19/12/2017

Le député Cubertafon rappelle à Nicolas Hulot que l'Etat doit financer les passes à poissons

Un député de Dordogne vient de saisir Nicolas Hulot à propos du refus par certaines agences de l'eau de financer les passes à poissons. La loi sur l'eau de 2006 a été claire : l'Etat doit indemniser les études et travaux représentant des charges exorbitantes pour les particuliers et petits exploitants. Cette indemnisation avait été décidée suite à l'échec de la loi de 1984, qui n'avait pas abouti à la construction de passes sur les rivières classées en raison des coûts inaccessibles de chantier. Il vous revient de saisir vous aussi vos parlementaires pour qu'ils interpellent le ministre de la Transition écologique et solidaire sur tous les problèmes liés à la mise en oeuvre de la continuité écologique. Députés et sénateurs représentent la volonté générale et ont pour mission de contrôler la bonne exécution des lois par l'administration. Pour la continuité écologique on est encore très loin...



Le député Jean-Pierre Cubertafon (Dordogne) vient de saisir Nicolas Hulot qu'une question sur le financement des mises aux normes de continuité écologique.
M. Jean-Pierre Cubertafon attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire sur la situation des propriétaires de moulins qui se voient dans l'obligation de financer des aménagements coûteux afin de restaurer la continuité écologique des cours d'eau. 
Pour rétablir la continuité écologique qui tend à faire défaut dans les cours d'eau, l'État impose désormais aux propriétaires de moulins d'araser ou d'aménager les seuils des moulins au plus tard fin 2018. Dans le premier cas, la destruction des ouvrages, forcément coûteuse, est prise en charge par la collectivité. Dans le second, c'est aux particuliers de payer en partie les aménagements. Sur plusieurs cours d'eau français, des propriétaires de moulins ont donc pour obligation de se mettre aux normes. 
Si la solution la plus simple et la moins coûteuse serait d'autoriser la démolition des moulins, les propriétaires, et il les comprend, ne peuvent se résoudre à une décision aussi lourde. La destruction des moulins aurait de graves conséquences : la baisse du niveau des eaux qui fragiliserait des édifices tels que les ponts ; les zones humides qui seraient menacées par un drain plus rapide, remettant en cause la biodiversité et le tourisme et les loisirs (canoë-kayak, baignade, pêche) qui seraient indirectement impactés... De plus, ces destructions constitueraient une entrave à notre patrimoine en freinant le développement de l'hydroélectricité, énergie renouvelable et propre. Aujourd'hui, la meilleure solution serait la construction de passes à poissons afin de permettre le franchissement des moulins par les poissons migrateurs. Mais selon les estimations, le montant pour chaque moulin atteindrait un chiffre moyen de 200 000 euros. Si l'État prenait en charge 90 % des travaux, les coûts restants pour les propriétaires seraient encore importants. 
Aussi, il souhaiterait connaître sa position sur ce sujet. Afin de restaurer la continuité écologique des cours tout en protégeant leur patrimoine bâti, il lui demande s'il est possible que l'État prenne en charge à 100 % les travaux de construction des passes à poissons.

Sur ce sujet, nous rappelons que la loi est claire (voir cet article) : contrairement aux précédentes réformes (1865, 1984), qui avait justement échoué faute de solvabilité, l'Etat s'est engagé à indemniser les travaux (études, chantiers) représentant une "charge spéciale et exorbitante". Aucun moulin ne doit donc accepter de solution qui ne soit pas financée par l'Etat, ni accepter le chantage à la destruction qui ne figure pas dans la législation.

Cette disposition légale est indépendante des choix de subvention des agences de l'eau, c'est-à-dire que si une agence de l'eau refuse de financer à 100% une passe à poissons, cela n'exonère pas l'Etat de garantir l'indemnisation. Et comme un peu partout sur le territoire des propriétaires d'ouvrages hydrauliques ont déjà vu leurs études et chantiers payés intégralement sur argent public, il revient désormais de garantir l'égalité de tous devant la loi. Nous n'avons pas à subir un arbitraire d'interprétation des protections des citoyens prévues par la loi, avec des règles changeant d'un bassin versant à l'autre, voire d'un barrage à l'autre sur une même rivière.

Les propriétaires d'ouvrage n'ont pas à se laisser impressionner par des diversions ou menaces verbales des services instructeurs de l'Etat. Chacun peut contacter une association, un syndicat ou un avocat s'il constate des abus de pouvoir.

Appel à nos lecteurs : associations ou propriétaires, vous devez saisir le député et le sénateur de votre circonscription afin qu'ils interpellent le ministre de la Transition écologique et solidaire sur tous les problèmes rencontrés dans l'exécution de la loi de continuité écologique par une administration ayant largement outrepassé son rôle en prenant la liberté de favoriser partout la casse des ouvrages. Vous pouvez écrire à vos élus sur des cas de portée nationale, comme la scandaleuse destruction des barrages de la Sélune, ou bien encore pour interroger le ministre sur la poursuite des mauvaises pratiques au bord des rivières (chantage à l'effacement, destruction de plans d'eau sans étude de biodiversité, refus de suivre l'avis des commissaires enquêteurs, oubli de la transition énergétique définie comme priorité par le président Macron, etc.). Saisie des dizaines de fois par les parlementaires, Ségolène Royal avait dû admettre les dérives de son administration et recadrer les préfets en 2015. Nicolas Hulot et son équipe ne connaissent pas encore ce sujet problématique : il vous revient de les sensibiliser au plus vite par la voie de vos élus, représentants de la volonté générale et garants du contrôle de l'action administrative.

17/12/2017

Premières mobilisations sur la Sélune contre le choix scandaleux de détruire les barrages de la vallée

Riverains et élus locaux de la Sélune ont organisé une première manifestation, pour exprimer leur opposition à la destruction des barrages annoncée de manière brutale et précipitée par Nicolas Hulot. La résistance à la défiguration de la vallée et à la casse des outils de production hydro-électrique s'organise. Elle va monter en puissance ces prochains mois. Hydrauxois y participe et appelle toutes ses associations partenaires à faire de la Sélune le symbole de la résistance populaire aux dérives dogmatiques et dépassées de la politique française des rivières. 

Ils étaient 400 selon la police, 1200 selon les organisateurs pour une première manifestation des riverains s'opposant à la destruction des barrages de la Sélune.

"Nous manifestons pour que l'arrêté préfectoral du 3 mars 2016 soit respecté et contre la décision arbitraire, précipitée du nouveau ministre de l'environnement", a expliqué John Kaniowsky, président de l'association des Amis des barrages (en photo, © Ouest-France). Les élus locaux ont rappelé que cette décision de Nicolas Hulot avait été prise sans aucune consultation des collectivités. Il faut y ajouter que le projet industriel du repreneur potentiel (Valorem) n'a pas été étudié sérieusement par la nouvelle équipe entourant N. Hulot au ministère de la Transition écologique et solidaire.

L'association les Amis du barrage prépare une grande fête de printemps, qui exprimera la mobilisation populaire, locale et nationale pour défendre une vallée menacée par des choix parisiens et opaques, où l'écologie est manifestement un prétexte. Hydrauxois s'y associera. Les associations travaillent également sur le volet juridique, visant d'abord à faire respecter l'arrêté en vigueur de vidange et inspection du site, ensuite et si besoin à requérir l'annulation d'un arrêté de destruction.

Le choix de Chantal Jouanno de détruire les ouvrages de la Sélune en 2009 avait déjà été arbitraire et brutal. La décision de Nicolas Hulot de reprendre ce chantier, annoncée par simple communiqué en pleine COP 23, le fut tout autant.

Rappelons que le projet de Nicolas Hulot sur la Sélune
  • détruit en pleine transition des barrages hydro-électriques capables de produire une énergie bas carbone et locale,
  • anéantit le cadre de vie et d'activités de 30 000 riverains,
  • aggrave le risque de pollution de la baie du Mont-Michel,
  • fait disparaître deux lacs, leurs annexes,leur biodiversité,
  • apporte un gain dérisoire de saumons adultes remontants (1300), gain qui pourrait être obtenu autrement,
  • représente une gabegie d'argent public (minimum 50 millions €) quand le gouvernement exige la rigueur partout et que la transition écologique manque de moyens,
  • a été essentiellement défendu par le lobby de la pêche de loisir du saumon, dont on peut douter qu'il représente l'intérêt général de la vallée comme du pays,
  • a été mené avec un mépris constant de la concertation et de la participation des citoyens, ce qu'ont souligné des travaux de sciences humaines et sociales y voyant un contre-modèle de démocratie environnementale. 

Cette décision de détruire les barrages de la Sélune est une erreur, comme le sont les centaines d'effacements d'ouvrages hydrauliques en France au nom d'une vision dogmatique et dépassée de la continuité écologique. Nous appelons à la mobilisation de tous pour faire cesser cette folie dans les meilleurs délais.

A lire également
Barrages et lacs de la Sélune : pourquoi nous refusons la destruction

14/12/2017

Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau

Les étangs, plans d'eau et petits lacs sont aujourd'hui reconnus comme des zones à fort intérêt écologique, en raison de leur biodiversité comme de certaines fonctionnalités (épuration). Menacés par la recherche de terres agricoles, l'expansion urbaine et de manière générale l'artificialisation des sols, ces masses d'eau le sont parfois par les politiques de continuité écologique visant à supprimer les ouvrages hydrauliques, leurs retenues, leurs zones humides associées.  Nous avons étudié les cas d'effacement de plans d'eau rassemblés dans le recueil d'expérience en hydromorphologie de l'Onema-AFB. Ils montrent les mauvaises pratiques répandues en France : inventaire de biodiversité généralement négligé, analyse chimique inexistante, suivi rare et limité le plus souvent à certaines espèces de poissons. Encore ces exemples sont-ils supposés être une sélection des meilleurs cas à l'intention des gestionnaires... De telles pratiques ne peuvent plus durer car elles sont déconnectées d'enjeux écologiques reconnus. Il est ici proposé d'associer systématiquement des inventaires de biodiversité et fonctionnalité à tout chantier pouvant impliquer la perturbation des hydrosystèmes d'intérêt dans le cadre de restaurations morphologiques de cours d'eau. 



Quoique souvent d'origine artificielle, les étangs, plans d'eau et petits lacs sont des habitats d'intérêt pour de nombreuses espèces inféodées aux systèmes lentiques et à leurs annexes humides, des contributeurs à la biodiversité gamma régionale ainsi que des réservoirs de biodiversité pour certaines espèces rares (Davies 2008, Biggs 2017). Ces hydrosystèmes jouent également un rôle bénéfique dans l'épuration des masses d'eau (Passy 2012, Gaillard 2016, Cisowska et Hutchins 2016).

Compte-tenu de la valeur écologique de ces habitats et de leurs services écosystémiques, la décision de détruire un étang ou un plan d'eau à fin de continuité écologique ou de restauration morphologique doit donc faire l'objet de précaution particulière. En particulier, il faut s'assurer que le bénéfice attendu sur la station pour certaines espèces représente un gain significatif par rapport à l'état de ces espèces sur le reste du tronçon ou de la masse d'eau. Il faut également diagnostiquer les milieux et les autres espèces que l'on s'apprête à perturber, afin de vérifier si l'opération représente un bilan positif pour la biodiversité.

Ces pratiques sont-elles respectées? Pour le savoir, nous nous sommes référés au Recueil d’expériences sur l’hydromorphologie qui avait été lancé par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (aujourd'hui intégré dans l'Agence française pour la biodiversité), en lien avec les agences de l'eau et le ministère de l'écologie.

Le recueil comporte un chapitre intitulé "La suppression ou dérivation d’étangs sur cours d’eau". Ce chapitre comporte 7 exemples avec des mentions de "suppression" ou "effacement".

Le tableau ci-dessous résume les pratiques rapportées dans le Recueil et les espèces signalées comme d'intérêt.


On observe :
  • dans 1 cas sur 7 seulement un diagnostic élargi (mais non complet) de biodiversité est réalisé,
  • dans aucun cas le bilan chimique amont-aval de l'étang n'est réalisé,
  • dans 3 cas sur 7 aucun diagnostic n'est réalisé avant,
  • dans 3 cas sur 7 aucun suivi n'est réalisé, dans 2 cas sur 7 seuls les poissons sont suivis,
  • les poissons représentent la majorité des espèces signalées comme d'intérêt.
Nous en concluons que :
  • la qualité des opérations décrites est dans l'ensemble médiocre,
  • la biodiversité faune-flore n'est presque jamais prise en compte,
  • le suivi et les centres d'intérêt donnent un poids disproportionné aux poissons (ne représentant que 2% de la biodiversité aquatique),
  • le fait d'avancer ces opérations imprécises et peu ambitieuses comme des "exemples" est problématique de la part d'administrations en charge de l'eau, de la biodiversité et de l'environnement.
L'administration a récemment proposé une grille d'évaluation paysagère et patrimoniale des ouvrages hydrauliques, l'Etat souhaitant que les maîtres d'ouvrage public et bureaux d'études remplissent désormais cette grille avant de prendre une décision sur l'avenir d'un ouvrage. Nous proposons que, sur le même principe, l'administration développe une grille d'évaluation de la biodiversité et fonctionnalité des hydrosystèmes, afin d'éviter que des choix d'aménagement s'opèrent sans le diagnostic indispensable du vivant sur site. Une méthodologie simplifiée et normalisée pourrait être conçue, en lien avec les techniques déjà développées pour l'inventaire du patrimoine naturel (ZNIEFF notamment) et les outils de la directive-cadre-européenne sur l'eau.

Cette grille devrait objectiver l'état initial du système étudié dans ses différentes stations et compartiments (amont, retenue, aval, annexes hydrauliques, berges, connexions à la plaine alluviale) ainsi que ses biocénoses. A partir de là, les hypothèses d'aménagement mettraient en correspondance des gains et des pertes attendus, afin de contribuer à la décision.



Cette étape ajoute bien sûr de la complexité et du délai aux projets. Mais dans le cadre de politiques publiques se donnant pour objectif la qualité de l'eau et la préservation de la biodiversité, il serait incompréhensible de continuer à sacrifier la qualité des interventions sur les bassins versants à une "urgence" en réalité absente des questions morphologiques. Il faut par ailleurs s'habituer à ce que l'écologie correctement prise en compte représente un coût public non négligeable dans le diagnostic des bassins versants et les analyses préparatoires des sites de chantier, ce qui impose du discernement dans la définition des programmes et la solvabilisation de leur financement.

Une note de réflexion sur la nécessité de cette évolution dans les opérations de conservation et restauration des hydrosystèmes est en cours de préparation à l'intention du Conseil national de l'eau. Une note technique et juridique sera par ailleurs formalisée pour les associations, administrations et gestionnaires, afin que, sans attendre, des meilleures pratiques soient demandées sur ces chantiers.

Illustration : en haut, étang du Griottier-Blanc dans le Morvan. Ce plan d'eau d'origine artificielle et ancienne est gérée par la fédération de pêche 89, avec des déversements de truites pour des parcours de pêche à la mouche fouettée. Il court-circuite un petit rû typique des têtes de bassin morvandelles (rû des Paluds). Malgré ces impacts, la zone présente de nombreuses espèces d'intérêt et est classée en ZNIEFF de type 1. Cet exemple rappelle que les discontinuités ne sont pas toujours négatives pour le vivant et que les opérations de restauration les concernant doivent être menées avec discernement (voir le contre exemple de l'étang de Bussières, lui aussi dans une ZNIEFF, que la même fédération de pêche a entrepris de détruire sans précaution.) En bas, les odonates font classiquement partie des espèces appréciant les plans d'eau et leurs annexes.

11/12/2017

Christian Lévêque bouscule les idées reçues sur la biodiversité, sa conservation et sa restauration

Ecologue, hydrobiologiste, directeur de recherches émérite de l’IRD, Christian Lévêque a passé toute sa vie professionnelle de chercheur à étudier le vivant, et d'abord les milieux aquatiques. Il vient de publier un essai détonnant sur la biodiversité et ses politiques de protection en France. La thèse centrale de son livre : le biodiversité est un mot-valise mal défini pour donner un autre nom à ce que nous appelions simplement la nature avant les années 1980, et cette nature a été transformée pendant des millénaires par l'homme. Parfois pour la dégrader, parfois pour l'enrichir, sans qu'il soit possible d'observer et de penser aujourd'hui la biodiversité hors de cette influence humaine présente dans toutes les dynamiques des milieux et des espèces. Une partie de l'écologie de la conservation (ses associations, ses technocrates, et parfois ses chercheurs) refuse cette réalité, ou du moins véhicule un idéal implicite ou explicite de "nature sans l'homme" : conserver serait exclure la présence de l'humain, restaurer serait supprimer l'héritage de l'humain. De telles attitudes conduisent sans grande surprise à une forte conflictualité de certains projets écologiques sur nos territoires. Et, n'en déplaise à ceux qui le cachent au public, leurs résultats sont loin d'être toujours à la hauteur des investissements, car les trajectoires imprévisibles de la nature continuent de s'écrire en réponse aux actions humaines passées ou présentes. Un livre à lire et à offrir pour les fêtes! Quelques extraits de sa conclusion.

Il pourrait exister un consensus assez général sur le fait de vouloir vivre dans un environnement idéalisé : pas de pollutions, une bonne gestion des ressources naturelles, une nature bien protégée et accueillante, etc. La nature est pour beaucoup une valeur refuge (le sain, le beau, le sublime) en regard des dégradations dont elle fait l’objet et du stress de la vie urbaine. Qui n’a jamais été tenté par ce mythe d’une humanité harmonieuse, entretenant de bonnes relations avec une nature paradisiaque, dans laquelle on occulterait toutes les espèces qui dérangent et tous les ennuis du quotidien ? Mais la réalité est tout autre, et la nature, dans notre société moderne, est devenue un lieu d’affrontements économiques, sociaux et idéologiques. Le diable réside dans les différentes représentations que chacun se fait de la nature et des objectifs à atteindre en matière de protection. Il est difficile, en effet, de trouver des terrains d’entente entre des groupes sociaux qui cherchent des compromis entre les dynamiques naturelles et les usages de la biodiversité par les sociétés humaines, et d’autres groupes sociaux, bien ancrés dans leurs croyances et leurs idées reçues, pour qui la nature doit être préservée des exactions de l’homme.

Sans compter que la question de la conservation de la nature et de la biodiversité est le plus souvent abordée par des mouvements militants, ou des intellectuels et des technocrates qui dissertent de manière redondante sur la nature et développent des visions hors-sol, théoriques ou idéologiques, sur ce qu’elle devrait être. Ce faisant, on marginalise l’opinion et l’attente des citoyens qui en vivent ou pour qui elle est un cadre de vie (la nature vécue). Il en résulte des politiques de conservation basées parfois sur des idées reçues, voire sur des concepts erronés, en décalage avec la société. Il est de bon ton de pratiquer l’homo-bashing, dans une société qui refuse par ailleurs le moindre risque. Et pourtant... si l’impact de l’homme sur la nature peut faire l’objet de bien des critiques, la nature que nous aimons, en France métropolitaine, est bien le système agropastoral que plusieurs générations de paysans ont créé et entretenu pendant des siècles. 

La thèse que je défends dans cet ouvrage est simple : la diversité biologique en France métropolitaine doit tout autant aux hommes qu’aux processus spontanés. Notre nature de référence, c’est le milieu rural d’avant la dernière guerre, avec ses bocages et sa polyculture. Nos sites emblématiques de nature sont eux aussi des systèmes anthropisés, à l’exemple de la Camargue, du lac du Der, ou de la forêt de Tronçais. Ce que nous appelons « nature » est donc une nature patrimoniale, hybride, qui s’est construite au fil du temps depuis la  fin de la dernière période glaciaire, en fonction des opportunités de recolonisation des terres devenues plus accueillantes, et de l’usage des systèmes écologiques par nos sociétés. Les hommes ont ainsi transformé les habitats et introduit certaines espèces, et d’autres espèces sont arrivées spontanément, car l’Europe est aussi une terre de reconquête pour la diversité biologique.

Sur un autre plan, la nature n’est ni bonne ni mauvaise, mais on la perçoit comme telle. Certaines ONG nous vendent l’image d’une nature bucolique, victime innocente des activités humaines. Mais les citoyens savent bien que la nature est aussi une source importante de désagréments et de nuisance. Nous avons depuis longtemps lutté contre les « humeurs » de la nature, et pratiquer l’omerta dans ce domaine est un déni de réalité. On ne peut pas continuer à aborder la question de la conservation de la biodiversité sans prendre en compte ce volet que les citoyens n’ignorent pas et qui explique souvent leurs comportements.

Partant de ce constat, on ne peut plus parler de nature vierge ou sauvage en Europe, mais de nature co-construite (Blandin, 2009). Nous n’avons plus affaire à des écosystèmes au sens écologique du terme, mais à des antroposystèmes (Lévêque et Van der Leuuw, 2003), dans lesquels les dynamiques sociales interfèrent avec les processus spontanés. On ne peut plus parler non plus de systèmes à l’équilibre, puisque la dynamique de ces anthroposystèmes s’inscrit sur des trajectoires temporelles, sans retour possible. La question lancinante est de savoir comment gérer cet héritage patrimonial, dans un environnement naturel et social qui bouge en permanence.

La tendance forte en matière de protection est de vouloir conserver l’existant, de figer le présent par des mesures de protection qui, pour certaines, excluent l’homme. Pourquoi pas, mais on sait que, pour protéger l’existant, il ne suffit pas d’exclure l’homme. Bien au contraire, il faut maintenir l’ensemble des conditions climatiques et sociales nécessaires à la sauvegarde de la biodiversité patrimoniale. C’est d’ailleurs une pratique assez courante. Or le climat change et il est dificile d’y remédier, même si on peut regretter que l’homme en soit, au moins en partie, responsable. Les usages et pratiques en matière d’utilisation des ressources naturelles changent également, ainsi que les attentes des citoyens vis-à-vis de la nature. La protection de la nature sensu stricto, par mise en réserve et qui peut se justifier à court terme, est donc un exercice délicat, sinon impossible sur le long terme, car il se heurte à la réalité du changement global. L’alternative serait d’accepter le changement et de l’accompagner en essayant de piloter, dans les limites du possible, les trajectoires de nos systèmes anthropisés. Mais cela suppose tout d’abord que l’on accepte l’idée de changement et des incertitudes qu’il entraîne. Or ce changement est difficilement prévisible, car les systèmes écologiques et sociaux ne sont pas entièrement déterministes, n’en déplaise à ceux qui trouvent intérêt à nous faire croire le contraire. Ce sont des systèmes où l’aléatoire, le hasard, la conjoncture, jouent un rôle éminent. Ce qui veut dire qu’accompagner le changement dans ces systèmes dynamiques nécessite des suivis réguliers et des réajustements permanents. Cela veut dire également qu’on ne peut  figer et corseter la protection de la biodiversité par des lois qui reposent, elles aussi, sur un supposé état normatif. Si nous sommes amenés à légiférer sur le vivant, nous devons rester modestes, car les trajectoires des systèmes écologiques sont difficilement prédictibles. Il faut donc accepter une part d’incertitudes et la possibilité de se tromper dans le pilotage ! (…)

En définitive, l’écologue que je suis ne peut rester indifférent aux arguments utilisés par les mouvements conservationnistes qui s’appuient, en partie tout au moins, sur des concepts flous, sur des idées reçues et sur l’utilisation sélective des informations. Parfois même sur la désinformation. La science n’a pas pour vocation de dire ce qu’il faut faire, ni de décider à la place des citoyens. Mais elle a le devoir de bien l’informer en fonction des connaissances du moment, et de lui fournir des éléments de réflexion les plus factuels possibles. Elle a aussi le devoir de dire aux citoyens, quand c’est nécessaire, qu’on les trompe. C’est ce que j’ai essayé de faire dans cet ouvrage, où j’ai essentiellement parlé de la situation en métropole car l’approche de la biodiversité est conjoncturelle, et ce qui se passe en Amazonie n’a pas nécessairement de pertinence chez nous. La globalisation et l’amalgame, pourtant allègrement pratiqués, masquent les réalités locales qu’il est indispensable de connaître quand on veut agir avec pertinence.

Quant au citoyen que je suis, il ne peut manquer de s’interroger sur ce grand capharnaüm qu’est la protection de la nature et la gabegie qu’elle suscite (Morandi et al., 2014). Sur la multiplication de projets dits de restauration, inconsistants dans leur définition et leurs objectifs, qui ne se préoccupent pas de savoir s’ils donnent les résultats escomptés, en l’absence de suivi, l’important étant de donner l’impression d’agir. Sur la contestation systématique de tout projet d’aménagement. Sur la privatisation, de fait, de la nature par des groupes militants, au nom d’une certaine idée de la nature. Sur l’absence de concertation avec les citoyens de manière générale et la mainmise d’une administration technocratique et jacobine sur ces questions qui, pour beaucoup, doivent se traiter par la concertation dans le contexte local. Tout devrait être dans la nuance, avec comme guide principal le bon sens qui reste, en fin de compte, le meilleur juge de paix. Mais, de toute évidence, on n’en est pas là !

Référence : Christian Lévêque (2017), La biodiversité : avec ou sans l’homme ? Réflexions d’un écologue sur la protection de la nature en France, Quae, 128 p.

A propos de Christian Lévêque sur notre site
L'écologie est-elle encore scientifique? Un essai salutaire de Christian Lévêque
Christian Lévêque sur la continuité écologique: "un peu de bon sens et moins de dogmatisme"
Quatre scientifiques s'expriment sur la continuité écologique 

Sur le problème de la nature comme référence sans l'homme
La conservation de la biodiversité est-elle une démarche fixiste? (Alexandre et al 2017)
200 millénaires de nature modifiée par l'homme (Boivin et al 2016)
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017)
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015)
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015) 

09/12/2017

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)

Des zones amont de seuils effacés où les arbres déclinent et témoignent de dysfonctionnements de la plaine alluviale, des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… une équipe de chercheurs montre à travers quelques cas concrets que la politique française d'effacement de barrages et seuils est justifiée depuis 10 ans par le discours de certains acteurs techniques ou scientifiques au profit de certains objectifs, mais que cette politique ne saurait prétendre refléter tout ce que les sciences sociales et naturelles ont à dire des rivières, de leur milieux et de leurs ouvrages. En s'inspirant de la géographie physique critique, ces chercheurs appellent à prendre davantage d'acteurs humains ou non-humains en considération quand nous opérons des choix d'aménagement sur les bassins versants. Au passage, ils forment l'hypothèse de biais halieutiques dans la politique française de continuité, dont la provenance pourrait être le rôle institutionnel des pêcheurs et de l'Onema-CSP (aujourd'hui AFB). Une analyse convergente avec nos observations depuis 5 ans. L'approfondissement de ces questions paraît urgent à l'heure où les mêmes biais produisent les mêmes travers, et où les destructions d'ouvrages hydrauliques s'opèrent partout avec une insoutenable légèreté dans le diagnostic des sites et des bassins versants. Quand les bureaucraties en charge de l'eau et de la biodiversité vont-elles s'affranchir de certains dogmes rudimentaires de la continuité, et choisir une approche plus ouverte à la complexité des hydrosystèmes comme des sociosystèmes? 

"Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière" : tel le constat initial qui motive le travail des chercheurs.

Simon Dufour et ses collègues (Université de Rennes 2, Université de Côte d'Azur, CNRS) analysent la politique française de destruction des barrages sous l'angle de la géographie physique critique.

Cette approche consiste à partir des éléments biophysiques du bassin versant (d'où la géographie) et à problématiser l'action des scientifiques, des gestionnaires et autres intervenants à partir des données et des discours observés (d'où la dimension critique). Il s'agit notamment de comprendre comment le "non-humain" est évalué dans les choix que nous faisons. Trois ensembles d'actions sur quatre rivières sont d'abord examinés.

Exemple des variations de croissance des arbres en lit majeur, à l'amont de seuils effacés sur des rivière de l'Ouest de la France (Vire, Orne).  Certains de ces arbres et leurs habitats font aussi l'objet de protection européenne, comme les poissons au nom desquels on altère les écoulements en place. Ce qui pose la question des critères d'évaluation de nos actions, comme des jeux de pouvoirs institutionnels imposant certains critères et omettant d'autres. 


Vire et Orne, un effacement qui impacte la plaine alluviale - Un premier cas étudie la réponse de la végétation à la suppression de seuils sur les rivières Vire et Orne dans l'Ouest de la France. Quatre espèces d'arbres sont suivies : aulne glutineux (Alnus glutinosa), frêne (Fraxinus excelsior), tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et érable sycomore (Acer pseudoplatanus). L'analyse montre que 74% des arbres connaissent un impact notable sur le cycle de vie, 14% avant l'effacement mais 60% après l'effacement. Il apparaît notamment que le fonctionnement de la plaine alluviale est modifié à l'amont des seuils détruits.

Gapeau, un barrage transparent aux sédiments - Un deuxième cas étudie au plan géomorphologique le bassin du Gapeau, un petit côtier méditerranéen qui se jette dans la baie d'Hyères. Cette baie subit un déficit sédimentaire estimé à 2200-2700 m3 de matériaux par an, et cela pour plusieurs causes (montée du niveau de la mer, protection du littoral, transport sédimentaire depuis les terres). Une analyse bathymétrique est menée sur la retenue du barrage Sainte-Eulalie (3 m de haut), principal obstacle au transit des sédiments sur le bassin. Cette analyse sur 9 mois de période de transport révèle que l'ouvrage est transparent au sédiment, ayant perdu 80 m3 de matériaux de sa retenue. Donc, il ne représente pas un obstacle à la mobilité sédimentaire, dont le déficit tient plutôt au changement d'usage des sols sur les versants du bassin.

Durance, un transfert sédimentaire qui demanderait d'éroder les berges - Un troisième cas étudie la rivière alpine Durance, très aménagée à partir des années 1950, dont le débit a été réduit en 40 ans (de 180 m3/s à 40 m3/s) et où les gravières ont extrait du lit plus de 60 millions de m3 de matériaux. Une analyse litho-morphologique a été menée pour savoir si les sédiments des affluents de la Durance seraient susceptibles de recharger la partie aval de la rivière. Le résultat suggère que ces sédiments ont une taille trop petite pour remplir leur rôle sur l'aval de la Durance. La suppression de barrage ne suffirait pas à recharger en sédiments grossiers, il faudrait aussi garantir la reprise de l'érosion des berges (continuité latérale), ce qui pose des problèmes plus complexes de gestion des propriétés riveraines.

"La science est politique : effacer pour quoi? Qui parle?"
Les chercheurs sont donc amenés à constater que l'effacement de barrages est loin d'avoir uniquement des conséquences positives pour l'ensemble des milieux, ni de répondre aux objectifs que pose le gestionnaire. Dans le cas de la Vire et de l'Orne, certaines espèces d'arbres sont protégées au même titre que les poissons cibles de la restauration écologique. Et le dysfonctionnement hydrologique du lit majeur dont témoigne le problème de croissance de ces arbres  suite à l'effacement relève lui aussi de la question des "services rendus par le écosystèmes" que nos actions sont censées accroître.

Cela amène les chercheurs à s'interroger : "comment les différents acteurs non-humains sont représentés (ou pas) dans le débat et pondérés dans la décision".

A ce sujet, Simon Dufour et ses collègues émettent comme hypothèse de travail le rôle joué par les pêcheurs, puis par le CSP-Onema dans l'inspiration des politiques écologiques de rivières centrées sur les poissons, avec les biais qui en découlent : "Concernant l'implémentation de la politique des suppressions de barrage en France, nous n'avons pas directement traité l'existence et les causes potentielles de tels biais mais, en perspective, nous pouvons au moins mentionner que les pêcheurs ont exercé une grande influence sur les politique de l'eau dans les années 1960 (Bouleau 2009), et que l'institution nationale responsable de l'eau et des écosystèmes aquatiques (ie ONEMA, aujourd'hui appelé AFB pour Agence française pour la biodiversité) a été créée en 2006 à partir de l'institution nationale en charge des poissons (le Conseil supérieur de la pêche). Déterminer dans quelle mesure ceci est relié à l'apparente préférence donnée à ces certains habitats du chenal en pratique de restauration, et si il y a des communautés épistémiques qui influencent ces préférences, reste un sujet d'étude".

Au final, les chercheurs appellent à un double effort des sciences naturelles et sociales pour mieux appréhender les enjeux de la rivière et, ici, la question des ouvrages hydrauliques : "Pour les sciences sociales, il est nécessaire de prendre conscience que certains problèmes sociopolitiques liés à la suppression des barrages et des seuils sont liés à la nature de processus et schémas biophysiques, et nécessitent une plus grande attention à la diversité des contextes biophysiques, en particulier en les interactions amont-aval et chenal-plaine (…) cette compréhension nécessite l'inclusion de multiples parties prenantes (ayant potentiellement diverses relations de pouvoir) et implique donc un processus de prise de décision complexe (plus complexe que celui consistant à retirer un barrage sur un site unique). Pour les sciences naturelles, il est nécessaire de se concentrer davantage sur les questions sociologiques, politiques et culturelles et d'être plus conscient de la façon dont la production, la diffusion et l'utilisation des connaissances influencent les processus sociopolitiques".

Référence  : Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

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La biodiversité, la rivière et ses ouvrages

05/12/2017

Comment une fédération de pêche vide un étang et perturbe ses annexes humides sur simple courrier...

Les pêcheurs se prétendent les "protecteurs des milieux aquatiques", mais détruire des étangs et zones humides associées sans précaution particulière ni diagnostic préalable ne semble pas les gêner outre mesure. Un simple courrier recto-verso : voilà ce qui a suffi à la fédération de pêche de l'Yonne pour obtenir le droit de vidanger l'étang de Bussières et de détériorer sa vanne. Alors que cette fédération a exprimé clairement le souhait de détruire définitivement l'étang dans la foulée de sa vidange, la DDT 89 n'a demandé aucun dossier d'autorisation ni aucune étude des milieux humides impactés, pourtant riches en biodiversité. Mais ce n'est pas une fois les milieux en place perturbés dans leurs fonctionnalités et leur intégrité que l'on pourra faire une analyse sérieuse de leur valeur écologique, afin de juger s'il est opportun ou non de détruire l'étang, ses habitats, ses espèces ! Au regard de ces éléments, Hydrauxois demande la requalification des travaux et la restauration des zones humides tant que l'étude d'impact environnemental de ce chantier n'est pas présentée. L'association étudie par ailleurs l'opportunité d'une plainte. Quant aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques qui sont assommés de formalités dès qu'ils envisagent le moindre chantier, ils apprécieront comment le lobby de la pêche obtient l'autorisation de changer totalement 5 hectares de milieux aquatiques et humides dans un délai d'une semaine seulement, sur la foi d'un courrier sommaire de deux pages. Croit-on sérieusement que de telles pratiques crédibilisent les politiques publiques de l'eau?



L'administration en charge de l'eau (DDT 89) nous a transmis les pièces demandées après le constat de vidange de l'étang de Bussières et de destruction de la vanne réalisé par l'association sur les lieux.

La fédération de pêche et l'administration de l'eau ont prétendu éviter toute autorisation pour vidanger l'étang en arguant qu'il s'agissait d'une mesure de gestion de pisciculture (plans d’eau déclarés relevant de l’article L. 431-7 du code de l’environnement). La preuve que l'étang est déclaré comme pisciculture n'était toutefois pas jointe au dossier.

Mais en tout état de cause, l'interprétation est ici plus que douteuse. Car ces mesures spéciales du code de l'environnement relatives à la "Pêche en eau douce et gestion des ressources piscicoles" s'appliquent précisément à la "gestion" des piscicultures, qu'elles ont pour but de simplifier en permettant la vidange sur simple déclaration.

Or, dans son courrier de déclaration à l'administration, la fédération de pêche 89 a précisé que l'objectif de son chantier est la destruction définitive du site :
"nous souhaitons réaliser une vidange complète de cet étang en préalable à son effacement prévu en 2017-2018. (...) Il n'est pas prévu de remettre en eau cet étang avant sa destruction qui interviendra en 2017-2018 conformément à notre engagement"
Cette vidange ne peut donc plus être assimilée à une gestion de pisciculture : au contraire, elle est présentée explicitement par le pétitionnaire comme la première phase d'un chantier de destruction. Il est incompréhensible que l'administration, informée de cette finalité, n'ait pas recalé la demande de la fédération de pêche en lui demandant de produire un dossier complet "loi sur l'eau" et en exigent de conserver les habitats en l'état tant que l'étude d'impact n'est pas produite.

Donc pour le moment, au regard des pièces dont nous disposons,
  • l'administration a permis la destruction d'une zone humide (et modification de 500 m de linéaire de rivière) sans aucune étude d'impact ni autorisation préalable,
  • la fédération de pêche 89 n'a nullement jugé utile d'étudier les milieux qu'elle veut détruire, se contentant d'un courrier recto verso,
  • l'AFB ex Onema ne semble pas avoir été sollicitée alors que son rôle est d'évaluer et protéger la biodiversité,
  • les citoyens n'ont évidemment reçu aucune information de ces arrangements entre administratifs et pêcheurs, voyant l'étang se vider sans aucun débat, aucune enquête publique, aucun affichage.

Un laxisme intolérable vis-à-vis des dérives du lobby pêche
Ce laxisme est intolérable, à l'heure où l'administration en charge de l'eau exerce des contrôles croissants pour des actions nettement moins impactantes sur la biodiversité aquatique.

Ce laxisme révèle aussi le problème manifeste que constitue la confusion persistante entre la gestion halieutique des rivières et la prise en compte de l'ensemble de leurs enjeux écologiques : les pêcheurs sont d'abord des usagers poursuivant des fins propres, ils n'ont pas à jouir comme c'est le cas aujourd'hui d'avantages excessivement dérogatoires au droit de l'eau et de l'environnement. L'étang de Bussières illustre leurs mauvaises pratiques.

Le cas n'est pas isolé puisque la même fédération de pêche de l'Yonne n'a pas mis à jour son plan de gestion piscicole depuis les années 1990. La préfecture, en nous communiquant ce plan en mars 2017, avait reconnu que les données dataient de 25 ans et que ses orientations "nécessiteraient pour la plupart d'être entièrement revues". Il serait peut-être utile que M. le préfet de l'Yonne exige de la fédération de pêche qu'elle gère déjà correctement sa propre activité perturbatrice des milieux, au lieu de l'autoriser à détruire des zones humides sans avancer le moindre diagnostic préalable de biodiversité.

L'association Hydrauxois va demander au préfet de requalifier les travaux de Bussières, de remettre les milieux en état à titre conservatoire et d'exiger un dossier "IOTA" loi sur l'eau conforme à la loi. Les pièces du dossier ont par ailleurs été transmises à notre avocat, qui étudie l'opportunité de déposer une plainte pour destruction non autorisée de zone humide.

03/12/2017

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)

La biodiversité aquatique se limite-t-elle aux poissons des rivières courantes? Le grand public le pense parfois et les agences de l'environnement (notamment Onema, aujourd'hui Agence française pour la biodiversité) ont fait en France de la petite rivière à écoulement rapide le paradigme du milieu naturel à protéger ou à restaurer. Mais il n'en est rien, car les prémisses de ce raisonnement sont fausses. Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. Ce travail, qui a eu le mérite d'être la première étude comparative systématique des masses d'eau sur ce type de paysage, est loin d'être isolé dans la littérature scientifique. Il doit conduire à repenser la manière dont la biodiversité aquatique est aujourd'hui analysée et gérée, avec notamment une prise en compte plus systématique des espèces autres que les poissons, et des milieux aquatiques autres que les rivières à écoulement lotique. On attend notamment de l'AFB qu'elle s'affranchisse définitivement du centrage halieutique sur quelques espèces d'intérêt, qui a biaisé trop longtemps en France l'exercice diagnostique et pronostique sur la biodiversité des masses d'eau.

B. R. Davies et ses quatre collègues ont étudié une zone de 13x11 km en Angleterre (limite de l'Oxfordshire, du Wiltshire, du Gloucestershire). L'usage dominant des sols est agricole avec 75% de terres arables, 9% de forêts, 7% de prairies, 2% de zones urbaines. Le but de leur recherche était notamment de comprendre comment, dans un usage des sols agricoles connu pour son impact négatif sur la biodiversité (pollution, érosion, eutrophisation, etc.), le vivant aquatique se maintient et se répartit dans les différentes catégories de milieux aquatiques.

Les auteurs ont étudié cinq types de masse d'eau :
  • les lacs (naturels ou artificiels, plus de 2 ha de superficie), 
  • les mares et étangs (ponds, naturels ou artificiels, entre 25 m2 et 2 ha), 
  • les rivières (écoulement lotiques de plus de 8,25 m de large), 
  • les petites rivières et ruisseaux (streams, moins de 8,25 m de largeur),
  • les fossés (à usage généralement agricole, ou routier). 
Ils ont collecté des plantes et insectes, selon une méthodologie comparable pour chacune des masses d'eau : 20 sites de collecte sur chaque type de milieu, d'une surface de 75m2 chacun.

Les données retenues sont la richesse totale (nombre d'espèces) et la rareté (Species Rarity Index SRI, indice évaluant si les espèces sont rares ou menacées dans l'écorégion).

Les graphiques ci-dessous donnent les résultats.


Richesse spécifique des 5 milieux analysés (macrophytes, macro-invertébrés). Les mares et étangs sont les milieux les plus riches. Les rivières et ruisseaux ont un profil équivalent aux lacs.


Indice de rareté spécifique dans les 5 milieux.  On observer que les rivières petites ou grandes ne sont pas les mieux notées, en particulier pour les invertébrés.

A propos des fossés, mares et étangs et autres plans d'eau de petites dimensions, les auteurs soulignent : "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

Discussion
Le travail de ces chercheurs anglais a eu le mérite de comparer de manière assez systématique la biodiversité de masses d'eau sur un même territoire. Mais les monographies plus ciblées montrant l'importance des petites zones lentiques pour la biodiversité ordinaire sont innombrables.

Cette approche est malheureusement mal représentée en France, où l'approche de la biodiversité aquatique est dominée par les rivières et leurs poissons, ainsi que par des zones humides souvent limitée à des vestiges d'habitats naturels ou à des plans d'eau de grandes dimensions, au lieu d'intégrer aussi les milieux ordinaires des paysages anthropisés.

Notre association l'a observé à diverses reprises dans son principal domaine d'intervention à ce jour, la mise en oeuvre de la continuité écologique. Non seulement les porteurs de projets, mais aussi les agents de l'environnement en charge des suivis, développent des grilles d'analyse où l'on compare seulement des peuplements attendus en zone lentique et lotique, le plus souvent sur des poissons (parfois aussi des insectes), cela en partant du principe que les espèces lotiques (rhéophiles, lithophiles) sont d'un intérêt majeur en biodiversité ou relèvent une "naturalité" qui serait désirable (un état antérieur figé dans l'histoire). Mais cela peut conduire à des choix aberrants, comme des propositions de mises à sec de milliers de mètres de milieux aquatiques (biefs canaux zones humides attendantes) et des disparitions de retenues sans même avoir pris la précaution de réaliser des inventaires de biodiversité.

Ces pratiques doivent changer, non seulement parce qu'elles sont insatisfaisantes au plan de la rigueur scientifique dans l'examen de la biodiversité réelle des milieux aquatiques et ripariens, mais aussi parce qu'elles sont en décalage croissant par rapport aux attentes du droit de l'environnement. Nous avons ainsi demandé à l'AFB les conditions d'analyse d'un étang avant son éventuelle disparition, et nous jugerons à la réponse la capacité de l'Agence à traiter pleinement les enjeux de biodiversité.

Référence : Davies BR et al (2008), A comparison of the catchment sizes of rivers, streams, ponds, ditches and lakes: implications for protecting aquatic biodiversity in an agricultural landscape, Hydrobiologia, 597, 1,7–17

01/12/2017

Modèle de réponse à une DDT-M qui refuse de définir les règles de gestion de continuité écologique

Notre association a proposé diverses lettres-types de réponse à l'administration concernant la mise en conformité à la continuité écologique (voir cet article). Certains correspondants nous signalent des réponses de DDT-M refusant les termes de ces courriers et demandant aux propriétaires d'engager eux-mêmes des travaux de diagnostic de leur bien par un bureau d'étude privé. Nous faisons ici une nouvelle réponse-type, que chacun adaptera au mieux. Nous insistons sur l'urgente nécessité dans un tel cas de saisir votre député et votre sénateur afin qu'ils informent Nicolas Hulot. C'est à force d'être interpellée au Sénat et à l'Assemblée nationale par les représentants élus des citoyens que Ségolène Royal a dû convenir des mauvaises pratiques de son administration et demander qu'elles soient rectifiées. Il en ira de même aujourd'hui et demain, outre la saisine du tribunal administratif si besoin. Nicolas Hulot ayant été encore peu informé de ces questions (voire ayant été désinformé par certains lobbies qui entendent casser les ouvrages au profit de leur activité), il importe que le ministre soit désormais saisi le plus souvent possible des problèmes. Vous ne défendrez pas seulement votre bien en faisant cet effort d'informer vos élus et de demander leur intervention, mais tout le patrimoine aujourd'hui menacé en France. 



Rappel : tout courrier s'envoie en recommandé AR.

Lettre-type de réponse à une administration qui refuse de présenter une étude de continuité écologique justifiant les règles de gestion, équipement, entretien d'un ouvrage en rivière classée liste 2

J'ai bien reçu votre courrier du XX [préciser date] et vous me trouvez en désaccord avec ses termes.

L'Etat n'assure pas la maîtrise d'ouvrage directe sur le domaine privé mais, conformément aux termes de la circulaire d'application du 18 janvier 2013, les missions interservices de l'eau et  de la nature, ou parfois les DDT-M seules, ont assuré en France l'examen des ouvrages en association avec les établissements de bassin (EPTB, EPAGE), les collectivités, parfois les organismes agréés de protection des milieux aquatiques.

Cette démarche répond aux termes de la circulaire suggérant d'informer le cas échéant le propriétaire de "l’existence d’une maîtrise d’ouvrage publique et d’une démarche collective relative à la restauration du cours d’eau concerné susceptible de prendre en charge une partie de leurs obligations, notamment des études préalables à leurs projets de mise en conformité"

C'est le bon sens : d'une part, il ne revient pas à chaque citoyen de décider isolément comment il interprète la loi ni de se transformer en expert de l'écologie des milieux aquatiques; d'autre part, comme son nom l'indique, la continuité écologique ne concerne pas un site en particulier, mais tous les sites d'une rivière ou d'un tronçon, avec une démarche publique cohérente d'aménagement des bassins. 

Je tiens à votre disposition, et si besoin à celle du juge administratif, de nombreux exemples de chantiers où les propriétaires ont reçu une étude diagnostique et une proposition d'aménagement de leur bien, cela sans débourser d'argent et sans avoir à faire la démarche de leur chef. D'autres cas où les travaux eux-mêmes, pas seulement l'étude, ont été pris en charge entre 95 et 100%.

C'est donc ce que je vous demande à nouveau de faire si vous l'estimez nécessaire sur mon ouvrage, dont rien ne démontre a priori que sa gestion actuelle forme un problème pour les poissons ou pour les sédiments. 

Il me paraîtrait évidemment incompréhensible que les DDT-M représentant l'Etat et garantissant l'égalité des citoyens devant lui adoptent des politiques différentes selon les départements, les bassins, voire les propriétaires. 

Outre qu'il n'a pas à se substituer à la carence de l'administration dans sa mission, un bureau d'étude privé demande une somme allant de 10 à 20 k€ pour la seule étude du site (diagnostic écologique, étude réglementaire, étude de faisabilité, avant-projets sommaires et détaillés, plans de projet retenu), et cela sans même parler de l'exécution des travaux dont le coût est plus élevé encore.

Je ne connais pas une seule réforme en France où l'on demande à un particulier d'engager une telle dépense, juste pour interpréter la loi!

Cette dépense relève d'une "charge spéciale et exorbitante" dont l'article L 214-17 CE a précisé qu'elle ouvre droit à indemnisation. Donc, à supposer que vous ayez raison et que j'ai tort sur le point précédent, je ne saurais de toute façon faire cette démarche sans que vous vous engagiez préalablement à prendre en charge la totalité des coûts d'un prestataire privé et à me préciser comment vous avancez ce financement. 

J'attends donc sur ce dossier le respect de la loi et de l'égalité des citoyens devant la loi. Si vous estimez que mon ouvrage appelle aménagement, je souhaite comme d'autres en France recevoir une étude le démontrant et un plan de financement public des travaux de mise en conformité.

politesse

PS : je mets M. le Député (Mme la Députée) et M. le Sénateur (Mme la Sénatrice) en copie de la présente, car nos échanges témoignent des lourds problèmes sur les ouvrages de petite hydraulique, dont plusieurs ministres ont pourtant souhaité qu'ils cessent depuis déjà 3 ans. Je me permettrai de leur demander d'interroger M. le Ministre de la Transition écologique et solidaire à propos de ces pratiques incompréhensibles où de simples particuliers sont menacés de dépenses totalement déraisonnables et de pratiques inégalitaires. 



Lettre-type pour les député.e.s et sénateurs-trices

Monsieur / Madame le Député(e)
Monsieur / Mme le Sénateur / la Sénatrice,
[conserver la mention correcte]

Je me permets de vous transmettre ci-joint mes échanges avec l'administration. Et au-delà de mon cas, de vous saisir du problème des ouvrages hydrauliques : il s'en détruit un par jour en moyenne en France, et ceux qui refusent la destruction se voient accablés de menaces de dépenses exorbitantes. Mon cas en est un exemple. 

Pour résumer la situation le plus simplement possible : alors que la loi sur l'eau de 2006, contrairement à la loi pêche de 1984, avait prévu d'indemniser les travaux de continuité écologique (vannes, passes à poissons, rivières de contournement, etc.), l'Etat refuse aujourd'hui de tenir ses promesses et demande aux citoyens de payer de leurs poches.  Mais les simples études peuvent atteindre voire dépasser 20 k€, et les travaux coûtent dix à vingt fois plus. C'est évidement impossible, et je suis désespéré de ce harcèlement administratif sans aucune proportion aux enjeux écologiques concernés. 

Y a-t-il une seule autre loi en France qui assomme une catégorie de particuliers de dépenses aussi énormes? 

Mon cas n'est pas isolé, puisque le rapport national d'audit CGEDD 2016 a montré qu'un peu plus de 20.000 ouvrages hydrauliques sont concernés en France, très peu ayant trouvé une solution à date.

Je sollicite votre intervention urgente auprès de M. Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, afin de le questionner sur les mesures qu'il souhaite engager pour éviter les blocages et respecter l'engagement de l'Etat à financer la continuité écologique. 

Etant donné la fin de l'échéance règlementaire de 5 ans sur notre bassin comme sur la plupart des autres en France, étant donné les enjeux de patrimoine, de paysage, d'énergie, de riveraineté et de biodiversité attachés aux moulins, aux étangs, aux forges et autres éléments historiques de nos rivières, cette question est tout à fait urgente. Et pour mon cas comme pour celui de bien d'autres particuliers dépourvus de toute solution, elle est brûlante!

Par avance, je vous remercie des démarches que vous voudrez bien entreprendre pour que l'administration en charge de l'eau propose des solutions viables et durables. Je ne vois pas d'autre issue qu'une intervention directe du ministre, comme Mme Ségolène Royal avait su le faire en décembre 2015 par un courrier aux préfets, déjà pour les mêmes problèmes. 

29/11/2017

Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

Dès le début des années 2000, le retour du saumon  été présenté comme l'enjeu écologique majeur du projet de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Après 18 mois d'attente, nous avons finalement reçu le travail de 2014 formant à ce jour la seule base scientifique d'estimation de ce retour. Au regard du modèle employé, sur lequel nous faisons ici de premières remarques critiques, on estime que la destruction du site pourrait augmenter de 1314 le nombre de saumons adultes remontant. A titre de comparaison, c'est 2 à 3 fois moins que le nombre de saumons tués par les pêcheurs d'eau douce chaque année en France. Cela pour un coût définitif de travaux sur l'ensemble du bassin qui devrait s'établir quelque part entre 50 et 150 millions €, alors que le saumon est déjà présent dans les autres rivières de la baie du mont Saint-Michel et leurs affluents, comme à l'aval de la Sélune. L'Etat doit clarifier et justifier ses objectifs car ces informations suggèrent que nous sommes devant une dépense totalement disproportionnée au regard des enjeux saumon sur le bassin atlantique et, sur un autre plan, des nuisances sociales induites par ce projet. 

Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
"Les travaux de démantèlement de deux barrages sur la Sélune constituent un cas d’étude unique en regard de l’ampleur des ouvrages hydrauliques concernés (16 et 36 m), au linéaire de rivière actuellement ennoyé (20 km) et au verrou qu’ils représentent pour la circulation des poissons sur le réseau hydrographique. La Sélune (91 km, 1040 km ) est un des quatre cours d’eau de la Baie du Mont Saint-Michel avec la Sée (estuaire commun), le Couesnon et la Sienne. La Sélune est fréquentée par la communauté de poissons diadromes (saumon, truite de mer, anguille, lamproies et aloses) sur un linéaire réduit de son cours principal (14 km) en raison de la présence de ces deux grands barrages depuis 1919. "
Au passage, il est dit que les saumons de la baie du Mont Saint-Michel forment une seule unité : "des études récentes ont montré que les populations de saumon des quatre rivières de la Baie du Mont Saint-Michel appartiennent au même groupe génétique (Perrier et al., 2011) impliquant un certain taux de dispersion et donc d’échanges entre rivières (Perrier et al., 2012)."

Les auteurs rappellent aussi que la destruction d'un barrage n'est pas seulement à analyser comme une restauration, mais aussi comme une perturbation des écosystèmes, cycles biogéochimiques et écoulements en place :
"l’enlèvement des barrages est un outil potentiel fort pour la restauration écologique des cours d’eau, permettant un retour à une hétérogénéité des habitats et à la libre circulation des flux hydro-sédimentaires et des espèces migratrices. Les conséquences globales d’une telle opération sur le milieu peuvent cependant être difficiles à prévoir et à généraliser, qu’elles soient bénéfiques ou non souhaitables (modification des communautés en place, augmentation de la vulnérabilité d’espèces en danger) d’un point de vue écologique. Ainsi, lors de l’arasement du barrage de Fulton sur la rivière Yahara (Wisconsin, USA), des graminées de prairies humides ont remplacé les espèces de roseaux et de carex (American Society of Civil Engineers, 1997), entraînant le déclin des populations de canards et de rats musqués inféodées à ces espèces végétales. L’enlèvement de barrages constitue donc, au même titre que leur installation, une perturbation écologique importante" (nous soulignons).
La décision publique implique donc d'avoir une estimation des coût et des bénéfices écologiques. Leur travail propose d'évaluer le bénéfice pour l'espèce-repère du projet qu'est le saumon.

Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.

Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.

Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.

Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.


Estimation des UPSAT, des smolts et des adultes in Forget et al 2014, art cit, cliquer pour agrandir.

La Sélune aujourd'hui compte 907 UPSAT, il est estimé que ce chiffre montera à 3422 UPSAT après effacement (873 sur le retenues, 1642 sur le bassin amont). On observe au passage que le gain sur les lacs est assez faible (moins d'habitat que dans la partie aval actuellement libre) par rapport aux gains dans les affluents et les zones plus amont du lit principal.

La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).

Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.

Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."

Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.

Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
  • c'est un raisonnement déterministe assez simple (un type d'habitat donnera un volume de production) et dépendant des coefficients que l'on choisit pour le nourrir,
  • il ignore la dynamique du bassin versant en dehors du facteur barrages (en particulier les effets du changement climatique sur la température et le débit, la dégradation sédimentaire et pollution chimique des eaux et des sols du bassin versant, l'évolution des peuplements autres que le saumon y compris les prédateurs de leurs oeufs et juvéniles, etc.),
  • la dynamique du cycle global du saumon n'est pas couplée à ce modèle, en particulier l'évolution de sa phase maritime et les interrogations que l'on a aujourd'hui sur son avenir en Atlantique Nord. 
Pour l'instant, nous constatons que la meilleure estimation pour le gain en saumon adulte remontant serait de 1314 poissons. Cela sans compter les autres espèces amphihalines, mais c'est le saumon qui a été mis en avant pour justifier les travaux (cf Germaine et Lespez 2017).

Selon d'où les acteurs du dossier parlent, ce gain pourra être jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.

Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
  • une estimation consolidée des retours d'adultes avec leur fourchette d'incertitude,
  • une comparaison du gain salmonicole avec les chantiers de même type dans le monde (incluant la dépense économique par unité de saumon remontant),
  • une comparaison des gains de l'effacement avec les gains que procurerait une solution de type prélèvement aval et lâcher amont (hypothèse maintien du barrage), puisque les UPSAT à l'amont des zones ennoyées sont plus importantes que celles des zones ennoyées,
  • une garantie raisonnable que le saumon atlantique fréquentera toujours son aire méridionale en situation de changement climatique.
Sur un autre plan, nous demanderons à l'Etat d'engager une réflexion sur l'interdiction de la pêche au saumon atlantique sur l'ensemble des bassins français, comme cela se fait déjà en Loire-Allier. La Fédération du saumon atlantique, alarmée par la baisse des retours sur l'Atlantique Ouest (Groendland, Etats-Unis, Canada), a appelé cet été 2017 à un débat urgent sur la nécessité de réguler davantage ou interdire le prélèvement de pêche de loisir et vivrière, au regard notamment des problèmes du saumon dans sa phase océanique. Ce questionnement doit aussi concerner la France. Continuer à prélever pour un simple loisir une espèce menacée (en particulier dans sa zone méridionale, où elle risque de disparaître en premier au cours de ce siècle) et une espèce faisant l'objet de lourds investissements publics ne paraît pas une position très justifiable, tant pour l'écologie du saumon que pour l'équité des efforts demandés aux usagers des rivières.

Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.

27/11/2017

L'introuvable étude sur le potentiel saumon de la Sélune

Depuis un an et demi, l'association Hydrauxois tente sans succès d'obtenir l'étude scientifique ayant estimé le potentiel de retour du saumon sur la Sélune, citée dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE sur lequel s'appuie le ministère de la Transition écologique et solidaire. Pourquoi cette entrave dans l'accès aux informations, alors que le retour du saumon est censé être le premier intérêt de la destruction des barrages et que le débat démocratique a été confisqué depuis 2005 sur ce dossier? Au regard de l'échec relatif des travaux de restauration sur les autres fleuves à saumons de la baie du Mont Saint-Michel et du coût majeur du chantier de la Sélune, quels sont exactement les bénéfices écologiques attendus?

[edit 29-11_2017 : suite à la parution de cet article, nous avons enfin reçu l'étude... 18 mois après la première demande! Nous la rendons accessible à tous à ce lien]

Le 7 avril 2016, dans le cadre de la rédaction de ses premiers articles sur le dossier de la Sélune, l'association Hydrauxois a écrit le message suivant au laboratoire ayant étudié le potentiel salmonicole de la rivière.
"Votre laboratoire a publié en 2014 une étude sur le potentiel salmonicole de la Sélune, mais, sauf erreur, cette étude est impossible à télécharger sur le site INRA et n'a pas été versée sur les portails eaufrance.fr. 
Référence :FORGET, G. NEVOUX, M. RICHARD, A. MARCHAND, F. BAGLINIERE, J.-L., 2014. Estimation des capacités de production en saumon du Bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de La Roche-Qui-Boit. Projet Sélune - Pôle Gest-Aqua 
Serait-il possible d'en avoir copie ou lien d'accès ?"
Notre interlocuteur nous explique que la publication est en diffusion restreinte, que ses données ne sont pas complètement validées et qu'une publication scientifique dans une revue internationale indexée est attendue pour les prochains mois.

Nous prenons acte. Le temps passe, aucune publication ne paraît, et Nicolas Hulot annonce brutalement la prochaine destruction des barrages de la Sélune. Nous relançons donc les auteurs pour avoir des nouvelles : il nous est répondu que la publication est non disponible et ne le sera pas dans un proche avenir.

Nous demandons donc de nouveau à recevoir l'étude de 2014, qui est après tout la seule citée dans les documents publics. Sans succès à ce jour.



Pourquoi cette étude est-elle importante ? 

D'une part, dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE 2015 sollicité par le ministère de l'écologie, ce travail de 2014 est la seule référence citée en appui de l'intérêt salmonicole des effacements, (p. 92). Il est étonnant que l'Etat s'appuie sur des données non disponibles au public.

D'autre part, et nous y reviendrons de manière plus détaillée, le public ignore qu'il y a en réalité 4 rivières à saumon se jetant dans la baie du Mont-Michel: la Sienne (92,6 km), la Sée (78,1 km), le Couesnon (97,8 km) et la Sélune (84,7 km). Non seulement la Sélune n'est pas le fleuve le plus long, mais d'autres rivières ont fait l'objet de tentatives de restauration pour le saumon qui ont donné des résultats mitigés, malgré des alevinages massifs des pêcheurs. Il est donc important de comprendre les raisons pour lesquelles la Sélune aurait un intérêt particulier et un potentiel important.

Enfin, ces études sont réalisées sur fonds publics et tout citoyen devrait y avoir accès, même si les résultats sont provisoires.

Il apparaît donc urgent que l'on dispose de toutes les pièces pour juger de l'intérêt du projet. Nous constatons pour le moment que les établissements de recherche et les services publics ne permettent pas l'accès à l'information, ce qui déroge aux conditions démocratiques normales du débat sur l'environnement.

A lire également
Vallée de la Sélune en lutte (3) : le gain réel pour les saumons
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015) : quand la pêche provoque des polluions génétiques 

26/11/2017

Cévennes : les riverains veulent préserver le lac des Pises

Au nom de la "restauration écologique" (comme d'habitude optimisée pour quelques truites sans égard particulier pour les autres espèces et pour les usages humains), le parc national des Cévennes menace d'abaisser le niveau du lac des Pises et de se désengager de sa gestion. Le coût serait trop élevé, argument pour le moins spécieux quand on voit les centaines de millions € d'argent public que les Agences de l'eau distribuent dès qu'il s'agit de détruire des ouvrages hydrauliques (ou encore de construire des bassines artificielles pour des irrigants privés). Les riverains cévenols sont vent debout contre ce projet, qui a été opaque et coupé des citoyens de bout en bout. L'Association Causses-Cévennes d'action citoyenne appelle à défendre ce site et diffuse une pétition, reproduite ci-dessous. Leur combat est le nôtre. L'Etat français comme les établissements administratifs en charge de l'eau et de l'environnement doivent urgemment changer leurs arbitrages politiques et financiers sur les ouvrages hydrauliques. Et les riverains doivent être intégrés dans la construction des projets dès leurs premières phases de réflexion, au lieu de se voir imposer des solutions technocratiques.



Il faut sauver le lac des Pises... 

La hauteur actuelle de cet ouvrage doit être respectée.
Seul le scénario de confortement est envisageable.

Le parc national des Cévennes est classé comme aire protégée de catégorie V3 par la Commission mondiale des aires protégées de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Le parc est également reconnu réserve de biosphère par l'Unesco depuis 1985.

Le massif de l'Aigoual fait l'objet d'une classification au titre de l'UNESCO, de la réserve de la biosphère des Cévennes et se situe dans un parc national.

Le tourisme est l'activité principale de notre très belle région. Comment expliquer que l'un des sites les plus fréquenté de notre massif de l'Aigoual ne soit pas restauré comme il se doit.

Il est inacceptable que le Parc National des Cévennes, propriétaire de l'ouvrage, n'assume pas ses responsabilités et se défausse sur la toute petite communauté Causses-Aigoual-Cévennes.

Il n'y a eu aucune concertation avec la société civile. Les réunions du conseil d'administration du Parc ne sont pas publiques. Au 21e siècle ces pratiques sont inacceptables.

Dans la charte du Parc National des Cévennes, tout doit tendre à protéger la nature, préserver le patrimoine, les paysages, gérer, préserver l'eau et les milieux aquatiques, les cours d'eau, et à préserver les paysages, les milieux remarquables, conforter la population et les activités humaines. Les principes fondamentaux, orientations, axes, objectifs, en application de la Charte.

L'administration du Parc National des Cévennes est-elle à la hauteur de ses engagements ?

Signer la pétition

24/11/2017

Saisine de l'Agence française pour la biodiversité sur le chantier de l'étang de Bussières

En régression régulière depuis deux siècles, les étangs sont reconnus comme des habitats d'intérêt faunistique et floristique, à ce titre protégés par la loi comme l'ensemble des zones humides. Amphibiens, insectes, oiseaux, mammifères, poissons, végétaux... nombreuses sont les espèces qui profitent de ces étangs. Elles ne se limitent pas à quelques espèces "symboles" et participent à la richesse spécifique des bassins versants du Morvan. Quand ils envisagent la destruction de tels sites, les projets de continuité écologique menacent de faire disparaître des assemblages d'espèces propres aux habitats lentiques et à leurs marges humides au profit d'autres adaptés aux milieux lotiques (eau courante rapide). Mais ce choix doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse, car le bilan de biodiversité n'est pas forcément favorable, des espèces protégées peuvent être présentes dans l'étang et d'autres solutions que la destruction sont possibles s'il s'agit de rétablir certaines fonctionnalités ou de remédier à certains impacts. C'est aussi vrai pour les services écosystémiques, comme l'épuration de l'eau par les retenues. Hydrauxois a donc saisi l'AFB afin de recevoir les évaluations écologiques réalisées sur l'étang de Bussières et, si elles sont inexistantes, de solliciter leur réalisation. Cette requête s'ajoute à celle faite à la DDT 89 concernant les pièces administratives justifiant la vidange et la destruction des vannes de régulation de l'étang. Nous n'avons reçu aucune réponse à date. 

Un chantier est en cours sur l’étang de Bussières, sis sur la Romanée dans le département de l’Yonne. Ce chantier a des impacts majeurs.

L’étang a été vidé et sa vanne de régulation détruite. Aucune information n’est disponible sur le site.

Au regard des rares informations dont nous disposons, il semblerait que la destruction de cet étang soit envisagée par son maître d’ouvrage (Fédération de pêche de l’Yonne) au profit d’une restauration de continuité en long de la Romanée. Il ne s’agirait donc pas d’une opération de mise en assec, qui fait partie des mesures normales de gestion des étangs, ni de curage.

La Fédération de pêche de l’Yonne nous a dit par courrier n’avoir aucune étude environnementale le 20 octobre 2016. Nous nous en étonnons et nous nous inquiétons donc de la mise en œuvre de ce chantier au regard de son impact sur les milieux.

De nombreux habitats d’intérêt (voir planches) de l’étang de Bussières sont en l’état actuel déstabilisés et hors d’eau. Leur avenir paraît incertain.

Nous sollicitons par la présente de recevoir les travaux d’études de la biodiversité de cet étang que votre Agence a menés, ou le cas échéant qu’elle a demandés au pétitionnaire. En cas d’absence de tels travaux, nous sollicitons votre intervention rapide. Nous espérons un inventaire complet de la biodiversité de l’étang et de ses enjeux avant toute perturbation de ses habitats.


Faits : l’intérêt des étangs, quelques enjeux en Nord-Morvan et à Bussières

Les étangs sont des zones humides considérées comme d’intérêt faunistique et floristique. Plusieurs plans d’eau de la région de Bussières bénéficient déjà de protection pour le fait d’héberger des espèces remarquables (Marrault, Griottier blanc). Les travaux de Bourgogne Nature comme ceux de l’ONCFS ont, à de nombreuses reprises, souligné la valeur de ces plans d’eau à l’occasion de telle ou telle monographie.

La littérature d’expertise comme la littérature scientifique a montré que les étangs ont de nombreux intérêts en écologie, pour divers assemblages d’espèces végétales (hydrophytes, hélophytes, phanérophytes), et bien sûr animales : amphibiens (urodèles, anoures), insectes (en particulier diptères, coléoptères, hétéroptères, odonates), annélides et arachnides d’eaux lentes, les espèces aviaires (oiseaux de pleine eau, de roselières et joncs, de bordure, de zones humides temporaire en marge, en particulier anatidés, fauvettes, hérons et aigrettes, etc.), certains mammifères (loutre, campagnol amphibie, appréciant les queue d’étang et prairies humides attenantes, musaraigne aquatique, etc.). Comme le résume l’ONCFS, «les complexes d’étangs piscicoles constituent des réservoirs majeurs de biodiversité en Europe. (…) Suite à la régression généralisée des zones humides, les étangs sont souvent les derniers habitats de ces espèces, renforçant ainsi leur importance patrimoniale.» (ONCFS 214)

A propos des mammifères, nous attirons votre attention sur la loutre, espèce d’intérêt pour sa recolonisation sur le bassin versant du Cousin et sur le Nord Morvan, dont les travaux de recherche ont montré qu’elle utilise volontiers les étangs comme viviers et leur périphérie comme habitat, et qu’elle a des espèces d’eaux lentes dans son régime alimentaire d’opportunité (Lanszki et al 2001, 2006, Adámek et al 2003, Prigioni 2006, Ruiz-Olmo et al 2007, Ruiz-Olmo et al 2011, etc.). Nous vous rappelons que la ressource alimentaire est le facteur limitant de l’espèce (fiche INPN-MNHN 2013 : «Liée à la survie des individus et au succès reproducteur, la ressource alimentaire semble être l’un des principaux facteurs limitant pour l’espèce. Ainsi, la présence de proie en diversité et en quantité suffisante est primordiale. Carnivore hautement spécialisé, la loutre se nourrit essentiellement de poissons, mais aussi, dans des proportions variables, d’amphibiens, de crustacés, d’insectes, de mollusques». La biomasse des étangs (très supérieure à celle d’un cours d’eau lotique de faible largeur comme la Romanée) est donc un paramètre à intégrer dans tout plan de gestion de la loutre, d’autant que cette espèce fréquente couramment les zones lentiques.

De nombreuses espèces protégées ou menacées en Bourgogne sont aussi susceptibles de se trouver sur le site de l’étang de Bussières et sur ses annexes humides, ou de profiter de leur maintien, en particulier chez les amphibiens, insectes et oiseaux.

Enfin, les étangs jouent aussi un rôle dans l’auto-épuration des cours d’eau, là encore démontré par une abondante littérature sur la sédimentation et la bio-activité des milieux lentiques. L’épuration a aussi été mesurée pour les pesticides dans les étangs français (Garnier et al 2016), question à évaluer ici compte tenu de l’activité sylvicole en amont de la Romanée, provoquant des pollutions de la rivière.

C’est à ces divers titres que les étangs sont, comme les autres zones humides d’origine naturelle ou artificielle, l’objet de nombreux travaux de diagnostic, de suivi et de gestion. Et que l’étang de Bussières présente un intérêt manifeste de conservation.

La restauration de continuité écologique comme remplacement d’un habitat lentique pour un habitat lotique présentent un enjeu certain pour les espèces migratrices et pour diverses espèces rhéophiles de tête de bassin. Mais nous rappelons que cette restauration de continuité est possible par d’autres moyens que la destruction des plans d’eau (cas de contournement d’étangs en Morvan, dont le bassin du Cousin), et en tout état de cause, elle ne saurait justifier des pertes nettes de biodiversité ni des chantiers menés sans aucune précaution pour les milieux en place et pour l’étude de la biodiversité présente avant travaux.

Dans le cas de l’étang de Bussières, il se peut que vos travaux d’études, ou ceux du pétitionnaire, aient permis de conclure sur une base factuelle que telle ou telle option est préférable, et que des mesures de sauvegarde de la biodiversité étudiée aient été organisées. C’est la communication de ces travaux que nous sollicitons. En leur absence, une intervention rapide pour stopper le chantier et procéder aux analyses nécessaires.


Droit : une zone humide doit être préservée, un projet doit avoir un impact positif net sur la biodiversité, mettre en œuvre le principe de précaution et l’action préventive, l’AFB est tenue de vérifier le respect des lois

En tant que zones humides, les étangs sont protégés par la loi, en particulier par le premier alinéa de l’article L 211-1 du Code de l’environnement posant les règles de «gestion équilibrée et durable de la ressource en eau» .

La loi exige ainsi
« La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année »

Par ailleurs, en votant la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les parlementaires ont souhaité renforcer la protection de la biodiversité. Ils ont ainsi modifié l’article L 110-1 du Code de l’environnement, obligeant notamment à tenir compte «des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées» :
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.
II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées »
Enfin, au terme de la loi de biodiversité, l’AFB est ainsi définie dans ses missions par l’article L 181-8 code de l’environnement
L'agence contribue, s'agissant des milieux terrestres, aquatiques et marins : 1° A la préservation, à la gestion et à la restauration de la biodiversité ; 2° Au développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité ;3° A la gestion équilibrée et durable des eaux ;(…)Elle soutient et évalue les actions des personnes publiques et privées qui contribuent à la réalisation des objectifs qu'elle poursuit.
Notre requête équivaut donc à une saisine par une personne morale associative de l’AFB en vue d’une évaluation d’un projet potentiellement dommageable à la biodiversité et aux services écosystémiques de l’étang de Bussières.

Illustrations : planches jointes à la requête et montrant quelques exemples de la diversité des habitats de l'étang avant son chantier.