29/11/2017

Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

Dès le début des années 2000, le retour du saumon  été présenté comme l'enjeu écologique majeur du projet de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Après 18 mois d'attente, nous avons finalement reçu le travail de 2014 formant à ce jour la seule base scientifique d'estimation de ce retour. Au regard du modèle employé, sur lequel nous faisons ici de premières remarques critiques, on estime que la destruction du site pourrait augmenter de 1314 le nombre de saumons adultes remontant. A titre de comparaison, c'est 2 à 3 fois moins que le nombre de saumons tués par les pêcheurs d'eau douce chaque année en France. Cela pour un coût définitif de travaux sur l'ensemble du bassin qui devrait s'établir quelque part entre 50 et 150 millions €, alors que le saumon est déjà présent dans les autres rivières de la baie du mont Saint-Michel et leurs affluents, comme à l'aval de la Sélune. L'Etat doit clarifier et justifier ses objectifs car ces informations suggèrent que nous sommes devant une dépense totalement disproportionnée au regard des enjeux saumon sur le bassin atlantique et, sur un autre plan, des nuisances sociales induites par ce projet. 

Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
"Les travaux de démantèlement de deux barrages sur la Sélune constituent un cas d’étude unique en regard de l’ampleur des ouvrages hydrauliques concernés (16 et 36 m), au linéaire de rivière actuellement ennoyé (20 km) et au verrou qu’ils représentent pour la circulation des poissons sur le réseau hydrographique. La Sélune (91 km, 1040 km ) est un des quatre cours d’eau de la Baie du Mont Saint-Michel avec la Sée (estuaire commun), le Couesnon et la Sienne. La Sélune est fréquentée par la communauté de poissons diadromes (saumon, truite de mer, anguille, lamproies et aloses) sur un linéaire réduit de son cours principal (14 km) en raison de la présence de ces deux grands barrages depuis 1919. "
Au passage, il est dit que les saumons de la baie du Mont Saint-Michel forment une seule unité : "des études récentes ont montré que les populations de saumon des quatre rivières de la Baie du Mont Saint-Michel appartiennent au même groupe génétique (Perrier et al., 2011) impliquant un certain taux de dispersion et donc d’échanges entre rivières (Perrier et al., 2012)."

Les auteurs rappellent aussi que la destruction d'un barrage n'est pas seulement à analyser comme une restauration, mais aussi comme une perturbation des écosystèmes, cycles biogéochimiques et écoulements en place :
"l’enlèvement des barrages est un outil potentiel fort pour la restauration écologique des cours d’eau, permettant un retour à une hétérogénéité des habitats et à la libre circulation des flux hydro-sédimentaires et des espèces migratrices. Les conséquences globales d’une telle opération sur le milieu peuvent cependant être difficiles à prévoir et à généraliser, qu’elles soient bénéfiques ou non souhaitables (modification des communautés en place, augmentation de la vulnérabilité d’espèces en danger) d’un point de vue écologique. Ainsi, lors de l’arasement du barrage de Fulton sur la rivière Yahara (Wisconsin, USA), des graminées de prairies humides ont remplacé les espèces de roseaux et de carex (American Society of Civil Engineers, 1997), entraînant le déclin des populations de canards et de rats musqués inféodées à ces espèces végétales. L’enlèvement de barrages constitue donc, au même titre que leur installation, une perturbation écologique importante" (nous soulignons).
La décision publique implique donc d'avoir une estimation des coût et des bénéfices écologiques. Leur travail propose d'évaluer le bénéfice pour l'espèce-repère du projet qu'est le saumon.

Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.

Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.

Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.

Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.


Estimation des UPSAT, des smolts et des adultes in Forget et al 2014, art cit, cliquer pour agrandir.

La Sélune aujourd'hui compte 907 UPSAT, il est estimé que ce chiffre montera à 3422 UPSAT après effacement (873 sur le retenues, 1642 sur le bassin amont). On observe au passage que le gain sur les lacs est assez faible (moins d'habitat que dans la partie aval actuellement libre) par rapport aux gains dans les affluents et les zones plus amont du lit principal.

La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).

Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.

Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."

Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.

Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
  • c'est un raisonnement déterministe assez simple (un type d'habitat donnera un volume de production) et dépendant des coefficients que l'on choisit pour le nourrir,
  • il ignore la dynamique du bassin versant en dehors du facteur barrages (en particulier les effets du changement climatique sur la température et le débit, la dégradation sédimentaire et pollution chimique des eaux et des sols du bassin versant, l'évolution des peuplements autres que le saumon y compris les prédateurs de leurs oeufs et juvéniles, etc.),
  • la dynamique du cycle global du saumon n'est pas couplée à ce modèle, en particulier l'évolution de sa phase maritime et les interrogations que l'on a aujourd'hui sur son avenir en Atlantique Nord. 
Pour l'instant, nous constatons que la meilleure estimation pour le gain en saumon adulte remontant serait de 1314 poissons. Cela sans compter les autres espèces amphihalines, mais c'est le saumon qui a été mis en avant pour justifier les travaux (cf Germaine et Lespez 2017).

Selon d'où les acteurs du dossier parlent, ce gain pourra être jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.

Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
  • une estimation consolidée des retours d'adultes avec leur fourchette d'incertitude,
  • une comparaison du gain salmonicole avec les chantiers de même type dans le monde (incluant la dépense économique par unité de saumon remontant),
  • une comparaison des gains de l'effacement avec les gains que procurerait une solution de type prélèvement aval et lâcher amont (hypothèse maintien du barrage), puisque les UPSAT à l'amont des zones ennoyées sont plus importantes que celles des zones ennoyées,
  • une garantie raisonnable que le saumon atlantique fréquentera toujours son aire méridionale en situation de changement climatique.
Sur un autre plan, nous demanderons à l'Etat d'engager une réflexion sur l'interdiction de la pêche au saumon atlantique sur l'ensemble des bassins français, comme cela se fait déjà en Loire-Allier. La Fédération du saumon atlantique, alarmée par la baisse des retours sur l'Atlantique Ouest (Groendland, Etats-Unis, Canada), a appelé cet été 2017 à un débat urgent sur la nécessité de réguler davantage ou interdire le prélèvement de pêche de loisir et vivrière, au regard notamment des problèmes du saumon dans sa phase océanique. Ce questionnement doit aussi concerner la France. Continuer à prélever pour un simple loisir une espèce menacée (en particulier dans sa zone méridionale, où elle risque de disparaître en premier au cours de ce siècle) et une espèce faisant l'objet de lourds investissements publics ne paraît pas une position très justifiable, tant pour l'écologie du saumon que pour l'équité des efforts demandés aux usagers des rivières.

Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.

27/11/2017

L'introuvable étude sur le potentiel saumon de la Sélune

Depuis un an et demi, l'association Hydrauxois tente sans succès d'obtenir l'étude scientifique ayant estimé le potentiel de retour du saumon sur la Sélune, citée dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE sur lequel s'appuie le ministère de la Transition écologique et solidaire. Pourquoi cette entrave dans l'accès aux informations, alors que le retour du saumon est censé être le premier intérêt de la destruction des barrages et que le débat démocratique a été confisqué depuis 2005 sur ce dossier? Au regard de l'échec relatif des travaux de restauration sur les autres fleuves à saumons de la baie du Mont Saint-Michel et du coût majeur du chantier de la Sélune, quels sont exactement les bénéfices écologiques attendus?

[edit 29-11_2017 : suite à la parution de cet article, nous avons enfin reçu l'étude... 18 mois après la première demande! Nous la rendons accessible à tous à ce lien]

Le 7 avril 2016, dans le cadre de la rédaction de ses premiers articles sur le dossier de la Sélune, l'association Hydrauxois a écrit le message suivant au laboratoire ayant étudié le potentiel salmonicole de la rivière.
"Votre laboratoire a publié en 2014 une étude sur le potentiel salmonicole de la Sélune, mais, sauf erreur, cette étude est impossible à télécharger sur le site INRA et n'a pas été versée sur les portails eaufrance.fr. 
Référence :FORGET, G. NEVOUX, M. RICHARD, A. MARCHAND, F. BAGLINIERE, J.-L., 2014. Estimation des capacités de production en saumon du Bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de La Roche-Qui-Boit. Projet Sélune - Pôle Gest-Aqua 
Serait-il possible d'en avoir copie ou lien d'accès ?"
Notre interlocuteur nous explique que la publication est en diffusion restreinte, que ses données ne sont pas complètement validées et qu'une publication scientifique dans une revue internationale indexée est attendue pour les prochains mois.

Nous prenons acte. Le temps passe, aucune publication ne paraît, et Nicolas Hulot annonce brutalement la prochaine destruction des barrages de la Sélune. Nous relançons donc les auteurs pour avoir des nouvelles : il nous est répondu que la publication est non disponible et ne le sera pas dans un proche avenir.

Nous demandons donc de nouveau à recevoir l'étude de 2014, qui est après tout la seule citée dans les documents publics. Sans succès à ce jour.



Pourquoi cette étude est-elle importante ? 

D'une part, dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE 2015 sollicité par le ministère de l'écologie, ce travail de 2014 est la seule référence citée en appui de l'intérêt salmonicole des effacements, (p. 92). Il est étonnant que l'Etat s'appuie sur des données non disponibles au public.

D'autre part, et nous y reviendrons de manière plus détaillée, le public ignore qu'il y a en réalité 4 rivières à saumon se jetant dans la baie du Mont-Michel: la Sienne (92,6 km), la Sée (78,1 km), le Couesnon (97,8 km) et la Sélune (84,7 km). Non seulement la Sélune n'est pas le fleuve le plus long, mais d'autres rivières ont fait l'objet de tentatives de restauration pour le saumon qui ont donné des résultats mitigés, malgré des alevinages massifs des pêcheurs. Il est donc important de comprendre les raisons pour lesquelles la Sélune aurait un intérêt particulier et un potentiel important.

Enfin, ces études sont réalisées sur fonds publics et tout citoyen devrait y avoir accès, même si les résultats sont provisoires.

Il apparaît donc urgent que l'on dispose de toutes les pièces pour juger de l'intérêt du projet. Nous constatons pour le moment que les établissements de recherche et les services publics ne permettent pas l'accès à l'information, ce qui déroge aux conditions démocratiques normales du débat sur l'environnement.

A lire également
Vallée de la Sélune en lutte (3) : le gain réel pour les saumons
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015) : quand la pêche provoque des polluions génétiques 

26/11/2017

Cévennes : les riverains veulent préserver le lac des Pises

Au nom de la "restauration écologique" (comme d'habitude optimisée pour quelques truites sans égard particulier pour les autres espèces et pour les usages humains), le parc national des Cévennes menace d'abaisser le niveau du lac des Pises et de se désengager de sa gestion. Le coût serait trop élevé, argument pour le moins spécieux quand on voit les centaines de millions € d'argent public que les Agences de l'eau distribuent dès qu'il s'agit de détruire des ouvrages hydrauliques (ou encore de construire des bassines artificielles pour des irrigants privés). Les riverains cévenols sont vent debout contre ce projet, qui a été opaque et coupé des citoyens de bout en bout. L'Association Causses-Cévennes d'action citoyenne appelle à défendre ce site et diffuse une pétition, reproduite ci-dessous. Leur combat est le nôtre. L'Etat français comme les établissements administratifs en charge de l'eau et de l'environnement doivent urgemment changer leurs arbitrages politiques et financiers sur les ouvrages hydrauliques. Et les riverains doivent être intégrés dans la construction des projets dès leurs premières phases de réflexion, au lieu de se voir imposer des solutions technocratiques.



Il faut sauver le lac des Pises... 

La hauteur actuelle de cet ouvrage doit être respectée.
Seul le scénario de confortement est envisageable.

Le parc national des Cévennes est classé comme aire protégée de catégorie V3 par la Commission mondiale des aires protégées de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Le parc est également reconnu réserve de biosphère par l'Unesco depuis 1985.

Le massif de l'Aigoual fait l'objet d'une classification au titre de l'UNESCO, de la réserve de la biosphère des Cévennes et se situe dans un parc national.

Le tourisme est l'activité principale de notre très belle région. Comment expliquer que l'un des sites les plus fréquenté de notre massif de l'Aigoual ne soit pas restauré comme il se doit.

Il est inacceptable que le Parc National des Cévennes, propriétaire de l'ouvrage, n'assume pas ses responsabilités et se défausse sur la toute petite communauté Causses-Aigoual-Cévennes.

Il n'y a eu aucune concertation avec la société civile. Les réunions du conseil d'administration du Parc ne sont pas publiques. Au 21e siècle ces pratiques sont inacceptables.

Dans la charte du Parc National des Cévennes, tout doit tendre à protéger la nature, préserver le patrimoine, les paysages, gérer, préserver l'eau et les milieux aquatiques, les cours d'eau, et à préserver les paysages, les milieux remarquables, conforter la population et les activités humaines. Les principes fondamentaux, orientations, axes, objectifs, en application de la Charte.

L'administration du Parc National des Cévennes est-elle à la hauteur de ses engagements ?

Signer la pétition

24/11/2017

Saisine de l'Agence française pour la biodiversité sur le chantier de l'étang de Bussières

En régression régulière depuis deux siècles, les étangs sont reconnus comme des habitats d'intérêt faunistique et floristique, à ce titre protégés par la loi comme l'ensemble des zones humides. Amphibiens, insectes, oiseaux, mammifères, poissons, végétaux... nombreuses sont les espèces qui profitent de ces étangs. Elles ne se limitent pas à quelques espèces "symboles" et participent à la richesse spécifique des bassins versants du Morvan. Quand ils envisagent la destruction de tels sites, les projets de continuité écologique menacent de faire disparaître des assemblages d'espèces propres aux habitats lentiques et à leurs marges humides au profit d'autres adaptés aux milieux lotiques (eau courante rapide). Mais ce choix doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse, car le bilan de biodiversité n'est pas forcément favorable, des espèces protégées peuvent être présentes dans l'étang et d'autres solutions que la destruction sont possibles s'il s'agit de rétablir certaines fonctionnalités ou de remédier à certains impacts. C'est aussi vrai pour les services écosystémiques, comme l'épuration de l'eau par les retenues. Hydrauxois a donc saisi l'AFB afin de recevoir les évaluations écologiques réalisées sur l'étang de Bussières et, si elles sont inexistantes, de solliciter leur réalisation. Cette requête s'ajoute à celle faite à la DDT 89 concernant les pièces administratives justifiant la vidange et la destruction des vannes de régulation de l'étang. Nous n'avons reçu aucune réponse à date. 

Un chantier est en cours sur l’étang de Bussières, sis sur la Romanée dans le département de l’Yonne. Ce chantier a des impacts majeurs.

L’étang a été vidé et sa vanne de régulation détruite. Aucune information n’est disponible sur le site.

Au regard des rares informations dont nous disposons, il semblerait que la destruction de cet étang soit envisagée par son maître d’ouvrage (Fédération de pêche de l’Yonne) au profit d’une restauration de continuité en long de la Romanée. Il ne s’agirait donc pas d’une opération de mise en assec, qui fait partie des mesures normales de gestion des étangs, ni de curage.

La Fédération de pêche de l’Yonne nous a dit par courrier n’avoir aucune étude environnementale le 20 octobre 2016. Nous nous en étonnons et nous nous inquiétons donc de la mise en œuvre de ce chantier au regard de son impact sur les milieux.

De nombreux habitats d’intérêt (voir planches) de l’étang de Bussières sont en l’état actuel déstabilisés et hors d’eau. Leur avenir paraît incertain.

Nous sollicitons par la présente de recevoir les travaux d’études de la biodiversité de cet étang que votre Agence a menés, ou le cas échéant qu’elle a demandés au pétitionnaire. En cas d’absence de tels travaux, nous sollicitons votre intervention rapide. Nous espérons un inventaire complet de la biodiversité de l’étang et de ses enjeux avant toute perturbation de ses habitats.


Faits : l’intérêt des étangs, quelques enjeux en Nord-Morvan et à Bussières

Les étangs sont des zones humides considérées comme d’intérêt faunistique et floristique. Plusieurs plans d’eau de la région de Bussières bénéficient déjà de protection pour le fait d’héberger des espèces remarquables (Marrault, Griottier blanc). Les travaux de Bourgogne Nature comme ceux de l’ONCFS ont, à de nombreuses reprises, souligné la valeur de ces plans d’eau à l’occasion de telle ou telle monographie.

La littérature d’expertise comme la littérature scientifique a montré que les étangs ont de nombreux intérêts en écologie, pour divers assemblages d’espèces végétales (hydrophytes, hélophytes, phanérophytes), et bien sûr animales : amphibiens (urodèles, anoures), insectes (en particulier diptères, coléoptères, hétéroptères, odonates), annélides et arachnides d’eaux lentes, les espèces aviaires (oiseaux de pleine eau, de roselières et joncs, de bordure, de zones humides temporaire en marge, en particulier anatidés, fauvettes, hérons et aigrettes, etc.), certains mammifères (loutre, campagnol amphibie, appréciant les queue d’étang et prairies humides attenantes, musaraigne aquatique, etc.). Comme le résume l’ONCFS, «les complexes d’étangs piscicoles constituent des réservoirs majeurs de biodiversité en Europe. (…) Suite à la régression généralisée des zones humides, les étangs sont souvent les derniers habitats de ces espèces, renforçant ainsi leur importance patrimoniale.» (ONCFS 214)

A propos des mammifères, nous attirons votre attention sur la loutre, espèce d’intérêt pour sa recolonisation sur le bassin versant du Cousin et sur le Nord Morvan, dont les travaux de recherche ont montré qu’elle utilise volontiers les étangs comme viviers et leur périphérie comme habitat, et qu’elle a des espèces d’eaux lentes dans son régime alimentaire d’opportunité (Lanszki et al 2001, 2006, Adámek et al 2003, Prigioni 2006, Ruiz-Olmo et al 2007, Ruiz-Olmo et al 2011, etc.). Nous vous rappelons que la ressource alimentaire est le facteur limitant de l’espèce (fiche INPN-MNHN 2013 : «Liée à la survie des individus et au succès reproducteur, la ressource alimentaire semble être l’un des principaux facteurs limitant pour l’espèce. Ainsi, la présence de proie en diversité et en quantité suffisante est primordiale. Carnivore hautement spécialisé, la loutre se nourrit essentiellement de poissons, mais aussi, dans des proportions variables, d’amphibiens, de crustacés, d’insectes, de mollusques». La biomasse des étangs (très supérieure à celle d’un cours d’eau lotique de faible largeur comme la Romanée) est donc un paramètre à intégrer dans tout plan de gestion de la loutre, d’autant que cette espèce fréquente couramment les zones lentiques.

De nombreuses espèces protégées ou menacées en Bourgogne sont aussi susceptibles de se trouver sur le site de l’étang de Bussières et sur ses annexes humides, ou de profiter de leur maintien, en particulier chez les amphibiens, insectes et oiseaux.

Enfin, les étangs jouent aussi un rôle dans l’auto-épuration des cours d’eau, là encore démontré par une abondante littérature sur la sédimentation et la bio-activité des milieux lentiques. L’épuration a aussi été mesurée pour les pesticides dans les étangs français (Garnier et al 2016), question à évaluer ici compte tenu de l’activité sylvicole en amont de la Romanée, provoquant des pollutions de la rivière.

C’est à ces divers titres que les étangs sont, comme les autres zones humides d’origine naturelle ou artificielle, l’objet de nombreux travaux de diagnostic, de suivi et de gestion. Et que l’étang de Bussières présente un intérêt manifeste de conservation.

La restauration de continuité écologique comme remplacement d’un habitat lentique pour un habitat lotique présentent un enjeu certain pour les espèces migratrices et pour diverses espèces rhéophiles de tête de bassin. Mais nous rappelons que cette restauration de continuité est possible par d’autres moyens que la destruction des plans d’eau (cas de contournement d’étangs en Morvan, dont le bassin du Cousin), et en tout état de cause, elle ne saurait justifier des pertes nettes de biodiversité ni des chantiers menés sans aucune précaution pour les milieux en place et pour l’étude de la biodiversité présente avant travaux.

Dans le cas de l’étang de Bussières, il se peut que vos travaux d’études, ou ceux du pétitionnaire, aient permis de conclure sur une base factuelle que telle ou telle option est préférable, et que des mesures de sauvegarde de la biodiversité étudiée aient été organisées. C’est la communication de ces travaux que nous sollicitons. En leur absence, une intervention rapide pour stopper le chantier et procéder aux analyses nécessaires.


Droit : une zone humide doit être préservée, un projet doit avoir un impact positif net sur la biodiversité, mettre en œuvre le principe de précaution et l’action préventive, l’AFB est tenue de vérifier le respect des lois

En tant que zones humides, les étangs sont protégés par la loi, en particulier par le premier alinéa de l’article L 211-1 du Code de l’environnement posant les règles de «gestion équilibrée et durable de la ressource en eau» .

La loi exige ainsi
« La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année »

Par ailleurs, en votant la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les parlementaires ont souhaité renforcer la protection de la biodiversité. Ils ont ainsi modifié l’article L 110-1 du Code de l’environnement, obligeant notamment à tenir compte «des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées» :
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.
II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées »
Enfin, au terme de la loi de biodiversité, l’AFB est ainsi définie dans ses missions par l’article L 181-8 code de l’environnement
L'agence contribue, s'agissant des milieux terrestres, aquatiques et marins : 1° A la préservation, à la gestion et à la restauration de la biodiversité ; 2° Au développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité ;3° A la gestion équilibrée et durable des eaux ;(…)Elle soutient et évalue les actions des personnes publiques et privées qui contribuent à la réalisation des objectifs qu'elle poursuit.
Notre requête équivaut donc à une saisine par une personne morale associative de l’AFB en vue d’une évaluation d’un projet potentiellement dommageable à la biodiversité et aux services écosystémiques de l’étang de Bussières.

Illustrations : planches jointes à la requête et montrant quelques exemples de la diversité des habitats de l'étang avant son chantier.

22/11/2017

L'Etat demande une évaluation de la valeur patrimoniale et paysagère des ouvrages hydrauliques

Une avancée importante est à signaler dans le domaine de la continuité écologique : à la suite des évolutions de la loi votées par les parlementaires en 2015 et 2016, les ministères de la culture et de l'écologie ont mis au point une grille d'analyse du patrimoine lié à l'eau. Il est reconnu désormais que la continuité a des effets sur le patrimoine et le paysage demandant à être évalués dans le cadre des instructions de projet. Il a été demandé aux administrations de remplir cette grille pour tous les ouvrages anciens concernés, notamment les moulins, forges, étangs, anciennes usines hydro-électriques, etc. Nous reproduisons ces divers documents, la demande des ministères aux administrations concernées, ainsi qu'une lettre type à la DDT-M pour que chacun puisse s'assurer de la mise en oeuvre. La mesure est informative et non obligatoire : la bonne volonté dans son application sera cependant utilement vérifiée par les propriétaires, riverains et leurs associations. Le cas échéant, un refus par l'administration de remplir la grille lors d'un chantier visant à la destruction, ou une négligence à le faire après une demande explicite, pourra être signalé dans un dossier contentieux, et dans tous les cas rapporté aux élus ainsi qu'aux ministères de tutelle des agents concernés. 

Télécharger les documents (pdf)
Courrier des ministères aux administrations
Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau 
Note d'utilisation de la grille

Grille d'analyse et de qualification du patrimoine lié à l'eau
Courrier aux administrations de F. Mitteault (ministère de la Transition écologique) 
et J.M. Loyer-Hascoët (ministère de la Culture)

Suite à de récentes modifications législatives, notamment les articles L.211-1 et L.214-17 du code de l'environnement, il nous a semblé opportun d'opérer un rapprochement entre les services en charge de la restauration de la continuité écologique des cours d'eau et les services en charge de la préservation du patrimoine.

En effet, la mise en oeuvre de la restauration de la continuité écologique sur les cours d'eau peut avoir un effet sur les paysages (vallées, rivières, biefs, etc) et sur des sites patrimoniaux variés (patrimoine industriel, jardins, bâti, etc).

Plus de 15000 ouvrages sont recensés et les interventions sur ces ouvrages peuvent aller de la simple ouverture régulière des vannages jusqu'à la suppression complète de l'ouvrage, en passant par une réduction de sa hauteur ou l'aménagement d'une passe à poissons ou d'une rivière de contournement.

Dans ce contexte, un groupe de travail a été constitué entre le ministère de la transition écologique et solidaire et celui de la culture, auquel se sont joints des associations de propriétaires de moulins. Une grille d'analyse du patrimoine des aménagements liés à l'eau a été co-construite et a vocation à être complétée lors des diagnostics des ouvrages hydrauliques devant être mis en conformité au titre de la restauration de la continuité écologique. 

Vous veillerez à ce que la grille complétée soit une des pièces du dossier relatif aux propositions d'aménagement ou de changement de modalités de gestion de l'ouvrage considéré. Elle permettra, au sein des comités de pilotage des études de restauration, de confronter l'enjeu « patrimoine » et l'enjeu «continuité écologique » lors des décisions sur le scénario choisi.

Vous trouverez également une notice d'utilisation accompagnant la grille d'analyse de caractérisation et de qualification d'un patrimoine lié à l'eau.

Vous veillerez à diffuser le plus largement possible la grille aux propriétaires des ouvrages hydrauliques, aux bureaux d'études missionnés pour réaliser les diagnostics ainsi qu'à tout porteur d'étude globale sur un bassin versant ou un cours d'eau comme les collectivités territoriales ou les fédérations de pêche. Un retour d'expérience sera établi d'ici un an ou deux par les deux ministères. Le bureau des milieux aquatiques de la direction de l'eau et de la biodiversité ainsi que le bureau de l’ingénierie et de l'expertise technique de la direction générale du patrimoine sont à votre disposition pour vous assister face à toutes difficultés que vous pourrez rencontrer.


Lettre type à l'administration

Ce courrier peut être envoyé par tout propriétaire d'ouvrage ou toute association de défense du patrimoine au service DDT-M en charge de l'instruction de la continuité écologique. Les associations gagneront à engager la démarche sur les dossiers en cours présentant un risque de destruction irrémédiable d'un patrimoine d'intérêt. 

Madame, Monsieur,

A la suite des évolutions récentes des lois relatives à la gestion de l'eau, en particulier la continuité écologique, le ministère de la Culture et le ministère de la Transition écologique et solidaire ont mis au point une "Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau".

Il a été demandé en septembre 2017 par les services des ministères que l'ensemble des ouvrages hydrauliques faisant l'objet d'une prescription de continuité écologique bénéficient de cette évaluation patrimoniale et paysagère.

[version propriétaire]
Etant concerné, je souhaiterais recevoir le travail concernant mon ouvrage hydraulique et ses annexes. Si ce travail n'est pas encore réalisé, je suis disposé à vous donner les informations que je possède sur le bien, et bien sûr à accueillir les services en charge de l'étude.

[version association]
Notre association ayant notamment pour objet la protection du patrimoine, nous serions désireux d'obtenir la grille concernant l'ouvrage [XXX], en étude pour la continuité.  Nous sommes bien sûr disposés à partager les informations en notre possession si l'évaluation de cet ouvrage n'a pas été réalisée.

En cas de refus ou de silence de deux mois, merci de signaler le cas à notre association (ou à une fédération de moulins, syndicat d'étangs, association nationale de protection du patrimoine, etc.)