16/10/2015

L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)

Miguel Clavero et Virgilio Hermoso, deux chercheurs espagnols, se sont penchés sur les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique. Leurs principales conclusions : les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule ; il suffit de rendre franchissables 12 barrages pour ouvrir 40% des bassins à l'anguille, et d'en aménager 76 pour retrouver 80% du territoire historique de l'anguille. Ce travail après bien d'autres montre la nécessité pour le gestionnaire de distinguer la petite de la grande hydraulique, l'utilité d'une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et l'intérêt d'un ciblage intelligent des opérations de restauration.

Les stocks d'anguille européenne (Anguilla anguilla) se sont effondrés en Europe à partir du début des années 1980, avec des rendements dans les pêcheries situés à moins de 10% des prises anciennes. L'espèce est considérée comme menacée sur le continent, ce qui a amené les Etats-membres à adopter un règlement européen (RCE 1100/2007) imposant des mesures de connaissance, de protection et gestion de l'anguille. En 2010, l'anguille a été classée comme espèce menacée en danger d'extinction.

Mais que sait-on au juste de la répartition ancienne de l'anguille, antérieure à cet effondrement? Miguel Clavero et Virgilio Hermoso ont cherché à répondre à cette question par une analyse historique de l'espèce dans la Péninsule ibérique.

Des sources d'information remontant jusqu'au XVIe siècle
Les auteurs observent qu'il existe plusieurs hypothèses en discussion dans la communauté scientifique concernant la chute récente des stocks d'anguille (nous y reviendrons plus bas), notamment des changements de circulation océaniques dans l'Atlantique. Ils écrivent: "En combinant les hypothèses récentes sur l'effondrement des anguilles, il paraît plausible que l'impact significatif des barrages construits en Espagne depuis les années 1950 et au Maroc depuis les années 1980 puisse avoir empêcher les anguilles de compenser des fluctuations de leur recrutement déterminées par des phénomènes naturels".

Pour examiner cette question, Clavero et Hermoso ont recours à une analyse historique. Ils observent: "Les perspectives à long terme sont indispensables pour comprendre les systèmes écologiques contemporains. Pourtant, les données historiques relatives à la distribution de la biodiversité n'ont été que rarement utilisées dans les sciences environnementales appliquées". Ce constat est tout à fait important quand on s'intéresse aux ouvrages hydrauliques : ceux-ci existent depuis l'époque antique, mais ont connu des évolutions qualitatives et quantitatives notables à l'âge médiéval, classique, moderne et finalement contemporain. Désigner "l'obstacle à l'écoulement", "l'étagement" ou "le fractionnement" comme un problème uniforme qu'il s'agirait de lever par sa suppression n'a guère de sens, car c'est une approche aussi irréaliste sur le plan gestionnaire que grossière sur le plan de la compréhension des écosystèmes aux temps historiques.

Plus de 10.000 informations ont été extraites par les chercheurs espagnols de deux sources historiques: l'une du XVIe siècle, le Relaciones Topogra ficas, un questionnaire distribué aux villages espagnols entre 1574 et 1582 durant le règne de Philippe II ; l'autre du XIXe siècle, le dictionnaire Madoz en 16 volumes, publié entre 1845 et 1865, pour lequel plus de 1400 informateurs locaux ont notamment renseigné les ressources halieutiques.

Les données contemporaines sur l'anguille sont quant à elles extraites du Global Biodiversity Information Facility (2677 fiches d'information sur l'anguille dans l'Inventaire national de biodiversité concernant l'Espagne).



A partir de ces données, les chercheurs ont construit des modèles probabilistes tournant sur 19.706 tronçons de rivières ibériques. Ils ont intégré 5 variables essentiellement relatives à la topographie et à distance à la mer, ainsi qu'une liste des barrages. L'évolution de la distribution est représentée dans les schémas ci-dessus (en haut, probabilité d'occurrence de l'anguille de 0 à 1 entre le XIXe siècle et le présent ; en bas présence en noire et absence en rouge de l'espèce).

Les auteurs tirent deux conclusions importantes.

La première concerne le faible impact anthropique sur l'anguille jusqu'au XIXe siècle : "Il est remarquable que les anciennes structures de retenues d'eau présentes en Espagne et au Portugal, telles que les barrages depuis la période romaine ou arabe (Hooke 2006) ne constituent pas des obstacles importants à la circulation des anguilles dans les bassins de rivières. Par exemple le barrage d'époque arabe de Xerta dans le chenal principal de l'Ebre aval (Prats et al. 2011) n'a pas empêché la pénétration de l'anguille dans l'ensemble du bassin". Pour cette raison, les auteurs considèrent que la carte de répartition de l'anguille au XIXe siècle forme un état initial représentatif d'un impact anthropique faible (et d'un objectif de reconquête raisonnable).

La seconde conclusion vise le ciblage des interventions possibles. "Nous avons trouvé qu'il serait nécessaire de rendre 12 barrages perméables à la migration de l'anguille dans 2 bassins pour permettre la restauration d'un accès de l'espèce à au moins 40% de sa répartition de base dans la Péninsule ibérique. Retrouver un accès à 60% de l'habitat original impliquerait d'agir sur 20 barrages alors qu'une restauration d'habitat de 80% concernerait la modification de 76 barrages". Les auteurs soulignent que la suppression de barrage n'est pas indispensable et qu'il existe diverses solutions pour les rendre franchissables.

Discussion
Le modèle de Clavero et Hermoso n'utilise pas certaines données connues pour avoir une influence sur les stocks d'anguille comme la surpêche, le braconnage, la pollution des eaux et des sédiments, l'effet de long terme du changement climatique. Dans le compartiment principalement étudié de la morphologie et de la continuité longitudinale des rivières, le travail des deux chercheurs montre surtout qu'il faut distinguer entre la petite hydraulique présente jusqu'au XIXe siècle et la grande hydraulique construite depuis cette époque.

Ajoutons quelques informations sur la France. Le graphique ci-dessous, extrait du Plan national de gestion de l'anguille (2010, pdf), montre la courbe de tendance des populations d'anguille en Loire, Adour, Garonne. Il est estimé que le bassin Manche a la même tendance.


Il est manifeste que le recrutement des jeunes anguilles est stable voire en hausse entre 1960 et 1980, puis plonge à partir de cette date avec une forte pente, de l'ordre de 8% / an. Il n'existe aucune corrélation avec la petite hydraulique des moulins, qui est présente dans neuf cas sur dix dès avant la Révolution, et dont la pression a plutôt diminué tout au long du XXe siècle (ruine et abandon d'ouvrages, fermeture tendancielle des petites unités hydro-électriques ou hydromécaniques entre 1918 et 1980).

Dans le cas français, il serait indispensable d'examiner les causes chimiques du déclin de l'espèce, compte tenu de notre occupation des sols et de nos activités en bassin versant différentes de celles de la Péninsule ibérique. L'anguille présente une longue phase continentale de croissance, une durée de vie importante, un comportement benthique, un régime carnassier et une rétention de graisse au cours de son développement. Elle accumule donc les expositions aux contaminations chimiques : pesticides, herbicides, PCB, retardateurs de flammes, perturbateurs endocriniens, etc. L'ensemble de ces substances est en forte croissance dans les cours d'eau et les sédiments depuis les années 1950-1960.

En outre, la variation des courants océaniques – due aux oscillations naturelles de l'Atlantique et/ou au forçage anthropique associé au changement climatique moderne – est une des premières causes à modéliser puisque c'est le recrutement des civelles en arrivée sur les côtes qui est en baisse. Il faut ajouter aux thématiques d'intérêt l'introduction d'espèces invasives et pathogènes, au premier rang desquels l'Anguillicola crassus, ver nématode originaire d'Asie. Cet endoparasite issue d'anguilles japonaises importées colonise l'abdomen de l'animal puis se fixe dans sa vessie natatoire, affectant la survie et la reproduction de l'espèce. Signalons pour finir sur le cas français que l'anguille a été traquée comme "nuisible" sur les rivières salmonicoles jusque dans les années 1980 (interdiction de remise à l'eau des pêches), ce qui rappelle combien les prescriptions soi-disant éclairées du gestionnaire changent avec les époques...

Conclusion
Le travail de Miguel Clavero et Virgilio Hermoso montre tout l'intérêt d'une approche historique de l'évolution des milieux aquatiques sous influence anthropique. En France, il serait souhaitable que les gestionnaires de l'eau engagent :
- une mission scientifique visant à dresser un état piscicole des bassins français à partir des sources disponibles entre l'époque médiévale et le XIXe siècle, puis une évolution la plus précise possible au cours du XXe siècle ;
- une analyse des obstacles à l'écoulement selon leurs indices spécifiques de franchissabilité, cette dernière n'ayant rien à voir avec le seuil arbitraire de 20 cm ou 50 cm posé dans la règlementation (pour l'anguille, mais aussi pour le saumon et d'autres espèces ayant des bonnes capacités de nage ou de saut) ;
- un ciblage des véritables points noirs de la colonisation anadrome, et non une dépense d'argent public inutile sur la totalité des ouvrages d'une rivière classée, dont des seuils historiquement et actuellement franchissables ;
- une programmation des ré-ouvertures de bassin pour l'anguille conforme à nos engagements européens, réaliste en terme économique, progressive et concertée dans sa mise en oeuvre.

Référence : Clavero M, V Hermoso (2015), Historical data to plan the recovery of the European eel, Journal of Applied Ecology, 52, 4, 960–968

Nous remercions Miguel Clavero de nous avoir envoyécopie de son travail.

A lire : Eric Feunteun (2012), Le rêve de l'anguille, Buchet-Castel. Un des meilleurs spécialistes internationaux de l'anguille expose nos connaissances sur l'espèce, ainsi que les enjeux de sa protection. Sur Hydrauxois également : Protéger l'anguille pour mieux la pêcher... l'incohérence du Ministère de l'Ecologie a-t-elle une limite?

15/10/2015

Anne-Catherine Loisier (sénatrice Côte d’Or): "Les politiques de l’eau ont besoin d’un choc de simplification !"

Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte-d’Or, s’inquiète de la mise en œuvre sur le terrain du principe de continuité écologique. Elle a interpellé la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur ce principe, introduit en 2006 par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. « Huit ans se sont écoulés depuis l’adoption de cette loi qui a malheureusement donné lieu à une application aveugle et précipitée » déplore la sénatrice.

Barrages, écluses, buses, déversoirs, chaussées, seuils... plus de 80 000 ouvrages barrent les cours d’eau français. Ils produisent des transformations locales des milieux en modifiant la vie aquatique et le transfert des sédiments. Pour autant, la sénatrice rappelle que les rivières souffrent de nombreuses pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d'eau, pollutions... «Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles!»

Pour Anne-Catherine Loisier, «la restauration des continuités écologiques s'impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile pour tous les propriétaires d'ouvrages situés sur les cours d'eau, qu'ils soient publics ou privés». «Nous assistons ainsi à une destruction du patrimoine des territoires ruraux, sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou les installations qui contribuent pourtant aux objectifs de transition énergétique» souligne la sénatrice.

Entre l'arasement complet de ces ouvrages ou l'obligation d'équipement, il existe pourtant d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif. Anne–Catherine Loisier évoque par exemple l'abaissement de seuil ou l'ouverture de vanne.

Les propriétaires font face à un empilement de contraintes réglementaires. «Les acteurs locaux sont inquiets, d'autant plus que les investissements peuvent être particulièrement lourds et plutôt faiblement financés par l'État», dénonce la sénatrice. Des études scientifiques démontrent que la continuité écologique n'a qu'un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique : «Sans remettre en cause ce principe, il est légitime de s'interroger sur sa réelle efficacité en matière de qualité des milieux. La dépense d'argent public doit aujourd'hui être justifiée par des bénéfices environnementaux avérés.»

Un certain nombre de sites présentent un risque de catastrophe réel alerte la sénatrice citant l'ouvrage hydraulique de la Bèze : «Fissures, risque d’effondrement des habitations riveraines liés à la rétraction des argiles et à l'assèchement des sites, qui paiera en cas de préjudice immobilier pour les propriétaires ?» s’interroge la sénatrice.

Anne-Catherine Loisier appelle à «un choc de simplification pour les politiques de l’eau» et demande une plus grande concertation avec les acteurs locaux afin de parvenir «à des projets réalistes, partagés, s'inscrivant dans un développement durable et global des territoires». La sénatrice a annoncé qu’elle restera attentive au travail engagé par le gouvernement : «Il est important que le Gouvernement étudie ce sujet transversal, qui concerne à la fois l'écologie, mais aussi notre patrimoine architectural. Il est essentiel que les décisions prises soient fondées sur les réalités du terrain et fassent l'objet d'un engagement de la part des acteurs locaux, afin que nous puissions réellement avancer vers une meilleure prise en compte de notre environnement».

13/10/2015

Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a engagé depuis le Plan de restauration de la continuité écologique de 2009 une campagne systématique visant à casser les droits d'eau des moulins, à imposer de façon arbitraire des équipements très coûteux malgré leur faible effet sur les milieux, à décourager la relance de la petite hydro-électricité, à user de l'ensemble de ces pressions pour pousser les propriétaires au désespoir et effacer ainsi le maximum d'ouvrages hydrauliques en rivière. Cette politique est dénoncée aujourd'hui par la campagne nationale du moratoire sur la continuité écologique, et elle le sera demain par le probable contentieux contre plusieurs SDAGE. Mais elle peut et doit aussi être combattue sur chaque seuil et chaque rivière. Voici quelques principes de base pour les moulins les plus exposés (en rivière classée L2 avec aménagement obligatoire d'ici 2017 ou 2018).

Ce mémo s'adresse aux propriétaires (et surtout aux associations de propriétaires) de moulin en rivière classée en liste 2 au titre l'article L 214-17 C env., qui souhaitent préserver leur ouvrage, sa consistance légale et son droit d'eau. Il importe de connaître quelques règles  pour éviter les problèmes et pour amener l'administration à remplir l'ensemble de ses obligations. Nous vous conseillons en cas de doute sur des questions concrètes de vous inscrire sur le Forum de la petite hydro, où les propriétaires partagent des conseils librement (Hydrauxois participe à l'animation de ce Forum). Et surtout de ne pas rester isolé, l'organisation des moulins sur une rivière, un bassin versant, un département étant toujours le moyen le plus efficace de défendre collectivement ses droits.


§1 Principes généraux - Vous devez assurer l'ensemble de vos devoirs de gestion et d'entretien des ouvrages hydrauliques, seuls les propriétaires irréprochables pourront se défendre efficacement. Dans la situation actuelle, compte-tenu de la politique inacceptable de l'Etat, vous ne devez contacter les services instructeurs (DDT-M, Onema, Dreal) qu'en cas de stricte nécessité. En invitant DDT-M et Onema dans votre propriété, vous vous exposez à des critiques, des constats voire des procédures n'ayant rien à voir avec vos questions, vos projets ou vos besoins. Tant que l'action publique sur les ouvrages hydrauliques n'a pas été strictement recadrée, et au vu des excès observés, il n'existe aucune raison d'avoir confiance dans les intentions d'un service de l'Etat en charge de l'eau. Exemple vécu : un propriétaire de bonne foi demande à une DDT comment installer une roue sur le moulin qu'il vient d'acheter, on lui envoie un agent Onema qui fait un constat de ruine et demande l'annulation du droit d'eau. C'est parti pour 5 ans de contentieux. Tant que de telles pratiques existent, un a priori de défiance s'impose. C'est désolant, mais nécessaire. Il n'empêche que l'on doit entretenir des rapports courtois avec les personnes, malgré les désaccords sur le fond. Donc, si vous ne pouvez éviter de contacter DDT-M ou Onema, faites-le après avoir pris conseil d'une association et/ou d'un conseil juridique. Ne soyez pas seul lors de la visite des agents administratifs. Enregistrez au besoin les échanges.

§2 LRAR, conserver la preuve de tout échange important - Tout échange écrit avec une administration (ou un syndicat) se fait par courrier recommandé avec accusé de réception (LRAR). Le récépissé et le contenu doivent être conservés en deux formats (papier et électronique). Il sera parfois utile d'exploiter ces échanges plusieurs années après leur réalisation, donc l'archivage doit être rigoureux et les pièces doivent être facilement accessibles pour votre avocat, votre conseil juridique ou votre association.

§3 Exigence de documents écrits sur tout point stratégique - Les déclarations orales de la DDT-M, de l'Onema, de l'Agence de l'eau sont sans valeur. Vous devez si nécessaire exiger des réponses écrites de ces organismes à toutes vos demandes ou bien encore la communication des rapports écrits de ces organismes (par exemple après une visite de site cf §1). Il en va de même pour certains arguments mentionnés dans des courriers administratifs. Si un document écrit comporte des inexactitudes, il faut en faire état en LRAR. Exemple n°1 : la DDT-M affirme dans un courrier que l'Onema refuse votre analyse de la rivière ou votre projet d'aménagement. Cette simple et vague mention d'un refus de l'Onema n'est pas acceptable, il faut requérir à la DDT-M la communication du rapport écrit intégral de l'Onema afin de juger de la validité de son contenu. L'Onema (comme conseil de la DDT-M) est tenu de démontrer ses évaluations par des références techniques et scientifiques pertinentes, non par des jugements subjectifs et oraux. Si le document n'est pas communiqué, la position de l'administration sera attaquable au tribunal administratif (ou pourra être ignorée). Exemple n°2 : un représentant de l'Agence de l'eau vous dit en visitant votre moulin que l'Agence ne finance pas les passes à poissons dans votre cas (ou que la subvention sera faible). Même chose, il faut que l'agent précise par écrit son refus de financement et les motifs complets de son refus. Les paroles s'envolent, les écrits restent : or, ce sont les écrits que jugent les tribunaux en cas de contentieux. Tout agent administratif est tenu de répondre aux demandes des administrés sur son domaine de compétence et s'expose à poursuite s'il refuse de le faire (d'où la nécessité du LRAR §2).

§4 Cas des rivières classées L2 au titre du L 214-17 C env., nécessité de manifester une intention d'appliquer la loi - Le classement des rivières est paru sur tous les bassins et, à ce jour, il n'a pas été annulé dans le cadre de l'examen de la requête en ce sens déposée par les fédérations et syndicats. Vous devez vous manifester avant échéance du classement (2017 ou 2018, date exacte de la publication du classement au JO à vérifier sur votre bassin). Sans cela, vous courez le risque d'une mise en demeure et vous vous exposez au fait répréhensible d'avoir ignoré la loi (ce que nul ne doit). Il faut néanmoins vous manifester au strict minimum, et comme la requête en annulation est toujours à l'examen, il convient de ne pas le faire trop tôt (attendre par exemple la dernière année du délai légal). Vous n'avez aucune obligation de manifester une intention d'aménager dès 2015 ou 2016. Vous n'avez aucun intérêt à vous engager de façon trop précoce hors les seuls cas où vous avez reçu assurance complète et écrite que votre seuil ne sera ni arasé ni dérasé et que vous ne sera pas soumis à dépenses exorbitantes (voir §8). La procédure pour manifester votre intention de respecter le classement sans pour autant mettre en danger votre bien est précisée au §6.

§5 Cas des études de rivière par syndicat dans le cadre du L 214-17 C env - Certains syndicats proposent de faire analyser par bureau d'études plusieurs moulins sur des tronçons de rivières classées à fin de continuité écologique, sur financement Agence de l'eau et en vue de proposer des solutions. Vous n'avez nulle obligation de payer pour cette étude (contrairement à la pratique plus ou moins illégale répandue en Adour-Garonne). Vous n'avez nulle obligation d'accepter que votre ouvrage soit étudié. Si vous souhaitez être intégré malgré tout dans l'étude, vous devez rappeler au syndicat et au bureau d'étude (BE) que la solution d'effacement n'est pas prévue par la loi. Nous avons conçu un questionnaire spécial pour les BE, que vous devez leur transmettre (lien pour le télécharger). Personne ne doit accepter un rapport de BE incomplet, partial, biaisé, manifestement rédigé pour faire un procès à charge des moulins et sans informations complètes sur les autres impacts de la rivière. Le rapport du BE doit intégrer la totalité des informations nécessaires à un aménagement proportionné aux enjeux (données écologiques, chimiques, culturelles, patrimoniales, juridiques, économiques, etc.). Attention, car les rapports incomplets ou biaisés d'un BE seront ensuite utilisés par l'administration pour prétendre que votre site a été analysé et que vous êtes contraint à des aménagements coûteux (voir §6). Il sera plus difficile et plus long d'apporter la preuve contraire devant un tribunal. C'est la raison pour laquelle, au vu des positions de l'Etat et si vous ne vous sentez pas capable d'argumenter avec le BE sur les points techniques à contrôler, il est préférable de refuser purement et simplement ce genre d'étude proposée par les syndicats de rivière.

§6 Courrier à la DDT-M : demande de motivation des mesures de police relatives à la continuité - Dans la dernière année du délai légal du classement, vous écrivez à la DDT-M de votre département en lui demandant, conformément à l'article L 214-17 C env, de proposer des solutions d'entretien, équipement et gestion de votre ouvrage ; de produire tous les documents permettant de motiver cette proposition administrative dans le respect de la procédure contradictoire ; d'établir que les propositions faites sont conformes aux enjeux écologiques de la rivière, qu'elles n'aggravent pas l'état chimique des eaux, que leur coût est proportionné à leur résultat ; que les droits des tiers sont préservés de même que la consistance de votre ouvrage légalement autorisé. Vous rappelez à la DDT-M que le texte de l'article L 214-17 C env exclut la solution d'effacement des ouvrages. L'ensemble de ces points est expliqué dans le modèle de questionnaire ad hoc que nous avons conçu (lien pour le télécharger, nous contacter pour obtenir la version traitement de texte modifiable). Il est donc important d'envoyer ce questionnaire avant échéance du classement : si la DDT-M n'y répond pas ou fait une réponse dilatoire, elle se met en tort. Vous n'avez pas à aménager votre ouvrage tant que la procédure contradictoire n'a pas été pleinement respectée par une motivation complète des mesures de police de l'administration. Si la DDT-M engage une mise en demeure d'aménagement sans avoir respecté cette procédure contradictoire, ou après y avoir répondu de manière dilatoire, l'arrêté de mise en demeure serait attaqué au tribunal administratif.

§7 Courrier à l'Agence de l'eau : demande de précision sur les financement exacts des dispositifs de continuité écologique - Dans la dernière année du délai légal, vous écrivez à l'Agence de l'eau dont vous dépendez en précisant que vous envisagez d'aménager votre ouvrage selon les prescriptions qui seront proposées par la DDT-M puis concertées par échange avec elle (cf §6), que la solution d'effacement total ou partiel est exclue (en conformité à la loi et au respect de la consistance légale de votre ouvrage autorisé), que vous souhaitez connaître avec précision le niveau de subvention accordé par l'Agence aux aménagements de continuité (changement de vanne, passe à poisson, rivière de contournement). Il est probable que l'Agence vous répondra qu'elle ne finance qu'entre 0% et 50% ce type de travaux. Si l'Agence fait une réponse dilatoire du type "nous décidons au cas par cas après examen", insistez en posant que vous ne sauriez engager aucune étude ni réflexion tant que vous ne connaissez pas à l'avance le barème précis des subventions accordées par l'Agence selon les divers types d'aménagement (ce barème est fixé par le conseil d'administration ou le comité de bassin de chaque Agence). Conservez la réponse écrite, qui servira si nécessaire à démontrer le caractère exorbitant de la dépense demandée pour l'aménagement et en dernier ressort à justifier des demandes d'indemnités à hauteur de la part non subventionnée par l'Agence. Le cas échéant, le contenu de la réponse pourra également servir à d'autres contentieux préparés par vos associations contre les Agences.

§8 Cas pour lesquels un accord est possible - Les seuls cas d'un accord possible sont ceux où l'on vous propose un financement public quasi-intégral d'un aménagement non destructif (à condition qu'il n'implique aucune autre servitude que l'entretien de l'aménagement, charge déjà lourde, ni aucun changement de la consistance légale de votre ouvrage), ou bien encore les constats par la DDT-M que votre ouvrage ne représente pas de problème de continuité écologique et n'appelle pas de travaux d'aménagement au titre du L 214-17 C env.

§9 Conclusion : répondre au harcèlement par le harcèlement, nécessité de l'unité - Les moulins sont victimes de harcèlement réglementaire au nom de réformes absurdes sur le plan des besoins réels pour la qualité de l'eau. Ils sont contraints de répondre au harcèlement par le harcèlement, et si nécessaire à l'absurde par l'absurde. Puisque l'administration est pointilleuse, il faut être pointilleux avec elle. Puisque l'administration prétend détenir les "preuves" que chaque ouvrage hydraulique pose un problème grave aux milieux, il faut lui demander de produire l'ensemble de ces preuves. Si des milliers de propriétaires d'ouvrages en rivière classée L2 agissent comme il est indiqué ci-dessus, les services de l'Etat et des agences seront débordés. Ils comprendront que toute tentative d'imposer un effacement (contraire à la loi) ou un aménagement coûteux sans indemnité (également contraire à la loi) sera vaine et ils feront remonter le problème à leur hiérarchie. La défense efficace des moulins dépend dans une très large mesure de leur capacité à se coordonner et à construire une stratégie cohérente de défense. A l'inverse, rester isolé et croire que vous arriverez à une solution amiable est le meilleur moyen de perdre vos droits, de dévaloriser votre bien et/ou de mettre le doigt dans l'engrenage de dépenses exorbitantes.

PS : bien entendu, si le Ministère de l'Ecologie reconnaît les excès de sa Direction de l'eau et produit une circulaire corrigeant les pratiques intenables des services instructeurs et des représentants de l'Etat dans les Agences de l'eau, le présent vade-mecum sera caduc et les moulins pourront reprendre une attitude plus ouverte dans la gestion commune et équilibrée de la rivière. Ce qui est notre souhait. Nous savons très bien que nombre de fonctionnaires en charge de l'eau, tenus par leur devoir de réserve, connaissent les difficultés du terrain, la complexité croissante de la réglementation, la disproportion entre le très faible impact des moulins et l'obsession de leur contrôle permanent, voire de leur disparition, par la Direction de l'Eau du Ministère. Rappelons que de nombreux moulins agrémentent le paysage des vallées, entretiennent le patrimoine historique et technique français, font vivre par les travaux de restauration l'artisanat des territoires ruraux, participent au tourisme local, gèrent les niveaux d'eau au bénéfice des riverains et de certains usagers tirant avantage de la retenue, donnent l'alerte en cas de pollution aiguë, retirent les déchets de la rivière pris dans leur grille, produisent une énergie locale bas-carbone qui limite le réchauffement climatique, ont généralement de bons rapports avec les pêcheurs et autres parties prenantes, ouvrent leurs portes aux écoles et aux curieux lors des journées nationales du patrimoine, des moulins ou de l'énergie. Le refus de reconnaître ces réalités, la volonté maladive de détruire les ouvrages hydrauliques, l'omission des droits des propriétaires et la tromperie organisée sur les causes réelles de dégradations des rivières sont à l'origine d'une rupture de confiance sans précédent entre les riverains et les représentants de l'Etat (ainsi qu'avec les syndicats de rivière, victimes indirectes de l'obligation de mettre en oeuvre des politiques décriées car infondées et disproportionnées).

12/10/2015

L'introuvable influence des seuils et barrages sur les peuplements piscicoles (Radinger et Wolter 2015)

La distribution des poissons dans une rivière est généralement discontinue : il y a des zones où les espèces sont présentes ou absentes, avec des densités variables. De nombreux facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Johannes Radinger et Christian Wolter travaillent à l'Institut Leibniz d'écologie des eaux douces et des pêches intérieures (Berlin, Allemagne). Les deux chercheurs ont développé un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration. Une de leurs principales conclusions : aucun effet discernable des obstacles à l'écoulement sur les distributions des 17 espèces analysées. Subsidiairement, les auteurs rejoignent notre lecture de Van Looy et al 2014

On sait que la disponibilité des habitats, le potentiel de dispersion propre à chaque espèce et la fragmentation du cours d'eau par des obstacles influence la distribution des poissons en eaux courantes. Mais l'influence relative de chacun de ces facteurs et leurs éventuelles interactions restent pour le moment très peu documentées dans la littérature scientifique. De cette compréhension encore très embryonnaire peuvent résulter des mauvais choix de gestion pour la restauration des hydrosystèmes et la conservation des espèces.

17 espèces échantillonnées sur 81 sites
L'étude de Radinger et Wolter part du cas empirique de la Treene, rivière de plaine d'Allemagne du Nord à substrat sableux. La rivière a une longueur de 77 km, le bassin versant une superficie de 760 km2. On compte 52 obstacles à l'écoulement (seuils, déversoirs, barrages) sur le linéaire étudié. Cf image ci-dessous, le bassin étudié et les points de mesure.


Entre 2004 et 2011, 81 sites bien répartis ont été échantillonnés sur le bassin versant. Il en a résulté une base de 17 espèces dont la présence est attestée au moins dix fois. On retrouve bien sûr dans ces espèces nombre de celles qui occupent les gestionnaires français dans le domaine de la continuité écologique et de la restauration morphologique (anguille, brochet, truite commune, lamproie fluviatile, lamproie de Planer, etc.).

Les données sur les poissons ont été ramenées à un choix binaire : présence ou absence sur le tronçon du bassin versant. C'est donc la variable à expliquer.

Pour les variables explicatives, la disponibilité des habitats a été analysée selon le modèle d'Elith et al 2011 (un outil prédictif de niche écologique fondé sur la maximisation d'entropie MaxEnt, avec un calcul des densités de probabilité de présence d'une niche écologique, selon les 17 espèces avec 35 prédicteurs d'habitat et 3 prédicteurs topologiques). La dispersion des espèces a été analysée selon le modèle GRASS GIS FIDIMO (Radinger et al 2014), initialement paramétré à partir de 160 bases de données sur 62 espèces. Ce modèle calcule une probabilité de dispersion. Enfin, l'outil FIMIDO a été exploité pour modéliser les 52 obstacles à l'écoulement, en intégrant notamment le niveau de franchissabilité vers l'amont (la dévalaison était paramétrée comme libre).

Par la suite, des modèles linéaires généralisés ont été utilisés pour explorer les relations entre la présence / absence des espèces et les résultats modélisés des trois prédicteurs (habitat, dispersion, barrière). Dans ce type de travail, on retient les relations statistiques qui collent le plus fidèlement à la réalité des observations.

Pas d'effet des obstacles à l'écoulement, importance des capacités propres de dispersion des espèces
Résultat ? "La présence et l'absence des 17 espèces avec une fréquence d'occurrence ≥10 ont pu être correctement modélisées. Comme on s'y attendait, aussi bien la qualité de l'habitat à échelle locale que la capacité de dispersion propre à l'espèce ont contribué de manière significative à la distribution discontinue des poissons dans les réseaux de rivières."


Autre résultat du modèle quand on le fait itérer dans le temps : au départ, la capacité de dispersion est le premier prédicteur de répartition d'une espèce, mais le poids de ce facteur diminue dans le temps, ce qui augmente l'importance relative de la disponibilité de l'habitat (dont le poids reste stable dans l'absolu, cf image ci-dessus.

La principale "surprise" est venu du facteur des barrières à la migration : "l'hypothèse d'impact des barrières à la migration est partiellement rejetée. Aucun effet significatif des obstacles à la migration n'a pu être observé sur la distribution des 17 espèces modélisées. Il existait une tendance à une plus forte probabilité de présence en fonction d'une plus forte connectivité, cependant cette tendance n'était pas significative".

Pour expliquer ce manque d'effet, les auteurs font plusieurs hypothèses : espèces principalement anadromes (la seule catadrome, anguille, était analysée dans sa phase non migratrice de croissance en eau douce) ; possibilité que le modèle trouve des effets des barrières pour des espèces plus rares (≤ 10 occurrences), qui étaient exclues de l'analyse ; incertitude sur la position géographique des populations-sources des migrations (aval ou amont) ; possibilité que des longues périodes de temps, certains événements (crues, travaux, etc.) rendent franchissables la plupart des barrières.

Les auteurs prennent le soin de préciser : "Pour ce qui est de la réhabilitation des rivières, les métriques globales de fragmentation comme le nombre d'obstacles par kilomètre de rivière ou le nombre / la dimension des tronçons déconnectés (eg Van Looy et al 2014) peuvent ne pas être significatives, parce que ces statistiques sommaires échouent à rendre compte de la répartition spatiale des groupes d'habitats, le potentiel de dispersion directionnelle ou l'influence non-uniforme des obstacles (Jager et al 2001)". Radinger et Wolter ajoutent que leur travail ne se prononce pas sur des effets indirects de la fragmentation, comme une réduction de diversité génétique.

Discussion
Comme toujours quand on parle de résultats scientifiques sur un site grand public, il faut d'abord rappeler que la science est un processus ouvert, réfutable et jamais achevé, chaque résultat apportant une contribution modeste à la construction des théories et modèles des phénomènes observés. Ici le modèle de Radinger et Wolter a tourné sur une rivière particulière avec un peuplement particulier, sans préjuger de ses résultats avec d'autres hydrosystèmes variant par la pente, le substrat, la température, l'enjeu migrateur, etc. Par ailleurs, comme dans tout modèle, il existe des paramétrisations semi-empiriques (des valeurs fixées par le modélisateur dans certaines équations) qui sont susceptibles de faire débat ou d'évoluer à mesure que s'affinent les tests du modèle.

Cela étant posé, les résultats de ce travail ne surprendront pas les lecteurs de notre site : un nombre relativement important de travaux récents ont montré que l'effet des impacts morphologiques en général, et des obstacles au franchissement en particulier, est complexe à décrire et prédire. D'autant que les peuplements de poissons changent assez rapidement à échelle des temps historiques et écologiques. Bon nombre d'études donnent des résultats "contre-intuitifs", c'est-à-dire sans effet important des seuils et barrages.

A ce sujet, et par parenthèses, Radinger et Wolter écrivent dans leur article : "Van Looy et al (2014) n'ont trouvé qu'un effet mineur de la densité de barrage sur les métriques piscicoles de la qualité écologique". Nous soulignons ce point de détail car nos lecteurs se souviennent sans doute que nous avions recensé ce travail de Van Looy  et al et que certains lecteurs institutionnels (DEB, Onema, Dreal) s'étaient émus de nos conclusions. Or Radinger et Wolter rejoignent notre principale conclusion, à savoir un effet manifestement modeste des seuils et barrages. Ce qui se retrouve aussi bien chez Branco et al 2012 au Portugal,  Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Villeneuve et al 2015 en France, ou par analyse a posteriori des effets de restauration chez Kail et al 2015 ou Schmutz et el 2015. Il nous paraît peu concevable de poursuivre la politique française de continuité écologique et de "trame bleue" sans intégrer ces données récentes de la recherche et sans mentionner les incertitudes assez importantes sur l'issue des travaux de restauration.

Repenser les choix français
Que déduire sur la gestion des rivières? Là encore, nous avons mainte fois souligné l'inanité d'un classement massif de rivières avec court délai d'aménagement à fin de continuité écologique, ce qui fut le choix français. De même, nous avons souligné le peu d'intérêt des outils rudimentaires comme le taux d'étagement, pourtant validé par de grandes agences de bassin manifestement en retard sur les évolutions de la science des rivières et des milieux aquatiques.

Une politique de l'eau scientifiquement robuste part de la rivière en son bassin versant, collecte l'ensemble des descripteurs (biologiques, physiques, chimiques, morphologiques), avec une bonne répartition spatiale / temporelle et si possible un éclairage par l'histoire de l'environnement local pour intégrer des tendances / contraintes de long terme et un calage des conditions initiales. Ensuite seulement, un modèle descriptif permet de pondérer les impacts et un modèle prédictif de définir des trajectoires de restauration pour les compartiments cibles selon les actions choisies.

Nous assistons au choix inverse : des aménagements précipités et dictés par une pseudo-urgence administrative, des personnels ne disposant pas de compétences ni de moyens pour de vrais travaux préparatoires, une action opportuniste par ouvrage et non une gestion coordonnée par bassin versant, une ignorance de la plupart des prédicteurs de qualité de milieux aquatiques, une absence de suivi des effets. Ecoutons davantage les chercheurs et revenons aux fondamentaux, au lieu de cette expérimentation hasardeuse et anarchique à grande échelle.

Référence : Radinger J, C Wolter (2015), Disentangling the effects of habitat suitability, dispersal and fragmentation on the distribution of river fishes, Ecological Applications, 25, 914-927.

Nous remercions Johannes Radinger de nous avoir fait parvenir son travail. Johannes, jeune docteur en hydro-écologie, dispose d'un blog où il expose ses recherches et réflexions.

10/10/2015

Lettre ouverte à M. François Sauvadet sur le SDAGE Seine-Normandie

Le SDAGE Seine-Normandie est sur le point d'être adopté. Trois associations de Bourgogne saisissent le Président du Comité de bassin Seine-Normandie, M. François Sauvadet, pour exposer la dérive grave de ce texte, dont les orientations en matière de continuité écologique vont très au-delà des exigences de la loi et dont certaines propositions inacceptables feraient l'objet d'une requête en annulation si elles devaient être votées en l'état. 

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.

Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.

Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.

En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.

C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.

Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."

Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement. 

Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.

On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.

Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.

Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.

Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage ! 

De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?

Monsieur le Président,

Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.

Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.

Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.

Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.

Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.

C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)

Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau

09/10/2015

Moratoire sur la continuité écologique: 7 partenaires s’engagent pour défendre les étangs, biefs, rivières et leurs ouvrages

Nous publions le premier communiqué du mouvement pour un moratoire sur la continuité écologique. L'appel (ouvert aux élus, associations, institutions et personnalités de la société civile) peut être signé à cette adresse.


L’Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE), la Fédération Des Moulins de France (FMDF), la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), l’Association des riverains de France (ARF), l’Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB), Electricité autonome française (EAF) et France Hydro Electricité (FHE) ont lancé un appel commun pour demander un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique.

Cet appel est ouvert dans les prochains mois à la signature des élus, des institutions et des personnalités de la société civile. Il sera remis en 2016 au Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE), assorti d’un diagnostic de la situation et de propositions d’actions.

Fort de l’expérience de leurs milliers d’adhérents, les signataires de l’appel tirent la sonnette d’alarme non pas sur la continuité écologique elle-même, qui est un outil de gestion des bassins hydrauliques parmi d’autres, mais sur la manière dont elle est mise en œuvre depuis dix ans par la Direction de l’eau et de la biodiversité du MEDDE, les agents instructeurs en services déconcentrés (DDT, Onema, DREAL) et les Agences de l’eau.

Dans les rivières classées au titre de la continuité écologique (article 214-17 Code de l’environnement) et pour les 20.000 ouvrages concernés d’ici 2018, on constate en effet sur le terrain:

  • un postulat systématique en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) ;
  • un défaut de concertation avec les riverains et d’écoute de leurs attentes ;
  • une absence de garanties concernant les risques pour les personnes, les biens et les écosystèmes (écoulements modifiés, sédiments pollués) ;
  • un arbitraire dans le choix des solutions imposées et une absence de justification scientifique de leur bien-fondé écologique ;
  • une exigence d’équipements qui dépassent largement la solvabilité des maîtres d’ouvrage et qui mettent parfois en péril la durabilité des activités professionnelles (aquaculteurs, hydro-électriciens) ;
  • un manque de disponibilité des services instructeurs de l’Etat, reconnaissant eux-mêmes que le délai de 5 ans de mise en œuvre du classement ne pourra pas être respecté, faute de moyens humains et techniques.

De surcroît, la politique actuelle de continuité écologique représente des dépenses considérables d'argent public sans aucune garantie de résultat vis-à-vis de nos obligations européennes et sans respect de l’esprit de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006. Il convient en effet de rappeler que :

  • la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000) n’a jamais fait de la continuité longitudinale de la rivière une condition de reconquête du bon état chimique et écologique des masses d’eau, de sorte que la référence à une « obligation européenne » est inexacte et trompeuse ;
  • la LEMA 2006 pose l’enjeu de continuité pour les poissons migrateurs en demandant un équipement et une gestion concertés (non pas une destruction imposée par chantage économique ni des exigences disproportionnées aux enjeux environnementaux et aux capacités du maître d’ouvrage) ;
  • la France accuse un retard considérable sur la mise en œuvre des directives européenne nitrates et eaux usées de 1991 comme sur la mise en œuvre de la DCE 2000, par incapacité à prioriser les enjeux pour la qualité de l’eau et à agir sur les réels facteurs dégradant cette qualité;
  • les études scientifiques les plus récentes montrent une très faible corrélation entre la présence de seuils ou barrages en rivières et la dégradation des indicateurs biologiques de la DCE 2000, de même qu’une très faible probabilité d’atteindre le bon état d’une masse d’eau par la restauration morphologique.

Un moratoire sur la continuité écologique apparaît comme la seule solution pour prendre en considération l’ensemble de ces réalités et pour ouvrir une concertation devenue indispensable avec les propriétaires, usagers, exploitants et riverains.

Loire-Bretagne : 50 ans de pollution aux nitrates

Discours mille fois entendu quand on discute avec les Agences de l'eau ou les syndicats de rivière: "nous dépensons énormément pour les pollutions et la situation s'améliore, beaucoup de rivières sont en réalité dégradées à cause de la morphologie et non pas de la chimie".

Voici l'évolution des nitrates en bassin Loire-Bretagne depuis 1971 (source, pdf), c'est-à-dire grosso modo depuis la création de l'Agence de bassin censée protéger la ressource en eau.


On voit que sur tous les sous-bassins de Loire-Bretagne, nous sommes largement au-dessus des concentrations initiales. Qui peut croire un seul instant que dans le même intervalle de temps, les pollutions par pesticides, HAP et résidus de combustion, médicaments, microplastiques et autres biotoxiques se sont améliorées ? On voit aussi qu'il n'existe quasiment aucun progrès sur les masses d'eau en état moyen à mauvais depuis des décennies. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne avoue qu'elle n'est même pas capable en 2015 de mesurer l'ensemble de ces pollutions. Ce qui ne l'empêche pas dans le domaine de la continuité écologique d'exiger des "taux d'étagement", "taux de fractionnement" et autres gadgets pleins de certitudes déplacées sur les causes supposées de dégradation des milieux aquatiques – particulièrement déplacées en l'occurrence, vu le rôle positif des seuils et barrage en bilan d'azote (voir la rubrique auto-épuration ; voir aussi la problématique de l'Anthropocène comme accélération et convergence des pressions sur les milieux).

08/10/2015

Aucune influence des seuils et barrages sur la distribution des poissons en rivières portugaises (Branco et al 2012)

Une équipe de chercheurs de l'Université de Lisbonne, en étudiant les distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins portugais, ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles, que les espèces concernées soient patrimoniales ou exotiques. Des résultats similaires à ceux observés récemment au Canada, en Autriche, en Allemagne ou en France.

La perte de connectivité des rivières est supposée être l'un des impacts majeurs sur les populations de poissons. Pour vérifier cette assertion, Maria Teresa Ferreira, Paulo Branco et leurs collègues (Université de Lisbonne) ont analysé 196 sites réparti sur 3 bassins fluviaux : le Tage (700 km de linéaire, bassin versant de 24 800 km2), le Mondego (227 km, 6670 km2) et la Vouga (136 km, 3600 km2), carte ci-dessous.



Dans ces bassins, sept espèces bien réparties ont été analysées : deux espèces potamodromes, le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) et le nase ibérique (Pseudochondrostoma polylepis) ; deux espèces sédentaires cyprinidées, le Squalius alburnoides et le Cobitis paludica ; trois espèces exotiques, le poisson-moustique de l'Est (Gambusia holbrooki),  la perche soleil (Lepomis gibbosus) et le chabot des Pyrénées (Gobio lozanoi).

Les obstacles à l'écoulement ont été repérés sur observation cartographique, à défaut d'un référentiel de recensement sur le terrain. Outre la connectivité, les chercheurs ont collecté quatre variables sur l'hydrologie des masses d'eau, huit variables sur la morphologie et cinq variables sur la qualité de l'eau, ainsi que des données climatiques.

Plusieurs techniques statistiques de modèles linéaires généralisés ont été employées, afin de minimiser le risque d'une mauvaise interprétation. Branco et ses collègues ont visé à vérifier si les variables de connectivité sont incluses dans les facteurs influant la distribution des poissons, si la comparaison des sites impactés / non-impactés par des obstacles permet de confirmer les modèles et si une classification hiérarchique peut situer l'importance de la continuité et des barrières migratoires comme prédicteurs des peuplements piscicoles.

Voici la principale conclusion des scientifiques : "Nos résultats indiquent un manque général d'influence des obstacles sur les distributions des poissons d'eaux douces. Les effets de l'environnement et des pressions humaines excèdent l'effet isolé des pertes de continuité". Et ils ajoutent : "un grand enjeu de programmation et d'effort financier sera associé à la restauration de rivières au cours des prochaines décennies. Il est donc important d'assurer un ratio coût-bénéfice maximum pour que les rivières tendent vers un statut de meilleure santé écologique".

Discussion
Le travail de Branco et al sur 7 espèces de poissons présents dans les rivières portugaises n'a rien de très surprenant au regard des autres données récentes de la littérature scientifique (par exemple Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Van Looy et al 2014 et Villeneuve et al 2015 en France). Dans les études à grande échelle, les obstacles à l'écoulement ont bel et bien quelques effets sur la distribution relative des assemblages de poissons au sein et entre des tronçons de bassins versants, mais il est difficile de leur imputer une perte globale de biodiversité et d'y assigner une variation importante de la qualité piscicole (écologique en général) en regard des autres pressions subies par les rivières. Quand on supprime un obstacle, il est certain que le peuplement de la retenue va se modifier (et que sa morphologie va se normaliser avec la section de rivière concernée). La littérature abonde de monographies à ce sujet, mais on tend à confondre ces résultats tout à fait triviaux avec la démonstration d'un gain réel et significatif en terme de biodiversité totale ou même de protection d'espèces patrimoniales.

A cela s'ajoute que les peuplements de rivières ont été en permanence modifiés au cours des siècles et millénaires passés (Bouleau et Pont 2015, voir aussi Haidvogl et al 2015 et l'ensemble du n° spécial d'Aquatic Sciences sur cette question), de sorte que les espèces en place sont probablement le résultat d'adaptation à des pressions plus anciennes de sélection ainsi qu'à des mélanges de populations dus à des introductions volontaires ou accidentelles. L'idée qu'il faudrait supprimer le maximum de seuils (dont beaucoup pluriséculaires) afin de produire de l'habitat "renaturé" et destiné à accueillir un certain peuplement stable de référence n'a pas vraiment de sens – surtout à l'aube d'un réchauffement climatique qui va changer la donne pour tous les milieux continentaux. Cette idée déjà datée au regard du progrès de nos connaissances en écologie et évolution préside malheureusement à de nombreux travaux de restauration de rivière. Avec bien peu de considération pour le rapport coût-bénéfice évoqué par Paulo Branco et ses collègues.

Référence : Branco P et al (2012), Does longitudinal connectivity loss affect the distribution of freshwater fish, Ecological Engineering, 48, 70-78.

07/10/2015

La Ministre de la Culture s'engage: "ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins"

A l'initiative de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), plusieurs députés ont proposé un amendement à la loi sur le patrimoine visant à exempter les ouvrages hydrauliques de moulins de l'obligation d'aménagement écologique prévu par l'article L 214-17 C env. L'amendement n'a pas été retenu, toutefois les échanges ont permis de souligner (une fois de plus) l'attachement de la représentation nationale à l'existence des moulins. Quelques morceaux choisis.

M. François de Mazières. Je m’exprime au nom de tous les collègues qui ont des moulins dans leur circonscription. Après les églises et les châteaux, les 60 000 moulins de France font en effet partie du patrimoine français. Aujourd’hui, ce patrimoine est menacé par des obligations environnementales souvent disproportionnées, notamment quand il s’agit de restaurer la continuité écologique et de supprimer les seuils des moulins. Certains moulins sont, comme chacun sait, très jolis et il s’agit donc de les protéger en les intégrant dans les mesures de protection du patrimoine.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Plusieurs d’entre nous ont été interpellés à propos du problème des moulins, qui sont en France au nombre de 60 000, ce qui n’est pas rien. Nous reconnaissons avec vous, monsieur de Mazières, madame Nachury, la nécessité de protéger les moulins, qui ont une importance patrimoniale que personne ne peut contester.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques. Cependant, comme le rapporteur, je pense que la rédaction actuelle de l’amendement poserait un problème d’application, car la notion d’usine hydraulique est très large. Je puis cependant m’engager au moins à ce qu’un groupe de travail soit mis en place au cours des prochaines semaines, réunissant mes services et ceux de ma collègue chargée de l’environnement, ainsi que la Fédération française des amis des moulins et toute autre association concernée, pour recenser les cas qui présenteraient des difficultés particulières, de définir les principes d’une application adaptée des objectifs de continuité écologique aux problématiques des seuils des moulins patrimoniaux et pour renforcer le dialogue sur cette question entre les directions régionales des affaires culturelles – DRAC – et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL –,afin que nous puissions trouver des solutions. 


Notre commentaire
La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie et ses fidéicommis dans quelques bassins parmi les plus effaceurs (Loire-Bretagne, Seine-Normandie) sont de plus en plus isolés. Les élus découvrent, avec stupeur ou colère, que la mise en oeuvre dogmatique de la continuité écologique est en train de menacer l'existence même du troisième patrimoine de France, sans garantie d'effets notables sur nos obligations européennes de qualité de l'eau et en contradiction avec le principe d'aménagement non destructif retenu dans la loi sur l'eau 2006 et la loi de Grenelle 2009. Nous saluons la volonté de Fleur Pellerin de rétablir l'équilibre des arbitrages entre les administrations en charge de la culture et celles en charge de l'environnement.

De toute évidence, il est impossible d'aménager les 20.000 seuils en rivières classées dans de bonnes conditions et dans le délai très court prévu par la règlementation (soit d'ici 2017 ou 2018 selon les bassins). C'est d'autant moins possible que certains SDAGE portés par les Agences de l'eau s'apprêtent à ré-affirmer la priorité à la destruction des moulins, source inévitable de contentieux entre les riverains et les gestionnaires de l'eau. Il est devenu impératif de prononcer un moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières, afin d'apaiser les esprits, de faire cesser l'état d'urgence artificiel lié au délai de 5 ans et de permettre une concertation en profondeur sur nos choix collectifs d'aménagement des ouvrages en rivières. Non seulement l'effacement doit redevenir l'exception, mais l'Etat doit trouver l'ambition d'une vraie politique de restauration énergétique, écologique et patrimoniale des moulins de France, source de progrès pour la qualité des milieux et la lutte contre le réchauffement climatique, créatrice de fierté et d'attractivité pour tous nos territoires.

06/10/2015

Aménagement de la Bèze: un état d'esprit ouvert et constructif

A l'invitation de la Commune de Bézouotte, l'association Hydrauxois a participé à une réunion de concertation et d'information sur l'aménagement de la Bèze. Cette rivière d'une trentaine de kilomètres naît d'une résurgence dans la ville éponyme de Bèze et se jette dans la Saône à Vonges. Elle a pour affluent principal l'Albane. Son hydrologie singulière est associée aux pertes de la Tille et de la Venelle, qui alimentent le réseau karstique local.

Classée en liste 2 au titre de la continuité écologique (art. L 214-17 C env), la Bèze fait l'objet d'un projet d'aménagement portée par le SIBA (syndicat intercommunal Bèze Albane). Cinq sites sont concernés dans les communes de Bèze, Mirebeau-sur-Bèze, Bézouotte, Drambon, Vonges.


Agence de l'eau RMC : pas d'a priori sur les aménagements
On doit d'abord souligner que l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse (AERMC) tout comme les acteurs locaux se placent dans un état d'esprit ouvert et constructif. Peu de rivières sont classées en liste 2 dans le bassin rhodanien en comparaison des bassins de Loire et de Seine : ce caractère raisonnable permet de concentrer davantage de moyens, de concertation et de réflexion sur les cours d'eau à restaurer. Il y a moins de pression d'urgence que sur les bassins ayant choisi des programmes assez irréalistes de classement massif. Par ailleurs, l'Agence de l'eau RMC se refuse à fixer des prescriptions générales (comme la priorité de principe à l'effacement des ouvrages) ou des outils d'objectifs génériques (comme le taux d'étagement). Elle considère que chaque rivière et chaque ouvrage sur la rivière doivent faire l'objet d'une étude d'impact et d'une réflexion collective sur la meilleure solution à adopter. On ne peut que s'en féliciter et souhaiter que ces bonnes pratiques se répandent – hélas les AE Loire-Bretagne et Seine-Normandie n'ont pas pris ce chemin, en dépit des problèmes importants que posent leurs choix actuels sur la continuité écologique.

Cette gouvernance agile et ouverte des acteurs montre ses effets dans le cas de la Bèze. Dans le diagnostic et l'avant-projet initial du bureau d'études – qui incluaient les dimensions énergétiques, esthétiques, paysagères, patrimoniales et sociétales des ouvrages hydrauliques –, il avait été retenu 3 projets de franchissement piscicole (deux passes à poissons et un canal de contournement) et deux effacements.


Recherche de solutions sur les cas problématiques
La perspective d'un effacement des ouvrages de la poudrerie de Vonges a soulevé une vive émotion chez les riverains du bief, craignant sa mise à sec et la dégradation de leur cadre de vie (voir notre article). Un cycle de concertation a donc été ouvert et l'on s'oriente vers une solution permettant de garantir un niveau d'eau tout en améliorant la dynamique locale de la rivière. A l'ancienne forge de Bézouotte, l'absence d'usage et même de maître d'ouvrage clairement identifié, ainsi que la possibilité de gagner 1,8 km de linéaire à écoulement libre avec frayères à truites à l'aval de Mirebeau, a d'abord conduit à proposer un effacement total. Toutefois, l'issue est en discussion car le sol est argileux et plusieurs épisodes de sécheresse depuis 2010 ont mis en évidence une fragilisation du bâti en cas de baisse de niveau de l'eau. Le BRGM a produit un rapport constatant ce risque, à la demande de la Préfecture. Le choix définitif d'aménagement sur Bézouotte est donc encore en débat, sachant que l'échéance réglementaire est en 2018 sur le bassin.

Parmi les problèmes qui restent à traiter : les coûts de certains dispositifs de franchissement sont élevés et en l'absence d'un niveau important de subvention (plutôt 80% que 50%), ils représentent une charge difficile à affronter pour la commune (cas de Bèze qui a un projet hydro-électrique, coût estimé à 166 k€) ou pour l'exploitant (cas de l'usine privée de Drambon, coût estimé à 485 k€). Autre point : l'Onema avait prescrit une ouverture des vannes des ouvrages pour analyser le comportement de la rivière en écoulement moins contraint. Mais cette mesure n'est pas levée et tend à devenir permanente, ce qui pose des problèmes lors des sécheresses, comme en 2015. Les communes ne souhaitent pas que les vannes levées, si elles avaient un sens dans la phase diagnostique, deviennent une obligation réglementaire permanente.

Outre les enjeux de la Bèze, les représentants des communes, de l'Agence de l'eau et de l'association ont pu échanger sur de nombreux sujets : la menace de plus en plus palpable du réchauffement climatique et la difficulté de définir un état de référence des peuplements de la rivière (appelés à changer avec la température et les précipitations) ; la force d'inertie des systèmes naturels comme des impacts anthropiques, faisant que les objectifs trop ambitieux en calendrier risquent de provoquer des déceptions ; la nécessité d'une grande prudence quand on procède à des aménagements sans retour en arrière possible ; l'impact de l'agriculture et les difficultés concrètes de la profession à satisfaire des normes environnementales allant à l'encontre de ce qu'on a exigé d'elle depuis des décennies (nourrir la population puis exporter ses produits dans une logique productiviste).

Illustrations : la rivière Bèze à sa source et dans le village de Bèze.

02/10/2015

Rivières: l'administration trahit la loi de Grenelle et la LEMA 2006, nos députés et sénateurs doivent réagir!

Les représentants des citoyens français ont volontairement supprimé l'hypothèse d'effacement des seuils et barrages dans le cadre de la trame bleue, lors de l'élaboration de la loi Grenelle 1 de 2009, de même qu'ils ne l'ont pas mentionnée dans la LEMA 2006. Or, la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et ses représentants en Agences de l'eau passent outre ce choix de prudence, exercent des pressions constantes en vue de détruire les ouvrages, refusent de financer de manière réaliste les dispositifs de franchissement et tentent aujourd'hui d'imposer l'effacement des seuils et barrages comme solution prioritaire de certains SDAGE 2016-2021. Nous appelons les députés et sénateurs, comme l'ensemble des élus, à faire cesser immédiatement cette dérive antidémocratique qui soulève une vague croissante d'indignation au bord des rivières.

M. Gérard Aubéry, président de l'Association des amis des moulins de l'Indre, nous a rappelé les éléments d'élaboration de la loi de Grenelle 1, en 2009. L'article 26 de cette loi (devenu article 29) a été débattu par la commission paritaire mixte entre l'Assemblée nationale  et le Sénat. Très clairement, et comme le montre cet extrait (cliquer pour agrandir), le débat portait sur la question de la mention de "l'effacement" des ouvrages.

La version finalement retenue de la loi parle de l'aménagement des ouvrages, et préfère exclure cette notion d'effacement. Elle réserve par ailleurs cet aménagement aux seuls cas les plus problématiques, et demande une "mise à l'étude" :
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.
Ce choix est conforme à l'article L-214-17 du Code de l'environnement qui, dans le domaine de la continuité écologique, ne mentionne nullement les mots arasement ni dérasement. Ce sont les notions positives de gestion, entretien et équipement qui sont mises en avant pour les ouvrages situées en rivière classée au titre de la liste 2 (obligation d'aménagement à 5 ans) :
Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
Par ailleurs, dans le texte du Grenelle 1 de 2009, députés et sénateurs ont fortement souhaité le développement de l'énergie hydraulique. L'article 19 est explicite :
La production d'électricité d'origine hydraulique dans le respect de la qualité biologique des cours d'eau fait partie intégrante des énergies renouvelables à soutenir.
Bien loin de détruire les ouvrages, la loi de Grenelle appelle donc à leur équipement énergétique, et écologique quand c'est nécessaire. Ce qui est au demeurant la position soutenue par notre association.

L'effacement des ouvrages tente de s'imposer par les voies opaques des SDAGE
La Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie a trahi ces orientations en imposant, à travers les représentants de l'administration au sein des Agences de bassin, une prime à l'effacement dans les textes d'orientation et programmation (SDAGE) de plusieurs Agences de l'eau. Rappelons à ce sujet que la soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende permettant au premier de se défausser sur d'autres de certaines de ses orientations, mais une légende qui a été parfaitement dénoncée par le Conseil d'Etat dans le rapport L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Il convient également de rappeler que les Comités de bassins des Agences de l'eau n'ont qu'une représentation très appauvrie, et qu'en particulier les principaux concernés par la continuité écologique (association de moulins, de riverains, de protection du patrimoine, etc.) ne figurent pas dans le collège censé donner sa voix à la société civile. Le fonctionnement opaque et complexe des Agences de l'eau ne saurait en aucun cas produire une légitimité démocratique telle qu'il puisse prétendre contredire les engagements du législateur.

Or, les Agences de bassin font ouvertement fi de la mesure et de la prudence souhaitées par ce législateur. Ainsi, le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne pose à propos des obstacles à la continuité écologique :
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. Cependant, d’autres méthodes peuvent être envisagées (ouverture des vannages, aménagement de dispositifs de franchissement adaptés). Sans préjudice des concessions existantes, les objectifs de résultats en matière de transparence migratoire à long terme conduisent à retenir l’ordre de priorité suivant :1. effacement. Pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés cette solution sera privilégiée ;2. arasement partiel et aménagement d’ouvertures (échancrures...), petits seuils de substitution franchissables par conception
Au mépris des choix privilégiés dans les textes de loi, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne exerce ainsi une pression financière pour ne subventionner que les solutions d'effacement et d'arasement partiel, non prévues dans la loi de Grenelle de 2009 ni dans la loi sur les milieux aquatiques de 2006. Cette orientation a pour effet de pousser les propriétaires d'ouvrages vers la pseudo-solution contrainte de la destruction de leur bien, vu le coût exorbitant des travaux en rivière pour les dispositifs de franchissement. Elle est à l'origine de la plupart des contentieux de mise en oeuvre de la continuité écologique, alors qu'un financement public intégral de dispositifs de franchissement résoudrait la plupart des problèmes (voir ici le coût).

On retrouve exactement le même choix d'effacement dans le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin de Seine-Normandie, qui spécifie :
L’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement. Il convient de réduire le taux d’étagement afin de maximiser les fonctionnalités écologiques des cours d’eau classés en liste 2.

Conclusion : appel à moratoire et commission d'enquête
Les élus doivent être informés de la dérive de l'administration, qui poursuit un programme idéologique et irrationnel de destruction du patrimoine hydraulique français en même temps qu'elle est incapable d'obtenir des résultats convaincants pour l'application des directives européennes sur l'eau et les milieux aquatiques.

Nous appelons ces élus non seulement à s'engager en faveur d'un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin de retrouver l'apaisement nécessaire à la concertation, mais également à engager une commission d'enquête sur les dysfonctionnements graves de la politique de l'eau, qui a fait l'objet d'une impressionnante succession de rapports dénonçant des pratiques inefficaces voire douteuses, ainsi que de condamnations par l'Union européenne : rapports Cour des comptes 2013 sur l'Onema et 2015 sur les Agences de l'eau, rapport CGEDD 2012 sur l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, rapports Lesage et Levrault sur les carences de résultats, rapport 2015 de la Commission européenne sur les carences du rapportage DCE 2000 et les retards sur les pollutions, condamnations à répétition depuis 2001 par la CJUE pour non application des directives nitrates et eaux usées.

Par les effets cumulés de sa complexité, de sa partialité, de son opacité et de son inefficacité, la politique publique de l'eau traverse une crise grave de légitimité. Sa transformation n'est plus une option, mais une nécessité.

Illustration : destruction de l'ouvrage Floriet sur la Seine en 2015, alors que les relevés de l'Onema indiquaient un Indice Poissons Rivières de bonne qualité écologique selon les termes de la DCE 2000. La destruction des ouvrages est aujourd'hui le choix privilégié par les autorités et gestionnaires de l'eau, à l'encontre des volontés du législateur comme de la majorité des riverains. L'argent public dépensé inutilement pour cette cosmétique de l'action pseudo-écologique ne l'est pas pour la lutte contre les pollutions de l'eau, où la France accuse un grave retard.

Assèchement du bief de Thoires: témoignage d'un riverain

Nous vous avons entretenu cet été à propos du désastre écologique de Vanvey (voir ici), où le choix d'accorder brutalement le primat au débit de la rivière malgré l'extrême sécheresse s'est traduit par une forte mortalité piscicole, y compris des espèces d'intérêt pour le classement des cours d'eau. Un lecteur nous révèle que des événements exactement similaires ont eu lieu à Thoires, là encore sur l'Ource. Nous publions son témoignage et ses photographies (cliquer pour agrandir).



"Le 20 août dernier, le vannage situé à l'entrée du village de Thoires, au droit du pont, a été levé dans le but de faire passer la totalité du débit de l'Ource dans le cours principal, le seuil de débit  minimal permettant la survie de la faune et de la flore ayant été soi-disant atteint. Nous n'avons aucune information concernant le mode de calcul de ce débit minimum ni à quel endroit il est calculé.

Résultat, le bief du moulin du bas a été asséché sur environ 400 m à l'amont et 500 m à l'aval, entraînant la mort de nombreuses truites, brochets, carpes et autres vairons et poissons blancs (cette partie de cours d'eau constituant la réserve de pêche de l'association locale), asséchant aussi une très belle frayère à truite.

Le niveau de l'eau ayant considérablement baissé (environ 80 cm) à l'amont dudit vannage, la chute d'eau est très réduite et l'oxygénation ne se fait plus. Dans ce tronçon, sur plusieurs centaines de mètres, la profondeur d'eau y est telle que des carpes circulent la nageoire dorsale à l'air libre. Depuis cette date, plusieurs hérons y ont élu domicile et y font un véritable festin. On n'entend d'ailleurs plus le chant du sonneur à ventre jaune.

N'aurait-il pas été préférable de continuer à fonctionner comme avant pour afin d'éviter cette catastropohe écologique?"

Notre commentaire
Saisie par plusieurs riverains de l'Ource à Vanvey, la DDT 21 a affirmé qu'aucune erreur n'avait été commise et considéré que le débit minimum biologique n'était pas concerné par une situation atypique justifiant dérogation. Quand un propriétaire de moulin, un agriculteur, un industriel provoque une mortalité piscicole, il est dénoncé et fait l'objet d'une enquête, voire d'une condamnation. Quand il s'agit d'une manoeuvre de vanne exigée par l'administration et exécutée par un syndicat de rivière, on trouve tout à fait normal de laisser crever la faune au soleil. Ce manque élémentaire de justice décrédibilise considérablement l'action publique auprès des riverains.

01/10/2015

Restauration morphologique de rivières: des résultats positifs en moyenne mais inégaux, peu prédictibles et pas toujours durables

Les opérations de restauration morphologique ont en moyenne des effets positifs sur l'abondance et la diversité de certains peuplements, mais les résultats sont très inégaux : les végétaux (macrophytes) ont une réponse 3 à 4 fois plus forte que les animaux (poissons, invertébrés) ; environ un tiers des opérations ont des effets négatifs à nuls ; les résultats positifs tendent à décliner dans le temps ; d'autres prédicteurs comme les usages agricoles des sols limitent les bénéfices ; le substrat sédimentaire du lit a un impact conséquent sur la réponse des poissons. Telles sont les principales conclusions d'une nouvelle étude menée par des chercheurs allemands, autrichiens et tchèques. 

Quels sont les effets tangibles des opérations de restauration morphologique de rivières?  Pour répondre à cette question, Jochem Kail et Kathrin Januschke (Université Duisburg-Essen), Karel Brabec (Université Masaryk, Brno) et Michaela Poppe (Université des ressources naturelles et sciences de la vie, Vienne) ont étudié 69 publications scientifiques (91 projets) et 64 bases de données non publiées.

Comme souvent dans ce type de méta-analyse, les opérations en rivière analysées sont de nature très diverse : restauration de débit, continuité latérale ou longitudinale, stabilisation ou aménagement de zones tampons de berge, enrochements et création de radiers, reméandrage, élargissement du lit, création d'annexes hydrauliques, management de la végétation rivulaire. Le cas particulier de la suppression de seuils à fin de restauration de continuité longitudinale n'est pas isolé comme tel dans les statistiques (compte tenu de la modestie de l'échantillon et de la diversité des opérations, le résultat ne serait pas forcément significatif).

Des résultats inégaux : un tiers des opérations à effet négatif à nul, la flore davantage bénéficiaire que la faune
Trois bio-indicateurs sont concernés : les poissons, les macrophytes et les macro-invertébrés. Les paramètres étudiés sont l'abondance / biomasse et la diversité / richesse spécifique. Des données biologiques plus précises n'étaient pas disponibles en quantité suffisante sur le panel des projets analysés, ce qui rappelle le problème récurrent de la qualité du suivi scientifique des opérations en rivière.

On peut trouver les réponses sur les boites à moustaches de la figure ci-dessus (le taux de réponse ∆x est le log du rapport entre les scores moyens avant et après l'intervention). Les auteurs observent: "considérant les trois groupes d'organisme (poissons, macro-invertébrés, macrophytes), l'effet global de la restauration sur les métriques biologiques était positif, bien que le taux de réponse varie considérablement et qu'un tiers des projets ne présente pas de réponse (∆r≤0). Le taux de réponse richesse/diversité et abondance/biomasse était de +0,85 et +0,51 respectivement (…) Cependant, la variabalité était considérablement élevée, avec une fourchette des percentiles 10-90 du taux de réponse de -0.25 à 0,91 (richesse/diversité) et de -0,76 à 1,80 (abondance / biomasse). Bien que la plupart des taux de réponse soient positifs, 35,5% en richesse/diversité et 28,8% en abondance/biomasse sont ≤ 0".

Les résultats montrent également que les compartiments biotiques ne répondent pas de la même manière : le taux moyen de réponse des macrophytes (0.57) est clairement plus élevé que celui des poissons (0.18) et des invertébrés (0.12). La réponse des macrophytes est principalement associée aux mesures d'élargissement de lit ou de réméandrage.

Des résultats pas toujours durables: baisse du gain dans le temps, importance des usages des sols
Les auteurs se sont intéressés aux prédicteurs de la réussite ou de l'échec d'une opération de restauration morphologique. Le seul prédicteur de bassin versant ayant un effet significatif concerne les poissons et les usages agricoles du sol, avec une tendance à dégrader les effets de restauration. Ce résultat est conforme à d'autres travaux sur cet impact.

En terme de caractéristique sédimentaire du tronçon, les effets de la restauration sont plus marqués sur les rivières à gravier, mais la réponse est nulle voire négative sur les rivières à sable et pour les poissons comme pour les invertébrés.
Enfin, comme le montre l'image ci-dessus, l'effet de la restauration est corrélé négativement au temps écoulé pour les macrophytes, c'est-à-dire que plus le temps passe et moins le résultat est tangible. L'âge du projet est, avec l'usage agricole des sols, le meilleur prédicteur. S'ajoute ensuite la largeur de la rivière.

Discussion
Beaucoup de travaux nord-américains et européens ont souligné le caractère très incertain des opérations de restauration morphologique de rivière (voir ici). Le travail de Kail et al 2015, s'il trouve un effet globalement positif, confirme ces résultats antérieurs en montrant la diversité de réponse des différents peuplements, l'existence de résultats négatifs et la tendance à voir les résultats s'effacer dans le temps.

Compte tenu des enjeux économiques et sociaux des travaux en rivières, ainsi que du besoin de légitimité politique dans le portage des projets, nous ne pouvons que souhaiter le rappel de ces incertitudes scientifiques dans la mise en oeuvre actuelle des restaurations des masses d'eau en France et en Europe. Il est très discutable que les gestionnaires aient choisi en France des engagements à grande échelle (comme le classement des rivières) et fort budget alors que la science de la restauration est encore en phase très précoce de ses expérimentations et modélisations. L'existence de résultats négatifs est en particulier alarmante, puisque cela revient dans cette hypothèse à dépenser l'argent public pour dégrader certains bio-indicateurs des rivières.

Référence : Kail J et al. (2015), The effect of river restoration on fish, macroinvertebrates and aquatic macrophytes: A meta-analysis, Ecological Indicators, 58, 311–321

Nous remercions les auteurs de nous avoir fait parvenir copie de leur travail.