux de retour (EROEI) de cette solution sera très faible et le temps que nous pédalons, nous ne pourrions pas faire grand chose d’autre ! De même, nous pouvons mettre des biocarburants partout pour remplacer le pétrole, mais il n’y aura plus assez de surfaces agricoles pour les cultures alimentaires, avec de surcroît un effet négatif sur la qualité du sol et de l’eau.

L’EROEI est donc une donnée importante pour savoir si une source d’énergie est vraiment intéressante et soutenable dans la durée. Deux auteurs américains ont fait une synthèse d’une vingtaine de travaux existant sur l’EROEI. Le résultat est donné dans le schéma ci-dessous.

On le voit : l’énergie hydraulique a de très loin le meilleur EROEI de toutes les sources analysées ! Elle dépasse le charbon, qui est l’une des sources les plus polluantes de chaleur et d’électricité, mais aussi les hydrocarbures, le nucléaire et les autres énergies renouvelables (d’un facteur 10 à 20). La raison de ce remarquable taux de retour énergétique ? L’énergie hydraulique est simple à mettre en œuvre et utilise des matériaux robustes. Son génie civil, s’il est bien conçu, franchit sans problème les décennies, voire les siècles (comme en témoignent les 60.000 moulins encore présents sur nos rivières).

Il faut souligner que ce calcul concerne l’hydro-électricité continentale (fil de l’eau et retenue), et non pas l’hydraulique maritime. En effet, les dispositifs visant à exploiter l’énergie des mers (courant, houle, marées, etc.) ont un rendement inférieur (la plupart ne récupère que l’énergie cinétique), mais un coût d’installation, maintenance et démantèlement supérieur, ainsi qu’un coût notable de distribution (ligne HT à construire sur les côtes).  L’EROEI de l’hydraulique maritime serait donc plus faible, même si son potentiel total est plus important.

Source : Murphy DJ, Hall CAS (2010), EROI or energy return on (energy) invested, Ann NY Acad Sci, 1185, 102–118

Note : à juste titre, Davis Murphy et Charles Hall soulignent que l’EROEI reste un indicateur très peu utilisé par les pouvoirs publics et les décideurs en général, alors qu’il exprime le véritable rendement d’une énergie dans une logique de développement durable. Le calcul de l’EROEI n’est donc pas unifié à ce jour (ce qui ne change pas les ordres de grandeur indiqués ci-dessus). La non-prise en compte de l’EROEI  aboutit à subventionner des énergies qui ont un taux de retour nul ou très faible (par exemple le biocarburant à base de maïs, qui dépense autant de pétrole qu’il n’en économise). Ou à ignorer les énergies dont le développement devrait être prioritaire, ce qui est le cas de l’hydroélectricité.

23/02/2014

Qualité piscicole de la Tille et réflexions sur l'Indice poissons rivière (IPR)

La France doit répondre devant l’Union européenne de la qualité chimique et écologique de ses rivières (directive-cadre sur l’eau 2000, DCE 2000). Dans le compartiment biologique, la qualité piscicole d’un cours d’eau est mesurée par l’Indice poissons rivière (IPR). L’IPR consiste à mesurer l’écart entre la composition du peuplement sur une station donnée, observée à partir d’un échantillonnage par pêche électrique, et la composition du peuplement attendue en situation de référence, c’est-à-dire dans des conditions très peu ou pas modifiées par l’homme.

Dans le cadre de la réalisation d’une étude d’opportunité hydro-électrique pour la Commune de Rémilly-sur-Tille, notre association a été amenée à rechercher les IPR disponibles pour la Tille (photo ci-dessous, la rivière en aval du barrage communal).


Quelques rappels préalables sur cette rivière : son bassin versant (1300 km2) est à 90% situé sur la Côte d’Or et 10% sur la Haute Marne. La rivière a un linéaire total de 82,7 km de sa source à la confluence avec la Saône. L’Ignon, la Venelle et la Norges sont les principaux affluents de la Tille. Ce bassin versant est l’objet de cultures céréalières et parfois d’occupations humaines denses (région dijonnaise, sous-bassin de la Norges).

Du point de vue des ouvrages hydrauliques, le bassin versant de la Tille comptait 81 ouvrages à l’époque des relevés de Cassini (XVIIIe siècle), pour 69 aujourd’hui. Sur la Tille même, le nombre d’ouvrages s’établit à 25 (SOGREAH 2010).

Sur 9 données IPR, 7 indiquent une qualité bonne ou excellente
Sur la période 2001-2011, dont les données sont publiquement disponibles, on compte 9 relevés de l’Indice poissons rivière sur la Tille : à Marey-sur-Tille en 2006, à Cessey-sur-Tille en 2008 et 2010, à Til-Châtel en 2007, 2009 et 2011, à Champdôtre en 2007, 2009 et 2011.

Le graphique ci-dessous montre les scores IPR correspondant. Sur ces 9 scores IPR, 2 sont en qualité mauvaise, 5 de qualité bonne, 2 en qualité excellente. Les stations de Champdôtre (à l’aval) et de Til-Châtel (à l’amont) sont notamment en qualité bonne ou excellente sur toutes les mesures.


En faisant hypothèse que le score IPR est un reflet précis de la qualité piscicole d’une rivière, on peut observer que la forte présence historique et actuelle des ouvrages hydrauliques n’est pas associée à une dégradation importante de la rivière. En particulier, la bonne qualité piscicole à Til-Châtel (amont) est notable : la plupart des ouvrages hydrauliques de la Tille étant considérés comme infranchissables (plus de 0,5 m), on aurait dû observer un gradient de dégradation de plus en plus marqué vers la source, avec des espèces pouvant dévaler mais non remonter. Or, il n’en est rien.

On observe en passant  un problème : doit-on exiger pour la qualité piscicole au sens de la DCE 2000 un IPR bon ou excellent sur chaque point de mesure d’une rivière? Ou peut-on tolérer que l’indice soit bon à certains endroits et mauvais à d’autres? A-t-on vérifié lors de la construction de l’IPR la variation spatiale naturelle de la biomasse et de la biodiversité? On imagine aisément que chaque hectare de cours d’eau ne comporte pas exactement la même répartition ni la même densité d’espèces, donc la mesure pour être précise doit intégrer une marge d’erreur ou une échelle qualitative d’incertitude.

Mais on peut faire une autre hypothèse, à savoir que l’IPR est un indice problématique d’évaluation de la qualité d’une rivière.

Quand on regarde de plus près les scores, on s’aperçoit en effet qu’ils peuvent varier presque du simple au double sur une courte période de temps : de 17,0 à 10,2 à Cessey-sur-Tille entre 2008 et 2010, de 11,9 à 6,4 entre 2009 et 2011 à Champdôtre.  La mesure d’une grandeur doit être proportionnée à sa variabilité spatiale et temporelle : si une population de poissons est stable, une mesure rare (par exemple annuelle ou quinquennale) suffit à l’estimer ; si elle présente une forte variabilité (naturelle ou forcée par un facteur externe quelconque), la fréquence de la mesure doit être augmentée. Le seul moyen de mesurer cela est de constituer des séries assez longues pour analyser la variance et l’écart-type des résultats, leur dispersion étant la mesure de stabilité du phénomène (et/ou de la robustesse de l’indice censé quantifier le phénomène).

Questionner la notion de "peuplement naturel" de référence
La présente étude amène donc à questionner le rôle exact des obstacles à l'écoulement dans l'évolution de la qualité piscicole. Mais elle conduit aussi à s'interroger sur la valeur de l'Indice Poissons Rivière.

Les tentatives de classement des cours d'eau sont anciennes (voir Wasson 1989 pour une revue en langue française). La plus ancienne est la capacité biogénique de Léger (1909), la plus récente l'IPR (2001) et entre celles-là on trouve de nombreuses autres d'autres : les niveaux de Ricker (1934), les quatre zones de Huet (1949) rapportées à la largeur, profondeur et pente, les trois zones benthiques d'Ilies et Botosaneanu (1963), les 10 niveaux biotypologiques de Verneaux (1976), etc.

Le dernier indice en date est l'IPR (en anglais FBI pour Fish Based Index), mis au point entre 1996 et 2001, normalisé AFNOR en 2004 et choisi pour répondre aux exigences d'analyses biologiques de la directive-cadre européenne sur l'eau. Du point de vue méthodologique, l'IPR ne se distingue guère de ses prédécesseurs. «La version normalisée de l’IPR prend en compte 7 métriques différentes. Le score associé à chaque métrique est fonction de l’importance de l’écart entre le résultat de l’échantillonnage et la valeur de la métrique attendue en situation de référence. Cet écart (appelé déviation) est évalué non pas de manière brute mais en terme probabiliste  (…) Les modèles de références ont été établis à partir d’un jeu de 650 stations pas ou faiblement impactées par les activités humaines et réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain.» (Belliard et Roset 2006, voir aussi Oberdorff et al 2001 et 2002 pour la construction).

La notion de même de « zone » cohérente de grande dimension a été activement critiquée et fait toujours l'objet de débats théoriques en écologie des milieux aquatiques. La succession  rapide des « échelles de mesure » dans chaque pays et les critiques que chacune d'elles soulève invariablement – y compris l'IPR qui, à peine normalisé, est entré en phase de révision –  suggère une interrogation plus fondamentale sur la capacité de toute échelle à permettre une comparaison efficiente entre deux masses d'eau ou même deux stations d'une même masse d'eau.

Chaque biotypologie ou zonation identifie des paramètres qui influent bel et bien le peuplement piscicole, même si cette influence varie. Mais la prédictibilité de la présence d'une espèce exigerait un modèle multiparamétrique d'une grande complexité puisque tous ces paramètres devraient y figurer, ainsi que toutes les interactions entre ces paramètres. Au final, cela revient à considérer que chaque rivière, voire chaque tronçon d'une rivière possède son identité physique, chimique, trophique, morphologique, etc. de sorte que la comparaison par étalonnage manque souvent son objet.

C'était déjà la conclusion tirée par H.B.N. Hynes dans une célèbre lecture à Stuttgart en 1975 où, ayant montré à partir de l'exemple d'un cours d'eau de vallée la chaîne des déterminations physiques de productions de particules minérales et organiques formant la base du système trophique, le chercheur concluait : «Ces relations sont importantes et elles sont si complexes qu'elles défieront la plupart des efforts. Elles rendent clair en revanche que chaque cours d'eau est comme un individu, et donc pas vraiment aisé à classifier» (Hynes 1975). En introduction,  il rappelait malicieusement «Dieu n'est pas plus taxonomiste qu'il n'est mathématicien, ce qui est une illusion écologique».

Depuis bientôt quarante ans que ces remarques ont été formulées, le débat n'est pas clos dans la communauté savante.

Une autre critique, sur le plan épistémologique, concerne l'idée même d'une "naturalité" du peuplement piscicole. De nombreux travaux ont montré (par exemple Tales 2009 en Seine-Normandie) que les espèces aujourd'hui présentes sur nos bassins hydrographiques sont très souvent importées par l'homme, et non pas "naturelles" au sens d'issues directement de l'état des cours d'eau au sortir de la dernière glaciation. De surcroît, viser la parfaite naturalité des cours d'eau ("renaturation") exigerait non seulement de supprimer les obstacles à l'écoulement, mais également de stopper l'intégralité des effluents agricoles, industriels et domestiques, les empoissonnements des fédérations de pêche, les canalisations, etc, bref d’éliminer toute présence et influence humaines.

En conclusion, à retenir
- Malgré la présence importante et ancienne d’ouvrages hydrauliques réputés infranchissables, la qualité piscicole de la Tille mesurée par l’IPR est, dans la majorité des mesures disponibles sur la période 2006-2011, «bonne» ou «excellente».

- Ce constat permet de douter de l’importance des seuils et barrages dans la dégradation des rivières, en particulier de leur volet piscicole. L’impact cumulatif des ouvrages aurait dû aboutir à un IPR mauvais sur l’ensemble du linéaire, ce qui n’est pas le cas.

- Le score d’IPR calculé au même lieu présente cependant une variance notable dans le temps, ce qui pose question sur la robustesse de l’indice et de sa mesure.

- Plus largement, les typologies de rivières présentent des biais méthodologiques et épistémologiques. Cela explique que, malgré plus d’un siècle de réflexion scientifique, aucune de ces typologies n’est parvenue à s’imposer pour ses qualités descriptives et prédictives.

- La notion même de «naturalité» d’un cours d’eau, qui est à la base des comparaisons paramétriques de l’IPR et des autres biotypologies, devrait être questionnée car toutes les civilisations sédentaires utilisent et modifient les masses d’eau depuis sept millénaires. Un indice conçu pour le rapportage à court terme à l’Union européenne devrait a minima inclure une pondération associée à la densité humaine de peuplement le long de la rivière, donnant une vision plus réaliste de ce qui est faisable ou non à l’horizon 2015, 2021 et 2027.

- Plus fondamentalement encore, certains hydrobiologistes considèrent chaque rivière comme un «individu» ayant des propriétés physico-chimiques et une histoire éco-biologique (incluant l’influence anthropique) singulières. Si cette hypothèse est exacte, normaliser la biomasse et la densité spécifiques attendues est un exercice dénué de sens.

- D'un point de vue très pratique, et pour les rivières classées en liste 2 en 2012-2013, la DDT et l'Onema devront produire les IPR disponibles aux maîtres d'ouvrages qui leur en font la demande. L'ambition des aménagements devant être proportionnée au gain environnemental attendu, une rivière en bon ou excellent état piscicole (au sens de l'IPR et de la DCE 2000) ne requiert pas des dispositifs très coûteux puisque la franchissabilité piscicole n'y est pas un facteur dégradant du bon état écologique. Dans les cas où l'IPR est mauvais, une analyse détaillée des causes de dégradation devra être produite par l'autorité en charge de l'eau.

Références
Belliard J, Roset N (2006), Indice Poissons Rivière (IPR). Notice de présentation et d’utilisation, CSP-Onema, 22 p.
EPTB Saône & Doubs (2010), Etat des lieux. Dossier de candidature au contrat de bassin de la Tille, 60 p.
Oberdorff TD et al (2001), A probabilistic model characterizing riverine fish communities of French rivers: a framework for environmental assessment, Freshwater Biology, 46, 399-415
Oberdorff TD et al (2002), Adaptation et validation d’un indice poisson (FBI) pour l’évaluation de la qualité biologique des cours d’eau français, Bull. Fr. Pêche Piscic, 365/366, 405-433.
Oberdorff TD et al (2002), Development and validation of a fish-based index (FBI) for the assessment of rivers “health” in France, Freshwater Biology, 47, 1720-1735.
SOGREAH – EPTB Saône & Doubs (2010), Restauration physique des milieux aquatiques et gestion des risques d’inondations sur le bassin versant de la Tille, 203 p.
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de Seine, CNRS programme Piren-Seine.
Wasson JG (1989), Eléments pour une typologie fonctionnelle des eaux courantes. I. Revue critique de quelques approches existantes, Bull Ecol, 20, 2, 109-127

04/02/2014

Continuité écologique: la goutte d’eau qui fait déborder le bief…

Nous avons reçu Sur le devant de la Seine, le bulletin d’information du Sicec (Syndicat intercommunal des cours d’eau du Châtillonnais) et de Sequana, contrat de rivière Seine Amont sur les bassins de Seine, Ource, Laigne, Aube, Sarce et Arce.

En pages 2 et 3, un article sur le classement des rivières et la continuité écologique. Le bulletin étant (notamment) financé par les fonds versés par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, et l’Agence de l’Eau Seine-Normandie étant (notoirement) championne dans la politique aveugle de destruction des seuils et barrages, le contenu de l’article est (évidemment) un éloge de l’effacement présenté comme "solution optimum"


Information ou propagande ?
A l’appui de cet «argumentaire», le dessin ci-contre. Qui résume à lui seul la vision totalement biaisée de nos interlocuteurs. On voit la rivière «en présence d’un ouvrage», et c’est évidemment la désolation : des poissons morts, des bouteilles vides, des boites de conserve, un tas de sédiments que l’on imagine à peu près aussi pollués qu’un site Seveso. Tout cela ayant évidemment pour cause le seuil en rivière. Seconde image : la même rivière sans son barrage. Et là, miracle : les poissons nagent dans une eau limpide d’où toute pollution a disparu.

Cette image est un pur exercice de désinformation.

Et un exercice que nous jugeons extrêmement regrettable pour un syndicat de rivière ayant pour mission une information objective des citoyens et des élus.

La réalité des seuils en rivière pour les meuniers et usiniers, ce sont des monceaux de détritus qui sont retirés par eux chaque année de l’eau, car récupérés dans leurs grilles de bief. Cette pollution, c’est nous, c’est vous, c’est la France entière qui prend ses rivières pour des poubelles. Des dizaines, des centaines voire des milliers de kilos de détritus. Demandez par exemple aux petits producteurs de l’Ouche à l’aval de Dijon, qui récupèrent toutes les immondices de la Préfecture et de son si peu écologique lac Kir. (Il est vrai que les anciens biefs de la Capital de Bourgogne furent pour la plupart asséchés par des «modernisateurs» avisés,  donc leurs héritiers et «décideurs» de nos rivières n’ont sans doute plus tellement la culture hydraulique des Navier, Bazin et Darcy).


Même dans les rivières les plus modestes, même à proximité de leurs sources, on trouve de tels déchets. Voilà ci-dessus la vérité des rivières, la vérité que ne veulent apparemment voir ni les syndicats, ni les agences de bassin ni les autorités en charge de l’eau. (Merci à Pascal qui a photographié ces ordures retirées de sa grille).

La réalité est donc à l'opposé du discours du Sicec : des seuils et biefs bien gérés contribuent à la qualité de l'eau.

Répéter 100 fois un mensonge n’en fait jamais une vérité…
Sur le fond, il est inacceptable de continuer à laisser croire que le seuils et barrages forment la première cause de dégradation des rivières. Répéter 100 fois un mensonge n’en fera jamais une vérité.

Il n’existe aucune base scientifique robuste à la désignation des seuils et barrages comme cause principale ou même importante d’altération de la qualité de l’eau. Si les 50.000 à 70.000 moulins de France détérioraient gravement la faune piscicole, il n’y aurait plus un seul poisson dans nos cours d’eau depuis longtemps. Si les 50.000 à 70.000 moulins de France empêchaient le jeu de l’érosion, du transport et de l’alluvion, leurs retenues seraient comblées depuis belle lurette. Car des moulins, il y en avait plus encore voici 150 ans, et ni les truites ni les écrevisses ne manquaient à l’appel.  Quand des impacts existent – et ils peuvent très bien exister –, ce sont des aménagements simples et de bon sens qui doivent les corriger, pas des destructions pseudo-écologiques à la pelleteuse financées par le contribuable sans lui demander son avis.

Le pire est que le Sicec est bien placé pour le savoir : il a réalisé en 2011-2012 un état zéro du bassin de Seine Amont qui concluait que les premiers facteurs d'impact restent les pollutions. Mais alors, pourquoi ce premier numéro de Sur le devant de la Seine n'est-il pas justement consacré à ce problème prioritaire? Pourquoi encore et encore rabâcher le catéchisme de la destruction du patrimoine hydraulique?

L'échec de la politique de l'eau se cherche des boucs émissaires et des écrans de fumée
Mais peu à peu, on commence à comprendre la vérité des rivières et des aquifères : la France a 20 ans de retard sur le traitement des pollutions d’origine agricole, industrielle, ménagère, pharmaceutique. Les seuils et barrages paient l’échec des politiques de l’eau, échec acté par la Cour des Comptes, et encore l’année dernière par le rapport Lesage et par le rapport Levraut, échec qui vaut déjà à la France une nouvelle condamnation pour non-respect de la directive Nitrates de 1991, échec qui lui vaudra soyons-en sûr sa condamnation future pour non-respect de la Directive cadre sur l’eau 2000, de la Directive Pollutions de 2008 et de la Directive Pesticides de 2009.

Ceux-là mêmes qui sont les premiers responsables de ce désastre – les Agences de l’eau créées en 1964, les responsables successifs du Ministère de l’Ecologie et de sa Direction de l’eau, les lobbies ayant l’écoute de Matignon ou de l’Elysée et ayant construit un Grenelle bancal qui ne traite aucun problème de fond mais saupoudre de l'illusion d'action efficace – et qui devraient en rendre des comptes aux citoyens et aux élus essaient depuis quelques années de travestir leur inaction passée par un surcroît stérile d’agitation sur la question des seuils et barrages.

Au fond, ce dessin caricatural promu par le Sicec nous dit une vérité sans bien s’en rendre compte. On ne lutte pas contre la pollution, on se contente de la faire disparaître du regard. De la faire filer au plus vite vers les estuaires et vers les océans. Là où elle ne se voit plus, et permet à chacun de dormir tranquille. Face à cette bonne conscience retrouvée à bon compte, que valent quelques vieilles pierres de nos biefs?

Source : Sicec Sequana (2014), Sur le devant de la Seine, n°1, 8 p.

Pour en savoir plus sur Hydrauxois :
Sur les truites qui ne meurent pas des seuils et barrages
Sur les écrevisses qui ne meurent pas des seuils et barrages
Sur l’Armançon qui n’est pas dégradé au premier chef par les seuils
Sur le Serein qui n’est pas dégradé au premier chef par les seuils
Sur la Seine qui n’est pas dégradée au premier chef par les seuils
Sur les nitrates qui ne reculent guère depuis 20 ans
Sur les mesures de pollution qui sont incomplètes ou inexistantes

Pour en savoir plus sur OCE :
Dossier complet de la Continuité écologique en Côte d'Or
Absence de liens entre seuils et indice de qualité piscicole
Absence de liens entre moulins et qualité de l’eau au XIXe siècle
Corrélation douteuse entre taux d’étagement et qualité piscicole