18/03/2015

Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres

Vous pouvez télécharger le texte ci-dessous mis en page en version pdf ou en version odt (Open Office) afin de le diffuser autour de vous et de l'adapter à vos besoins locaux. Document réalisé avec les contributeurs du Forum de la petite hydroélectricité, la référence des passionnés et des experts en petites puissances. 

En France, près de 100 000 moulins pourraient être aménagés à fin de production hydro-électrique. Excellent bilan carbone, moindre impact sur la CSPE, pilotabilité par le réseau, forte acceptabilité sociale, foisonnement sur tous les territoires, emplois non délocalisables… les atouts de cette très petite hydro-électricité sont nombreux. Au lieu d’équiper ces seuils et barrages sur chacune de nos rivières, l’Etat promeut aujourd’hui leur destruction. Une erreur grave à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique post-carbone devraient être nos priorités, et où les vrais impacts sur la qualité des rivières ne sont pas efficacement traités.


— Nombre et potentiel énergétique des moulins —

Moulins à eau en France : environ 100 000 sites de production à développer 
Le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120 000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Ces chiffres convergent avec les données historiques connues : la statistique impériale de 1809 comptabilise 82 300 moulins à eau en activité en France, mais ce chiffre a continué de croître jusqu’à la fin du XIXe siècle, période où l’énergie hydraulique est la première puissance motrice en France. Il paraît probable qu’il existe aujourd’hui environ 100 000 sites de moulins en France, dont 60 000 sont en état correct pour recevoir un équipement énergétique et 40 000 demanderaient des travaux de modernisation à cette fin.

Quel potentiel énergétique ?
Les deux estimations de potentiel hydro-électriques dont on dispose (rapport Dambrine 2006 et étude de convergence Ministère UFE DGEMEDDE/UFE 2013) sont incomplètes : la première exclut les sites de moins de 10 kW (qui représentent plus de 50 % des moulins), la seconde les sites de moins de 100 kW (plus de 90 % des moulins). Sur une base limitative de 30 000 moulins de plus de 10 kW, Dambrine 2006 estimait le potentiel à 1 TWh / an. Le potentiel réel total peut être approché à trois fois cette valeur, soit 3 TWh / an. Pour donner un ordre de grandeur, l’équipement des moulins représenterait l’équivalent en productible d’un réacteur nucléaire ou la production totale de l’éclairage public en France (après effet du plan de réduction de cet éclairage).

Les usages : autoconsommation ou injection réseau 
L’équipement énergétique des moulins peut servir à l’autoconsommation (chauffage en particulier) ou à l’injection réseau. En raison du bon facteur de charge de l’énergie hydraulique, il faut compter environ 10 kW de puissance pour satisfaire les besoins en consommation d'une famille, la puissance en surcroît pouvant être dédiée à l’injection réseau.

Pilotabilité pour le réseau : une énergie prévisible à 24 / 48 h 
Le productible d’un moulin est défini par l’hydrologie de la rivière (débit utile et chute nette). Ces données sont prévisibles 24 à 48 h à l’avance, et donc faciles à intégrer lorsque les gestionnaires du réseau doivent anticiper le besoin de charge. Par rapport à d’autres énergies souffrant de fatalité et d’intermittence (éolien, solaire), l’hydraulique jouit donc d’une certaine régularité et prévisibilité. Les moulins sont disséminés sur le territoire (cf carte ROE) et injectent généralement sur le réseau basse tension. Les coûts de transport de l’électricité peuvent être réduits par ce foisonnement.

Taux de retour énergétique (EROEI) : le meilleur score de toutes les énergies 
Le taux de retour énergétique, appelé EROEI (energy return on energy invested) se calcule par la quantité d’énergie que l’on produit sur le cycle de vie d’un dispositif divisée par la quantité d’énergie nécessaire à la construction, la maintenance et le démantèlement du dispositif. L’énergie hydraulique représente le meilleur EROEI de toutes les sources d’énergie, charbon inclus, avec un facteur 10 à 20 au-dessus du nucléaire ou des autres ENR (Murphy et Halls 2010).


— Climat et environnement —

Bilan carbone : en pointe contre le réchauffement climatique
Avec 4 g eqCO2 par kWh produit, l’énergie hydraulique représente le meilleur bilan de toutes les énergies productrices d’électricité (GIEC IPCC, SRREN Report 2012). Ce chiffre est encore meilleur dans le cas des moulins, car le génie civil (seuils, biefs, chambre d’eau) est déjà présent, donc ce poste carbone intensif est très limité par rapport à la grande hydraulique construite de novo. L’équipement des moulins devrait donc être une priorité dans la stratégie de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et prévention du réchauffement climatique. D’autant que ce réchauffement représente la menace de premier ordre sur l’évolution à long terme des milieux aquatiques continentaux.

Usage des matières premières : un impact très faible 
Il a été montré que l’énergie hydraulique est la moins consommatrice de matières premières et en particulier de métaux par kWh produit (Kleijn et al 2011 et Van Der Voet et al 2013).

Impact sur la rivière : un effet modeste que l’on peut corriger
Les barrages de moulins, que l’on appelle seuils ou chaussées, ont généralement une hauteur de moins de 2 m. Ils modifient localement la morphologie de la rivière, mais leur impact sur la qualité de l’eau et des milieux aquatiques reste très modeste. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer ce faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015). Grâce au progrès des connaissances, technologies et bonnes pratiques, il est aujourd’hui possible de réduire l’impact piscicole et sédimentaire des prises d’eau de moulin (Courret et Larinier, Onema 2008). Le choix actuel de détruire le maximum de seuils de moulins en rivière paraît donc une option profondément contestable au plan écologique et énergétique.



— Economie et société —

Economie : des emplois non délocalisables, notamment en zones rurales
Equiper les moulins ne permet pas seulement de produire une énergie propre, non carbonée et locale, c’est aussi un investissement dans plusieurs filières d’emplois non délocalisables : bureaux d’études, installateurs-réparateurs, turbiniers, producteurs en vantellerie (vannes, organes mobiles) et automatisme, génie civil, etc. Sur la base d’un investissement de 4000 € / kW installé (compte non tenu des dispositifs écologiques de franchissement), l’équipement de 1500 moulins français par an pourrait représenter un milliard d’euros d'investissement productif d’ici 2030. Cet investissement bénéficie notamment aux territoires ruraux où les moulins sont les plus nombreux.

Poids sur la CSPE : la facture des Français soulagée 
L’hydro-électricité fluviale est une technologie mature, qui possède un excellent rendement. Il en résulte que le tarif de rachat est moindre que celui d’autres sources d’énergie émergentes et moins maîtrisées. Dans la phase initiale de la transition énergétique, ce sont les sources les moins coûteuses qui devraient être équipées en premier, afin de ne pas alourdir les coûts publics supportés par les Français à travers leur facture d’électricité. Dans son rapport sur l’évaluation des politiques publiques en matière d’énergie renouvelable, la Cour des Comptes a reconnu cette qualité : «S’agissant de la filière hydraulique, qui est mature et dispose encore d’un potentiel important, cependant limité par les mesures de protection des cours d’eau portées notamment par la LEMA, l’État doit arbitrer entre l’exploitation à des fins énergétiques d’une énergie connue, maîtrisée, non polluante et nécessaire à la réalisation de ses objectifs de politique énergétique et le maintien d’un niveau élevé de protection de la faune et de la flore» (Cour des Comptes 2013)

Les moulins et l’opinion : une forte acceptabilité sociale 
Contrairement à d’autres sources d’énergie renouvelable, les moulins à eau jouissent d’une forte popularité auprès des élus locaux et des riverains. Leurs retenues sont déjà intégrées dans les paysages de vallée depuis des siècles. Ils appartiennent à l’imaginaire national et font salles combles lors des visites des journées du patrimoine comme des journées des moulins. La reprise de leur activité énergétique ne représente aucune nuisance particulière pour le voisinage, car ils fonctionnent au fil de l’eau (et non en éclusée comme les grands barrages). Plusieurs centaines d’associations rassemblent déjà les passionnés dans tous les départements français.


— Un choix politique à l’heure de la transition énergétique —

Quelles réformes attendues ? 
La mise en œuvre du potentiel de la petite hydro-électricité passe par plusieurs avancées législatives et réglementaires, en particulier :
  • le moratoire immédiat sur les effacements de seuils et barrages au motif de continuité écologique (qui détruisent nos capacités de production au lieu de les équiper), 
  • l’aide publique (Agence de l’eau, Régions) aux aménagements écologiques de franchissabilité et d’ichtyocompatibilité,
  • la simplification des contrats de raccordement et injection (autoconsommation avec injection du surplus en compteur double sens, procédure simplifiée pour les moins de 36 kVA, procédure ultrasimplifiée pour les moins de 10 kVA), 
  • la mise en place d’un guichet unique dans chaque département (et non pas de multiples interlocuteurs administratifs DDT, Onema, Dreal, Ademe, etc.), 
  • le développement du financement participatif,
  • l’intégration systématique dans les Plans climat-énergie territoriaux (PCET), les Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) et le maillage des territoires à énergie positive pour la croissance verte,
  • le maintien des tarifs d’achat EDF-OA en 2016, avec prime aux petites puissances.
L’intégration de la très petite hydro-électricité dans la transition énergétique est un choix d’avenir : les moulins ne sont pas seulement un magnifique héritage du millénaire passé, ils sont aussi un atout pour une énergie propre sur des rivières vivantes et dans des territoires dynamiques.

Illustrations : 1. ROE, Onema 2014, carte indiquant les seuils et barrages connus à date ; 2. exemples de montages en petite hydro (© DBH) ; 3. moulin sur le Serein à Guillon. De hauteur modeste, noyés en hautes eaux, les seuils de moulin ont un impact très faible sur la qualité piscicole et sédimentaire des cours d’eau. La dégradation récente des rivières françaises n'est pas liée à leur existence pluriséculaire ; 4. montage Turbiwatt, fabricant français spécialisé en turbines pour moulins.

17/03/2015

DCE 2000 et politique de l'eau: la France manque de transparence, de justice et d'efficacité

Alors que l'Etat français prétend détruire de manière autoritaire 18.000 seuils et barrages de moulins d'ici 2018, trois rapports indépendants montrent l'échec programmé de la politique de l'eau, notamment en matière de qualité écologique et chimique des rivières. Combien de temps va encore durer ce scandale? 

D'aucuns pourraient penser que notre jugement sévère sur les acteurs de la politique de l'eau (Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie, Agences de l'eau, syndicats de rivières et de bassins versants) est biaisé par notre intérêt particulier pour le patrimoine et l'énergie hydrauliques. Mais il n'en est rien : les critiques que nous dressons à partir de nos observations de terrain et de notre veille de la littérature scientifique sont en fait largement partagées par les autorités chargées d'évaluer la politique de l'Etat et des administrations. En témoignent trois rapports récents et convergents : Commission européenne, Agence européenne de l'environnement, Cour des comptes.

Commission européenne : des doutes sérieux sur la politique française de l'eau
La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a fixé voici 15 ans les objectifs de qualité chimique et écologique des rivières pour les pays signataires de l'Union. Chaque pays dresse régulièrement un bilan de la mise en oeuvre de cette directive (processus dit de rapportage) et l'Union européenne (par la voix de la Commission) évalue ce bilan.

La Commission vient de publier sa dernière évaluation, à partir des données transmises fin 2012. Le chapitre consacré aux recommandations à la France est particulièrement éclairant. On y lit en effet que la France devrait :
- combler les vides du suivi et de la méthodologie dans l'analyse des qualités écologique et chimique des eaux de surface;
- améliorer l'analyse des liens entre impacts / pressions et qualité de l'eau, afin de choisir des mesures utiles pour l'atteinte du bon état DCE 2000;
- traiter enfin le problème des pollution nitrate / phosphore, obstacles au bon état, de même que la charge en pesticides;
- identifier de manière claire et transparente les pollutions de chaque bassin versant;
- mieux qualifier les services rendus par l'eau et donc les analyses coût-avantage des mesures choisies;
- intégrer davantage le réchauffement climatique dans l'analyse des impacts et des besoins futurs.

La Commission européenne rassemble donc très exactement l'ensemble des critiques que nous faisons à la politique française de l'eau, outre l'acharnement sur la morphologie qui est le contrepoint (et l'alibi) de ces carences précédemment citées.

Agence européenne de l'environnement : bilan négatif
Ce rapport de travail de la Commission fait suite à une étude également publiée en mars par l'Agence européenne de l'environnement. Celui-ci établit qu'au mieux 53% seulement des masses d'eau européennes seront en bon état écologique en 2015.

L'objectif initial de la DCE 2000 était un bon état chimique et écologique des rivières en 2015, avec des exceptions motivées pour une atteinte en 2021 ou en 2027. Nous sommes donc très loin de cet objectif, et la carte publiée par l'Agence de l'environnement montre que la France n'est pas vraiment le bon élève de l'Europe en ce domaine.

On observe en particulier que la pollution chimique continue d'impacter la majorité des rivières dans la majorité des bassins où elle est mesurée.

L'Agence européenne de l'environnement rappelle au passage que l'hydromorphologie doit faire prioritairement l'objet de correction dans les seuls cas où il est démontré qu'elle est le facteur limitant d'atteinte de la qualité écologique. La France est très loin d'appliquer ce précepte puisque pas une seule étude scientifique ne démontre que les choix de continuité écologique et les classements des rivières 2012-2013 ont été faits sur cette base. Nous dépensons ainsi des milliards d'euros en destructions de seuils et barrages sans certitude aucune de progresser vers le bon état au sens attendu par nos engagements européens. Tout en massacrant notre patrimoine hydraulique et son potentiel énergétique.

Cour des comptes : comment l'Agence de l'eau fait payer les pollués plutôt que les pollueurs
Qui sont-ils donc, les responsables de l'échec français ? L'Etat bien sûr, c'est-à-dire le Ministère de l'Ecologie et sa Direction de l'eau et de la biodiversité. Mais aussi les grandes agences financières de bassins, dites Agences de l'eau, qui établissent des programmes d'action et qui dépensent l'argent prélevé par les taxes sur l'eau.

Le dernier rapport de la Cour des comptes étrille cette gestion des rivières et milieux aquatiques par les Agences de l'eau. Le reproche le plus grave est la mauvaise application du principe "pollueur-payeur : "ceux dont l'activité est à l'origine des pollutions graves ne sont pas sanctionnés en proportion des dégâts qu'ils provoquent". Les usagers domestiques règlent 87 % du montant total de la redevance sur l'eau, alors que la part des industriels est descendue à 7 % et celle des agriculteurs stagne à 6 % en moyenne. L'Agence de l'eau Seine-Normandie, connue pour sa haine des seuils et barrages comme pour son impuissance à réduire les polluants, est même épinglée pour son acharnement sur les usagers : elle voulait faire payer les usagers domestiques à hauteur de 92% !

Autre motif de critique de la haute autorité financière : la "transparence insuffisante" dans la distribution des subventions. Il n'existe pas de règles claires et partagées en ce domaine, donc on observe des dérives comme des versements généreux à des pollueurs. De même, la composition des comités de bassins est problématique : largement dominée par les lobbies, elle offre très peu de représentants à la société civile et des petits usagers de l'eau. A titre d'exemple, il n'y a aucun représentant des moulins dans le comité de bassin Seine-Normandie, alors que 8000 d'entre eux sont concernés par le classement L2 des rivières et que des dizaines de milliers de km du bassin comportent des moulins.

En conclusion
Depuis des années et à partir de nos observations de terrain, nous dénonçons les absurdités de la politique française de l'eau. Comme déjà l'avaient fait les rapports Lesage et Levrault de 2013. De manière simultanée, trois autorités indépendantes publient en ce début 2015 des analyses convergentes qui confortent et aggravent notre diagnostic. Nous appelons donc les citoyens à saisir leurs élus (députés et sénateurs) afin d'exiger que les responsables de ce naufrage soient politiquement, voire judiciairement, sanctionnés. La dérive hors de tout contrôle indépendant de la direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie et des directions Onema / Agence de l'eau est désormais connue de tous. Il faut cesser ce scandale permanent et refonder la politique de l'eau sur des bases nouvelles.

Références :
Commission européenne (2015), Report on the progress in implementation of the Water Framework Directive Programmes of Measures, Commission Staff Working Document (pdf)
Agence européenne de l'environnement (2015), The European environment — state and outlook 2015
Cour des Comptes (2015), Rapport public annuel, extrait sur les Agences de l'eau (pdf)

05/03/2015

Qualité piscicole: les indicateurs synthétiques (IPR, EFI) plus sensibles à l'état chimique et à la dégradation globale qu'à la seule morphologie (Marzin et al 2012)

Les rivières et leurs peuplements évoluent en fonction de l'action humaine, mais aussi en fonction de divers facteurs physiques. Comment distinguer la réponse des indicateurs de qualité biologique à la variabilité naturelle des milieux et aux différentes pressions d'origine humaine? Comment savoir quels assemblages biologiques vont répondre à tel ou tel impact?

Une étude qui prend en compte la "physiographie" de la rivière
Pour répondre à ces questions, Anahita Marzin et ses collègues (Irstea, UR HBAN HYNES à Anthony, UR REBX à Cestas) ont analysé 290 rivières françaises de taille petite à moyenne (bassin versant de 1 à 13312 km2, médiane 99 km2), rivières sur lesquelles on disposait de mesures de qualité sur la période 2005-2008. Dans cet ensemble, 102 sites sont peu impactés avec un état écologique bon ou très bon selon le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (DCE 2000), tandis que les 188 autres présentent des impacts anthropiques d'intensité variable. Les indicateurs de qualité biologique concernent pour leur part les poissons, les macrophytes, les macro-invertébrés et les diatomées benthiques.

La variabilité naturelle a été analysée par des données "physiographiques" (en hydrogéologie, ce sont des variables physiques comme l'altitude, la largeur et pente moyennes du lit, la température moyenne de l'air, la distance à la source, etc.) tandis que les pressions anthropiques ont été intégrées dans quatre classes : dégradations globale (somme des impacts), hydrologique (par exemple prélèvement d'eau), morphologique (par exemple modification de taille du chenal) et qualité chimique de l'eau (par exemple concentration en nitrate et phosphates).

La présence d'une retenue (impoundment) a aussi été intégré comme variable qualitative supplémentaire. La modélisation statistique a consisté en une analyse factorielle en composantes principales (pour les données quantitatives) et en correspondances multiples (pour les données qualitatives).

L'état global du milieu et la qualité chimique de l'eau restent les premiers discriminants de réponse biologique
Les chercheurs ont donc tenté de modéliser l'intensité de la réponse (capacité d'un indicateur biologique à discriminer un facteur) et la sensibilité au changement (niveau de la réponse à la pression, par exemple capacité à répondre à un impact faible). Quels sont les principaux résultats de l'étude?

D'abord, le travaux d'A. Marzin et ses collègues confirme l'importance de la variabilité naturelle. Sur les sites peu impactés par l'homme, les deux-tiers des métriques de qualité montrent une variation significative. Les chercheurs en déduisent que "cette source de variabilité doit être prise ne compte avant de considérer les réponses biologiques aux facteurs de stress induits par l'homme".

La réponse des milieux aux facteurs d'impact a été plus marquée pour l'indice de dégradation globale. Ce sont les diatomées et les macro-invertébrés qui montrent la plus forte sensibilité, mais les poissons exhibent la plus forte intensité. Au sein des pressions spécifiques, la qualité chimique de l'eau produit les plus fortes intensité et sensibilité de la réponse. Les poissons tendent à montrer des sensibilités plus élevées que les autres compartiments biologiques pour des dégradations liées à l'hydrologie, à la morphologie ou à la présence de retenue.

Les auteurs observent que la réponse est d'autant plus forte que les pressions s'additionnent, et inversement. Ils parviennent à ce résultat en analysant selon les sites l'impact global (étape 1), l'impact humain additif (étape 2) et l'impact d'un seul facteur humain (étape 3) – par exemple, s'il n'y a plus qu'une seule pression, le niveau de réponse significatif des métriques piscicoles à l'hydrologie chute de 59% à 9%. Nous allons focaliser sur cette réponse des poissons, qui est un enjeu souvent mis en avant dans les politiques de continuité écologique.

Des indices de qualité piscicole DCE 2000 relativement peu affectés par la morphologie (mais d'autres le sont davantage)
Nous avons extrait ci-dessous des résultats quantifiés les valeurs piscicoles (cliquer pour agrandir). Pour interpréter ce tableau : les pourcentages indiquent la sensibilité (efficacité discriminatoire) de la réponse aux pressions humaines, soit la proportion de sites très impactés (gp4) dont les valeurs des indices biologiques sont dans les percentiles extrêmes (moins de 5% en sens décroissant ou plus de 95% en sens croissant  des valeurs des sites peu impactés = gp1). MetFUNC signifie métrique fonctionnelle, MetTAX métrique taxonomique, MetIND indice synthétique de qualité. La réponse est négative (-) ou positive (+), la sensibilité est basse (L), intermédiaire (I) ou haute (H). les unités des indices sont FI pour fish, RA pour abondance relative, S pour richesse spécifique.


On observe que les indices synthétiques de qualité piscicole utilisés pour le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (IPR pour Indice Poissons Rivières et EFI pour European Fish Index) montre une sensibilité plutôt basse à la morphologie (22% et 15%) ainsi qu'à la présence de retenue (impoundment, mêmes scores). En comparaison, la sensibilité aux perturbations globales est de 49% pour l'IPR et 74% pour l'EFI. La sensibilité à la qualité de l'eau de 41% pour l'EFI (pas de score IPR), de 32% (IPR) et 21% (EFI) pour l'hydrologie. Les résultats montrent donc, en convergence avec d'autres travaux menés ces 5 dernières années, que la sensibilité piscicole à l'hydromorphologie est moindre que pour les autres facteurs impactant le bassin versant.

Dans le détail cependant, on voit que certaines métriques fonctionnelles sont plus "répondantes" à la morphologie : les espèces de poissons intolérantes aux variation de 02, les lithophiles ou les rhéophiles ont par exemple des scores de sensibilité marqués (à la morphologie et/ou à la présence de retenues). Les espèces ou assemblages concernés sont souvent des témoins de rivières en très bon état écologique, sensibles à un large spectre de dégradations.

Quelques remarques pour conclure
La DCE 2000 sur l'eau a imposé un suivi de qualité chimique, physico-chimique, biologique et morphologique des rivières européennes. C'est une excellente chose que l'on dispose d'un tel réseau de surveillance, mais aussi d'un tel effort de normalisation des indices de qualité. Aucune science d'observation (comme l'écologie) ne peut en effet parvenir à des conclusions robustes si elle ne dispose préalablement de données fiables sur les milieux dont il s'agit de comprendre la dynamique.

L'analyse qualitative in situ d'un hydro-éco-système apporte toujours des résultats de terrain intéressants, mais elle est complémentaire d'analyses comparatives et quantitatives permettant de comprendre les facteurs d'évolution des milieux à échelle des tronçons, des bassins versants et des grands réseaux hydrographiques. L'analyse d'Anahita Marzin et ses collègues s'inscrit dans un ensemble de publications ayant commencé à émerger à la fin des années 2000, disposant des mesures suffisantes pour commencer à estimer la variabilité naturelle et forcée des milieux aquatiques, ainsi que la sensibilité relative des populations biologiques.

Ces remarques sur la connaissance des milieux aquatiques concernent également la gestion de ces même milieux, en particulier par le domaine émergent de l'ingénierie écologique qui se donne des objectifs de résultat : il paraît difficile de vouloir restaurer des équilibres naturels (ou fonctionnels) si l'on n'a pas au préalable une idée correcte de l'impact relatif des déséquilibres à traiter.

Hélas, la politique de continuité écologique ne prend pas ce chemin en France, puisque les sommes considérables qui lui sont affectées profitent essentiellement à des analyses très locales par des bureaux d'étude, rédigeant souvent ce que leur financeur public (Agence de l'eau) ou privé (maître d'ouvrage) a envie d'entendre, et non pas à des diagnostics scientifiques complets à échelle de tronçons ou bassins versants, diagnostics qui pourraient être réalisés par la recherche académique. Par ailleurs, comme une étude OCE l'avait montré, on trouve des rivières classées L2, où les ouvrages hydrauliques sont nombreux mais où les scores IPR sont bons voire excellents : pourquoi prioriser aussi médiocrement les interventions en rivière, alors que les budgets sont limités et les altérations non morphologiques nombreuses ?

Cette précipitation à s'engager dans l'action sans information réelle sur les bénéfices attendus (en particulier sur le respect formel du bon état chimique et écologique au sens de la DCE 2000) est déjà peu compréhensible ; le refus de l'admettre de la part de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie l'est encore moins.

Référence :
Marzin A et al (2012), Ecological assessment of running waters: Do macrophytes, macroinvertebrates, diatoms and fish show similar responses to human pressures?, Ecological Indicators, 23, 56–65

24/02/2015

France Nature Environnement : un communiqué dogmatique et mal informé sur les moulins à eau

Alors que Ségolène Royal vient d'annoncer des mesures visant à recadrer les positions de son administration à l'encontre des moulins à eau et de la petite hydro-électricité, France Nature Environnement se fend d'un communiqué parfaitement dogmatique sur la question. Hydrauxois répond ci-dessous à quelques contre-vérités flagrantes, et déplorables de la part d'une fédération si puissante et reconnue d'utilité publique.  Nous ne doutions pas que la Ministre de l'Ecologie devrait affronter une salve puissante pour ses positions lucides et courageuses. Que FNE tire le premier était également prévisible, puisque la Fédération nous a habitués à de telles surenchères dans le domaine de l'eau et des milieux aquatiques. Il faut dire que le naufrage de la mise en oeuvre de la Directive-cadre sur l'Eau 2000 menace d'emporter tous ceux qui ont avalisé ses décisions les plus absurdes, y compris la ruineuse et précipitée restauration de continuité écologique... 

"En 2013, les états des lieux montrent que l’une des principales causes de non-atteinte du bon état des cours d’eau, objectif fixé par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE), est la rupture de la continuité écologique ainsi que les perturbations des débits notamment engendrées par la présence d’ouvrages hydroélectriques."

Quels "états des lieux" ? C'est une affirmation gratuite, sans référence, sans preuve ni démonstration. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer un faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015), en même temps que les prélèvements quantitatifs en eau ont augmenté. Dans le cas des moulins en particulier, la majorité sont présents depuis plusieurs siècles et ils ont créé de longue date un nouvel équilibre local sur les rivières. Les seuils de moins de 2 m sont généralement noyés en crue, et leur impact sédimentaire ou piscicole n'est pas comparable avec les grands barrages de navigation, de régulation ou d'énergie construits à partir du milieu du XIXe siècle. Barrages dont l'Etat fut souvent l'instigateur, et dont il est aujourd'hui encore souvent propriétaire ou actionnaire, sans montrer l'exemple de continuité écologique sur ses propres sites.

"Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 30.000 moulins soi-disant transformables en microcentrales hydroélectriques ne produiraient que 1 TWh, soit 0,2% de la production électrique nationale ! Et encore, ces chiffres sont tirés du rapport Dambrine dont même les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui qu’il surestimait d’un facteur 31 les perspectives d’augmentation brute de la production hydroélectrique métropolitaine…"

D'abord, le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui environ 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120.000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Le "facteur 31" est sans doute une coquille du rédacteur pour facteur 3 (comparaison des productibles selon Dambrine 2006 et DGEMEDDE/UFE 2013). Mais FNE compare des poires et des bananes : d'une part, Dambrine 2006 a réalisé ses estimations avant la LEMA (loi sur l'eau) 2006 et le classement des rivières 2012 (donc sur un potentiel moins bridé qu'aujourd'hui) ; d'autre part, l'étude de convergence de la DGE du Ministère et de l'UFE exclut les sites de moins de 100 kW, c'est-à-dire qu'elle exclut… la très grande majorité des moulins de France ! Il faut noter que Dambrine 2006 lui-même n'a pas pris en compte les sites de moins de 10 kW, alors qu'ils sont très nombreux et que l'offre de turbine hydraulique "prête à poser" commence aujourd'hui à 0,7 kW. En ordre de grandeur, admettons que 60.000 moulins (la moitié des sites présumés en France déjà existants) soient équipés en moyenne à 10 kVA en injection et 5000 heures à puissance nominale, on obtient 3 TWh par an. Le chiffre est bien sûr modeste par rapport à la production électrique annuelle en France (550 TWh), mais la petite hydro-électricité ne prétend pas à autre chose qu'à apporter cette modeste part à la transition énergétique.  En ordre de grandeur toujours, si l'on ajoute des sites faciles à créer sans impacter gravement les milieux, la petite hydro (moins de 100 kW) pourrait produire à terme l'équivalent de l'éclairage public en France (env 5 TWh/an). Affirmer que c'est quantité négligeable à l'heure où la transition post-carbone et la prévention du réchauffement climatique s'imposent comme la grand défi des générations présentes et à venir relève d'une curieuse conception de la prise en main par les citoyens de leur destin énergétique.

"La petite hydraulique représente une faible part dans le gâteau énergétique mais plus de 90% du potentiel hydroélectrique est aujourd’hui réalisé et la très grande majorité des sites propices sont déjà équipés"

Absurde et contradictoire. En même temps qu'il refuse l'équipement hydro-électrique des 60.000 à 100.000 moulins de France, FNE affirme que les "sites propices" seraient d'ores et déjà équipés. Par définition, les moulins se sont construits sur des "sites propices" à l'usage de la puissance de l'eau, leur génie civil est déjà en place donc leur ré-équipement n'est pas une défi très complexe : ils ont déjà produit à une époque où les technologies étaient moins maîtrisées qu'aujourd'hui, ils pourront reproduire demain sans difficulté majeure. Le coût d'installation du kW hydro-électrique peut descendre en dessous de 2000 euros sur des petites installations : ce sont essentiellement les contraintes environnementales (et le refus anormal d'aides publiques pour relever ces contraintes)  qui renchérissent les projets. Plus largement, le potentiel hydro-électrique est considérable si l'on inclut outre les moulins les sites de moyenne et grande puissances, les STEP permettant de stocker et lisse les ENR intermittentes, les équipements des réseaux de distribution et assainissement, la création de retenues collinaires dans les zones où l'interception du ruissellement n'est pas dommageable, etc. Nous tenons le rapport de convergence DGE / UFE 2013 pour un travail très préliminaire, fortement bridé par les positions contestables de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie. Ce seul rapport indique déjà un potentiel global de l'ordre de 10 TWh/an (création de sites + équipement des sites existants), soit déjà une hausse de l'ordre de 15% de la production hydraulique continentale.


"Aujourd’hui, il existe 1870 unités de petite hydraulique pour une puissance unitaire moyenne d’un peu plus de 1 MW. Pour les moulins, c’est tout autre : quelques dizaines de kW tout au plus. Quant à l’aspect patrimonial du sujet, il en va de même : le fonctionnement des anciens moulins à eau était discontinu et lié à l’activité humaine (jours chômés, ...) et à la disponibilité des matières premières (blés par exemple). C’est à dire tout le contraire des centrales hydroélectriques modernes qui turbinent 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24h sur 24 !"

FNE ne connaît visiblement pas grand chose à l'énergie hydraulique, ce qui ne l'empêche pas d'en parler avec aplomb. Un certain nombre de très grandes centrales hydrauliques sont utilisées presqu'uniquement en pointe, et non pas toute l'année. D'autres fonctionnent en pompage-turbinage. Toute centrale ou moulin au fil de l'eau (sans fonction réservoir) équipé correctement tourne toute l'année ou presque, il s'agit simplement d'une question de dimensionnement correct de la turbine par rapport au débit. Quant à l'argument du "quelques dizaines de kW", il est douteux alors que l'on soutient massivement en France l'énergie solaire des particuliers (quelques kW à moindre facteur de charge et plus fort coût social que l'hydraulique) ainsi que les modes de chauffage non carbonés (idem) ou l'électromobilité (idem). Un moulin est parfaitement adapté à l'époque contemporaine pour décarboner l'énergie d'une famille (pour les plus modestes), d'un quartier ou d'un village. Et comme ces moulins sont très répartis sur les territoires (cf ci-dessus carte du ROE) tout en bénéficiant d'une forte acceptabilité sociale,  ils ont leur place dans tous les outils de planification de la transition (SRCAE, PCET, territoires à énergie positive, etc.).

Sans compter la probable grande différence d’impact (par exemple sur la dévalaison piscicole) entre roues hydrauliques et turbines.

Un certain nombre de moulins choisissent de s'équiper de roues ou de vis d'Archimède (hydrodynamiques) qui n'ont pas de mortalité et peu de morbidité connue. D'autres relancent des turbines à rotation lente (type Fontaine ou Francis) déjà présentes dans les chambres d'eau – car la plus grande partie des moulins de France se sont équipés de turbines entre 1850 et 1930. Pour tout nouveau projet dans un milieu à enjeu piscicole, les DDT imposent en cas de turbines à rotation rapide des grilles à espacement de 2 cm et des goulottes de dévalaison conçues pour limiter fortement le risque de mortalité et morbidité piscicoles. Les débits minima biologiques (ancien débit réservés) ont été portés à un plancher de 10%. Bref, la question de l'ichtyocompatibilité des prises d'eau est une réalité sur laquelle beaucoup de choses ont d'ores et déjà été faites en vue de limiter les impacts.

"Josselin de Lespinay, membre du réseau Eau de FNE réagit : « Et si le patrimoine doit être l’argument permettant à d’anciens moulins de s’équiper pour produire de l’électricité, ce même argument doit leur imposer de fonctionner de la même façon que lorsqu’ils étaient actifs : ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année"

M. de Lespinay a visiblement envie de réguler la vie des gens en lieu et place de l"Etat, mais cela ne signifie pas que ses idées sont pour autant recevables. Ce qu'il propose est peu applicable avec des équipements modernes qui ne sont pas conçus pour démarrer et s'arrêter plusieurs fois par jour. Vouloir ré-imposer les pratiques hydrauliques du passé n'a guère de sens, en particulier dans un communiqué où l'on vante cinq lignes plus haut la modernité des centrales face au supposé archaïsme des moulins. Comme nous l'avons indiqué, l'ichtycompatibilité du turbinage et la fonctionnalité du seuil peuvent s'obtenir par d'autres moyens que la réplique des habitudes du XVIIIe siècle. Même l'Onema a beaucoup écrit à ce sujet, M. de Lespinay devait relire ses classiques…

Et bien sûr, vous pourrez encore lire sur Hydrauxois tout ce que FNE ne vous dit pas sur les avantages comparés de l'énergie hydraulique et sur la faisabilité de son déploiement :


En conclusion
Nous partageons nombre de prises de position de France Nature Environnement quand cette fédération garde les pieds sur terre et défend les milieux menacés. Dans le domaine de l'eau, force nous est de constater que FNE a endossé sans aucun esprit critique une doxa déjà datée émanant des bureaux du Ministère de l'Ecologie, doxa que nombre de naturalistes de terrain ne valident pas quand il s'agit du cas spécifique des moulins à eau, doxa dangereuse et pour certains opportune car elle a détourné pendant un temps l'attention des citoyens sur les facteurs réels et massifs de dégradation des milieux aquatiques.

Ce n'est pas l'équipement énergétique des moulins qui est l'ennemi de l'écologie, mais tout au contraire l'abandon de leur culture hydraulique à l'époque du pétrole bon marché puis du tout-nucléaire. Un moulin équipé est un moulin géré, un moulin qui connaît, surveille et respecte l'hydraulicité de la rivière, un moulin qui peut adapter son génie civil ou ses pratiques à des contraintes piscicoles ou sédimentaires, un moulin qui peut aussi contribuer à lutter contre des dégradations locales (fermeture ponctuelle des vannes en cas de pollution aiguës, retrait de nombreux déchets des grilles, etc.). Méconnaître ces réalités et propager des informations fantaisistes ne grandit pas FNE. La défense de notre environnement vaut mieux que cela.

20/02/2015

Intégrité et diversité piscicoles: moins de 20% de la variance associée aux seuls barrages en rivière (Wang et al 2011)

En 2011, Lizhu Wang et ses collègues ont livré une des études les plus complètes à ce jour concernant l'influence des barrages sur les populations piscicoles. Cette étude, réalisée dans le contexte nord-américain, est notamment intéressante par :

- le nombre de tronçons concernés (690 dans le Michigan et 537 dans le Wisconsin) ainsi que le nombre de barrages retenus (1553 dans le Michigan, 3662 dans le Wisconsin) ;

- l'exclusion des tronçons ayant des impacts anthropiques trop manifestes (pas plus de 60% de terres agricoles ni de 10% de terres urbanisées dans le bassin) ;

- la précision des descripteurs des ouvrages (nombre total amont et aval, densité sur le linéaire, longueur libre entre deux ouvrages, même si l'on regrette l'absence d'information sur la hauteur et le débit libre, c'est-à-dire sans usage par turbine) ;

- la diversité des descripteurs des poissons (39 variables au total, répartis en deux grand ensembles, "intégrité biotique" sur les populations piscicoles rapportées à leur typologie et "préférence habitat" sur les espèces rapportées aux faciès d'écoulement disponibles, avec quelques facteurs d'usages sociaux comme le pêche sportive).


Un impact significatif, mais limité : 16 à 19% de la variance pour le seul facteur barrage
La première conclusion des auteurs est qu'ils trouvent un "impact significatif" des barrages sur les assemblages piscicoles, aussi bien pour l'intégrité biotique que pour les préférences d'habitat. Tout l'intérêt de ce travail est de quantifier et analyser un peu plus précisément la portée de cet impact.

Information majeure de l'étude : l'influence des barrages seuls sur les indices est relativement faible. La variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat (cf ci-dessus). L'interaction des barrages avec d'autres facteurs d'environnement (naturels ou anthropiques) ajoute respectivement 13% et 18%. La variance expliquée par d'autres facteurs environnementaux est de 71% pour l'intégrité biotique et 63% pour les préférences d'habitat.

Les auteurs soulignent que "sans la prise en compte des co-facteurs d'influence, les évaluations [d'impact des barrages] seront inadéquates et induiront potentiellement en erreur".

Si la biodiversité totale peut être non impactée, certaines catégories de poissons sont désavantagées
L'analyse plus détaillée des résultats de l'analyse en composante principale montre encore des observations peu intuitives.

Dans le schéma ci-dessus (cliquer pour agrandir), on observe par exemple en abscisses les importances d'impact des descripteurs des barrages (LO bas, ML moyen, MH moyen-haut, HI haut) et en ordonnées les indicateurs de poissons (IBI indice d'intégrité biotique ; SP richesse spécifique d'espèces natives ; SH indice Shannon de biodiversité). Dfds : longueur de rivière sans barrage ; Dtdndm : distance au barrage aval ; Dtupdm : distance au barrage amont ; Dndmd : densité de barrages aval ; Dndm# : nombre de barrages aval ; Updmd : densité de barrages amont ; Updm# : nombre de barrages amont

L'impact fort des barrages signifierait que les valeurs pour LO et ML divergent sensiblement des valeurs pour MH et HI. Or, on constate que pour nombre de mesures, il n'en est rien. Cela signifie que peu de tendances claires se dessinent (ce dont témoigne par ailleurs des coefficients de Spearman modestes, tableau II de l'étude, ci-dessous ; cliquer pour agrandir). On peut même avoir des résultats franchement contre-intuitifs, comme des indicateurs d'intégrité ou de diversité piscicoles associés à des hautes densités de barrages.


Dans les associations des descripteurs de barrages avec le plus grand nombre d'indices biologiques, on trouve le nombre de barrages à l'amont (87% des indices) et à l'aval (67%), alors que pour les plus faibles on a la longueur totale sans barrage (10%) et la distance au barrage aval (3%). On observera que ces corrélations restent à expliquer physiquement et biologiquement, car elles sont assez contraires aux objectifs souvent recherchés par les gestionnaires de rivières (moins de barrage à l'aval, le plus long linéaire sans étagement)

Comme l'écrivent L. Wang et ses co-auteurs, "l'impact cumulatif des barrages n'est qu'une part des composantes multiples de l'influence humaine, et le faible niveau de variance expliqué par les barrages n'est donc pas inattendu". Les auteurs soulignent cependant que leurs résultats montrent une influence réelle sur les assemblages de poissons : l'indice de qualité biotique pris globalement tend bel et bien à diminuer avec la densité de barrage, les migrateurs (de type salmonidés) ou les rhéophiles en recherche d'habitats complexes sont de toute évidence désavantagés par la présence de barrages affectant leur franchissement ou produisant des habitats lentiques plus homogènes.

Quelques commentaires sur les résultats de Wang et al. 2011 
Selon Wang et al 2011, les barrages ont donc des effets globalement négatifs sur les assemblages de poissons, mais ces effets restent modestes par rapport aux autres impacts sur les rivières. Localement, la biodiversité peut être augmentée, sans que les espèces plus exigeantes (salmonidés, lithophiles, rhéophiles) soient concernés.

Il faut observer que Wang et al 2011 étudient des barrages dont l'effet sur le cours d'eau est repérable sur une carte 1:100000 du National Hydrography Dataset (NHD) et travaillent dans un contexte nord-américain, de sorte que la dimension moyenne de ces ouvrages est probablement plus élevée que celle des seuils et barrages documentés dans le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE dont la hauteur moyenne est inférieure à 2 m et dont la construction est généralement plus ancienne que le XIXe siècle, puisqu'il y avait déjà plus de 100.000 seuils au XVIIIe siècle, voir ici une réflexion sur les ordres de grandeur en morphologie).

On doit également noter que les corrélations entre barrages et indices piscicoles tendent statistiquement à baisser quand on inclut dans l'échantillon d'étude des cours d'eau subissant des impacts liés aux usages de sols et à la qualité chimique des eaux – puisque ces facteurs sont connus pour dégrader le compartiment piscicole mais être indépendants des barrages, ce qui revient à baisser le poids de la composante d'intérêt en analyse factorielle. Les résultats de Wang et al 2011 convergent largement avec les travaux européens plus récents ayant trouvé des impacts similaires ou plus faibles pour les facteurs morphologiques, en particulier les barrages (cf par exemple en recension sur ce site Van Looy et al 2014 ; Villeneuve et al 2015).

Il existe aussi des dimensions critiques (étiages extrêmes, présence d'espèces invasives, pollutions aigües, etc.) où l'effet des barrages sur les populations piscicoles n'est pas réellement connu faute d'études quantitatives / comparatives comme celle commentée ici. Ces données devraient être rassemblées avant de prendre des décisions trop radicales, comme le suggère d'ailleurs le conseil scientifique de l'Agence de l'eau Seine-Normandie.

En conclusion
Les barrages s'apprécient par leurs effets écologiques, mais également par leurs usages économiques (énergie, irrigation, navigation, tourisme, pisciculture, etc.) et leurs représentations sociales (paysage, patrimoine, identité territoriale).

La question centrale de la politique de l'eau (en particulier de la politique de continuité écologique) à leur endroit réside dans une double évaluation : comment mettons-nous en balance leurs désavantages écologiques et leurs avantages non-écologiques ? Au sein du critère écologique, comment mesure-t-on l'impact précis de ces barrages par rapport aux autres facteurs de dégradation sur chaque rivière, et donc comment proportionne-t-on les efforts d'aménagement ?

Ces questions n'ont hélas pas été posées aux citoyens pas plus qu'elles n'ont fait l'objet d'études scientifiques sérieuses sur chaque bassin versant concerné par le classement des rivières 2012-2013 à fin de continuité écologique. Ce déni démocratique et ce déficit de connaissances ne sont pas acceptables.

Référence
Wang L et al (2011), Effects of dams in river networks on fish assemblages in non-impoundment sections of rivers in Michigan and Wisconsin, USA, River Research and Applications, 27, 4, 473-487

18/02/2015

Ségolène Royal en défense des moulins à eau et de la petite hydro: vers un changement de doctrine du Ministère?

Mme Ségolène Royal, Ministre de l'Ecologie, vient de prendre des positions publiques favorables aux moulins à eau. Voir article AFP complet à ce lien. La Ministre a notamment déclaré : "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".

Des élus indignés de la situation des moulins sur leurs territoires
Ces déclarations font suite à la pression de plusieurs élus indignés de la situation actuelle des moulins. Que disaient ces élus ?

Michel Le Scouarnec (CRC, Communiste républicain et citoyen) : "On n'exploite pas assez le potentiel des moulins: 42 MW à moyen terme en Bretagne, contre 10 MW pour les éoliennes. Il est dommage qu'ils ne soient pas couverts par les schémas régionaux climat air énergie, à cause des contractants liés à la continuité. Certaines dispositions réglementaires doivent être revues pour permettre l'essor de l'hydrologie de faible chute".

Charles Reveet (UMP) : "Partout en France, il y avait des moulins, qui embellissaient le paysage tout en produisant de l'énergie. Aujourd'hui, on renonce trop souvent à ce genre de projet, parce que les contraintes sont trop lourdes. Les moulins n'ont jamais empêché les poissons de remonter à la source, aujourd'hui, on impose des passes à poisson qui renchérissent les projets. L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques bloque tout."

Ce ne sont là que quelques exemples, il y a eu depuis trois ans plusieurs dizaines d'interpellations parlementaires du Ministère de l'Ecologie, y compris par des élus bourguignons.

Une première victoire, mais le combat continue pour un moratoire sur le 214-17 C env.
C'est déjà une belle victoire pour le monde des moulins et usines à eau. En attendant les traductions concrètes, nous pouvons d'ores et déjà opposer les propos de la Ministre aux services du Ministère (DDT, Onema, Dreal) qui, sur le terrain, font le plus souvent tout pour ignorer le potentiel de la petite hydro-électricité, voire pour le contrarier ou le détruire.

Nous espérons que cette reprise en main politique de la question des moulins est le début d'un désaveu complet de la dérive administrative et réglementaire observée depuis 2006 : sans contrôle parlementaire, sans concertation démocratique, sans base scientifique sérieuse, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a multiplié des mesures complexes, coûteuses, inefficaces, dont le point culminant est le classement de 18.000 moulins en rivières de liste 2, avec obligation d'effacer ou aménager d'ici 2018. Pendant ce temps-là, la qualité de l'eau et des milieux aquatiques se dégrade car les vraies causes de pollution des rivières et de dégradation des bassins versants ne sont pas traitées assez efficacement.

La brèche est ouverte, et notre combat continue, plus résolu que jamais, afin d'obtenir un moratoire sur la mise en oeuvre de l'article 214-17 C env et de faire cesser le chantage insupportable qui pèse aujourd'hui sur les maîtres d'ouvrage et les riverains voisins.

L'énergie, raison d'être du moulin: Hydrauxois peut vous aider à équiper
Une observation importante pour conclure : comme notre association en a toujours été persuadée, c'est sous l'angle de l'énergie, de la contribution de la petite hydro à la transition énergétique, que Mme Royal a pris cette position.

Et de fait, la raison d'être d'un seuil de moulin ou d'un barrage d'usine est d'exploiter la puissance de l'eau. Il existe des solutions simples en ce sens : nous les présenterons de façon approfondie lors de nos prochaines rencontres hydrauliques de l'Auxois, le samedi 27 juin (conférences, exposés), et le dimanche 28 juin (visites de sites). Notre association est toujours à disposition pour de premiers conseils sur le potentiel d'un site.

Nous engageons tous nos adhérents et sympathisants propriétaires de moulins à réfléchir sérieusement à l'installation d'un dispositif énergétique, même minimaliste, permettant de se réclamer d'un usage et de s'opposer plus facilement à toute altération des ouvrages hydrauliques. Et permettant aussi de produire une énergie locale, propre, décarbonée, autonome, dont le potentiel est considérable en Côte d'Or et en Bourgogne.

16/02/2015

Densité de barrages en rivières: 13e facteur seulement de dégradation piscicole (Villeneuve et al 2015)

En absence de mesures systématiques sur chaque tronçon des masses d'eau française, peut-on prédire l'état biologique d'un cours d'eau ? C'est la question que posent Bertrand Villeneuve, Yves Souchon, Laurent Valette (équipe du Laboratoire d'hydroloécologie quantitative, Pole Irstea-Onema, UR MALY) et Philippe Usseglio-Polatera (Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, UMR 7360 CNRS—Université de Lorraine), dans une nouvelle publication parue dans la revue Ecological Indicators.

Pour poser leur problématique, les chercheurs soulignent d'abord que la Directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) oblige les Etats-membres à un suivi de qualité écologique des rivières. Mais en France, le réseau de mesure systématique ne concerne que 1500 sites, ce qui laisse 4500 masses d'eau orpheline d'un vrai suivi écologique. Nous avions déjà souligné ici cette carence pénalisante dans nos connaissances de l'état réel des cours d'eau français.

Enjeu : construire un modèle explicatif et prédicitf de l'état des rivières, sur trois échelles spatiales
Qu'ont fait B. Villeneuve et ses collègues ? Ils ont développé un modèle explicatif et prédictif de l'état des masses d'eau. Pour cela, les auteurs ont pris en considération trois échelles spatiales : le bassin versant, le tronçon (partie du linéaire ayant une cohérence hydrologique) et le site. A chaque échelle spatiale, ils ont mobilisé des bases de données existantes pour intégrer des informations sur les pressions, les usages des sols, les altérations morphologiques et les mesures physico-chimiques. Par exemple : niveau d'urbanisation ou d'agriculture intensive (au niveau du bassin versant), proximité de routes du lit mineur ou densité de barrages (au niveau du tronçon), MES, oxygène dissous, phosphore total ou nitrates (au niveau du site).

En face de ces données d'impact, les scientifiques ont collecté sur 1100 sites répartis dans les 22 hydro-éco-régions françaises des mesures de qualité biologique (2008-2009) : macro-invertébrés (indice I2M2), diatomées (indice IBD) et poissons (indice IPR+). (Image ci-dessous : schéma de principe des modèles et carte des sites analysés, cliquer pour agrandir).

Quand on dispose ainsi de jeux de variables, il faut essayer de donner un sens à leur co-variation : soit elle est alétaoire (due au hasard), soit elle est directionnelle (un ou plusieurs facteur(s) influence(nt) un ou plusieurs autres). C'est l'objet des outils de la statistique descriptive et inférentielle. Pour la dimension explicative de leur modèle, les auteurs ont choisi la régression PLS (moindres carrés partiels), une variante de l'analyse en composantes principales qui tend à minimiser dans le calcul de régression l'effet de colinéarité des facteurs (souvent en rivière, les impacts sont corrélés entre eux). Concernant la dimension prédictive du modèle, les chercheurs ont opté pour la méthode des arbres d'inférence conditionnelle (par ex. ctree sur R). Une base d'apprentissage de 800 sites a été exploitée, avec une base test de 300 sites.

Premiers facteurs corrélés à la dégradation : concentrations de nutriments et matières organiques, urbanisation, agriculture intensive 
Que donne le modèle explicatif ? Citons directement les auteurs : "Les résultats du PLS montre que l'ensemble des variables de pression explique 41% de la variabilité de l'I2M2, 26% de la variabilité de l'IBD2007 et 24% de la variabilité de l'IPR+. Le profil de réponse est similaire pour les 3 indices. En terme d'intensité de la réponse, les variables physicochimiques ont les plus hauts coefficients, suivi par les variables d'usages des sols et, finalement, les variables hydromorphologiques. Les variables à effet négatif sur les trois indices sont : les concentrations de nutriments et matières organiques, l'urbanisation et la proportion d'agriculture intensive dans le bassin versant. Les variables avec un effet positif sur les 3 indices sont la concentration en oxygène dissous et la proportion de végétation dans des bandes tampon à 10 m et 30 m du tronçon." On observera que si le modèle a des résultats significatifs, il n'explique qu'une partie de la variance observée dans les rivière.

Le tableau ci-après (cliquer pour agrandir) résume ces résultats du modèle explicatif. Les histogrammes vers la gauche en gris foncé indique un impact négatif, vers la droite en gris clair un impact positif, en blanc le résultat est non-significatif.

Nous avons encadré en rouge un résultat qui nous intéresse particulièrement, la densité de barrages en lit mineur, une variable qui a été intégrée ici au niveau du tronçon. On observe que la densité de barrage a l'influence la plus forte sur les macro-invertébrés. Pour les poissons en revanche (IPR+), il est remarquable d'observer que la densité de barrage n'arrive qu'en 13e position des impacts, très loin derrière l'influence massive des composés physico-chimiques et des divers usages des sols sur le bassin versant.

Concernant les modèles prédictifs, les résultats des chercheurs ont été corrects à 81% pour l'I2M2, 79% pour l'IND2007 et 70% pour l'IPR+. Ils offrent des résultats satisfaisants pour prédire le bon état écologique, mais moins robuste pour prédire le mauvais état. Concernant les échelles spatiales, les données à trois échelles (site, tronçon, basin versant) sont pertinentes pour pondérer les influences anthropiques complexes sur les milieux aquatiques. L'échelle intermédiaire du tronçon (où les prédicteurs hydromorphologiques étaient surtout mesurés) sont difficiles à articuler avec les deux autres échelles spatiales.

Nos conclusions : plus que jamais, revoir de fond en comble la politique de l'eau sur nos rivières
Il reste un long chemin à parcourir avant d'avoir une compréhension scientifique robuste des facteurs expliquant la dégradation écologique d'origine anthropique des cours d'eau par rapport à la variabilité naturelle de leurs populations  : Villeneuve et al 2015 ont un modèle multifactoriel intégrant beaucoup de prédicteurs sur 3 échelles spatiales, et pourtant ils expliquent seulement une part faible de la variabilité des milieux. Nos lectures scientifiques nous inspirent quelques conclusions provisoires.

- La question des seuils et barrages doit être approfondie par des études quantitatives (outre les études qualitatives sur site, nombreuses depuis 50 ans mais montrant sans réelle surprise que le peuplement des retenues n'est pas le même que celui des zones à écoulement plus naturels) et des travaux en histoire de l'environnement (discipline encore émergente). Le facteur de densité des barrages à échelle du tronçon n'est qu'un des éléments que l'on peut corréler aux indicateurs biologiques ; il serait utile d'intégrer des critères plus fins et éventuellement plus discriminants comme les hauteurs de chute, les débits, le taux global d'étagement sur un linéaire, les classes ICE de franchissabilité, les dates de construction des obstacles à l'écoulement, etc. Et corrélativement d'analyser au sein de l'IPR+ les critères qui expliquent le mieux la variabilité de l'indice face à l'impact des barrages.

- Comme plusieurs travaux avant eux (Wang et al 2011, Bush et al 2012, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014), les chercheurs ne trouvent pas dans cette nouvelle publication que l'hydromorphologie (en particulier la densité des barrages) est le premier compartiment explicatif de la variabilité des indicateurs biologiques de  rivières, notamment de la dégradation de ces indicateurs (en particulier l'indice piscicole). L'eutrophisation et les changements d'usage des sols restent les facteurs dominants.

- Alors même qu'en ce début 2015 la Cour des comptes pointe (de nouveau) l'incapacité de Agences de l'eau à lutter efficacement et équitablement contre les pollutions des cours d'eau, toutes les études convergent pour faire de ce facteur la première grande cause d'altération des milieux depuis 60 ans – une cause certainement potentialisée par d'autres comme l'artificialisation accélérée des berges et des lits ou les premiers effets hydrologiques et thermiques du réchauffement climatique.

- Ces travaux remettent fortement en question la précipitation des choix opérés depuis 5 ans par le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'eau dans la mise en oeuvre de la Directive-cadre sur l'eau, en particulier la très coûteuse et très contestée suppression de 18.000 seuils et barrages comme stratégie pour reconquérir le bon état écologique. Il a déjà été démontré dans d'autres travaux que les effets à court et moyen termes de ces opérations de restauration morphologique sont incertains (Nillson et al 2014), sans suivi scientifique sérieux (Palmer et al 2005, Morandi et al 2014), et en particulier que ces opérations de restauration sont peu susceptibles de parvenir au bon état écologique tel qu'il est défini par la DCE 2000 (Haase et el 2013).

- Davantage de budgets pour les équipes de recherche en hydro-écologie et les laboratoires de surveillance et mesure des cours d'eau, moins de financements pour les pelleteuses détruisant sans discernement le patrimoine hydraulique, telle est la voie de la prudence et de la raison. Un moratoire sur la mise en oeuvre de l'article 214-17 C. env (continuité écologique) est plus jamais nécessaire.

Référence :
Villeneuve B et al (2015), Can we predict biological condition of stream ecosystems? A multi-stressors approach linking three biological indices to physico-chemistry, hydromorphology and land use, Ecological Indicators,  48, 88–98

Illustrations : citations de l'article, © Ecological Indicators

07/02/2015

Anthropocène, grande accélération et qualité des rivières

Les géologues divisent les séquences de longue durée de l'histoire de la Terre en ères, périodes, époques et étages. Nous vivons ainsi dans une époque appelée Holocène, commencée avec le dernier interglaciaire voici 10.000 ans, et ce Holocène se situe dans la période dite Quaternaire, elle-même dans l'ère Cénozoïque (jadis appelée Tertiaire). Les frontières entre ces subdivisions sont généralement données par des événements climatiques, géologiques ou biologiques majeurs. Par exemple la frontière entre l'ère primaire (Paléozoïque) et l'ère secondaire (Mésozoïque) est fixée par la grande extinction Permien-Trias, qui a vu disparaître 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres voici environ 252 millions d'années (Ma).

L'Anthropocène, époque où notre espèce modifie la vie sur Terre
Depuis quelque temps, un débat anime la communauté des géologues : certains proposent la création d'une nouvelle époque, appelée Anthropocène, définie comme l'époque où l'espèce humaine est devenue la force majeure de transformation de la Terre. Parmi les traces manifestes de cette époque, on note par exemple la modification substantielle des cycles naturels du carbone, de l'azote, du phosphore, de l'uranium ; l'érosion rapide de la biodiversité avec une accélération du rythme de disparition des espèces ; la modification des composés de l'atmosphère et des équilibres énergétiques du climat ; le changement d'usage des sols, en particulier la déforestation à fin de transformation agricole. Ces événements associés au développement de l'espèce humaine laisseront des traces perceptibles dans l'histoire longue de la Terre.

Cet Anthropocène serait donc appelé à suivre le Holocène. Mais quand débute-t-il? La plupart des propositions convergent vers le XVIIIe siècle, le commencement de la Révolution industrielle moderne qui a donné les moyens de l'explosion démographique humaine et de la transformation de la nature. Dans un article très commenté, Will Steffen et ses collègues viennent plutôt de proposer une nouvelle date : 1950. Ils nomment cette date le seuil de la "grande accélération".

Depuis 1950, les courbes exponentielles de la grande accélération
Pourquoi? Parce que cette période correspond à une très nette accélération des tendances modernes dans le domaine démographique et socio-économique, comme le démontre la forme exponentielle plutôt que linéaire de ces courbes : population, PIB, investissement, énergie primaire, urbanisation, fertilisants, usages de l'eau, grands barrages, tourisme, production de papier, transport télécommunication. (Cliquer pour agrandir)

Les années 1950 correspondent également à une accélération dans les mesures de perturbations environnementales : dioxyde de carbone, protoxyde d'azote, méthane, ozone, température de surface, acidification des océans, volumes de pêches océaniques, nitrates en littoraux, déforestation tropicale, terres cultivées, dégradation de la biosphère terrestre. (Cliquer pour agrandir)

La rivière, témoin (encore) vivant d'un changement d'époque
Pourquoi parler Anthropocène et grande accélération sur le site Hydrauxois ? Parce que nous rencontrons souvent chez nos interlocuteurs institutionnels l'idée (fausse) que les variations morphologiques associées aux barrages de moulins seraient à l'origine de la dégradation d'une majorité des rivières françaises. Et parce que dans le même temps, nous recevons de la plupart des riverains âgés les témoignages (vrais) que les rivières se sont dégradées bien plus récemment (et rapidement) pendant les Trente Glorieuses. C'est-à-dire justement dans le cadre de cette grande accélération.

Et de fait, il n'y a aucune raison que les milieux aquatiques continentaux ne suivent pas le mouvement général exposé par Will Stefen et ses collègues. Certains phénomènes décrits dans les courbes ci-dessus comme le changement climatique (et les changements hydrologiques associés) ont un effet direct sur les populations piscicoles, notamment les espèces thermosensibles vivant dans des zones à la limite de température de tolérance. C'est également le cas évidemment pour la construction des grands barrages contemporains comme pour l'usage industriel de nitrates et autres intrants dans les cultures agricoles, substances qui par ruissellement et infiltration ont modifié les équilibres des masses d'eau (eutrophisation, hypoxie et anoxie, etc.).

Plus largement, c'est bien à partir des années 1950 que se généralisent la motorisation individuelle (HAP pyrolytiques qui se retrouvent dans les rivières), la chimie de synthèse permettant l'usage de masse des phytosanitaires (pesticides) et des biocides en général, des molécules médicamenteuses (perturbateurs développementaux, neurologiques et endocriniens), des lessives et produits d'entretien ou d'hygiène (notamment charge en phosphates avant interdiction), des produits industriels ou de grande consommation peu biodégradables (plastiques, PCB, etc.). Dans cette période d'abondance marquée par l'âge d'or du pétrole et du béton, on a également assisté à des travaux massifs d'urbanisation des rives et d'aménagement des berges, conduisant à des altérations et déséquilibres sur les rivières bien plus rapides que la lente installation des moulins entre le Moyen Âge et le XIXe siècle. La mondialisation des échanges et des flux a également accéléré la diffusion des espèces invasives et des pathogènes importés dans de nombreux milieux, dont les rivières.

Ne pas se tromper de cible, réformer la politique de l'eau
Une leçon de la grande accélération appliquée aux rivières est ainsi que les naturalistes et les écologistes ne doivent pas se tromper de cible : les menaces de premier ordre sur la qualité des milieux aquatiques ne proviennent pas des seuils et petits barrages – quand bien même certains méritent des aménagements pour être plus fonctionnels, et pourquoi pas plus transparents sur une sélection raisonnable d'axes à grands migrateurs ou à enjeux sédimentaires. On l'observe d'ailleurs sur des espèces-témoins polluo-sensibles, dont le déclin ne correspond nullement à la construction ou la densification des seuils, comme par exemple les écrevisses du Morvan ou encore les moules perlières de certaines de nos rivières.

Les centaines de millions d'euros que la France dépense en ce moment chaque année pour des opérations de "restauration morphologique" décidées plus ou moins à l'aveugle et réalisées quasiment toujours sans suivi scientifique sont autant de budgets qui seraient mieux dépensés ailleurs ; déjà pour avoir les campagnes de mesures de qualité exigées par la DCE 2000 (mais très incomplètes sur la majorité des masses d'eau) ; ensuite pour aider les chercheurs à construire des modèles descriptifs et prédictifs, pour aider les agriculteurs à réduire leurs impacts et à sortir d'un modèle productiviste en voie d'épuisement, pour aider les communes à normaliser et améliorer leurs assainissements, pour favoriser l'émergence d'une "chimie verte" orientée sur l'auto-épuration des déchets produits par nos sociétés, pour inclure les rivières dans la transition énergétique permettant de limiter les émissions carbone, et plus largement les émissions de tous les polluants associés à la combustion des sources fossiles.

Inverser les courbes mortifères de la grande accélération demande une vision à long terme, un diagnostic correct et une action cohérente. Alternant les longues inerties et les coups de barre brutaux, les mesurettes sans effet et les modes sans objet, les déclarations fracassantes à défaut d'idées et les inactions patentes par défaut de moyens, la politique française de l'eau n'est pas à la hauteur de cet enjeu de civilisation pour ce qui concerne la reconquête de la qualité des milieux aquatiques.

Références :
Will Steffen W.et al. (2015), The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration, The Anthropocene Review, epub, doi:10.1177/2053019614564785

04/02/2015

SAGE de l'Armançon: le potentiel hydro-électrique aurait été estimé à 15% de sa valeur réelle!

Selon l'analyse de notre association, le SAGE de l'Armançon adopté en 2013 comportait une erreur grave dans ses annexes dédiées au potentiel hydro-électrique du bassin versant. Compte-tenu de la portée réglementaire du SAGE, de l'importance des travaux actuels sur les seuils et barrages, de la vigilance bien connue que met l'Administration à faire strictement respecter le droit de l'environnement sur les rivières, nous demandons à M. le Préfet de statuer sur ce point. Nous communiquons également le dossier au SIRTAVA, porteur du SAGE, afin qu'il s'exprime sur cette question du potentiel hydro-électrique de la rivière.

L’Annexe n°5 du SAGE, adoptée par la Commission locale de l’eau le 5 mai 2010 et approuvée par arrêté interpréfectoral du 6 mai 2013, évalue le potentiel hydroélectrique du bassin versant de l’Armançon, en conformité avec l’article R-212-36 du Code de l’Environnement.

La partie la plus importante du productible du bassin versant (72,6 GWh) est réputée « non mobilisable » (cliquer sur image ci-dessous, voir colonne de gauche). Notre association considère que c'est un erreur, et une erreur grave car elle a été de nature à tromper les parties prenantes du SAGE lors de son adoption. Deux requêtes sont formées auprès du Préfet.


Première requête : confirmer l'erreur de droit

Le SAGE de l’Armançon répute les rivières Armançon, Brenne, Ozerain, Oze et affluents comme des « cours d’eau réservés » au titre de l’article 2 de la loi de 1919, à ce titre non exploitables du point de vue hydro-électrique.

Or, sur ce point :

  • nous n’avons aucune connaissance d’un classement de ces rivières au titre de « cours d’eau réservés » et le SAGE ne produit aucune référence sur ce point ;
  • le classement comme « cours d’eau réservé » interdirait la construction de nouvelles centrales hydro-électriques mais n’interdirait pas l’équipement des 51 ouvrages existants, qui sont présentés par le SAGE comme la source du potentiel énergétique (cf Ministère de l’Ecologie 2010, Guide pratique relatif à la police des droits fondés en titre, page 17) ;
  • le nouveau classement des rivières au titre des alinéas 1 et 2 de l’art. 214-17 du Code de l’Environnement n’empêche pas davantage l’équipement de ces ouvrages, et ce classement était effectif lorsque les préfets de l’Yonne, de la Côte d’Or et de l’Aube ont approuvé le SAGE de l’Armançon ;
  • lors de l’adoption du SAGE en 2013, le classement des cours d’eau de Seine-Normandie au titre de l’article 214-17 C env. était déjà paru depuis plusieurs mois, et ce classement annulait toute disposition anétrieure relative au droit des installations hydro-électriques au regard de la continuité écologique.

En conséquence, nous demandons à M. le Préfet de statuer sur l’exactitude de l’évaluation du potentiel hydro-électrique mobilisable de la rivière Armançon et de ses affluents inscrite dans le SAGE approuvé par arrêté interpréfectoral du 6 mai 2013. 

Seconde requête : modifier l'annexe du SAGE, informer les parties prenantes

Si, comme nous le pensons, il était inexact de se référer à la notion de « cours d’eau réservé » et s’il est au contraire avéré que le potentiel hydro-électrique des ouvrages hydrauliques de l’Armançon et de son bassin versant reste mobilisable, nous estimons que l’erreur commise dans l’Annexe n°5 du SAGE doit être corrigée et toute publicité apportée à cette correction.

Cette requête s’appuie sur les éléments de fait et de droit suivant :

  • le tarif moyen d’achat du kWh en contrat EDF-OA couramment utilisé dans les études d’opportunité hydro-électriques est de 10 c€, ce qui signifie que l’erreur du SAGE de l’Armançon représente un équivalent revenu de 7 millions d’euros annuels, somme évidemment considérable qui est de nature à infléchir la perception de l’énergie hydro-électrique par l’ensemble des parties prenantes du SAGE ;
  • en introduisant une perception biaisée des usages de l’eau, l’erreur du SAGE a contredit le principe général de « gestion durable et équilibrée de la ressource en eau » énoncé dans l’article L-211-1 du Code de l’Environnement, principe dont le même article précise explicitement qu’il vise à assurer « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource » ;
  • les articles R-212-41 et  R-212-44 prévoient que le Préfet peut modifier un SAGE, la modification étant soumise à avis de la Commission locale de l’eau ; rien ne s’oppose à la correction d’une erreur de droit manifeste dans un SAGE, et cette correction est bien sûr nécessaire en l’espèce puisqu’un SAGE ne saurait fonder sa propre autorité règlementaire s’il conforte des erreurs manifestes de droit et s’il contrevient aux dispositions règlementaires et législatives applicables aux cours d’eau.

En conséquence, nous demandons à M. le Préfet de modifier l’Annexe 5 du SAGE de l’Armançon, d’en informer la Commission locale de l’eau, et d’exiger que cette modification, si elle est adoptée par la CLE, soit transmise aux parties prenantes citées dans l’article R 212-42 C env : maires des communes intéressés, présidents des conseils généraux, des conseils régionaux, des chambres de commerce et d'industrie territoriales, chambres d'agriculture, comité de bassin, préfet coordonnateur de bassin.

18/01/2015

Restauration de rivières: beaucoup de budget, peu de méthode (Morandi et al 2014)

Nous avons souligné à de multiples reprises combien la restauration écologique et morphologique des milieux aquatiques, pourtant dotée de généreuses subventions de la part des Agences de l'eau (plus de 2 milliards d'euros dans le budget 2013-2017), manque de rigueur quand il s'agit d'évaluer les résultats des opérations menées. La littérature scientifique abonde pourtant de mises en garde à ce sujet, et une nouvelle étude s'inscrit dans ce sillage.

Bertarnd Morandi et ses trois collègues (CNRS-ENS-Université de Lyon, Irstea) ont analysé 44 projets français de restauration des rivières incluant une procédure d'évaluation.

Voici leurs conclusions, qui parlent d'elles-mêmes. "Les résultats montrent que 1) la qualité de la stratégie d'évaluation reste souvent trop pauvre pour comprendre correctement le lien entre projet de restauration et changement écologique ; 2) dans de nombreux cas, les conclusions tirées sont contradictoires, rendant difficile de déterminer le succès ou l'échec du projet de restauration ; 3) les projets avec les stratégies d'évaluation les plus pauvres ont généralement les conclusions les plus positives sur les effets de la restauration."

Recommandation des chercheurs : que l'évaluation soit intégrée très tôt dans le projet et qu'elle soit fondée sur des objectifs clairement définis.

Conclusion de notre association : sous les mantras de continuité écologique et de restauration morphologique, la France dépense à l'aveugle et sans cohérence de bassin des sommes considérables d'argent public, pendant que les facteurs physico-chimiques impactant la qualité de l'eau ne sont pas correctement traités et nous valent des remontrances de l'Union européenne. Plus fondamentalement, le poids réel des facteurs morphologiques (souvent la cible des restaurations de rivières) et le gain environnemental de leur traitement restent à estimer avec une méthodologie scientifique rigoureuse, cela sur tous les bassins versants. Ce serait éminemment préférable à la boule de cristal de quelques hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'écologie, qui nous mènent dans le mur depuis 10 ans (sans aucune sanction de leurs ministres successifs de tutelle).

Référence
Morandi B. at al (2014), How is success or failure in river restoration projects evaluated? Feedback from French restoration projects, Journal of Environmental Management, 137, 178–188

Image : le Serein en amont de l'usine de Montberthault. De part et d'autre des seuils, nos rivières morvandelles retrouvent vite leurs écoulements naturels propices à la diversité des habitats.

01/01/2015

Hydromorphologie: l'influence des seuils et barrages est modeste en proportion du linéaire total des rivières

La morphologie d’une rivière désigne la manière dont celle-ci auto-organise son débit liquide et solide, dessinant ainsi ses « formes » (d’où la morphologie).  Une rivière travaille de manière latérale entre son lit mineur (cours normal) et son lit majeur (espace de débordement lors des crues). Elle se crée des méandres, des bras et diverses annexes hydrauliques, permanentes ou provisoires.  De manière longitudinale, elle transporte des sédiments solides par érosion (prélèvement) et sédimentation (dépôt), dessinant ainsi dans son lit des écoulements variés (mouilles, fosses, radiers, torrents, chutes, etc.).

La rivière, un flux qui construit son équilibre
La rivière cherche donc en permanence à équilibrer son bilan énergétique entre forces d’écoulement et forces de frottement.  L’étude de ce phénomène, appelée hydromoprhologie, est une discipline scientifique tout à fait passionnante où la recherche française occupe une honorable place au sein des publications internationales. Les propriétaires d’ouvrages hydrauliques gagnent à connaître des rudiments de morphologie, car ce savoir est utile pour optimiser le transport des sédiments (vase, argiles, limons, sables, graviers voire galets) dans la retenue et le bief, en limitant le nombre des curages toujours problématiques et coûteux.

Si la recherche hydromorphologique est très intéressante dans ses méthodes et résultats, son exploitation dans le cadre de la politique de l’eau est en revanche assez décevante. On sait en effet que la France a sauté de manière quelque peu précipitée des analyses scientifiques aux choix politiques. Des gouvernements et établissements publics ont répandu à la hâte l’idée que la morphologie serait la première cause de dégradation des rivières – un « storyteling » bien pratique puisque le dossier de la pollution chimique des milieux aquatiques est explosif et que l’Union européenne doute de la bonne volonté française en écologie des rivières.  La morphologie a pu apparaître à certains comme « la » voie de secours d’une politique de l’eau décrite comme « à bout de souffle » par de récents rapports d’évaluation

Peut-on estimer l’impact global des obstacles sur l’écoulement ?
Nous nous sommes posés une question : quelle est donc l’influence des obstacles à l’écoulement longitudinal, c’est-à-dire des seuils et barrages en lit mineur ? Les études locales des sites peuvent et doivent l’analyser, mais cette analyse des singularités reste circonscrite sur un court linéaire de rivière, celui qui est impacté par le seuil ou barrage analysé. On peut préférer une approche globale par ordre de grandeur.

Dans le tableau suivant, nous proposons une estimation de ce type. Le Référentiel des obstacles à l’écoulement (ROE) de l’Onema totalise 69137 ouvrages. La hauteur moyenne, documentée sur 14634 d’entre eux, est de 1,8 m. Sur la base d’une pente moyenne de 3‰ (pour représenter l’ensemble des écoulements, du torrent ou cours d’eau à forte pente de la tête de bassin jusqu’à la rivière lente de plaine alluviale), le remous liquide / solide (influence amont sur la ligne de charge) moyen est de 600 m. Pour l’influence aval (ressaut hydraulique avant reprise de la ligne d’eau non influencée), on prend un facteur 10 de la hauteur en moyenne (option assez large, l’influence est souvent moindre). Voici le résultat (cliquer pour agrandir) :



Le résultat obtenu est de 46.875 km. Chiffre qui paraît impressionnant mais qui doit être comparé aux 505.016 km de linéaire de rivières identifiés par le Cemagref dans le diagnostic des masses d’eaux françaises fait à l’époque de la loi sur l’eau (in Wasson 2006).

Cela signifie que moins de 10% du linéaire des rivières est sous l’emprise d’un obstacle à l’écoulement longitudinal de type seuil ou barrage. Ou, dans l’autre sens, que plus de 90% du linéaire des masses d’eau françaises ne subit pas cette influence locale des ouvrages hydrauliques.

Bien sûr, les impacts sur la morphologie ne se limitent pas aux seuils et barrages : les digues, les remblais, les rectifications de ruisseaux et rivières, les drainages, les extractions de sables, graviers et galets, les changements d’usage des sols du bassin versant associés à l’urbanisation et à l’agriculture comptent aussi bien. Mais tous ces facteurs relèvent d'une autre politique que « l’effacement des seuils et barrages », qui est présenté comme l’alpha et l’oméga de la reconquête des milieux aquatiques par certains gestionnaires de rivières.

L’exemple du bassin versant de l’Armançon
Cette influence somme toute assez faible des seuils et barrages a pu être par exemple vérifiée en 2007 par l’analyse complète de la morphologie de l’Armançon (affluent bourguignon de l’Yonne) et de son bassin versant dans une étude menée par le bureau Hydratec, sous la direction de Jean-René Malavoi.

Malgré l’influence anthropique ancienne sur les rivière, y compris deux barrages de classe A (Pont-et-Massène sur l'Armançon, Grosbois-en-Montagne sur la Brenne), plusieurs barrages de classe D et des dizaines de seuils,  on n’observait pas d’impact grave sur la dynamique fluviale dans la conclusion de ces travaux :

« Le bassin de l’Armançon présente environ 400 km de rivières importantes : l’Armançon lui-même (200 Km) et ses principaux affluents et sous-affluents (Brenne, Oze, Ozerain et Armance). D’un point de vue géodynamique, ces rivières, bien que très influencées par les activités anthropiques (nombreux barrages, anciens rescindements de méandres et travaux divers liés notamment à la construction du canal de Bourgogne, nombreuses protection de berges « rustiques » (dominantes) ou très « lourdes » (plutôt rares) présentent une activité géodynamique assez importante. Les érosions de berges, plus ou moins actives selon les secteurs, sont à l’origine d’une charge alluviale importante qui garantit, malgré la présence de barrages « piégeurs d’alluvions », un équilibre sédimentaire. Cette fourniture de charge alluviale évite notamment les incisions du lit, dommageables pour les ouvrages d’art (ponts, digues, protections de berges sur des secteurs à enjeux). (…)Cette activité géodynamique permet aussi le maintien de milieux intéressant du point de vue écologique. »

Conclusion
Les impacts morphologiques des seuils, barrages et autres obstacles longitudinaux à l’écoulement sont réels, mais ils sont modestes et ne représentent généralement que des perturbations très localisées des flux de transport liquide et solide. Globalement, moins du 10% du linéaires des masses d’eau française paraît concerné par ces impacts. Les gestionnaires de rivières comme les autorités en charge de l’eau doivent intégrer cette approche quand ils cherchent à définir les mesures prioritaires, efficaces et proportionnées pour améliorer la qualité de l’eau.

Références citées : 
Wasson JG et al. (2006) Appui scientifique à la mise en œuvre de la Directive Européenne Cadre sur l’Eau. Typologie des cours d’eau de France métropolitaine, Cemagref (Irstea), 62 p.
HYDRATEC, Malavoi JR (2007), Etude de la dynamique fluviale et des potentialités de régulation hydrologique de l'Armançon, PAPI-SIRTAVA.

Pour aller plus loin : vous pouvez consulter le très intéressant MOOC Des rivières et des hommes, qui expose de manière didactique quelques bases, concepts et méthodes de l’hydromorphologie. Voir aussi l’ouvrage Malavoi JR, Garnier CC, Landon N, Recking A, Baran P, (2011), Eléments de connaissance pour la gestion du transport solide en rivière, Onema, 216 p.

Illustration : seuil de l'ancienne scierie de Montbard (21) sur la Brenne. Le SIRTAVA étudie actuellement l'aménagement de cette rivière :  le syndicat dépensera-t-il l'argent public dans des mesures réellement utiles pour la qualité de l'eau ou persistera-t-il dans la cosmétique des effacements spectaculaires et inefficaces?