13/02/2017

Canada: quel impact de la régulation hydraulique des rivières sur les poissons? (Macnaughton et al 2017)

Une équipe de chercheurs canadiens a étudié les effets hydrologiques et biologiques de trois formes de régulation hydraulique: ouvrage au fil de l'eau, ouvrage de stockage, ouvrage d'éclusée. Ils ont comparé des rivières diversement régulées avec une base régionale de référence de rivières non régulées. Résultat : l'hydraulique au fil de l'eau n'a pas d'impact significatif sur les indicateurs de qualité piscicole et l'hydraulique de stockage un impact faible, ce qui n'est pas le cas des systèmes en éclusée produisant un effet prononcé. Ce travail montre que la petite hydraulique peut avoir des conséquences assez mineures sur les milieux, les chercheurs soulignant que les niveaux modestes d'altération hydrologique sont tolérables au plan écologique. La France n'a pas publié une seule étude scientifique comparative de ce genre, sur les peuplements de ses rivières en fonction de leur niveau et de leur type d'aménagement, cela alors même que notre pays se singularise par la volonté de modifier ou effacer dans un très court délai 20.000 ouvrages hydrauliques sur les lits mineurs. Il faut réviser ces mesures coûteuses, excessives, décidées sans travail réel de recherche pour en évaluer le bénéfice et en prioriser l'urgence. 

Les sociétés humaines ont cherché de longue date à maîtriser la variation du débit du rivière, en particulier l'intensité des phénomènes extrêmes que sont les crues et les sécheresses, ainsi qu'à exploiter ce débit pour divers usages (irrigation, navigation, énergie, eau potable). Les barrages, qui se sont surtout développés à partir du milieu du XIXe siècle dans les sociétés industrialisées après les seuils et chaussées des époques plus anciennes, sont une des expressions de ce phénomène de régulation hydraulique. Selon leur conception, ces barrages vont plus ou moins modifier le régime du débit naturel des rivières.

Camille J. Macnaughton et ses collègues font observer que les données historiques sur les conditions passées de débit manquent souvent, de même que sur les peuplements biologiques anciens des rivières. Leur approche des "limites écologiques d'altération hydrologique" (ELOHA pour Ecological Limits of Hydrologic Alteration) propose un modèle régional pour étudier les schémas de modification hydrologique et estimer les réponses écologiques  des rivières régulées, en prenant pour référence des cours d'eau non régulés.

Les communautés de poissons ont été analysées pendant les mois d'été sur 3 ans (2011-2013) dans 14 rivières non régulées et 10 rivières régulées de l'Ontario (5), du Québec (16) et du New Brunswick (3). Sur chaque rivière, entre 25 et 50 sites de 300 m2 ont été échantillonnés, soit 829 points de mesure au total.

Les attributs biotiques considérées sont : taille des poissons, densité, biomasse, indices de diversité (Shannon B et D, Hill), richesse spécifique, proportion de six familles (dont Esocidae, Salmonidae, Anguillidae) ainsi que deux traits d'habitat (guildes benthopélagiques ou démersales).

Concernant l'hydrologie, une base régionale (5 régions) de référence du débit naturel non régulé a été conçue depuis 12 ans de données horaires ou quotidiennes de 96 rivières indemnes d'aménagement (dont les 14 ci-dessus). Trois classes de régulation hydrologique ont été définies : fil de l'eau (ROR run-of-river), stockage, éclusée (hydropeaking). Les aménagements au fil de l'eau n'ont ni capacité de retenue importante ni capacité de décharge brutale, contrairement aux deux autres catégories.

Les résultats sont exprimés dans les tableaux et figure ci-dessous.

Macnaughton et al 2017, art cit, droit de courte citation.

Le tableau ci-dessus (cliquer pour agrandir) montre que les seuls hydrosystèmes régulés ayant un impact significatif (p<0.05) sur les scores piscicoles sont les aménagements en éclusée (2/2) et en stockage (1/4).

Macnaughton et al 2017, art cit, droit de courte citation.

La figure ci-dessus (cliquer pour agrandir) montre une régression linéaire entre les degrés d'alétation hydrologique / biotique. Les installations au fil de l'eau et en stockage sont proches des rivières non régulées, les deux cours d'eau exploités en éclusée (triangle) s'en détachent nettement.

Macnaughton et al 2017, art cit, droit de courte citation.

Le tableau ci-dessus (cliquer pour agrandir) détaille les variations biotiques dans les 3 types de régulation et les deux premiers axes de variance, en effet positif (+) ou négatif (-) sur le trait considéré.

Les chercheurs observent : "aussi bien les scores d'altération hydrologique que biotique des systèmes à éclusée diffèrent significativement de la moyenne des rivières non régulées, tandis que la plupart des systèmes au fil de l'eau et certaines pratiques de régulation en stockage n'étaient pas associés à des altérations significatives. Ces résultats suggèrent que des seuils "tolérables" d'altération du débit, en dessous desquels les altérations biotiques n'apparaissent pas, peuvent être établis quand ils sont informés par des conditions régionales de référence".

Les auteurs rappellent en conclusion qu'ils n'ont pas étudié d'autres facteurs confondants susceptibles de faire varier les populations pisciaires – par exemple, l'élevage et déversement de poissons à fin halieutique.

Discussion
Le paradigme du régime naturel d'écoulement (natural flow regime) a été proposé voici 20 ans déjà comme une stratégie pour engager la restauration ou la conservation des rivières (Poff et al 1997). Cette approche a surtout insisté sur les grands ouvrages hydrauliques, car ce sont eux qui ont la capacité de modifier sensiblement les variations journalières et saisonnières des débits, en particulier le rôle des crues dans la dynamique des écosystèmes des lits mineur et majeur.

Quoique majoritaires, les ouvrages hydrauliques de dimension modeste ont été assez peu étudiés. Des monographies montrent des effets locaux (stationnels) sur le changement d'écoulement et des impacts sur certaines catégories de poissons selon leur besoin de mobilité (grands migrateurs en particulier), leur spécialisation (rhéophilie) ou leur habitat (substrats) – ces effets locaux assez prévisibles n'indiquant pas si les rivières fragmentées et non fragmentées présentent des populations substantiellement différentes quand on les analyse de la source à la confluence. Qu'il s'agisse des poissons ou des invertébrés, les résultats de la recherche sur l'effet des petits ouvrages donnent des résultats variables selon les sites, les bassins ou les écorégions étudiés (voir cette synthèse). Et aucune étude à notre connaissance ne s'est intéressée systématiquement aux autres populations animales ou végétales susceptibles de varier selon la présence ou l'absence des ouvrages et des hydrosystèmes qui leur sont associés.

Le travail de Macnaughton et de ses collègues permet donc de progresser sur ce domaine qui reste trop peu étudié aujourd'hui. Il ne peut qu'alimenter notre critique de la politique française de continuité écologique, dont le périmètre (20.000 ouvrages à aménager ou effacer en l'espace de 10 ans) est unique au monde par son ampleur et son délai. Les conclusions des chercheurs canadiens ne sont évidemment pas transposables directement à notre pays: mais leur méthode l'est en revanche. Or, ce qui caractérise la situation française, c'est l'absence de la moindre analyse scientifique (peer-reviewed) de grande échelle visant à comparer sur chaque hydro-écorégion des rivières fragmentées / non fragmentées, à analyser les effets réels de la fragmentation par rapport à des cours d'eau de référence, à proposer des méthodes de priorisation des ouvrages et cours d'eau à traiter. La réforme de continuité écologique a été dérivée de revendications halieutiques anciennes sur les rivières réservées (volonté d'augmenter la densité de certaines espèces destinées à être pêchées), auxquelles on a adjoint quelques approches génériques sur la morphologie des bassins versants (pour l'essentiel issues de travaux sur la grande hydraulique, peu pertinents pour les ouvrages modestes).

Au regard de son coût et de ses effets négatifs sur certaines dimensions appréciées des ouvrages, au regard aussi de nos autres obligations (à échéance et à portée contraignantes) sur l'état chimique et écologique des masses d'eau (DCE 2000), la gestion des bassins versants ne peut certainement pas se fonder sur une volonté indistincte de "renaturer" des écoulements locaux avec un choix aléatoire des chantiers ni se payer le luxe de dépenser un argent public rare dans des engagements sans priorité écologique clairement établie. L'idée de défragmenter certaines rivières n'est pas une absurdité, pas plus que celle d'en préserver d'autres de la fragmentation, mais il faut revoir totalement la manière de programmer, financer, négocier et accompagner cette ambition.

Référence : Macnaughton CJ et al (2017), The Effects of Regional Hydrologic Alteration on Fish Community Structure in Regulated Rivers, River Res. Applic., 33, 249–257

12/02/2017

Qualité de l'eau: la Commission européenne demande à la France de lutter davantage contre les pollutions diffuses

Conformément au cycle d'évaluation lancé en 2016, la direction générale Environnement de la Commission européenne vient de procéder à l'examen de la mise en œuvre de la politique environnementale de l'Union. Voici quelques extraits concernant la politique de qualité de l'eau en France. Le traitement des eaux résiduaires urbaines est jugé conforme aux objectifs, ce qui peut soulever un certain scepticisme sur la nature de ces objectifs vu les cas persistants de pollutions rapportés en exutoires de stations et en aval des zones urbaines. Il n'en va pas de même pour les pollutions diffuses, en particulier nitrates et pesticides pour lesquels la Commission pointe le retard français. Les masses d'eau n'atteignent que 44% du bon état chimique et écologique, loin de l'engagement sur les 66% promis pour 2015, et a fortiori des 100% attendus pour 2027. De rapport en rapport, les mêmes constats demeurent, mais sans répondre aux questions essentielles: les objectifs posés par les directives européennes sont-ils réalistes en exigence et en délai? Les blocages sont-ils de nature économique (manque de financement public, impact sur l'activité) ou tiennent-ils à des choix défaillants de programmation (mauvaises priorités, pressions de lobbies)? A-t-on une bonne méthodologie scientifique pour évaluer les impacts écologiques et la réponse des écosystèmes aux actions engagées? 

Sur les écosystèmes et ce qui les menace
"Les habitats côtiers, les zones humides et les écosystèmes liés à l’eau ainsi que les habitats liés à l'agriculture sont les principaux écosystèmes menacés. Les menaces fondamentales qui pèsent sur la biodiversité sont la disparition des habitats (due en particulier à l’expansion urbaine, à l’intensification agricole, à l’abandon des terres et à la gestion intensive des forêts), la pollution, la surexploitation (en particulier des pêcheries), les espèces exotiques envahissantes et les changements climatiques. L’absence d’intégration entre les politiques de protection de la nature et les autres politiques, en particulier dans le secteur agricole, mais aussi, dans une moindre mesure, dans l’urbanisation, les transports, l’énergie et les forêts, ne contribue pas à améliorer la situation, en particulier dans un contexte de réchauffement global et de propagation des espèces exotiques envahissantes."

Evolution de l'état de conservation habitats/espèces 2007-2013 en France, DG Environnement CE  rapport cité, d'après le rapport d'évaluation de la directive Habitats

Sur l'état des eaux
"Dans ses plans de gestion de district hydrographique 2010-2015, la France a produit des rapports sur l’état de 10 824 rivières, 439 lacs, 96 masses d’eau transitoires, 164 côtières et 574 souterraines. Seules 44% des masses d’eau de surface naturelle atteignent un état écologique «bon» ou «très bon» et 13 % des masses d’eau de surface fortement modifiées ou artificielles atteignent un potentiel écologique bon ou très bon (25 % sont dans un état inconnu). Seules 44 % des masses d’eau de surface (33 % sont dans un état inconnu), 28 % des masses d’eau de surface fortement modifiées ou artificielles (44% sont dans un état inconnu) et 59% des masses d’eau souterraines atteignent un bon état chimique. 89 % des masses d’eau souterraines ont un bon état quantitatif."

Sur les principales pressions rivières et nappes
"Un certain nombre de pressions affectent les masses d’eau en France – dans le cas des eaux de surface, 39 % sont concernées par une source diffuse de pollution, 30 % par des sources ponctuelles de pollution, 27 % par la gestion des rivières, 25 % par la régulation du débit d’eau et des modifications morphologiques et 20% par le captage. Il existe des différences régionales significatives et dans certains districts hydrographiques, ces pressions affectent des proportions beaucoup plus élevées de masses d’eau, par exemple les sources diffuses affectent 93% des masses d’eau de surface dans l’Escaut, la Somme et les eaux côtières de la Manche et le district de la mer du Nord, et 67 % dans la Seine et le district des eaux côtières normandes, et le captage affecte 38 % des masses d’eau de surface dans la Loire, le district des eaux côtières bretonnes et vendéennes.

Il existe certaines lacunes dans les plans français de gestion de district hydrographique en ce qui concerne l’évaluation de l’état. Des programmes de mesures devraient permettre une amélioration significative de l’état écologique des masses d’eau de surface naturelles ainsi que des masses artificielles et fortement modifiées – de 21 % et 27 % respectivement et une amélioration de l’état chimique de 8 % et 3 % respectivement. L’état chimique59 des eaux souterraines devrait s’améliorer de 5 % et l’état quantitatif de 6 %.

La pollution diffuse provenant de l’agriculture constitue la pression significative la plus répandue sur les masses d’eau (affectant 39% des masses d’eau au niveau national, beaucoup plus dans certains districts hydrographiques), entraînant une eutrophisation et des coûts accrus pour le traitement de l’eau. Le système actuel de la facturation de l’eau et de la taxation des nitrogènes/pesticides incite peu à améliorer les pratiques agricoles. Des mesures renforcées devraient être prises pour lutter plus efficacement contre la pollution par les nutriments (azote et phosphore), qui prendraient pleinement en compte les incidences sur les bassins hydrographiques et veilleraient à la cohérence des actions en vertu de la directive-cadre sur l’eau, la directive sur les nitrates et la PAC.

Dans le cas des pesticides, les concentrations mesurées dans le pays sont généralement faibles. Toutefois, les pesticides sont présents dans un grand nombre d’écosystèmes aquatiques. En 2013, des pesticides ont été trouvés dans 92 % des points de surveillance des masses d’eau de surface, avec différents pesticides souvent signalés pour une station de surveillance. Environ 30% de tous les points de surveillance des masses d’eau de surface ont montré un volume de concentration des pesticides supérieur à 0,5 μg/l (moyenne annuelle).

Certains progrès ont été réalisés dans la lutte contre la pollution par les nitrates provenant de sources agricoles et de l’eutrophisation, mais la pollution par les nutriments demeure un problème, notamment dans les zones d’élevage intensif (par exemple le bassin de la Loire/Bretagne) et d’agriculture arable intensive (par exemple, le bassin parisien)."

Source : DG Environnement Commission européenne (2017), L'examen de la mise en œuvre de la politique environnementale de l'UE. Rapport par pays, France, Bruxelles, 35 pages

10/02/2017

Etats-Unis: le suivi des effacements de barrage est défaillant (Brewitt 2016)

Peter K. Brewitt, un chercheur californien, a étudié les effacements de barrage dans les trois états côtiers contigus du Pacifique aux Etats-Unis. Son objectif : vérifier le sérieux des suivis piscicoles accompagnant ces chantiers et la qualité des résultats sur le retour des salmonidés. Il en ressort que les effacements des plus grands barrages ont apporté des gains mesurés dans 56% des cas (des gains probables dans 25%, pas de gains dans 19%). En revanche, sur les petits barrages, le gain vérifié plonge à 7% seulement des chantiers (autant de chantiers n'ont pas d'effet observé) et 85% n'ont pas de résultats réellement exploitables. Le chercheur souligne l'urgente nécessité d'accompagner ces travaux d'un contrôle rigoureux, notamment en raison de leur coût et du scepticisme de l'opinion sur leur intérêt. Quand on sait que la France a classé plus de 20.000 ouvrages hydrauliques (de taille modeste pour la plupart) à fin de mise en conformité à la continuité écologique, on comprend le besoin immédiat d'imposer à tout gestionnaire de rivière un contrôle de qualité de son action. Et déjà de proposer aux citoyens et à leurs élus un bilan quantifié des résultats obtenus sur les premières opérations, bilan devant montrer aussi bien la réponse exacte des espèces cibles que celle des autres habitants de la rivière, dont on ne sait pas à ce jour s'ils profitent ou souffrent de la destruction des ouvrages. 



"Les hypothèses de base sur les effets écologiques de l'effacement des barrages demeurent des hypothèses non testées", observe en introduction de son article Peter K. Brewitt (Département des études environnementales, Université de Californie Santa Cruz). Aux Etats-Unis, 716 barrages ont été effacés depuis 1999 et 417 sur l'ensemble du XXe siècle. Les états côtiers du Pacifique (Californie, Oregon et Washington) abritent 4% de l'ensemble des barrages, mais représentent 11% de l'ensemble des effacements. La principale motivation écologique réside dans le retour des poissons migrateurs anadromes, en particulier les salmonidés du Pacifique du genre Oncorhynchus (une dizaine d'espèces de saumons et de truites). Ces salmonidés ont été privés de 44% de leur habitat historique par les barrières à la migration et 60% des lignées (evolutionarily significant units) ont été considérés comme en danger, menacées ou à intérêt en conservation.

L'effacement de barrage a été une solution choisie par les gestionnaires états-uniens de rivière dès le XXe siècle, et la tendance a plutôt connu une accélération au début du XXIe siècle. Mais, comme le remarque Brewitt, "les effacements de barrages continuent sans beaucoup d'information sur la réponse des poissons après. En un sens, la disette d'information sur la réponse des salmonidés après destruction de barrage n'est pas remarquable; l'écologie de la restauration est souvent mise en question pour un manque de suivi systématique (Ruiz-Jaen and Aide 2005, Wortley et al. 2013), particulièrement pour les rivières (Bash and Ryan 2002; Roni et al. 2005, 2008; Kondolf et al. 2007; Bernhardt et al. 2007; Lindenmayer and Likens 2010)." On retrouve ici une critique désormais très répandue sur le manque de données fiables concernant les effets de la restauration.

Qu'a fait le chercheur ? Une recherche systématique des effacements de barrage a été menée sur les états de Californie, Oregon et Washington depuis 1999. En absence de données quantitatives publiées dans de nombreux cas, Brewitt a contacté les gestionnaires en charge de l'opération afin de collecter les informations disponibles. Les ouvrages ont été divisés en 2 catégories : totalement infranchissables, partiellement infranchissables (moins de 2 m ou présence d'un dispositif de franchissement). Ces deux cas de figure répondent à deux impacts différents (soit extirpation soit raréfaction de l'espèce à l'amont) et à deux objectifs eux aussi différents (retour des salmonidés disparus ou simple hausse de leur population).


Analyse du passage des salmonidés après effacement des barrages qui formaient des obstacles partiels à la migration. 85% des sites n'ont soit aucune information, soit des informations anecdotiques. Extrait de Brewitt 2016, art cit, droit de courte citation

Voici les principaux résultats de l'étude:
  • 40 chantiers d'effacement de barrage ont été retrouvés;
  • 13 étaient des barrières totales, 24 des barrières partielles, 3 des barrières mixtes (totales ou partielles selon espèces);
  • la hauteur des ouvrages variait de 1 à 38 m;
  • 56% des effacements de barrière totale (9/16) ont permis d'observer un retour des poissons à l'amont, 19% n'ont pas donné de résultats et 25% des résultats incertains;
  • 52% des barrières partielles (14/27) n'ont pas produit d'information exploitable, 33% (9/27) ont donné des preuves seulement anecdotiques de succès, les chantiers avec contrôle rigoureux donnant autant (2/27 à chaque fois) de hausse des populations que d'absence de changement. 
Peter K. Brewitt observe que les effacements de barrage obtiennent bel et bien des résultats en matière de migration de salmonidés, mais que la rigueur de leur suivi n'est pas à la hauteur des attentes que l'on y place ou des doutes que certains émettent : "Les effacements de barrages devraient recevoir un meilleur contrôle. Les effacements sont des investissements significatifs –ils coûtent souvent des centaines de milliers de dollars (AR 2013) – et il est important de s'assurer que les investissements dans ces projets, comme dans d'autres à l'avenir, sont efficaces". Il ajoute : "Le succès de la restauration écologique est souvent jugé à travers l'opinion publique (Bernhardt et al. 2007) et l'effacement de barrage en particulier est remise en question par le scepticisme populaire et par des préoccupations sur ses coûts (Buchal 1998, Crane 2011)". Pour mémoire, il y a un total estimé de 2,5 millions de barrages aux Etats-Unis.

Parmi les recommandations du chercheur, on retiendra : dresser un état des paramètres biotiques et abiotiques de la rivière avec inventaire des populations d'intérêt avant tout chantier ; définir un protocole de bilan avant-après (before-after-control-impact) aux bonnes échelles spatiales et temporelles.

Discussion
Que la destruction de barrage permette à certains poissons de migrer vers l'amont après suppression de la barrière physique est une évidence, et ce type de chantier est devenu un outil de l'écologie de la restauration depuis plusieurs décennies. Le questionnement s'est déplacé depuis le milieu des années 2000 vers la nécessité d'un bilan critique beaucoup plus précis de ces travaux, comme de l'ensemble des investissements consentis pour restaurer des cours d'eau.

Le problème de la mauvaise qualité du suivi des effacements de barrages aux Etats-Unis a déjà été souligné l'an passé par J. Ryan Bellmore et ses collègues, dans une publication montrant que 9% seulement des destructions ont donné lieu à une étude scientifique ; un bilan là aussi pointé comme médiocre pour les chantiers sur les ouvrages modestes, pourtant les plus nombreux (Bellmore et al 2016). Le constat est plutôt inquiétant, d'autant que les Etats-Unis sont parfois cités de ce côté-ci de l'Atlantique comme un modèle ayant entrepris assez tôt le désaménagement de ses rivières. En fait, les Etats-Unis effacent relativement peu par rapport à leur parc installé et, là-bas aussi, les chantiers rencontrent des oppositions locales fortes (voir le travail de Cox et al 2016 sur la Nouvelle-Angleterre).

En France, le référentiel des obstacles à l'écoulement recense environ 80.000 ouvrages à date, avec une estimation d'un chiffre possible de 120.000 à la fin de l'inventaire. Plus des deux-tiers de ces obstacles sont formés par des vannes, écluses, seuils ou barrages (dont un patrimoine historique et paysager beaucoup plus ancien qu'aux Etats-Unis, soit une problématique un peu différente dans ce cas). Une très large majorité de ces ouvrages entre dans la catégorie des barrières partielles en raison de leurs dimensions modestes (ennoiement ou contournement en crue), mais cette notion de barrière est bien sûr dépendante des espèces considérées comme d'intérêt pour leur migration ou leur mobilité. Le classement des rivières à fin de continuité écologique a engagé l'obligation de traiter environ 20.000  de ces ouvrages (initialement d'ici 2017-2018, délai désormais porté à 2022-2023).

Au regard du coût global important que représentent ces chantiers en très grand nombre (20 fois ce que les Etats-Unis ont réalisé en plusieurs décennies…), la nécessité d'un protocole national rigoureux d'évaluation paraît évidente. Chaque rivière classée à fin de continuité écologique doit procéder à un état initial de ses populations de poissons-cibles (présence / absence, densité, biomasse) et des autres espèces (pour faire un bilan de richesse spécifique), ainsi que de l'ensemble des données de contrôle de qualité déjà exigibles par la directive cadre européenne sur l'eau. Cela n'a pas été fait avec rigueur à ce jour, les recueils d'expérience étant largement subjectifs et incomplets (voir cette critique du recueil Onema, voir cette analyse de Morandi et el 2014 sur la restauration en général). Un certain nombre de chercheurs français ont déjà observé le caractère ambivalent des politiques de restauration écologique, du point de vue de leur motivation, de leur perception ou de leurs résultats (voir par exemple en publications récentes Lespez et al 2016Lespez et Germaine 2016, Le Calvez 2015)

Les pratiques doivent donc évoluer de toute urgence si la restauration française de continuité écologique veut répondre aux exigences de rigueur rappelées à de multiples reprises par la littérature scientifique en écologie comme aux nombreuses critiques sur la disproportion entre les résultats espérés et les désagréments causés par les chantiers sur les ouvrages (coût public, perte d'aménités, manque de transparence, gouvernance fermée).

Référence : Brewitt PK (2016), Do the Fish Return? A Qualitative Assessment of Anadromous Pacific Salmonids' Upstream Movement After Dam Removal, Northwest Science, 90, 4, 433-449

Illustration (en haut) : le sockeye ou saumon rouge (Oncorhynchus nerka), un salmonidé du Pacifique Nord. Image by Cacophony CC BY 2.5

07/02/2017

La continuité écologique en temps de post-vérité et faits alternatifs…

La prise de parole de scientifiques exprimant des doutes et des critiques sur la qualité de mise en oeuvre de la réforme de continuité écologique (Assemblée nationale, 23 novembre 2016) a suscité un petit séisme dans le milieu fermé des administrations et gestionnaires de rivières comme des lobbies satellites vivant pour beaucoup de leurs subventions. Dernière réplique en date, un libelle anonyme (pdf), proposé à la signature des représentants dudit milieu, tire un bilan glorieux de la restauration physique de rivière et prétend pointer des contradictions chez les chercheurs. Cela sans fait, ni chiffre ni référence scientifique, et en contradiction avec de nombreux travaux montrant au contraire que la restauration écologique souffre d'une difficulté à prédire ses résultats et justifier ses coûts. S'y ajoutent une falsification généralisée sur la manière dont la continuité a été portée et un déni persistant des problèmes dont les témoignages abondent pourtant. Bienvenue dans la post-vérité où quelques bonnes intentions environnementalistes semblent faire office de preuve et où les enjeux de pouvoir se dissimulent sous la rhétorique de la vertu outragée…



"Ces actions sont conduites en concertation avec tous les acteurs concernés par les rivières de leur territoire, y compris les propriétaires riverains. C’est le fondement même de la politique de l’eau de notre pays : la gestion concertée. (…) Non, l’idée de solutions imposées de force aux propriétaires riverains n’est pas représentative de nos actions : c’est une vision aux antipodes de la réalité de terrain. La loi protège en effet, à juste titre, la propriété privée. Les actions ne peuvent se faire qu’en co-construction et avec l’accord des propriétaires riverains."

Cette négation des antagonismes est un classique du pouvoir, qui a pour effet tout aussi classique de les renforcer. Outre notre expérience associative et quelques dizaines de témoignages directs rassemblés sur ce site, il ne se passe pas une semaine sans que la presse régionale ne rapporte une mise en oeuvre conflictuelle ou problématique de la continuité (exemples des 15 derniers jours à Carnac, Lamballe, Genay, Rauville-la-Place, Saint-Sauveur-le-Vicomte…). Les propriétaires ou riverains d'un ouvrage savent très bien comment se sont comportés vis-à-vis d'eux, à partir du PARCE 2009, les Agences de l'eau, DDT-M, Onema, syndicats et parcs: incitation quasi-exclusive à l'effacement, exigence de sommes exorbitantes pour les aménagements non destructeurs, discours négatif et méprisant sur les "ouvrages inutiles", menace non voilée sur des mises en demeure à venir, chantage à la subvention (pour détruire) qui n'existera plus l'année suivante, etc.

Mais puisque ses tenants affirment que la continuité écologique se déroule sans problème majeur et qu'elle est même bien accueillie, allons au bout de leur logique et rendons-là optionnelle. Cela ne changera rien à son très bon accueil supposé, cela résoudra directement et sans complication les "quelques" cas problématiques, cela permettra de faire de la continuité longitudinale sur toutes les rivières, et non pas sur certaines seulement classées à cette fin. Au bout d'une ou deux décennies de cette continuité optionnelle, on observera les avancées et les moyens de régler les éventuels problèmes persistants (mais qui devraient être mineurs, vu le supposé plébiscite de la pelleteuse écologique au bord des rivières françaises).

"Les ouvrages représentant un patrimoine bâti, tels que les moulins, sont largement minoritaires et leur aspect patrimonial est pris en compte dans les projets. Afin d’intégrer efficacement l’ensemble de ces enjeux, il existe des sources de financements complémentaires, notamment auprès des Régions, des Départements, des fondations de préservation du patrimoine."

Le caractère "minoritaire" des moulins se chiffre. A ce qu'il semble, le ministère n'est pas capable de donner une référence claire à ce sujet. Sur les rivières classées au titre de la continuité écologique que nous étudions, les moulins représentent au contraire la majorité des ouvrages barrant le lit mineur. Par ailleurs, l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages hydrauliques est porté aussi bien par des représentants des riverains, des étangs, des forestiers, des agriculteurs, des défenseurs du petit patrimoine rural (qui ne se limite pas au moulin dans le cas hydraulique). La continuité écologique remet en cause des paysages et des usages, pas seulement des moulins.

Nous avons hâte de voir si les quelques dizaines d'EPCI / EPAGE / EPTB dont nous avons examiné les pratiques et les travaux d'études vont signer ce texte. Et nous ne manquerons pas d'analyser les publications des autres. Car la prise en compte du patrimoine dans leur démarche, c'est proche du néant dans l'immense majorité des cas, tant au plan du diagnostic initial des bassins que dans la mobilisation d'experts ou d'associations sur chaque chantier. Les ingénieurs et techniciens des syndicats, des agences publiques, des bureaux d'études qui sont mobilisés sur ces chantiers ont presque tous des formations en écologie, pas en histoire, en archéologie ni en sociologie, et ils ne montrent à peu près aucune empathie pour l'approche historique de la rivière, dont ils vantent au contraire le plus souvent une "naturalité" atemporelle et fantasmatique.

Quant au fléchage des "financements complémentaires", il serait quant à lui très utile: nous n'avions pas observé que les départements ou régions proposent des financements à hauteur des coûts exorbitants d'aménagements non destructifs d'ouvrages hydrauliques.



"La compréhension des écosystèmes aquatiques a évolué fortement et très rapidement lors de ces dernières années. "

Les rédacteurs de ce pamphlet seraient-ils disposés à nous en dire plus sur ces fortes et rapides évolutions de notre compréhension des écosystèmes? A quels travaux de recherche est-il précisément fait allusion? Des publications qui sont des game changers dans un domaine de connaissance ne passent pas inaperçues… et nous n'avons rien lu de tel dans notre veille. S'il est une tendance observable chez la communauté scientifique des écologues, c'est plutôt la reconnaissance de la complexité des écosystèmes aquatiques et de la difficulté de prédire leur trajectoire dans une logique de restauration. Ainsi que l'observation du caractère très dynamique des socio-écosystèmes et de l'effet de long terme des altérations humaines de milieu, rendant peu crédible l'attente d'une réversibilité vers un état de référence passé.

"Ces acquis sont pourtant compris, partagés et éprouvés par l’immense majorité des acteurs en charge de la gestion des rivières, qui bénéficient désormais de multiples retours d’expérience positifs en matière de restauration physique et de continuité écologique."

Tant mieux pour les "acteurs", visiblement ravis d'eux-mêmes. Le problème, c'est que les chercheurs en écologie de la restauration disent plutôt le contraire. C'est même devenu un lieu commun de la littérature scientifique sur la restauration physique depuis 10 ans: trop peu de travaux font l'objet d'un suivi, trop peu de suivis sont rigoureux, et au final, quand on a des données rigoureuses de long terme, les résultats écologiques sont ambivalents (parfois c'est bien, parfois non, assez peu de prédictibilité). En voici quelques exemples (le dernier, Morandi 2014, concerne spécifiquement la France) dont le contenu est aux antipodes de l'autosatisfaction sans preuve affichée par les auteurs du libelle :

"La restauration et la conservation écologiques sont affligées par un paradoxe prenant une importance croissante : des cibles étroitement définies de conservation ou de restauration, conçues pour garantir des succès, mènent souvent à des efforts mal dirigés et même à des échecs complets (…) La connaissance scientifique accumulée de la biologie des espèces, des processus écosystémiques et de l'histoire environnementale indique que le monde est plus complexe que nos préconisations en gestion ou politique de conservation l'assument. Le déséquilibre entre réalité et politique conduit à des ressources gâchées, des efforts mal orientés et des échecs potentiels pour conserver et restaurer la nature, et ceux-ci deviendront de plus en plus prévalents avec le changement climatique". Hiers et al 2016

"Les réponses des communautés invertébrées benthiques à la restauration sont hautement variables. En dépit d'un turnover considérable des espèces et d'une richesse taxonomique augmentée, ni les mesures de diversité ni l'abondance des taxons n'ont répondu significativement (…) nos résultats sont consistants avec ceux d'autres études qui ont trouvé une réponse très variable des invertébrés benthiques à la restauration hydromorphologique, mais sans direction du changement, ni d'amélioration dans les résultats évalués en dépit d'une qualité hydromorphologique clairement meilleure (Bernhardt et Palmer 2011; Haase et al 2013; Palmer et al 2010)". Leps et al 2016

"Même si une prise en compte plus large des processus de la rivière et de la restauration au-delà du corridor fluvial s’est installée, la communauté scientifique a souligné deux thèmes persistants dans la restauration de rivière : le suivi limité des projets pour déterminer objectivement et quantitativement si les buts de la restauration sont atteints (par exemple, Bernhardt et al, 2005) et la proportion élevée de projets de restauration qui ne parviennent pas à des améliorations significatives des fonctions de la rivière telles que les reflètent des critères comme la qualité de l’eau ou les communautés biologiques (Lepori et al 2005, Bernhardt et Palmer 2011, Violon et al 2011, Palmer et Hondula 2014). Nous pouvons ajouter à cela le troisième défi consistant à mieux intégrer la communauté non scientifique dans la planification et l’implémentation de la  restauration de rivière (Eden et al 2000, Pfadenhauer 2001; Wade et al 2002, Eden et Tunstall 2006, Eden et Bear 2011). L’échec apparemment très répandu de beaucoup d’approches de restauration souligne le besoin de comprendre pourquoi une proportion substantielle des projets de restauration n’atteignent pas leurs objectifs et comment la communauté scientifique peut contribuer à rendre cette restauration plus efficace". Wohl et al 2015

"Bien que les projets de restauration soient désormais plus fréquents qu'avant, il y a toujours un manque d'évaluation et de retour d'expérience (…) Cette étude met en lumière la difficulté d'évaluer la restauration de rivière, et en particulier de savoir si un projet de restauration est un échec ou un succès. Même quand le programme de surveillance est robuste, la définition d'un succès de restauration est discutable compte tenu des divers critères d'évaluation associés à une diversité de conclusions sur cette évaluation (…) il y a non seulement une incertitude sur les réponses écologiques prédites, mais aussi dans les valeurs que l'on devrait donner à ces réponses (…) La notion de valeur est ici entendue dans son sens général, et elle inclut des dimensions économique, esthétique affective et morale. (…) L'association entre la médiocre qualité de la stratégie d'évaluation et la mise en avant d'un succès souligne le fait que dans la plupart des projets, l'évaluation n'est pas fondée sur des critères scientifiques. Les choix des métriques est davantage relié à l'autorité politique en charge de l'évaluation qu'aux caractéristiques de la rivière ou des mesures de restauration. Dans beaucoup de cas, la surveillance est utilisée comme une couverture scientifique pour légitimer une évaluation plus subjective, qui consiste alors davantage à attribuer une valeur aux mesures qu'à évaluer objectivement les résultats eux-mêmes de ces mesures." Morandi et al 2014

On peut lire par ailleurs une synthèse d'une vingtaine de travaux dont la plupart 2010-2015
 et une critique des recueils d'expérience de l'Onema dont quasiment aucun n'obéit à des protocoles scientifiques sérieux de contrôle et objectivation des gains (tels que posés par Palmer 2005, repris par exemple par Lamouroux 2015 pour évaluer le chantier – sérieux et ambitieux, lui, mais aussi coûteux – de restauration du Rhône).



"Les têtes de bassin sont en effet des zones refuges qui revêtent une importance capitale pour le fonctionnement de nos écosystèmes aquatiques, dont l’accès devient de plus en plus nécessaire et stratégique dans le cadre des possibilités d’adaptation de la faune aquatique au changement climatique."

Il serait utile d'en savoir plus. On a désormais bien compris qu'un certain lobby pêcheur est prêt à tout pour garder ses truites, y compris détruire tous les moulins et étangs des vallées, mais en biodiversité réelle et pas seulement en loisir halieutique sur quelques assemblages de poissons, où sont les travaux d'évaluations chiffrées? Quels sont par exemple les protocoles d'inventaire faune-flore-fonge au long cours pour comprendre l'impact sur le vivant des étangs ou des systèmes biefs-retenues en tête de bassin? Ou les protocoles d'analyse chimique / physico-chimique de leurs effets quand il y a de l'activité agricole dans cette tête de bassin? Ou les modèles hydrologiques couplés aux modèles climatiques permettant de prédire les zones à fort enjeu d'adaptation d'ici 2050/2100, mais aussi de déduire une analyse coût-bénéfice orientant l'action selon la probabilité de succès sur des espèces cibles? S'entendre reprocher qu'on est "bien loin d’un argumentaire scientifique" (dans une réunion où le chercheur a dix minutes pour s'exprimer face à des non-spécialistes) quand on a lu des dizaines, des centaines de rapports, présentations, études qui prétendent aboutir à des orientations fermes d'action sur des bases empiriques et analytiques incroyablement parcellaires, sans aucune réflexion sur leurs propres incertitudes de construction et limites de compréhension, cela fait quand même sourire.

"Nous sommes par essence ouverts au débat et à la discussion, dans des lieux où la parole contradictoire est, et sera toujours la bienvenue."

C'est bien le moins d'accepter le débat quand on porte une réforme ayant réussi la triste prouesse de rendre l'écologie des rivières incroyablement impopulaire en quelques années. Mais a-t-on observé cette volonté de débat depuis 15 ans? La continuité écologique a-t-elle été préparée et décidée sur la base d'échanges contradictoires avec l'ensemble des parties prenantes et la publication d'expertises scientifiques collectives et pluridisciplinaires? La réponse est hélas négative.


Conclusion : la réforme de continuité écologique, plus largement la restauration des bassins versants, est une politique publique à bien des égards nécessaire, mais condamnée à produire du conflit si elle n'est pas capable de reconnaître les limites et échecs de la décennie écoulée. Malgré ses défauts de construction, le récent guide Eau et connaissance de l'Agence de l'eau RMC a commencé une (très timide) reconnaissance du caractère imparfait de l'action en rivière. Ce guide préconise des travaux préliminaires de préparation et justification des chantiers, notamment (pp. 263-264)
  • diagnostic du fonctionnement physique et écologique de la rivière aux échelles spatiales cohérentes en fonction des pressions (échelle bassin versant, tronçon, micro-habitats...),
  • analyse prospective (évolution future potentielle),
  • comparaison de scénarios dont les effets sont bien documentés,
  • analyse des facteurs limitant les améliorations souhaitées (pressions multiples, potentiel de recolonisation, échelle d’action, qualité de l’eau, quantité d’eau...),
  • discussion de la pertinence sociale et territoriale dès le début du projet en concertation avec les acteurs afin de construire sa légitimité et faciliter les négociations bilatérales entre filières qui peuvent avoir lieu par la suite pour rendre le projet opérationnel,
  • définition des objectifs de projet et des objectifs de suivi et d’évaluation clairs, avec des indicateurs de suivi précis.
A ces exigences préparatoires (si peu respectées par les gestionnaires de rivière aujourd'hui) s'ajoute la nécessité d'un débat démocratique de fond, où le si vanté "dialogue environnemental" ne dégénère pas en monologue dogmatique ni en catalogue flou: quelles rivières voulons-nous vraiment? La doxa actuellement dominante de la "renaturation" reflète-t-elle les attentes réelles des citoyens sur l'environnement, le paysage, le patrimoine, les usages, les loisirs? A quelle "nature" nous référons-nous au juste quand nous désirons sa protection, sa conservation, sa contemplation? A quelle "biodiversité" s'adresse-t-on, celle du passé ou celle du présent, celle qui pré-existait à l'homme ou celle que les activités humaines ont modifié, parfois pour l'amoindrir, mais parfois aussi pour l'enrichir? Aucun de ces débats n'a accompagné la réforme de continuité écologique, conçue de manière opaque et imposée de manière autoritaire. On récolte ce que l'on sème...

04/02/2017

Réponse de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)

Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs à l'origine de ce travail, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. 

Doriane Depoilly et Simon Dufour, chercheurs en unité mixte CNRS et Université de Rennes, se sont attachés à mettre en évidence l’influence éventuelle de la suppression d’ouvrages hydrauliques sur la ripisylve des cours d’eau du nord-ouest de la France, grâce à une approche dendrochronologique. L’étude a été réalisée sur 2 sites localisés dans les bassins versants de l’Orne et de la Vire (fleuves côtiers bas-normands), le moulin du Viard (Calvados) et le moulin de Rondelles (Manche). Ces ouvrages, d’une hauteur de 2 et 3 m, ont été supprimés en 1997.

Quelle est la réponse de la croissance des arbres de la ripisylve en fonction des espèces et de la localisation des individus par rapport à l’ouvrage?

L'approche dendrochronologique repose sur le fait que les cernes de croissance des espèces ligneuses montrent une variabilité interannuelle de leur largeur, qui est directement liée aux paramètres environnementaux impactant cette croissance ligneuse: climat, apport en eau, ouverture ou fermeture du milieu. Cette approche est aussi utilisée pour reconstituer l'évolution des climats passés.

Une chronique climatique et hydrologique a été analysées sur une période de 34 ans (1980-2013): moyenne des précipitations mensuelles, moyenne des températures minimales et maximales mensuelles. Des placettes d’échantillonnage ont été localisées en amont de l’ancien barrage, à 20, 350 et 538 mètres pour le moulin des Rondelles et à 114, 412 et 560 mètres pour le moulin du Viard.

Résultat : "la mesure rétrospective des cernes de croissance des arbres de la ripisylve sur une période de trente ans met majoritairement en évidence une baisse significative de la croissance ligneuse suite à la suppression des ouvrages".


Les ruptures de croissance sur la période analysée, avant et après la suppression d'ouvrage, Depoilly et Dufour 2015, art cit, droit de courte citation.

Dans le détail, 30 échantillons sur 36 enregistrent une différence statistiquement significative. La suppression a ainsi entraîné un changement de croissance (positif ou négatif) pour près de 83 % des individus avec 66 % de diminution, 17 % de stagnation et 17 % d’augmentation. Concernant les ruptures significatives, la majorité sont à la baisse (77 à 80 % selon le test). Temporellement, les ruptures statistiquement significatives après 1997 sont majoritaires (60 % des arbres). Tous les arbres ne réagissent pas de la même manière: sur un des deux sites, la suppression du barrage affecte négativement la croissance des aulnes mais positivement celle des frênes et des tilleuls (baisse du caractère hygrophile des ripisylves).

Comme l'écrivent le chercheurs, "les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles. La mobilisation de critères multiples, si elle assure une intégration plus complète des différents enjeux, ne résout pas les éventuelles oppositions. Ainsi, en ce qui concerne la dimension écologique, la restauration de la continuité se concentre sur le chenal, dont elle vise à améliorer les conditions biotopiques et, dans de nombreux cas, elle n’intègre pas les écosystèmes de plaine alluviale, dont la réponse elle-même peut être variable. (…) nos résultats semblent montrer que le risque d’une perte partielle du caractère humide des habitats riverains en place existe, même si l’ampleur du phénomène reste à analyser plus finement. Si le bilan écologique est difficile à établir pour une seule composante du système, il devient vite évident que le bilan global, intégrant plusieurs systèmes (écosystèmes et sociosystèmes), à différentes échelles spatiales, est encore plus délicat à dresser (Stanley et Doyle, 2003 ; Jørgensen et Renöfält, 2012)."

Dicussion
Les auteurs observent : "Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bien-fondé de la politique de restauration de la continuité, ni de conclure à l’impossibilité d’une prise de décision devant la multiplicité des conséquences, mais bien de souligner la nécessité d’une approche des actions de restauration qui, sans renier ses ambitions, serait probablement plus intégrée, plus en lien avec la diversité des situations et, dans tous les cas, plus explicite dans ces objectifs et ses conséquences." Et ils ajoutent : "Ecosystèmes aquatiques, écosystèmes riverains, bâti historique, pratiques sociales... autant d’éléments à intégrer par des processus qui réclament conjointement des connaissances scientifiques multi-thématiques et des dispositifs politiques efficients".

On ne peut que partager cet appel raisonnable à une approche multidisciplinaire et intégrative de la restauration de rivière, particulièrement de la restauration de continuité écologique. La défragmentation a été portée en France par des objectifs très orientés sur l'expertise hydrobiologique, en particulier la franchissabilité des obstacles par les migrateurs et la réhabilitation d'habitats lotiques pour des rhéophiles. On a oublié un peu rapidement que les habitats artificiels lentiques (biefs, canaux, retenues, étangs, etc.) forme des hydrosystèmes à part entière, connectés aux habitats riverains, avec un bilan de biodiversité et de fonctionnalité ne pouvant se limiter à l'optimisation pour certains assemblages pisciaires ou pour certains traits fonctionnels de ces assemblages.

Référence: Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64

01/02/2017

Journée des zones humides

Biefs, canaux, rigoles des déversoirs et déchargeoirs, retenues, étangs... les ouvrages en rivière créent des plans d'eau et des annexes hydrauliques qui forment autant de singularités. Ils alimentent souvent des espaces humides attenants, par des rehausses de nappe, des débordements ou des fuites. A leurs abords, la végétation prospère. Au fil des saisons, on y observe toute une faune d'oiseaux, insectes, amphibiens, mammifères... En sécheresse ou en crue, des poissons y trouvent refuge. Chaque ouvrage est différent, chaque ouvrage mérite un examen attentif. L'inventaire de cette biodiversité reste à faire, car elle est aujourd'hui négligée – voire niée – par les gestionnaires de l'eau. Nous invitons les propriétaires de ces ouvrages à se coordonner, à relever et photographier la faune et la flore de leur bien, à nous communiquer leurs observations. 

30/01/2017

Non à la destruction des moulins de Chartres

Chartres Métropole s'apprête à détruire plusieurs ouvrages hydrauliques sur les communes de Chartres, Le Coudray, Luisant, cours d'eau de l'Eure. Mobilisez-vous d'ici vendredi pour dire non lors de l'enquête publique.

Le dossier de l'enquête publique peut être téléchargé à cette adresse. Vous avez jusqu'à vendredi prochain pour écrire au commissaire enquêteur (enquetes.publiques@agglo-ville.chartres.fr), ou vous rendre en mairie (Mairie de Chartres, Guichet unique, 32-34 Boulevard Chasles). Ci-dessous quelques-uns des arguments que nous envoyons pour notre part à l'enquête.


Pollution eau et sédiments
Il est reconnu dans le dossier que la qualité chimique et physico-chimique de l'eau est moyenne, donc insatisfaisante pour la directive cadre européenne (DCE 2000) :  "De manière globale, la qualité de l’Eure est moyenne que ce soit pour les paramètres physico-chimiques de carbone organique dissous, phosphore total et nitrates par exemple, qu’au regard de la qualité biologique (macro-invertébrés, diatomées ou poissons). Malgré tout, les résultats montrent une dégradation du milieu au niveau chimie sur les paramètres ammonium et orthophosphates notamment. Cela se traduit par une eutrophisation de l’eau, c’est-à-dire une asphyxie du cours d’eau résultant de la prolifération d'algues qui consomment tout l'oxygène nécessaire à la vie aquatique."

En conséquence :
- le dossier aurait dû proposer une analyse chimique des sédiments des retenues remobilisés par les travaux, afin de vérifier s'il est nécessaire de les placer en décharge spéciale, et non les laisser repartir en l'état vers l'aval,
- le chantier consiste à rétablir la continuité piscicole et sédimentaire dans une eau reconnue comme dégradée, donc les effets biologiques seront moindres et la dépense d'argent public ne correspond pas aux priorités de la DCE.

Foncier et chantier
Le dossier stipule que trois ouvrages ont fait l'objet d'une abrogation de règlement et/ou droit d'eau par arrêtés en 2016, et que leurs propriétaires ont signé des conventions avec Chartres Métropole. Toutefois, le dossier ne précise pas que les autres propriétaires directement impactés par les chantiers sur chaque rive, et par l'évolution du niveau d'eau sur leur propriété riveraine, ont été consultés, ont obtenu des garanties sur l'avenir de leur bien riverain et ont donné un accord au chantier.

Patrimoine historique et paysager
L'article L 211-1 code de l'environnement dispose : III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.

L'article L 214-17 code de l'environnement dispose : IV.-Les mesures résultant de l'application du présent article sont mises en œuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.

Il y a donc obligation de :
- vérifier si les ouvrages et leur retenue sont dans le périmètre de sites inscrits ou font l'objet d'une protection dans les documents d'urbanisme
- consulter le cas échéant l'architecte des bâtiments de France et publier son avis.

Le dossier ne spécifie aucune démarche en ce sens et ne comporte aucune information sur le patrimoine historique, culturel, paysager attaché aux ouvrages.

Risque géotechnique
Aucune information n'est donnée sur l'évolution des berges, des ouvrages d'art et des fondations des bâtis qui sont actuellement en permanence en eau grâce aux retenues que l'on s'apprête à faire disparaître. Aucune responsabilité n'est précisée en cas de dommages. Beaucoup de fondations anciennes sont réalisées en bois et résistent mal à la mise hors d'eau. Le principe de précaution exige d'apporter toutes garanties avant de commettre l'irréparable.

Zone Natura 2000
Le dossier précise: "La zone est concernée par une zone Natura 2000, au niveau du moulin Lecomte. La zone n°35 se situe en amont de la zone d’étude. Il s’agit de la Prairie de Luisant. Cette zone est remarquable pour l’habitat « mégaphorbiaie » qui la compose. Le site du moulin Lecomte se situe dans la partie « peupleraie » de la zone."

Or, les travaux ont des conséquences potentiellement néfastes sur l'écoulement superficiel et souterrain (abaissement de nappe), comme sur le milieu : abattage des arbres sur l’îlot, abattage des arbres sur le bief, abattage de 70 peupliers, défrichement de la végétation de l’ilot, comblement de la totalité du canal,réalisation de travaux de VRD (enrobé bitumineux, parking, trottoir, réseaux, etc.), future sortie camion à proximité du lavoir, etc.

Le dossier ne comporte pas d'étude d'impact complète sur la zone.

Enjeux biologiques
Le dossier ne comporte aucun inventaire biologique complet faune-flore-fonge des espèces inféodées à l'hydrosystème existant. En l'état, on ne connaît pas la biodiversité présente et on ne peut notamment pas garantir l'absence de "perte nette de biodiversité" liée aux travaux (article L. 110-1 code de l'environnement).

Pour les poissons en particulier, premier objectif de la mise en conformité L 214-17 code de l'environnement, le dossier ne comporte pas un inventaire complet amont, aval et zones intermédiaires des retenues. Il est donc impossible de savoir si les espèces cibles parviennent ou non à franchir les bras en l'état, si les ouvrages augmentent ou diminuent la richesse spécifique totale, de même qu'il est impossible de chiffrer des objectifs de gains liés à la dépense publique des chantiers.

Plusieurs ouvrages sont décrits comme partiellement franchissables (Barre des prés, Tan, Lecomte). Cette franchissabilité partielle est conforme à l'article L 214-17 code de l'environnement qui n'impose pas une obligation de franchissabilité totale (toutes espèces et toutes saisons), donc d'une part la solution radicale d'effacement n'est pas proportionnée à l'enjeu sur les sites concernés, d'autre part la dépense d'argent public sur un bien privé ne relève pas de l'intérêt général.

Pour l'ensemble de ces raisons, et sous réserve que le maître d'ouvrage réponde aux points ci-dessus énumérés, un arrêté préfectoral autorisant les travaux en l'état serait susceptible de faire l'objet d'une requête contentieuse en annulation.

Illustration: le pont des Minimes, le moulin de Ponceau et les bords de l'Eure, Chartres, Eure-et-Loir (France). Photographie prise par Giraud Patrick, CC VY 2.5.

28/01/2017

La biodiversité locale est-elle réellement en déclin? (Vellend et al 2017)

Depuis quelques années, un débat émerge et divise la communauté des chercheurs en écologie: trouve-t-on une tendance réelle dans la biodiversité à échelle locale? La question peut paraître décalée voire saugrenue pour l'opinion actuelle, habituée à s'entendre dire que nous sommes au bord de la sixième grande extinction du vivant. Pourtant, plusieurs travaux concluent que la tendance moyenne de la biodiversité locale est nulle sur les données exploitables en longues séries temporelles, avec autant de hausses que de baisses. En fait, l'Anthropocène peut être animé de tendances aux effets contraires: une perte nette d'espèces au plan global (par extinction) mais une accélération interne de la diffusion des espèces non éteintes (par invasion, translocation, acclimatation, recolonisation). Point sur les toutes dernières évolutions de ce débat, et sur quelques implications dans la manière dont nous nous représentons socialement la biodiversité. 

Il existe aujourd'hui une perte globale de biodiversité, marquée par l'extinction d'espèces. L'ampleur et le rythme de cette perte sont sujets à discussion (voir cet article), en particulier parce que l'écologie scientifique manque de données d'observations – phénomène plus marqué dans des pays pauvres ou émergents, là où la disparition d'espèces est suspectée d'être la plus soutenue aujourd'hui, comme elle l'a été aux siècles passés dans les sociétés aujourd'hui industrialisées.

Depuis quelques années, un débat agite cependant la communauté des écologues : la baisse globale de biodiversité s'accompagne-t-elle d'une baisse locale de cette même biodiversité? Les deux phénomènes ne sont pas forcément liés, puisque les espèces sont mobiles. Prenons un exemple aquatique : la construction d'un grand barrage va entraîner la perte locale d'espèces (inadaptée à la fragmentation ou au nouvel habitat), éventuellement une extinction d'espèce rare et locale, mais le réservoir du barrage et ses abords seront colonisés par des nouvelles espèces, venant naturellement ou introduites artificiellement. Au final, si l'on s'en tient à la biodiversité du site définie par la richesse des espèces qu'il est capable d'héberger de manière permanente ou temporaire, seul un bilan local des espèces apparues / disparues permet de dire si la biodiversité a une tendance nulle, croissante ou décroissante à l'échelle spatiale d'intérêt.

Un article paru dans les PNAS (Vellend et al 2013) et un autre dans Science (Dornelas et al 2014) se sont intéressés à cette question.

Le premier travail, méta-analyse de 16.000 inventaires sur les plantes, trouve une tendance nulle en biodiversité locale.

Extrait de Vellend et al 2013, art cit, droit de courte citation. Tendance temporelle en biodiversité locale sur les communautés de plantes, centrée sur zéro.

Le second travail analyse 100 séries temporelles de qualité sur 35613 espèces animales et végétales. Il conclut lui aussi à une tendance nulle de la biodiversité alpha (richesse en espèces), mais dans une tendance significative en biodiversité bêta (changement de composition locale des espèces au fil du temps, en moyenne 10% par décennie sur l'échantillon).


Extrait de Dornelas et al 2014, art cit, droit de courte citation. A gauche, tendance nulle de la biodiversité locale alpha sur un siècle d'études. A droite, tendance significative de l'indice de Jaccard, montrant un remplacement des espèces concernées.

Le débat rebondit en 2016 lorsqu'Andrew Gonzalez et 9 collègues (dont Michel Loreau en France) publient dans Ecology une réfutation de ces résultats (Gonzalez et el 2016). Ces scientifiques considèrent trois points: les échantillons choisis sont géographiquement biaisés; les séries temporelles sont souvent trop courtes pour permettre de conclure sur des tendances significatives; le matériau d'analyse mêle des études sur des perturbations (disturbance) et d'autre sur des récupérations (recovery) après impact.

Mark Vellend, Maria Dornelas et 12 collègues viennent de répondre dans Ecology à ces objections, en ré-affirmant la valeur de leurs découvertes initiales et en pointant ce qu'ils estiment être des erreurs ou des présupposés non réalistes d'interprétation dans les critiques de Gonzalez et de ses co-auteurs. Pour eux, les données d'entrée sont certes perfectibles, mais c'est là un problème général de l'écologie (manque de mesures fiables de long terme) qui ne remet pas en cause ce que l'on peut observer sur les quelques données existantes, à savoir une tendance globalement nulle dans la biodiversité locale.

Discussion
Le débat, devenu passablement technique, continuera certainement dans les mois et années à venir. Il est probable qu'il ne manquera pas de déborder la sphère savante. Comme souvent dans les sciences de l'environnement, les échanges intellectuels influencent les représentations sociales comme les choix des gestionnaires et décideurs.

Il existe, même dans la littérature scientifique et technique, des divergences de présupposés. Pour l'écologie conservationniste, la nature s'apprécie par les assemblages d'espèces endémiques en milieux très peu perturbés par l'homme. C'est à partir de cette référence qu'il faudrait agir, soit en interdisant ou limitant la présence humaine (aires de conservation) soit en ré-aménageant les milieux par effacement des impacts humains (travaux de restauration ou renaturation). Par exemple, le célèbre biologiste (et inventeur du mot biodiversité) Edward O. Wilson vient de proposer de "ré-ensauvager" la moitié de la surface terrestre (Half Earth 2016). Pour l'écologie fonctionnaliste, le caractère dynamique du vivant comme l'ancienneté des influences humaines et leur prévisible persistance, voire accélération (changement climatique), suggèrent qu'il est vain de vouloir viser une certaine référence stable de composition des espèces. Il faut plutôt préserver (ou restaurer) la capacité des milieux à accueillir et produire de la diversité biologique, en agissant sur certains niveaux d'organisation et de résilience (par exemple la connectivité physique ou la régulation thermique). Il s'agit aussi de protéger des services rendus par les écosystèmes (par exemple la pollinisation ou l'épuration).

Des questions éthiques se superposent à ces paradigmes d'interprétation scientifique du vivant – et parfois s'y mêlent, car tous les chercheurs ne sont pas exempts de jugements de valeur, particulièrement en écologie appliquée de la conservation (discipline marquée par un certain engagement dès sa naissance dans les années 1970-1980) . Selon les tenants du biocentrisme ou de l'écocentrisme, le vivant a une valeur en soi et il faut viser l'évitement de toute perte d'espèces ou d'habitats, quand bien même les intérêts humains s'en trouvent affaiblis. Selon les tenant de l'anthropocentrisme, le vivant est toujours apprécié à travers certaines valeurs données par l'homme (utilité, beauté, connaissance) et ce sont en dernier ressort des choix sociaux qui dicteront les objectifs des politiques de biodiversité.

Préalablement à ces vastes débats intéressant tous les citoyens et non les seuls spécialistes, il faudrait déjà s'accorder sur les faits d'observation et sur une base solide d'information partagée. Pour les rivières et plans d'eau qui concernent  notre action associative, cette question des tendances réelles de la biodiversité locale rejoint une préoccupation majeure: la nécessité de réaliser des inventaires biologiques complets des hydrosystèmes naturels et artificiels, à échelle des stations, rivières et bassins versants, intégrant la dynamique temporelle (voir cet article). Des choix français en politique de l'eau ont été inspirés par la conservation de certaines espèces pisciaires menacées, spécialisées (migrateurs, rhéophiles) et/ou d'intérêt halieutique (salmonidés), sans que le bilan biologique élargi  (ni, au demeurant, les évolutions hydroclimatiques à échelle du siècle) informe le gestionnaire dans son intervention. Au regard de la pluralité des approches savantes sur la biodiversité comme des attentes sociales vis-à-vis d'elle, une réflexion plus approfondie et plus ouverte est certainement nécessaire.

Référence : Vellend M et al (2017), Estimates of local biodiversity change over time stand up to scrutiny, Ecology, DOI: 10.1002/ecy.1660

26/01/2017

Livre blanc du syndicat des énergies renouvelables et hydro-électricité

Placer toute l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et du climat, et non de celle de l'eau et la biodiversité pour les petites puissances ; rendre les prescriptions environnementales compatibles avec nos objectifs ambitieux de transition énergétique : ces deux mesures parmi d'autres seront défendues par le Syndicat des énergies renouvelables auprès des candidats à l'élection présidentielle. Un autre enjeu important est à défendre pour les moulins, étangs et riverains : simplifier grandement les procédures d'autoconsommation avec injection du surplus, afin que chacun puisse produire facilement.  

Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) vient de publier son Livre blanc. Le mardi 31 janvier, à l’occasion de son colloque annuel, le  SER invitera les principaux candidats à l’élection présidentielle à présenter leur vision du rôle des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. Il leur proposera de se positionner sur les orientations stratégiques détaillées dans ce Livre blanc.

Deux propositions à soutenir: une tutelle administrative de l'énergie (et non plus de l'eau), une révision en profondeur de la continuité écologique
Nous publions ci-dessous quelques extraits du chapitre consacré à l'hydro-électricité. Parmi les points que nous appelons à soutenir tout particulièrement dans les prochains mois, tant auprès des candidats à la présidentielle que de ceux à la députation:

  • placer toute l'hydro-électricité (petite ou grande) sous le tutelle de la direction de l'énergie et du climat.  La direction de l'eau et de la biodiversité est aujourd'hui en charge de la petite hydro-électricité, mais elle n'est pas dans son domaine premier de compétence et, pour l'essentiel, cette direction travaille à freiner le développement de cette énergie renouvelable au lieu de le favoriser, ce qui rend la politique publique illisible;
  • réviser en profondeur la réforme de continuité écologique, qu'il s'agisse de son périmètre, de ses méthodes, de sa gouvernance, de son suivi, de ses analyses coût-bénéfice et de son financement. La continuité est un angle légitime de gestion des rivières mais sa mise en oeuvre administrative s'est révélée coûteuse, complexe et conflictuelle, ainsi que contraire à l'objectif de développement de l'hydro-électricité (soit par destruction pure et simple du potentiel énergétique, soit par exigence d'aménagements à financement public défaillant, dont le surcoût imposé et la perte de productible annulent tout espoir de rentabilité pour beaucoup d'exploitants). Au-delà des amendements d'urgence déjà votés, c'est une remise à plat complète de cette continuité qui s'impose, pour en faire un instrument consensuel, durable et réaliste de la politique des rivières et plans d'eau. 

Une proposition à construire: faciliter l'autoconsommation pour des dizaine de milliers de sites potentiels
Notre regret concernant ce Livre blanc: l'absence de proposition sur l'autoconsommation avec injection du surplus. Des premières mesures ont été prises dans la loi de transition énergétique et son ordonnance d'application, mais elles sont encore insuffisantes pour l'objectif : que les foyers soient réellement incités à produire avec l'énergie locale dont ils disposent.

Chaque rivière française de taille petite ou moyenne possède des ouvrages de moulins susceptibles de relancer facilement la production qui était la leur jusqu'au XXe siècle (voir cette synthèse). L'obstacle n'est pas technologique: roue, vis, turbine, hydroliennes permettent de produire à toute hauteur et tout débit, avec des génératrices adaptées. Mais la puissance de ces sites, de quelques kW à dizaines de kW, n'est pas toujours suffisante pour motiver le montage d'un dossier complet d'injection, dans le cadre d'une activité considérée aujourd'hui comme industrielle, avec ce que cela implique en complexité (création de société commerciale, souscription d'un contrat de 20 ans, instruction détaillée par le service administratif, etc.). Nous sommes devant un paradoxe: alors qu'il est techniquement simple de produire sur un site (l'équivalent de plusieurs dizaines à centaines de m2 de panneaux solaires), c'est administrativement et fiscalement compliqué.

La relance des moulins se heurte ainsi à des obstacles qu'il appartient de surmonter: régime fiscal clair pour les particuliers, contrat d'injection du surplus (à prix de marché, sans aucune subvention), intégration des effacements et des protections de découplage dans les compteurs intelligents, soutien public (indispensable) aux dispositifs écologiques d'accompagnement, dont la continuité, Turpe dimensionnée à la taille très modeste du productible, dossier environnemental simplifié.

La double modernisation écologique et énergétique des moulins est un enjeu qui intéresse tous les territoires, chaque département comptant des centaines à des milliers de sites. Mais elle ne peut réellement progresser que par un contrat simple et universel incitant les gens à produire leur électricité et à injecter ce qu'ils ne consomment pas sur le réseau local. L'aide publique peut être nulle pour l'énergie (le maître d'ouvrage assume totalement son équipement, il ne bénéficie pas d'un tarif spécial de rachat pour le surplus d'électricité produite), mais elle doit en revanche être totale pour l'écologie: la collectivité doit financer les équipements qu'elle exige quand ces équipements relèvent de la poursuite d'un bien commun, et non pas de l'intérêt particulier du maître d'ouvrage (qui se voit au contraire imposer une nouvelle servitude d'entretien et surveillance des dispositifs écologiques mis en place).

Extraits du Livre blanc du SER (hydro-électricité)
Avec plus de 25 000 MW de puissance installée, l’énergie hydraulique délivre chaque année 70 TWh d’électricité, soit 65 % de l’électricité produite par les énergies renouvelables, constituant ainsi la 1ère filière de production d’énergie électrique renouvelable en France. L’activité génère plus de 20 000 emplois à l’échelle nationale (étude BIPE 2012 pour le SER).

1. Améliorer la gouvernance liée à l’hydroélectricité au niveau de l’État pour mieux articuler les politiques publiques qui lui sont applicables
Les projets hydroélectriques, qu’ils soient soumis à une autorisation au titre de la loi sur l’eau (< 4,5 MW) ou au régime des concessions (> 4,5 MW) ne bénéficient pas de la même tutelle alors que les problématiques économiques,  fiscales ou environnementales sont de même nature. L’hydro-électricité fait appel à de très nombreuses problématiques techniques, industrielles et scientifiques. Ces enjeux de natures diverses et d’un niveau technique élevé rendent complexes, voire contradictoires, un certain nombre de dispositions applicables à la  filière.

Le SER propose que l’ensemble de la  filière relève, au sein du ministère de l’Energie, de la direction en charge de l’énergie, qui doit pouvoir compter sur une expertise de haut niveau. Cette nouvelle organisation doit permettre de renforcer la cohérence entre les politiques publiques liées d’une part au développement des énergies renouvelables et d’autre part à la préservation de l’environnement.

2. Concilier politique environnementale et énergétique
La nécessité de prendre en compte les enjeux environnementaux a permis d’engager l’hydroélectricité dans le sens de l’amélioration et de la préservation du bon état écologique des eaux. La  filière s’est désormais largement approprié cette préoccupation, comme en témoigne sa mobilisation pro-active en faveur d’une hydroélectricité de haute qualité environnementale. 

Néanmoins, l’ampleur, la précision et la généralisation des prescriptions environnementales n’ont cessé de croître au détriment de la production d’électricité renouvelable, générant un empilement de normes de différentes natures et de prérequis disproportionnés. C’est ainsi que la contribution de la  filière au développement durable, aux objectifs de qualité de l’eau et de respect de la biodiversité, s’est traduite dans les faits par l’obligation de mise en œuvre de prescriptions environnementales très lourdes (franchissement piscicole notamment) sans bilan coût-efficacité et par une baisse importante du potentiel de développement de nouveaux aménagements ainsi que du productible des aménagements existants. 

La profession plaide donc en faveur d’une meilleure transparence sur les objectifs et les résultats de la politique environnementale, afin d’aboutir à un cadre règlementaire et législatif plus équilibré. La révision de la Directive cadre sur l’eau (DCE) doit être l’opportunité pour l’Europe comme pour la France de concilier plus efficacement les politiques environnementale et énergétique. La législation française sur l’eau et sa mise en œuvre doivent être fondées sur la conciliation des usages de l’eau, adossées à une analyse scientifique et contradictoire des enjeux et à l’évaluation du ratio coûts / bénéfices, ainsi que le prévoit la DCE.

A noter également : nouveau scénario négaWatt

Le nouveau scénario négaWatt 2017-2050, avec objectif 100% renouvelables, a été rendu public le 25 janvier 2017. Ce scénario prévoit une production hydraulique constante, mais avec des pertes de productible dues à des aménagements de biodiversité et à une baisse tendancielle estimée à 15% de débit disponible. En d'autres termes, pour tenir cet enjeu de production hydro constante avec 15% de débit (donc puissance) en moins, il faut en réalité augmenter la puissance actuellement installée. Donc restaurer énergétiquement des milliers de sites déjà en place mais ne produisant plus (le potentiel des moulins seuls, hors barrages, serait de l'ordre de 1000 MW). A noter que pour négaWatt, le stockage se fait par la voie du biogaz (méthanation) et non pas par des STEP (ou par l'hydrogène couplé à l'hydro-électrique, comme cela commence à apparaître). En fait, il faudra sans doute équiper davantage les moulins et usines à eau si l'on ne parvient pas à tous les objectifs de réduction de la consommation énergétique prévus dans ce scénario négaWatt. Pour rappel, ces objectifs (baisse de 63% de l'énergie primaire et de 50% de la consommation finale) sont jugés très ambitieux par les énergéticiens vu ce qu'ils demanderaient en investissement constant sur 3 décennies dans les infrastructures logement, transport et chauffage, alors que la puissance publique ne parvient déjà pas à impulser et financer des objectifs intermédiaires beaucoup plus modestes.

24/01/2017

La moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017)

Selon une étude venant de paraître, la moitié des masses d'eau de surface européennes devrait changer de régime hydrologique d'ici quelques décennies sous l'effet des changements climatiques et des usages humains associés. Avec d'inévitables conséquences sur les écosystèmes aujourd'hui en place. La France sera particulièrement concernée. Ce résultat repose une question intriguant déjà nombre de chercheurs en écologie des milieux aquatiques: pourquoi donc la directive cadre européenne sur l'eau s'est-elle construite sur l'idée qu'il existerait un "état de référence" intangible de chaque rivière?

Le travail de Cédric Laizé, Mike Acreman et Ian Overton s'inscrit dans le projet SCENES (water SCenarios for Europe and for NEighbouring States) visant à anticiper les évolutions hydrologiques du Vieux Continent ainsi que de ses voisins anatolien et méditerranéen. Deux modèles climatiques de circulation globale ont été mobilisés, IPSL-CM4, de l'Institut Pierre Simon Laplace (France) ; MIROC3.2, du Centre de recherche sur le système climatique (Japon). Les chercheurs ont comparé les données de référence 1961-1990 (Climate Research Unit, Royaume-Uni) avec le projections 2040-2069 des modèles.

Les auteurs rappellent l'importance du régime hydrologique des débits dans la caractérisation écologique des rivières. "Bien que beaucoup de facteurs influencent le type et la condition des écosystèmes d'eaux douces, incluant la lumière, la température de l'eau, les nutriments et les interactions entre espèces (Moss et al 2009), dans les rivières c'est le débit (c'est-à-dire l'écoulement mesuré comme volume par unité de temps) qui est considéré comme le facteur clé (…) le paradigme du régime de débit naturel (Poff et al 1997) pose que le caractère dynamique du débit naturel d'un cours d'eau - caractérisé par son amplitude, sa fréquence, sa durée, sa période et son rythme de changement – est central pour soutenir la biodiversité et l'intégrité de l'écosystème (Lytle et Poff 2004)".

Laizé et ses collèges ont donc créé des indicateurs de débit (Monthly Flow Regime Indicators MFRIs) avec 14 métriques d'intérêt pour leur influence sur les écosystèmes de rivière. Par une analyse en partitionnement (clustering), 13 écotypes d'écoulement ont été définis (10 existant aujourd'hui et 3 n'existant pas actuellement en Europe). Ces types éco-hydrologiques se différencient par la saisonnalité des hautes eaux (hiver, printemps), par l'ampleur et la variabilité des régimes (basses eaux, hautes eaux), par la fréquence des extrêmes.



Changement des régimes hydrologiques autour de 2050 selon le modèle IPCM4 EcF, en vert pas de changement, en bleu changement dans un régime déjà existant, en rouge apparition d'un nouveau régime inexistant sur la zone. On voit que les bassins français devraient être massivement concernés par des évolutions hydroclimatiques.  Extrait de Laizé et al 2017, art cit, droit de courte citation.

Résultats (fourchettes basses et hautes des deux modèles):
  • 30 à 49% des rivières ne changent pas de type de débit;
  • 42 à 55% des rivières changent de type, pour un type connu;
  • 9 à 18% des rivières entrent dans un type encore inconnu (plutôt des régimes à dominante hivernale avec peu de variabilité et d'extrêmes).
Conclusion des scientifiques : "il est donc raisonnable de dire que si une rivière change d'un type éco-hydrologique de débit pour un autre, il existe un potentiel pour de nouveaux écosystèmes, particulièrement si cela résulte en une perte d'espèces existantes. Cependant, l'écosystème qui se dévelopera réellement dépendra de la capacité des nouvelles espèces qui arrivent à exploiter des niches disponibles".

Discussion
Les prévisions des modèles mobilisés par Cédric Laizé et ses collègues se réaliseront-elles? C'est incertain, car les modèles hydroclimatiques appliquées aux échelles régionales donnent encore des résultats divergents (ce qui est le cas, dans le détail, des 2 modèles ici mobilisés). Le climat fonctionne par couplage dynamique océan-atmosphère, avec des oscillations naturelles et des évolutions stochastiques, donc savoir comment les forçages anthropiques vont altérer ces mécanismes et leur téléconnexions restent un champ assez ouvert pour la modélisation climatique.

Cette réserve étant posée, la plupart des climatologues et hydrologues pensent que le régime des rivières sera bel et bien modifié de manière substantielle par les changements climatiques annoncés au cours du siècle. S'il est encore difficile de prédire avec précision l'avenir de chaque grand bassin, des évolutions thermiques et hydrologiques sont à peu près inévitables. Et cela à relativement court terme – quelques décennies, ce qui est peu pour le vivant.

Comme le relèvent Cédric Laizé et ses collègues, les changements hydrologiques impliqueront des évolutions écosystémiques. Cela rend quelque peu problématique l'approche choisie par l'Union européenne dans la directive cadre sur l'eau : définir des "états de référence" biologiques et physico-chimiques afin de déterminer quels peuplements et écoulements "naturels" sont attendus sur des cours d'eau, et forment donc l'objectif de la conservation ou de la restauration de ceux-ci. En effet, en prenant comme base des statistiques d'observation de la fin du XXe siècle, nous avons de bonnes chances de poser des référentiels de qualité ou d'intégrité qui deviendront automatiquement désuets à mesure que le vivant s'adaptera aux conditions nouvelles. Ce malentendu fondateur de la DCE 2000, déjà souligné par des chercheurs dubitatifs sur l'approche choisie par les gestionnaires (voir Bouleau et Pont 2015), gagnerait à être éclairci au plus vite.

Mais la Direction générale Environnement de la Commission de Bruxelles est-elle davantage ouverte aux nuances, incertitudes et réserves des débats scientifiques en écologie que ne le sont nos bureaucraties nationales? Au regard de la genèse de la directive cadre (voir Loupsans et Gramaglia 2011), il y a quelques craintes à avoir…

Référence : Laizé C et al (2017), Projected novel eco-hydrological river types for Europe, Ecohydrology & Hydrobiology DOI: 10.1016/j.ecohyd.2016.12.006