27/06/2017

Non à la destruction des ouvrages et biefs de Prusly-sur-Ource et Villotte-sur-Ource

Le Syndicat mixte Sequana (SMS, ancien Sicec) s'apprête à détruire plusieurs ouvrages hydrauliques sur l'Ource à Prusly et Villotte. Ce projet n'est pas seulement une altération du patrimoine et du paysage des rivières aménagées, c'est aussi une absurdité écologique avec mise hors d'eau de 1700 m de bief, sans aucune analyse sérieuse de la biodiversité présente et du bilan pour les milieux.

Les documents de l'enquête sont disponibles à ce lien. Nous vous appelons à participer à l'enquête publique avant vendredi prochain (date de clôture) :

  • en exprimant votre refus par mail à l'adresse ddt-ser@cote-dor.gouv.fr et mairie.pruslysurource@wanadoo.fr (objet du courrier "avis enquête publique")
  • en vous rendant le vendredi 30 juin en mairie de Villotte (matin) ou de Prusly (après-midi).

Merci d'avance de votre mobilisation contre cette nouvelle gabegie d'argent public au détriment des riverains,  des rivières et de leurs annexes hydrauliques.



Avis négatif sur les effacements d’ouvrages hydrauliques sur l’Ource  à Prusly et Villotte
Demande de compléments 
sur les impacts sociaux, patrimoniaux et écologiques du projet



Rappel du contexte national : la politique de continuité écologique considérée comme très problématique par les audits parlementaires et administratifs

La politique dite de « continuité écologique » a été lancée par le plan national d’action pour la continuité écologique (PARCE 2009) et le classement des cours d’eau  de 2012-2013, suite à l’article L 214-17 CE (LEMA 2006).

Cette politique a fait l’objet de deux rapports d’audit du CGEDD (2012, 2016), commandités par le ministère de l’Ecologie, ainsi que de plusieurs rapports parlementaires (Dubois-Vigier 2016, Pointereau 2016).

Dans l’ensemble, ces rapports sont très critiques et pointent les éléments suivants :

  • Coût élevé des travaux en rivière
  • Définition incertaine des priorités écologiques en particulier piscicoles (espèces migratrices ou sédentaires ? espèces menacées ou communes ? espèces amphihalines ou holobiotiques ?)
  • Défaut de prise en compte des éléments d’intérêt général attachés aux ouvrages, comme le patrimoine historique, technique et culturel, la diversité des paysages, les réserves d’eau que forment les biefs et retenues, le potentiel énergétique, les aménités (comme les promenades au bord des hydrosystèmes aménagés)
  • Défaut de prise en compte des usages particuliers et locaux chez les riverains
  • Prime à la destruction des ouvrages alors que la loi n’y enjoint pas et que de nombreuses autres solutions restaurent les mêmes fonctionnalités écologiques de franchissement et transit (par exemple ouverture des vannes, rivière de contournement, passe à poissons, rampes enrochées)

Le projet de Prusly-sur-Ource illustre l’exemple de ces dérives où le gestionnaire propose comme unique solution la disparition définitive d’ouvrages, sans prendre le temps d’une véritable réflexion et concertation, mais surtout sans démontrer que le projet n’aura pas un bilan écologique négatif pour l’hydrosystème local.


Patrimoine et paysage

Les travaux prévus vont faire disparaître plusieurs ouvrages appartenant au patrimoine culturel et technique du Châtillonnais, pays de sidérurgie depuis le Moyen Âge.

Certains de ces ouvrages et le bief principal de dérivation sont par ailleurs situés dans un périmètre de 500 m d’un ouvrage inscrit à l’inventaire du patrimoine historique (portail de l’Eglise : inscription par arrêté du 21 juin 1927.)

En l’état, le dossier présenté ne fournit aucune indication sur la valeur patrimoniale ou paysagère des ouvrages. Nous jugeons nécessaire qu’un avis motivé de l’architecte des bâtiments de France soit donné (article L 211-1 code de l’environnement, article L 214-17 code de l’environnement)

La mise hors d’eau des biefs est susceptible d’occasionner des fragilisations de berges, des rétractions d’argiles, des pourrissements de certaines fondations en bois. Aucune analyse géotechnique, même sommaire, n’est donnée sur ces enjeux sur tout le linéaire du bief qui sera asséché la majeure partie de l’année. Nous jugeons nécessaire de préciser si ces enjeux existent, en particulier dans la traversée du village.


Santé, climat et cadre de vie

Le projet consiste à supprimer la mise en eau permanente du bief de Prusly, avec un débordement de la rivière dans le bief actuel limité aux seules périodes de gros débits (73 jours dans l’année). Cela a au moins deux effets dont l’importance n’est pas explicitée dans le projet :

  • Le bief perd sa fonction de rafraichissement du micro-climat local en été, alors que dans la stratégie d’adaptation au réchauffement climatique, on considère que les espaces urbanisés et de vie doivent au contraire préserver des zones en eau et des zones végétalisées.
  • Le fait que le bief passe d’un système d’eau courante (aujourd’hui) à un système d’eau stagnante et intermittente (demain) peut entraîner des effets négatifs qui ne sont pas aujourd’hui estimé (prolifération de moustiques, odeurs désagréables).

Nous jugeons nécessaire une estimation de l’effet sanitaire et qualitatif de l’apparition de zones d’eaux stagnantes / intermittentes dans le bief actuellement en eaux courantes et de la disparition de la fraîcheur apportée par l’eau du bief en été ainsi que par la végétation en profitant.


Ecologie

Enjeu limité pour la truite
La seule espèce mentionnée dans le projet et bénéficiant des travaux est la truite commune Salmo trutta fario. Or, on peut observer les éléments suivants :

  • La plupart des truites présentes dans les rivières sont issues de campagnes d’empoissonnements menées par les pêcheurs depuis plus d’un siècle, de sorte que la « naturalité » de ces populations est discutable et que des introgressions génétiques ont été nombreuses par rapport aux souches anciennes endémiques.
  • La truite commune a une aire de répartition très large en Europe et n’est pas considérée comme une espèce menacée.
  • Les relevés de la fédération de pêche du 21 montrent la présence de truites dans l’Ource, de sorte que le problème posé par les ouvrages visés n’est pas démontré à ce jour, ni le gain précisé pour cette population.
  • Aucun relevé piscicole n’a été fait à l’amont et à l’aval des ouvrages de Prusly, pas plus que dans les biefs (malgré la présence de poissons, voir photos ci-après), de sorte que le dossier ne caractérise pas l’enjeu.
  • Le dossier relève que les ouvrages sont partiellement franchissables, donc ils ne représentent pas un obstacle permanent à la circulation de la truite.
  • Le changement climatique s’apprête à modifier l’écotype des rivières françaises et européennes au cours de ce siècle (Laizé et al 2015), et les rivières de basse altitude comme l’Ource seront de moins en moins favorables aux espèces d’eaux froides comme l’ombre et la truite (température maximale d’été grimpant dans la zone létale ou la zone de stress). On doit donc s’interroger sur la pérennité des investissements publics environnementaux quand ils visent des conditions écologiques appelées à changer de toute façon. Les espèces de poissons évoluent localement en fonction des températures et précipitations et le niveau typologique théorique actuel du cours d’eau évoluera dans les prochaines décennies.
  • L’intérêt halieutique des sociétés de pêche correspond à un usage légitime de la rivière, mais il ne peut se confondre avec l’intérêt général des citoyens ni avec l’intérêt écologique des milieux (pour rappel, les poissons ne représentent que 2% de la biodiversité aquatique). Nous considérons à ce sujet qu’il serait nécessaire de préciser au public d’éventuels conflits d’intérêt quand des représentants syndicaux sont aussi représentants de sociétés locales de pêche, afin d’éviter toute ambiguïté sur la motivation réelle des travaux. Si les chantiers sont présentés comme une réponse au mauvais état des populations de poissons, il serait souhaitable que les pêcheurs prennent eux aussi et simultanément des mesures d’adaptation : mise en réserve le temps que les populations se reconstituent, parcours « sans tuer » afin de protéger les géniteurs, etc.

Disparition de milieux humides sur le bief de 1700 m
Le projet tel qu’il est présenté va mettre hors d’eau la majeure partie de l’année (près de 300 jours par an) le bief de 1700 m traversant la commune de Prusly-sur-Ource. Or, ce bief est un milieu aquatique à part entière, qui héberge de nombreuses espèces animales et profite à la végétation riveraine (voir reportage photo en exemple). De même, le projet va faire disparaître les zones de retenues larges et profondes à l’amont des seuils.
Nous constatons que

  • Le projet présenté n’a réalisé aucun inventaire de la faune et de la flore actuellement inféodée au bief et aux retenues de Prusly, en particulier des arbres, insectes, oiseaux et mammifères profitant du bief en eau et risquant d’être pénalisés par une mise à sec la majeure partie de l’année.
  • Le projet présenté ne garantit donc pas que la disparition de plusieurs centaines de mètres linéaires de milieu en eau en permanence représente un impact écologique inférieur au bénéfice retiré par les mieux aquatiques et riverains, essentiellement limités à la truite (sans quantification).



Rejet de la station d’épuration
Le projet propose de rejeter directement les effluents de la STEP dans le lit mineur de l’Ource au lieu de le faire dans le bief, comme c’est le cas aujourd’hui.
Il nous semble que ce changement de disposition fait disparaître « l’effet-tampon » que peut avoir le rejet actuel dans le bief (temps de résidence augmenté des effluents avant de rejoindre la rivière) et donc qu’un rejet direct dans la rivière au lieu d’un canal artificiel privé :

  • demande une nouvelle autorisation préfectorale,
  • demande une vérification de la qualité chimique et physico-chimique des effluents de la STEP au regard des critères imposés par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000).


Absence d’analyse des polluants et contaminants dans les sédiments remobilisés
Il est reconnu dans les guides de mise en œuvre de la continuité écologique (Salgues et Malavoi 2011,  Demain 2 berges et UFBAG 2017) que la suppression des ouvrages hydrauliques remobilise les sédiments accumulés au fil des siècles dans la zone de la retenue. Il  y a eu dans le passé une activité sidérurgique importante (nature exacte des rejets anciens inconnue) et il y a depuis plusieurs décennies des rejets agricoles et domestiques pouvant présenter un caractère de bio-accumulation ou de géo-accumulation.
Effacer les ouvrages demande une analyse des sédiments présents à leur amont afin de garantir qu’ils ne comportent pas de contaminants de nature à affecter les milieux aval et leurs zones d’intérêt écologique. Si tel est le cas, il faut prévoir un transport des sédiments contaminés au lieu de les laisser dans le lit de la rivière.

Absence d’analyse des risques invasifs à l’aval
Les espèces dites invasives ou indésirables sont considérées comme l'une des menaces majeures sur la préservation de la biodiversité native des assemblages d'espèces patrimoniales des cours d'eau. L'émergence de ces espèces invasives est directement associée aux activités humaines au bord des rivières, qui produisent des introductions volontaires ou accidentelles. Les menaces que font peser les espèces indésirables sont de trois ordres : compétition évolutive directe (prédation ou occupation de niche), hybridation génétique, transmission de pathogènes. On estime que 20% des 680 extinctions d'espèces répertoriées par l'IUCN l'ont été à cause d'espèces invasives (Clavero et García-Berthou 2005), une menace qui reste bien réelle pour les systèmes européens d'eaux douces  (Nunes et al 2015).
Or, le projet de libre circulation de toutes espèces (poissons, crustacés) et à toutes saisons de l’aval vers l’amont de l’Ource à Prusly ne fait état d’aucun inventaire garantissant que, dans le bilan écologique global de l’opération, on ne va pas augmenter la pression de certaines espèces invasives vers la tête du bassin versant.

Nous demandons en conséquence des cinq points précédents que l’impact écologique du dossier (analyse de ses gains et de ses pertes) soit entièrement révisé car en l’état le projet représente un risque d’impact majeur sur les milieux naturels. (A noter que les nouveaux articles 1246 et 1247 du code civil, créés en 2016 par la loi de biodiversité, obligent tout porteur d’un chantier affectant les milieux à réparer les préjudices écologiques occasionnés.)


Intérêt général

L’article L 211-1 du code de l’environnement précise la notion d’intérêt général en rappelant la définition du législateur de ce qu’est une gestion durable et équilibrée de l’eau.
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Nous observons que le projet du SMS restaure la continuité écologique par un choix assez radical de destruction des ouvrages (au lieu d’une simple ouverture des vannes en période de migration des truites), ce qui peut apporter des bénéfices ciblés à certaines populations et sur un court linéaire, mais que ce projet ignore d’autres éléments précisés par la loi, notamment
  • le patrimoine,
  • l’énergie,
  • le stockage de l’eau,
  • la protection de la ressource en eau,
  • la vie biologique du milieu récepteur.
En conséquence, nous considérons que les solutions choisies ne répondent pas à l’intérêt général et, par leur caractère irréversible, empêchent une gestion durable et adaptative de la ressource en eau.

Conclusion

Pour l’ensemble des raisons énumérées préalablement, les associations Hydrauxois et Arpohc
  • considèrent que le dossier présenté par le SMS se contente de propos très généraux (en dehors de la modélisation hydraulique), n’apportant ni démonstration claire des bénéfices, ni observations approfondies des milieux qui vont être modifiés de manière définitive,
  • considèrent que le projet du SMS ne correspond pas à un intérêt général en raison de sa non prise en compte des éléments d’appréciation de la gestion durable et équilibrée de l’eau ,
  • considèrent que ce projet représente un risque très élevé d’impact écologique n’ayant pas été sérieusement évalué, et si nécessaire compensé,
  • se réservent le droit de porter requête en annulation d’un arrêté préfectoral autorisant les travaux en l’état des informations lacunaires présentées au public,
  • souhaitent que des solutions plus favorables à la préservation des patrimoines naturels, culturels et paysagers soient proposées, comme la simple ouverture des vannes dans un premier temps,
  • demandent à M. le Commissaire enquêteur de constater l’absence d’intérêt général et l’absence d’intérêt écologique en l’état des informations disponibles.

20/06/2017

Parc du Morvan: un joli petit film, de vilains petits oublis...

Le Parc du Morvan et le Parc des Ballons des Vosges ont profité du financement du programme Life+ Continuité écologique pour produire un film sur les travaux de restauration des milieux aquatiques sur leurs territoires. On y trouve de belles images, des points d'accord sur la nécessité de préserver les patrimoines naturels et culturels, mais aussi une dissimulation peu glorieuse de ce qui se passe sur le terrain et l'entretien de certaines idées fausses. L'écologie des rivières et milieux humides ne pourra pas progresser sur la négation des réalités et sans l'ouverture d'un véritable dialogue environnemental. 



Précisons tout d'abord nos points de convergence :

  • le Morvan et les Vosges disposent de territoires d'exception pour leurs patrimoines naturels, culturels et paysagers, dont la préservation est d'intérêt général;
  • les têtes de bassin sont des milieux écologiquement riches, et la préservation de certaines espèces menacées (comme la moule perlière) comme de certains biotopes fragiles est un enjeu légitime de mobilisation;
  • nous apprécions la volonté affichée dans cette vidéo de conciliation entre les activités humaines (dont leurs héritages) et la conservation des espaces naturels;
  • nous considérons le Parc du Morvan comme un animateur territorial tout à fait légitime, avec de beaux enjeux à faire valoir pour les générations présentes et futures.

En revanche, le film est trompeur pour le public car il évacue tous les problèmes concrets de gouvernance observés depuis plusieurs années dans le cas particulier et conflictuel de la continuité écologique (nous parlons ici du Morvan, notre territoire d'implantation, et non des Vosges).

En voici quelques rappels dans le domaine de la gouvernance :
  • la plupart des propriétaires de moulins et étangs subissent depuis 5 ans une pression constante en vue de détruire (araser, déraser) leurs ouvrages, seule solution qui est aujourd'hui financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie dans la plupart des cas. Le déni de ce chantage économique et de l'attitude brutale de l'administration a abouti à une rupture catastrophique de la concertation, qui est toujours impossible aujourd'hui faute d'une reconnaissance claire des problèmes et d'une proposition de solutions viables;
  • lors du programme Life + sur la zone Nature 2000 d'Avallon, plusieurs propriétaires étaient volontaires pour des passes à poissons, mais cette solution leur a été refusée alors qu'elle a été acceptée pour d'autres. Beaucoup perçoivent cela comme un arbitraire pur et simple des agents instructeurs;
  • malgré l'abondant financement public pour les trois passes à poissons finalement réalisées (plusieurs bureaux d'études!), l'une s'est révélée défaillante dès la première année (moulin Cayenne) et l'autre se trouve être un piège à embâcles dont le choix (passe à plots) et la conception sont peu adaptés à l'hydrologie du site (moulin Cadoux);
  • les représentants du Parc du Morvan, de la DDT, de l'Agence de l'eau, de l'AFB ont toléré ou engagé diverses dérives sur le bassin Yonne-Cure-Cousin au cours des années passées: refus de reconnaître qu'un moulin non connecté au réseau et en autoconsommation a un intérêt à garder son ouvrage (Cussy-les-Forges), refus d'admettre qu'une retenue très appréciée des riverains et inscrite au patrimoine communal a un intérêt de conservation (Bessy-sur-Cure); acharnement à essayer de casser des droits d'eau sans enjeu écologique ni riverain (Chastellux-sur-Cure), information insuffisante d'un propriétaire l'ayant conduit  à perdre l'essentiel de son droit d'eau et à échouer dans la vente de son moulin à des acquéreurs qui voulaient avant tout produire de l'énergie verte (Avallon), etc.

Par ailleurs, le film donne une image imprécise et partielle des enjeux écologiques :
  • on présente les étangs, les lacs, les retenues et les biefs comme des hydrosystèmes que l'on peut éventuellement tolérer en tant qu'héritages culturels ou lieux d'usages particuliers, mais qui en soi ont des impacts forcément négatifs sur le plan écologique. Or, c'est inexact. Des plans d'eau artificiels comme les étangs de Marrault, l'étang Taureau de Saint-Brisson (où est la Maison du Parc), les lacs de Saint-Agnan, de Chaumeçon, de Pannecière ont aussi un intérêt propre comme milieux récepteurs de certaines espèces (même s'ils ont un effet adverse sur d'autres espèces). Certains font d'ailleurs l'objet d'un classement pour leur intérêt faunistique et floristique; 
  • la biodiversité n'est pas un musée figé où chaque population de chaque espèce patrimoniale doit se répéter à l'identique dans le temps, c'est une réalité qui évolue, et qui évolue en particulier sous l'influence des activités humaines depuis plusieurs millénaires (par exemple les phases de boisement, déboisement, reboisement du Morvan, la construction des systèmes d'énergie et de flottage, etc.), dans une logique de "rivières hybrides", comme les a joliment appelées une équipe de chercheurs français;
  • il manque à la démarche du Parc du Morvan des éléments essentiels sur l'histoire et l'avenir de la diversité biologique. Multiplier des monographies descriptives de certains tronçons des milieux aquatiques actuels est une démarche d'observation intéressante, mais insuffisante pour ce qu'on attend en premier lieu de la science, à savoir des modèles explicatifs et prédictifs qui correspondent aux données observées et permettent d'anticiper avec un degré raisonnable de certitude l'effet des actions envisagées. Par exemple, sur la population repère de truite (indispensable au cycle de vie de la moule perlière), nous n'avons à notre connaissance aucune donnée fiabilisée sur les abondances passées, sur la variabilité interannuelle et interdécennale des peuplements, sur la pondération des nombreux facteurs pouvant expliquer une (éventuelle) tendance, sur le potentiel truiticole total des masses d'eau, sur l'évolution de ce potentiel en situation de réchauffement climatique, sur le coût et l'efficacité relative des différentes actions envisageables (dont les moulins et étangs, mais pas seulement : les ripisylves, les pollutions, les charges sédimentaires venant des versants et apportant ou non la bonne granulométrie de frayères, les connexions de ruisseaux pépinières, les pratiques de pêche, la dynamique des espèces prédatrices ou concurrentes, etc.). 

Enfin, le Parc du Morvan doit répondre avec davantage de précision de ses actions. Ainsi, le 15 octobre 2016, un responsable du PNR avait affirmé à la presse (Yonne républiciane) :
Sur le plan écologique, « normalement, c'est plutôt long d'obtenir des résultats. Mais on a déjà mesuré les impacts des travaux menés en 2013 et 2014 ( N.D.L.R. : sur des ouvrages privés). Le milieu s'est considérablement amélioré en une année. Au niveau de l'ouvrage Michaud, en amont du camping, où il y a eu un arasement partiel, on constate le retour des perlas, une espèce bioindicatrice. Les truites sont aussi revenues au moulin des Templiers ».
Depuis cette date, nous demandons sans succès la transmission des études démontrant le résultat avancé (et son caractère significatif). Après 8 mois de tergiversation (et toujours pas de document disponible), le responsable du Parc nous dit que ces analyses ne concernent finalement pas la truite… alors que la déclaration aux médias affirmait le contraire (et que la truite fait l'objet d'empoissonnement par les pêcheurs, ce qui pose de toute façon la question du sens de ces observations par rapport à une "naturalité" pisciaire). Ce n'est certainement pas en procédant ainsi que l'on va instaurer des rapports de confiance avec les riverains ni démontrer de bonne foi que les dépenses écologiques sur les ouvrages hydrauliques correspondent à des gains proportionnés pour les milieux aquatiques.

14/06/2017

Franchissement piscicole des ouvrages hydrauliques: un cahier des charges trop complexe pour les petits sites

L'Agence française pour la biodiversité et les Agences de l'eau viennent de publier une trame de cahier des charges pour accompagner collectivités et hydroélectriciens dans leur projet de mise en conformité d’un site classé en liste 2 au titre de la continuité écologique. Quelques commentaires sur la complexité des demandes en rapport aux capacités et aux impacts des projets de relance des moulins et autres ouvrages très modestes.


Ce guide venant de paraître est consacré à la définition des équipements de franchissabilité en montaison et dévalaison (passes à poissons, rivières de contournement, grilles) pour les propriétaires ayant un projet hydro-électrique. Il rassemble les éléments que l'administration estime nécessaires: données administratives et réglementaires, connaissance des usages et caractéristiques techniques de l'ouvrage, données sur l'hydrologie et le fonctionnement hydraulique, évaluation des impacts de l'ouvrage sur la continuité écologique, diagnostic de la continuité biologique, diagnostic de la continuité sédimentaire, justifications techniques des choix de franchissabilité, etc.

Nous attirons l'attention sur le caractère trop complexe et donc décalé de ce guide par rapport aux réalités de la très petite hydro-électricité des moulins et anciennes usines à eau. Ce que des grands barragistes peuvent intégrer dans le cadre de projets industriels, ou ce que des constructions de nouveaux sites peuvent planifier dans le génie civil de l'ouvrage à bâtir, n'est pas à portée de projets de réhabilitation de sites anciens et modestes. La seule mobilisation d'un bureau d'études pour répondre à la totalité du cahier des charges proposé dans le guide représenterait pour ces petits sites l'équivalent d'une à cinq années de production – cela sans parler de la réalisation matérielle des passes, grilles, goulottes de dévalaison et autres besoins. Ce qui est manifestement disproportionné. Se pose donc la question du financement de ces demandes : la très haute exigence environnementale a du sens, mais elle ne peut se déployer sans un soutien public à hauteur du niveau d'ambition imposé.

Par ailleurs, la question de la mortalité des poissons sur les petites turbines n'a jamais été explorée de manière satisfaisante. L'administration se fonde sur des travaux anciens concernant  (là encore) les grosses unités de production. Nous souhaitons donc que l'Agence française pour la biodiversité mène des travaux sur des sites de production de 5 à 250 kW, avec un spectre représentatif de hauteur et débit, afin de modéliser plus finement la question. Notre association et plusieurs de ses consoeurs sont disposées à aider l'administration à trouver des sites pilotes volontaires pour répondre à ce besoin, en particulier chez les très petits producteurs de 5 à 50 kW. Il n'est pas possible de faire des prescriptions sur la base de simples présomptions, sans disposer au préalable d'étude scientifique et technique sur l'objet de ces prescriptions. Or à notre connaissance, le CSP, l'Onema puis l'AFB n'ont jamais publié le moindre travail de recherche sur le comportement d'approche, d'évitement ou de piégeage des poissons dans les très petits sites de production (moulins).

Enfin, sur le plan du droit, le guide a été conçu avant les évolutions récentes de la loi. On rappellera que le nouvel article L 214-18-1 Code de l'environnement exonère les moulins producteurs des obligations du II de l'article L 214-17 du même code, c'est-à-dire concrètement des contraintes de franchissement piscicole et sédimentaire. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique n'ont toujours pas produit une circulaire d'application de cette disposition, comme de plusieurs autres votées depuis un an.

Référence : Eléments techniques pour la rédaction d’un cahier des charges (CCTP) pour les équipements et dispositifs dédiés au franchissement piscicole (montaison & dévalaison) et/ou au transit sédimentaire (janvier 2017).

Illustration : une rivière de contournement au droit d'une chaussée de moulin sur le Cousin (Méluzien). Sans le financement Life+, Agence de l'eau et Parc du Morvan, ce projet aurait été hors de portée du maître d'ouvrage.

09/06/2017

Evaluer le préjudice écologique lié à la destruction des retenues, biefs et étangs

La loi sur la biodiversité a introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions sur le préjudice écologique, concernant soit des composantes d'un écosystème soit les services collectifs qu'il procure. Le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de publier un guide pour évaluer ce préjudice dans le cas des petits chantiers à impact de moindre gravité. Nous exposons ici que les chantiers de continuité écologique, amenant parfois à perturber les équilibres en place, à supprimer des annexes hydrauliques et à diminuer globalement la surface offerte au vivant aquatique, doivent fournir dans leur justification réglementaire une évaluation sérieuse de la biodiversité locale (qui ne se limite pas aux poissons) et des impacts parfois négatifs du chantier sur cette biodiversité. Dans le cas contraire, tout riverain ou toute association est fondé à requérir auprès du juge administratif une annulation de l'arrêté autorisant le chantier.



La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, a modifié le livre III du Code civil. Deux nouvelle dispositions sont ainsi formulées:
Art. 1246 – Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer.
Art. 1247 – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le ministère de l'Environnement (aujourd'hui Transition écologique et solidaire) a publié un document sur la question, concernant le chantiers de faible impact et intitulé Comment réparer des dommages écologiques de moindre gravité ? (pdf, mai 2017).

Comme l'observent les auteurs de ce travail, "réparer au mieux un préjudice écologique nécessite tout d'abord d'évaluer correctement le dommage subi. C'est sur la base de cette évaluation que la réparation pourra ensuite être envisagée."

Malheureusement, dans le cas particulier des travaux concernant les milieux aquatiques et en particulier la continuité écologique, le document est insatisfaisant par la généralité de ses préceptes et par la mise en avant de présupposés discutables (confusion entre biodiversité, qui est une diversité mesurable de gènes, d'espèces, de fonctions ou d'habitats, et naturalité ou intégrité biotique, qui est un état de référence d'un milieu non modifié).

Rappelons que la continuité écologique longitudinale consiste à traiter les obstacles à l'écoulement en rivière (seuils, barrages) afin de limiter leur entrave à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Elle représente aujourd'hui plusieurs centaines de chantiers en rivière chaque année (objectif : plus de 20.000 ouvrages), avec une priorité accordée à la solution de destruction de l'ouvrage, soit l'un des enjeux de programmation publique les plus importants affectant l'équilibre en place des rivières françaises au plan de leur morphologie et de leur diversité biologique perdue ou acquise au fil des siècles.

Chaque hydrosystème doit être étudié, chaque chantier doit être évalué
Il serait erroné de penser a priori qu'un habitat anthropisé (modifié par l'homme) est forcément dégradé ou défavorable à la biodiversité : on rencontre au contraire des cas de sites classés pour leur intérêt faunistique ou floristique (voir cet exemple) ou encore des cas de canaux de dérivation qui alimentent de tels sites d'intérêt, comme des zones humides (voir cet exemple). Les chercheurs soulignent aussi la diversité des cas, comme des canaux pouvant servir de refuge à des espèces menacés (Aspe et al 2014), des étangs piscicoles hébergeant une faune d'intérêt autre que les poissons (Wezel et al 2014), une végétation riveraine qui peut répondre défavorablement à une modification de l'écoulement (Depoilly et Dufour 2015).

Un chantier se réclamant de l'écologie ne peut donc pas s'appuyer sur des idées trop générales ou abstraites, particulièrement s'il se veut exemplaire et bénéficie de fonds publics : il s'agit d'étudier la réalité et la diversité du vivant sur chaque site, afin de prendre les décisions les mieux informées.

Un porteur de projet de continuité écologique doit donc évaluer l'impact de ses travaux sur le vivant. Cet impact ne se limite pas à la variation attendue d'une population de poissons ou à la variation de micro-habitats sur le périmètre de la retenue du barrage ou du seuil. Il convient en effet d'évaluer :
  • l'ensemble de la biodiversité inféodée au système en place (typiquement, les oiseaux ou les amphibiens sont aussi des espèces d'intérêt, pouvant profiter des retenues, mais ne sont presque jamais prises en compte),
  • le risque d'espèces indésirables ou porteuses de pathogènes présentes à l'aval et pouvant se répandre plus facilement vers l'amont, en concurrence éventuelle avec des espèces patrimoniales (voir cet exemple récent de barrages limitant des proliférations et ce texte de synthèse),
  • la perte pour les espèces aquatiques que représente la disparition d'une certaine surface en eau hors du lit mineur de la rivière (le bief supérieur et inférieur, les rigoles de déversoir, les éventuelles zones humides alimentées par le détournement d'eau, les plans d'eau de type étangs, mares, lacs).
Les associations gagneront à effectuer ce rappel aux services administratifs, aux syndicats de rivière et aux bureaux d'études, afin que chaque projet liste les espèces susceptibles d'en bénéficier ou d'en souffrir, avec indication sur le degré de certitude de la connaissance du milieu, sur l'objectif de résultat du chantier et sur les éventuelles compensations à prévoir.

En cas de refus de procéder ainsi, les riverains peuvent documenter la diversité biologique des hydrosystèmes concernés (eux-mêmes ou en faisant appel à des naturalistes), et s'il apparaît qu'il existe des espèces d'intérêt pour la biodiversité locale, saisir le juge administratif pour faire stopper le chantier, en mettant en avant le défaut d'estimation du préjudice écologique.

Enfin, il convient de rappeler que l'article 1247 Code civil mentionne aussi les "bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement". Cette expression renvoie à la notion de services rendus par les écosystèmes, qui est de plus en plus mise en avant en gestion de l'environnement depuis une quinzaine d'années. En ce domaine également, les bénéfices divers que les riverains retirent des hydrosystèmes aménagés doivent être intégrés dans le diagnostic préparatoire au chantier (par exemple rehausse de nappe à l'amont, agrément paysager, plus-value culturelle, réserve d'eau en été, loisirs, etc.).

Illustrations : quelques exemples d'invertébrés observés à proximité immédiate d'un hydrosystème artificiel (ruisseau créé par le déversoir d'un moulin dans le Morvan, prairie humide en partie alimentée par les fuites de son bief), parmi des dizaines d'autres espèces colonisant cet habitat. Une mise à sec de ce ruisseau et de ce bief par suppression du seuil amont qui les alimente représenterait un impact pour les espèces présentes. Ce genre d'enjeu demande une bonne évaluation des avantages-inconvénients de chaque chantier au plan de la biodiversité locale. Notre association appelle tous les propriétaires et riverains de moulins, d'étangs, de lacs à s'intéresser aux espèces qui peuplent ces biotopes, y compris en travaillant à améliorer la capacité d'accueil écologique des sites (exemple LPO), et à mener des campagnes d'observation.

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02/06/2017