30/09/2015

Les retenues de barrage et autres eaux stagnantes ont un effet positif sur l'auto-épuration de l'azote

Dans cet extrait d'un fascicule Piren-Seine (programme de recherche du CNRS) sur le cycle de l'azote, les auteurs observent que les eaux stagnantes comme les retenues des barrages jouent un rôle auto-épurateur plus important que les eaux courantes. Ils proposent même une reconstitution des nombreux étangs présents à l'époque de l'Ancien Régime et observables sur les cartes de Cassini (en conformité avec la proposition de Powers et al 2015). Ce discours est aux antipodes de celui des autorités et gestionnaires affirmant que la destruction des barrages et seuils serait un atout majeur pour l'auto-épuration spontanée des eaux de rivière. 

"Dans le réseau hydrographique lui-même, le processus de dénitrification qui, sauf si la colonne d’eau du cours d’eau est gravement appauvrie en oxygène, a lieu surtout dans les sédiments, est encore susceptible de réduire la teneur en nitrates des eaux. Le fond des cours d’eau, et plus encore celui des milieux stagnants comme les mares, étangs, lacs ou réservoirs agissent comme des ‘pompes’ à nitrate et éliminent par dénitrification jusqu’à 20 mgN/m²/h, comme le montrent les mesures effectuées à l’aide de cloches benthiques (figure 20). Cet effet est surtout important lorsque le temps de séjour des masses d’eau est long et que la profondeur est faible. La présence d’étangs qui allongent le temps de passage des masses d’eau, ou les grands barrages-réservoirs où l’eau séjourne plusieurs mois (Garnier et al., 1999 ; 2000), sont ainsi des lieux de rétention (élimination) des nitrates (figure 21). 




En complément des actions de réduction de la pollution azotée agricole, et parce que celles-ci ne pourront porter leurs effets que dans un futur assez éloigné en raison notamment de l’inertie de la réponse de divers compartiments environnementaux comme les sols et les grands aquifères, diverses mesures peuvent être envisagées qui visent à éliminer ou retenir une fraction de la pollution azotée à l’interface des sols et des aquifères avec les cours d’eau ou dans le réseau hydrographique lui-même. Il s’agit de restaurer ou d’amplifier le pouvoir de rétention des zones humides riveraines des cours d’eau ou des zones stagnantes comme les mares et retenues.

On a vu précédemment (figure 21) que ces systèmes pouvaient éliminer une part significative de la pollution nitrique diffuse. L’élimination des nitrates par la mare artificielle en Brie, collectant les eaux drainées d’une exploitation agricole de 35 ha est exemplative. 

De tels aménagements paysagers, ont fait l’objet d’un scénario où ont été réimplantés des étangs, similaires à ceux qui constellaient le paysage rural de l’Ancien Régime comme en attestent les cartes de Cassini du milieu du XVIIIe siècle. à l’échelle du sous-bassin du Grand Morin, les résultats montrent un abattement en azote de 25 % par rapport à une situation de référence (figure 44). 


Le réalisme d’un tel scénario d’aménagement de « retenues » nécessiterait de prendre en compte d’autres enjeux tels que la biodiversité et la connectivité des paysages. Le boisement des zones humides riveraines, pour en accroître le potentiel de rétention des nitrates, permettrait aussi d’amplifier les processus de rétention naturels tout au long de la cascade de l’azote."

Source de l'extrait : Billen G dir (2011), La cascade de l’azote dans le bassin de la Seine, Piren-Seine, 58 p.

29/09/2015

Estimation de la puissance hydraulique d'un site: exiger la clarté plutôt que la confusion

Nous avons souligné dans notre précédent article le caractère arbitraire et complexe du nouvel arrêté du 11 septembre 2015 sur les ouvrages hydrauliques. Prenons un exemple concret : l'estimation de la puissance hydraulique d'un site, qui est le point de départ de tout projet hydro-électrique.

L'arrêté énonce : "Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante:
- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;
- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la cote légale, etc."

On constate donc que les rédacteurs de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie ont privilégié pour l'estimation de la puissance le recours à des archives anciennes ("à défaut" seulement par la formule physique de la puissance). Or, cette solution est à l'origine de nombreux désaccords sur le terrain (qui sont régulièrement débattus sur le Forum de la petite hydroélectricité), pour des raisons assez évidentes.

La référence aux équipements passés produit de la confusion inutile
D'abord, il n'y a aucun intérêt à se référer à des équipements anciens de type roue ou meule pour estimer la puissance hydraulique réelle d'un site. Ces données historiques nous indiquent non pas l'énergie présente dans une masse d'eau en mouvement, mais simplement ce qu'était la capacité des technologies au XIXe siècle, voire plus tôt. Ces technologies étaient adaptées aux connaissances de l'époque et à des usages hydromécaniques qui ne correspondent (généralement) plus à l'exploitation moderne de l'énergie en vue de produire de l'électricité. Estimer ainsi la puissance d'un site à partir d'une strate technique passée et figée, cela n'a pas de sens.

Ensuite, les états statistiques sont sujets à caution. Nous avons par exemple observé par contrôles sur sites que la taxe de statistique de Côte d'or de 1921 sous-estime presque systématiquement les débits dérivés au droit des moulins (la valeur de chute étant plus souvent correcte). Une raison probable en est que ces relevés statistiques avaient des incidences fiscales et que l'exploitant avait plutôt intérêt à signifier des débits minimaux aux agents des ponts et chaussées. Ces derniers étaient d'autant plus tolérants que le revenu fiscal né de la loi de 1919 était très faible pour les petites puissances hydrauliques (au point que rapidement les relevés ont cessé car le coût était supérieur au gain). Une autre raison de la mésestimation est que le moulin pouvait être sous-équipé par rapport à la puissance réelle par défaut d'intérêt économique, le débit non exploité passant en surverse du seuil.

Enfin, pour les fonctionnaires comme pour les propriétaires, l'obligation de chercher des données anciennes est beaucoup plus complexe et controversée que le calcul de la puissance maximale brute selon la formule donnée dans le second alinéa de l'arrêté cité plus haut. La hauteur entre la prise et la restitution d'eau se mesure par un simple nivellement. Le débit s'obtient en multipliant la section mouillée du canal par la vitesse du fluide. Il n'y a pas matière à argutie, ces mesures sont reproductibles et vérifiables. Au demeurant, et fort heureusement, nous constatons sur le terrain que les DDT de l'Yonne et de la Côte d'Or tendent à favoriser ce calcul, qui est aussi celui indiqué dans le Guide de police des droits d'eau fondés en titre.

Depuis 1866, le Conseil d'Etat passe outre la référence à l'équipement
Un autre argument contre le choix de rédaction de l'arrêté du 11 septembre 2015 se déduit de la jurisprudence, en l'occurrence de la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'Etat.

Dans l'arrêt Ullrich du 26 juillet 1866, les magistrats décident qu'"aucune disposition législative ou règlementaire n'oblige les usiniers à se pourvoir d'une autorisation pour modifier les ouvrages régulateurs d'une retenue tant que rien n'a été changé au régime des eaux et que, sans accroître la force motrice dont ils peuvent disposer, les usiniers ne font que mieux l'utiliser au moyen d'additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux roues hydrauliques".

A l'époque de cet arrêt, nous sommes dans la période qui voit le remplacement des roues par les premières turbines. Le Conseil d'Etat décide de s'en tenir seulement à deux éléments : la consistance du bief (canal d'amenée) et la hauteur de la chute. Le Conseil estime donc qu'il est inutile de prendre en compte les évolutions de l'équipement facilitant la reconversion d'anciens moulins en établissement industriels, et plus tard en usines hydroélectriques. En choisissant de se référer à des statistiques anciennes ou des équipements passés, l'arrêté du 11 septembre 2015 fait donc preuve d'un remarquable archaïsme et tente de nous ramener 150 ans en arrière.

Pour la petite histoire, certains hauts fonctionnaires bien connus de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie claironnent à qui veut les entendre que les droits d'eau seraient des "archaïsmes" à faire disparaître. On observe que ces mêmes personnes n'hésitent pas, en toute mauvaise foi, à recourir à des références "archaïques" quand il s'agit de faire progresser ce qui ressemble davantage à un programme idéologique personnel de destruction des barrages qu'à un quelconque intérêt général au service des rivières.

Conclusion: arbitraire, doctrinaire et inefficace
Pour les non-experts et les non-passionnés, tout cela peut sembler de l'ordre du détail. Mais le diable niche dans les détails, comme chacun sait. Et si nous focalisons dans ce texte sur l'estimation de la puissance, c'est chaque dimension ou presque de l'arrêté du 11 septembre 2015 qui pourrait être matière à débat sur son bien-fondé. En l'espèce, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie ne saurait ignorer les points relevés dans cet article, d'autant que des syndicats de producteurs les lui ont rappelés dans la phase de discussion préalable à la rédaction de cet arrêté. En toute conscience, elle a donc choisi une rédaction de nature à favoriser l'opacité et la complexité, donc à aggraver la tension entre ses agents instructeurs et les porteurs de projet hydro-électrique, alors qu'il était plus simple et plus exact de donner une formule physique déjà présente dans certains documents de l'Etat. Une telle attitude ne peut être interprétée que comme une intention manifeste et puérile de nuire. La Direction de l'eau n'est pas capable d'assurer les obligations françaises de qualité de l'eau. Elle n'est pas capable non plus d'une vision équilibrée et durable de la rivière formant le clef de voûte de la gestion de l'eau souhaitée par le législateur. Engagée depuis dix ans dans une croisade irrationnelle contre l'existence des ouvrages en rivière, cette Direction de l'eau confond la satisfaction de quelques lobbies minoritaires avec les obligations de mesure, de prudence, d'impartialité et de proportionnalité nécessaires pour garantir le bien commun.

Illustrations : les roues Fontaine in Armengaud Ancien, Traité théorique et pratique des moteurs hydrauliques, 1858.

Arrêté du 11 septembre 2015 : les ouvrages hydrauliques encore matraqués d'exigences disproportionnées

La Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie vient de publier l'arrêté de prescriptions techniques concernant l'autorisation des installations, ouvrages, remblais et épis, dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant un obstacle à l'écoulement des crues ou un obstacle à la continuité écologique. Vous pouvez en consulter le texte complet à cette adresse.


Cet arrêté entend s'appliquer non seulement aux projets visant à construire de nouveaux obstacles, mais plus généralement "au confortement, à la remise en eau ou la remise en exploitation, dans les conditions prévues à l'article R. 214-18-1 du code de l'environnement, des ouvrages fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW".

C'est-à-dire qu'il concerne tout le monde : le modeste moulin visant à autoconsommer ses quelques kW de puissance est traité à la même enseigne qu'un aspirant à la production industrielle. Cette confusion volontaire est caractéristique de la DEB, dont chacun sait (ou doit savoir s'il l'ignore encore) qu'elle a pour obsession tenace la destruction du patrimoine hydraulique français, et avant cela le découragement de la restauration de ce patrimoine par le matraquage des propriétaires d'ouvrage comme des porteurs de projet.


Bureaucratie tatillonne en roue libre
La lecture de cet arrêté offre donc des morceaux choisis de la bureaucratie tatillonne qui fait désormais la politique française de l'eau – du moins ce qui se prétend une politique, mais n'est plus qu'un amas foutraque de règlementations à géométrie variable et à inefficacité démontrée pour la qualité de l'eau.

Si vous avez un projet hydraulique, et si vous tombez sur un agent ayant envie de faire de l'excès de zèle, vous pouvez par exemple désormais être contraint à :

- brider votre puissance à celle des "meules" équipant le site sous l'Ancien Régime ;

- vérifier si votre seuil met en cause la "diversité génétique" et la "structure d'âge" des poissons ;

- équiper votre seuil pour une espèce inexistante dans la rivière mais inscrite dans le "calendrier programmé de reconquête de cette section par cette espèce" ;

- prouver l'ichtyocompatibilité de votre turbine en réalisant plusieurs tests conduits pour l'ensemble des espèces cibles et, le cas échéant, pour différentes gammes de tailles et dans plusieurs configurations de fonctionnement en fonction du débit;

- réaliser une grille à écartement de barreaux de 15 mm;

- équiper l'ouvrage de vannes ou autres organes évacuateurs garantissant un transit sédimentaire le plus proche possible des conditions naturelles dans ces conditions de débit;

- faire varier au cours de l'année et au gré des besoins piscicoles le débit réservé à l'aval.


Le harcèlement continue malgré les bonnes paroles de la Ministre
De telles couveuses à excès de pouvoir et recours contentieux sont la marque distinctive de la DEB depuis 10 ans : elle part du principe qu'un ouvrage ne doit pas exister, et s'il lui faut malgré tout rédiger un texte pour un ouvrage existant ou appelé à exister, elle amoncelle toutes les exigences qui lui passent par l'esprit. Cela sans souci de sanction démocratique ni de réalisme économique ni de démonstration scientifique. Ce qu'on appelle en un mot l'arbitraire.

Certains élus contactés pour le moratoire sur la continuité écologique nous ont répondu que Ségolène Royal avait pris des mesures plus favorables aux moulins, à l'hydro-électricité, à la pisciculture et autres usages de l'eau, donc que le climat est supposé être à l'apaisement. C'est tout le contraire. Ces élus ignorent ce qui se passent derrière les beaux discours de Mme la Ministre, à savoir le matraquage continu, systématique, obsessionnel de la petite hydraulique pour le bénéfice non pas des rivières ni des riverains, mais de quelques lobbies ayant l'oreille de certaines bureaucraties ministérielles.

Illustrations : travaux sur la rivière Cousin, 2015, DR

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Excédé(e) de l'arbitraire ? Engagez vos élus à signer la demande de moratoire sur la continuité écologique

28/09/2015

Etat chimique et écologique des rivières: l'échec français

Eaufrance, service public d’information sur l’eau, vient de publier un état des eaux de surface et des eaux souterraines en France. La publication compare les données 2010 et 2013 transmises par les services des Agences de l'eau. Rappelons que le système d’évaluation de l’état des eaux (SEEE) est issu d’un travail commun entre les autorités de bassins (agences et offices de l’eau, DREAL et DEAL), responsables de l’évaluation de l’état des eaux, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) pour le pilotage du système sous l’autorité du Ministère de l’Ecologie et des organismes scientifiques (Ifremer, CNRS, Ineris, BRGM, Irstea, universités) pour la conception des méthodes et l’alimentation en données.


Etat chimique : les incertitudes ont augmenté
L'analyse de l'état chimique montre que le niveau de masses d'eau de surface (plans d'eau ou rivières) en information insuffisante pour donner un état a augmenté entre 2010 (34%) et 2013 (35,9%). En particulier, et comme on le voit dans la carte ci-dessus (zone grisée), l'Agence de Loire Bretagne n'est plus capable de préciser un état sur ses rivières, alors que le bassin est le plus important en terme de linéaire (voir notre article à ce sujet). Cette situation de dégradation du niveau de connaissance sur les pollutions chimiques n'est évidemment pas acceptable. La liste des substances chimiques à contrôler est réglementairement fixée depuis une dizaine d'années dans le processus de mise en oeuvre de la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Cette liste est relativement modeste par rapport à la réalité des pollutions : elle ne compte qu'une quarantaine de molécules, alors que les enquêtes toxicologiques ont montré qu'en réalité, les eaux française subissent plus de 400 substances considérées comme polluantes (voir aussi la question des mesures de pesticides). Cela pose évidemment question sur le chiffre de 48,2% des masses d'eau supposées être en bon état chimique, sans certitude réelle que ce soit le cas.


Etat écologique : pas de progrès notable
La proportion de masses d’eau de surface en bon état écologique en France est assez comparable à la moyenne européenne de 38,8%. Cela situe la France en 14e position. Entre 2010 et 2013, comme le montre le schéma ci-dessus, on n'observe pas de progrès notable : 41,4% des masses d’eau de surface, toutes catégories d’eau confondues, sont au moins en bon état écologique en 2010 et 43,4% en 2013. Comme le précise Eaufrance, "cet état semble globalement stable : 24,6% des masses d’eau évaluées sur les deux périodes voient leur état s’améliorer, 52,6% stagner, et seulement 20,1% se dégrader". Ces données montrent qu'il n'existe pas de maîtrise réelle des facteurs de dégradation écologique d'une masse d'eau, soit parce que la mesure de la dégradation présente une variation interannuelle forte (par exemple une année en bon état, une année en état moyen), soit parce que les facteurs de dégradation eux-mêmes ne sont pas contrôlés.

Conclusions
Comme nous le dénonçons depuis plusieurs années, la France n'est pas capable de définir sur chaque masse d'eau de surface (11 523 au total) l'ensemble des paramètres de qualité définis par la DCE 2000, dans les volets biologique, physico-chimique, chimique et morphologique. Les données brutes et corrigées, agrégées sur chaque masse d'eau, sont d'ailleurs à peu près inaccessibles pour les associations (dispersion extrême des sources, des formats, des dates de mise à jour), ce qui interdit un contrôle citoyen de l'action publique (voir le premier travail d'Anne Spiteri en ce sens, interrompu pour le moment face à l'incroyable inertie de la machine bureaucratique). Les Agences de l'eau disposent d'un budget quinquennal de l'ordre de 15 milliards d'euros : à qui veut-on faire croire qu'il n'est pas possible de financer au sein de ce budget des laboratoires publics d'analyse dignes de ce nom?
Par ailleurs, la France n'atteint pas l'objectif de deux-tiers des masses d'eau en bon état 2015, comme elle s'y était engagée vis-à-vis de la DCE 2000, et au regard du peu de progrès depuis 15 ans, elle n'est évidemment pas en situation de garantir 100 % de ces masses d'eau en bon état à l'horizon 2021 ou 2027 (délais prévus par la DCE 2000). Rappelons que la France est déjà condamnée pour non-application de directives européennes plus anciennes (nitrates 1991, eaux usées 1991).
La politique de l'eau est donc en situation d'échec. Dans ces conditions, la prétention du Ministère de l'Ecologie (direction de l'eau et de la biodiversité) comme des Agences de l'eau à définir ce qui fait et défait le bon état d'une rivière est pour le moins douteuse. Au lieu de l'avalanche réglementaire de textes toujours plus complexes et inapplicables, entraînant un blocage bureaucratique croissant dans la gestion de l'eau, et au lieu du jeu obscur des lobbies en comités de bassins des Agences de l'eau, on attend de l'action publique qu'elle garantisse d'abord de manière transparente et efficace les connaissances élémentaires sur l'état des rivières et sur les facteurs qui les dégradent.

Référence : Eaufrance (2015), L’état des eaux de surface et des eaux souterraines, Les Synthèses, 12, juin 2015, 12 p. (lien pdf)

A lire également
Qualité de l'eau: 5 graphiques pour comprendre l'échec de la politique française (et l'absurdité de la destruction des moulins)
DCE 2000 et politique de l'eau: la France manque de transparence, de justice et d'efficacité

19/09/2015

Taux d'étagement et de fractionnement: ces indicateurs ne peuvent en aucun cas fonder des objectifs sur les rivières

Faut-il une rivière étagée par les seuils et barrages à 10%, 20%, 40%... de sa pente? Est-ce un problème si l'étagement est à 38%, 56%, 74% ? Ce genre de question incongrue risque de devenir de plus en plus courant. En effet, certains gestionnaires de bassin entendent faire des taux d'étagement et de fractionnement des rivières des outils décisionnels inscrits dans les SDAGE et préconisés pour les SAGE, notamment en Loire-Bretagne et en Seine-Normandie. Cette tentative est caractéristique des dérives de la politique de l'eau dans le domaine de la continuité écologique : on se précipite sur une science encore balbutiante pour imposer des objectifs qui deviennent vite des dogmes, en brandissant des chiffres fétiches et des outils gadgets, sur fond d'endormissement général de l'esprit critique.

Quelques indicateurs pour décrire les obstacles à l'écoulement
Il existe plusieurs indicateurs permettant de décrire l'impact cumulé des ouvrages hydrauliques sur la morphologie d'une rivière ou sa franchissabilité. Rappelons d'abord les principaux.

Taux d'étagement : rapport de la somme des hauteurs des seuils sur la hauteur totale du dénivelé naturel (en %). Il est actuellement préconisé en rivière à faible pente.

Taux de fractionnement : rapport de la somme des hauteurs des seuils sur le linéaire total (en m/km). Il est plutôt préconisé pour les têtes de bassin.

Taux de linéaire contrôlé : rapport de la somme des longueurs de remous hydraulique sur le linéaire total (en %).

Densité d'ouvrage : rapport du nombre d'ouvrages sur le linéaire total (en ouvrage/km).

S'y ajoutent les taux de fragmentation des migrateurs, plus complexes, calculant les franchissabilités des obstacles de l'embouchure vers l'amont (espèces amphihalines) ou la dimension relative des espaces de circulation (libre-accès aux habitats) cloisonnés par des ouvrages au sein d'un tronçon.

Taux d'étagement et de fractionnement : pas de base fiable sur leur valeur explicative
Certains SDAGE en cours de formalisation (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) préconisent d'utiliser les taux de fractionnement ou d'étagement comme des outils d'objectif et de décision pour les gestionnaires. Cette orientation n'est pas acceptable, et nous appelons d'ores et déjà les associations / syndicats concernés à opposer un refus de principe à l'adoption de ces taux comme indicateurs d'objectif, aussi bien dans les SDAGE que dans les SAGE ou autres contrats de gestion de rivière.

A notre connaissance, le seul travail ayant tenté de quantifier l'effet du taux d'étagement sur la qualité écologique de la rivière est un mémoire de master (Chaplais 2010), ayant suivi la proposition d'usage de cet indice (Steinbach 2009, voir Huger et Schwabb 2011). Ce travail est intéressant en soi, mais il montre d'évidentes limitations : faible échantillonnage (2 bassins et 2 hydro-écorégions), faible pouvoir explicatif (analyse bivariée ne prenant pas en compte toutes les variables d'impact sur la qualité de l'eau, formant autant de facteurs confondants quand on cherche une causalité), 70 à 80% de la variance piscicole non expliquée par l'analyse, limitation à l'IPR et à certaines de ses sous-composantes, etc. (voir ici notamment).

Absence de lien déterministe entre l'état écologique et les seuils 
Des travaux récents parus dans la littérature scientifique "revue par les pairs" et ayant utilisé la densité d'ouvrages ont montré que seule une faible variance de l'IPR s'explique par cet indicateur (Van Looy et al 2014 ;  Villeneuve et al 2015), la biodiversité totale des rivières n'étant généralement pas impactée (Shannon, richesse spécifique). A tout le moins, on attend du gestionnaire de rivière qu'il choisisse des indicateurs ayant fait déjà l'objet d'une analyse scientifique assez avancée, en particulier quand ils sont appelés à avoir des impacts considérables sur la vie des riverains.

Les taux d'étagement et de fractionnement, comme les autres indicateurs de morphologie cités en début de cet article, doivent faire l'objet d'analyse scientifique approfondie. Ils peuvent être des outils intéressants, mais il faut préalablement travailler sur leur capacité descriptive et prédictive. Le mémoire de S. Chaplais précité indiquait l'imminence d'une étude à grande échelle dirigée par D. Salgues : à notre connaissance, ses résultats ne sont pas publiés. Commençons donc par là.

Même sur la seule base des travaux connus sur le taux d'étagement, il est avéré qu'il existe des rivières en bon état écologique avec des étagements compris entre 80 et 100%, des rivières en mauvais état écologique avec des étagements compris 0 et 20%. L'idée de fixer un objectif a priori au niveau d'un bassin versant ou d'une rivière n'a donc aucun sens : il faut d'abord définir l'état écologique, chimique et morphologique de chaque masse d'eau, ensuite analyser les causes de dégradation dans l'hypothèse d'un état moyen à mauvais, enfin seulement agir sur les causes identifiées.

Les mesures DCE (inexistantes ou incomplètes sur nombre de masses d'eau) plus importantes que les "gadgets" des effaceurs
Le taux d'étagement et le taux de fractionnement peuvent être utilisés comme des indicateurs descriptifs de la rivière parmi d'autres, en aucun cas ils ne sauraient être porteurs par eux-mêmes d'un objectif de score induisant des obligations d'aménagement (ou même des choix de priorisation sans analyse complète des pressions du bassin versant).

Il serait urgent que les gestionnaires de l'eau passent moins de temps à formaliser des "gadgets" visant in fine à justifier leur doctrine a priori de suppression des seuils, et davantage d'efforts à satisfaire nos obligations européennes de connaissance des milieux, à savoir la mesure systématique et continue dans le temps de l'intégralité des indicateurs de qualité biologique, physico-chimique, morphologique et chimique des masses d'eau. Ce qui est très loin d'être acquis, en particulier sur des bassins comme Loire-Bretagne et Seine-Normandie ayant la prétention d'aménager de manière autoritaire les seuils sans même prendre la précaution élémentaire de mesurer et modéliser l'état de leurs rivières.

Note juridique : au plan du droit, il paraît douteux que ces taux d'étagement ou de fractionnement soient en mesure de fonder des mesures de police administrative. On ne peut contraindre à des aménagements qu'en référence à des lois ou des règlements, pas en sortant du chapeau un critère défini dans un bureau. Si une association  est confrontée à une tentative pour imposer ces taux comme outil de gestion impliquant des obligations sur un bassin versant, il conviendra de saisir le Préfet (le cas échéant le tribunal administratif) afin de clarifier leur statut.