06/07/2017

Lobby de la pêche: décrypter ses désinformations et exiger son audit

La dernière allocution de Claude Roustan au congrès national de la Fédération nationale de la pêche en France (26 juin 2017) comporte à nouveau des propos agressifs, incomplets et inexacts sur la question de la continuité écologique et des moulins. Nous les relevons et y répondons ici, en même temps que nous appelons tous nos partenaires à demander désormais à leur élus et administrations un audit public de la pêche de loisir en France. Car cette activité est loin d'être toujours favorable à l'écologie des milieux aquatiques, et la façon dont elle oriente les choix de gestion est souvent problématique. Le rôle de premier plan des pêcheurs dans la réforme ingérable, conflictuelle et ratée de continuité écologique indique assez la prudence que l'on doit avoir avant de leur confier des responsabilités de premier plan dans les choix publics sur les rivières.



Voici d'abord les déclarations de M. Claude Roustan (président) lors de son discours adressé au dernier congrès de la fédération de pêche (FNPF).
Sur les moulinsLes moulins nous interpellent dans notre capacité à défendre deux intérêts tout aussi légitimes : le patrimoine naturel vivant, d’intérêt commun, et le patrimoine bâti dans certains cas. Patrimoine du souvenir nostalgique souvent.
Alors que la continuité écologique constituait l’alpha et l’oméga de l’atteinte du bon état, cette notion est devenue avec le mandat passé une exigence molle et sans ambition.
Je souhaite dire au nouveau ministre que sur la continuité écologique, nous souhaitons nous assigner, avec lui, un objectif ambitieux. Celui de mettre fin à la doctrine calamiteuse qui a prévalue pendant 5 ans au sein de ce ministère. Celle-ci a été énoncée alors que la transparence écologique était en voie de rétablissement sur les ouvrages de la Sélune dans la Manche.
A cette occasion, contre toute attente, la ministre a clairement posé les fondamentaux de cette doctrine en déclarant «On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons."
Je répète pour que nous l’entendions bien : « On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons. »
Avec cette phrase, la ministre stoppait le processus de renaturation des sites de Vezins la Roche Qui Boit. Certes. Surtout elle annonçait le sort funeste réservé à la continuité écologique en général. C’est le pire des signaux qu’elle pouvait envoyer en sa qualité de ministre de l’environnement.
Car ces propos sont une négation de nos missions, de notre militantisme, de nos actions, de nos connaissances. Ces propos ont libéré la parole. La parole de tous ceux qui doutent, nient, contredisent, critiquent la continuité. Surtout, la parole de ceux qui défendent leurs propres intérêts, contre l’intérêt de tous. Cette doctrine a privilégié l’intérêt particulier contre l’intérêt général, l’économie contre nos ressources naturelles, le court terme contre le long terme, les moulins contre la biodiversité, les ouvrages contre la nature.
C’est la négation d’un mécanisme que l’on pensait naturel. La biodiversité aquatique, comme toutes les autres, a besoin de se réfugier, de s’alimenter, se reproduire et donc de circuler. En particulier les migrateurs qui paient un lourd tribu au cloisonnement écologique.
De nombreux avantages ont été accordés aux moulins et aux ouvrages qui barrent la continuité, je veux en évoquer un seul : les moulins sont dorénavant légalement exonérés de respecter la loi naturelle de la continuité écologique.
Avec cet amendement, les parlementaires nous ont fait reculer de presque deux siècles. Imaginez- vous que notre réglementation en la matière efface tous les acquis depuis la loi de 1865 sur les échelles à poissons.
Voilà le message qu’il va nous falloir porter aux nouveaux élus.

Nous remarquons que Claude Roustan :
  • parle des moulins mais évoque le cas des barrages de la Sélune, qui sont des grands ouvrages hydro-électriques du XXe siècle sans rapport avec les moulins en terme d'impact. Il oublie bien sûr de préciser les nombreux problèmes liés à la destruction des ouvrages de la Sélune ayant entraîné l'arrêt de leur démantèlement (voir notre série d'articles);
  • reconnaît que la continuité écologique formait "l'alpha et l'omega" du discours sur le bon état des rivières, ce qui est la reconnaissance d'une absurdité de la politique publique soutenue par les fédérations de pêche, puisqu'aucune étude scientifique d'hydro-écologie quantitative n'a jamais désigné la fragmentation en long des rivières comme la cause première de dégradation biologique ou chimique de la qualité de l'eau (ce sont toujours les usages agricoles et urbains des sols de bassin versant qui sont les premiers prédicteurs de cette dégradation, voir cette synthèse et les recherches recensées dans la rubrique science);
  • gomme les évidences gênantes, comme le fait que les rares travaux ayant mené des quantifications précoces de diversité et abondance de poissons (par exemple ceux de Verneaux en Franche-Comté) suggèrent l'existence de rivières en état encore relativement correct dans les années 1960, alors que cet état s'est dégradé assez brutalement à compter de cette période, sans lien avec des moulins déjà présents depuis des siècles (ledit Verneaux insistait essentiellement sur l'impact majeur des pollutions);
  • donne une interprétation fantaisiste de l'article L 214-18-1 CE, qui ne porte exemption de continuité que pour une catégorie particulière de sites producteurs d'électricité (voir cet article, signalant au demeurant nos doutes sur la rationalité de ce choix du législateur);
  • parle de manière mystique de la "loi naturelle de la continuité écologique" alors que la recherche montre l'existence de toutes sortes de discontinuités naturelles (rapides, chutes, cascades, barrages de castors, etc.) et que la continuité est un concept passablement plus complexe;
  • rappelle que les réformes de continuité écologique datent de la loi sur les échelles à poissons de 1865, mais oublie de dire que cette loi a déjà eu une application problématique (voir le bilan qui en fut fait à la fin du XIXe siècle), comme les mesures ultérieures, et que cette difficulté bien connue souligne la grave irresponsabilité des administratifs et gestionnaires ayant classé 20.000 ouvrages à traiter en 5 ans;
  • se garde bien de détailler les conclusions très critiques du récent audit administratif de la continuité écologique par le CGEDD;
  • se réclame d'un "intérêt général" et de la "nature" en oubliant que les pêcheurs défendent les intérêts particuliers de leurs pratiques, y compris quand elles perturbent les milieux naturels, qu'en tout état de cause l'intérêt général résulte des fruits de la concertation entre l'ensemble des usagers et riverains, pas du monopole de certains d'entre eux au détriment des autres, et qu'il n'y a quasiment plus de rivières "naturelles" en Europe, les bassins versants étant en réalité des hybrides de la nature et de la société depuis des millénaires déjà.
Les ouvrages de l'hydraulique ancienne ont certainement des impacts sur les milieux, y compris des impacts retardés que la recherche en écologie a du mal à caractériser aujourd'hui. Et dans nombre de cas, des équipements ou des bonnes pratiques peuvent avoir des effets localement bénéfiques sur certaines espèces. Mais la manière dont les représentants officiels de la pêche ont engagé un lobbying de harcèlement et de destruction de ces ouvrages est inacceptable.

La pêche, une activité pas très écologique…
Le lobby de la pêche prospère trop souvent sur la reconnaissance d'utilité publique au service de ses intérêts et de sa vision singulière de la "protection des milieux aquatiques". Car sous le vernis "écologique" qu'il affiche si ostensiblement, tout n'est pas vert dans le loisir pêche :

  • encouragement à une activité consistant à stresser, blesser ou tuer des poissons pour le plaisir et non pour la subsistance, ce qui est à la base une manière curieuse d'exprimer sa sensibilité à l'écologie et à la préservation des espèces; 
  • déversements massifs de poissons d'élevage, y compris non natifs du bassin, qui ont modifié depuis un siècle les peuplements endémiques; 
  • pollutions génétiques (introgressions) de souches sauvages, notamment truite (exemple) et saumon (exemple) ; 
  • introductions de pathogènes par les empoissonnements, mais aussi par les bottes et les équipements; 
  • tir de cormorans ou autres espèces d'oiseaux supposés mauvais pour les milieux (en réalité, mauvais pour les poissons d'intérêt pour les pêcheurs); 
  • destruction d'espèces jugées nuisibles en première catégorie mais qui se sont révélées des espèces menacées (l'anguille jusqu'en 1984, le brochet jusqu'en 2016); 
  • indifférence à la plupart des espèces non pisciaires, mise en danger voire disparition de milieux d'intérêt (par exemple destruction d'étangs et plans d'eau sans inventaire complet de leur biodiversité amphibiens, oiseaux, mammifères, etc.);
  • sur des bassins à saumons, aloses, truites de mer et autres amphihalins, mise en avant de l'intérêt "sportif" de la pêche aux migrateurs que l'on dit par ailleurs fragiles ou menacés, et incitation au tourisme halieutique pour venir de loin les traquer en masse, avec un bilan carbone peu favorable. 

Pour un audit public de la pêche de la loisir
Claude Roustan a raison sur un point : le ministère de la Transition écologique et solidaire comme les parlementaires doivent prendre davantage attention à la pêche de loisir en France, son organisation, ses pratiques et ses actions. En effet :

  • la pêche est la seule activité n'ayant pas fait l'objet d'une étude scientifique de ses impacts sur les rivières, c'est une anomalie dommageable à laquelle il faudrait remédier par un travail spécifique de l'Agence française pour la biodiversité associé à l'Irstea, l'Inra et le Museum d'histoire naturelle;
  • la pêche ne peut pas exiger des efforts de tous les usagers de la rivière et s'en absoudre elle-même, on devrait donc poser le principe que sur toute rivière d'intérêt prioritaire (par exemple celles classées L1 et L2), les pêcheurs doivent s'engager à des modifications de leurs pratiques (par exemple gestion patrimoniale et fin des empoissonnements, no kill, mise en réserve, interdiction ou limitations plus drastiques de pêche des espèces menacées et justifiant le classement de ces rivières, etc.);
  • la pêche est censée produire des plans de gestion piscicole au niveau départemental (PDPG) pour avoir le droit d'exercer son activité (L 433-3 CE), mais nombre de fédérations n'ont pas mis à jour ces plans à partir d'une information correcte sur l'état des milieux;
  • la pêche est trop peu régulée par le code de l'environnement, et des pratiques aussi problématiques que l'introduction massive d'espèces étrangères aux bassins (typiquement les ombres très souvent déversés en dehors de leur zone endémique) ne sont même pas réglementées, donc pas attaquables par des associations de protection de la rivière ou par les services instructeurs de l'environnement;
  • la pêche est loin de respecter toutes les bonnes pratiques de riveraineté, par exemple l'obligation de définir des parcours en rivières non domaniales sur la base de conventions avec chacun des riverains concernés, le droit de pêche étant généralement loué en échange d'un entretien des berges;
  • la pêche a des efforts à faire en matière de transparence de l'information environnementale, la plupart de ses études financées sur argent public n'étant pas systématiquement versées sur les sites des fédérations, et donc restant peu accessibles aux citoyens et aux associations;
  • la pêche ne peut pas avoir un agrément public de protection des milieux aquatiques, travailler avec les services instructeurs et agences de l'Etat, et continuer à développer une analyse de la biodiversité des milieux aquatiques presqu'entièrement centrée sur les poissons (2% seulement de cette biodiversité), avec notamment l'utilisation de méthodologies anciennes ne correspondant plus aux outils de la recherche appliquée française et de la réponse aux exigences de la DCE 2000.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons un audit de la pêche de loisir et de ses structures, concernant tant la bonne utilisation des fonds publics dans ses missions d'intérêt général que la participation de cette activité à l'effort commun pour des bonnes pratiques écologiques et l'analyse des risques de conflit d'intérêt dans le cas de la continuité longitudinale.

Sur la pêche
Exemple de mauvaise pratique sur l'Ource
Exemple de mauvaise pratique sur le Dessoubre 
Exemple de mauvaise pratique dans les Pyrénées-Atlantiques
Exemple de mauvaise pratique sur la Petite Nièvre
Exemple de mauvaise pratique sur la Dives
Exemple d'ambiguïtés sur la Loue 
Exemple d'aménagement à bilan mitigé sur la Touques 

A lire en complément
Défragmenter des rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires
Quatre scientifiques s'expriment sur la continuité écologique

Illustration : domaine public. Ce saumon comprendrait peut-être difficilement la dimension de "protection des milieux aquatiques" et "l'amour de la nature" dont se réclament fièrement les officiels de la pêche...

03/07/2017

Ouvrages classés L2 en Loire-Bretagne : gare au délai du 10 juillet 2017!

Si vous êtes propriétaire d'un ouvrage hydraulique classé en rivière de liste 2 en Loire-Bretagne, il vous reste une semaine seulement pour signaler par recommandé à l'administration votre projet de continuité écologique, et bénéficier du délai de 5 ans. Sauf production d'électricité ou projet de production, qui vaut exemption. 


Le premier terme de 5 ans du classement des cours d'eau de Loire-Bretagne arrive à échéance le 10 juillet prochain. Nous rappelons que pour bénéficier d'un délai supplémentaire de 5 ans dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, tout maître d'ouvrage en rivière classée liste 2 doit respecter les termes du nouvel alinéa III de l'article L 214-17 code de l'environnement :

"Lorsque les travaux permettant l'accomplissement des obligations résultant du 2° du I n'ont pu être réalisés dans ce délai, mais que le dossier relatif aux propositions d'aménagement ou de changement de modalités de gestion de l'ouvrage a été déposé auprès des services chargés de la police de l'eau, le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant de l'ouvrage dispose d'un délai supplémentaire de cinq ans pour les réaliser."

Vous avez donc une semaine pour envoyer en lettre recommandée l'un des modèles de courrier que nous avions proposés pour l'obtention du délai.

Il se peut que votre association ait envoyé au nom de tous ses adhérents le modèle de lettre aux préfets que nous avons proposé, et qui demandait un supplément d'information envoyé à chaque maître d'ouvrage. Renseignez-vous auprès d'elle. Dans tous les cas, une meilleure protection juridique pour la suite sera assurée par un courrier de votre part avant le terme du 10 juillet 2017.

Autre précision importante : depuis 4 mois, l'article L 214-18-1 CE exempte des obligations de continuité écologique en liste 2 tous les moulins "équipés(…) pour produire de l'électricité". Voir cet article. Si vous êtes producteur d'électricité (même en autoconsommation) ou si vous avez un projet en cours d'équipement à fin de production d'électricité, vous n'êtes plus tenu aux obligations propres à la liste 2 telle que définie par le L 214-17 CE. Il vous faut néanmoins démontrer l'existence du projet d'équipement, et bien sûr le mener à terme. L'administration peut choisir de vous imposer un dispositif de franchissement à un autre titre (règlement anguille, art. L 211-1 CE) mais c'est une procédure différente et cette requête administrative devra être motivée en fait et en droit, hors du classement liste 2.

Illustration : l'installation de cette hydrolienne dans un ancien radier de roue (forge de Chennecières, Saint-Marc-sur-Seine) doit valoir exemption de continuité écologique telle qu'elle est prévue par l'article L 214-17 CE, puisque le moulin est alors équipé pour produire. Photo F Lefebvre-Vary, AMMN.

Complément : note technique du ministère de la Transition écologique et solidaire sur le délai 5 ans (28 juin 2017). Nous sommes en désaccord avec cette interprétation de l'administration, qui entend faire reposer sur les épaules du maître d'ouvrage la charge complète de l'étude de projet alors que les règles de gestion, équipement, entretien doivent être proposées par l'autorité administrative.

02/07/2017

Echantillonner les poissons avant un projet d'effacement d'ouvrage (Smith et al 2017)

La continuité écologique en France souffre d'une préparation et d'un suivi médiocres. L'ichtyodiversité des sites avant intervention est mal caractérisée et la plupart des chantiers sont menés sur la base d'un état initial défaillant, quand il existe. Une étude nord-américaine montre l'effort d'échantillonnage des poissons avant un projet d'effacement d'ouvrages hydrauliques, en 6 points de mesure autour de chaque barrage et sur 3 années. Nous appelons les gestionnaires et leur autorité de contrôle (Agence française pour la biodiversité) à respecter les bonnes pratiques exposées dans la littérature scientifique, au lieu de travaux sommaires qui visent trop souvent à justifier des décisions politiques déjà actées, sans certitude de gains écologiques significatifs. 

SCF Smith et ses collègues (Université de l'Illinois et Département des ressources naturelles du Maryland) ont étudié deux rivières fragmentées (Vermilion et North Fork Vermilion) à Danville, Ill. Les structures concernées sont classées comme barrage de basse chute (moins de 4,6 m aux Etats-Unis). Elles peuvent être complètement submergées aux crues de printemps. Ces barrages ont été désignés comme des risques pour la sécurité et doivent être démantelés.

Pour évaluer l'intérêt écologique du chantier sur les populations de poissons, les chercheurs ont procédé à un échantillonage. Ils ont choisi pour chaque barrage 6 sites de 100 ml chacun, soit 2 à l'aval du barrage, 2 dans la retenue amont et 2 dans une zone amont du remous liquide, non impactée.

Répartition des sites d'échantillonnage autour des ouvrages en projet d'effacement, art cit, droit de courte citation.

Outre la pêche électrique et la mesure standardisée de qualité (IBI, Index of biotic integrity, équivalent de l'IPR en France), les auteurs ont retenu également la vitesse d'écoulement, les paramètres de qualité de l'eau, la diversité de Simpson. Les mesures ont été faites sur 3 automnes et un printemps (de 2012 à 2015), afin d'intégrer la variabilité interannuelle des peuplements en fonction des conditions hydroclimatiques ou autres événements de la vie de la rivière.

Un total de 24247 poissons a été échantillonné, représentant 15 familles, 40 genres et 79 espèces. Le tableau ci-dessous en montre la répartition (cliquer pour agrandir).


Diversité des espèces et IBI dans chaque station représentant la diversité des habitats en place, droit de courte citation. V pour Vermilion, NF pour North Folk (les rivières), BD pour below dam, R pour river, P pour pool.

On observe que les zones aval des barrages (BD pour below dam) sont celles qui montrent la plus grande diversité d'espèces, et de meilleurs scores IBI que ceux de la rivière à l'amont de l'influence de la retenue (un résultat dont les auteurs rappellent qu'il a été retrouvé en France par Poulet 2007). Les retenues elles-mêmes (P pour pools) ont en revanche des scores plus faibles de diversité et d'indice IBI. Les auteurs procèdent également à des analyses factorielles sur les guildes fonctionnelles de poissons, que nous de détaillerons pas ici.

Discussion
La restauration de rivière est un domaine qui prend de l'ampleur depuis deux décennies en gestion des milieux naturels, ce qui est légitime compte-tenu des dégradations subies par les milieux d'eau courante. Mais les experts internationaux de la question pointent le caractère encore récent de ces expérimentations, la difficulté à prévoir leurs résultats, la nécessité de mettre au point des protocoles rigoureux de comparaison avant-après afin de faire progresser les connaissances.

La suppression de barrages en vue de rétablir la continuité longitudinale et le régime hydrologique non contraint au droit du site est l'un des outils de ces politiques de restauration. En France, malgré le choix radical et coûteux d'un traitement d'un grand nombre d'ouvrages (plus de 20.000), très peu d'effacements de barrage bénéficient d'un suivi rigoureux avant-après. Les recueils d'expérience de l'Onema montrent l'absence de protocole national standardisé dans les années 2000 et au début des années 2010, ainsi que le manque de rigueur dans l'objectivation des bénéfices écologiques (point soulevé plus largement sur la restauration chez Morandi et al 2014). Ce problème est souligné depuis plusieurs années par notre association.

Nous commençons à voir apparaître dans nos échanges avec les gestionnaires de rivières des campagnes de suivi. Mais de notre point de vue, trop de mauvaises pratiques sont encore observées dans le cas des ouvrages hydrauliques:

  • il ne sert à rien de multiplier des mesures avant-après sur plusieurs sites d'une rivière si, faute de moyens, chaque site fait l'objet d'une analyse très sommaire donc peu informative (mieux vaut concentrer des moyens sur des sites pilotes d'intérêt);
  • le suivi de la morphologie seule (vitesse, substrat, micro-habitats) dans la retenue est sans grand intérêt s'il n'est pas associé à un suivi de biodiversité. Il est évident que les habitats vont changer, l'objectif est de savoir ce qui change pour le vivant (diversité, biomasse, structure d'âge, etc.) en adaptation à l'évolution morphologique;
  • le choix de faire un seul prélèvement dans la retenue d'un barrage (cas de l'Ource) n'est pas une représentation correcte de la diversité des espèces sur la zone amont-aval et dans les annexes hydrauliques, seul moyen de vérifier s'il y a à terme un gain (autre que le changement stationnel dans la retenue) et déjà de vérifier l'intérêt des habitats en place;
  • l'échantillonnage de l'état initial ne peut se faire sur une seule année, car on observe des fortes variations interannuelles de densité et structures d'âge chez les poissons (exemple de la truite du Cousin);
  • les résultats devraient être accompagnés de marges d'erreur (tenant à la technique d'échantillonnage imparfaite, à l'extrapolation au-delà de la surface échantillonnée), ce qui est nécessaire pour analyser la significativité de l'évolution de chaque population ensuite,
  • dans le cas des poissons, l'usage de typologies trop anciennes devrait être banni (ou reléguer en annexe des études, à titre de complément), l'utilisation du score IPR+ étant préférable avec une analyse en détail de chaque composante de la construction de ce score, ce qui permet d'estimer les principaux facteurs de variation.

Enfin, le travail de Smith et al traite des poissons seulement, comme c'est souvent le cas. Mais la biodiversité des milieux aquatiques et riverains ne se limite nullement aux poissons (Balian et al 2008), de même que les espèces menacées se recrutent aussi bien chez les insectes, les amphibiens ou les oiseaux. Il est donc nécessaire de développer une approche écologique élargie des hydrosystèmes d'origine naturelle ou anthropique, afin de garantir que l'effet positif sur un assemblage d'espèces spécialisées ne s'accompagne pas d'effets négatifs sur d'autres biotopes et biocénoses. Restaurer une fonctionnalité ciblée (comme la franchissabilité des poissons migrateurs) en préservant le maximum de surface en eau peut avoir un meilleur bilan écologique qu'un objectif strict de "naturalité" de l'écoulement par effacement de sites.

Référence : Smith SCF et al (2017), Low-head dam impacts on habitat and the functional composition of fish communities, River Res. Applic. 33, 5, 1535-1467

29/06/2017

Comment la Fédération de pêche 21 pousse à la destruction des ouvrages de l'Ource: révélations

La Fédération de pêche 21 a réalisé un état initial des peuplements de poissons sur l’Ource à Prusly en 2015. La pièce n’est malheureusement pas versée au dossier en ligne de l’enquête publique. Sa lecture permet de constater que la Fédération de pêche a échantillonné un seul site (amont barrage) alors que ce type de diagnostic hydrobiologique sur les ouvrages hydrauliques doit couvrir plusieurs faciès (amont et aval, bief, zones adjacentes hors influence). Malgré cette limitation, et alors que l’analyse a été faite dans une année de forte sécheresse sur le bassin de l’Ource (2015), le résultat montre la présence de 10 espèces de poissons sur le site, dont des espèces d’eau fraîche comme la truite ou le vairon. L’indice poisson rivière, mesurant la qualité piscicole selon les critères de l’Union européenne, est en classe de qualité "bonne". Les populations de poissons du bief, menacé de disparition par le projet du SMS, n’ont pas été analysées alors qu’un travail précédent de la même Fédération de pêche avait montré que la classe de qualité piscicole d’un bief peut être en niveau "excellent" (cas de Maisey-le-Duc très proche de Prusly). Les autres espèces animales et végétales sont ignorées alors qu’elles représentent 98% de la biodiversité aquatique. Nous en concluons que la Fédération de pêche 21 est peu fondée à donner un avis favorable à la destruction des ouvrages et à la mise à sec du bief au regard de ses propres travaux. Les méthodes de communication employées sont clairement de nature à déformer la qualité de l’information aux élus et aux citoyens, et l'organisme manque à son devoir de protection des milieux aquatiques en ne signalant pas l'intérêt des biefs, observé dans ses études antérieures. Nous ferons donc réclamation au Préfet et à l'Agence pour la biodiversité compte-tenu de l’agrément public dont jouit cette Fédération.



Dans un courrier à M. le Commissaire enquêteur en date du 20 juin 2017, la Fédération de pêche 21 affirme par la voix de son président que :

 "le projet présenté par le pétitionnaire correspond à une action ambitieuse de restauration de la continuité écologique avec l’effacement total des ouvrages structurants sur l’Ource."

Elle ajoute :

"En 2015, la fédération a réalisé un état initial sur l’Ource au droit du projet sur la base de mesures thermiques en continu, d’un diagnostic physique et d’un inventaire piscicole complet. Ce rapport concluait de la façon suivante 'L’Ource à Prusly, affluent rive droite de la Seine, indique une perturbation de l’état piscicole qui se manifeste par un manque de diversité spécifique ainsi que par des effectifs inférieurs au potentiel de ce cours d’eau. La présence d’une succession de barrages le long du cours de l’Ource n’est pas sans conséquence sur l’habitabilité piscicole. En effet, les ouvrages engendrent une stagnation des eaux et donc un réchauffement important des eaux en été, pénalisant les espèces d’eau fraîche comme la truite ou le chabot. Le projet d’arasement permettra donc de rétablir la franchissabilité piscicole, de redynamiser les écoulements ainsi que de diversifier les habitats afin de favoriser les espèces repères du biocénotype comme la truite, l’ombre et leurs espèces d’accompagnement'."

Cette prise de position de la Fédération de pêche 21 appelle quelques commentaires.

Non mise à disposition des documents au public
Nous observons qu'au moment de l'enquête publique, le document cité n'était pas mis à disposition du public, ni sur le site de la préfecture, ni sur le site de la fédération de pêche, ni sur le site du syndicat SMS. Nous avons dû en faire la demande par courrier électronique du 28 juin 2017. Ce document nous a finalement été envoyé.

Choix limitatif de site d'analyse à Prusly-sur-Ource
Concernant le site étudié, le document précise : "Station Prusly-sur-Ource Projet : l’Ource, affluent rive droite de la Seine à l’amont d’un barrage. La méthodologie repose sur le même principe que celle des stations précédentes."

Le plan indique que l'étude a été réalisée sur un seul point de mesure dans la retenue amont d'un barrage. Or, la littérature scientifique en hydrobiologie montre que ce n'est pas ainsi que l'on procède pour faire un état des lieux biologique au droit d'un ouvrage ou d'un tronçon (voir par exemple Le Pichon et al 2016 en France, Tummers et al 2016 au Royaume-Uni, Smith et al 2017 aux Etats-Unis sur un cas similaire d'état initial avant effacement).

En effet, on observe de fortes variations des populations (insectes, poissons, crustacés) selon que l'on prend des mesures à l'amont immédiat d'un ouvrage, à l'aval immédiat d'un ouvrage, dans une zone non directement impactée (quelques centaines de m à l'amont du remous / à l'aval de la chute), ou encore dans le bief de dérivation. Cette variation est très compréhensible : les stations autour d’un ouvrage ne présentent pas les mêmes habitats (vitesse, substrat, ripisylve, température), donc les populations vont se répartir différemment en fonction des besoins de leur cycle de vie et de leur optimum adaptatif.

A retenir : En faisant le choix d'un seul point de mesure à l'amont du barrage, la Fédération de pêche ne donne pas une image exacte de la diversité pisciaire au droit de l'Ource à Prusly. Ce travail ne permet donc pas d'estimer correctement l'enjeu local d'ichtyodiversité et, plus gravement, il donne une image tronquée des populations réellement présentes dans la rivière et dans le bief (non étudié). 

Ichtyodiversité réelle (10 espèces) à Prusly malgré le choix d'un seul site non représentatif de la diversité des faciès
Le rapport observe : "Sur l’ensemble de la station, 10 espèces ont été échantillonnées. Parmi celles‐ci, on retrouve la truite ainsi que ses espèces d’accompagnement (chabot, loche, lamproie de planer, vairon) mais également les espèces de la zone à ombre et à barbeau (blageon, chevaine, gardon, goujon)." Le schéma ci-dessous montre la réparation de abondances.

Le rapport signale : "Avec respectivement 514,8 ind/ha en densité numérique et 65,6 kg/ha en biomasse, l’échantillonnage de l’état initial de la station de Prusly-sur-Ource dénonce une faible productivité piscicole sur ce tronçon."

On doit faire observer à propos de la biomasse que :

  • il existe une forte variabilité interannuelle des démographies de poissons, donc le bilan d'une seule année ne permet pas de conclusion robuste,
  • le choix d'un seul site d'échantillonnage (au lieu de 4 à 6 normalement nécessaire dans le cas d’une analyse d’ouvrage hydraulique) ne permet pas de tirer des conclusions sur la biodiversité du tronçon,
  • l'année 2015 a été marquée par une canicule et une sécheresse soutenue sur les bassins Seine et Ource, cette situation étant connue comme défavorable aux poissons.

A retenir : Le travail de la Fédération de pêche sur une seule station d’échantillonnage, pas forcément la plus favorable et certainement pas représentative de la diversité des écoulements au droit de Prusly-sur-Ource, montre la présence de 10 espèces de poissons, dont certaines rhéophiles et migratrices. Cela permet de douter d’un problème de biodiversité pisciaire, d’autant que l’année de prélèvement (2015) a été marquée par une forte sécheresse pénalisante.

Usage peu légitime de la biotypologie théorique de Verneaux
La Fédération de pêche 21 continue de faire usage de la « biotypologie théorique » mise en oeuvre dans les années 1970 par l'hydrobiologiste français Jean Verneaux. Cette méthode consiste à comparer le peuplement actuel d'une station à son peuplement « théorique » tel qu'il a été estimé (par des données datant de 40 à 50 ans) sur une base statistique en fonction de la température, de la pente et de quelques autres propriétés physiques ou chimiques.



Cette méthode de biocénotypologie n'est plus considérée comme valide et est peu citée dans la littérature scientifique peer-reviewed en hydrobiologie. En effet, les calculs menés par Verneaux (1976, 1977) reposaient sur une base d’échantillonnage assez faible par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui et le modèle statistique qu'il a proposé, quoique novateur à l'époque, ne décrit qu'une faible part de la variance réelle de répartition des espèces pisciaires dans les rivières. Par ailleurs, l’idée qu’il existerait des successions assez rigides de biocénoses avec des abondances très déterminées a été plutôt remise en cause par l’évolution de la recherche en écologie : on trouve bien sûr des espèces dominantes selon la position des stations dans le linéaire et d’autres facteurs mésologiques, mais il existe une assez forte variabilité spatiale et temporelle, ainsi qu’une dimension stochastique tenant à l’histoire de vie propre à chaque bassin versant. Dès la construction de l’indice de Verneaux 1976, 1977, on pouvait d’ailleurs observer que son modèle ne décrivait qu’un tiers environ des variations réelles d’espèces présentes, soit une valeur prédictive assez faible. L’idée (comme dans le graphique ci-dessus) que des populations « théoriques » calculées par modèle dans les conditions des années 1960 et 1970 aurait une valeur d’information pour nos choix dans les années 2010 n’est pas correcte.

C'est la raison pour laquelle la communauté de recherche française a mis au point au cours des années 2000 et 2010 un indice de qualité piscicole plus robuste : l'indice poisson rivière (IPR, cf Oberdorff et al 2002) devenu indice poisson rivière révisé (IPR+ cf Pont et al 2007, Marzin et al 2014). Voir point suivant sur l’IPR de l’Ource.

Enfin, le premier prédicteur de variation du modèle théorique de Verneaux était (de loin) la température. Donc à supposer que la Fédération de pêche prétende légitime l'usage de ce modèle ancien, elle ne remplit pas correctement son devoir d’information en omettant de préciser que les types théoriques de l’Ource dans les années 2010 ne seront probablement plus ceux des années 2050 et 2100, au regard des évolutions attendues du climat.

A retenir : la biotypologie théorique de Verneaux est un outil désormais daté dans l’histoire de l’hydrobiologie, car les hypothèses l’appuyant (schéma très précis à forte granularité d’abondances théoriques attendues en fonction de traits physiques de la rivière) n’ont pas été confirmées par la recherche. Les scientifiques français ont mis au point des nouveaux outils d’analyse de la qualité piscicole (IPR, IPR+) qui répondent aux pratiques actuelles de la recherche et aux normes de qualité écologique posées par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Nous déplorons qu’en 2017, des fédérations halieutiques à agrément public continuent de donner une image imprécise et peu pédagogique de ces évolutions des pratiques en ichtyologie. L’information qui en résulte est trompeuse car les rivières ne pourront pas revenir à ou tendre vers des "types théoriques" qui sont de simples modèles.

L'indice de qualité piscicole est de classe de qualité « bonne » à Prusly, même sur la zone d'influence du barrage
Quand la Fédération de pêche 21 utilise l'Indice poisson rivière (IPR) qui sert à définir la qualité piscicole des masses d'eau pour la directive cadre européenne, on constate que la classe de qualité est "bonne".

Or, ce résultat est obtenu dans la seule zone d'influence amont du barrage (sans analyse sur les stations adjacentes) et dans année défavorable (sécheresse 2015). Cela suggère que l'IPR de l'Ource à Prusly serait probablement dans la classe excellente avec un échantillonnage plus représentatif de la diversité des faciès réellement présents autour des barrages.

A retenir : la station de Prusly retenue par la Fédération de pêche 21, quoique la moins favorable en terme de diversité des faciès (amont barrage), est malgré tout en classe de qualité piscicole "bonne" au regard des normes européennes et de l’outil IPR. La diversité pisciaire des autres zones – aval barrage, bief, linéaire non impacté à proximité – n’est pas connue. Ce résultat montre qu’il existe un enjeu poisson assez faible au droit de l’ouvrage, et surtout un risque de perte de diversité car les espèces n’ont pas été étudiées sur l’ensemble des faciès qui vont disparaître à cause du chantier. 

Nécessité d’analyser la vie dans les biefs : exemple de la classe IPR « excellente » du bief de Maisey-le-Duc (2011)
La Fédération de pêche 21 a publié en 2011 un état des lieux du bassin de l’Ource. Dans ce précédent travail, il se trouve que la Fédération a analysé le peuplement d’un bief très comparable à celui de Prusly, en l’occurrence le bief de Maisey-le-Duc (voir données et carte ci-dessous.)



Or, on observe que:
  • le bief héberge 10 espèces de poissons, notamment une forte population de vairons, mais aussi des truites, chabots, loches franches et blageons,
  • la classe de qualité piscicole (IPR) du bief est "excellente", soit la meilleure classe possible.

A retenir : les travaux de la Fédération de pêche montrent que les biefs, comme ceux menacés par le chantier de Prusly-sur-Ource, hébergent de nombreuses espèces de poissons et peuvent être dans la meilleure classe de qualité écologique de l’Indice poisson rivière. Il n’est donc pas acceptable de mettre hors d’eau le bief de Prusly sans un examen préalable de sa biodiversité pisciaire et sans garantir qu’il n’y aura pas perte d’habitats et d'espèces (déjà pour les poissons, mais aussi pour tous les autres assemblages aquatiques et riverains). Il est regrettable que la Fédération, parfaitement informée des résultats antérieurs sur le bief de Masey en IPR excellent, n'ait pas éprouvé la nécessité d'étudier le bief de Prusly et de mettre en garde le SMS contre un chantier précipité.

Au delà des poissons : urgente nécessité d'une refonte des approches par l'Agence française pour la biodiversité
La richesse biologique des rivières et de leurs annexes hydrauliques comme les biefs ou étangs ne se limite pas aux poissons, qui ne représentent que 2% de cette diversité spécifique (Balian et al 2008). En France, il existe néanmoins une forte dominante de l’approche halieutique et ichtyologique datant du Conseil supérieur de la pêche (devenu en 2006 Office national de l’eau et des milieux aquatiques, puis intégré en 2017 dans l’Agence française pour la biodiversité).

Certains chercheurs ont déjà pu faire observer que cette spécialisation halieutique ne donne pas une image complète des milieux aquatiques et de leur évolution. Par exemple Lespez et al 2015 à propos des restaurations de rivière : « l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés ». (Mêmes observations dans la thèse De Coninck 2015.)

Cette situation n’est pas durable et elle n’est pas saine pour nos choix publics sur la biodiversité : l'intervention sur les milieux aquatiques et riverains doit impérativement prendre en compte la végétation, le plancton, les invertébrés, les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, etc. Il appartient de notre point de vue au service instructeur de l'Etat (Agence française pour la biodiversité) de mener désormais ces campagnes d'évaluation de la biodiversité, mais aussi de publier des guides méthodologiques complets permettant de mener ce travail sur l'ensemble des espèces dont le cycle de vie dépend des hydrosystèmes.

La politique des rivières et des zones humides ne doit plus être optimisée pour certaines catégories de poissons seulement, dans l’ignorance quasi-complète des autres espèces et biocénoses, y compris la biodiversité acquise dans les hydrosystèmes anthropisés.

En conséquence, le projet de Prusly-sur-Ource devrait être suspendu tant qu’il n’existe pas une analyse complète (y compris ichtyologique) de l’ensemble de l’hydrosystème à l’amont et à l’aval des barrages, ainsi que dans les annexes hydrauliques. Les problèmes écologiques et ichtyologiques ici soulevés ne préjugent pas par ailleurs de l'intérêt de l'hydrosystème aménagé pour le patrimoine, le paysage, l'agrément, le stockage d'eau ou l'énergie.

27/06/2017

Non à la destruction des ouvrages et biefs de Prusly-sur-Ource et Villotte-sur-Ource

Le Syndicat mixte Sequana (SMS, ancien Sicec) s'apprête à détruire plusieurs ouvrages hydrauliques sur l'Ource à Prusly et Villotte. Ce projet n'est pas seulement une altération du patrimoine et du paysage des rivières aménagées, c'est aussi une absurdité écologique avec mise hors d'eau de 1700 m de bief, sans aucune analyse sérieuse de la biodiversité présente et du bilan pour les milieux.

Les documents de l'enquête sont disponibles à ce lien. Nous vous appelons à participer à l'enquête publique avant vendredi prochain (date de clôture) :

  • en exprimant votre refus par mail à l'adresse ddt-ser@cote-dor.gouv.fr et mairie.pruslysurource@wanadoo.fr (objet du courrier "avis enquête publique")
  • en vous rendant le vendredi 30 juin en mairie de Villotte (matin) ou de Prusly (après-midi).

Merci d'avance de votre mobilisation contre cette nouvelle gabegie d'argent public au détriment des riverains,  des rivières et de leurs annexes hydrauliques.



Avis négatif sur les effacements d’ouvrages hydrauliques sur l’Ource  à Prusly et Villotte
Demande de compléments 
sur les impacts sociaux, patrimoniaux et écologiques du projet



Rappel du contexte national : la politique de continuité écologique considérée comme très problématique par les audits parlementaires et administratifs

La politique dite de « continuité écologique » a été lancée par le plan national d’action pour la continuité écologique (PARCE 2009) et le classement des cours d’eau  de 2012-2013, suite à l’article L 214-17 CE (LEMA 2006).

Cette politique a fait l’objet de deux rapports d’audit du CGEDD (2012, 2016), commandités par le ministère de l’Ecologie, ainsi que de plusieurs rapports parlementaires (Dubois-Vigier 2016, Pointereau 2016).

Dans l’ensemble, ces rapports sont très critiques et pointent les éléments suivants :

  • Coût élevé des travaux en rivière
  • Définition incertaine des priorités écologiques en particulier piscicoles (espèces migratrices ou sédentaires ? espèces menacées ou communes ? espèces amphihalines ou holobiotiques ?)
  • Défaut de prise en compte des éléments d’intérêt général attachés aux ouvrages, comme le patrimoine historique, technique et culturel, la diversité des paysages, les réserves d’eau que forment les biefs et retenues, le potentiel énergétique, les aménités (comme les promenades au bord des hydrosystèmes aménagés)
  • Défaut de prise en compte des usages particuliers et locaux chez les riverains
  • Prime à la destruction des ouvrages alors que la loi n’y enjoint pas et que de nombreuses autres solutions restaurent les mêmes fonctionnalités écologiques de franchissement et transit (par exemple ouverture des vannes, rivière de contournement, passe à poissons, rampes enrochées)

Le projet de Prusly-sur-Ource illustre l’exemple de ces dérives où le gestionnaire propose comme unique solution la disparition définitive d’ouvrages, sans prendre le temps d’une véritable réflexion et concertation, mais surtout sans démontrer que le projet n’aura pas un bilan écologique négatif pour l’hydrosystème local.


Patrimoine et paysage

Les travaux prévus vont faire disparaître plusieurs ouvrages appartenant au patrimoine culturel et technique du Châtillonnais, pays de sidérurgie depuis le Moyen Âge.

Certains de ces ouvrages et le bief principal de dérivation sont par ailleurs situés dans un périmètre de 500 m d’un ouvrage inscrit à l’inventaire du patrimoine historique (portail de l’Eglise : inscription par arrêté du 21 juin 1927.)

En l’état, le dossier présenté ne fournit aucune indication sur la valeur patrimoniale ou paysagère des ouvrages. Nous jugeons nécessaire qu’un avis motivé de l’architecte des bâtiments de France soit donné (article L 211-1 code de l’environnement, article L 214-17 code de l’environnement)

La mise hors d’eau des biefs est susceptible d’occasionner des fragilisations de berges, des rétractions d’argiles, des pourrissements de certaines fondations en bois. Aucune analyse géotechnique, même sommaire, n’est donnée sur ces enjeux sur tout le linéaire du bief qui sera asséché la majeure partie de l’année. Nous jugeons nécessaire de préciser si ces enjeux existent, en particulier dans la traversée du village.


Santé, climat et cadre de vie

Le projet consiste à supprimer la mise en eau permanente du bief de Prusly, avec un débordement de la rivière dans le bief actuel limité aux seules périodes de gros débits (73 jours dans l’année). Cela a au moins deux effets dont l’importance n’est pas explicitée dans le projet :

  • Le bief perd sa fonction de rafraichissement du micro-climat local en été, alors que dans la stratégie d’adaptation au réchauffement climatique, on considère que les espaces urbanisés et de vie doivent au contraire préserver des zones en eau et des zones végétalisées.
  • Le fait que le bief passe d’un système d’eau courante (aujourd’hui) à un système d’eau stagnante et intermittente (demain) peut entraîner des effets négatifs qui ne sont pas aujourd’hui estimé (prolifération de moustiques, odeurs désagréables).

Nous jugeons nécessaire une estimation de l’effet sanitaire et qualitatif de l’apparition de zones d’eaux stagnantes / intermittentes dans le bief actuellement en eaux courantes et de la disparition de la fraîcheur apportée par l’eau du bief en été ainsi que par la végétation en profitant.


Ecologie

Enjeu limité pour la truite
La seule espèce mentionnée dans le projet et bénéficiant des travaux est la truite commune Salmo trutta fario. Or, on peut observer les éléments suivants :

  • La plupart des truites présentes dans les rivières sont issues de campagnes d’empoissonnements menées par les pêcheurs depuis plus d’un siècle, de sorte que la « naturalité » de ces populations est discutable et que des introgressions génétiques ont été nombreuses par rapport aux souches anciennes endémiques.
  • La truite commune a une aire de répartition très large en Europe et n’est pas considérée comme une espèce menacée.
  • Les relevés de la fédération de pêche du 21 montrent la présence de truites dans l’Ource, de sorte que le problème posé par les ouvrages visés n’est pas démontré à ce jour, ni le gain précisé pour cette population.
  • Aucun relevé piscicole n’a été fait à l’amont et à l’aval des ouvrages de Prusly, pas plus que dans les biefs (malgré la présence de poissons, voir photos ci-après), de sorte que le dossier ne caractérise pas l’enjeu.
  • Le dossier relève que les ouvrages sont partiellement franchissables, donc ils ne représentent pas un obstacle permanent à la circulation de la truite.
  • Le changement climatique s’apprête à modifier l’écotype des rivières françaises et européennes au cours de ce siècle (Laizé et al 2015), et les rivières de basse altitude comme l’Ource seront de moins en moins favorables aux espèces d’eaux froides comme l’ombre et la truite (température maximale d’été grimpant dans la zone létale ou la zone de stress). On doit donc s’interroger sur la pérennité des investissements publics environnementaux quand ils visent des conditions écologiques appelées à changer de toute façon. Les espèces de poissons évoluent localement en fonction des températures et précipitations et le niveau typologique théorique actuel du cours d’eau évoluera dans les prochaines décennies.
  • L’intérêt halieutique des sociétés de pêche correspond à un usage légitime de la rivière, mais il ne peut se confondre avec l’intérêt général des citoyens ni avec l’intérêt écologique des milieux (pour rappel, les poissons ne représentent que 2% de la biodiversité aquatique). Nous considérons à ce sujet qu’il serait nécessaire de préciser au public d’éventuels conflits d’intérêt quand des représentants syndicaux sont aussi représentants de sociétés locales de pêche, afin d’éviter toute ambiguïté sur la motivation réelle des travaux. Si les chantiers sont présentés comme une réponse au mauvais état des populations de poissons, il serait souhaitable que les pêcheurs prennent eux aussi et simultanément des mesures d’adaptation : mise en réserve le temps que les populations se reconstituent, parcours « sans tuer » afin de protéger les géniteurs, etc.

Disparition de milieux humides sur le bief de 1700 m
Le projet tel qu’il est présenté va mettre hors d’eau la majeure partie de l’année (près de 300 jours par an) le bief de 1700 m traversant la commune de Prusly-sur-Ource. Or, ce bief est un milieu aquatique à part entière, qui héberge de nombreuses espèces animales et profite à la végétation riveraine (voir reportage photo en exemple). De même, le projet va faire disparaître les zones de retenues larges et profondes à l’amont des seuils.
Nous constatons que

  • Le projet présenté n’a réalisé aucun inventaire de la faune et de la flore actuellement inféodée au bief et aux retenues de Prusly, en particulier des arbres, insectes, oiseaux et mammifères profitant du bief en eau et risquant d’être pénalisés par une mise à sec la majeure partie de l’année.
  • Le projet présenté ne garantit donc pas que la disparition de plusieurs centaines de mètres linéaires de milieu en eau en permanence représente un impact écologique inférieur au bénéfice retiré par les mieux aquatiques et riverains, essentiellement limités à la truite (sans quantification).



Rejet de la station d’épuration
Le projet propose de rejeter directement les effluents de la STEP dans le lit mineur de l’Ource au lieu de le faire dans le bief, comme c’est le cas aujourd’hui.
Il nous semble que ce changement de disposition fait disparaître « l’effet-tampon » que peut avoir le rejet actuel dans le bief (temps de résidence augmenté des effluents avant de rejoindre la rivière) et donc qu’un rejet direct dans la rivière au lieu d’un canal artificiel privé :

  • demande une nouvelle autorisation préfectorale,
  • demande une vérification de la qualité chimique et physico-chimique des effluents de la STEP au regard des critères imposés par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000).


Absence d’analyse des polluants et contaminants dans les sédiments remobilisés
Il est reconnu dans les guides de mise en œuvre de la continuité écologique (Salgues et Malavoi 2011,  Demain 2 berges et UFBAG 2017) que la suppression des ouvrages hydrauliques remobilise les sédiments accumulés au fil des siècles dans la zone de la retenue. Il  y a eu dans le passé une activité sidérurgique importante (nature exacte des rejets anciens inconnue) et il y a depuis plusieurs décennies des rejets agricoles et domestiques pouvant présenter un caractère de bio-accumulation ou de géo-accumulation.
Effacer les ouvrages demande une analyse des sédiments présents à leur amont afin de garantir qu’ils ne comportent pas de contaminants de nature à affecter les milieux aval et leurs zones d’intérêt écologique. Si tel est le cas, il faut prévoir un transport des sédiments contaminés au lieu de les laisser dans le lit de la rivière.

Absence d’analyse des risques invasifs à l’aval
Les espèces dites invasives ou indésirables sont considérées comme l'une des menaces majeures sur la préservation de la biodiversité native des assemblages d'espèces patrimoniales des cours d'eau. L'émergence de ces espèces invasives est directement associée aux activités humaines au bord des rivières, qui produisent des introductions volontaires ou accidentelles. Les menaces que font peser les espèces indésirables sont de trois ordres : compétition évolutive directe (prédation ou occupation de niche), hybridation génétique, transmission de pathogènes. On estime que 20% des 680 extinctions d'espèces répertoriées par l'IUCN l'ont été à cause d'espèces invasives (Clavero et García-Berthou 2005), une menace qui reste bien réelle pour les systèmes européens d'eaux douces  (Nunes et al 2015).
Or, le projet de libre circulation de toutes espèces (poissons, crustacés) et à toutes saisons de l’aval vers l’amont de l’Ource à Prusly ne fait état d’aucun inventaire garantissant que, dans le bilan écologique global de l’opération, on ne va pas augmenter la pression de certaines espèces invasives vers la tête du bassin versant.

Nous demandons en conséquence des cinq points précédents que l’impact écologique du dossier (analyse de ses gains et de ses pertes) soit entièrement révisé car en l’état le projet représente un risque d’impact majeur sur les milieux naturels. (A noter que les nouveaux articles 1246 et 1247 du code civil, créés en 2016 par la loi de biodiversité, obligent tout porteur d’un chantier affectant les milieux à réparer les préjudices écologiques occasionnés.)


Intérêt général

L’article L 211-1 du code de l’environnement précise la notion d’intérêt général en rappelant la définition du législateur de ce qu’est une gestion durable et équilibrée de l’eau.
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Nous observons que le projet du SMS restaure la continuité écologique par un choix assez radical de destruction des ouvrages (au lieu d’une simple ouverture des vannes en période de migration des truites), ce qui peut apporter des bénéfices ciblés à certaines populations et sur un court linéaire, mais que ce projet ignore d’autres éléments précisés par la loi, notamment
  • le patrimoine,
  • l’énergie,
  • le stockage de l’eau,
  • la protection de la ressource en eau,
  • la vie biologique du milieu récepteur.
En conséquence, nous considérons que les solutions choisies ne répondent pas à l’intérêt général et, par leur caractère irréversible, empêchent une gestion durable et adaptative de la ressource en eau.

Conclusion

Pour l’ensemble des raisons énumérées préalablement, les associations Hydrauxois et Arpohc
  • considèrent que le dossier présenté par le SMS se contente de propos très généraux (en dehors de la modélisation hydraulique), n’apportant ni démonstration claire des bénéfices, ni observations approfondies des milieux qui vont être modifiés de manière définitive,
  • considèrent que le projet du SMS ne correspond pas à un intérêt général en raison de sa non prise en compte des éléments d’appréciation de la gestion durable et équilibrée de l’eau ,
  • considèrent que ce projet représente un risque très élevé d’impact écologique n’ayant pas été sérieusement évalué, et si nécessaire compensé,
  • se réservent le droit de porter requête en annulation d’un arrêté préfectoral autorisant les travaux en l’état des informations lacunaires présentées au public,
  • souhaitent que des solutions plus favorables à la préservation des patrimoines naturels, culturels et paysagers soient proposées, comme la simple ouverture des vannes dans un premier temps,
  • demandent à M. le Commissaire enquêteur de constater l’absence d’intérêt général et l’absence d’intérêt écologique en l’état des informations disponibles.

20/06/2017

Parc du Morvan: un joli petit film, de vilains petits oublis...

Le Parc du Morvan et le Parc des Ballons des Vosges ont profité du financement du programme Life+ Continuité écologique pour produire un film sur les travaux de restauration des milieux aquatiques sur leurs territoires. On y trouve de belles images, des points d'accord sur la nécessité de préserver les patrimoines naturels et culturels, mais aussi une dissimulation peu glorieuse de ce qui se passe sur le terrain et l'entretien de certaines idées fausses. L'écologie des rivières et milieux humides ne pourra pas progresser sur la négation des réalités et sans l'ouverture d'un véritable dialogue environnemental. 



Précisons tout d'abord nos points de convergence :

  • le Morvan et les Vosges disposent de territoires d'exception pour leurs patrimoines naturels, culturels et paysagers, dont la préservation est d'intérêt général;
  • les têtes de bassin sont des milieux écologiquement riches, et la préservation de certaines espèces menacées (comme la moule perlière) comme de certains biotopes fragiles est un enjeu légitime de mobilisation;
  • nous apprécions la volonté affichée dans cette vidéo de conciliation entre les activités humaines (dont leurs héritages) et la conservation des espaces naturels;
  • nous considérons le Parc du Morvan comme un animateur territorial tout à fait légitime, avec de beaux enjeux à faire valoir pour les générations présentes et futures.

En revanche, le film est trompeur pour le public car il évacue tous les problèmes concrets de gouvernance observés depuis plusieurs années dans le cas particulier et conflictuel de la continuité écologique (nous parlons ici du Morvan, notre territoire d'implantation, et non des Vosges).

En voici quelques rappels dans le domaine de la gouvernance :
  • la plupart des propriétaires de moulins et étangs subissent depuis 5 ans une pression constante en vue de détruire (araser, déraser) leurs ouvrages, seule solution qui est aujourd'hui financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie dans la plupart des cas. Le déni de ce chantage économique et de l'attitude brutale de l'administration a abouti à une rupture catastrophique de la concertation, qui est toujours impossible aujourd'hui faute d'une reconnaissance claire des problèmes et d'une proposition de solutions viables;
  • lors du programme Life + sur la zone Nature 2000 d'Avallon, plusieurs propriétaires étaient volontaires pour des passes à poissons, mais cette solution leur a été refusée alors qu'elle a été acceptée pour d'autres. Beaucoup perçoivent cela comme un arbitraire pur et simple des agents instructeurs;
  • malgré l'abondant financement public pour les trois passes à poissons finalement réalisées (plusieurs bureaux d'études!), l'une s'est révélée défaillante dès la première année (moulin Cayenne) et l'autre se trouve être un piège à embâcles dont le choix (passe à plots) et la conception sont peu adaptés à l'hydrologie du site (moulin Cadoux);
  • les représentants du Parc du Morvan, de la DDT, de l'Agence de l'eau, de l'AFB ont toléré ou engagé diverses dérives sur le bassin Yonne-Cure-Cousin au cours des années passées: refus de reconnaître qu'un moulin non connecté au réseau et en autoconsommation a un intérêt à garder son ouvrage (Cussy-les-Forges), refus d'admettre qu'une retenue très appréciée des riverains et inscrite au patrimoine communal a un intérêt de conservation (Bessy-sur-Cure); acharnement à essayer de casser des droits d'eau sans enjeu écologique ni riverain (Chastellux-sur-Cure), information insuffisante d'un propriétaire l'ayant conduit  à perdre l'essentiel de son droit d'eau et à échouer dans la vente de son moulin à des acquéreurs qui voulaient avant tout produire de l'énergie verte (Avallon), etc.

Par ailleurs, le film donne une image imprécise et partielle des enjeux écologiques :
  • on présente les étangs, les lacs, les retenues et les biefs comme des hydrosystèmes que l'on peut éventuellement tolérer en tant qu'héritages culturels ou lieux d'usages particuliers, mais qui en soi ont des impacts forcément négatifs sur le plan écologique. Or, c'est inexact. Des plans d'eau artificiels comme les étangs de Marrault, l'étang Taureau de Saint-Brisson (où est la Maison du Parc), les lacs de Saint-Agnan, de Chaumeçon, de Pannecière ont aussi un intérêt propre comme milieux récepteurs de certaines espèces (même s'ils ont un effet adverse sur d'autres espèces). Certains font d'ailleurs l'objet d'un classement pour leur intérêt faunistique et floristique; 
  • la biodiversité n'est pas un musée figé où chaque population de chaque espèce patrimoniale doit se répéter à l'identique dans le temps, c'est une réalité qui évolue, et qui évolue en particulier sous l'influence des activités humaines depuis plusieurs millénaires (par exemple les phases de boisement, déboisement, reboisement du Morvan, la construction des systèmes d'énergie et de flottage, etc.), dans une logique de "rivières hybrides", comme les a joliment appelées une équipe de chercheurs français;
  • il manque à la démarche du Parc du Morvan des éléments essentiels sur l'histoire et l'avenir de la diversité biologique. Multiplier des monographies descriptives de certains tronçons des milieux aquatiques actuels est une démarche d'observation intéressante, mais insuffisante pour ce qu'on attend en premier lieu de la science, à savoir des modèles explicatifs et prédictifs qui correspondent aux données observées et permettent d'anticiper avec un degré raisonnable de certitude l'effet des actions envisagées. Par exemple, sur la population repère de truite (indispensable au cycle de vie de la moule perlière), nous n'avons à notre connaissance aucune donnée fiabilisée sur les abondances passées, sur la variabilité interannuelle et interdécennale des peuplements, sur la pondération des nombreux facteurs pouvant expliquer une (éventuelle) tendance, sur le potentiel truiticole total des masses d'eau, sur l'évolution de ce potentiel en situation de réchauffement climatique, sur le coût et l'efficacité relative des différentes actions envisageables (dont les moulins et étangs, mais pas seulement : les ripisylves, les pollutions, les charges sédimentaires venant des versants et apportant ou non la bonne granulométrie de frayères, les connexions de ruisseaux pépinières, les pratiques de pêche, la dynamique des espèces prédatrices ou concurrentes, etc.). 

Enfin, le Parc du Morvan doit répondre avec davantage de précision de ses actions. Ainsi, le 15 octobre 2016, un responsable du PNR avait affirmé à la presse (Yonne républiciane) :
Sur le plan écologique, « normalement, c'est plutôt long d'obtenir des résultats. Mais on a déjà mesuré les impacts des travaux menés en 2013 et 2014 ( N.D.L.R. : sur des ouvrages privés). Le milieu s'est considérablement amélioré en une année. Au niveau de l'ouvrage Michaud, en amont du camping, où il y a eu un arasement partiel, on constate le retour des perlas, une espèce bioindicatrice. Les truites sont aussi revenues au moulin des Templiers ».
Depuis cette date, nous demandons sans succès la transmission des études démontrant le résultat avancé (et son caractère significatif). Après 8 mois de tergiversation (et toujours pas de document disponible), le responsable du Parc nous dit que ces analyses ne concernent finalement pas la truite… alors que la déclaration aux médias affirmait le contraire (et que la truite fait l'objet d'empoissonnement par les pêcheurs, ce qui pose de toute façon la question du sens de ces observations par rapport à une "naturalité" pisciaire). Ce n'est certainement pas en procédant ainsi que l'on va instaurer des rapports de confiance avec les riverains ni démontrer de bonne foi que les dépenses écologiques sur les ouvrages hydrauliques correspondent à des gains proportionnés pour les milieux aquatiques.

14/06/2017

Franchissement piscicole des ouvrages hydrauliques: un cahier des charges trop complexe pour les petits sites

L'Agence française pour la biodiversité et les Agences de l'eau viennent de publier une trame de cahier des charges pour accompagner collectivités et hydroélectriciens dans leur projet de mise en conformité d’un site classé en liste 2 au titre de la continuité écologique. Quelques commentaires sur la complexité des demandes en rapport aux capacités et aux impacts des projets de relance des moulins et autres ouvrages très modestes.


Ce guide venant de paraître est consacré à la définition des équipements de franchissabilité en montaison et dévalaison (passes à poissons, rivières de contournement, grilles) pour les propriétaires ayant un projet hydro-électrique. Il rassemble les éléments que l'administration estime nécessaires: données administratives et réglementaires, connaissance des usages et caractéristiques techniques de l'ouvrage, données sur l'hydrologie et le fonctionnement hydraulique, évaluation des impacts de l'ouvrage sur la continuité écologique, diagnostic de la continuité biologique, diagnostic de la continuité sédimentaire, justifications techniques des choix de franchissabilité, etc.

Nous attirons l'attention sur le caractère trop complexe et donc décalé de ce guide par rapport aux réalités de la très petite hydro-électricité des moulins et anciennes usines à eau. Ce que des grands barragistes peuvent intégrer dans le cadre de projets industriels, ou ce que des constructions de nouveaux sites peuvent planifier dans le génie civil de l'ouvrage à bâtir, n'est pas à portée de projets de réhabilitation de sites anciens et modestes. La seule mobilisation d'un bureau d'études pour répondre à la totalité du cahier des charges proposé dans le guide représenterait pour ces petits sites l'équivalent d'une à cinq années de production – cela sans parler de la réalisation matérielle des passes, grilles, goulottes de dévalaison et autres besoins. Ce qui est manifestement disproportionné. Se pose donc la question du financement de ces demandes : la très haute exigence environnementale a du sens, mais elle ne peut se déployer sans un soutien public à hauteur du niveau d'ambition imposé.

Par ailleurs, la question de la mortalité des poissons sur les petites turbines n'a jamais été explorée de manière satisfaisante. L'administration se fonde sur des travaux anciens concernant  (là encore) les grosses unités de production. Nous souhaitons donc que l'Agence française pour la biodiversité mène des travaux sur des sites de production de 5 à 250 kW, avec un spectre représentatif de hauteur et débit, afin de modéliser plus finement la question. Notre association et plusieurs de ses consoeurs sont disposées à aider l'administration à trouver des sites pilotes volontaires pour répondre à ce besoin, en particulier chez les très petits producteurs de 5 à 50 kW. Il n'est pas possible de faire des prescriptions sur la base de simples présomptions, sans disposer au préalable d'étude scientifique et technique sur l'objet de ces prescriptions. Or à notre connaissance, le CSP, l'Onema puis l'AFB n'ont jamais publié le moindre travail de recherche sur le comportement d'approche, d'évitement ou de piégeage des poissons dans les très petits sites de production (moulins).

Enfin, sur le plan du droit, le guide a été conçu avant les évolutions récentes de la loi. On rappellera que le nouvel article L 214-18-1 Code de l'environnement exonère les moulins producteurs des obligations du II de l'article L 214-17 du même code, c'est-à-dire concrètement des contraintes de franchissement piscicole et sédimentaire. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique n'ont toujours pas produit une circulaire d'application de cette disposition, comme de plusieurs autres votées depuis un an.

Référence : Eléments techniques pour la rédaction d’un cahier des charges (CCTP) pour les équipements et dispositifs dédiés au franchissement piscicole (montaison & dévalaison) et/ou au transit sédimentaire (janvier 2017).

Illustration : une rivière de contournement au droit d'une chaussée de moulin sur le Cousin (Méluzien). Sans le financement Life+, Agence de l'eau et Parc du Morvan, ce projet aurait été hors de portée du maître d'ouvrage.

09/06/2017

Evaluer le préjudice écologique lié à la destruction des retenues, biefs et étangs

La loi sur la biodiversité a introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions sur le préjudice écologique, concernant soit des composantes d'un écosystème soit les services collectifs qu'il procure. Le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de publier un guide pour évaluer ce préjudice dans le cas des petits chantiers à impact de moindre gravité. Nous exposons ici que les chantiers de continuité écologique, amenant parfois à perturber les équilibres en place, à supprimer des annexes hydrauliques et à diminuer globalement la surface offerte au vivant aquatique, doivent fournir dans leur justification réglementaire une évaluation sérieuse de la biodiversité locale (qui ne se limite pas aux poissons) et des impacts parfois négatifs du chantier sur cette biodiversité. Dans le cas contraire, tout riverain ou toute association est fondé à requérir auprès du juge administratif une annulation de l'arrêté autorisant le chantier.



La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, a modifié le livre III du Code civil. Deux nouvelle dispositions sont ainsi formulées:
Art. 1246 – Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer.
Art. 1247 – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le ministère de l'Environnement (aujourd'hui Transition écologique et solidaire) a publié un document sur la question, concernant le chantiers de faible impact et intitulé Comment réparer des dommages écologiques de moindre gravité ? (pdf, mai 2017).

Comme l'observent les auteurs de ce travail, "réparer au mieux un préjudice écologique nécessite tout d'abord d'évaluer correctement le dommage subi. C'est sur la base de cette évaluation que la réparation pourra ensuite être envisagée."

Malheureusement, dans le cas particulier des travaux concernant les milieux aquatiques et en particulier la continuité écologique, le document est insatisfaisant par la généralité de ses préceptes et par la mise en avant de présupposés discutables (confusion entre biodiversité, qui est une diversité mesurable de gènes, d'espèces, de fonctions ou d'habitats, et naturalité ou intégrité biotique, qui est un état de référence d'un milieu non modifié).

Rappelons que la continuité écologique longitudinale consiste à traiter les obstacles à l'écoulement en rivière (seuils, barrages) afin de limiter leur entrave à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Elle représente aujourd'hui plusieurs centaines de chantiers en rivière chaque année (objectif : plus de 20.000 ouvrages), avec une priorité accordée à la solution de destruction de l'ouvrage, soit l'un des enjeux de programmation publique les plus importants affectant l'équilibre en place des rivières françaises au plan de leur morphologie et de leur diversité biologique perdue ou acquise au fil des siècles.

Chaque hydrosystème doit être étudié, chaque chantier doit être évalué
Il serait erroné de penser a priori qu'un habitat anthropisé (modifié par l'homme) est forcément dégradé ou défavorable à la biodiversité : on rencontre au contraire des cas de sites classés pour leur intérêt faunistique ou floristique (voir cet exemple) ou encore des cas de canaux de dérivation qui alimentent de tels sites d'intérêt, comme des zones humides (voir cet exemple). Les chercheurs soulignent aussi la diversité des cas, comme des canaux pouvant servir de refuge à des espèces menacés (Aspe et al 2014), des étangs piscicoles hébergeant une faune d'intérêt autre que les poissons (Wezel et al 2014), une végétation riveraine qui peut répondre défavorablement à une modification de l'écoulement (Depoilly et Dufour 2015).

Un chantier se réclamant de l'écologie ne peut donc pas s'appuyer sur des idées trop générales ou abstraites, particulièrement s'il se veut exemplaire et bénéficie de fonds publics : il s'agit d'étudier la réalité et la diversité du vivant sur chaque site, afin de prendre les décisions les mieux informées.

Un porteur de projet de continuité écologique doit donc évaluer l'impact de ses travaux sur le vivant. Cet impact ne se limite pas à la variation attendue d'une population de poissons ou à la variation de micro-habitats sur le périmètre de la retenue du barrage ou du seuil. Il convient en effet d'évaluer :
  • l'ensemble de la biodiversité inféodée au système en place (typiquement, les oiseaux ou les amphibiens sont aussi des espèces d'intérêt, pouvant profiter des retenues, mais ne sont presque jamais prises en compte),
  • le risque d'espèces indésirables ou porteuses de pathogènes présentes à l'aval et pouvant se répandre plus facilement vers l'amont, en concurrence éventuelle avec des espèces patrimoniales (voir cet exemple récent de barrages limitant des proliférations et ce texte de synthèse),
  • la perte pour les espèces aquatiques que représente la disparition d'une certaine surface en eau hors du lit mineur de la rivière (le bief supérieur et inférieur, les rigoles de déversoir, les éventuelles zones humides alimentées par le détournement d'eau, les plans d'eau de type étangs, mares, lacs).
Les associations gagneront à effectuer ce rappel aux services administratifs, aux syndicats de rivière et aux bureaux d'études, afin que chaque projet liste les espèces susceptibles d'en bénéficier ou d'en souffrir, avec indication sur le degré de certitude de la connaissance du milieu, sur l'objectif de résultat du chantier et sur les éventuelles compensations à prévoir.

En cas de refus de procéder ainsi, les riverains peuvent documenter la diversité biologique des hydrosystèmes concernés (eux-mêmes ou en faisant appel à des naturalistes), et s'il apparaît qu'il existe des espèces d'intérêt pour la biodiversité locale, saisir le juge administratif pour faire stopper le chantier, en mettant en avant le défaut d'estimation du préjudice écologique.

Enfin, il convient de rappeler que l'article 1247 Code civil mentionne aussi les "bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement". Cette expression renvoie à la notion de services rendus par les écosystèmes, qui est de plus en plus mise en avant en gestion de l'environnement depuis une quinzaine d'années. En ce domaine également, les bénéfices divers que les riverains retirent des hydrosystèmes aménagés doivent être intégrés dans le diagnostic préparatoire au chantier (par exemple rehausse de nappe à l'amont, agrément paysager, plus-value culturelle, réserve d'eau en été, loisirs, etc.).

Illustrations : quelques exemples d'invertébrés observés à proximité immédiate d'un hydrosystème artificiel (ruisseau créé par le déversoir d'un moulin dans le Morvan, prairie humide en partie alimentée par les fuites de son bief), parmi des dizaines d'autres espèces colonisant cet habitat. Une mise à sec de ce ruisseau et de ce bief par suppression du seuil amont qui les alimente représenterait un impact pour les espèces présentes. Ce genre d'enjeu demande une bonne évaluation des avantages-inconvénients de chaque chantier au plan de la biodiversité locale. Notre association appelle tous les propriétaires et riverains de moulins, d'étangs, de lacs à s'intéresser aux espèces qui peuplent ces biotopes, y compris en travaillant à améliorer la capacité d'accueil écologique des sites (exemple LPO), et à mener des campagnes d'observation.

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02/06/2017