12/11/2015

C'est ainsi que nos ouvrages meurent

Voici la Seine au niveau de l'ouvrage Floriet avant, et maintenant. Ces travaux d'effacement sont-ils ce que l'on attend d'un syndicat de rivière? Cette dépense d'argent public de l'Agence de l'eau Seine-Normandie est-elle une priorité pour nos cours d'eau? Nos députés et sénateurs ont-ils voté une seule loi qui enjoint de détruire le patrimoine hydraulique ? L'effet de ces opérations sur les milieux aquatiques fait-il l'objet de modélisations scientifiques sérieuses? La valorisation des dimensions récréatives, culturelles, énergétiques de ces sites est-elle seulement envisagée? A-t-on expliqué aux citoyens que l'indice de qualité piscicole en ce lieu était en classe bonne ou excellente avant l'effacement? A-t-on estimé le bilan nitrates (facteur dégradant reconnu du bassin Seine amont) de cette opération? Nous vivons l'âge sombre du dogmatisme de la continuité écologique, où quelques gens de passage éliminent sans état d'âme la mémoire des présences humaines en rivière. Pour que cela cesse, rejoignez les associations, faites signer le moratoire sur la continuité écologique


Hier






Aujourd'hui






A lire également cet article, d'où il ressort que la Seine au point de contrôle Onema de Nod avait un indice piscicole de qualité (IPR) bonne ou excellente dans les dernières campagnes de mesures, à l'époque où l'ouvrage Floriet était encore là.

11/11/2015

Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"

La rivière serait capable d'épurer elle-même les pollutions humaines, mais les ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) l'en empêcheraient. Jamais en peine d'un motif pour justifier l'effacement spectaculaire des ouvrages hydrauliques, et détourner ainsi l'attention des causes réelles mais non ou mal traitées de dégradation des rivières, autorités et gestionnaires de l'eau ont commencé à diffuser cette idée dans les années 2000. Problème : la recherche nous dit exactement le contraire. Nous sommes en présence d'une véritable manipulation puisque 30 ans de travaux scientifiques démontrent que les retenues, réservoirs, étangs et autres zones d'eaux plutôt stagnantes permettent d'éliminer les excès d'azote et de phosphore, donc de diminuer le risque d'asphyxie des littoraux et estuaires. L'action publique démontre à nouveau son manque de crédibilité et d'impartialité en se rabaissant au niveau argumentaire de vulgaires lobbies propagandistes. Pire encore, elle contrevient à l'obligation stricte faite par la DCE 2000 de ne pas aggraver l'état chimique des rivières : la politique actuelle de suppression des obstacles à l'écoulement aura pour effet de détériorer le bilan des nutriments. Il est urgent de dénoncer ces impostures, à l'heure où la France est déjà très en retard sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau et condamnée pour la mauvaise application de la Directive nitrates de 1991.

Dans certains documents de vulgarisation de l'Onema, des Agences de l'eau et en conséquence des syndicats de rivière ré-exploitant ces informations, il est apparu à la fin des années 2000 l'idée que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration chimique des rivières (voir des exemples chez Onema 2010, Onema et Agence de l'eau Loire-Bretagne 2012, Onema et FNE 2014, et même dans les textes officiels du Ministère de l'Ecologie comme la Circulaire du 18 janvier 2013 sur la continuité écologique).

Par auto-épuration, il faut entendre la capacité d'une rivière ou de toute masse d'eau naturelle à éliminer des substances considérées comme polluantes. Il s'agit en premier des intrants agricoles, notamment les engrais dérivés de l'azote et du phosphore qui apportent un excès de nutriments à l'eau. Mais aussi de l'ensemble des substances chimiques liées aux activités humaines : pesticides, médicaments, métaux lourds, milliers de composés chimiques synthétiques présents dans nos objets de consommation, nos résidus de combustion ou autres sources.

Notons tout d'abord que, même sans examen scientifique de la question, la posture argumentaire visant à incriminer les seuils et barrages sur ce dossier de l'auto-épuration est intenable au plan du bon sens. En effet :
  • les pollutions chimiques de la rivière proviennent de l'émission des substances polluantes liées aux activités humaines (industrie, agriculture, usages sanitaires et domestiques). Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques sont les victimes et non les causes de cette pollution des eaux qui arrivent dans leurs retenues, biefs ou étangs, des victimes immédiates puisque c'est leur cadre de vie qui est impacté ;
  • quand il y a une pollution aigüe de rivière (hydrocarbure, fuite toxique), l'une des premières mesures préventives est d'ériger un barrage mobile pour contenir au maximum la diffusion des substances nuisibles ;
  • les substances à longue durée de vie (métaux lourds, composés à forte inertie chimique comme les PCB) ne disparaissent pas d'un coup de baguette magique, elles circulent en suspension, s'accumulent dans les zones de dépôt naturel des rivières (fosses, mouilles, plaines alluviales), s'échangent avec les nappes ou encore arrivent dans les estuaires et zones littorales.
Prétendre que la suppression d'un ouvrage supprimera les causes ou les effets des pollutions chimiques n'a donc guère de sens. Cela revient à promouvoir la libre-circulation des polluants!

On entretient volontairement ou involontairement la confusion entre l'eutrophisation locale d'une retenue (le fait qu'elle accumule des sédiments organiques donc des nutriments, étant une zone de dépôt) et l'eutrophisation artificielle massive des cours d'eau due à nos rejets. Concernant les cycles de l'azote, du phosphore et du silicium, de nombreux travaux ont montré le rôle positif des eaux stagnantes : lacs, retenues, réservoirs, bras morts, mares, étangs. La France a mené des programmes pilotes sur cette question dans le cadre de la démarche multidisciplinaire Piren-CNRS, dès les années 1980, aussi est-il très étrange que ces travaux soient inconnus des gestionnaires de l'eau... 

La rétention d’azote (nitrates) dans les retenues, réservoirs et plans d'eau est particulièrement notable, et elle peut s’expliquer par trois processus différents : l’assimilation par la végétation, la sédimentation ou la dénitrification. Nous citons ci-dessous une synthèse utile de la littérature extraite de la thèse doctorale de Paul Passy (Passy 2012, illustration : la cascade des nutriments, cliquer pour agrandir).


"Dans les années 1980, de nombreuses études ont été réalisées sur des lacs scandinaves (Henriksen et Wright 1977; Wright 1983) ou nord-américains (Hill 1979; Dillon et Molot 1990) montrant que les rétentions d’azote au sein de ces milieux pouvaient atteindre plus de 90 % de la charge entrante. Plus tard, des suivis réalisés sur les barrages réservoirs de la Seine (Sanchez and Garnier, 1997; Garnier et Billen, 1994; Garnier et al 1999), des réservoirs d’eau en Pologne (Tomaszek et Czerwieniec 2000; Koszelnik et al 2007; Gruca-Rokosz et Tomaszek 2007) ou aux États-Unis (David et al 2006) ont mis en évidence une rétention d’azote atteignant 40 %. Enfin des études orientées vers l’ingénierie écologique dans le bassin du Mississippi ont mesuré un abattement de l’azote allant de 20 à 43 % (Mitsch et al 2005; vanOostrom 1995). (…)

"La plupart des études menées sur le devenir de l’azote dans les plans d’eau mettent en évidence le rôle prédominant de la dénitrification. Que ce soit dans des systèmes lacustres, de zones humides naturelles ou artificielles, ou de réservoirs, la dénitrification est responsable de 40 à plus de 80 % de l’élimination de l’azote (Brinson et al 1984; Seitzinger 1988; Hernandez et Mitsch 2007), soit un rôle 2 à 4 fois plus important que l’assimilation par la végétation ou que la sédimentation (Yan et al 1997; Kreiling et al 2011).

"L’azote sous forme de nitrate n’est pas le seul élément éliminé dans les secteurs stagnants du réseau hydrographique. La forme ammonium (NH4+) ainsi que le phosphore (Braskerud 2002) peuvent également y être retenus. Certaines agglomérations mettent d’ailleurs à profit cette propriété en construisant des plans d’eau pour traiter leurs eaux usées (Vymazal 2011; Dalu et Ndamba 2003). Enfin, le silicium subit également une certaine rétention au sein de ces secteurs stagnants (Koszelnik et Tomaszek 2008) par suite de la croissance et de la sédimentation des diatomées."

Depuis la parution de cette thèse, des travaux récents ont confirmé ces données déjà robustes de la recherche : voir par exemple Tiessen et al 2011 sur l'efficacité des petits barrages dans le stockage azote et phosphore au Canada ; Grantz et al 2014 sur la dynamique d'accumulation azote et phosphore dans les réservoirs déjà eutrophes ; Gasparini et al 2014 sur le bilan positif de rétention des nutriments sur des réservoirs des Grandes Plaines ; Liu et al 2015 sur l'effet (positif mais ici modeste et dépendant du remplissage) de 26 petits barrages canadiens ; Némery et al 2015 sur la rétention des charges carbone, azote et phosphore (resp. 31, 46 and 30 %) dans le cas d'un barrage tropical de zone urbanisée.

Cette rapide revue de la littérature scientifique est donc assez claire : les eaux plutôt stagnantes des réservoirs, des retenues et des étangs créés par les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'épuration de l'azote et du phosphore, donc dans la correction de notre perturbation du cycle des nutriments par les usages agricoles et domestiques. Dans une étude récente de ce phénomène, trois chercheurs nord-américains ont insisté sur l'usage bénéfique de la petite hydraulique dans la gestion du problème des nutriments : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes". (Powers et al 2015). Cet argument des chercheurs répond très exactement à la problématique française, puisque l'on trouve près de 80.000 obstacles à l'écoulement bien répartis sur les territoires, en particulier dans des zones souffrant de surcharge en nutriments.

Rétablissons donc quelques vérités : les ouvrages hydrauliques sont victimes et non responsables des pollutions chimiques de la rivière formant l'une des causes majeures de dégradation des milieux aquatiques depuis le milieu du XXe siècle. L'excès de nutriments (azote, phosphore) est considéré comme un problème majeur pour la qualité des masses d'eau, en particulier pour les zones estuariennes et littorales souffrant d'un apport massif depuis les systèmes fluviaux. Les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'élimination de ces nutriments tout au long du réseau hydrographique. Plus généralement, ils fixent des polluants qui, sans eux, se diffuseraient dans le milieu et jusque dans les océans. C'est un apport manifeste des seuils et barrages en terme de services rendus aux écosystèmes, et cette dimension doit être prise en compte dans toute programmation relative à ces ouvrages (même sans usage).

On peut conclure sur quatre points :
  • il est grave pour la crédibilité et l'impartialité de l'action publique que des organismes comme l'Onema ou les Agences de l'eau, voire la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, propagent des idées fausses dans leur communication à destination des décideurs et de l'opinion, et s'associent parfois à des lobbies dans cette manipulation. Nous attendons un correctif clair sur la question de l'auto-épuration, dont nous observons qu'elle est reprise sans esprit critique par nombre d'opérateurs en rivière au plan local ;
  • la politique d'effacement des ouvrages ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur le bilan chimique de l'eau, en particulier dans les régions où il existe une pression agricole / urbaine forte. La Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) interdit à un Etat-membre de prendre des mesures qui aggravent l'état écologique ou chimique d'une masse d'eau. En conséquence, aucune opération d'effacement ne devrait être programmée si elle ne garantit pas au préalable par une étude d'impact et une modélisation la non-aggravation du bilan physico-chimique de l'eau sur les mesures obligatoires de la DCE 2000 ;
  • au lieu de désigner les barrages, moulins et étangs comme des ennemis de l'environnement, ce qu'ils ne sont pas, l'action publique devrait réfléchir à des partenariats visant à profiter de l'opportunité des retenues comme zone d'accumulation sédimentaire, avec notamment une politique d'extraction et gestion des sédiments pollués permettant réellement d'épurer les rivières de certaines substances à longue durée de vie ;
  • depuis les Directives nitrates et eaux résiduaires de 1991 jusqu'à la Directive pesticides de 2009 en passant par la DCE 2000, on attend de la France qu'elle soit capable de progrès rapides sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau. Ce n'est pas le cas. Les besoins économiques pour améliorer les assainissements, changer les pratiques agricoles, protéger les captages ou encore trouver des substituts aux polluants sont immenses. Dans ce contexte, gâcher le moindre centime d'argent public à détruire le patrimoine hydraulique est absurde. Quand ce gâchis atteint des centaines de millions d'euros pour des effets négatifs sur le bilan chimique, il n'est plus tolérable. 
Illustration : extraite de Passy P (2012), Passé, présent et devenir de la cascade de nutriments dans les bassins de la Seine, de la Somme et de l’Escaut, thèse.

A lire en complément : 
Notre section auto-épuration ; notre section pollution
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques" 
Vade-mecum de l'association face à un projet d'effacement d'ouvrage hydraulique 

10/11/2015

Effet parfois positif des petits barrages sur la qualité piscicole de rivières nord-américaines (Holcomb et al 2015)

"Les effets des petits barrages sur divers critères des communautés locales de poissons sont pauvrement documentés, et des travaux récents suggèrent l'intérêt de maintenir la fragmentation". Voilà une assertion de chercheurs qui n'est pas exactement le discours propagé par nos gestionnaires pour qui la science des rivières aurait définitivement démontré l'urgente nécessité d'effacer tout obstacle à l'écoulement.  Trois scientifiques montrent la complexité de l'évaluation du rôle des barrages sur des rivières nord-américaines, ainsi que le rôle prépondérant pour la qualité piscicole des usages des sols dans le bassin versant et sur les berges.

Jordan M. Holcomb et ses collègues ont analysé trois rivières de Caroline du Nord (Tar, Neuse, Roanoke) en leurs bassins versants. Ils ont identifié 25 barrages classés en trois catégories : intact (9), échancré (9) ou relique (7), cette dernière catégorie signalant que les restes du barrage en ruine n'ont plus d'impact notable sur l'écoulement.

Sur chaque barrage, ils ont analysé les communautés de poisons sur trois sites : à l'amont dans le flot non perturbé (plus haut que le remous liquide et solide), immédiatement à l'aval du canal de fuite, et au moins 500 m à l'aval. Soit un total de 75 mesures. Parmi les mesures de qualité piscicoles : l'abondance (CPUE, catch per unit effort), la richesse spécifique, la proportion d'espèces intolérantes.

Le résultat montre que ces critères de qualité sont les plus élevés dans les zones immédiatement aval des barrages. On ne trouve pas de différence significative sur le linéaire pour les barrages reliques. Les barrages échancrés ont le moins bon score dans leur zone aval par rapport à la zone amont.

Les chercheurs ont ensuite étudié les impacts du bassin versant (usage des sols et des berges, particulièrement agricole, perturbations à échelle du bassin WSD, de la berge RSD ou du site LSD).

Les rivières Tar et Roanoke ont des assemblages piscicoles de bonne qualité aussi bien sur les tronçons avec barrage que sans barrage. La rivière Neuse montre en revanche des habitats perturbés dans les tronçons à barrage échancré. Les perturbations à échelle du bassin et de la begre sont celles qui ont le plus d'impact. "Ces données démontrent que la réponse du peuplement piscicole à la condition des barrages est spécifique au bassin, mais que les communautés dans les tronçons avec barrage intact ou barrage relique sont largement similaires". Sur les systèmes étudiés, ce sont les barrages échancrés qui représenteraient un intérêt de gestion.


Discussion
Les travaux s'accumulent pour montrer que le bilan environnemental des ouvrages hydrauliques est complexe et que leur suppression ne devrait certainement pas être une priorité pour le gestionnaire. En particulier, une démarche de restauration de rivière  n'a de sens qu'après une analyse scientifique de l'ensemble des impacts du bassin versant, de la réponse des communautés biotiques, du rôle des ouvrages dans le bilan physique, chimique et biologique, de la détermination d'objectifs écologiques accessibles et dignes d'intérêt pour la fonctionnalité des milieux.

Cela n'a rien à voir avec l'amateurisme teinté de lobbyisme qui prévaut en France. Il est navrant de constater que notre pays édicte des réglementations et finance des programmations ne tenant pas compte des débats réels de la science. En particulier, il n'est pas acquis que l'effacement du maximum d'ouvrages en rivière aura un bilan halieutique positif, et s'il est positif, un bilan dont les avantages seraient proportionnés aux nombreux inconvénients de ce type de mesure (coût public, perte patrimoniale et culturelle, altération paysagère, disparition du potentiel énergétique, aggravation du bilan chimique sur certains composés, etc.).

Référence : Holcom JM et al. (2015), Effects of small dam condition and drainage on stream fish community structure, Ecology of Freshwater Fish, e-pub, doi:10.1111/eff.12233

Illustration : barrage de l'usine de Montzeron sur le Serein.

07/11/2015

Visite des chantiers de passes à poissons du Cousin

Le vendredi 6 novembre était organisée par Hydrauxois et le Parc du Morvan une visite de trois chantiers de passes à poissons sur la rivière Cousin, dans la zone classée Natura 2000 autour d'Avallon. La vallée fait aussi l'objet d'une protection au titre patrimonial (ZPPAUP). Nous remercions le Parc d'avoir accompagné cette initiative, dont voici un compte-rendu.

Moulin Léger, passe à bassins successifs
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 1,7 m
Coût env. 80 k€ hors étude



Le moulin a une activité hydro-électrique (turbine type Francis, injection EDF-OA), la solution retenue a donc respecté la consistance légale de production. Le choix s'est porté sur une passe à bassins successifs permettant de diviser la pente en chutes modestes. La passe est calculée de telle sorte que des espèces à faible capacité de saut puissent nager dans des échancrures entre les bassins. La conception est rustique (à blocs grossiers), ce qui a un intérêt paysager et se rapproche des conditions naturelles rencontrées sur des rivières (zones à radiers et rapides). On note à l'amont des blocs en rivière : ce sont des déflecteurs pare-embâcles, pour minimiser le risque d'obstruction de la passe. Une échancrure garantit que la passe reste en eau en étiage et absorbe alors 10% du module (débit minimum biologique).

Moulin Cayenne, rivière de contournement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 2,1 m
Coût env. 50 k€ hors étude



Le moulin a une roue fonctionnelle de type Sagebien et une autoproduction énergétique en cours d'installation. La solution retenue a donc respecté la consistance légale. Il s'agit d'une rivière de contournement, dispositif considéré comme le plus proche des conditions naturelles et le moins sélectif sur les espèces piscicoles en montaison. La rive gauche a été creusée jusqu'au lit (socle de la roche-mère) et des enrochements ont été posés sur les extrados pour limiter l'érosion. Des plantations sur géotextiles sont en cours, notamment pour garantir la stabilité des berges à terme.

Moulin Cadoux, rampe en enrochement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : environ 1,8 m
Coût env. 90 k€ hors étude



Le moulin n'a pas d'usage énergétique, mais jouit d'une protection comme "patrimoine pittoresque de l'Yonne" en raison du caractère exceptionnel du site, de son ancienneté historique et de son reflet dans le miroir d'eau. La proximité des populations de moules perlières (espèce protégée de la vallée) a conduit à un projet plus ambitieux, avec une arase en pente sur la crête en rive gauche du seuil, baissant légèrement le niveau légal et limitant la longueur du remous liquide/solide amont. La surverse préférentielle à cet endroit doit aussi casser la vitesse du flot dévalant par la passe, qui est constituée d'une rampe en enrochement de fond (blocs grossiers cassant la puissance de l'eau et offrant des zones de repos).

Les observations faites lors de la visite
Tous les propriétaire présents (venant des quatre départements bourguignons) ont des problématiques d'aménagement de continuité écologique sur des rivières classées. Les trois chantiers leur ont été utiles pour comprendre les enjeux constructifs. Mais ils ont soulevé aussi bien des objections et des interrogations.
Coût des dispositifs : c'est évidemment le point noir. Les trois aménagements du Cousin bénéficient d'un financement exceptionnel à 100% (Life+ et Agence de l'eau Seine-Normandie). Or, la position de l'Agence en situation normale est un financement public nul si le moulin n'a pas d'usage structurant, et de 20 à 50% en cas d'usage. Les coûts des passes sont élevés, d'autant que s'y ajoute une conception par bureau d'étude de l'ordre de 20 k€ pour chaque ouvrage. Une analyse menée sur le tronçon classé de rivière Armançon a montré que le consentement à payer des propriétaires (comme des élus et parties prenantes) est nul dans ce domaine, c'est-à-dire que l'attente est un financement public intégral.
Dispositions constructives : des doutes ont été émis sur la capacité des ouvrages soit à résister à de fortes crues (cas de la passe à enrochements) soit à préserver leur profil (cas de la rivière de contournement). Un participant expert d'origine néerlandaise a fait observer que les bétons utilisés en France sont interdits en rivière aux Pays-Bas, en Allemagne et dans d'autres pays européens. Une autre visite sera sans doute organisée après la mise en eau, en 2016.
Efficacité écologique : au regard des coûts engagés, et du fait que les ouvrages sont assez modestes au départ (faibles hauteurs, versants aval en pente modérée), c'est une question centrale puisque l'objectif des aménagements est une amélioration de la qualité écologique, particulièrement du compartiment biologique. Le Parc du Morvan devra procéder à des mesures de qualité piscicole pour analyser l'évolution des populations de poisson et de moules.
L'Yonne républicaine a publié un compte-rendu intéressant de la visite (cliquer l'image ci-contre pour agrandir)

Et pour la suite sur la rivière Cousin ?
Le Cousin-Trinquelin (la rivière change localement de nom au niveau de Quarré-les-Tombes) compte 43 ouvrages. Certains sont équipés de passes, d'autres ne sont pas considérés comme des obstacles à la continuité écologique en raison des ruines de seuils ou de leurs très faibles hauteurs, d'autres encore ont accepté le principe d'un effacement.

Il n'en reste pas moins que la majorité des ouvrages doit encore faire l'objet d'une concertation en vue de l'application de la continuité écologique, puisque la rivière a été classée en liste 2 avec l'horizon 2017 comme délai légal d'aménagement. Au cours de l'année 2016, l'association Hydrauxois définira avec ses adhérents une stratégie sur chaque rivière, en particulier sur le Cousin où elle est déjà fortement implantée. Cette stratégie consistera notamment en :
  • une analyse du cours d'eau et de l'impact de ses moulins, notamment au regard des données historiques disponibles sur les peuplements halieutiques,
  • un point technique et scientifique sur les connaissances actuelles en continuité écologique appliquée aux petits ouvrages,
  • un rappel aux services instructeurs des exigences légales, notamment la limitation des aménagements aux migrateurs (non pas restauration des habitats pour toutes espèces y compris non migratrices) et l'obligation explicite faite à l'administration de proposer sur chaque ouvrage des règles de gestion ou d'équipement,
  • une demande à l'Agence de l'eau d'information exacte sur le niveau de subvention des dispositifs simples de franchissement et, si ce niveau est jugé insuffisant, une démarche en reconnaissance du caractère "spécial et exorbitant" de la dépense demandée, appelant indemnité compensatoire (comme le prévoit la loi).

06/11/2015

SDAGE Loire-Bretagne : objectifs 2015 et 2021 identiques... et toujours aussi peu probables

Le SDAGE 2010-2015 promettait 61% des masses d'eau en bon état. Le résultat est à la moitié, avec quasiment aucun progrès dans l'exercice écoulé. Le SDAGE 2016-2021 qui vient d'être adopté par le comité de bassin promet... à nouveau 61% des masses d'eau en bon état, mais cette fois pour 2021! Personne ne peut sérieusement cautionner cette méthode Coué, dont l'échec grave vis-à-vis de nos obligations européennes ne fait pas même l'objet d'un audit. Le plus grand bassin hydrographique français est à la dérive.

Le SDAGE Loire-Bretagne a été adopté ce jeudi 5 novembre 2015. Nous avions exprimé dans une lettre ouverte avec 25 associations les problèmes nombreux que pose ce texte, tant dans la gouvernance peu démocratique de sa programmation que dans ses orientations inefficaces en matière de qualité des rivières, particulièrement de continuité écologique. Dans l'hypothèse où nos observations formulées lors des consultations et dans ce courrier n'auraient pas été prises en compte, une réflexion sera ouverte avec nos avocats pour formuler une requête en annulation du SDAGE.

Comme à leur habitude et au frais des concitoyens, la comité de bassin et l'Agence de l'eau produisent une communication institutionnelle autosatisfaite (pdf) autour de l'adoption du Schéma.

Dans ce dossier de presse, un point retient notre attention : l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état 2021. Nous avions déjà vu ce chiffre, mais où donc…? Ah mais c'est bien sûr, la communication du SDAGE 2010-2015 promettait déjà d'atteindre 61% des masses d'eau en bon état! C'est-à-dire que l'ambition d'un SDAGE à l'autre reste exactement la même, alors que l'Union européenne attend 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique.


Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Les vrais chiffres du bilan de l'action de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne sont mauvais. On constate en effet à l'état des lieux 2013 (exercice obligatoire pour le rapportage à l'Union européenne) que :
  • le bassin Loire-Bretagne n'est plus capable de donner les mesures de l'état chimique des eaux (entorse grave à l'obligation européenne de suivi de qualité),
  • les cours d'eau n'ont montré aucune évolution significative de leur état écologique (de 29,5% en bon état à 30,2% sur le dernier exercice).
Il est inadmissible qu'une Agence dépensant des milliards d'euros d'argent public à chacun de ses exercices quinquennaux présente des résultats aussi médiocres sans faire l'objet d'un audit pour évaluer les dysfonctionnements. Et personne ne peut évidemment croire que l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état sera atteint en 2021 plus qu'il ne l'a été en 2015.

A lire également sur Loire-Bretagne :
Un scandaleux exercice de propagande
50 ans de pollution aux nitrates

05/11/2015

Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

Les syndicats de rivière, poussés par certaines Agences de l'eau, tendent à privilégier des solutions d'effacement de seuils et barrages en rivières classées au titre de la continuité écologique. Cette pratique n'a pas de réelle base légale, puisque ni la Directive cadre européenne sur l'eau 2000, ni la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques 2006 ni la loi de Grenelle 2009 n'ont introduit en droit une quelconque obligation d'effacer un ouvrage au motif d'établir la continuité de l'écoulement.  Un certain nombre d'effacements sont aujourd'hui bâclés : étude d'impact sommaire, information des tiers minimaliste, précautions de chantier douteuses, débat démocratique inexistant. Cela permet notamment de prétendre ensuite qu'ils sont moins coûteux qu'un aménagement non destructif, alors que ce moindre coût est souvent l'effet d'un laxisme. Il convient de cesser ces pratiques en deux poids deux mesures, avec des effacements anormalement facilités et des aménagements excessivement compliqués en procédure et contraintes réglementaires.  Nous appelons les associations à exiger désormais le respect intégral du droit, que le chantier soit privé ou public. Même si un effacement a le consentement d'un propriétaire (souvent le cas de collectivités peu soucieuses de leur patrimoine ou de propriétaires privés mal informés), il exerce des effets sur les milieux aquatiques, il concerne la culture et le paysage, il peut nuire aux droits des tiers. En cela, une association de défense du patrimoine, des riverains et/ou de la rivière est fondée à agir. Ce texte présente une première série de références légales, réglementaires ou jurisprudentielles opposables dans une telle circonstance. Merci d'avance à nos lecteurs familiers du droit de l'enrichir si besoin (fonction commentaire sous l'article).

Mise à jour février 2016 : depuis la rédaction de cet article, la loi a évolué sur 3 points importants
- délai de 5 ans pour faire des travaux de continuité en rivière L2
- protection du patrimoine hydraulique sur les sites classées et leurs abords
- exemption de continuité écologique en rivière  L2 pour les moulins producteurs.
Ces 3 articles sont à lire en complément de celui-ci pour éviter tout abus de pouvoir et défendre efficacement les propriétaires face au chantage à l'effacement.

Mode d'emploi : en cas de chantier d'effacement, vous pouvez saisir l'administration (DDT-M) par courrier recommandé, en copie au maître d'ouvrage (généralement un syndicat de rivière ou une collectivité), afin d'exiger le respect des points énumérés dans cet article (sous la forme d'une étude d'impact apportant l'ensemble des garanties demandées).

Régime d'autorisation : tous les travaux en rivière sont soumis à déclaration ou autorisation, selon l'article R-214-1 du Code de l'environnement. Un effacement modifie en général le profil en long et en travers de la rivière sur plus de 100 m. En cela, il relève de la catégorie 3.1.2.0. "Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau : 1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (A)". Le régime d'autorisation implique pour le maître d'ouvrage une étude d'impact (termes précisés dans l'article R-214-6 Code de l'environnement) puis pour le préfet une enquête publique (article R-214-8 Code de l'environnement). C'est dans ce cadre que vous intervenez, afin que l'étude d'impact ne soit pas bâclée et que l'enquête publique respecte pleinement la procédure contradictoire.

Si l'ouvrage est très modeste (comme certains seuils de 50 ou 80 cm construits au XXe siècle pour un changement local de ligne d'eau devenu sans usage), s'il est de faible intérêt patrimonial, s'il n'a pas d'usage récréatif et/ou s'il est dans un état de quasi-ruine, son effacement peut avoir du sens et représente généralement un moindre niveau d'enjeux ou de risques. Mais pour des ouvrages en état correct, associés au patrimoine local des moulins et usines à eau, modifiant de manière visible au public le paysage de leur vallée ou de leur plaine alluviale, implantés en milieu urbain, ayant accumulé des sédiments du fait du non-usage, représentant un obstacle réellement infranchissable aux espèces invasives ou encore modifiant la ligne d'eau sur de grandes distances du fait de la faible pente de la rivière, il est nécessaire d'exiger toutes les garanties. Nous vous conseillons d'associer à cette démarche administrative une saisine des médias locaux, une copie à vos élus et une publication sur votre site internet, afin de permettre une bonne information des riverains et d'ouvrir un débat démocratique. Dans votre correspondance, vous pouvez copier-coller les textes ci-dessous, et ensuite simplement référencer de manière exacte le(s) chantier(s) d'effacement sur le(s)quel(s) vous attendez des précisions.


Un effacement d’ouvrage doit garantir la non-détérioration écologique ou chimique d’une masse d’eau au sens de la DCE 2000
Obligation : un Etat-membre ne peut autoriser une opération en rivière si elle est susceptible de détériorer l’état chimique et écologique tel que défini par le DCE 2000.

Cour de Justice de l’Union européenne, C461/13, arrêt 01/07/2015
« l’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux »

Un effacement d'ouvrage doit justifier son fondement juridique car la loi demande l'équipement
Obligation : la loi sur l'eau 2006 et l'article L-214-17 C env imposent l'obligation en rivière classée liste 2 de la continuité écologique que l'ouvrage soit "géré, entretenu et équipé". Il en va de même pour la loi dite de Grenelle 2009 qui demande un "aménagement". L'effacement est donc une mesure qu'il faut d'abord justifier par rapport à l'impossibilité d'un aménagement ou d'un équipement.

Article L 214-17 Code de l'environnement
I.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : (…)
2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.

LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (1) 
Article 29
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une étude d’impact
Obligation : le changement substantiel du biotope local, des phénomènes d’érosion régressive / progressive, des processus d'épuration azote/phosphore et des écoulements sur les propriétés riveraines justifie une analyse approfondie. Il n'est pas acceptable de se contenter d'un simple avant-projet sommaire sans estimation complète des incidences sur les personnes, sur les biens et sur les milieux.

Article L122-1 Code de l’environnement
I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact.

Un effacement d’ouvrage doit être accompagné d’une abrogation du droit d’eau au terme d’une information complète de l’ayant-droit 
Obligation : tout ouvrage légalement autorisé possède un droit d’eau dont l’abrogation doit être prononcée avant son effacement, après une information complète et transparente du propriétaire. L'arrêté préfectoral doit être publié avant le chantier.

Article L214-6 Code de l’environnement
II.-Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre.

Un effacement d’ouvrage doit garantir la préservation du droit des tiers
Obligation : toute modification de l’écoulement doit préserver le droit des tiers, ce qui implique notamment une analyse de stabilité des berges et du bâti, une analyse de l’évolution du risque inondation, une analyse de l’enjeu paysager sur toute la zone d’influence de l’ouvrage effacé, une analyse des changements de consistance légale des ouvrages amont et aval.

Article L215-7 Code de l’environnement
L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux.
Dans tous les cas, les droits des tiers sont et demeurent réservés.

Un effacement d’ouvrage doit garantir qu’il ne détruit pas le milieu particulier d’une espèce protégée
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne risquent pas de détruire le milieu auquel est inféodé une espèce d’intérêt (faune ou flore)

Article L411-1 Code de l’environnement
I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits :
1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
3° La destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales ;
4° La destruction des sites contenant des fossiles permettant d'étudier l'histoire du monde vivant ainsi que les premières activités humaines et la destruction ou l'enlèvement des fossiles présents sur ces sites.

Un effacement d’ouvrage ne doit pas induire ou faciliter l’introduction d’une espèce indésirable ou d'une épizootie dans un milieu qui en est indemne
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne conduisent pas à l’introduction d’une espèce invasive dans un milieu qui en est indemne. C'est particulièrement important pour un effacement qui facilite la colonisation immédiate de nouveaux milieux par des espèces non désirables (différentes espèces d'écrevisses américaines, silure, pseudorasbora, perche soleil, etc.), parfois porteuses de pathogènes, et qui peuvent perturber un biotope non accessible à l'amont.

Article L411-3 Code de l’environnement
I. - Afin de ne porter préjudice ni aux milieux naturels ni aux usages qui leur sont associés ni à la faune et à la flore sauvages, est interdite l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence :
1° De tout spécimen d'une espèce animale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non domestique, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
2° De tout spécimen d'une espèce végétale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non cultivée, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
3° De tout spécimen de l'une des espèces animales ou végétales désignées par l'autorité administrative.
II. - Toutefois, l'introduction dans le milieu naturel de spécimens de telles espèces peut être autorisée par l'autorité administrative à des fins agricoles, piscicoles ou forestières ou pour des motifs d'intérêt général et après évaluation des conséquences de cette introduction.
III. - Dès que la présence dans le milieu naturel d'une des espèces visées au I est constatée, l'autorité administrative peut procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens de l'espèce introduite. Les dispositions du II de l'article L. 411-5 s'appliquent à ce type d'intervention.
IV. - Lorsqu'une personne est condamnée pour infraction aux dispositions du présent article, le tribunal peut mettre à sa charge les frais exposés pour la capture, les prélèvements, la garde ou la destruction rendus nécessaires.
IV bis. - Lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine biologique, des milieux naturels et des usages qui leur sont associés justifient d'éviter leur diffusion, sont interdits le transport, le colportage, l'utilisation, la mise en vente, la vente ou l'achat des espèces animales ou végétales dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes.
V. - Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article.

Article L228-3 Code rural et de la pêche
Le fait de faire naître ou de contribuer volontairement à répandre une épizootie chez les vertébrés domestiques ou sauvages, ou chez les insectes, les crustacés ou les mollusques d'élevage, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 €. La tentative est punie comme le délit consommé.
Le fait, par inobservation des règlements, de faire naître ou de contribuer à répandre involontairement une épizootie dans une espèce appartenant à l'un des groupes définis à l'alinéa précédent est puni d'une amende de 15 000 € et d'un emprisonnement de deux ans.
S'il s'agit de la fièvre aphteuse, la peine d'amende encourue en vertu du premier alinéa est de 150 000 € et celle encourue en vertu du deuxième alinéa est de 30 000 €.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une analyse chimique des sédiments risquant d’être re-mobilisés
Obligation : une opération risquant de perturber le milieu aquatique doit faire l’objet d’une analyse de qualité chimique des rejets et sédiments

Arrêté du 9 août 2006 relatif aux niveaux à prendre en compte lors d'une analyse de rejets dans les eaux de surface ou de sédiments marins, estuariens ou extraits de cours d'eau ou canaux relevant respectivement des rubriques 2.2.3.0, 4.1.3.0 et 3.2.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement
« Lorsque, pour apprécier l'incidence de l'opération sur le milieu aquatique (ou pour apprécier l'incidence sur le milieu aquatique d'une action déterminée), une analyse est requise en application du décret nomenclature :
- la qualité des rejets dans les eaux de surface est appréciée au regard des seuils de la rubrique 2.2.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence R 1 et R 2 sont précisés dans le tableau I ;
- la qualité des sédiments marins ou estuariens est appréciée au regard des seuils de la rubrique 4.1.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence N 1 et N 2 sont précisés dans les tableaux II et III ;
- la qualité des sédiments extraits de cours d'eau ou canaux est appréciée au regard des seuils de la rubrique 3.2.1.0 de la nomenclature dont le niveau de référence S 1 est précisé dans le tableau IV. »

Un effacement d’ouvrage doit procéder à toute sauvegarde archéologique et étude préalable sur l’intérêt de cette sauvegarde
Obligation : une opération risquant de détruire un ouvrage d’intérêt historique, culturel et patrimonial doit faire l’objet d’une évaluation et si nécessaire d’une fouille préventive.

Loi 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive
Article 1er
L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus.
Article 2
L'Etat veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique, désigne le responsable scientifique de toute opération d'archéologie préventive et assure les missions de contrôle et d'évaluation de ces opérations.

Document technique d'appoint : l'Onema a publié un texte précisant une partie des angles exposés ci-dessus. Il est très utile d'en joindre copie aux autorités. Malavoi JR, Salgues D (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition de cahier des charges pour les études de faisabilité, Onema. Attention : ce texte s'intéresse surtout aux aspects biologiques et morphologiques. C'est en effet indispensable. Mais dans le domaine des milieux, il convient aussi insister sur l'aspect chimique (analyse des sédiments de la retenue du seuil ou barrage, gestion en décharge spéciale s'ils sont pollués, attribution claire de la responsabilité sur ces déchets). Outre la question de la protection des milieux lors d'un effacement, il faut y ajouter les dimensions culturelles et patrimoniales, ainsi que le respect du droit des tiers sur toutes les parcelles riveraines, comme indiqué ci-dessus. Le vrai cahier des charges d'une étude de faisabilité d'effacement est donc plus complexe que  les indications de MM Malavoi et Salgues dans le guide en lien.

Outil complémentaire : en direction des bureaux d'études chargés d'un effacement (et des syndicats qui font généralement un appel d'offres pour ce BE), aide-mémoire permettant de vérifier qu'aucune dimension importante n'est négligée.

A lire également
Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

04/11/2015

Le sénateur Jean-Claude Boulard dénonce "l'absurdité normative" de la continuité écologique

On nous a transmis la réaction de M. Jean-Claude Boulard, sénateur de la Sarthe, maire du Mans, à la lettre ouverte à M. Joel Pélicot sur le SDAGE Loire-Bretagne (ci-contre, cliquer pour agrandir). L'élu de la République partage l'exaspération et l'incompréhension des riverains face à "l'absurdité normative" de la continuité écologique. "Comment peut-on financer la mise en place de 16 passes à poissons à 400 000 euros l'unité là où les poissons ne remontent jamais les rivières?". Le sénateur fait observer que les aloses et lamproies ne migrent pas aujourd'hui sur le cours d'eau où l'on exige ces aménagements à coûts exorbitants (mais à très faible financement public). Et que les anguilles n'ont historiquement jamais été empêchées de migrer par les ouvrages anciens du bassin (fossés, "fausses rivières" de contournement des moulins, ennoyage des seuils en crue, inondations du lit majeur, etc.). Un certain nombre d'Agences de l'eau (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) et de services instructeurs déconcentrés (DDT, services départementaux de l'Onema) mènent aujourd'hui une politique extrémiste visant à accabler les propriétaires d'obligations pointilleuses et ruineuses, voire à les pousser à l'effacement (non légal) de leurs ouvrages. Cette dérive est d'autant plus condamnable que d'autres territoires ont des approches plus sobres et plus respectueuses des enjeux de continuité. Plusieurs dizaines de députés, sénateurs, maires ont déjà signé l'appel à moratoire sur la continuité écologique au cours du mois écoulé, ainsi que plus de 120 institutions. Et le rythme de ralliement ne faiblit pas. Les associations de propriétaires et riverains sont désormais décidées à systématiser les contentieux face aux dérives administratives, à commencer des requêtes en annulation contre les SDAGE 2015-2021 qui persisteront à donner priorité aux effacements des seuils et barrages, en parfait mépris du texte comme de l'esprit de la loi sur l'eau 2006 et de la loi de Grenelle 2009. Il faut de toute urgence une reprise en main démocratique du dossier des ouvrages hydrauliques, et plus généralement des politiques de l'eau dont les résultats en terme de qualité écologique et chimique des rivières sont très faibles au regard des sommes engagées.

A lire également la réaction de la sénatrice Anne-Catherine Loisier : les politiques de l'eau ont besoin d'un choc de simplification !

03/11/2015

Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015)

Ayant découvert une plaquette de l'Agence de l'eau Adour-Garonne qui soulignait l'appauvrissement génétique des poissons en rivières fragmentées (comparaison du Célé et du Viaur), nous avons eu la curiosité de lire les études scientifiques ayant permis cette conclusion. Grand bien nous en a pris, puisque ces travaux sont passionnants, mais aussi très prudents. Les chercheurs y soulignent en effet que l'impact génétique de la fragmentation existe bel et bien, mais reste modeste, qu'il ne semble pas se traduire par une différence de valeur adaptative des populations et (dans une étude ultérieure) que les populations concernées ont connu d'importants goulots d'étranglement démographiques (donc génétiques) à une époque historique antérieure à la construction des seuils et barrages. Par ailleurs, les chercheurs exposent que l'aménagement non destructif des ouvrages peut restaurer de la diversité génétique locale en évitant la perte d'intérêt patrimonial de l'effacement. Une fois de plus, le scientifique se révèle beaucoup plus posé et nuancé que le gestionnaire dans l'analyse des impacts sur les milieux aquatiques.

Commençons par quelques rappels de biologie moléculaire pour comprendre les méthodes dont il sera ici question. Au sein d'une population, le génome (porté par l'ADN) comporte de nombreuses petites variations : hors des clones parfaits, les individus sont tous génétiquement différents. Un même gène existe en différentes formes (petites variations de ses bases chimiques), que l'on nomme des allèles. Ces différences construisent le polymorphisme, soit la plus ou moins grande variabilité intraspécifique (au sein d'une espèce, ou d'une population isolée de cette espèce). Certains sites génétiques (appelés loci dans le jargon, pluriel de locus, le lieu) sont très conservés, c'est-à-dire très identiques d'un individu l'autre, alors que d'autres sont particulièrement variables. On qualifie ces derniers des microsatellites, ils sont généralement composés de paires de bases chimiques répétées sur l'ADN. Quand on veut estimer la diversité génétique d'une population, on peut par exemple mesurer le nombre d'allèles différents : cela s'appelle la richesse allélique. On peut aussi comparer la fréquence de cette diversité allélique par rapport à la fréquence attendue par les lois de la génétique, ce qui se nomme du nom barbare d'hétérozygotie.

Avec des méthodes un peu plus complexe dites de phylogénie moléculaire, on tente de reconstruire à partir des populations présentes des arbres généalogiques qui racontent les événements dans l'histoire de l'espèce : quand elle est apparue en se détachant d'espèces cousines, si elle a connu des chutes de population parfois proche de l'extinction (on appelle cela des goulots d'étranglement) ou, au contraire, des expansions. Tous ces événements se reflètent dans les modèles de répartition des gènes, dont l'étude est évidemment devenue essentielle aux sciences de l'évolution, et fort importante en écologie. Cette "écologie moléculaire" est une autre manière de comprendre la diversité et la complexité du vivant.

Célé et Viaur: comment chaque espèce répond à la fragmentation
Qu'a fait l'équipe de Simon Blanchet et ses collègues (Eco-Ex Moulis USR 2936 CNRS, Laboratoire Evolution et diversité biologique UMR 5174, CNRS U. Paul Sabatier, Centre de biologie et de gestion des populations, Campus de Baillarguet) dans la première étude de 2010?

Les chercheurs ont comparé la diversité génétique de quatre espèces d'eaux vives – le chabot (Leuciscus cephalus), la vandoise (Leuciscus leuciscus), le goujon (Gobio gobio) et le vairon (Phoxinus phoxinus) – dans deux rivières du bassin Adour-Garonne. Le Viaur est considéré comme très fragmenté avec plus de 50 petits barrages non équipés de passes et deux grands barrages hydro-électriques de 30 m construits dans la première partie du XXe siècle. Le Célé n'est que peu fragmenté (10 petits barrages pour la plupart équipés de dispositifs de franchissement). Les deux rivières ont l'avantage d'être dans la même hydro-éco-région, d'avoir des linéaires (168 et 136 km), des bassins versants (1530 et 1350 km2) et des gammes de débits (8-25 et 7-30 m3/s) très comparables.

Le résultat confirme qu'il existe une moindre diversité génétique dans la rivière la plus fragmentée (Viaur). Le tableau ci-dessous montre par espèce les différences pour la richesse allélique (en haut), l'hétérozygotie (au milieu) et la structure génétique des populations Fst (en bas), les barres noires étant l'écoulement le plus continu et les barres grises étant le flot le plus fragmenté.

Un résultat important du travail de recherche est que toutes les populations ne répondent pas de la même manière à la fragmentation. Une autre découverte (inattendue) est que la plus petite espèce est celle qui répond le moins en terme de perte de la diversité génétique, alors que l'hypothèse inverse était testée (une espèce de taille plus importante est supposée avoir une capacité de dispersion et de brassage aussi plus importante, toute choses égales par ailleurs). Ce sont finalement les espèces de taille moyenne qui répondent le plus dans les rivières étudiés.

La suppression d'obstacles n'est pas forcément une solution
Les auteurs produisent de surcroît plusieurs remarquent intéressantes. D'abord, et nous verrons que cette réserve a du sens, ils soulignent que cette structure génétique peut être une "relique du passé ou un biais génétique vers l'aval", même si beaucoup d'autres travaux de la littérature trouvent une diversité génétique moindre en rivière fragmentée. Ensuite, ils rappellent : "il est important de noter que nos résultats préliminaires sur les caractéristiques écologiques de ces populations de poissons (voir table 1) indiquent que, d'un point de vue écologique, ces populations n'ont pas souffert intensivement des changements dans la diversité et la structure génétiques que nous rapportons ici. Il est donc possible que ces espèces aient connu des changements évolutifs qui leur permettent de faire avec la fragmentation (et les changements génétiques associés) et/ou que les conséquences génétiques rapportées ici ne sont pas assez fortes pour influencer significativement la fitness [valeur adaptative, NDR] biologique des populations".

Enfin, Simon Blanchet et ses collègues font observer à propos des solutions possibles pour diminuer l'impact de la fragmentation (empoissonnement, suppression de l'obstacle, passes à poissons, transfert de populations) : "Pour des ouvrages comme ceux de la rivière Viaur (la plus fragmentée), la suppression d'obstacles n'est pas une solution car ces ouvrages datent du Moyen Âge (voir aussi Raeymaekers et al. 2009) et sont donc une part de la culture et du patrimoine local. Cependant, il existe des données selon lesquelles la construction de passes à poissons peut être un outil de restauration efficace pour préserver à la fois l'intégrité génétique des espèces piscicoles et l'authenticité des ouvrages (Raeymaekers et al. 2009)".

Les flux géniques des populations, un processus complexe
Ce n'est pas tout. Utilisant les mêmes données, les chercheurs ont dans une étude ultérieure (Paz-Vinas et al 2013) appliqué trois techniques de phylogénie moléculaire (Bottleneck, M-ratio, MSVAR). Deux d'entre elles montrent que les populations de poissons des deux rivières auraient connu un goulot d'étranglement démographique et génétique. Cet événement serait intervenu "voici plus de 800 ans et donc avant la construction des seuils et barrages". La même étude suggère que l'asymétrie du flux génique dans un écoulement peut donner de faux signaux d'expansion.

C'est à cette dernière question qu'est consacrée le troisième travail des chercheurs recensé ici (Paz-Vinas et al 2015). Par une méta-analyse dont nous ne décrirons pas les méthodes en détail, les auteurs montrent que l'accroissement vers l'aval de la diversité génétique intraspécifique (DIGD en anglais pour "downstream increase in intraspecific genetic diversity") est une tendance que l'on retrouve dans la plupart des taxons, en particulier ceux dont la dispersion emprunte le seul milieu aquatique (et non aérien et aquatique, comme par exemple certains invertébrés).

La modélisation des données suggère que ce phénomène de DIGD n'est pas seulement dû au coût énergétique associé à l'asymétrie du flot qui favorise l'émigration vers l'aval, donc la perte relative de diversité génétique à l'amont. Il semble qu'au moins un autre mécanisme soit impliqué pour expliquer le pattern observé (disponibilité de l'habitat plus importante à l'aval ou effet fondateur dû à la taille modeste de populations engageant des colonisations orientées vers l'amont).

Discussion: l'intérêt d'une communication scientifique équilibrée
Notre intérêt pour les travaux de S. Blanchet et de ses collègues avait été aiguisé par un document de vulgarisation de l'Agence de l'eau Adour-Garonne (lien, pdf). Comme on le constatera en téléchargeant ce fichier, il en ressortait que la fragmentation de rivière par les seuils pose de bien gros problèmes aux poissons. La lecture de la source primaire (l'article paru dans la presse scientifique revue par les pairs, recensé ci-dessus) sur la question génétique fait apparaître des positions plus nuancées.

La communication de travaux scientifiques vers le grand public n'échappe évidemment pas aux travers de la simplification (notre site ne prétend certes pas en être exempt!). Quand la communication provient d'un gestionnaire public (Agence de l'eau) qui possède une influence certaine sur nos choix d'aménagement en rivière, en l'occurrence sur le destin du patrimoine hydraulique, on attend une certaine prudence dans l'expression des nuances, des incertitudes, du niveau de maturité et donc de confiance dans les résultats d'un domaine de recherche. (Notons cependant qu'en comparaison de ses consoeurs en Seine-Normandie et en Loire-Bretagne, l'Agence Adour-Garonne promeut des choix de gestion plus équilibrées et plus concertées).

La science des rivières, multidisciplinaire, est tout à fait passionnante et foisonnante : il serait dommage d'en donner une vision caricaturale de certitudes arrêtées, bien éloignées de la curiosité naturelle des équipes de recherche et de la complexité de leur domaine d'investigation. Il serait aussi dommage de se précipiter dans l'action à l'invocation de cette science pour constater ensuite certains effets secondaires indésirables. Ce ne serait pas rendre service à la recherche que de l'éloigner des citoyens en la faisant percevoir comme un mauvais guide, ce qu'elle n'est pas.

Pour conclure, rappelons que la fragmentation est aussi l'une des causes de biodiversité dans l'évolution – c'est notamment une des raisons pour lesquelles on trouve par unité de surface tant d'espèces différentes dans les masses d'eau continentales, davantage fragmentées et isolées que le milieu océanique. A l'échelle de l'évolution, les mécanismes d'isolement génétique peuvent produire des extinctions locales s'ils pénalisent la capacité adaptative à un changement de milieu. Mais ils peuvent produire aussi bien des émergences de nouvelles espèces, ou des adaptations favorables. Il faut se garder de tout simplisme dans ces matières complexes, et déjà travailler à améliorer nos connaissances. La phylogénie moléculaire a notamment un énorme potentiel pour retracer l'histoire des peuplements de rivières là où manquent les archives historiques de pêche comme les témoins fossiles.

Références
Blanchet S et al (2010), Species-specific responses to landscape fragmentation: implications for management strategies, Evol Appl, 3, 3, 291–304
Paz-Vinas I et al (2013), The demographic history of populations experiencing asymmetric gene flow: combining simulated and empirical data, Mol Ecol, 22, 12, 3279-3291
Paz-Vinas I et al (2015), Evolutionary processes driving spatial patterns of intraspecific genetic diversity in river ecosystems, Mol Ecol, 24, 18, 4586–4604

Merci à Simon Blanchet de nous avoir fait parvenir ces travaux.

02/11/2015

L'écologie est-elle encore scientifique? Un essai salutaire de Christian Lévêque

Directeur de recherche émérite à l'IRD, hydrobiologiste et spécialiste des milieux aquatiques continentaux, Christian Lévêque s'alarme du statut de l'écologie comme science. Orpheline d'une explication déterministe et universelle des écosystèmes, l'écologie a découvert la dimension locale, contingente, dynamique et ouverte de son objet d'étude, ainsi que le caractère indissociable des anthroposystèmes et des écosystèmes dans l'évolution récente. Cette complexité appelle un retour à l'observation sur le terrain comme de nouvelles démarches multidisciplinaires. Pourtant, l'écologie menace de se dissoudre dans l'instrumentalisation de son discours par des gestionnaires en attente d'objectifs simples ou des conservationnistes en quête de messages militants. La politique de l'eau, que le chercheur connaît bien pour en être une figure, est le lieu de toutes ces tentations. Introduction à un essai essentiel pour comprendre les rapports difficiles de la science, de la politique et de la société.

Il est des essais dont la recension est difficile, car chaque page ou presque semble comporter une idée essentielle, et de surcroît une idée très bien formulée par son auteur. Dans ces conditions, vous avez envie soit de tout citer, soit de vous contenter d'un ordre lapidaire: "lisez-le!". L'ouvrage de Christian Lévêque appartient à cette catégorie.

Christian Lévêque est hydrobiologiste, spécialiste en écologie des eaux continentales, lacs et rivières tropicales. Il a publié sur la systématique, la biologie et l'écologie des poissons d’eau douce africains, ainsi que sur la biodiversité et développement durable, poursuivant ses travaux de recherche par une oeuvre de vulgarisation. Directeur de recherche émérite à l'IRD, il a mis souvent mis son expertise au service de l'action publique, notamment au Conseil scientifique des Agences de l’eau Rhône-Méditerranée et Seine-Normandie. Ce parcours donne évidement toute légitimité à une réflexion sur l'évolution de l'écologie scientifique, en particulier sur ses rapports avec les gestionnaires et dans le domaine de l'eau.


L'écologie en quête d'une maturité conceptuelle
Comme nos lecteurs le savent bien, notre association s'est étonnée à plusieurs reprises des décalages entre l'écologie des rivières telle qu'on peut la découvrir dans les travaux de la littérature scientifique "primaire" et la même écologie des rivières telle qu'elle transparaît dans les textes ou actions des gestionnaires, voire des groupes militants. Nous avons aussi souligné, à de multiples reprises, combien la communauté des chercheurs est parcourue de débats internes, bien loin de l'unanimité et de la confiance affichées dans le discours public. On trouve dans l'essai de Christian Lévêque quelques explications de cet état de fait.

L'écologie est une science qui se construit sans avoir clarifié "l'étendue et la cohésion des champs disciplinaires" qu'elle recouvre. C'est aussi une science qui se trouve dédiée à la problématique devenue très politisée de l'environnement – au point qu'il faut parler de l'écologue pour évoquer le chercheur mais de l'écologiste pour désigner le militant politique ou associatif. L'idée que les deux seraient parfaitement isolés dans la réalité est illusoire, nous prévient C. Lévêque, qui évoque les "relations incestueuses" de l'écologie scientifique avec diverses formes d'engagement. Pourquoi cette porosité assez inhabituelle dans le champ scientifique? Un premier reproche adressé par Christian Lévêque à l'écologie scientifique est son manque de maturité conceptuelle: "l'écologie scientifique a engagé sa crédibilité sur son aptitude à conseiller la société en matière de gestion des milieux naturels. Cette réflexion passe nécessairement par une clarification des concepts et des termes utilisés. L'écologie abuse de l'utilisation de termes flous, ou ambigus, de mots valises où chacun croit trouver ce qu'il vient chercher", souligne le chercheur.


Le péché fondateur: le mythe d'une nature stable et perturbée par l'homme
La difficulté de l'écologie à circonscrire son objet provient en partie d'un péché originel des pères fondateurs, qui n'ont pas envisagé l'étude des milieux en toute généralité, mais très rapidement l'étude des milieux naturels tels qu'ils sont menacés ou perturbés par l'homme. Le recours à un processus de dramatisation (le péril, la catastrophe, etc.) est toujours efficace en rhétorique et en communication… mais il ne fait pas bon ménage avec une science moderne dont la légitimité repose sur l'absence de jugement de valeur et la caractérisation neutre du monde tel qu'il fonctionne.

Plus profondément – car on sait après tout que chaque science use de procédés un peu dramatisants pour "vendre" ses résultats de recherche à l'opinion et au financeur –, l'écologie scientifique a longtemps été saisie d'un paradoxe épistémologique : étudier la nature telle qu'elle serait sans l'homme, bien que l'homme change tous les processus naturels depuis quelques dizaines de milliers d'années… et bien qu'il soit lui-même un processus naturel! "La nature n'est ni bonne, ni mauvaise, elle est indifférente, rappelle Christian Lévâque. L'écologie doit présenter le plus objectivement possible les conséquences des actions de l'homme, qu'on les considère comme négatives ou positives selon nos critères. Elle doit surtout afficher beaucoup plus clairement que les milieux sur lesquels elle travaille sont des systèmes anthropisés. Elle n'a pas à entretenir la nostalgie des systèmes vierges qui relèvent le plus souvent de la mythologie, mais à travailler dans la perspective d'une meilleure co-évolution (sur la base de critères locaux à débattre) entre les milieux naturels et les activités humaines".

Toute une écologie scientifique ancienne, des années 1920 aux années 1980, particulièrement dans le monde anglo-saxon, puise ses paradigmes dans le mythe du Jardin d'Eden : la nature serait forcément équilibrée et harmonieuse, l'activité humaine serait nécessairement perturbante et dégradante. Des notions comme le "climax", la "stabilité", la "résilience" ont émergé dans la littérature écologique pour essayer de rationaliser cet a priori de l'équilibre. Les sciences de l'évolution, du climat, de la terre et même de l'univers n'ont eu de cesse de dresser un portrait inverse de la nature : celle-ci est en évolution permanente à toutes les échelles d'espace et de temps, la notion de "fixité" étant peu à peu reléguée au rang des croyances religieuses anciennes ou des naïvetés cognitives tenant à notre faible profondeur d'observation. Curieusement, l'écologie semble encore très sensible à un imaginaire que d'autres disciplines ont abandonné de longue date en raison de sa non-scientificité.


Politique de l'eau: le chercheur appelé à cautionner un "bon" état 
"Si le principe de l'état d'équilibre des écosystèmes est largement remis en cause en écologie, on continue malgré tout d'y faire référence, notamment chez les gestionnaires et dans le public, observe C. Lévêque. Or les systèmes écologiques ne sont pas statiques: leurs dynamiques s'inscrivent sur des trajectoires dont l'orientation est contrôlée à la fois par des paramètre biophysiques et des paramètres socio-économiques". Le domaine de l'eau, que l'auteur connaît bien, est exemplaire de ce flottement. L'auteur cite par exemple l'analyse de Morandi et Piégay 2011 d'où il ressort que sur 480 actions de "restauration de rivière", 50% ne mentionnent pas d'objectifs explicites et 71% ne répondent pas à des dysfonctionnements précis. On restaure parce qu'il serait forcément bon de restaurer, comme s'il allait de soi qu'un recul local d'une influence anthropique rétablirait l'équilibre… combien de fois avons-nous souligné le non-sens des tautologies gestionnaires?

De même, Christian Lévêque souligne que le "bon état" écologique ou chimique d'une masse d'eau n'a jamais été un concept scientifique, bien que des chercheurs aient pu conseiller les fonctionnaires européens en charge de la Directive cadre 2000 sur l'eau : "Comme pour l'intégrité ou la santé des écosystèmes, les scientifiques ont beaucoup de mal à définir et caractériser ce bon état! Empiriquement, on sait remodeler les écosystèmes, réduire la pollution et restaurer certains habitats. Autant d'activités anthropocentrées qui répondent à nos besoins de protection en matière de santé et d'alimentation, ainsi qu'à nos besoin d'activités ludiques ou de récréation. Mais on ne répond pas pour autant à la question : comment qualifier dans l'absolu le bon état écologique!"

A l'aune de cette confusion, on risque de produire une mauvaise politique (ce qui n'est pas si rare, et pas si grave pour le gestionnaire habitué à plus d'une faillite discrète de ses réformes) mais surtout une mauvaise science (ce qui est bien plus gênant pour le scientifique, dont la légitimité s'alimente à la rigueur et à l'indépendance de ses recherches).


Pour une approche multidisciplinaire et intégrative, revenant à l'observation de terrain
Le problème reste donc aigu : "L'écologie est instrumentalisée par l'écologie politique, les mouvements conservationnistes et l'économie. Le discours écologique qualifié de 'scientifique' est en réalité souvent teinté de jugements de valeur et d'a priori idéologiques", pose le chercheur. Du côté de l'écologie politique, le problème est assez évident, un chercheur n'a pas pour vocation de défendre un projet de société (ou alors il change de carrière). Du côté du mouvement conservationniste, c'est tout autant problématique : la défense des espèces et des biotopes menacés est forcément populaire… mais l'idée d'une conservation de la nature dans un état stable avec exclusion plus ou moins explicite de toute "perturbation anthropique" reste non-scientifique. Quant à l'économie (avec le droit), invitée à la table par le lien étroit entre l'écologie et les gestionnaires, elle voit s'offrir un boulevard d'opportunités avec les idées (assez molles) de "services rendus par les écosystèmes", de "compensation", etc. L'écologue regarde pourtant avec une certaine suspicion l'intérêt scientifique de ces comptes d'apothicaire où l'on prétendrait évaluer des gains, monétiser des pertes, poser des équivalences écosystémiques comme outils d'échange.

Quel avenir pour l'écologie comme discipline scientifique? Christian Lévêque donne des pistes. D'abord fuir les instrumentalisations politiques et économiques, poser la liberté de la recherche et refuser la fonctionnarisation au service de visées applicatives à très courte vue. Ensuite redevenir une science de terrain face à "une inflation des recherches dites théoriques, privilégiant les mathématiques (c'est plus chic) et les recherches en microcosmes (c'est plus simple). L'écologie y perd ainsi son âme de science d'observation. les soi-disants théories qui en découlent sont le plus souvent déficientes quand on les confronte aux réalités du terrain." Enfin assumer sa "triple paternité" : science de la vie, science de la terre et sciences de la société. Cela implique une démarche multidisciplinaire et intégrative, comme on l'observe en épidémiologie, en biologie ou en climatologie. Une démarche utile à la société car capable de démontrer l'interpénétration des anthroposystèmes et des écosystèmes, d'analyser les mécanismes de leur co-évolution, d'indiquer quelques causes et effets probables à l'oeuvre dans nos milieux.

Si les quelques milliers de personnes en charge de la gestion locale ou nationale des rivières et des milieux aquatiques pouvaient lire l'essai de Christian Lévêque pour en nourrir un certain recul critique, nous gagnerions beaucoup en intelligence de l'action.

Référence : Lévêque C (2013), L'écologie est-elle encore scientifique?, Quae, 143 p.

A lire également : Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015)

Illustrations : Bierry-les-Belles-Fontaines, un hydrosystème anthropisé. Pour tout un pan du mouvement de conservation, le milieu naturel est forcément antagoniste de l'influence anthropique, l'intégrité biotique prenant pour référence une nature sans homme. Le gestionnaire parfois séduit par l'objectif de "renaturation" ne sait guère où fixer le curseur du bon état écologique de la masse d'eau, et sombre aisément dans la confusion.