03/08/2015

Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015)

Gabrielle Bouleau est socio-politiste, Didier Pont est hydro-écologue, tous les deux travaillent à l'Irstea (UR Aménités et dynamiques des espaces ruraux et UR Hydrosystèmes et bioprocédés). Ils viennent de publier deux articles ouvrant un débat assez fondamental sur la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Fondamental au sens propre, c'est-à-dire relatif au fondement même de la DCE 2000 : l'idée qu'il existerait un "état de référence" ou une  "condition de référence" de la rivière, étant entendu que le succès d'une politique de l'eau se mesure par la conformité à cette référence. Analyse et commentaires.


La DCE 2000 impose aux Etats-membres de procéder à des mesures de l'état chimique et écologique des masses d'eau (près de 80 indicateurs au total d'ici 2018, les substances chimiques surveillées allant être élargies). Les mesures écologiques correspondent à des paramètres biologiques et physico-chimiques. Comme l'expliquent G. Bouleau et D. Pont, "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité."

L'état de référence, idéal managérial d'une politique du résultat...
Cette idée d'une condition de référence objectivée par la mesure (un indicateur chimique, physique et biologique) a été adoptée par les fonctionnaires (en petit nombre) de la DG environnement de la Commission en charge de la rédaction de la directive, ainsi que par le Parlement européen échaudé des difficultés rencontrées avec les Directives Nitrates et Eaux résiduaires urbaines de 1991. Les représentants des gouvernements des Etats-membres étaient à l'époque plus rétifs à l'idée d'objectifs contraignants. Les conditions de référence répondent à deux inspirations très différentes.

Sous l'angle politique et économique, "l’accent mis sur la performance quantifiable est une évolution récente qui caractérise la doctrine managériale du New Public Management et qui n’est pas spécifique au domaine de l’eau. Cette doctrine, connue pour ses applications initiales par le président américain Reagan et le Premier ministre britannique Thatcher, est depuis promue par l’OCDE (1995) et la Banque mondiale (Perrin, 2006). Elle vise à développer dans l’administration les méthodes de rationalisation des entreprises privées. Son succès s’explique parce qu’elle accompagne l’essor de l’industrie de l’audit et du conseil, en promettant aux financeurs et au pouvoir politique un contrôle plus facile, même si la complexité de la définition des missions de service public se réduit mal à quelques chiffres. L’obligation de résultat inscrite dans la DCE est la traduction à l’échelle européenne et dans le domaine de l’environnement d’un phénomène plus large".

Derrière la condition de référence se profile un modèle pression-impact-réponse (driving force, pressure, state, impact, response ou DPSIR) assez simple : on identifie la pression à son impact sur le milieu, on élimine ou limite la pression pour que le milieu réponde favorablement. C'est peut-être pertinent pour un système linéaire et réversible, mais il est probable que le vivant en général et la rivière en particulier soient plutôt des systèmes complexes (voire chaotiques) et non-réversibles…

… et vestige de l'écologie des années 1960
Sous l'angle écologique, l'idée d'état de référence de la rivière est venue de certains experts en écologie dont s'est entourée la DG environnement, et elle n'était pas présente dans la première rédaction (voir Loupsans et Gramaglia 2011 pour une analyse très intéressante de la genèse de la DCE et de différentes postures d'expertises). Dans la seconde version, notent les auteurs, "les indicateurs retenus ont été restreints au milieu aquatique, au détriment du sédiment, de la flore et de la faune caractérisant le corridor fluvial dans son ensemble. Les altérations hydromorphologiques sont davantage prises en compte que dans la version antérieure. Du point de vue socio-économique, la seconde version a abandonné les considérations patrimoniales et esthétiques. Ce partage des tâches entre l’écologie chargée de déterminer les normes environnementales et l’économie chargée d’optimiser des régulations, en jouant sur les prix une fois que les normes sont fixées, correspond à l’école néoclassique de l’économie de l’environnement".

La notion d'état de référence finalement retenue renvoie à une écologie des années 1960, "largement inspirée par le paradigme d’écosystème, une vision a priori de la nature centrée sur les espèces et surtout de la notion de climax qui lui a été rapidement associée (…) Chaque unité écologique est considérée comme relativement constante face à la variabilité environnementale et à même de s’autoréguler tel un organisme (Balance of Nature Concept). Elle passe par différentes phases pour atteindre un état climacique et s’y maintient jusqu’à modifications majeures de l’environnement global (sur un pas de temps long). Les écosystèmes représentent ainsi des structures prédictibles, même si les cycles de perturbation sont des parties intégrantes de leur fonctionnement (retour à un état antérieur 'optimal')." Cette vision est celle qui avait inspiré le Clean Water Act aux Etats-Unis, au début des années 1970.

Le caractère non-linéaire des écosystèmes et l'intrication nature-culture
Plusieurs problèmes se posent. Ce paradigme d'un écosystème stable dont l'intégrité serait perturbée transitoirement par l'activité humaine ne fait nullement consensus dans la communauté scientifique. Selon les observations plus récentes de l'écologie, "les écosystèmes, même lorsqu’ils subissent des modifications continues sur un gradient environnemental donné (naturel ou non), changent radicalement à partir d’un certain point (processus non linéaire) et ne sont pas à même de retourner à leur état initial lorsque l’on rétablit les conditions environnementales antérieures. Pour un même type d’écosystème, on peut donc avoir différents domaines de stabilité. On envisage ici clairement une composante 'chaotique' dans la trajectoire des écosystèmes".

Par ailleurs, l'opposition nature-culture (souvent imprégnée de jugements de valeur ou d'a priori ontologiques) n'a pas tellement de sens pour des systèmes aussi imbriqués à l'homme que le sont les rivières. Les auteurs observent : "une autre remise en question majeure de la notion de conditions de référence provient du constat que les modifications de son environnement par l’homme sont en fait significatives depuis plusieurs millénaires: la notion d’état non perturbé n’a plus de signification écologique. En reprenant l’idée d’écosystème et en l’élargissant, le concept de sociosystème (Fischer-Kowalski, 1997 ; Lapierre, 1992) reconnaît le caractère indissociable des caractéristiques naturelles et sociales de ces systèmes, et le rôle central des interactions homme-nature. Dans le champ de l’histoire environnementale et plus précisé- ment de l’écologie historique, les auteurs partent du postulat d’une coévolution de l’homme et de la nature sur le long terme (depuis le Néolithique) de type non déterministe, mais dialectique. Les activités humaines ne sont pas systématiquement perçues comme synonymes de destruction, elles sont aussi source de création de paysages".

Autre point mis en avant Bouleau et Pont pour souligner la faiblesse épistémologique de la condition de référence : la variabilité des écosystèmes due au changement climatique. Les équilibres hydrologiques et thermiques sont en passe d'être modifiés très rapidement (à l'échelle historique et géologique), et "il s’ensuit que les biocénoses dites de référence seront modifiées (…) La distinction entre variabilité naturelle et impacts anthropiques dans le fonctionnement des systèmes va apparaître de plus en plus artificielle. La modification climatique ne changera pas simplement l’état écologique non perturbé, mais également les impacts des altérations humaines sur les biocénoses (eutrophisation, couplage des régimes thermiques et de l’hydrologie, etc.) et toutes les incertitudes associées à l’évaluation".

Mauvais paradigme, mauvais résultats: l'ingénierie écologique n'atteindra pas les objectifs escomptés
Parmi les problèmes concrets que pose la condition de référence telle que définie par la DCE 2000, les auteurs soulignent la difficulté de parvenir au "bon état" : les rédacteurs de la Directive ont posé que l'état de la masse d'eau sera définie par la plus mauvaise note de l'un de ses indicateurs ("one fails, all fail"). Or, nombre de rivières sont déclassées par telle ou telle pollution diffuse (comme les HAP) qui ne remettent pas forcément en question leur fonctionnalité et qui seront difficiles à corriger. A cela s'ajoute que les bio-indicateurs ne répondent pas de manière univoque et précise à un seul type de pression, et que sur les zones aval les plus peuplées, ces pressions sont nombreuses et entremêlées.

L'ingénierie de la restauration écologique se trouve bien évidemment impactée par ces réalités. Elle agit massivement selon le schéma "nous corrigeons la pression, nous observons le résultat" qui se trouve souvent réducteur et simpliste. Résultat : les nombreux échecs de la restauration écologique et morphologique, dont nous avons relaté sur ce site quelques analyses scientifiques. Bouleau et Pont observent : "les résultats des restaurations sont souvent inattendus : le système ne retourne pas à son état antérieur (Suding et al., 2004). Ce résultat peut être expliqué par l’absence actuelle de systèmes permettant de définir une référence, un changement des conditions à des échelles supra-locales (paysage, bassin versant, climat), une modification irréversible de certains paramètres environne- mentaux, des modifications de la connectivité à l’échelle des bassins, la modification du cortège d’espèces, de nouvelles interactions biotiques et l’altération des feedbacks biotiques-abiotiques entraînant une modification durable des conditions bio-géochimiques (Henri et Amoros, 1995 ; Nilsson et al., 2007 ; Suding et al., 2004). Moss (2008) insiste également sur le temps de réponse qui est parfois très long et rend difficile l’évaluation des interventions. Sur ces bases, Hughes et al. (2005) concluent à l’impossibilité de définir des objectifs trop précis en matière de restauration".

Quelques commentaires
- Le travail de Gabrielle Bouleau et Didier Pont n'épuise évidemment pas son objet d'étude, mais il a le grand mérite d'ouvrir un débat nécessaire sur la construction de la politique de l'eau et la mobilisation de concepts scientifiques par les gestionnaires. L'approche croisée d'une socio-politiste et d'un écologue amène une interdisciplinarité bienvenue sur le thème de la rivière, qui n'est pas la chasse gardée du naturaliste (et qui n'est plus exactement un "phénomène naturel" à l'âge anthropocène).

- Il est notoire que la science et la politique ont des rapports compliqués. D'un côté, la "science politisée" a laissé de très mauvais souvenirs dans l'histoire, parce qu'elle a été synonyme de médiocrité et d'erreur scientifiques en même temps que de suspension de la critique démocratique au nom de supposées vérités savantes. D'un autre côté, les choix publics des sociétés démocratiques, complexes et ouvertes font de plus en plus appel à l'expertise scientifique comme le "moins mauvais guide" pour anticiper les conséquences des choix en question, ou pour circonscrire des normes visant l'intérêt général en santé, sécurité, environnement, etc.

- La "science normative" (c'est-à-dire la science directement productrice de normes) reste de notre point de vue une aberration démocratique et un dévoiement de l'exercice scientifique. La notion de "bon état" doit être clairement assumée comme une notion politique (ou gestionnaire), car la science n'a jamais eu vocation à définir ce qui est "bon" ou "mauvais". Là-dessus, les sciences de l'environnement (de l'eau parmi d'autres thèmes) offrent parfois dans leur communication une dommageable porosité à l'idéologie. Il faut s'en prémunir : on n'attend définitivement pas du chercheur qu'il pose en sauveur de la planète (certains excellent déjà dans cette posture, ils en font même un métier profitable…), mais qu'il publie des résultats d'observation et d'expérimentation avec des méthodes reproductibles, des données publiques et des conclusions réfutables. Nous avons déjà appelé plusieurs fois les chercheurs de l'eau à prendre des positions publiques sur la nécessaire prudence dans l'interprétation des travaux de l'écologie scientifique, et sur la nécessaire insistance concernant les incertitudes propres à la démarche scientifique. Des idées un peu floues peuvent vite devenir des contraintes fortes sous l'action réglementaire des administrations centrales, impactant ensuite le cadre de vie de millions de gens. Si l'enjeu est réel, cela ne pose pas problème ; s'il ne l'est pas, cela contribue à briser la confiance de la société en la science.

- Indépendamment de la notion de référence et de l'objectif d'état, le choix de la DCE 2000 d'imposer la réalisation, normalisation et publication des mesures de qualité chimique et écologique de l'eau nous paraît une bonne chose. Cela permet d'objectiver certains paramètres de la rivière, de nourrir les recherches scientifiques, de se référer dans le débat public à une réalité dont le diagnostic est au moins partagé (à l'imprécision de la mesure près, voire au bien-fondé de l'indicateur près, cf point suivant). Il reste d'ailleurs scandaleux qu'en 2015 la France ne soit pas capable de produire la totalité des indicateurs sur chaque masse d'eau, assorti d'une analyse de leur variabilité inter- ou intra-annuelle et d'une première modélisation des bassins versants. Ne pas se doter de ces mesures et outils, c'est ouvrir la porte à des préconisations du doigt mouillé, des pseudo-expertises de bureau sans base empirique, des choix dictés par des arrangements politiques locaux sans lien avec les priorités environnementales, etc.

- La critique de la notion de "condition de référence" doit conduire à une réflexion complémentaire sur les indicateurs de qualité aujourd'hui utilisés sur les rivières. Certains relèvent de l'éco-toxicologie  : des mesures de concentration de substances chimiques ou de quantités physiques. Ils sont assez peu sujets à débat si ce n'est une discussion sur la concentration ou la quantité admissible pour la société (par exemple accepte-t-on tel ou tel taux de nitrate, de phopshore, etc.). D'autres en revanche sont des constructions paramétriques, des équations semi-empiriques où l'on choisit de pondérer certains facteurs. Par exemple l'indice de qualité piscicole poisson rivière (IPR puis IPR+) résulte d'un calcul complexe, ce n'est pas une simple comptabilité de poissons. Le choix dans les paramètres de l'indice n'a alors rien d'évident, il reflète une certaine approche du système étudié (par exemple désigner un assemblage d'espèces comme "intègre" ou une certaine fonctionnalité comme particulièrement digne d'intérêt). L'intelligence de ces bio-indicateurs (leur sens, leur portée, leur limite) peut se perdre quand ils deviennent de simples résultats chiffrés assortis à un qualificatif "bon / moyen / mauvais". Leur élaboration demande une assez large concertation dans la communauté chercheurs (et des validations par intercalibrage), car on risque toujours de construire de indicateurs ad hoc sur commande du gestionnaire public, mais sans réelle vertu explicative / prédictive au plan des sciences de l'environnement. Vouloir appliquer très vite ces indicateurs (dans une logique politico-administrative à horizon de 5 ans) pose problème sur la robustesse des conclusions qu'on en tire en terme d'aménagements.

- Exprimons enfin tout haut ce que de plus en plus d'observateurs pensent tout bas : le "bon état écologique" de 100% des masses d'eau (objectif officiel de l'UE) est un mythe, que l'on se place à l'horizon 2015, 2021 ou 2027. Au regard des conditions posées par l'état de référence comme rivière "naturelle" quasiment épargnée par l'homme, il paraît évident que les Européens ne parviendront pas à effacer en l'espace de trois décennies le poids des siècles voire des millénaires de modifications anthropiques des hydrosystèmes. Comme les hommes continueront de vivre près de l'eau, ces hydrosystèmes continueront d'être des "éco-bio-technosystèmes" échappant à la contrainte pseudo-déterministe d'une hypothétique naturalité (a fortiori l'assignation à une "intégrité" définie comme état stationnaire). Il serait bon de nourrir davantage de débats publics (et d'engager davantage de réflexions savantes) sur le sujet, au lieu d'euphémiser la chose dans les rapports alambiqués des gestionnaires pris au piège de leur ambition démesurée, mais ne voulant pas reconnaître certaines erreurs dans les choix institutionnels passés. Poser dès à présent les difficultés prévisibles de mise en oeuvre de la DCE éviterait de laisser prospérer quelques discours extrémistes et irréalistes selon lesquels seule la mauvaise volonté (de tel ou tel usager de l'eau désigné comme l'ennemi de la nature) expliquerait les mauvais résultats (d'une politique de l'eau forcément vertueuse si elle veut défendre ladite nature). Prendre l'environnement au sérieux, ce n'est pas anesthésier le débat par des bons sentiments ni interdire l'action par des postures maximalistes. Et, bien sûr  ce n'est pas non plus le laisser-faire qui a conduit à des dégradations manifestes de l'eau et des milieux au cours du siècle passé.

- Travaillés par le poids d'une époque en état d'urgence permanent où l'on veut de l'efficacité à très court terme, les gestionnaires de l'eau se noient dans les programmes d'action à l'ambition superlative (suivie d'une déception prévisible). On aurait déjà besoin de construire une pensée de la rivière qui ne se résume pas à une politique technocratique du résultat ni à un culte fétichiste de la conservation.

Références : 
Bouleau G, Pont D (2014), Les conditions de référence de la directive cadre européenne sur l’eau face à la dynamique des hydrosystèmes et des usages, Natures Sciences Sociétés, 22, 3-14
Bouleau G, Pont D (2015), Did You Say Reference Conditions? Ecological and Socio-economic Perspectives on the European Water Framework Directive, Environmental Science and Policy, 47, 32-41

Illustrations : Abbé Jean Delagrive, divers schémas in Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux y affluant, 1732-1737. Cette cartographie avait notamment pour but d'organiser le flottage du bois vers Paris et de modifier en conséquence les rivières, les canaux ou les ouvrages de génie civil.

02/08/2015

Engager les moulins européens dans la transition énergétique: RESTOR Hydro


Contrat global Cure-Yonne: un bilan mitigé

Le Contrat global Yonne-Cure 2009-2014 a fait l'objet d'une évaluation qui vient d'être publiée en ligne. L'exercice est important puisque nous sommes en phase de mise en place du prochain Contrat pour les cinq années à venir. Notre association avait participé au printemps à une réunion d'information et proposition sur la rivière Cousin, incluse dans le périmètre. Rappelons que ce Contrat est animé par le Parc naturel régional du Morvan et notamment financé par l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il concerne un périmètre de 2073 km2 et 103 communes sur 3 départements, essentiellement Yonne et Nièvre.

Le rapport d'évaluation ne constate pas de dysfonctionnements majeurs dans la mise en oeuvre du Contrat. Voici cependant quelques points de vigilance qui ont retenu notre attention à la lecture de l'évaluation.

Méthodologie. La consultation en vue de l'évaluation a concerné pour l'essentiel les politiques et les financeurs, avec quelques professionnels. L'eau est l'affaire de tous, l'évaluation de sa qualité et des actions pour cette qualité aussi. On ne le répétera jamais assez, il faut impliquer davantage la société civile qui est aujourd'hui "sans voix" aux comités de bassin ou aux instances de pilotage des contrats locaux et SAGE. Ce type d'évaluation pourrait donc inclure un panel assez large de répondants représentant le territoire.

Pas assez d'efforts sur les pollutions diffuses. La lutte contre ces pollutions avait une dotation relativement faible (1,074 M€, 3,6% du budget) mais le problème est surtout que 18% seulement de ce budget ont été consommés. On a dépensé 3 fois moins sur ce poste que sur la communication-animation, et 17 fois moins que sur la restauration des milieux aquatiques. Certes, les bassins versants sont relativement épargnés du fait de la faible démographie, mais il est regrettable que la lutte contre les pollutions soient si souvent la dernière servie. On aurait aussi aimé un meilleur score pour l'assainissement (la première dépense budgétaire, certes, mais consommée à 66% seulement de sa dotation).

Milieux aquatiques, des dépenses déséquilibrées. Au sein du volet des milieux aquatiques – 3,3 M€ au départ, consommé à 106% c'est-à-dire dépassé –, on regrette la ventilation des actions engagées. Notre association considère la connaissance des milieux comme indispensable, et très en retard : or sur 9 études prévues, 3 seulement ont été engagées. A comparer avec les 127% d'analyse de la continuité écologique (14 études au lieu de 11). La lutte contre les piétinements de berge est pareillement désavantagées (18% et 30% de réalisation sur les deux postes concernés). On observe que le poste complémentaire "Suivi des milieux", consistant en analyses de qualité de l'eau et inventaires d'espèces, est lui aussi réalisé partiellement (85% et 31% de la dotation).

Aménagement des ouvrages, un bilan euphémisé… et trompeur pour la suite. Le rapport d'évaluation note : "Le travail d’animation important a permis de convaincre de nombreux propriétaires d’ouvrages de réaliser des travaux de franchissement ou d’effacement. Les ouvrages classés 'Grenelle', qui n’étaient pas prévus initialement dans le contrat, ont notamment fait l’objet d’une animation renforcée. Néanmoins, des difficultés persistent : sur les gros ouvrages, l’ampleur des travaux induits rend le travail d’animation pour convaincre les propriétaires particulièrement long. Par ailleurs, sur certains territoires, une opposition s’est cristallisée autour de ce type de travaux, de la part des propriétaires qui mettent en avant la dimension patrimoniale de leurs ouvrages. Ces oppositions persistent en particulier sur les territoires où des syndicats de rivière existent mais sont peu actifs sur ces thématiques. Le travail d’animation sur cette thématique, et de pédagogie pour désamorcer les conflits, est à poursuivre." La "réticence" vient essentiellement du coût important des travaux et du fait que la destruction des ouvrages est proposée en première intention aux propriétaires – voire qu'elle est la seule financée publiquement. Par ailleurs, ce n'est nullement un problème de "pédagogie", mais de valeurs, de convictions et de connaissances : la plupart des propriétaires et riverains préfèrent la rivière aménagée à la rivière renaturée, et n'entendent pas engager des actions radicales (destructions) pour des bénéfices écologiques non convaincants. Ce problème va devenir aigu sur toutes les rivières classées Liste 2 du Contrat, en raison du délai réglementaire de 2017 pour le choix d'aménagement.

Evolution de l'état des milieux, une stagnation qui pose question. On dépense de l'argent public pour améliorer la qualité chimique et écologique de l'eau et de ses milieux. Et l'on attend donc des résultats. La comparaison des analyses 2009 et 2013 est mitigée. L’état écologique des 14 masses d’eau "grands cours d’eau" du territoire ne s'est pas amélioré : 10 en état constant, 2 en dégradation, 2 en amélioration. Le résultat est meilleur sur les 43 masses d’eau "petits cours d’eau", avec 18 en amélioration, 6 en dégradation et 19 en état constant. Au plan chimique, 3 grands cours d’eau et 7 petits cours d’eau restent en mauvais état, à cause de la pollution diffuse des HAP. Comme certaines des données 2009 n'étaient pas robustes, le rapport conclut : "On peut estimer que l’état 2009 à la masse d’eau est plutôt comparable de manière fiable à l’état 2013". Certes, le Morvan a la chance d'avoir des cours d'eau relativement préservés, ce qui implique des marges de progression moindres par rapport à des rivières très dégradées. Mais ce bilan très modeste posera question pour la légitimité des mesures du futur Contrat 2015-2020.

Suivi physico-chimique et écologique, à améliorer nettement. Le Parc a un Observatoire de la qualité des eaux depuis 1993, élargi en 2009 à la totalité du territoire du Contrat. Or, le suivi n'est pas assez étendu ni rigoureux. Par exemple en 2011, sur les 16 stations, 10 n’avaient jamais été suivies, et 6 avaient déjà été suivies une fois auparavant en 1991, 1993, 2004 ou 2008. Concernant l'évaluation des actions menées dans le cadre du Contrat, les premiers points de mesure n'ont été mis en place que pour des actions 2013, au lieu de démarrer dès 2009. Cela rejoint le point ci-dessus sur le défaut de connaissance : nous ne pouvons pas accepter que l'argent public soit dépensé sans diagnostic préalable complet et non biaisé sur l'état des milieux et des impacts ; et sans non plus disposer de mesure précise de l'effet obtenu en comparaison avec l'effet prévu. Cela d'autant que les résultats sur la qualité écologique ne parlent pas d'eux-mêmes et que dans certains domaines, les mesures envisagées sont coûteuses et mal acceptées…

Conclusion : l'association Hydrauxois sera vigilante sur la mise en oeuvre du prochain Contrat global Cure-Yonne, en particulier sur son domaine de compétence, à savoir la bonne prise en compte des intérêts des ouvrages hydrauliques, le niveau de collecte, construction et diffusion des connaissances scientifiques sur les milieux, la transparence sur les objectifs, l'efficacité et le coût des opérations dites de restauration écologique.

Référence : Sepia Conseils (2014), Evaluation du Contrat Global Cure-Yonne, 72 pages (lien vers pdf). Illustrations : issues du rapport Sepia, DR.

29/07/2015

Entre vocation hydraulique et renaturation écologique, les syndicats de rivière en pleine schizophrénie

Les événements de Vanvey continuent de propager leur onde de choc sur les communes riveraines de l'Ource, et par extension de la Seine car elle sont gérées par le même syndicat (Sicec). Ces deux dernières semaines, lors des réunions publiques ou des échanges de lettres ouvertes sur ces bassins, certains maires évoquent leur souhait de retirer l'adhésion de leur commune au syndicat. D'autres veulent un audit de gestion pour comprendre à quoi servent au juste les dépenses syndicales. Des remarques similaires ont été entendues ces derniers mois chez certaines communes adhérentes du Sirtava (rivière Armançon), peu satisfaites de l'insistance quelque peu obsessionnelle du syndicat à appliquer la continuité écologique au lieu d'autres travaux jugés plus importants par les élus.

Le rôle des syndicats contestés quand ils multiplient des opérations à l'intérêt douteux pour les riverains
Un motif évident d'insatisfaction, c'est que les syndicats consacrent désormais la plus grande ardeur (donc beaucoup de moyens humains et financiers) à la mise en oeuvre de certaines dispositions des SDAGE fixés par les comités de bassin des Agences de l'eau, dispositions dont beaucoup sont dérivées des décrets et circulaires de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie. Or, certaines de ces dispositions ont une portée discutable pour l'amélioration des milieux, et ne sont pas au centre des préoccupations des élus, sans parler des riverains propriétaires des parcelles qui en subissent les effets : reméandrements, créations de zones humides, interventions très pointues sur le morphologie… Rien de cela ne paraît de première importance au regard des autres enjeux vécus de façon très directe par les gens, comme la difficulté des agriculteurs ou des collectivités à respecter des normes environnementales aux contraintes de plus en plus lourdes à mesure que ces normes se font de plus en plus exigeantes et les coûts des travaux de moins en moins accessibles, le tout sur fond de croissance atone, de chômage persistant, de désertification et de vieillissement rural.

Sur le dossier de la continuité écologique longitudinale, les esprits s'échauffent encore plus facilement : au bord des rivières, c'est désormais le symbole des idées déraisonnables "venues d'ailleurs" (c'est-à-dire de quelque grande ville siège des bureaucraties de l'eau). Le choix de faire disparaître les seuils et barrages avec leur ligne d'eau, leur paysage familier, leur tenue de berge à toute saison paraît non seulement une dépense improductive et non prioritaire pour les habitants, mais elle est parfois ressentie comme une agression des idées abstraites et très éloignés des intérêts des premiers concernés, les riverains. Comme les syndicats de rivière embauchent souvent (en CDD) de jeunes chargés de mission frais émoulus de leurs écoles et portés (naturellement) à réciter ce qu'ils y ont appris, le message passe encore plus difficilement !

Mais le problème n'est pas qu'un défaut de communication. C'est un débat de fond que nous aurions dû avoir, mais n'avons jamais eu en France ni en Europe, car les questions de l'eau ont été confisquées par des experts (ou des lobbies).

Les syndicats schizophrènes entre leur mission hydraulique et l'injonction de renaturation
Revenons donc aux fondamentaux. Le syndicat de rivière est généralement un établissement public intercommunal. Sa fonction est de rendre service aux communes adhérentes en s'occupant de la gestion de la rivière, ce qui inclut par exemple la prévention des inondations, le retrait des embâcles et atterrissements, l'entretien et la restauration des berges, la lutte contre des espèces invasives. Jadis, et parfois encore sur certaines rivières, le syndicat assurait aussi la gestion des ouvrages hydrauliques (ouverture et fermeture des vannes, divers travaux de génie civil).

On a voulu convertir beaucoup trop rapidement ces syndicats de leur traditionnelle culture hydraulique vers une approche hydro-écologique, sans réel retour d'expérience ni base de connaissance très solide. Non pas que l'écologie des milieux aquatiques soit inintéressante : elle est au contraire passionnante! Mais c'est une question de mesure et de prudence dans la mise en oeuvre.

Cette évolution récente a poussé les syndicats à une certaine schizophrénie. Le discours devenu dominant de la "renaturation" des rivières comme horizon supposé émancipateur des riverains va en effet à l'encontre de leur mission fondatrice. Cette dernière consiste d'abord à mettre la rivière au service des communes et de leurs habitants, en évitant les sautes d'humeur imprévisible des cours d'eau (que ce soit les crues ou les assecs) et en produisant des paysages agréables aux riverains, aux usagers ou aux touristes. Cela suppose non pas de laisser la rivière et sa berge à elles-mêmes (faute de quoi elles deviennent vite inamicales à la présence humaine), mais au contraire d'intervenir en permanence pour réguler leur évolution.

On a pu lire dans l'Yonne républicaine (27 juillet 2015), à propos de travaux visant à supprimer deux barrages et créer une zone humide, ce discours étrange d'un technicien de rivière travaillant avec le Syndicat du bassin du Serein : "La rivière n'a pas besoin de l'homme, il intervient parce qu'il a besoin d'elle". Sans aucun doute. Et ce sont d'ailleurs les impôts de ses concitoyens qui paient ce technicien, pas la rivière...

Tandis que certains défendent une vision quelque peu idyllique et décalée du cours d'eau (la forcément sympathique rivière "sauvage"), ceux qui vivent au jour le jour cette rivière n'ont pas grande envie de la voir devenir ou redevenir "sauvage", et sont plutôt satisfaits des siècles de régulation des cours d'eau. On observe au demeurant les mêmes tensions dans le projet (GIP) de Parc naturel des forêts de Champagne et Bourgogne : certains mettent en avant des normes environnementales à ce point strictes qu'elles donnent clairement l'impression d'une volonté de supprimer des pans entiers de la ruralité pour rendre la nature à elle-même.

Sortir des tensions en commençant par sortir de la langue de bois
On ne peut pas se satisfaire de ce déséquilibre, de ces tensions. Nous sommes appelés à vivre et travailler autour des mêmes rivières, il faudra bien s'entendre. On ne saurait non plus, sous le coup de la colère, chercher des boucs émissaires, y compris chez les syndicats ne faisant généralement qu'appliquer des ordres venus de plus haut (les Agences de bassin, les services du Ministère en région soit les DDT Onema et Dreal).

Comment évoluer vers des rapports plus sereins? Voici quelque pistes :

  • les syndicats doivent retrouver le parler-vrai : on n'attend pas d'eux une enième régurgitation des textes des SDAGE, qui sont déjà eux-mêmes parfois jargonnants ou pompeux. De même, les syndicats ne sont pas seulement des machines à presser les boutons pour payer des bureaux d'études qui publieront des rapports de 200 pages peu lisibles (rapports eux aussi rédigés pour plaire à l'Agence de l'eau, à la DDT ou à l'Onema, et non pas pour réellement instruire le public et créer de la discussion);
  • les syndicats doivent produire du débat démocratique local, un débat interdit ailleurs : la "démocratie de l'eau" est quasi-inexistante à l'échelle parlementaire (les rapports critiques ne sont suivis d'aucun effet, le Ministère travaille au décret de façon autoritaire) et fort peu dynamique au niveau des comités de bassin (où la société civile est absente en dehors des usagers économiques et où l'essentiel se décide en commissions techniques). C'est sur le terrain que les débats se font et les syndicats doivent non seulement l'accepter, mais encore l'organiser;
  • les syndicats doivent défendre une vision équilibrée de la rivière, parce qu'ils sont les mieux placés pour savoir qu'entre les brillantes idées d'un aréopage de hauts fonctionnaires enfermé dans un bureau et la réalité du terrain, il y a un monde. Ce monde, c'est celui des rivières habitées par la présence humaine depuis des millénaires. L'idée de sortir brutalement de cette civilisation hydraulique n'est pas durable ;
  • les syndicats doivent rendre l'écologie positive, et non pas punitive : les dépenses en faveur de l'environnement rencontrent un consensus social plus ou moins important. Il faut favoriser les mesures les plus rassembleuses, et non s'acharner sur celles qui divisent et qui agressent. Et il faut faire remonter ce message de façon ferme aux financeurs (Agences) comme aux autorités (DDT-M, Onema, Dreal). 

Nous voulons un avenir respectueux de toutes les dimensions de la rivière, naturelles bien sûr puisqu'il faut viser son bon état chimique et écologique, mais aussi culturelles, sociales et économiques. La voie est étroite, mais cette voie existe. Ceux qui refusent les visions extrémistes ou réductionnistes de la rivière peuvent la construire ensemble.


Elus, associations, institutions, personnalités de la société civile : avec nous, demandez un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin d'éviter la destruction du patrimoine hydraulique et de permettre la recherche de solutions consensuelles, fondées sur la concertation et le retour d'expérience.

Illustration : la Bourgogne et ses rivières vues du ciel, © IGN Géoportail.

23/07/2015

Continuité écologique : pour un financement public des dispositifs de franchissement en rivière

En 2006, les parlementaires ont voté le principe d'un classement des rivières à fin de continuité écologique (article L 214-17 C env). En 2012 et 2013, une partie des rivières françaises a fait l'objet d'un classement en liste 1 (bon ou très bon état écologique, réservoir biologique, corridor) et liste 2 (potentiel de bon état écologique). Sur les rivières classées en liste 2, il y a obligation d'assurer dans un délai de 5 ans le franchissement piscicole et le transit sédimentaire au niveau des seuils et barrages (baptisés "obstacles à l'écoulement"). Selon un chiffre non encore officiel, environ 17.000 ouvrages hydrauliques seraient concernés par cette obligation avant l'échéance 2017-2018.

Sommes-nous opposés par principe à la continuité écologique?
La réponse est non, bien entendu. L'intérêt pour le transit sédimentaire et la circulation des poissons n'est pas une invention contemporaine. L'engravement et l'envasement des biefs et retenues sont un problème pour tout ouvrage et depuis toujours. Sous l'Ancien Régime, des coutumes prescrivaient déjà des ouvertures de vannes voire de seuils (passe-lits) de nature à améliorer l'écoulement. Les premières lois nationales sur les migrateurs sont apparues au XIXe siècle.

Il est tout à fait normal que notre gestion des rivières suive l'évolution des connaissances techniques et scientifiques, ainsi que des préoccupations de l'époque. Comme les cours d'eau, les ouvrages hydrauliques sont vivants : ils évoluent au fil du temps en formes, fonctions, matériaux. Intégrer une dimension environnementale dans la gestion de ces ouvrages participe d'un enrichissement de leur présence en rivière, à côté des leurs dimensions déjà acquises sur le plan historique, énergétique ou paysager.

Là où le bât blesse, c'est dans la mise en oeuvre administrative de la continuité écologique. Au terme d'un dérapage assez éloigné de la volonté initiale du législateur, on a transformé une loi d'amélioration du milieu aquatique en outil de destruction des ouvrages hydrauliques. Une pensée unique s'est rapidement installée chez les gestionnaires de l'eau : le bon ouvrage est celui qui a vocation à disparaître ; les autres devront payer très cher pour garder le droit d'exister. Par ailleurs, des instances de décision assez éloignées de la vigueur du contrôle démocratique comme de la rigueur de la validation scientifique (direction de l'eau au Ministère, commissions techniques des agences de bassin, comités de pilotage des projets locaux) ont élevé sans cesse le niveau d'ambition des aménagements attendus, perdant souvent le sens des réalités et des priorités dans la définition de ce qui est possible économiquement et souhaitable écologiquement.

Le principal blocage actuel : on finance la destruction, mais pas ou peu l'aménagement
Le principal obstacle actuel à la mise en oeuvre de l'obligation de continuité écologique est la politique de financement décidée par les Agences de l'eau – et liant les syndicats de rivières ou de bassins versants comme les collectivités qui dépendent de ce soutien financier. En effet, les Agences financent 80% des opérations de destruction d'ouvrage (le montage avec d'autres financeurs aboutissant généralement à 95% voire 100% de financement public), mais ce taux chute à 50% pour les aménagements (passes à poissons, rivières de contournement, vannes) des ouvrages ayant un usage économique et à… 0% pour les ouvrages sans usage économique. Or, 9 ouvrages hydrauliques sur 10 sont considérés comme "sans usage" au regard de la définition très restrictive de cette notion (énergie, irrigation, navigation, écrêtement de crue, à condition de ne pouvoir être remplacé par une autre solution à bénéfice équivalent). Donc pour l'essentiel des 17.000 ouvrages en rivières classées L2, les Agences de l'eau refusent de financer des aménagements.

Le coût moyen des passes à poissons est de 50.000 euros le mètre de chute, avec des variations assez large de la fourchette (20-80 k€) (source : Observatoire des coûts Agence de l'eau RMC). Une dépense aussi importante est assurément "spéciale et exorbitante" pour le propriétaire, au sens de l'article L 214-17 C env déjà cité. Elle signifie que pour certains moulins, le coût de l'aménagement demandé est supérieur à la valeur foncière du bien ! Très peu de gens peuvent se permettre d'aller voir leur banque pour faire un emprunt de cette importance, en vue d'une dépense imposée par un tiers et n'apportant strictement aucun retour sur investissement…

De ce choix de financement par les Agences, soutenus par divers textes ministériels indiquant la promotion de l'effacement comme solution prioritaire, il résulte que les propriétaires de moulins ne souhaitant pas voir leur barrage détruit (malgré la promesse d'un financement total) sont condamnés à une dépense ruineuse. A laquelle ils ne consentent évidemment pas et pour laquelle peu sont solvables en dernier ressort.

En terme de mise en oeuvre sur le terrain (sans parler du bien-fondé scientifique et de la garantie de résultat), le plus gros du problème de la continuité écologique tient finalement à ce dogme : le refus quasi-systématique de financer le coût des passes à poissons, rampes à enrochement et autres rivières de contournement.

Dispositifs de franchissement : pourquoi ils relèvent de l'intérêt général, donc du financement public
Comment sortir du blocage ? La seule solution nous paraît de reconnaître la nécessité d'un financement public des dispositifs de franchissement piscicole, exactement au même titre que les effacements. Le maître d'ouvrage est alors libre de son choix, sans que son consentement soit vicié par le menace d'un endettement. Cette nécessité d'un financement public nous paraît fondée sur les raisons suivantes.

La loi impose une obligation de résultat, et non de moyen, elle n'enjoint pas de détruire les ouvrages. Ni la loi française ni la loi européenne n'indique que l'on doit détruire les seuils et barrages. Il n'y a pas obligation de moyens (l'effacement) mais de résultats (la possibilité d'un franchissement piscicole pour les espèces d'intérêt). Or, par leur politique de financement différentiel, les Agences de l'eau opèrent une discrimination sur les moyens en poussant le maître d'ouvrage à choisir le seul effacement. Ce choix radical, qui pose de nombreux autres problèmes aux riverains, n'est en rien une obligation légale ou réglementaire.

L'eau et les milieux aquatiques sont un bien commun, leur protection relève de l'action publique. Comme le rappelle l'article L 210-1 C env : "L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général." Sans bénéfice pour le maître d'ouvrage, les dispositifs de franchissement piscicole sont supposés améliorer la qualité des milieux aquatiques, en particulier la biodiversité piscicole et la colonisation des têtes de bassin par les migrateurs. Ces objectifs relèvent de l'intérêt général et du bien commun : ils doivent donc recevoir un financement public, conforme à leur nature intrinsèque.

L'égalité devant les charges publiques doit être respectée. Les dispositifs d'aides environnementales sont légion. Les usagers de l'eau reçoivent des subventions massives, y compris lorsqu'ils ont une activité économique exploitant la ressource en eau ou un revenu fiscal (collectivités), donc des moyens que n'ont pas les particuliers. Les syndicats de rivière procèdent à toutes sortes d'aménagements morphologiques sur fonds publics (épis, clôtures de berges, reméandrement, génie végétal, entretiens des lits, etc.). Nombre de ces travaux ont lieu sur parcelles privées et font l'objet de déclaration d'intérêt général. Au nom de quel régime d'exception les propriétaires d'ouvrages hydrauliques devraient assumer la majeure part voire la totalité du coût élevé des chantiers complexes imposés par la règlementation?

Le propriétaire n'a aucun intérêt personnel à la passe à poissons, qui lui crée une servitude. Un maître d'ouvrage ne retire aucun bénéfice de la construction d'une passe à poissons (ou autre dispositif). Cet type d'équipement est rarement esthétique. Il n'ajoute aucune valeur au bien en lui-même et ne permet aucun bénéfice particulier. Le dispositif de franchissement crée une servitude à vie et transmissible, sous la forme d'une contrainte de surveillance et d'entretien. On ne voit guère pourquoi un propriétaire devrait dépenser des dizaines voire de centaines de milliers d'euros pour un équipement sans intérêt lui imposant une contrainte.

Un coût public trop élevé ? La responsabilité en revient à ceux qui posent des objectifs irréalistes
Certains argumentent que le financement des passes à poissons serait coûteux par rapport à celui des effacements. Sur ce point, nous rappelons d'abord que la destruction d'un ouvrage hydraulique implique perte du droit d'eau, perte du potentiel de revenus énergétiques, mise à sec du bief et disparition du miroir d'eau de la retenue, donc perte de valeur foncière /paysagère, risques sur l'évolution du bâti. Une opération d'effacement ne devrait donc pas seulement être financée, mais aussi donner lieu à une compensation financière conséquente. Les propriétaires ne la réclament pas car ils ne sont pas informés de manière juste et complète sur l'ensemble des conséquences de leur consentement à effacer. Le coût réel d'un effacement est supérieur au coût de l'aménagement si le maître d'ouvrage est correctement informé et dédommagé.

Ensuite, il faut bien comprendre pourquoi les coûts publics sont élevés. D'une part, la France n'a aucune obligation européenne de restaurer la continuité écologique, et la continuité n'est que très faiblement corrélée à l'état chimique et écologique de la rivière au sens des indicateurs européens de qualité. D'autre part, alors que le législateur envisageait avant tout en 2006 la restauration de grands axes pour les migrateurs amphihalins (saumons, anguilles), c'est une dérive administrative qui a progressivement inclus des espèces non réellement migratrices entre 2006 et 2012. Or ces espèces ayant une faible capacité nages-saut imposent des dispositifs plus coûteux (voir exemple du chabot). Ajoutons à cela que la France avait la possibilité de classer tout ou partie de ses eaux comme "fortement artificialisées", ce qui lui aurait donné du délai et des objectifs moins ambitieux de qualité vis-à-vis de l'Union européenne. Elle ne l'a pas fait, et elle doit assumer les conséquences de ce maximalisme.

Le coût élevé est donc avant tout le fait de normes très exigeantes, adoptées de manière volontaire par les gestionnaires publics : on est libre de les poser au nom du bien commun que représente la biodiversité aquatique, mais il faut alors provisionner l'argent public nécessaire à leur mise en oeuvre (et s'assurer qu'il existe un soutien social et démocratique réel pour ce niveau d'ambition). Si les moyens ne suivent pas, on ne produira que de la confusion et de la crispation autour d'objectifs impossibles à atteindre. Ce qui se passe en ce moment.

De nombreuses options pour rétablir raisonnablement la continuité écologique 
Si le coût du financement public des dispositifs de franchissement est élevé et difficile à intégrer dans le budget des Agences de l'eau, il existe de nombreuses solutions (non exclusives) pour alléger le fardeau économique du classement actuel des rivières :

  • traiter d'abord les ouvrages dont le score de franchissabilité est nul (protocole ICE) ;
  • exclure les seuils (les ouvrages de moins de 2 m de hauteur entre le niveau amont et aval) pour se concentrer sur les barrages ;
  • revenir plus strictement à l'enjeu initial des grands migrateurs amphihalins, sur les cours d'eau où les espèces sont attestées historiquement ;
  • aménager les seules rivières dépassant une valeur-seuil du taux d'étagement, indiquant une perte majeure d'habitats naturels sur un tronçon ;
  • aménager les seules rivières où la continuité longitudinale est démontrée comme la cause majeure de déclassement du bon état écologique.

Il s'agit à travers ces exemples de définir des priorités ayant du sens pour l'environnement, au lieu de vouloir tout aménager d'un coup sans y parvenir et sans avoir de cohérence dans l'action.

Denier point : il sera certainement nécessaire d'étaler les réformes de continuité dans le temps. Le délai actuel de 5 ans sur les rivières classées L2 est non tenable et il ne répond à aucune urgence écologique compte tenu de la grande ancienneté des ouvrages concernés. Il faut probablement des décennies à des siècles pour que tous les effets des aménagements sur un bassin versant tendent vers un nouvel équilibre, sans certitude sur le résultat. Le calendrier administratif est donc sans réalisme par rapport au temps de relaxation biologique et physique des systèmes concernés. Les ouvrages en rivière sont présents pour leur majorité depuis plusieurs siècles : on peut très bien aménager ce patrimoine hydraulique en 50 ans plutôt qu'en 5 ans.

En conclusion
Le refus d'un financement public non discriminant des aménagements piscicoles et sédimentaires d'ouvrages hydrauliques est la principale cause de blocage sur la question de la continuité écologique. La destruction des seuils et barrages par chantage au financement fonctionne sur quelques ouvrages dont les propriétaires sont peu motivés, facilement influençables ou mal informés : mais plus on s'approche de l'échéance légale du classement (2017-2018), plus on arrive aux cas qui donneront à coup sûr des contentieux en cas de persistance des choix administratifs actuels.

Améliorer la franchissabilité piscicole et le transit sédimentaire est un objectif d'intérêt général, qui concerne l'eau comme bien commun : le financement doit en être public. Le maître d'ouvrage n'a aucun intérêt personnel dans ces aménagements, qui lui créent une servitude de surveillance et d'entretien sans gain de valeur foncière. Ce n'est donc pas à lui, mais à la collectivité de financer les passes à poissons, les rampes en enrochement ou les rivières de contournement. La modernisation énergétique des ouvrages devrait être envisagée en concomitance de leur équipement écologique, car elle fait partie d'une même logique d'adaptation du patrimoine hydraulique aux enjeux de son siècle.


Elus, associations, institutions, personnalités de la société civile : avec nous, demandez un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin d'éviter la destruction du patrimoine hydraulique et de permettre la recherche de solutions consensuelles, fondées sur la concertation et le retour d'expérience.

Illustration : seuil et passe de Gomméville (21) sur la Seine.

Nota : n'hésitez pas à réagir, critiquer, apporter des idées par la fonction commentaire. Nos textes peuvent toujours s'enrichir du débat.

22/07/2015

Pour une politique de l'eau fondée sur la preuve

Nous publions ci-dessous deux documents de l'association relatifs à son analyse des enjeux en rivière. Le premier document est une réponse de fond à la critique qui nous a été faite (par la DREAL de Loire-Bretagne et par la Direction de l'action scientifique et technique de l'Onema) à propos de la recension de Van Looy 2014. Dans ce texte substantiel, nous maintenons notre analyse du texte concerné, nous répondons point à point aux observations de nos interlocuteurs et, plus largement, nous en appelons à une prise en compte plus équilibrée du niveau réel de robustesse de nos connaissances scientifiques par les politiques publiques de l'eau.

Le second document est la version en quelque sorte (très) synthétique du premier, et reprend les diapositives de notre conférence principale lors des 3e Rencontres hydrauliques du 27 juin 2015.

N'hésitez pas à diffuser ces textes... ou à les critiquer ici (la fonction "commentaire" de notre site est toujours ouverte).

Lien 1 : Réponse Dreal / Onema / CGEDD sur la recension Van Looy 2014
Lien 2 : Conférence de Genay, 27 juin 2015

19/07/2015

Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?

Le récent désastre écologique de Vanvey pose une question de fond : face à des conditions climatiques appelées à changer, notamment la fréquence, l'intensité ou la durée des phénomène extrêmes comme les sécheresses, les politiques publiques de l'eau ont-elles pris tous les risques en considération? Cette question se pose en particulier pour l'avenir des seuils, digues et barrages, puisque l'Etat français et les Agences de l'eau soutiennent activement une politique de destruction systématique de ces ouvrages, donc de changement massif et planifié des conditions hydrologiques des bassins versants.

Même avant l'enjeu contemporain du réchauffement climatique, la question se posait. Nous avions à titre d'exemple publié l'étonnant rapport de l'ingénieur Louis Suquet, qui proposait de pallier les fréquentes pertes estivales de la Seine amont par un réseau hydraulique fondé sur les biefs et canaux. Et aujourd'hui, cette question ne se pose pas qu'en France. La Californie subit depuis quelques années une sécheresse important, l'année 2014 ayant été la moins arrosée en 165 ans de relevés instrumentaux et l'année 2015 ayant vu d'importantes restrictions. Certains remettent en question la politique d'effacement des barrages (ou d'interdiction de leur construction), qui a démarré plus tôt aux Etats-Unis qu'en Europe, du fait du Clean Water Act (1972) et de l'Endangered Species Act (1973).

Sur ce sujet, Sarah E Null et ses collègues ont publié en 2014 une intéressante étude montrant que l'évaluation des aménagements hydrauliques doit faire l'objet d'une analyse d'optimisation approfondie, avec plus de sélectivité dans les choix d'aménagement. L'étude, concernant la Central Valley californienne, souligne que la capacité des grands barrages a certes un effet positif sur les usages, mais reste faible par rapport aux pénuries d'eau attendues du fait du changement climatique. Ce n'est donc pas une solution miracle, mais un élément parmi d'autres d'une gestion nettement plus attentive de la ressource.

L'intérêt du travail de Null et al 2014 – qui n'est pas extrapolable dans ses conclusions à d'autres conditions hydrologiques, climatiques et géologiques que celles de la Californie centrale – est surtout de montrer que seule une analyse par bassin hydrographique permet de prendre en considération les scénarios d'évolution hydroclimatique et économique, donc de faire les choix les plus avisés. Il est aussi de rappeler que tous les usages de l'eau présents et à venir doivent être intégrés dès lors que l'on prétend faire des analyses coût-bénéfice.

Or, c'est là que le bât blesse en Europe, et singulièrement en France. La place des retenues d'eau de toute dimension (des seuils aux barrages) n'a été généralement analysée qu'à travers le prisme de la continuité écologique, sur la base d'une connaissance scientifique encore en construction. Le classement des rivières de 2012-2013 (impliquant l'aménagement ou l'effacement des ouvrages) a été aussi massif que précipité, alors que l'on ne disposait absolument pas du premier retour d'expérience sur les 1200 ouvrages classés prioritaires dans le Plan d'action et de restauration de la continuité écologique de 2009 (PARCE). Si chaque opération d'aménagement fait théoriquement l'objet d'une analyse d'impact, il n'existe pas à ce jour de modélisation à échelle des bassins versants. Chaque décision est prise sur un site, au mieux au tronçon, sans étude de la dynamique à plus grande échelle. Et bien sûr, comme il n'y a pas de modélisation hydrologique, il y a encore moins de couplage avec des modélisations biologiques, climatiques, énergétiques ou économiques.

Les politiques françaises de l'eau doivent impérativement faire un bond qualitatif en terme de rigueur scientifique, s'ouvrir à la prospective à long terme et, dans le cas particulier de la continuité écologique, sortir de l'état d'urgence factice imposant des décisions bien trop hâtives.

Référence : Null SE et al (2014), Optimizing the dammed: Water supply losses and fish habitat gains from dam removal in California, Journal of Environmental Management, 136, 121-131

A lire également : OCE (2013), La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages. Pour une évaluation systématique du risque lié à la modification des obstacles à l'écoulement (seuils, barrages, digues...)

Illustration : rivière asséchée en California, NOAA.

Faites-le savoir...


13/07/2015

A Vanvey, les dogmes de la continuité tuent la faune des biefs et retenues

Nous avions visité Vanvey au printemps dernier. Le maire de la Commune et les propriétaires des ouvrages du bief qui la traverse de part en part nous avaient expliqué le système hydraulique local. La rivière Ource, ici en terre calcaire, subit des pertes karstiques et disparaît parfois au coeur de l'été. Le bief, imperméabilisé sur le fond lors de sa conception voici plusieurs siècles, maintient en revanche une ligne d'eau même en été sec.

Mais voilà, au nom des idées toutes faites récemment vulgarisées par les idéologues de la continuité écologique, tout ouvrage hydraulique est suspect : il ne peut que détériorer le vivant. En cas de sécheresse sévère, comme en ce moment, ordre est donc donner d'ouvrir les vannes : la fonction de réserve d'eau que permettent les retenues des seuils et petits barrages disparaît.

Résultat de cette politique à Vanvey : des brochets, des lamproies, des truites qui meurent en masse dans le bief asséché par décision préfectorale. Voilà un malheureux témoignage a contrario de la réelle fonction de protection de la faune à l'étiage assurée par les ouvrages hydrauliques. Les anciens le savent, le bon sens l'indique, mais comme cette réalité ne convient pas aux doctrinaires de l'effacement des barrages, ils passent outre les mises en garde et appliquent aveuglément le nouveau catéchisme d'écoulement préférentiel de l'eau dans le seul lit mineur.

A tous ceux qui auraient du mal à imaginer l'avenir des rivières sans leurs seuils et barrages, le sort du bief de Vanvey donne une petite idée de l'hydrologie de nos cours d'eau si les apprentis sorciers de la continuité écologique persistent dans leur funeste programme de destruction systématique du patrimoine hydraulique.

Image : site de France 3 Bourgogne

Nota : la sécheresse que traverse le pays est l'occasion d'observer le comportement des systèmes hydrauliques. N'hésitez pas à nous envoyer des témoignages photographiques de rivières avec et sans ouvrage.

Edition 16 juillet : ci-dessous, banderole au bief de Vanvey. Cela fait 4 ans que nous déplorons l'absence de concertation DDT-ONEMA 21 sur les ouvrages hydrauliques. Nous avions amené en Préfecture de Dijon une pétition de 1700 signatures, on nous avait promis une réponse à l'ensemble de nos questions et une table ronde, mais rien n'est jamais venu.

11/07/2015

Doit-on détruire des ouvrages hydrauliques pour le chabot? Chroniques de l'extrémisme ordinaire en gestion des rivières

La question peut paraître curieuse, mais elle mérite d'être posée. Un citoyen inquiet nous a alerté sur le programme de destruction de deux ouvrages hydrauliques de Tonnerre, porté par le Sirtava et financé par l'argent public. Dans le projet d'assistance à maîtrise d'oeuvre publié en juin 2015 par le bureau d'études SEGI, nous lisons que l'espèce piscicole "repère " retenue pour le niveau d'ambition des aménagements est le chabot.


Le chabot, espèce sédentaire, piètre nageur et sauteur
Retenir ainsi le chabot comme espèce repère de la continuité longitudinale nous surprend à plus d'un titre. Voici quelques raisons (pour des revues générales, voir OFEPP 2004, Tomlinson et Perrow 2003) :

- le chabot (Cottus gobio) est considéré comme espèce d'eaux vives caractéristique des zones à truites (zonation de Huet), ce qui n'est pas le cas de l'Armançon aval où l'on doit plutôt être dans la zone à barbeau ;

- le chabot vit de façon sédentaire en habitat benthique (sur le fond), il n'a pas de capacité morphologique importante de nage ni de saut, en aucun cas il ne peut être assimilé à un migrateur présentant des besoins vitaux en montaison dans son cycle de vie ;

- de simples débris de bois en zones forestières (Langford et Hawkins 1997) ou des obstacles de 18-20 cm (Utzinger et al 1998) suffisent à dissuader sa circulation et changer la fréquence relative de ses populations, sans que la densité totale d'individus sur l'ensemble du linéaire des rivières aménagées paraisse notablement affectée ;

- le chabot a de fortes capacités d'adaptation et n'est pas limité aux eaux vives, il a été documenté dans des eaux stagnantes (lac) et jusqu'à 50 m de profondeur, il supporte des températures de l'eau élevées (plus de 20-24°C pendant 2 mois, voire jusqu'à 27°C), la présence d'un bief ne représente donc pas une dégradation grave de son habitat (et laisse de toute façon d'autres zones à écoulement plus naturel dans la rivière) ;

- le chabot commun n'est pas sur la liste rouge des espèces menacées en France, sa répartition est relativement ubiquiste sur le territoire et si les petits seuils des moulins devaient le faire disparaître, cela aurait été le cas depuis bien longtemps ;

- l'Armançon en particulier a un peuplement piscicole stable depuis un siècle, et certaines chercheurs pensent que c'est le cas depuis plusieurs siècles d'aménagements pour le flottage, la navigation et l'énergie (voir Beslagic et al 2013) ;

- dans le cas particulier de Tonnerre, le seuil amont de la Cascade ne sera pas effacé, donc le gain de linéaire sans obstacle est modeste et sans enjeu réel (sauf à considérer que quelques centaines de mètres sans retenue d'eau représentent un triomphe écologique décisif pour la rivière, ce qu'il convient de démontrer par des preuves) ;

- le véritable et seul enjeu migrateur de l'Armançon est l'anguille, mais comme sa colonisation des têtes de bassin n'a jamais été historiquement entravée par des seuils modestes (1,10 et 1,50 m de hauteur de chute à Tonnerre), on préfère parler du chabot qui satisfait le besoin apparemment compulsif de détruire tout obstacle de plus de 20 cm.

L'extrémisme ordinaire: quand des décisions radicales et antidémocratiques deviennent routine
La destruction d'un ouvrage hydraulique est un acte grave, qui altère le patrimoine historique, réduit à néant le potentiel énergétique, efface le droit d'eau, change le paysage, remobilise des sédiments, modifie les écoulements et les risques associés, coûte de l'argent public (financement à 95%). En aucun cas cette destruction ne devrait être envisagée pour des motifs futiles ou mineurs. Et, systématiquement, cette destruction devrait être associée à des objectifs clairs de résultats, avec un suivi scientifiquement validé permettant de garantir aux citoyens que des enjeux environnementaux importants ont bel et bien été satisfaits.

Mais cela ne se passe pas ainsi. Nous vivons dans le règne antidémocratique de l'extrémisme ordinaire : quelques décideurs (services techniques et administratifs des syndicats, des Agences de l'eau, des DDT et Onema, de la Direction de l'eau au Ministère) et quelques lobbies aussi minoritaires que subventionnés défendent une idéologie irréaliste et radicale de la rivière "renaturée", assomment le citoyen d'études complexes aux résultats généralement creux dès qu'on sait les lire, engagent des dépenses d'argent public pour satisfaire des fantasmes de pseudo-naturalité des écoulements n'ayant rien à voir avec les besoins prioritaires pour la qualité chimique et écologique des rivières françaises.

Il est anormal que les ouvrages hydrauliques de Bourgogne et de France soient ainsi victimes d'une idéologie radicale, punitive et destructive, sans base scientifique consensuelle, sans engagement de  responsabilité sur des résultats tangibles. Alors que la plupart des pressions sur les rivières jouissent d'une large mansuétude de la part de l'autorité publique, le cas particulier de la morphologie exacerbe une approche extrémiste et décalée de la conservation pour la conservation, sans aucune réflexion de contexte. Ainsi, "on se lâche" sur la continuité longitudinale en prétendant casser le maximum d'ouvrages pour "naturaliser" le cours d'eau à la pelleteuse, tout en admettant par ailleurs que les bassins versants resteront artificialisés, que les pollutions chimiques (plus de 450 substances) seront mal mesurées et ne reculeront que très lentement, que le réchauffement climatique changera les biotopes d'ici quelques décennies, que les peuplements piscicoles ont de toute façon évolué localement depuis des siècles, etc. Tout cela n'a aucun sens. Nous n'avons pas des milliards d'euros à dépenser pour satisfaire quelques apprentis sorciers des technocraties et quelques lobbies des comités de bassin : la gabegie et la folie des destructions d'ouvrages doivent cesser.

Références citées
Beslagic S et al (2013), Évolution à long terme des peuplements piscicoles sur le bassin de la Seine, PIREN-Seine, phase 6, rapport
Langford TE, Hawkins J (1997), The distribution and abundance of three fish species in relation to timber debris and mesohabitats in a lowland forest stream during autumn and winter, Limnetica, 13, 2, 93-102
Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) (2004), Biologie, menaces et protection du chabot (Cottus gobio) en Suisse, Informations concernant la pêche, 77
Tomlinson ML, Perrow MR (2003), Ecology of the Bullhead Cottus gobio, Conserving Natura 2000 Rivers Ecology Series, 4
Utzinger J et al (1998), Effects of environmental parameters on the distribution of bullhead Cottus gobio with particular consideration of the effects of obstructions, Journal of Applied Ecology, 35, 6, 882–892

Illustration : © Hans Hillewaert, Wikimedia Commons

Associations, élus, personnalités et acteur de la société civile : avec nous, exigez un moratoire à effet immédiat sur les réformes destructrices et inefficaces de continuité écologique.

06/07/2015

Services rendus par les hydrosystèmes: bilan globalement négatif des effacements de seuils et barrages


Voici une image (cliquer pour agrandir et télécharger par clic droit) qui résume notre analyse des effets globalement négatifs de la continuité écologique quand celle-ci consiste à effacer les ouvrages hydrauliques au lieu de privilégier des aménagements plus respectueux des usages et des équilibres. Vous pouvez télécharger ce document en format pdf. La diffusion est bien sûr libre! Dans le cadre du mouvement national pour un moratoire sur la continuité écologique, nous rédigerons un argumentaire substantiel sur cette question.

04/07/2015

Aménagement des seuils de la Brenne à Montbard: la phase diagnostique est lancée

L'association Hydrauxois a participé le 2 juillet 2015 à la première réunion du Comité de pilotage des opérations de restauration écologique et paysagère de la Brenne à Montbard. Deux ouvrages en rivière sont concernés, le seuil communal de l'Hôpital (ancien moulin Dupont) et le seuil privé Poupenot.

Tout d'abord, nous tenons à féliciter le Sirtava (syndicat de rivière) et la Commune de Montbard (Laurence Porte, maire) pour leur engagement sur une gouvernance ouverte du projet. Nous sommes parfois très critiques vis-à-vis de la politique du syndicat de rivière, aussi nous n'avons aucune réserve à exprimer un louange public quand il est justifié.  La présence des associations de riverains, de différentes parties prenantes pas toujours conviées en routine sur ce type de projet (ABF, VNF), le fait que l'étude diagnostique inclut un bilan hydro-électrique et une grille multicritères de décision témoignent d'un effort manifeste pour intégrer tous les éléments d'appréciation. Nous nous en réjouissons : notre position n'a jamais été un refus systématique de l'effacement, mais une volonté de transparence, d'ouverture et d'équilibre dans la prise en compte des différents enjeux de la rivière et de ses usages. Il semble que l'aménagement de la Brenne à Montbard s'engage sur cette voie vertueuse.


Le bureau d'études choisi pour cette analyse (Artelia, antenne Dijon) a exposé sa méthode. Elle inclut notamment une étude sédimentologique et géotechnique assez poussée, compte-tenu de l'inquiétude (légitime) des riverains sur l'évolution du bâti (berges, habitations, ouvrages d'art) en cas d'arasement ou dérasement des seuils. Des simulations hydrauliques permettront d'apprécier les évolutions de l'écoulement à différentes hypothèses.

Au regard des premiers éléments d'appréciation, nous serons notamment vigilants sur la qualité de l'étude écologique et son bilan coût-bénéfice. Eric Coquille (président du Sirtava) a précisé de manière sensée que l'enjeu de l'aménagement est "d'abord environnemental". Nous sommes d'accord, et nous regrettons à ce sujet l'absence de l'Onema à la première réunion : l'Office a un rôle moteur dans le système d'information sur l'eau et les milieux aquatiques. Nous espérons donc que le bureau d'études pourra travailler sur l'ensemble des données environnementales disponibles, notamment les bio-indicateurs  (poissons IPR+, invertébrés I2M2, diatomées IBD) en association aux mesures chimiques / physico-chimiques de la Brenne montbardoise, qui permettent un contexte complet, non limité à la morphologie. Idéalement, et comme ce fut le cas à Semur-en-Auxois pour le projet d'aménagement du Foulon de la Laume, nous aimerions que des pêches électriques de contrôle permettent de comparer les peuplements piscicoles amont / remous / aval, afin d'objectiver les gains possibles des différentes hypothèses d'aménagement des seuils. Le lit majeur étant très artificialisé au niveau du seuil communal, le gain en terme de mobilité fonctionnelle de l'écoulement sera nécessairement faible au droit de cet ouvrage. Mais en sortie de la traversée urbaine, au niveau de la promenade aménagée et au-delà, il semble exister une superposition de méandres anciens que le BE analysera.

Pour la suite : la Commune de Montbard fera une réunion d'information publique le 17 septembre 2015, et le diagnostic sera complété à la fin du mois de novembre. Dans les 5 mois qui viennent, le BE Artelia souhaite recevoir tous témoignages utiles, y compris d'archives. Vous pouvez nous contacter pour une mise en relation à ce sujet, ou contacter directement le Sirtava (Vincent Govin ou Kevin Duplan). Comme à son habitude, notre association produira un rapport d'analyse complet des futurs travaux du bureau d'études.

01/07/2015

Seuils et barrages ont un effet positif sur les pollutions azote et phosphore des rivières (Powers et al 2015)

Les rivières reçoivent fréquemment des excès de nutriments (matières azotées et phosphorées) issus des activités agricoles ou des eaux usées du bassin versant. Les trois chercheurs de ce nouveau travail paru dans Biogechemistry ont souhaité analyser le rôle des réservoirs et retenues d'eau des barrages, pour évaluer leur bilan azote (N) et phosphore (P). Ils ont compilé 18 années de données de qualité (1990-2007) sur les bassins du Mississippi, des Grands Lacs et de l'Ohio. En particulier, SM Powers et ses collègues ont comparé des tronçons avec et sans barrage (total 869, incluant 100 contrôles en sortie de barrage).

Principal résultat de leur étude : les écoulements en sortie de barrage montrent en moyenne une baisse annuelle de 20% du phosphore total et de l'azote total. Ce rôle de "puits de nitrate et de phosphate" est donc positif pour la qualité de la rivière, et empêche notamment que les nutriments aillent s'accumuler vers les bassins aval, ainsi que les zones côtières et estuariennes.

Le bilan de masse montre que l'azote est soit piégé dans les sédiments, soit dénitrifié  (transformation gazeuse par activité bactérienne). Le bilan est plus complexe et variable sur le phosphore. Image ci-dessus : flux net du phosphore total (à gauche) et de l'azote total (à droite) sur les réservoir doté d'un monitorage par bilan de masse des écoulements entrant / sortant. Les barres vers la gauche indiquent la rétention (rôle auto-épurateur), les barres vers la droite l'exportation (rôle mobilisateur). Cliquer pour agrandir.

Les seuils et barrages rendent des "services aux écosystèmes"
Les trois chercheurs observent en conclusion : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes".

Nous sommes donc aux antipodes du discours des syndicats de rivières, des Agences de l'eau ou de certains agents Onema affirmant que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration des rivières. Mais ce n'est ni la première ni la dernière fois que les gestionnaires de l'eau trompent ainsi le public au service d'une idéologie bornée de l'effacement systématique des obstacles à l'écoulement… La destruction des seuils et barrages en cours dans notre pays a malheureusement toute chance d'aggraver les pollutions, qui forment déjà le premier impact sur la qualité des eaux de surface et des milieux aquatiques.

Référence : Powers SM et al (2015), Control of nitrogen and phosphorus transport by reservoirs in agricultural landscapes, Biogeochemistry, 124, 1-3, 417-439

A lire également : Auto-épuration, quand l'Onema contredit l'Onema

12/06/2015

En défense des seuils et barrages de France

Depuis 10 ans, l'Etat français s'est mis en tête d'en détruire le plus grand nombre de seuils et barrages des rivières de France, avec la complicité des Agences de l'eau. Non seulement les autorités et gestionnaires de l'eau ne parviennent pas à tenir leurs promesses de bon état des masses d'eau françaises, mais elles entendent détourner l'attention des amoureux des rivières sur des boucs émissaires bien commodes. Tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin : propagande peu scientifique sur le prétendu "impact majeur" des moulins et étangs sur la qualité chimique et écologique de l'eau, soutien bruyant ou acquiescement silencieux des lobbies des comités de bassin, classement massif, autoritaire et irréaliste des rivières à fin de continuité écologique, chantage à la subvention en faveur de l'effacement, harcèlement réglementaire des propriétaires… Pourtant, les petits barrages de moulins et étangs – que l'on appelle aussi seuils, chaussées, glacis, déversoirs, digues, écluses selon les endroits – offrent de nombreux intérêts. Présent pour la plupart sur leurs rivières depuis plusieurs siècles, ayant créé de longue date un profil d'équilibre local, ces ouvrages sont aussi appréciés des populations locales et riveraines qu'ils sont détestés des bureaucrates et des idéologues. Voici 25 arguments en faveur de leur préservation et de leur restauration, arguments que nous avons collectés au cours de nos nombreuses réunions publiques et visites de site. Et d'abord, pour les élus, personnalités et institutions, un appel à moratoire sur l'effacement des seuils.


Pour un moratoire sur la continuité écologique
Si vous êtes un élu, une personnalité ou une institution (association, etc.), vous pouvez désormais signer la demande de moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. (Attention, ce n'est pas une pétition " de masse" ouverte à chaque citoyen individuellement, mais une demande devant être signée par les forces vives des territoires, en vue d'une remise officielle au Ministère de l'Ecologie en 2016). 


25 arguments sur l'intérêt des ouvrages hydrauliques
de nos rivières


Intérêts (et moindres impacts) morphologiques et hydrauliques

- Les seuils diversifient les écoulements et donc les habitats d'un tronçon, leurs retenues créent des mouilles profondes favorables à certaines espèces aquatiques et terrestres.

- Les seuils n'empêchent pas la rivière de disposer d'écoulements naturellement variés en dehors de la zone d'influence des remous liquides amont, donc ils n'impactent pas réellement la morphodiversité à échelle des bassins versants.

- Les seuils ont un impact le plus souvent négligeable sur le transport solide en charriage et suspension, la sédimentation amont et l'érosion aval ne modifiant pas substantiellement les dynamiques sédimentaires des bassins versants.

- Les seuils contribuent souvent à la régulation de crues modestes par divers mécanismes (effet retenue, diffusion latérale vers des champs d'expansion au niveau de la ligne d'eau amont, dissipation d'énergie au droit du ressaut hydraulique) et ils ralentissent la cinétique des crues/inondations.

Intérêts (et moindres impacts) biologiques

- En période d'étiage sévère, les seuils et leurs retenues sont parfois les dernières zones de refuge. En zone karstique, il arrive que les "fausses rivières" des biefs soient les seuls canaux en eau au cours de l'été.

- Les seuils peuvent ralentir sur certains bassins la progression d'espèces invasives ou indésirables vers les zones amont des bassins (écrevisses américaines, silure, perche-soleil, etc.).

- Bon nombre de seuils sont entièrement noyés lors des crues et deviennent franchissables aux espèces piscicoles. De même, il est fréquent que les bords de seuils en rive offrent des échancrures (jadis destinées à l'écoulement des débits réservés) en eau toute l'année et franchissables aux poissons ayant de réels besoins migrateurs.

- Même s'ils abritent localement des espèces préférant les habitats lentiques banalisés, les seuils et leurs retenues contribuent à la biodiversité totale du bassin versant en diversifiant la faune aquatique et en augmentant le nombre total d'espèces.

- Au XVIIIe siècle, et alors que plus de 80% des seuils actuels étaient déjà présents sur les rivières, les espèces migratrices se retrouvaient en tête de bassin versant (saumons, aloses, lamproies marines, etc.), suggérant que la petite hydraulique bien gérée est compatible avec les migrations piscicoles.

Intérêts (et moindres impacts) physico-chimiques et écologiques

- Bien que leur bilan d'oxygène total retenue + chute soit nul, les chutes des seuils créent une zone suroxygénée à l'aval, qui peut être bénéfique dans certaines périodes de stress intense.

- Les seuils ralentissent la progression des pollutions aiguës.

- Les seuils ont un effet tampon et stockent certaines pollutions diffuses, de sorte que le curage d'entretien de leur retenue équivaut à une dépollution locale.

- Sur certaines substances (cycle de l'azote), les seuils ont plutôt un effet épurateur pour les rivières.

- Les grilles des biefs en activité récupèrent les matières plastiques et autres charges polluantes qui, sans cela, se disséminent dans le milieu (jusqu'à l'estuaire).

- Les retenues des seuils offrent une plus grande surface exposée au soleil (ce qui contribue au réchauffement superficiel) mais une plus grande profondeur (ce qui contribue au refroidissement de fond), de sorte que leur bilan thermique n'est pas toujours défavorable (il dépend de la structure d'écoulement vers l'aval, par le fond ou par la surface, et du niveau de stratification thermique).

Intérêts économiques et sociaux

- Les seuils et leurs moulins sont souvent aménagés en chambre d'hôtes et gîtes ruraux, très recherchés par les amoureux des rivières, contribuant à l'attrait des vallées et des territoires.

- Les seuils forment par leur hauteur de chute un potentiel de production qui peut être mobilisé aisément dans le cadre de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.

- Les seuils peuvent servir à divers professions (pisciculture, agriculture, hydroélectriciens, etc.) qui contribuent à faire vivre des territoires ruraux souvent désertés pour la plupart de leurs bassins d'emplois.

- Les seuils sont des zones appréciées des baigneurs, des promeneurs, des pêcheurs et de divers usagers qui tirent profit des services rendus par leurs singularités hydrauliques.

- Dans certaines zones isolées, les seuils servent de réserves d'eau pour les pompiers.

Intérêts paysagers, urbanistiques et touristiques

- Les seuils ont façonné les berges des milieux urbanisés où ils garantissent un certain niveau quasiment constant, les riverains étant attachés à ce paysage de plans d'eau successifs offert toute l'année.

- Les seuils évitent la quasi-disparition des lits au plus fort de la période estivale et les zones marécageuses induites par les variations du lit (zones appréciables en milieu naturel, mais combattues en milieu à forte densité humaine en raison des nuisances induites).

- Les seuils sont parfois la condition de stabilité des constructions en berge (fondations bois en permanence en eau) et des autres ouvrages d'art à proximité sur le tronçon.

Intérêts historiques et patrimoniaux

- Les seuils témoignent de deux millénaires d'usages de l'eau, rappelant que la petite hydraulique a soutenu l'essor de l'artisanat, de la petite industrie, de l'agriculture, et a contribué au premier chef à la dynamique d'occupation des territoires français.

- Les seuils sont une clé de lecture pédagogique pour tous les animateurs scolaires et culturels, en raison des nombreux usages qui les ont accompagnés à travers l'histoire et de leur importance dans la construction des paysages de vallée.

En conclusion
En Côte d'Or, en Bourgogne et dans toute la France, les associations de moulins reçoivent un nombre croissant d'adhésions de la part des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, des riverains et des citoyens outrés par les absurdités et les gabegies de la politique française de l'eau, en particulier par la destruction planifiée de notre patrimoine hydraulique. Il n'y a aucune fatalité à s'enfermer dans cette impasse qui non seulement détériore la qualité de notre cadre de vie, mais qui en plus n'empêchera nullement la France d'être condamnée pour non-atteinte du bon état chimique et écologique de ses masses d'eau.

A savoir : rencontres du 27 juin 2015 pour affirmer notre reconquête des rivières
Le samedi 27 juin à Genay (Côte d'Or), nous exposerons lors de nos rencontres hydrauliques régionales quelques moyens que l'on peut mettre en oeuvre pour s'opposer concrètement à la destruction des ouvrages et aux futures mises en demeure de l'administration. Venez nombreux pour échanger et débattre. Invitation à retirer à hydrauxois(at)gmail.com

06/06/2015

Avis négatif sur le SDAGE Seine-Normandie

Le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin de Seine-Normandie, porté par l'Agence de l'eau (AESN), est soumis à enquête publique jusqu'au 18 juin prochain. Nous invitons nos adhérents et sympathisants à donner leur opinion dans le questionnaire en ligne, et nous exprimons ci-dessous les réserves qui nous conduisent à refuser ce SDAGE. Les principales raisons en sont le déficit démocratique de la gouvernance, l'absence de représentants des moulins et des riverains dans les processus de décision, l'inefficacité de l'action publique pour l'état chimique et écologique des rivières du bassin, le manque de transparence et d'accès aux données réelles sur cet état, le caractère autoritaire et irréaliste des mesures de continuité écologique, l'inégalité persistante devant les charges publiques liées à l'amélioration de la qualité de l'eau. Ces points seront soumis au Préfet coordonnateur de bassin.

L'association Hydrauxois observe que :

- le 2e Collège du Comité de bassin ne comporte aucun représentant des moulins ni des riverains, les commissions techniques et géographiques de l'AESN n'ont pas procédé à des auditions systématiques des associations et fédérations rassemblant ces usagers, en conséquence le SDAGE dès sa conception ne respecte pas le principe d'une gestion équilibrée de l'eau et d'une participation démocratique aux décisions la concernant;

-  le bon ou très bon état écologique des rivières de Seine-Normandie ne concerne que 38% d'entre elles, très loin de l'objectif affiché et maintes fois répété de 68% pour 2015, laissant planer un sérieux doute sur l'efficience de la dépense publique en matière de gestion de l'eau du bassin;

- le bon état chimique ne concerne que 32% des masses d'eau, le déclassement en mauvais état venant dans la majorité des cas de la pollution diffuse des HAP, sans que ce déclassement chimique ne soit réellement analysé dans ses causes, ses conséquences (réglementaires et environnementales) ni les moyens réels d'y remédier pour respecter nos obligations de bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau à l'horizon 2027;

- les documents présentés en analyse au public n'offre aucun accès aux données brutes d'analyse de la soixantaine d'indices de qualité biologique, physico-chimique et chimique exigés par la mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000);

- les services techniques de l'AESN n'ont pas été en mesure de nous fournir un fichier de données démontrant que les mesures de qualité de la DCE 2000 sont réellement et intégralement effectuées sur l'ensemble des masses d'eau du bassin (les fichiers fournis n'offrant que des résultats partiels eu égard à nos obligations de suivi et rapportage de la qualité de l'eau), ce qui induit un soupçon légitime d'un défaut de connaissances scientifiques approfondies de l'état écologique et chimique réel de chaque bassin versant, donc d'un défaut de fondement objectif pour les décisions du SDAGE relatives à la priorisation et hiérarchisation des mesures de gestion de l'eau;

- dans le domaine de la restauration morphologique et de la continuité écologique, l'Agence de l'eau SN n'arrive de son propre aveu à suivre en moyenne qu'une centaine de travaux sur les seuils et barrages par an sur l'ensemble du bassin, admet elle-même que 750 ouvrages seulement seront suivis entre 2016 et 2021, cela alors que le nombre de seuils classés L2 sur le bassin est compris entre 5000 à 7000 ce qui impliquerait un rythme de gestion des dossiers dix fois plus important que celui admis comme réaliste par l'Agence de l'eau;

- le projet de schéma directeur du SDAGE SN acte de la difficulté de mise en oeuvre des opérations de restauration morphologique, en particulier de celles concernant les aménagements de seuils et barrages en lit mineur : coût économique important, complexité technique sous-estimée, manque d'acceptabilité sociale et de consensus politique, difficulté à caractériser le bénéfice environnemental des travaux liés à ce compartiment;

- le SDAGE ne tient aucun compte de son propre constat de difficulté sur la période 2004-2015 et son Orientation 19 du projet (Assurer la continuité écologique pour atteindre les objectifs environnementaux des masses d’eau) se contente de réitérer les mêmes objectifs sans apporter de solution nouvelle pour s'affranchir des limites mises en lumière dans le bilan;

- plus gravement encore, le SDAGE SN 2016-2021 ferme dans son Orientation 19 la porte à toute évolution de la réflexion sur l'aménagement des ouvrages et se contente d'enjoindre l'administration à persister dans une voie qui donne déjà lieu à des contentieux judiciaires, des protestations politiques, des difficultés économiques et troubles sociétaux sur les rivières;

- en particulier, le SDAGE ne modifie en rien la politique actuelle de l'Agence de l'eau SN qui consiste à financer la seule destruction des seuils et barrages, laissant aux propriétaires publics et privés la charge exorbitante de supporter le coût élevé des aménagements de continuité écologique, cela en contradiction avec le principe d'égalité des citoyens eu égard aux nombreuses aides publiques accordées à des usagers ayant des activités bien plus dégradantes pour la qualité de l'eau que la présence de seuils et barrages.

En conséquence de ce qui précède, l'Association Hydrauxois :

- donne un avis négatif au projet actuel de SDAGE 2016-2021 sur le bassin Seine-Normandie;

- demande au Préfet coordonnateur de bassin de différer l'adoption de ce SDAGE afin d'apporter une réponse adaptée aux manquements signalés dans la présente;

- examinera l'opportunité d'un recours en contentieux administratif si le SDAGE Seine-Normandie venait à être adopté sans que ces demandes soient satisfaites.