21/06/2016

Continuité écologique: les députés Valax et Bourdouleix posent les questions qui dérangent

Tandis que la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Environnement tente d'apaiser les parlementaires par des informations lacunaires et trompeuses, nombre d'entre eux savent parfaitement que les choses ne s'améliorent pas. Echec de la charte des moulins, progrès de la demande de moratoire sur l'exécution du L 214-17 CE, insistance sur les coûts exorbitants d'aménagements peu financés par les Agences de l'eau (au moins par certaines), désarroi des propriétaires privés ou publics menacés de destruction de leurs biens, interrogation sur le caractère raisonnable des choix français par rapport à la pratique des autres pays européens… la DEB ne pourra esquiver indéfiniment la réponse aux excès et outrances qu'elle a couverts dans la politique des ouvrages hydrauliques depuis le PARCE 2009 et le classement 2012. 




Depuis 2 ans, on doit atteindre la centaine de questions parlementaires sur le problème de la continuité écologique et des moulins. Le rythme ne faiblit pas et nous pouvons d'ores et déjà pronostiquer qu'il va reprendre de plus belle à la rentrée parlementaire de septembre, vu les effacements encore programmés malgré la demande de Ségolène Royal de les suspendre provisoirement.

Question N° 96142 de M. Jacques Valax (Socialiste, écologiste et républicain - Tarn )
M. Jacques Valax attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur les moulins qui constituent des ressources économiques et énergétiques ainsi qu'un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable en France. La circulaire du 25 janvier 2010 qui prône soit l'effacement systématique des ouvrages issus des moulins, soit l'obligation d'équipement par dispositif de franchissement conduit à des dépenses exorbitantes pour leurs propriétaires privés ou publics. Sans remettre en cause le principe de continuité écologique, il semblerait nécessaire d'analyser l'efficacité réelle de la mise en œuvre de cette circulaire sur la qualité des milieux et surtout d'en assurer la faisabilité pour les maitres d'ouvrages qu'ils soient privés ou publics. Aujourd'hui, très peu de propriétaires privés sont capables de supporter financièrement le coût des modifications même si elles sont fortement subventionnées. Il souhaiterait donc connaître comment s'organisent les autres États de l'Union européenne sur ce dossier et lui demande de bien vouloir envisager de définir, en concertation avec toutes les parties prenantes, les conditions d'une mise en œuvre plus équilibrée de la continuité écologique afin de permettre également la sauvegarde des moulins à eau.

Question N° 95822 de M. Gilles Bourdouleix (Non inscrit - Maine-et-Loire)
M. Gilles Bourdouleix attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur la destruction en cours des 60 000 moulins de France. Le 3e patrimoine historique bâti de France fait l'objet d'une application déraisonnée et excessive de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006, suite à l'application de la circulaire du 25 janvier 2010 dite « Borloo » qui prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins. Les moulins de France constituent des ressources économiques, énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. Pourtant, l'administration refuse de considérer la valeur patrimoniale de ces usages en les réduisant à des « obstacles » à la continuité écologique. Or les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique mais à l'application excessive qui en est faite. C'est pourquoi il est absolument nécessaire et urgent de trouver une solution entre la gestion équilibrée de la ressource en eau et la préservation du patrimoine. La réunion de travail conjointe entre les deux ministères (environnement et culture) n'a abouti à aucune solution concrète pour sauvegarder le patrimoine hydraulique. Alors qu'une nouvelle mission vient d'être demandée au CGEDD, actant ainsi l'échec des conclusions de la précédente mission dans les territoires, la situation continue de se dégrader (échec récent de la signature de la charte des moulins et demande d'un moratoire sur le classement des rivières). Il souhaite donc connaître ses intentions pour permettre une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau dans le respect du patrimoine et des obligations de la France dans le cadre de la DCE2000 et remédier enfin aux situations de blocage avec l'administration.

Conclusion
Les 12 fédérations et syndicats, 300 associations de terrain, 1000 élus locaux qui soutiennent déjà le moratoire sur la continuité écologique sont disposés à se battre pour que cesse la politique de destruction du patrimoine hydraulique de notre pays. Les solutions sont simples : reconnaissance non ambiguë de l'existence légitime des moulins et usines à eau ; choix d'aménagement conditionnés par la possibilité préalablement démontrée d'atteindre un objectif DCE sur une masse d'eau ou par la protection elle aussi démontrée d'une espèce réellement menacée ; financement public des dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire. L'interpellation des élus, la dénonciation des pratiques administratives et la préparation des actions contentieuses collectives sur chaque rivière se poursuivront aussi longtemps que se poursuivra le déni du Ministère de l'environnement sur l'échec de la première mise en oeuvre de la continuité écologique et la nécessité de sa réforme en profondeur.

Le 25 juin, venez aux 4es Rencontres hydrauliques de notre association pour analyser les dernières évolutions de la politique de l'eau, affirmer la fierté des ouvrages hydrauliques et lancer la reconquête des rivières humaines face aux tenants des rivières "renaturés" à la pelleteuse !

19/06/2016

Bessy-sur-Cure : premiers arguments pour une sauvegarde du seuil et de son plan d'eau

L’association Hydrauxois a été saisie par ses adhérents de la commune de Bessy-sur-Cure afin de participer à la recherche d’une solution raisonnable et viable sur les aménagements des ouvrages hydrauliques formant le plan d’eau de la Commune. Il apparaît que les deux solutions actuellement avancées ne sont pas recevables : soit un effacement, qui soulève une vive opposition en raison du caractère structurant du plan d’eau ; soit un aménagement très lourd de franchissabilité, qui n’est pas solvabilisé en l’état des financements publics. Nous publions un extrait de notre premier rapport en défense des ouvrages de Bessy-sur-Cure, montrant notamment la force des enjeux patrimoniaux et sociaux du plan d'eau, en même temps que la faiblesse objective des enjeux écologiques sur la Cure aval. La destruction n'est pas une option, en particulier sur une rivière où les grands barrages (Crescent, Settons) sont sans projet de continuité piscicole et sédimentaire. 



Le caractère structurant de l’ouvrage et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure
Le seuil de Bessy-sur-Cure a été régulièrement entretenu depuis les années 1980, comme le montrent l’historique précis des chantiers de l’Association de sauvegarde et les dons faits par l’Association à la Commune. Cet ouvrage hydraulique et ses abords ne peuvent être désignés comme étant en état d’abandon. Au contraire, en raison du fort investissement local dans la préservation du site, la perspective de sa destruction totale ou partielle est très mal vécue.

Nous contestons fermement le propos tenu par M. le Préfet sur le supposé état de «délabrement avancé» de l’ouvrage avancé dans son courrier du 04/12/2015. Voici les éléments d’appréciation du génie civil tels qu’ils ressortent du diagnostic NCA 2014 :


Ces observations ne permettent pas de conclure à un état de «délabrement avancé» : les besoins de reprises sur l’ouvrage sont assez classiques pour ce type de construction, conçue en «seuil poids» triangulaire ou trapézoïdal avec des organes mobiles de petites dimensions, et ces besoins s’inscrivent dans la gestion normale d’un ouvrage subissant régulièrement l’assaut des crues. Un chiffrage réaliste du coût des reprises nécessaires sera recherché par l’association et les riverains.

Le seuil  a une dimension « structurante » pour le site et la population, ce dont témoignent de manière convergente les observations suivantes (pour la plupart présentes dans le diagnostic NCA 2014, avec certains compléments) :

  • Le relèvement artificiel de la ligne d’eau par le seuil de Bessy favorise l’alimentation et le soutien de la nappe d’accompagnement. Deux captages d’eau (sur trois) sont dans l’emprise du remous liquide de la retenue et bénéficient de son soutien de nappe.
  • Le plan d’eau est associé à de nombreux usages locaux : pêche, baignade, canotage, aires de détente. Il fait l’objet d’une signalétique dans le village indiquant son intérêt pour les habitants et les touristes. 
  • Le plan d’eau bénéficie d’un fort attachement de la population locale, incarné par la pétition pour sa sauvegarde (environ 1100 signatures), l’existence d’une association dédiée à son entretien, la vive émotion suscitée dès 2011-2012 par l’hypothèse d’une destruction du site, la mobilisation associative et citoyenne en faveur du maintien du paysage actuel de retenue.
  • Les ouvrages représentent un potentiel énergétique qui pourrait être mobilisé dans le cadre fixé par la loi de transition énergétique et par les dispositions aujourd’hui soutenues par le Ministère de l’Environnement (territoires à énergie positive, appels d’offres sur les énergies bas-carbone). 
  • Plusieurs riverains se situant dans l’abord direct du remous liquide de la retenue ou du bras de dérivation ont exprimé leur souhait de voir préservée la valeur foncière de leur propriété (valeur directement liée à cette riveraineté du plan d’eau ou du bief en eau, au paysage qu’elle offre ou aux usages qu’elle permet).
  • La propriétaire et le bailleur ont manifesté leur attachement à la valeur historique et patrimoniale de l’ouvrage hydraulique, témoignage vivant du rôle de l’hydraulique dans l’occupation humaine de la vallée de la Cure.


Des générations d'habitants se sont baignées dans le plan d'eau du village, qui a été régulièrement entretenu. Les riverains et habitués n'acceptent pas que cet espace de vie et de loisir soit rayé de la carte pour des motifs écologiques assez secondaires au regard du bon état de la masse d'eau et de l'absence d'impacts graves démontrés. Voir les crédits photos en bas de cet article.

En complément de ces éléments, il convient aussi de souligner que l’évaluation du coût d’un chantier d’effacement à 50 k€ HT (NCA, rapport de phase 2, 2015) n’est pas réaliste. Outre les fortes contraintes (analyse et gestion des sédiments, consolidation des berges et bâtis menacés, mise en place d’un suivi, etc.) et la probable complexité juridique (risque de contentieux), ce type de chantier implique d’accompagner la disparition du site par des restaurations paysagères ainsi que des compensations ou indemnisations pour les tiers lésés. Le coût d’un effacement non «bâclé» à Bessy-sur-Cure se situerait donc plutôt entre 500 k€ et 1 M€. A titre d’exemples en cours sur la région : coût estimé de 1,3 M€ pour effacer deux ouvrages (2 et 0,8 m) à Montbard, Artelia 2016 ; sur un petit site isolé avec 1 m de chute, 30 m de largeur en seuil mobile (moins complexe qu’un seuil fixe, vannes déjà déposées), pas d’enjeu de riveraineté ni d’usage, coût de 95 k€ d’un effacement à Belan-sur-Ource, Sicec 2016.

A retenir : L’ouvrage hydraulique et le plan d’eau de Bessy-sur-Cure ne sont pas en état de ruine, de délabrement ni d’abandon. Ils ont un caractère manifestement structurant en raison des usages et représentations associés. Ce constat paraît exclure l’hypothèse de leur effacement au titre de la continuité écologique. 

Les impacts écologiques de l’ouvrage de Bessy-sur-Cure dans leur contexte

Impact sur les flux liquides : quasi-nul - Ces impacts sont reconnus par NCA comme négligeables par rapport à l’influence des grands barrages modifiant de manière substantielle l’hydrologie du bassin de la Cure et de l’Yonne.

Impact sur le transit sédimentaire :  négligeable - Il est reconnu que «les ouvrages ne modifient (…) que très peu la nature du substrat présent de l’amont et à l’aval de la zone d’étude. Le substrat dominant est de type sablo-graveleux avec un pavage caillouteux voire pierreux. Une légère diminution de la granulométrie du pavage peut être observée entre l’amont et l’aval des ouvrages » (NCA 2014). L’étude a mis en évidence une sédimentation régressive habituelle avec la présence d’un ouvrage (la retenue tend naturellement à se remplir de sédiments), mais pas de déficit notable à l’aval (pas d’érosion progressive) : « Cela met en évidence un déficit de transport solide qui peut se traduire par une érosion progressive en aval du seuil. Ce phénomène n’a pu être mis en évidence lors des reconnaissances de terrain.» (ibid.) Rappelons qu’en vertu des lois de l’hydraulique, un ouvrage de petite dimension a rapidement une influence quasi-nulle sur le régime sédimentaire : passé une phase de dépôt amont et érosion aval consécutive à la construction, le système atteint un nouvel équilibre où les crues assurent le transport solide par charriage et suspension. Les impacts des seuils de moulin sont sans commune mesure avec ceux des grands barrages qui ont une capacité de stockage sédimentaire de l’ordre du million de m3.

Impact sur la continuité piscicole : franchissabilité partielle - Les ouvrages ne posent pas de problème à la dévalaison des espèces, la continuité vers l’aval étant assurée dans de bonnes conditions en surverse ou en sous-verse par les différents points de passage (vannes, déversoirs, seuil). Concernant la montaison, les truites, brochets et anguilles adultes peuvent franchir les ouvrages à certaines conditions de hautes eaux ou, au contraire, de basses eaux (diagnostic NCA 2014). La franchissabilité est donc partiellement assurée, mais elle est altérée pour les espèces de petite taille ou les juvéniles.

Impact sur la physicochimie de l’eau : quasi-nul - Il est reconnu que l’eau de la Cure au droit du site et sur les stations de contrôle est en classe physico-chimique bonne ou excellente pour les critères DCE (MES,  O2 diss., DBO, DCO, nitrates, phosphates, pH, conductivité) «Les mesures réalisées mettent en évidence une eau conforme aux normes de la DCE sur les 3 stations de la Cure. Ces mesures ne mettent pas en évidence d’impact significatif des ouvrages.» (NCA 2014)

Dimension négligeable du seuil par rapport aux grands barrages, IPR excellent de la masse d’eau, peuplement historique à l’époque des moulins
Une opération de restauration physique de rivière représente des coûts publics souvent importants. Elle est susceptible de nuire fortement aux usages existants,  au cadre de vie des habitants, au patrimoine historique et paysager. Il en résulte qu’une telle opération doit être motivée par des gains écologiques significatifs (ou par une urgence démontrée) et qu’elle doit être proportionnée aux enjeux avérés. Outre les éléments rassemblés par NCA et précédemment rappelés, notre association souligne les points suivants.

- Les principaux « points noirs » en continuité piscicole, morphologie et thermie de la rivière Cure sont bien sûr constitués par les grands barrages (Settons, Crescent, Chaumeçon) qui ne sont pas dans les tronçons classés de la masse d’eau et qui ne font pas l’objet de projets d’aménagement (hormis une amélioration dans la gestion du débit réservé et du débit d’étiage, à effet relativement marginal par rapport à l’impact).

- Nous regrettons que NCA n’ait pas procédé à une analyse complète de biodiversité de la retenue : les poissons migrateurs et rhéophiles ne représentent que 0,2% de la biodiversité aquatique totale, les alternances lentiques-lotiques peuvent produire des gains de richesse spécifique (poissons, invertébrés, macrophytes) sur une masse d’eau, les milieux de retenues ont des intérêts pour des espèces non-aquatiques (oiseaux, mammifères), etc.

- Il a été montré par la recherche scientifique en histoire de l’environnement que les travaux des premiers icthyologues sont des sources recevables pour évaluer les trajectoires historiques de peuplement (voir Beslagic 2013 et la base Chips). En particulier, la monographie d’Emile Moreau sur les peuplements du bassins de l’Yonne (Moreau 1897, 1898) est considérée comme source fiable pour évaluer des abondances passées, complémentant ainsi les archives des pêches CSP-Onema. Le tableau ci-dessous montre les abondances à la fin du XIXe siècle, quand il y avait davantage de moulins sur le lit (dont celui de Bessy) qu’aujourd’hui. Principal enseignement : les espèces d’intérêt sont pour beaucoup assez ou très communes à l’époque où les moulins et leurs seuils étaient présents.


- L’Indice poisson rivière (IPR puis IPR+) est un indice normalisé, échantillonné par hydro-éco-région, servant à mesurer la qualité piscicole des masses d’eau pour le rapportage français à la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Entre 2008 et 2013, il y a eu 7 relevés IPR sur la Cure aval (Accolay, Voutenay-sur-Cure, Asquins). L’intérêt est que ces relevés ont été réalisés à l’amont (1) et à l’aval (6) du seuil de Bessy, ce qui permet que vérifier s’il y a dégradation sur le continuum fluvial. Tous les relevés IPR de la Cure aval sont dans la classe « excellente », c’est-à-dire la meilleure classe de qualité.


Il serait utile que l’Onema et la Fédération de pêche 89 produisent le détail des relevés piscicoles amont / aval afin d’analyser les densités de chaque assemblage et les scores internes constitutifs de l’IPR (richesse spécifique biomasse, composante de rhéophilie etc.). A noter : notre association ne considère pas la biotypologie de Verneaux 1976-77 (parfois utilisée par la DR Onema BFC et les FDPPMA) comme outil pertinent d’analyse, en raison des critiques faites depuis longtemps déjà sur la robustesse de sa construction hors du domaine franc-comtois (par exemple Wasson 1989) et surtout en raison des travaux Onema-Irstea réalisés à partir des années 2000 sur la zonation par hydro-écorégion et sur le nouveau panel statistique de référence des populations piscicoles. Ces points seront si nécessaire développés en accompagnement d’une future proposition de gestion et équipement du site.

Rappelons enfin que l’étude de phase 2 NCA 2015 a établi la franchissabilité partielle du pertuis de la vanne de décharge du moulin : « L’ouverture saisonnière du pertuis du moulin pour le scénario B offre une voie de passage préférentielle et franchissable pour une grande partie des espèces repères sur le cours d’eau (truite et brochet). Elle ne peut suffire toutefois à rétablir à elle seule la continuité piscicole de façon totale et satisfaisante à l’échelle du site compte tenu des autres voies d’eaux concurrentes existantes et de la sélectivité piscicole de l’ouvrage en configuration ouverte (difficultés de franchissement pour les petites espèces). »

La loi française ne demande pas une continuité «totale», mais une continuité pour les espèces «migratrices» à supposer que l’on démontre au préalable un déficit de migration entre l’amont et l’aval. En l’état des travaux de NCA, cette démonstration n’est pas apportée faute d’une analyse piscicole longitudinale et historique. Les éléments de ce chapitre montrent que la continuité partielle est avérée sur la masse d’eau.

A retenir : Au regard des éléments rassemblés par NCA et des compléments apportés par notre association, il apparaît que la rivière Cure est principalement impactée par des grands barrages sans projet actuel de franchissabilité piscicole et de transparence sédimentaire. Malgré cela, l’indice de qualité piscicole de la basse vallée de la Cure est de qualité excellente à l’amont comme à l’aval de Bessy-sur-Cure. Les impacts écologiques du seuil et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure sont négligeables sur la granulométrie et la morphologie aval,  sur la physico-chimie, sur le flux liquide. Les seuls impacts notables concernent la franchissabilité des petites espèces rhéophiles et des juvéniles de truites ou de brochets, mais le bon IPR indique que cela ne nuit pas au compartiment piscicole du classement écologique DCE (dont la circulaire de 2013 rappelait l’objectif prioritaire d’atteinte). Ces données actuelles convergent avec les données historiques.  Ces éléments soulignent combien une solution radicale comme l’effacement ou une solution coûteuse comme des passes toutes espèces serait disproportionnée à l’enjeu réel du site de Bessy-sur-Cure. Au demeurant, aucun objectif tangible de gain écologique n’a été associé aux premières propositions NCA : or, c’est seulement sur la base d’indicateurs précis et garantis de résultats dans le compartiment biologique que l’on peut prendre des décisions.

Conclusion provisoire : et la suite ?
Ce premier rapport fait apparaître :
- un fort attachement des riverains et propriétaires à l’hydrosystème existant ;
- une dimension structurante de l’ouvrage et de son plan d’eau au regard des usages ;
- des enjeux écologiques très modestes ;
- une masse d’eau en bon état sur les compartiments de la DCE 2000 concernés par les impacts éventuels de l’ouvrage, en particulier sur l’état piscicole excellent (malgré la présence de grands barrages infranchissables et sans projet d’aménagement à l’amont).

L’association Hydrauxois souhaite que :
  • les parties prenantes s’accordent sur le caractère disproportionné et inadapté de l’effacement des ouvrages de Bessy-sur-Cure ;
  • le bureau d’étude NCA formalise un nouveau projet d’aménagement cohérent avec ces enjeux écologiques (très faibles) et patrimoniaux (très forts), par exemple une solution simple de franchissement (plan de gestion des vannages, avec option passe rustique sans dérasement à la condition suspensive d’un financement public).
Dans l’hypothèse où ce ne serait pas possible pour le BE NCA, l’association aidera les propriétaires et les riverains à formaliser une proposition en ce sens, qu’elle soumettra en leurs noms au service instructeur (et à l’Agence de l’eau). Il conviendra alors d’échanger sur la recevabilité de la proposition, dans le cadre habituel d’une procédure contradictoire.

Quoiqu’il en soit, nous suggérons de ne prendre aucune décision tant que le processus initié par Mme la Ministre de l’Environnement ne sera pas arrivé à son terme : examen des recommandations du CGEDD pour sortir des blocages de gouvernance et de financement de la continuité écologique, examen des choix éventuels du Ministère pour adapter la mise en oeuvre à ces recommandations.

Photos de Bessy dans cet article : Gérard Charpentier, Martine Poinsot, Michel Français, tous droits réservés.

Pétition : une pétition pour la sauvegarde du plan d'eau a été ouverte.  

16/06/2016

Sauvegarde des moulins: faut-il croire Ségolène Royal ou le site de son Ministère?

La Ministre de l'Environnement a plusieurs fois appelé à cesser la destruction des moulins. La loi sur l'eau de 2006 n'a jamais envisagé cette issue. La loi Grenelle de 2009 non plus. Mais le site du Ministère de l'Environnement, dans une mise à jour récente, promet toujours de nombreuses destructions d'ouvrages pour motif de continuité écologique. Cette idéologie administrative de l'effacement n'a aucune légitimité démocratique, et sa violence institutionnelle empêche désormais toute avancée sur la gestion concertée des ouvrages.

Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".

Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".

Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."

Loi de 2006 votée par les représentants des citoyens: "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".

Mise à jour récente du site du Ministère de l'Environement: "Sur le plan écologique cependant, il est important de signaler que le gain apporté à la continuité et à l’hydromorphologie du cours d’eau, et donc à l’atteinte du bon état écologique, par la suppression totale ou quasi-totale d’un ouvrage, est sans commune mesure avec les autres types d’interventions. (…) C’est pourquoi cette solution est souvent mise en avant par les acteurs de la restauration de la continuité pour qu’elle puisse être étudiée et adoptée à chaque fois que cela est possible. (…) Compte tenu du nombre très important d’ouvrages dans les lits mineurs des cours d’eau (plus de 80 000 recensés officiellement en 2015) et du niveau de segmentation des cours d’eau et d’artificialisation de leur pente qui en découle, il est indispensable de supprimer un certain nombre d’ouvrages existants pour envisager d’atteindre le bon état."

Les choses sont donc limpides : une poignée de hauts fonctionnaires au sein du Ministère de l'Environnement continue de développer une idéologie administrative de la destruction des ouvrages hydrauliques, à l'encontre des textes de loi votés par les parlementaires, et maintenant des orientations publiques de leur ministre de tutelle.

Ce qui est tout aussi limpide : nous ne reconnaissons aucune légitimité démocratique (ni scientifique) à ces dérives d'interprétation visant à la destruction des ouvrages, et nous vous invitons à venir nombreux à nos prochaines rencontres hydrauliques du 25 juin, dont vous pourrez repartir avec cette banderole de résistance et de combat!


14/06/2016

Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"

La nouvelle idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, mise en place au cours des années 2000, est désormais connue dans son mécanisme argumentaire: exagérer par tout moyen les impacts écologiques des seuils et barrages pour mieux justifier leur suppression (ou entraver leur construction). Soit le contraire de ce qu'une idéologie administrative antérieure, sans doute aussi excessive et autoritaire, avait promu à l'âge d'or des Ponts & chaussées. Dans les arguments souvent entendus: les retenues des seuils et barrages favoriseraient l'évaporation de l'eau en été, ce qui dégraderait de manière conséquente la rivière. Il est certain que l'eau s'évapore davantage en été. Mais quand on regarde les volumes concernés, il est non moins certain que cela représente de très faibles quantités : l'ordre de grandeur est de quelques dixièmes de millimètres à quelques millimètres de hauteur de lame d'eau, ou quelques centilitres à quelques dizaines de litres/seconde pour des bassins versants entiers.

Dans une analyse sur les prétendues "idées fausses" sur la continuité écologique, le Ministère de l'Environnement affirme
"Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives."
Procédé habituel de la rhétorique manipulatrice: des adjectifs et des adverbes ("forte, fortement, importante, significative"), mais pas de chiffres ni d'ordres de grandeur. Dans une étude de 2003, sur laquelle nous reviendrons car elle a joué un rôle conséquent dans la construction de cette idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, Jean-René Malavoi évoque la question de l'évaporation. Le contexte de l'étude est celui de Loire-Bretagne. L'auteur écrit:
"Les effets des ouvrages sur l’hydrologie d’étiage (hors problèmes de débit réservé dans les tronçons court-circuités) sont assez modestes car liés essentiellement à l’évaporation dans le plan d’eau amont. 
Ils sont donc plutôt faibles mais peuvent éventuellement être importants en région chaude où l’évaporation est forte. Si l’on prend un taux d’évaporation moyen pour le bassin Loire Bretagne de 100 mm par mois, de juin à septembre (soit 100 l/m2), un plan d’eau de 10 m de large sur 1000 m de long (configuration classique pour un petit seuil sur un petit cours d’eau) évapore environ 1 million de litres par mois, soit 0.4 l/s.
Cela peut sembler dérisoire à l’échelle d’un ouvrage, mais l’effet sur des dizaines de retenues successives devient très significatif.
A titre d’exemple, les 81 seuils recensés sur la Sèvre Nantaise représentent un linaire en remous de l’ordre de 110 kilomètres, soit une surface de l’ordre de 165 hectares pour une largeur moyenne de 15 mètres. 
L’évaporation en période estivale sur cette superficie atteint 64 l/s, soit de l’ordre de 10 % du débit d’étiage quinquennal à Clisson (QMNA 1/5 = 682 l/s)." (Malavoi 2003)
Le QMNA 5 désigne les débits d'étiage sévère, dont le temps de retour est en moyenne d'une année sur cinq. La valeur de 10% de ce QMNA5 est donc très faible, même dans l'hypothèse d'effet cumulatif envisagé par Malavoi. Quand la rivière a si peu de débit, avec généralement des assecs et des pertes en zones karstiques, une modeste lame d'eau ailleurs,  les hauteurs d'eau plus profondes des retenues peuvent jouer un rôle de refuge / ressource pour une partie de la faune et de la flore. Le meilleur moyen de mesurer ces effets, ce serait de procéder à des campagnes de contrôle des peuplements aux périodes d'étiage – ce que l'Onema ne juge pas utile de faire, à notre connaissance (ci-dessous, exemple de rivière "renaturée" en été...).



Autre donnée, plus récente : le rapport préliminaire Irstea-Onema sur les impacts cumulés des retenues (Irstea 2016). On peut y lire les observations suivantes :
"La question de l'évaporation issue des retenues est ignorée dans une partie des études consultées. Quand la question est traitée, l'impact est supposé correspondre à la différence entre l'évaporation de l'ensemble des retenues et l'évapo-transpiration induite par un couvert végétal (souvent une prairie) d'une surface équivalant à celles des retenues. Parmi ces études, citons :
- l'étude d'impact de la zone des Trois Rivières (Rhône-Alpes) : la perte nette annuelle par évaporation induite par les retenues (630 km2) est estimée à 200 000 m3, soit 0,3 mm par unité de surface ou 6L/s. En juillet, cette perte atteint 68 000 m3 soit l'équivalent d'une lame d'eau de 0,11 mm sur l'ensemble du bassin versant ou d'un débit de 26 l/s. Cette perte correspond à la différence entre l'évaporation de la retenue et celle d'une prairie.
- l'EVP Layon (Pays de Loire): la différence entre volumes évaporé et évapotranspiré est nulle en dehors des périodes sèches (novembre-avril). Pour la période estivale (Juin-Septembre), la différence est d'autant plus importante que les étés sont secs : en 2003 la différence a atteint 6,7 Mm3 sur l'année, dont 5,9 Mm3 pour la période estivale (en 2003, p59-60 rapport), soit l'équivalent d'une lame d'eau de 5,3 mm/an, ou de 4,7 mm sur la période estivale (territoire du Layon-Aubance 1259 km2).
- l'étude d'impact de la DREAL Pays de Loire (Nov 2012) sur le Layon : les pertes par évaporation sont estimées à 100 mm par surface unitaire de retenues, ce qui correspond à 3 % du volume d'eau capté par la retenue au moment de son remplissage." (Irstea 2016)
On constate dans ces exemples des variations de niveau de la lame d'eau quelques dixièmes de millimètre à quelques millimètres. Pour donner un ordre de grandeur, un habitant consomme en moyenne 1875 m3/an d'eau en France, tous usages personnels et professionnels du territoire confondus (source Eaufrance). Donc une perte annuelle de 200.000 m3/an (cas des Trois Rivières), c'est l'équivalent de la consommation d'une grosse centaine d'habitants. Soit une quantité quasi-négligeable sur des bassins versants autrement peuplés, surtout si l'on intègre l'afflux estival de la saison touristique et les autres usages d'irrigation plus intensifs en été.

La conclusion est donc claire : il est exact de dire qu'une retenue favorise l'évaporation, il est inexact d'affirmer que ce phénomène impacte "fortement" la quantité d'eau disponible sur un bassin versant. La quantité évaporée ne fait pas la différence par rapport au débit d'étiage, et l'intérêt d'avoir des zones d'eau profonde liées aux retenues doit être estimé par des analyses de terrain sur toutes les espèces animales et végétales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La parole publique ruine la confiance des citoyens dans sa crédibilité en intentant des procès de si mauvaise foi aux ouvrages hydrauliques, alors que l'eau, l'air, le sol et le vivant sont si massivement altérés par ailleurs.

Références citées : Malavoi JR / AREA (2003), Stratégie d'intervention de l'Agence de l'eau sur les seuils en rivière (pdf), pp 37-38 ; Irstea (2016), Rapport préliminaire en vue de l'expertise collective sur les effets cumulés des retenues (pdf), pp. 19-20.

Illustration : filet d'eau du Vicoin à l'étiage, après effacement d'un seuil, opération présentée comme "exemplaire" par l'Onema. Pourquoi ne pas comparer les peuplements aquatiques (toutes espèces, pas que les poissons) dans les retenues et dans les écoulements libres lors des étiages sévères? Cela permettrait d'objectiver les choses, au lieu de véhiculer de généralités non réfutables. (Photo JM Pingault, tous droits réservés).

A lire en complément 
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

12/06/2016

Bourbre à Saint-André-le-Gaz: mobilisation contre un effacement d'ouvrage

La Fédération de pêche de l'Isère veut procéder à l'effacement partiel d'un ouvrage à Saint-André-le-Gaz en passant par une simple déclaration administrative, alors que les écoulements de la rivière Bourbre et du canal du Gaz seront modifiés sur plusieurs centaines de mètres. Les riverains, qui ne souhaitent pas échancrer le seuil, attendent au minimum une enquête publique pour faire valoir leurs droits. Et si possible une solution non destructive permettant de respecter les autres enjeux paysagers, patrimoniaux et aussi écologiques, avec une zone humide en partie alimentée par les pertes du canal. Mobilisation locale pour empêcher les travaux prévus dans quelques jours (mercredi 15 juin à 08:30) et intervention de notre association auprès de la Préfecture. Merci de diffuser cet article et de vous mobiliser pour aider les riverains à se défendre. Il est temps de dire non à la casse du patrimoine de nos rivières. 



Sur la rivière Bourbre, à Saint-André-le-Gaz (Isère), une étude de "restauration écologique du seuil d’alimentation du canal du Gaz" a été lancée en 2014 sous la maîtrise d'ouvrage de la Fédération départementale de pêche. Plusieurs fois remanié, ce canal date de l'Ancien Régime. Il a alimenté un moulin, une usine textile, une centrale hydro-électrique. Ces usages ont disparu au cours du XXe siècle. L'actuel ouvrage répartiteur est très modeste, avec une chute comprise entre 0,8 et 0,9 m (voir photo ci-dessus).

Prime au poisson, mépris du patrimoine: Onema et fédé de pêche dans leurs oeuvres
La rivière Bourbre n'est pas classée en liste 2 sur ce tronçon amont : il n'y a donc pas d'obligation réglementaire d'aménager. Trois scénarios ont été proposés, avec des variantes. L'Onema Lyon a demandé le franchissement des truites, mais aussi d'autres espèces y compris non migratrices comme le chabot. Il a été affirmé que les droits d'eau étaient abandonnés alors que la convention de 2003 avec le syndicat sur cet abandon était expressément suspendue à la réalisation d'autres travaux, qui n'ont pas été réalisés (donc les droits d'eau ne sont pas caducs).


Extrait du diagnostic Burgeap 2014, droit de courte citation

Le diagnostic piscicole indique un IPR mauvais, sans que les diverses causes de détérioration de la qualité de l'eau et de son peuplement aient été analysées par le bureau d'études ni la Fédération de pêche. On observe (image ci-dessus, cliquer pour agrandir) que les populations des pêches de contrôle sont soit constantes, soit en hausse entre 1999 et 2011. On observe aussi que des espèces rhéophiles sont déjà présentes (truite, chabot, loche franche…), même si l'habitat n'est manifestement pas optimal pour elles. On ne connaît pas l'état des populations à l'amont ou l'aval de la zone d'influence du seuil, donc l'ignorance est à peu près complète sur les enjeux réels de ce chantier (voir cet article sur les techniques usuelles de manipulation de l'information et de l'opinion dans les chantiers de destruction).

Ce sont les pressions habituelles observées sur nos cours d'eau : franchissement pour toutes espèces au lieu de limiter à des enjeux migrateurs réels, gains piscicoles minuscules qui intéressent éventuellement les pêcheurs mais ne répondent pas spécialement à l'intérêt général des citoyens ni à des enjeux environnementaux significatifs, diagnostics écologiques incomplets car centrés sur les seuls poissons et n'analysant pas l'ensemble des impacts anthropiques, pressions sur les riverains pour pousser à des solutions inutilement coûteuses, mise en avant de la démolition au service des poissons, mais au détriment de tous les autres enjeux liés à l'hydraulique ancienne.

Echancrer le seuil sur simple déclaration… pour éviter une enquête publique?
La Fédé de pêche et l'Onema ont écarté les choix non destructifs et se sont orientés vers une large échancrure, équivalent à un arasement partiel. Cette solution n'a pas l'assentiment des riverains pour plusieurs raisons : préférence pour le confortement et l'aménagement de l'existant, baisse prévisible du débit alloué au canal, risque de moindre alimentation d'une zone humide latérale en Znieff (gérée par une association locale).

Un accord semblait possible sur la base d'un débit minimum d'étiage garanti à 120 l/s dans le canal. Mais il n'a pas été donné suite à cette proposition – ce qui indique combien certains ne sont pas disposés à des solutions raisonnables et consensuelles.

Les riverains ont eu la mauvaise surprise de découvrir que le chantier a fait l'objet d'une simple déclaration à la Préfecture, au lieu d'une autorisation. Or, les dossiers "loi sur l'eau" sont stricts dans leur procédure, comme le savent tous les usagers. La Fédération de pêche aurait-elle un régime préférentiel dont ne jouit pas le commun des mortels confronté à la complexité des dossiers d'autorisation?

A la demande d'un riverain, l'association Hydrauxois a saisi la Préfecture, la Fédération de pêche et le greffe du Tribunal administratif pour faire savoir qu'elle jugeait le chantier non réglementaire, car un linéaire de plus 100 m (rivière et canal, tous deux classés "cours d'eau") sera modifié dans son profil en long : cela doit faire objet d'une autorisation administrative avec étude d'impact, analyse des droits des tiers, enquête publique (art R 214-1 et art R 214-6 Code envir.). Si la Fédération de pêche veut passer en force, un constat d'huissier sera réalisé. Une plainte avec demande de remise en état et dommages sera déposée s'il est vérifié que le profil d'écoulement est changé sur plus de 100 m et que les services instructeurs comme le maître d'ouvrage ont volontairement ignoré notre requête.

Nota : la destruction du seuil est actuellement prévue le mercredi 15 juin au matin. Si vous êtes dans la région et si vous pouvez venir mercredi matin pour exprimer votre refus de cette destruction inutile du patrimoine hydraulique, nous vous demandons de votre mettre urgemment en contact avec M. Yves Gonnet (yves.gonnet1 (at) orange.fr), qui vous donnera les informations locales sur le suivi des événements.

Illustrations : photographies Yves Gonnet, tous droits réservés.

Ajout du 14 juin 2016 : on nous informe que le chantier a été suspendu. La mobilisation prévue le 15 juin au matin l'est aussi, mais notre vigilance reste entière.

10/06/2016

Populations biologiques à l'amont et à l'aval de petits barrages (Mueller et al 2011)

La continuité écologique "à la française" vise à effacer le maximum d'ouvrages en rivière, tout en avançant des informations très lacunaires sur les enjeux biologiques associés aux seuils et barrages. Les citoyens étant mal informés, ils pensent parfois qu'un ouvrage détruit une bonne partie du vivant. Il n'en est rien. Nous revenons ici sur l'une des (rares) études consacrées à des ouvrages de petite dimension, avec analyse du périphyton, des macrophytes, des invertébrés et des poissons. On s'aperçoit que l'impact est observable, mais qu'il n'a pas du tout le caractère de gravité que lui attribuent en France les gestionnaires de rivière. La variation des habitats produit une variation des espèces amont/aval dans la proximité du seuil, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose pour la biodiversité. Seule une vision intégriste de la conservation (supprimer tout habitat anthropisé comme "dégradé") défend la nécessité de détruire préférentiellement les singularités que représentent  les seuils et barrages en rivière. Nous devons sortir de ces dogmes et exiger des diagnostics complets sur chaque rivière, afin que les citoyens jugent en toute connaissance de cause de l'intérêt de la dépense publique en continuité écologique.

Melanie Mueller, Joachim Pander et Juergen Geist (Université de Münich) ont analysé 5 sites sur des rivières allemandes (Günz, Leitzach, Moosach, Sächsische Saale, Wiesent), aux modules allant de 2,64 à 8,35 m3/s, dotés de barrages de petite dimension (hauteur de 1,3 à 4,2 m), la plupart construits au XXe siècle.

L'objectif des auteurs est d'analyser les modifications biologiques et morphologiques induites par les ouvrages, afin de produire des données pour la construction d'un indicateur multivarié d'impact. Ils ont pour cela procédé à 15 analyses amont et 15 analyses aval, dans une zone d'influence très proche du barrage (quelques centaines de mètres).

Nous n'entrerons pas dans le détail de leurs observations, qui intéresse surtout le chercheur ou l'ingénieur. Nous allons nous concentrer sur l'effet biologique pour les 4 communautés observées, périphyton (algues essentiellement, 129 espèces), macrophytes (18 espèces, 13 familles), macro-invertébrés (93 espèces, 51 familles) et poissons (27 espèces, neuf familles, et une espèce d'agnathe, lamproie).


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation

Ce graphique ci-dessus compare pour l'amont (gris foncé) et pour l'aval (gris clair) trois scores : la richesse spécifique (total des espèces), l'indice de Shannon (mesure de biodiversité incluant la précédente avec des correcteurs) et l'équitabilité ("evenness", permettant de vérifier si les espèces se répartissent égalitairement dans la diversité ou si l'une domine très largement la métapopulation). Les "boites à moustaches" exposent la valeur médiane et les quantiles 25-75%, les pointillés indiquant les valeurs minima et maxima.

On constate que :
  • les populations amont et aval diffèrent;
  • les médianes de la population amont sont plus faibles que celles de la population aval;
  • les différences restent néanmoins modestes car les scores se superposent largement sur l'ensemble de leur distribution, et les médianes sont généralement très proches (sauf certains cas comme les invertébrés en richesse spécifique ou les macrophytes en indice de Shannon).  

Un deuxième schéma donne la bêta-diversité, c'est-à-dire la comparaison des populations présentes dans les écosystèmes amont-aval. Un score de 0 indique qu'il n'y a aucune espèce commune (donc une diversité maximale entre les deux écosystèmes), un score de 1 indique la parfaite identité de deux assemblages.


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation.

Le point intéressant à observer ici, c'est que nous sommes loin de l'identité entre l'écosystème amont et l'écosystème aval. Cela tend à indiquer que la différenciation des habitats se traduit aussi par une différenciation des espèces présentes. En d'autres termes, un gain de biodiversité totale.

Discussion
Du point de vue de l'écologue, ces variations sont certainement significatives. Du point de vue du citoyen, elles paraissent assez triviales. On sait que les habitats à l'amont et à l'aval d'un barrage diffèrent, on s'attend à ce que les populations biologiques diffèrent aussi puisqu'elles ne rencontrent pas les mêmes conditions de milieu. Et alors? En quoi est-ce grave pour le vivant?

C'est tout le problème d'une certaine posture présente dans les sciences de la conservation et de la restauration depuis leur naissance dans les années 1980: à partir du moment où l'on trouve une différence entre un habitat anthropisé et un habitat non anthropisé (et par définition, on en trouvera toujours), on va considérer que la réhabilitation du premier est plus ou moins une nécessité.

Même si elle paraît scientifiquement argumentée (par des calculs, des mesures, etc.), cette injonction à "renaturer" n'a en soi rien de particulièrement scientifique: les écosystèmes naturels / artificiels sont différents, dire que l'un est "bon" et l'autre "mauvais" relève d'un jugement de valeur étranger à l'exercice de la science (voir Lévêque 2013, nous reviendrons dans d'autres articles sur la genèse d'une confusion présente dès le début des sciences de la conservation). Dans l'exemple de Mueller et al 2011 ici commenté, on voit bien que l'enjeu n'est pas de choisir entre un système quasiment dépourvu de vivant d'un côté, un système d'une grande richesse d'un autre : les communautés sont diverses, au sein de chaque biotope comme entre eux.

Aujourd'hui, cette vulgarisation des résultats de la recherche n'est pas faite, alors même qu'on engage des programmes de conservation ou de restauration généralistes, non pas centrés sur des espèces en danger critique d'extinction ou sur des "points chauds" de biodiversité, mais sur des reprofilages fonctionnels des bassins versants entiers. Ce qui a un coût considérable, des effets indésirables sur les usages de l'eau et sur d'autres facteurs d'intérêt écologique. Or, la société a le droit de se voir exposer les détails de ces programmes, d'obtenir la mesure de l'impact au départ et du gain écologique attendu, d'estimer si la dépense d'argent public est justifiée, de juger si l'état futur de l'hydrosystème renaturé est, ou non, préférable à l'état actuel de l'hydrosystème anthropisé.

Ceux qui entretiennent la société dans l'ignorance sur ces questions sont ceux qui profitent de cette ignorance. La dépense publique en écologie n'a pas à satisfaire des intérêts sectoriels ni à conforter des mandarinats locaux: elle doit améliorer la qualité écologique des milieux, pour cela déjà décrire leur état et comprendre leur dynamique, tout en intégrant les attentes sociales des riverains et usagers.

Référence : Mueller M et al (2011), The effects of weirs on structural stream habitat and biological communities, Journal of Applied Ecology, 48, 6, 1450-1461

08/06/2016

Davantage de richesse taxonomique chez les invertébrés aquatiques depuis 30 ans (Van Looy et al 2016)

Bonne nouvelle pour les rivières françaises: des scientifiques montrent que la richesse taxonomique des macro-invertébrés (comme les insectes) a augmenté de 42% entre 1987 et 2012, sur 91 sites étudiés par des séries longues et homogènes. Une première tendance est liée à la hausse progressive des espèces polluosensibles, ce qui est encourageant. Mais un tournant a eu lieu dans la période 1997-2003, et cette seconde tendance superposée paraît d'origine climatique, avec une hausse de la productivité primaire des rivières et une intensification de la chaîne trophique. Une occasion de souhaiter que la richesse taxonomique et la productivité des rivières soient également analysées en fonction d'autres paramètres de contrôle, comme par exemple leur taux d'étagement par ouvrages transversaux. 

Les macro-invertébrés ont une taille qui dépasse le demi-millimètre, et sont donc visibles à l'oeil nu. On les nomme benthiques quand ils vivent au fond des rivières (par opposition à la faune planctonique en suspension). Ce sont des larves d’insectes, des mollusques, des vers plats, des nématodes, des crustacés, etc. Les riverains assimilent souvent la biodiversité aux poissons, aux amphibiens ou aux oiseaux car ils sont plus faciles à observer. En fait, les macro-invertébrés et les micro-organismes représentent l'essentiel de la biodiversité aquatique !

Une équipe du centre Irstea de Lyon-Villeurbanne (directeur en hydro-écologie Yves Souchon) a réalisé une étude sur l’évolution de l’état des cours d’eau en France métropolitaine ces 25 dernières années, en examinant leurs communautés de macro-invertébrés aquatiques.

Des données de long terme (25 ans, 1987-2012) ont été compilées, avec comme conditions restrictives une continuité dans les méthodes de collecte ainsi qu'une confiance dans la fiabilité des opérateurs et des procédures. 91 sites ont répondu à ces critères, depuis des petits cours d'eau jusqu'à des larges rivières (de 9 à 192 m3/s de débit moyen annuel), à des altitudes allant de 8 à 977 m. Deux larges rivières (Doubs, Gave de Pau) cumulant 35 années de données sur 7 sites distribués le long du cours ont été ajoutées comme "cas régionaux". Enfin, un sous-ensemble a été constitué de 51 sites considérés comme reflétant des "conditions de référence" peu perturbées. Ces sites-témoins n'ayant pas connu d'évolution notable de la qualité chimique de leurs eaux, leur tendance comparée à celle des sites d'études permet de distinguer ce qui relève de l'effet anthropique local et du changement climatique.

Concernant les données environnementales, les taux d'ammonium, nitrites, nitrates et orthophosphates ont été collectés. La base CORINE a donné des indications d'usage des sols sur le bassin versant (notamment usages agricoles, emprise forestière, etc.). Faute de données climatiques exploitables (comme l'intensité lumineuse, la température, les carbonates issus des échanges avec le CO2 atmosphérique), l'oxygène dissous a été utilisé comme proxy de la productivité primaire. Ces données ont été exploitées par plusieurs modèles statistiques.

Concernant les invertébrés, ils ont été comptabilisés par familles plutôt que par espèces, comme cela se pratique souvent en  hydro-écologie. Un module de référence a été constitué d'une communauté de 12 familles de Trichoptères, présentant des stratégies diverses d'occupation du milieu. L'approche par richesse taxonomique (diversité d'espèces) ne suffit pas pour détecter dans changements fonctionnels dans des communautés. Une approche par traits a donc aussi été utilisée.

Quels sont les principaux résultats?

  • La richesse taxonomique moyenne a augmenté de 42% sur les 25 années de l'étude.
  • La première période 1980-2000 a été marquée par une augmentation lente mais constante des taxons polluosensibles comme les Perlidae, Ephemerellidae, Blephariceridae et Heptagenidae.
  • Autour de l'année 2000, une forte variation est enregistrée avec des espèces plus tolérantes et plus mobiles comme les Hydroptilidae, Coenagrionidae, Gyrinidae et Empididae.
  • Les plus fortes progressions sur l'ensemble de la période concernent les Diptères, les Odonates et les Trichoptères (ainsi que les "invasifs" Corbiculidae et Hydrobiidae).
  • Dans les sites de référence, la diversité a été constante jusqu'à 2000, puis elle augmente de 23% ensuite. 
  • Pour la communauté de référence, l'abondance a été multipliée par trois. Elle ne résulte pas d'une homogénéisation par dominance d'une famille puisque la bêta-diversité a augmenté et qu'aucun apport invasif n'est noté.



Illustration extraite de Van Looy et al 2016, art. cit., droit de courte citation. Ce schéma montre comment la chaîne trophique a bénéficié de la hausse de productivité primaire liée à des changements climatiques, avec un tournant centré vers 2000. 

Le premier enseignement, qui est une bonne nouvelle, est l'augmentation des taxons polluosensibles. Le second enseignement principal est l'effet positif du climat sur la période analysée. Ce dernier ne traduit pas spécialement une augmentation des espèces thermotolérantes (la plupart des espèces d'invertébrés de l'écozone paléarctique ont de toute façon une fourchette de tolérance thermique assez large). Cet effet du climat est raisonnablement garanti comme robuste (par rapport à un autre facteur oublié par exemple) en raison de plusieurs observations convergentes : l'oxygène dissous certifie une hausse de la productivité primaire ; l'analyse par traits fonctionnels des communautés montre une amplification trophique du bas vers le haut (petits herbivores, grands herbivores, prédateurs, cf schéma ci-dessus) ; la communauté de référence confirme cette intensification des différentes interactions trophiques.

Discussion
Yves Souchon a commenté cette recherche sur le site Irstea. Il a mis en lumière la nécessité d'une analyse des milieux aquatiques fondée sur l'observation scientifique, afin de démêler les influences sur les cours d'eau : "Mesurons, interprétons et calons un discours adapté à ce que l’on observe. C’est délicat car tous les facteurs sont mouvants (climatiques, anthropiques)." De là se déduit l'impératif de disposer de bonnes données : "Le fonctionnement de ces réseaux coûte cher, notamment en termes d’effectif humain, et nous sommes sur du temps long, ce qui pose parfois problème dans l’acceptabilité des nouvelles normes de suivi."

A ce sujet, rappelons que d'après le dernier rapportage des Agences de l'eau à l'Union européenne, les sommes allouées à la mesure par indicateurs des états écologiques et chimiques restent faibles dans le budget des Agences (170 millions d'euros) et que les budgets sont loin d'être tous consommés. Sur cette même période et à titre de comparaison, les Agences ont engagé 3 milliards d'euros en chantiers de "restauration physique".  C'est donc un problème politique : on se précipite à faire des actions coûteuses dans tous les sens (greensplashing) et sans résultats garantis (voir cette synthèse), on ne finance pas assez la connaissance et la surveillance, seules à mêmes d'indiquer les actions les plus utiles aux milieux.

Enfin, une petite remarque pour conclure sur les invertébrés. Le Ministère de l'Environnement accuse les seuils de réchauffer l'eau et d'accumuler des sédiments. Mais ce cocktail énergie-nutriment, on croit maintenant comprendre que c'est la base d'une productivité primaire accrue. Est-ce vraiment mauvais pour le vivant ? Rappelons que la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015 n'avait pas été capable de montrer que les seuils et petits ouvrages ont des effets négatifs sur les invertébrés, tout en soulignant que les connaissances manquent (études rares, protocoles pas toujours homogènes). La productivité ainsi que la richesse taxonomique / fonctionnelle des rivières selon leur nombre d'ouvrages mériteraient certainement d'être étudiées sur le réseau français. Cela nous éviterait une politique fondée sur la généralité non démontrée et la certitude déplacée de certains "experts" conseillant les décideurs...

Référence : Van Looy K et al (2016), Long-term changes in temperate stream invertebrate communities reveal a synchronous trophic amplification at the turn of the millennium, Science of The Total Environment, 565, 481-488

05/06/2016

Greensplashing: le grand désordre de la politique de l'eau

En anglais le verbe splash veut dire à la fois "éclaboussser" et "faire sensation". Ce que nous appelons greensplashing dans le domaine de l'eau, c'est une politique écologique produisant des annonces et multipliant des mesures dans tous les sens, sans modélisation préalable, sans cohérence globale, sans effet optimal. La prime actuelle en faveur d'opérations de suppression des ouvrages ou de renaturation des sites en est une illustration : désordre dans l'analyse des problèmes écologiques des rivières, profusion d'actions non coordonnées, inclinaison à mettre en valeur des chantiers plus spectaculaires qu'efficaces. Ce greensplashing est aussi l'alibi d'évitement des questions de fond, que l'on n'ose même pas poser: quelles rivières voulons-nous, quelles natures voulons-nous?

On connaît déjà le greenwashing, pratique consistant à utiliser des prises de position favorables à l'environnement sans engagement substantiel derrière, comme pur argument de communication publicitaire, réputationnelle ou institutionnelle. Le terme ne s'applique pas vraiment aux politiques publiques de l'eau : elles sont effectivement (et non superficiellement) engagées dans une tentative d'améliorer la qualité de l'eau. Leur problème : elles s'y prennent mal.

Il y a certes quelques réussites, comme le recul des phosphates depuis 25 ans, mais beaucoup d'échecs, à commencer par la faible progression de l'état écologique et chimique des masses d'eau tel que l'Europe le définit depuis l'année 2000. Une partie de ces échecs vient d'un choix discutable de la Commission européenne et des experts qui l'ont conseillée sur ce dossier : l'idée fausse selon laquelle des rivières anthropisées de longue date pourraient revenir facilement vers un état de référence "naturel" (voir Bouleau et Pont 2015). En vérité, ce n'est pas facile du tout, et c'est même assez improbable qu'un hydrosystème modifié revienne à l'état dans lequel il était voici 50 ans, 500 ans ou 5000 ans. Il n'est pas dit que ce soit toujours désirable non plus. La nature comme la société change tout le temps, et en général ces deux-là changent irréversiblement.

Mais une autre partie de l'échec français de la politique de l'eau vient des institutions publiques et de leurs choix. Et c'est là qu'intervient le greensplashing. Le greensplashing, c'est à la fois un désordre dans l'analyse des problèmes écologiques des rivières, une profusion d'actions non coordonnées et une inclinaison à mettre en valeur des actions plus spectaculaires qu'efficaces.


Programmations sans colonne vertébrale : la fabrique du greensplashing
Premier point de désordre : les textes de conception et programmation de la politique publique, synthèses Onema, SDAGE, SAGE, contrats rivières et autres. Cela part dans tous les sens, sous forme de catalogues de bonnes intentions de la lutte contre le réchauffement climatique, les pollutions diffuses, les prélèvements excessifs, la fragmentation longitudinale et latérale, la dégradation ou l'urbanisation des lits majeurs, etc. Il manque dans tout cela la colonne vertébrale, la base de toute politique fondée sur la preuve et la donnée : la modélisation scientifique.

Un modèle, c'est simplement ce qui permet d'intégrer des données pour produire une bonne description des phénomènes et une bonne prédiction de leur évolution.

Enumérer des pressions ne dit rien, il faut connaître leurs effets relatifs sur les milieux, leurs synergies, estimer les probabilités de réponse en cas d'atténuation ou élimination des pressions, analyser de manière réaliste le coût et la facilité d'adoption des mesures, connaître les échelles spatiales et temporelles de réponse des milieux. C'est le rôle d'une science multidisciplinaire de la conservation, préservation et restauration des milieux aquatiques. On n'adresse pas un phénomène complexe comme la rivière (et ses riverains!) avec un catalogue plus ou moins arbitraire d'actions "mécanistiques" sur une somme incomplète de causes isolées, en espérant qu'au bout du compte tout cela produira un effet… largement inconnu dans son ampleur et son délai.

Une bonne science n'est pas seulement là pour donner de bonnes directions, elle est aussi nécessaire pour circonscrire nos incertitudes : incertitude provisoire liée à un défaut de données ou de modèles, incertitude structurelle liée au caractère non prédictible d'un phénomène. Comment un gestionnaire ou un politique peut-il espérer être crédible s'il promet toutes sortes de résultats sans élément tangible sur le degré de certitude de leur réalisation? C'est la pensée magique. Ou du greensplashing.

La politique de l'eau est en retard dans ce recours à la science et à la modélisation, et on peut comparer avec la politique du climat : combattrait-on le réchauffement climatique sans avoir 50 ans de modèles derrière nous, sans mesurer la part relative de chaque gaz à effet de serre et de chaque source d'émission de ces gaz, sans avoir une idée précise de leur pouvoir radiatif et une fourchette à peu près fiable de leur effet sur la température de surface après rétro-actions? Si l'on ne change que marginalement la part d'émission liée au transport et à la production d'énergie, on ne luttera que marginalement contre l'effet de serre anthropique. Multiplier des actions et des déclarations sur des sources mineures, cela ne change pas le problème au point de vue physique, et cela l'aggrave au point de vue sociopolitique puisqu'on entretient l'illusion de l'efficience, laissant à la génération suivante le soin de traiter le problème différé. Pour l'eau, nous en sommes à peu près là : on fait beaucoup de choses, mais sans idée du résultat, sans même savoir parfois si la prévision d'un résultat est possible.

Saupoudrage sans queue ni tête dans l'action locale : la pratique du greensplashing
Second symptôme du greensplashing : le grand désordre dans l'exécution des programmes en rivière. Prenons pour exemple le domaine de la restauration physique des rivières, qui connaît une importance croissante dans les programmes d'intervention des Agences de l'eau (voir Morandi et al 2016), en particulier la continuité écologique longitudinale. C'est aussi l'exemple que nous connaissons le mieux dans notre pratique associative.

Qu'observe-t-on sur le terrain ? Les aménagements n'ont aucune cohérence en terme de continuité, les ouvrages aval ne sont pas traités avant les ouvrages amont, les grands barrages infranchissables ne sont pas aménagés avant les petits seuils partiellement ou totalement franchissables. Les syndicats, parcs naturels et autres exécutants de la politique de l'eau ne développent (quasiment) jamais de modèle de connectivité sur les bassins versants dont ils ont la charge, de sorte qu'ils sont incapables de hiérarchiser les tronçons et les stations selon leur importance écologique dans le réseau hydrographique. Les pêches de contrôle sur l'ensemble du linéaire sont rarement disponibles et quand elles le sont, on ne les compare pas aux données historiques connues des populations piscicoles, de sorte qu'on ne connaît pas la tendance de long terme des assemblages locaux, leur risque d'extinction, leur résilience, etc. Les indicateurs de biodiversité ne sont pas plus mobilisés, alors qu'un des objectifs affichés est d'améliorer la richesse spécifique, taxonomique et fonctionnelle d'un hydrosystème, laquelle ne se résume pas à quelques espèces de poissons spécialisés. La dynamique sédimentaire du bassin versant n'est pas analysée, et quand elle l'est, on ne tient de toute façon pas compte des conclusions (syndrome de l'enfermement de l'étude dans un tiroir et de la poursuite de la politique généraliste exigée par le financeur public, fut-elle contredite ou relativisée par les conclusions empiriques d'une analyse locale). Le changement climatique n'est pas intégré dans les choix d'aménagement, alors qu'il est supposé être le premier facteur de contrôle des paramètres hydrologique et thermique.

La même chose s'observe pour certaines restaurations mineures de berges ou de lits. Il n'y a pas d'analyses avant-après sur des indicateurs définis comme d'intérêt écologique: on intervient à l'aveugle, en supposant qu'un certain type de micro-habitat (largeur-débit-pente-substrat) aurait un intérêt "supérieur" par rapport à l'habitat existant, mais en ne le démontrant pas avant d'agir et en ne le vérifiant pas après l'action. C'est donc le greensplashing dans toute sa splendeur : multiplication de petites actions plus ou moins opportunistes et arbitraires, communication satisfaite sur le caractère "visible" de l'action, défaut d'une vision d'ensemble de la rivière (y compris déjà une vision écologique substantielle) et de rigueur sur l'analyse des résultats, c'est-à-dire les bénéfices écologiques en face des coûts économiques.

Comment en sortir?
Depuis une quarantaine d'années, l'écologie s'est institutionnalisée et "scientificisée". L'âge des contestations romantiques ou révolutionnaires de la société industrielle est derrière nous, de même que l'âge des généralités généreuses où il suffit de prononcer quelques mots "totems" consensuels pour verdir sa parole et recueillir un blanc seing de sa politique. Dans la même période, nous avons appris une chose : l'économie et l'environnement ne font pas forcément bon ménage. Le reconnaître posément et en débattre est mieux que de vouloir euphémiser, relativiser, brouiller dans d'improbables discours publics (ou privés) promettant toujours plus de croissance économique avec toujours moins de flux énergétiques et matériels ayant des effets sur la biosphère. Si nous sommes dans l'âge de l'Anthropocène, il faut l'assumer : la nature n'est pas cette instance séparée de l'humanité, mais le co-produit de l'action humaine. Quelles natures voulons-nous? Quelles rivières voulons-nous? La réponse n'est plus soluble dans les conservations et restaurations d'une naturalité idéale (voir Lévêque et van der Leeuw ed 2003).

Au cours de ces quatre décennies, l'environnement est aussi entré dans la norme, la loi et la réglementation, ce qui implique des contrôles, des coûts, des contraintes. Donc une vigilance sur la légitimation scientifique des choix publics et une exigence démocratique sur leurs justifications. L'écologie comme idéologie offre trop souvent un prisme à peu près inexploitable: tout ce qui est favorable à la "nature" est bon et prioritaire. Sauf que cela ne fonctionne pas ainsi dans une société: l'environnement n'est qu'un des paramètres d'une politique publique, les citoyens ne définissent pas le "bon" de la même manière (selon leurs valeurs, leurs cultures, leurs intérêts, leurs expériences… tout ce qui fait l'heureuse diversité humaine), la "nature" est toujours une représentation construite, les chercheurs et experts sont rarement en situation de consensus, la limitation de tout budget implique des priorités, la volonté de muséifier la nature et de proscrire tout impact n'a pas de sens, etc.

Comment sortir du greensplashing (et aussi bien du greenwashing, pas plus enviable)? Voici quelques pistes de réflexion:
  • sortir de la pseudo-logique de l'urgence sur fond de catastrophisme déplacé ou de contraintes intenables (dénoncer notamment l'objectif fantaisiste de la DCE sur un "bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau" en 2027, calendrier de technocrates déconnectés sans aucun réalisme sur l'état actuel des rivières et des nappes, la difficulté institutionnelle et sociétale à développer des projets les concernant, le coût économique des compensations et des restaurations, le temps de relaxation des milieux);
  • proposer à nos partenaires européens et internationaux la création d'un "GIEC de l'eau", initiative qui a une cohérence dans son objet multidiciplinaire d'étude en même temps qu'elle répond à des enjeux écologiques, économiques et sociaux de première importance à échelle du siècle;
  • développer les budgets de la recherche académique sur l'eau, tant pour améliorer la connaissance fondamentale que pour produire des modèles applicables par le gestionnaire sur les différents domaines d'intérêt (le débit, la température, la pollution, la connectivité, les métapopulations, etc.) et définir les domaines où l'incertitude systémique ne permet aucune prédiction fiable;
  • financer des acquisitions et bancarisations de données, qui manquent sur la plupart des masses d'eau, des indicateurs d'intérêt écologique et des populations;
  • construire des projets pilotes exemplaires au plan de la qualité de la gouvernance démocratique et de la rigueur du suivi scientifique, dont le bilan permettra de décider de l'intérêt à les généraliser;
  • promouvoir le principe de gestion adaptative et intégrative, c'est-à-dire systématiser la concertation, la consultation et le retour d'expérience pour corriger les choix s'ils se révèlent inopérants  (au lieu de programmes contraignants à l'issue déjà fixée à l'avance);
  • définir et engager les seules actions "sans regret" où il existe un consensus fort sur la programmation (évidence d'un effet toujours nuisible aux milieux ou d'une menace d'extinction) et une solvabilité économique dans la réalisation;
  • prendre au sérieux les critères de gestion environnementale comme les services rendus par les écosystèmes, qui ne sont pas des déclarations d'intention floues mais d'abord des outils d'objectivation des bénéfices environnementaux pour les sociétés.

04/06/2016

Quelques réflexions sur les inondations du printemps 2016

Le centre de la France est frappé par des inondations, dont la médiatisation nationale est renforcée par le fait qu'elles touchent la région parisienne. La réflexion actuelle sur les écoulements de rivière est souvent dominée par l'idée d'une restauration de leur libre circulation, ou renaturation. Les crues et leur cortège de détresses rappellent que l'attente sociale se situe plutôt du côté de la maîtrise et du contrôle des flots (création et entretien de retenues, de digues, de fossés d'évacuation). On aurait cependant tort d'opposer systématiquement une approche à l'autre : sur un sujet touchant la sécurité des biens et des personnes, engageant aussi la responsabilité des autorités, les positions dogmatiques doivent céder la place à des analyses empiriques. C'est d'autant plus nécessaire qu'avec la Gemapi, dont le "pi" signifie "prévention des inondations", les élus locaux et les établissements de bassin versant vont être sous pression pour garantir une dépense publique de l'eau orientée sur les priorités d'intérêt général. 


Les crues et inondations sont des aléas naturels, à la mémoire aussi ancienne et douloureuse que celle de l'humanité. On peut en limiter les effets, on ne peut en effacer les causes. Par définition, des épisodes hydro-météorologiques exceptionnels produiront toujours des débits exceptionnels, qu'il s'agisse de crues lentes par saturation des sols et aquifères, de crues rapides de quelques jours par épisodes pluvieux très soutenus, voire de crues éclairs de quelques heures. Toutes choses égales par ailleurs, le changement climatique risque d'augmenter la probabilité des phénomènes extrêmes au long de ce siècle : plus d'énergie dans le système climatique (effet de serre) signifie plus d'évaporation, de convection, de transport. Donc une intensification attendue du cycle de l'eau, même si les déclinaisons régionales et locales sont impossibles à prédire avec précision.

Les crues de la fin mai et du début juin 2016 ont été provoquées par le blocage d'une perturbation active au sud de l'Allemagne, avec des remontées d'air chaud et humide entraînant des précipitations exceptionnelles. Sur la période du 28 mai au 1er juin, les départements les plus affectés ont été le Loiret, le Loir-et-Cher, le Cher, l'Essonne et l'Yonne avec une quantité d'eau tombée en trois jours sans équivalent depuis 1960. Des niveaux de crue centennale ont été atteints sur certains tronçons du Loing. Le barrage de Pannecière (Yonne), dont la fonction est d'écrêter les crues de l'Yonne et de la Seine, a saturé sa capacité de retenue. Les crues étant limitées à certains affluents de rive gauche, la Seine est cependant restée assez loin du niveau atteint à Paris en 1910 (8,62 m, en 2016 6,10 m), les 7 m ayant été dépassés en 1920 et 1955. Le niveau des 6 m atteint en 2016 l'a été 8 fois depuis 1872, la crue la plus récente du même ordre se plaçant en 1982.

Notre époque a globalement diminué la vulnérabilité des personnes par rapport aux bilans meurtriers des crues frappant les générations précédentes, mais elle est devenue extrêmement sensible à l'aléa, rêvant d'un "risque zéro" qui n'existe pas. Pourtant, certains facteurs relevant de la responsabilité humaine aggravent les effets locaux puis cumulatifs des crues.

Ainsi, les sols labourés ou artificialisés, les zones dévégétalisées retiennent moins l'eau et ruissellent plus rapidement, les lits majeurs déconnectés voire occupés par des bâtis ne servent plus de champ d'expansion latérale de l'écoulement, la construction en zone inondable produit un jour ou l'autre la dégradation par inondation (le "risqueur" étant rarement le payeur dans ces cas-là, le régime d'indemnisation pour catastrophe naturelle depuis 1982 collectivisant le risque). Par ailleurs, notre capital immobilisé (propriétés privées, équipements publics) s'est accru de manière régulière au fil des générations, donc une crue de même intensité provoque davantage de dégâts matériels et de coûts assurantiels aujourd'hui qu'hier. Ces tendances sont aggravées par une perte de la mémoire du risque : les plus grandes inondations à échelle de bassins fluviaux se situent entre le XVIIIe siècle et la première partie du XXe siècle en France, les années 1950-1980 ont plutôt été marquées par un certain "repos hydrologique" ayant assoupi la réflexion sur une génération. Cela sur fond de dé-naturation tendancielle des modes de vie et des représentations : les sociétés de plus en plus urbaines sont de plus en plus coupées de l'exposition directe aux cycles naturels, coupure propice à des représentations quelque peu ignorantes, voire fantasmatiques, de la nature.


Les crues et inondations posent la question des stratégies d'aménagement des bassins versants: une fois reconnu que le risque zéro n'existe pas, il reste légitime de chercher à minimiser ce risque dans la durée.

La réponse traditionnelle aux crues consiste dans des travaux de modification des écoulements : digue, barrages, retenues, canaux et fossés de décharge, etc. C'est le paradigme du contrôle hydraulique, qui a présidé pendant près de deux siècles aux choix des grands services d'aménagement comme les Ponts & chaussées (avant déjà, aux digues et levées au bord des fleuves et rivières). Face à cette option hydraulique, il existe un paradigme hydro-écologique : ne plus chercher à contraindre la rivière, mais modifier plutôt les pratiques humaines de façon à réduire la puissance des crues et limiter les impacts des inondations, tout en produisant des effets écologiquement désirables (typiquement, relibérer la plaine d'inondation). Ces deux paradigmes n'ont pas la même temporalité : on peut construire assez rapidement des aménagements hydrauliques – quoique les précautions de chantier, études d'impact et voies de recours rendent les choses plus difficiles aujourd'hui qu'hier –, on ne peut modifier que lentement l'hydromorphologie d'un bassin versant, ce qui suppose notamment de changer en profondeur des pratiques d'urbanisation et d'agriculture déjà implantées.

Il est probable qu'il existe de bonnes et de mauvaises idées dans ces stratégies hydrauliques / hydro-écologiques en rapport aux crues et inondations. La recherche doit l'étudier en priorité, par des analyses de cas et des modélisations. Il est nécessaire de faire le bilan hydrologique réel de ces options, mais on s'aperçoit par exemple que la très récente expertise collective ayant théoriquement cet objectif (analyse des effets cumulés des retenues) ne produit pas de réponse claire sur le sujet (Irtsea 2016, voir nos commentaires). Nous sommes donc en situation d'incertitude, le premier besoin est de la réduire par davantage de recherche et des débats publics alimentés par des données objectives.

Ce dont il faut symétriquement se déprendre, ce sont les positions dogmatiques. Dans l'état actuel des représentations du gestionnaire français, on se méfiera particulièrement du dogme très à la mode de la restauration morphologique, visant à libérer et renaturer les écoulements tout en rendant complexes voire impossibles les créations de retenues, les restaurations de barrages, les entretiens de digues, les curages de fossés, etc. Cela fait par exemple 20 ans que le programme d'un 5e grand lac réservoir de protection des crues de la Seine est à l'étude (La Bassée en Seine-et-Marne), mais bloqué. Sur certaines communes, comme Auvernaux, des élus se plaignent déjà de la complexité de curage des fossés d'évacuation des eaux de crue. On a agi de manière excessive dans un certain sens voici quelques décennies, avec une tendance au bétonnage, au recalibrage et à l'exploitation systématique des lits, des berges, des versants ; gardons-nous de montrer la même outrance mal informée en sens inverse, sous prétexte d'une tardive mais soudaine illumination écologique de l'ingénierie.

L'année 2018 verra la mise en place de la Gemapi (gestion des eaux, des milieux aquatiques et de prévention des inondations), dont la responsabilité reviendra désormais aux intercommunalités et aux établissements de bassin versant. Le volet "inondations" va être au centre de l'attention, car il a des conséquences humaines et juridiques fortes (outre le fait qu'en face d'une nouvelle taxe sur l'eau, chacun exigera des résultats concrets). La politique de l'eau n'a pas aujourd'hui les moyens de l'ensemble de ses ambitions, et la pratique actuelle du "saupoudrage" des financements (un peu pour la pollution, un peu pour la restauration, un peu pour le risque inondation…) ne manquera pas d'être questionnée de manière beaucoup plus critique. Il est du devoir des élus et des associations de terrain de rappeler où sont les priorités de l'action publique, pas seulement en analysant ce que l'on fait, mais aussi en alarmant sur ce que l'on ne fait pas. Car à budget limité, c'est un jeu à somme nulle : ce qui est dépensé sur un poste ne l'est pas sur un autre.

Vu les résultats médiocres de notre pays sur la qualité écologique et chimique des eaux, vu le retour régulier des problématiques de crues et inondations (aussi bien que de sécheresses et d'étiages sévères) et vu la probabilité que ces questions deviennent plus aiguës au fil des ans, nous n'aurons pas vraiment le luxe de continuer longtemps des diagnostics sommaires et des choix inefficaces. La première leçon des inondations, c'est un rappel des responsabilités dans la hiérarchie des priorités et la nécessité d'une politique à long terme fondée sur une information scientifique fiable.

A lire en complément
OCE (2013), Crues, inondations, étiages, pour une évaluation du risque lié à la modification des obstacles à l'écoulement, (pdf)

Illustrations : le zouave du Pont de l'Alma (Seine, Paris le 3 juin 2016, Siren-Com CC share alike 4.0) ; le Loing à Moret-sur-Loing, République de Seine et Marne du 2 juin 2016, droits réservés.

02/06/2016

Destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge: l'Etat passe en force

Malgré un avis négatif du commissaire-enquêteur à l'issue de l'enquête publique, le Préfet de l'Essonne vient d'autoriser la destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge. Encore un choix méprisant la concertation démocratique et le devoir de précaution des politiques publiques. 

Les parlementaires interrogeant le Ministère de l'Environnement sur les dérives de la continuité écologique reçoivent des réponses apaisantes. A en croire nos hauts fonctionnaires hors-sol, "les ouvrages concernés font l'objet d'informations, de concertations, d'études multicritères, afin de rechercher la meilleure solution technique et financière".

Mais voilà, c'est un mensonge. Un de plus depuis dix ans que la Direction de l'eau et de la biodiversité trompe son monde en menant un programme non concerté, sous-informé et précipité de destruction du maximum d'ouvrages hydrauliques en rivière.


Le Syndicat mixte de la Vallée de l'Orge a présenté en 2015 un dossier de déclaration d'intérêt général (DIG) en vue de démanteler 7 ouvrages sur l'Orge aval. Comme nous l'avions exposé, le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable à ce projet au terme de l'enquête publique. Sa critique n'était pas mince : la copie du syndicat manquait des éléments essentiels à tout projet de restauration digne de ce nom (gain écologique et chimique, information des riverains, bilan du risque inondation, étude géologique des fondations du bâti, etc.).

Par arrêté du 25 avril 2016 (pdf), le Préfet de l'Essonne vient d'autoriser malgré tout le démantèlement des ouvrages. La Ministre de l'Environnement avait demandé en décembre 2015 de suspendre les effacements posant des problèmes, en attendant le rapport du CGEDD : peine perdue, la machine administrative à effacer continue son travail destructeur, au mépris de la concertation démocratique.

Nous appelons bien entendu les propriétaires et riverains refusant cette issue à déposer au tribunal administratif une requête en annulation de cet arrêté (voir article 29 du texte en lien), et nous sommes à leur disposition pour les aider à motiver cette requête.

A noter
Une étude de l'Université Paris 6 sur l'Orge avait montré que les banquettes latérales mises à jour par la suppression des clapets sont, en bilan de flux global, des sources d'azote pour la rivière (en raison de la phase ammonium notamment), voir cette présentation de Cécile et al 2014. Mais le Ministère de l'Environnement n'étant toujours pas capable d'appliquer la Directive Nitrates de 1991, on sait bien que la pollution chimique de l'eau n'est plus la priorité face au nouveau dogme de la renaturation morphologique. L'Orge aval étant très urbanisée, et la plupart des stations d'épuration n'étant pas adaptées au traitement des micropolluants émergents, les poissons de la rivière "renaturée" jouiront en toute liberté d'un cocktail de contaminants, cocktail qui ira ensuite se déverser sans contrainte vers la Seine…

A lire en complément
Les vrais blocages de la continuité écologique: un collectif d'associations écrit au CGEDD
Tonnerre, Avallon, Belan-sur-Ource... les effacements d'ouvrages continuent de plus belle