16/02/2018

Un guide AFB-Irstea irrecevable pour le calcul de la consistance légale d'un moulin

A défaut de pouvoir faire disparaître le régime des moulins fondés en titre, l'administration française a entrepris depuis 2014 de vider ce régime de sa substance, en multipliant par décrets et arrêtés les complexités de remise en service des ouvrages hydrauliques anciens. L'Agence française pour la biodiversité et l'Irstea viennent ainsi de publier un rapport dédié à la méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre. Sa vocation est de s'imposer aux propriétaires ou bureaux d'études qui travaillent sur la relance de moulin. Or ce guide va produire plus de problèmes qu'il n'apportera de services. Sa complexité inutile est inapplicable pour les petits sites se relançant en autoconsommation ou en production modeste. Mais surtout, ce guide se base sur une prétention déplacée à renverser la définition jurisprudentielle et légale de la puissance maximale brute fondée en titre, allant jusqu'à donner des leçons de droit au Conseil d'Etat. Explications sur cet enième dérive de l'arbitraire administratif dans le domaine des ouvrages hydrauliques.


La puissance maximale brute d'un site est définie par la loi et codifiée dans le L. 511-5 du code de l'énergie : "La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur".

Lors de la relance d'un moulin, il est d'usage de considérer que sa consistance légale correspond à cette puissance maximale brute. La jurisprudence en a été établie par l’arrêt Ulrich du Conseil d’État (28 juillet 1866), où un usinier ayant changé ses mécanismes et augmenté sa puissance a vu reconnaître qu'il n'avait pas besoin de demander une autorisation, car la donnée importante est la "force motrice brute qui résulte du volume, de la hauteur et de la pente de la chute d’eau". Par extension, la puissance fondée en titre (consistance légale exploitable du site) est calculée par le débit entrant dans la propriété après diversion des eaux et par la hauteur totale entre le point d'entrée et le point de restitution (en sortie de bief), sans considération sur ce que le propriétaire peut faire techniquement de cette eau dérivée.

Cet équilibre législatif et jurisprudentiel relève d'un certain bon sens : dès lors que le droit d'eau fondé en titre peut dériver un débit, il l'exploite à sa convenance à impact égal de diversion du lit mineur de la rivière.

C'est cet équilibre que l'administration en charge de l'eau tente aujourd'hui de rompre, fidèle à son habitude de décourager la relance des ouvrages hydrauliques par des surcroîts de complexité et des pinaillages disproportionnés aux enjeux. Le rapport Irstea-AFB tente de rationaliser cette rupture.

Voici quelques exemples de désaccords ou d'imprécisions.

"Tout moulin doté d’un titre authentique ou dont l’existence avérée est antérieure à l’Édit des moulins de 1566 pour les cours d’eau domaniaux et à l’abolition du régime féodal du 4 août 1789 pour les cours d’eau non-domaniaux bénéficie d’un droit fondé en titre (MEEDDM, 2010)." (p. 8) 

Le droit fondé en titre est établi pour un moulin existant avant l'instruction législative des 12-20 août 1790 dans les rivières non domaniales. En effet, cette loi de l'Assemblée constituante instaure le "libre cours des eaux" garanti par les autorités départementales, et donc l'obligation de recevoir une autorisation administrative pour édifier un moulin ou autre ouvrage. Les moulins établis entre août 1789 et août 1790 sont donc également fondés en titre.

"La consistance légale est la puissance hydraulique brute que le moulin était autorisé à utiliser à l’origine de ses droits." (p. 9)

Cette définition est inexacte. Elle ne correspond pas à la loi ni à la jurisprudence, mais à une des deux hypothèses avancées dans l’arrêté du 11 septembre 2015.
"Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante :- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la côte légale, etc."

L'arrêté pose arbitrairement que l'on peut se référer à des éléments anciens, alors que cette méthode n'est pas retenue dans le code de l'énergie ni dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Et le texte du même arrêté convient que la puissance maximale brute est aussi recevable.

"Dans ce jugement et dans quelques autres décisions [du conseil d'Etat], il est fait une interprétation erronée de l’arrêt Ulrich" (page 11). 

Le Conseil d'Etat interprète le droit, et en la matière ses décisions peuvent être contredites par une instance supérieure (cours européennes). Il ne revient donc pas à l'Irstea ni à l'AFB de sortir de leurs compétences et de donner des leçons de droit à la plus haute juridiction administrative ni de "démontrer" que la jurisprudence se tromperait depuis l'arrêté Ulrich de 1866. C'est un non-sens : l'expert technique doit s'adapter à ce que dit le droit, et non pas essayer de le transformer.

"Le jugement n°393293 du Conseil d’Etat du 16 décembre 2016 précise l’applicabilité de la méthode : "Le juge administratif peut tenir compte notamment des mesures de dé- bit réelles effectuées sur le site par l’administration, à la condition toutefois que celle-ci démontre que ces mesures sont pertinentes pour apprécier la puissance maximale théorique" (p. 20)

Cet extrait sort l'arrêt du Conseil d'Etat de son contexte. Les magistrats ont rappelé que le calcul du débit maximal équipable (et non du débit dérivé ancien) s'applique aux fondés en titre dans ce considérant:
"4. Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit"
Donc l'administration peut effectuer des mesures de débits réels sur site, mais elle doit le faire dans le respect des dispositions législatives citées du code de l'énergie, dont on rappellera qu'elle s'impose aux dispositions réglementaires dans la hiérarchie des normes (le ministère de l'écologie peut prendre des arrêtés et décrets, mais pas s'ils sortent des définitions de la loi validées par la jurisprudence).

Au plan technique, le guide soulève par ailleurs certains points intéressants pour le calcul du débit. Mais ses présupposés le rendent inutilisables.

Ce guide a déjà été opposé à des pétitionnaires, qui nous en ont informés. Nous avons saisi certains partenaires nationaux de cette question en attirant l'attention sur la nécessité de produire par des ingénieurs et juristes un guide alternatif, fidèle à la loi et à la jurisprudence, opposable au service instructeur et au juge administratif, proposant des règles hydrauliques simples et éprouvées de calcul. D'ici là, le guide Irstea-AFB et la manoeuvre administrative de réduction de la consistance légale seront refusés. Un argumentaire complet sera fourni par notre avocat aux adhérents s'ils sont obligés de saisir le juge administratif pour constater l'absence de fondement juridique des demandes.

Dernier point : les deux fédérations de moulins, les deux syndicats d'hydro-électriciens et le syndicat des énergies renouvelables ont souhaité que la petite hydroélectricité soit placée sous la compétence de la direction énergie et climat du ministère de l'écologie (comme tous les autres producteurs), et non pas de sa direction eau et biodiversité. Cette requête est légitime et nécessaire. Depuis 10 ans, la direction eau et biodiversité axe son action de continuité en rivière sur la destruction des ouvrages hydrauliques. Elle ne fait que complexifier les normes en contradiction avec les attentes du gouvernement qui a demandé à ses administrations de les simplifier. Elle a nourri une très vive animosité des riverains à l'encontre des politiques publiques de continuité et n'a montré aucun intérêt pour le potentiel hydraulique des rivières, ce qui la rend peu à même d'accompagner dans de bonnes conditions la relance des moulins dans le cadre de la transition énergétique. Quant à l'Agence française pour la biodiversité, elle entretient la confusion sur son objet et sa pertinence en apposant son logo à ce genre de guide technique, qui devrait relever de l'Ademe.

Référence : Irstea, AFB D. Dorchies (2017), Méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre, 100 p.

15/02/2018

Trame verte et bleue : intégrer la biodiversité dans le paysage

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) vient de rendre public un rapport sur la mise en oeuvre par la France de la Convention européenne du paysage (2000), ratifiée en 2006. Parmi leurs constats : la Trame verte et bleue (corridors et continuités écologiques) a été pensée de manière parfois trop sectorisée et trop fermée par les acteurs de la biodiversité, en négligeant son intégration dans le paysage — ce dernier étant une notion plus large, bien perçue par les citoyens et plus fidèle à leurs attentes. Nous ne pouvons que souscrire à cette recommandation, et souhaiter sa mise en oeuvre pour l'aménagement du paysage des vallées françaises.


La Convention européenne du paysage (adoptée au Conseil de l’Europe le 19 juillet 2000) définit ainsi le paysage : "partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques". La définition est certes un peu technocratique, comme toujours avec l'Europe, mais l'élément essentiel y est : la perception par les gens. L'être humain n'habite pas la nature, il habite d'abord des paysages façonnés par la rencontre de la nature et de la culture au cours de l'histoire.

La France a ratifié en 2006 cette Convention européenne du paysage, ce qui l'engage à une amélioration de la qualité des paysages et une maîtrise de leur évolution. Le CGEDD vient de publier un rapport d'analyse des politiques paysagères de huit pays (Irlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne).

Le rapport du CGEDD formule huit recommandations dont la première et principale consiste à élaborer une stratégie nationale interministérielle du paysage.

Le rapport observe les résistances à la mise en œuvre des engagements européens de la France dans ce domaine, notamment les cloisonnements administratifs et disciplinaires, la faible incitation aux contributions citoyennes pour des actions locales, l'insuffisante sensibilité de certains gestionnaires à la reconquête qualitative du paysage.

Trame verte et bleue, une politique "sectorielle et verticale"
De manière intéressante, l'une des recommandations du CGEDD concerne la Trame verte et bleue, c'est-à-dire le réseau des continuités et corridors écologiques que la France met en place depuis le Grenelle de l'environnement de 2007.

Voici ce qu'observe le CGEDD à ce sujet :

"À la différence de l’Angleterre et de l’Allemagne, la France a choisi une conception restreinte du concept d’infrastructure verte essentiellement centrée sur la protection de la biodiversité : la Trame verte et bleue (TVB).

Les lois Grenelle de 2009 et 2010 auraient pu faire des continuités écologiques un enjeu pour l’aménagement durable du territoire mais la TVB française a eu pour seul objectif d’ «enrayer la perte de biodiversité», même si elle «contribue à [...] améliorer la qualité et la diversité des paysages», tout en «prenant en compte les activités humaines». La TVB s’affirme comme une politique sectorielle et verticale. Il en résulte une conception restreinte et fonctionnelle du foncier et une adhésion des acteurs locaux incertaine, au-delà de la prise en compte – souvent a minima – des «corridors» et «réservoirs» de biodiversité dans les documents d’urbanisme.

Or, l’infrastructure verte, telle que conçue par l’Union européenne et mise en œuvre ou envisagée dans quelques pays, n’est pas une politique mais un outil au service d’une politique d’aménagement, de programmation et de planification, véritable armature territoriale qui s’appuie sur l’approche paysagère des espaces ouverts. Cet outil offre la possibilité d’une conception et d’une gestion coordonnée de l’aménagement d’un espace. (…)

En France, la démarche de «corridor écologique» ou «trame verte et bleue» mériterait donc d’être développée et étendue à une véritable approche multifonctionnelle du paysage. Il s'agirait donc, tout en préservant la biodiversité, de limiter l’espace «artificialisé» dans une perspective de développement durable, de prendre en compte des effets du changement climatique (notamment les risques naturels induits) et des aspirations des citoyens à une amélioration de leur cadre de vie, rural et urbain et de leur vie quotidienne. Le récent rapport commandé par la DGALN à l’Association des paysagistes-conseils de l’état (APCE) préconise le recrutement d’équipes pluridisciplinaires pour élaborer ou réviser ces trames à l’échelon régional ou local. Il ne va pas toutefois jusqu’à affirmer la multifonctionnalité de ces espaces ou le lien ville-campagne qu’ils peuvent représenter, comme c’est aujourd’hui le cas dans les expériences d’outre-Manche ou comme le suggère la Commission européenne.

Il faut donc utiliser l’approche paysagère pour aller plus loin.

Recommandation [à la DGALN] : élargir la Trame verte et bleue au-delà de la biodiversité à une approche territoriale multifonctionnelle structurant le paysage rural et urbain."

La rivière et sa plaine alluviale demain : renaturation ou interrelation ? 
Au-delà des observations du CGEDD sur l'excès de compartimentation et spécialisation de l'action publique, l'évolution souhaitée ne sera possible qu'au prix d'une réflexion pluridisciplinaire sur les rapports entre paysage et biodiversité, notamment pour la Trame bleue.

On sait qu'une partie de la  politique de biodiversité en France est séduite par le paradigme de la "renaturation", dont l'idéal implicite est une suppression des impacts humains sur les bassins versants, notamment morphologiques, avec une non-intervention ou intervention minimale sur le lit mineur et la plaine alluviale. On sait aussi que la forme lotique est vue par certains comme la forme "normale" et désirable d'eau courante, toute exception lentique (lac, retenue, plan d'eau, étang) devenant anomalie du continuum. Cette vision subjective est possible, mais sa logique conduit à opposer la nature à la culture, le sauvage au maîtrisé, pour préférer le premier terme. Et pourtant, si l'on prend l'exemple du Morvan, les centaines d'étangs, plans d'eau et lacs apparus au cours des derniers siècles du fait de l'action humaine ne font-ils pas partie désormais de l'identité paysagère régionale, d'ailleurs souvent valorisés par les acteurs du territoire quand il s'agit de le faire connaître? Et ces zones n'hébergent-elles pas une biodiversité nouvelle et riche, outre parfois celle endémique à la région?

Si l'on veut que biodiversité et paysage dialoguent dans la perspective d'aménagement des vallées, il faudra donc prendre en compte les relations dynamiques des actions humaines et naturelles, comme l'écrivit le Conseil de l'Europe en 2000, c'est-à-dire accepter également des formes données par l'homme à la rivière et à son lit majeur. Ainsi que le caractère évolutif, et non statique, de la biodiversité.

Référence : CGEDD, JL Cabrit, MC Soulié, PJ Thibault (2017), Démarches paysagères en Europe. éléments de parangonnage pour les politiques publiques françaises, Rapport n° 010731-01, 174 p.

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14/02/2018

Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques

Nous avons montré qu'entre 2007 et 2017, l'Onema employait davantage le mot continuité que les mots pollution, changement climatique ou espèce exotique sur l'ensemble du contenu de son site internet. Mais après tout, ces répartitions de fréquence pourraient-elles être le reflet des contenus de la littérature scientifique sur la même période? Il semble que non : en lien au thème de la rivière, la science parle 3 fois plus du changement climatique mais 8 fois moins de la continuité. Cette dernière semble décidément avoir été une marotte de l'Office. Au détriment d'autres interrogations plus contemporaines? 

En réaction à notre article sur les thèmes traités par l'Onema, un lecteur a fait en commentaire une hypothèse intéressante : le poids relatif des mots clé que nous avions comparés (continuité, pollution, changement climatique, espèce exotique) pourrait être le reflet des interrogations les plus en pointe de la communauté scientifique, et non pas particulièrement des problèmes ou programmations des rivières. Donc pendant ses 11 ans d'existence, l'Onema parlerait davantage sur son site des sujets les plus traités par les chercheurs. Ce qui serait conforme à son rôle de conseil scientifique et technique des politiques publiques.

Pour trouver une première confirmation ou infirmation de cette hypothèse, nous avons fait une recherche rapide sur Google Scholar, en article entier, avec les 4 thèmes filtrés par une association au mot "river", sur la même période 2007-2017.

La requête donne 853 K résultats pour le changement climatique, 338 K pour la pollution, 67 K pour la continuité et 20 K pour les espèces exotiques.

Pour comparer le poids relatif de chacun de ces items dans l'ensemble comparé, ils ont été renormalisés sur total 100 dans le graphique ci-dessous.


L'hypothèse de notre lecteur n'est pas confirmée.

  • En association aux rivières, le changement climatique revient beaucoup plus souvent (3 fois plus) dans la littérature scientifique que chez l'Onema. C'est le 1er mot dans les publications indexées sur Scholar, le 3e seulement chez l'Onema. 
  • La pollution, 2e place dans les deux corpus, est à peu près similaire. 
  • La continuité confirme son anomalie forte dans le contenu de communication de l'Onema : le mot y est en tête, et surtout 8 fois plus présent que dans les publications peer-reviewed, où sa place reste modeste (12 fois moins important que le climat, 5 fois moins que la pollution). 
  • Enfin, l'Onema évoque davantage les espèces exotiques (5 fois plus) que la littérature scientifique sur les rivières. 
Une recherche plus détaillée sur les abstracts et dans les bases scientifiques Thomson-Reuters, avec des champs sémantiques plus complets, pourrait faire évoluer cette première approximation. Cela excède notre mission associative : nous espérons que des chercheurs en sciences sociales auront l'occasion de mener plus avant ce type d'interrogation sur la construction, la formulation et la diffusion de savoirs publics dans le domaine de l'eau en France.  

13/02/2018

Un "ouvrage irrégulier" ? Nouvelle tentative de contournement de la loi par les DDT-M

Depuis quelques semaines, certaines DDT(-M) tentent de mettre en avant la notion d'un "ouvrage irrégulier" pour refuser le délai de 5 ans dans la mise en oeuvre de la continuité écologique au titre du L 214-17 CE ou pour refuser l'exemption de continuité au titre du L 214-18-1 CE. Explications et arguments pour se défendre.


La mauvaise gouvernance de la réforme de continuité écologique et les rapports déplorables des services de l’Etat (DDT-M, AFB) avec les propriétaires de moulin et les exploitants en petite hydro-électricité ont déjà été reconnus par deux rapports d’audit administratif du CGEDD 2012 et 2016.

Des réformes étaient souhaitées par le CGEDD :  elles n’ont pas été engagées par l’administration.

Les parlementaires, informés de ces réalités et inquiets de leur dérive, ont déjà modifié à quatre reprises le régime de la continuité écologique entre 2015 et 2017 (loi patrimoine, loi biodiversité, loi montagne, loi autoconsommation). Ils ont pris soin de préciser lors des débats qu’il fallait cesser l’acharnement à détruire le patrimoine ou à exiger des dépenses exorbitantes à des particuliers, ce qui n’avait jamais été le texte et l’esprit de la loi sur l’eau de 2006.

Hélas, une partie de l'administration persiste aujourd'hui dans cette attitude négative. La croisade insensée d'incitation à la destruction du patrimoine par la menace réglementaire et le chantage financier n'a toujours pas cessé. Le découragement de la relance hydro-électrique des moulins s'est même accentué, en contradiction flagrante avec la politique de transition énergétique.

Ainsi, pour refuser le délai de 5 ans supplémentaires prévu par le réforme du L 214-17 CE ou pour refuser la dérogation du L 214-18-1 CE pour les moulins équipés pour produire de l'électricité, les DDT-M tentent une interprétation de la notion d'ouvrage "régulièrement autorisé", mentionnée dans ces textes.

Dans un premier cas qui nous a été soumis, la DDT mettait en avant un rapport selon lequel le moulin avait été modifié dans les années 1960 et ne possédait plus (selon la DDT) un élément nécessaire à l'usage de la puissance de l'eau. Le propriétaire n'était pas d'accord. Quoiqu'il en soit, un simple rapport n'a pas de valeur opposable, c'est un élément de procédure contradictoire. Si la DDT considère que le droit d'eau est caduc, elle prend un arrêté préfectoral pour en déclarer l'abrogation. Cet arrêté peut alors être attaqué devant le tribunal administratif, et c'est seulement si le contentieux est perdu par le propriétaire que l'arrêté prend effet et que la remise en état de la rivière est exigible. Mais tant que cela n'est pas fait, une DDT-M n'est pas fondée en droit à prétendre que l'ouvrage est "irrégulier" au plan réglementaire ou légal. C'est un excès de pouvoir.

Dans le second cas qui nous a été soumis, la DDT-M mettait en avant le fait que la rivière avait été classée cours d'eau poissons migrateurs par décret au titre de l'ancien article L 432-6 CE (l'ancêtre du L 214-17 CE, déjà imposé par le lobby pêche en 1984, déjà inappliquable donc déjà inappliqué). Pour cette DDT-M, l'ouvrage n'ayant pas réalisé de passe à poissons dans le délai imparti par l'ancien article L 432-6 CE, il serait aujourd'hui irrégulier. Est cité un arrêt de la cour d'appel de Nancy (n°15NC00542). A notre connaissance, cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, pas encore instruit.

Cet argument n'est pas plus recevable : l'article L 432-6 du code de l'environnement est abrogé et a cessé de produire effet, la continuité écologique est exigible au titre du L 214-17 CE depuis le classement des rivières en L1 ou L2 (2012 ou 2013). Il en résulte que l'administration doit respecter les obligations que lui a assignées la loi de 2006 et les réformes subséquentes du L 214-17 CE:
Si l'administration n'a pas rempli ces obligations à la première échéance de 5 ans après le classement (soit avant 2017 ou 2018 selon les bassins), elle est en tort.

Telle est la position que nous défendons, et défendrons devant les tribunaux si les désaccords persistent sur la continuité écologique. Nous rappelons que les propriétaires et les riverains profitant de leurs biefs ou retenues ont tout intérêt à :
  • rejoindre une association ou à se constituer en collectif sur chaque rivière,
  • se coordonner pour défendre une position claire et solidaire,
  • saisir les députés et sénateurs de leurs problèmes en demandant systématiquement aux parlementaires d'interpeller le ministre de l'écologie sur la dérive de son administration,
  • saisir les médias pour informer l'opinion des pratiques de destruction du patrimoine hydraulique, de son paysage et de sa biodiversité sur argent du contribuable. 
Quand l'administration française proposera une version intelligente et ouverte de la continuité écologique, les moulins auront vocation à s'y intégrer. Tant qu'elle se fera le chantre d'une vision intégriste de la renaturation non prévue dans la loi, elle perdra sa légitimité et ne produira que de la conflictualité.

12/02/2018

Barrages et invertébrés, pas de liens clairs dans les rivières des Etats-Unis (Hill et al 2017)

Comprendre et cartographier la variation spatiale de la condition biologique des cours d'eau est aujourd'hui un enjeu important pour l'évaluation, la conservation et la restauration des écosystèmes fluviaux. Compte-tenu des coûts importants de ces politiques, le gestionnaire public ne peut prendre des décisions sur la base de données imprécises et de compréhension inadéquate des impacts sur le vivant. Une équipe de chercheurs américains vient de produire un premier modèle prédictif de l'état écologique de l'ensemble des masses d'eau des Etats-Unis (états contigus), pour l'instant limité à l'indice invertébrés (MMI). De manière intéressante, les facteurs naturels restent les premiers prédicteurs de variation et, au sein des facteurs anthropiques, les barrages ne montrent pas de signal clair, avec des effets tantôt positifs et tantôt négatifs dans 4 régions sur 9, pas de signal clair ailleurs. L'agriculture et l'urbanisation restent pour leur part de forts prédicteurs (négatifs) de la qualité des masses d'eau, ainsi que les pressions du bassin versant et non du seul tronçon. Un clou supplémentaire, après tant d'autres, dans le couvercle du cercueil de la "continuité en long comme facteur décisif pour la qualité écologique des rivières", une hypothèse non démontrée que l'administration française et les officines halieutiques présentent indûment comme des certitudes.


Aux Etats-Unis, l'évaluation nationale des rivières et des cours d'eau 2008-2009 (National Rivers and Streams Assessment) a défini les linéaires de cours d'eau dans les États américains limitrophes qui se trouvent dans un état biologique bon, passable ou médiocre sur la base d'un indice multimétrique des assemblages d'invertébrés benthiques (MMI). Mais ces mesures ne fournissent pas un aperçu efficaces de la distribution spatiale des mêmes conditions dans les endroits non échantillonnés.

Pour pallier au défaut de mesures de terrain, Ryan A. Hill et collègues ont utilisé la technique d'apprentissage  des forêts d'arbres de décision (ou forêts aléatoires, random forest)  pour modéliser et prédire l'état probable de plusieurs millions de kilomètres de cours d'eau à travers les États-Unis contigus. Ce modèle a intégré les caractéristiques du bassin versant et des variations amont-aval, y compris les modifications anthropiques. À l'échelle nationale, leur modèle a correctement prédit la classe de condition biologique de 75% des sites NRSA.

Nous attacherons seulement ici à détailler les prédicteurs de ce modèle, reposant sur les corrélations assez robustes entre les données d'entrée et l'état biologique tel que mesuré par les invertébrés.

Parmi les dix prédicteurs les plus importants des neuf régions, 19 étaient des prédicteurs locaux et les 71 autres étaient des prédicteurs au niveau des bassins versants; cela souligne l'importance de comprendre le contexte global des bassins hydrographiques.

Les facteurs naturels représentaient plus de la moitié des prédicteurs les mieux classés. Dans de nombreuses régions, la superficie des bassins hydrographiques, les débits et l'indice d'humidité topographique figuraient parmi les facteurs naturels les plus importants. En général, les zones à grands bassins avaient une relation positive avec les probabilités de bon état. Les mesures liées au climat figuraient également parmi les paramètres naturels les plus importants dans tous les modèles. La température de l'air figure parmi les dix prédicteurs les plus importants dans six des neuf modèles régionaux (températures plus chaudes et déficits de précipitations ont abaissé la probabilité de bon état écologique dans la plupart des bassins).

Concernant les impacts anthropiques, les auteurs observent :

"L'urbanisation et l'agriculture étaient les indicateurs anthropiques les plus courants dans tous les modèles. Dans tous les cas, la relation entre ces mesures et la probabilité de bon état était négative (annexe S3), en cohérence avec d'autres études de ce type (par exemple, Carlisle et al 2009, Falcone et al 2010). L'urbanisation était importante pour tous les modèles et ces mesures d'urbanisation comprenaient divers paramètres (par exemple % du bassin hydrographique comprenant l'utilisation des terres urbaines, l'unité de logement ou la densité de population, le nombre de traversées de route pondérées par la pente du tronçon). De plus, une métrique composite de perturbation (soit l'agriculture et l'urbanisation dans le bassin versant ou dans la zone tampon riveraine) se classait parmi les dix prédicteurs les plus importants dans quatre des neuf modèles régionaux.

Diverses mesures de l'endiguement des rivières (c'est-à-dire la densité et le volume des barrages) étaient importantes dans quatre régions, mais la direction de la relation avec la condition biologique dépendait de la région. Les retenues d'eau étaient négativement associées à la probabilité de bon état dans les régions du nord des Appalaches et des zones xériques, mais positivement corrélées dans les régions des Plaines du Nord et des Plaines tempérées (annexe S3). Les régions du nord des Appalaches  et des zones xériques sont des régions montagneuses et les types, tailles et par conséquent impacts des barrages diffèrent probablement de ceux trouvés dans les plaines et peuvent expliquer les différences de réponses entre ces régions."

Discussion
Grâce aux progrès des outils numériques et à l'accumulation des données, la modélisation des réseaux hydrographiques à différentes échelles spatiales devient un outil indispensable du gestionnaire public en charge de l'environnement. Elle ne peut évidemment décrire les rivières avec un niveau fin de granularité (échelle du site, de la station, du micro-habitat), mais elle permet en revanche de nourrir la réflexion sur les zones d'action prioritaire selon les finalités que se donnent les décideurs. Cette modélisation permet aussi, et surtout, de pondérer l'importance relative des différents facteurs naturels et anthropiques à l'oeuvre dans les variations biologiques observables.

Le processus est encore embryonnaire en France et, comme tout modèle sensible à la qualité de ses données d'entrée, la robustesse de l'exercice va dépendre de la précision des descripteurs : connaître et mesurer les impacts comme les variables biologiques sur un nombre suffisant de sites pour un bon apprentissage du modèle. Le retard pris sur l'acquisition de données et la construction de modèles est dommageable, et l'argent public de l'eau serait utilement consacré à financer des équipes de recherche dédiées à ces tâches au lieu d'être dilapidé dans divers travaux à l'utilité et à la cohérence souvent douteuses.

Par ailleurs, le travail de Ryan Hill et de ses collègues sur la base des invertébrés confirme ce qui est déjà observé dans de nombreuses études récentes (voir cette synthèse) : le poids des barrages et des discontinuités en long est assez faible dans la variance biologique, et peu prédicteur à lui seul de l'état des masses d'eau. Sur les invertébrés et sur les ouvrages de petites dimensions, la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015 n'avait déjà pas trouvé de signal clair. Ce signal était plus prononcé en France avec l'indicateur I2M2 chez Van Looy 2014, mais restait inférieur aux autres impacts chez Villeneuve 2015  (nous reviendrons sur une étude française récente à ce sujet).

L'affirmation française  selon laquelle la continuité écologique longitudinale serait un enjeu de premier plan pour améliorer l'écologie des rivières ou pour atteindre le bon état écologique DCE reste donc à ce jour une hypothèse non démontrée, que l'on trouve davantage dans la littérature administrative visant à justifier des choix politiques ou dans la littérature halieutique sur le cas particulier des poissons migrateurs que dans les résultats chiffrés de la littérature scientifique en hydro-écologie quantitative. Tant que ce point n'est pas clarifié par une expertise scientifique collective et multidisciplinaire, il sera difficile d'asseoir cette politique de continuité sur une base légitime.

Référence : Hill RA et al (2018), Predictive mapping of the biotic condition of conterminous U.S. rivers and streams, Ecological Applications, 8, 2397–2415

Illustration : barrage EDF de La Palisse, sur la Loire (07).

10/02/2018

L'Onema à travers ses mots: comment l'Office a surexprimé les enjeux poisson et continuité dans sa communication

Poissons et amphibiens endémiques de France vivent dans les milieux aquatiques et humides, ont un nombre similaire d'espèces (69 et 35) et une proportion identique d'espèces menacées selon l'IUCN (23% et 22%). Nous montrons ici que sur le site internet qui rassemble 11 ans de sa communication (2007-2017), l'Onema a mentionné 90 fois plus les poissons que les amphibiens. Ce n'est pas un biais tenant à ces deux mots puisque des espèces de poissons non menacées en France, comme la truite ou le chabot, sont également beaucoup plus citées par l'Office que les grenouilles, les tritons ou les salamandres. De même, la mention de la continuité dépasse largement celle de la pollution, du réchauffement climatique ou des espèces exotiques. Cette observation s'ajoute à bien d'autres pour montrer le biais manifeste de l'Onema en faveur des questions piscicoles et halieutiques, alors que la mission confiée par le gouvernement concernait tous les écosystèmes aquatiques. L'AFB (agence française pour la biodiversité) va-t-elle continuer cette approche manifestement déséquilibrée du vivant aquatique? Va-t-on enfin s'intéresser sans préjugé en France à la biodiversité observable des masses d'eau naturelles et artificielles comme des zones humides, au lieu de consacrer un temps et un argent disproportionnés à certaines espèces qui profitent à certains usages? 



L'office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a été créé par la loi sur l'eau de 2006 et a pris existence en 2007. Il remplaçait le conseil supérieur de la pêche. Il a été fusionné au 1er janvier 2018 au sein de l'agence française pour la biodiversité (AFB).

Pendant ses 11 années d'existence, l'Onema a communiqué vers ses publics sur le site onema.fr, qui est encore ouvert.

Une mission de connaissance de tous les écosystèmes aquatiques
Les fonctions de l'Onema étaient précisées par l'ancien article R. 213-12-2 du code de l’environnement, dont ce premier alinéa :
"Au titre de la connaissance, de la protection et de la surveillance de l’eau et des milieux aquatiques, l’office mène en particulier des programmes de recherche et d’études consacrés à la structure et au fonctionnement des écosystèmes aquatiques, à l’évaluation des impacts des activités humaines, à la restauration des milieux aquatiques et à l’efficacité du service public de l’eau et de l’assainissement."
L'Onema a-t-il rempli sa fonction de connaissance et information sur tous les écosystèmes aquatiques? A-t-il souffert, comme certains le suggèrent (dont notre association), d'un biais vers son ancienne spécialisation de pêche, donc vers l'approche halieutique des cours d'eau?

Nous avons fait un test lexical en comparant l'intérêt de l'Onema pour certains thèmes à travers quelques mentions de mots. Cette approche est purement quantitative, mais la répartition des mots reflète raisonnablement les préoccupations du locuteur.

Nous nous sommes intéressés au site onema.fr par le biais de la fonction de recherche de mot Google en filtrage par url. Cette fonction ne garantit pas de trouver l'intégralité des mentions (il peut y avoir des variations de l'ordre de 5% en test re-test), mais les algorithmes de fouille Google étant identiques sur un nom de domaine, les statistiques qui en résultent donne une approximation correcte sur le volume d'ensemble. (Une autre approche de contrôle, fondée sur l'analyse des pdf de 3 séries de médias Onema sur la période 2007-2016 par le linguisticiel Tropes®, produit des statistiques comparables en ordre de grandeur. Des résultats plus détaillés seront publiés).

Les poissons intéressent beaucoup l'Onema, les amphibiens nettement moins
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Museum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole et 69 espèces de poissons (ou agnathes) endémiques. Huit espèces d'amphibiens sont menacées (soit 23%), quinze espèces de poissons sont dans ce cas (soit 22%). Ces deux groupes d'espèces sont donc de même ordre de grandeur en nombre, et très similaire en niveau de menace.


L'item "poisson" donne 2060 résultats en recherche sur le site onema.fr. L'item "amphibien" donne 23 résultats.

Nous avons donc 90 fois plus de mentions des poissons que des amphibiens. La mention de ces derniers est marginale vu le volume du site.

Truite ou chabot, non menacés mais très mentionnés
Mais nous pourrions imaginer que cette recherche simple est biaisée, car il y a aussi des nomenclatures techniques comme le bio-indicateur "indice poisson rivière" (IPR) ou des dispositifs comme la "passe à poissons", faisant ressortir en excès le mot "poisson". (En soi cependant, le choix de cet indicateur ou de ce dispositif peut lui aussi être considéré comme faisant partie de l'haliocentrisme actuel de la gestion écologique de rivière.)

Pour en avoir le coeur net, nous avons fait une recherche sur la truite et le chabot, deux espèces non menacées et non objets de plans nationaux ou européens spécifiques (contrairement au saumon ou à l'anguille, par exemple).


L'item "truite" donne 463 résultats sur le site onema.fr. L'item "chabot" donne 146 résultats. En comparaison, les mentions de grenouille ont 50 résultats, de triton 21, de crapaud 19, de salamandre 8.

La continuité fut plus intéressante que la pollution ou le réchauffement…
Du point de vue des impacts et des enjeux, nous nous sommes demandés comment se plaçait la continuité par rapport à la pollution, au changement climatique et aux espèces exotiques dans les 11 années de communication de l'Onema.


L'item "continuité" donne 1730 résultats.  L'item "pollution" donne 1340 résultats. L'item "changement climatique" donne 816 résultats. L'item "espèces exotiques" donne 377 résultats

La continuité n'est pourtant qu'un aspect de la morphologie des cours d'eau, elle-même n'étant qu'un compartiment des impacts possibles. Mais pendant 11 ans, cette continuité a davantage intéressé la communication de l'Onema vers ses publics que la pollution, le climat ou les invasives.

Conclusion : des biais réels, et peu acceptables
Le biais piscicole et halieutique de l'Onema n'est donc pas un mythe, mais une réalité observable dans la lexicométrie de sa communication. L'office avait une approche sélective des écosystèmes aquatiques et de leur biodiversité, donnant un large prépondérance aux poissons, même à des espèces non menacées.

A l"heure où les personnels de l'Onema travaillent dans le cadre de l'Agence française pour la biodiversité, il faut souhaiter que ces biais disparaissent, tant dans la connaissance que dans la surveillance et la gestion des milieux. Nous avons par exemple saisi l'AFB pour une destruction d'étang et zones humides (qui menace certainement davantage les amphibiens ou les oiseaux que les truites) : ce sera l'occasion de vérifier si ses agents s'intéressent désormais à toute la biodiversité, dont celle des systèmes lentiques. Ou s'ils continuent de donner carte blanche aux pêcheurs pour augmenter la biomasse des seules espèces qui les intéressent.

Illustration : (haut) crapaud sonneur à ventre jaune, espèce menacée en France. Sandra Velitchko, CC-ASA-4.0

A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes

Voir sur ce même thème
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés à la littérature scientifique

09/02/2018

Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)

Deux chercheurs australiens ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles, en milieu rural comme urbain. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes issus de l'action humaine ne les empêche pas d'héberger de la biodiversité, en particulier de servir parfois de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. Cette ré-orientation est nécessaire en France, où la politique publique reste presque entièrement guidée par un idéal de "renaturation" aux coûts importants pour des résultats incertains. Quand cette politique détruit des milieux aquatiques et humides d'intérêt pour le vivant, elle devient franchement contre-productive. 



E.T. Chester et B.J. Robson (université de Murdoch, Australie) ont passé en revue la littérature scientifique décrivant le potentiel des masses d'eau douce anthropiques à agir comme des refuges pour le vivant face à des perturbations, notamment les changements hydroclimatiques.

Les auteurs observent que les études des masses d'eau artificielles se sont longtemps concentrées sur leur rôle négatif, notamment l'expansion d'espèces invasives ou l'homogénéisation de la faune. Mais récemment, observent-ils, "il y a davantage d'études qui analyses la biodiversité dans les masses d'eau anthropiques et les facteurs qui soutiennent la biodiversité en leur sein. (…) Les études se sont concentrées sur les oiseaux, les amphibiens, les poissons, les macro-invertébrés et les macrophytes aquatiques, avec peu d'études sur le plancton, bien que le zooplancton ait attiré l'attention".

Ils ajoutent : "Certains écosystèmes anthropiques sont reconnus dans la littérature comme refuges pour les espèces indigènes, mais d'autres pourraient potentiellement devenir des refuges avec des modifications dans leur gestion, malgré leur petite taille (Davies et al 2008a, Lundholm et Richardson 2010). Comme le concept de refuges face aux perturbations est relativement récent, cette revue se concentre nécessairement sur la littérature récente (c'est-à-dire l''ère électronique'). Cependant, il est important de noter que de nombreuses études sur les écosystèmes artificiels ont été publiées à l'ère pré-électronique, incluant des évaluations de la biodiversité et des impacts environnementaux, de sorte que les connaissances sur les écosystèmes artificiels sont plus vastes que celles citées ici dans Baxter 1977, Paul et Meyer 2001, Herzon et Helenius 2008 et Gopal 2013)".

Les chercheurs ont identifié 15 types de masses d'eau artificielles dans leur passage en revue de la littérature des années 2000 et 2010 : canalisations et canaux d'irrigation, fossés de drainage ruraux et urbains, canaux de navigation, bassins de rétention des eaux pluviales, zones humides agricoles et étangs, barrages de réserve incendie, mares et étangs urbains, lacs de golf, bassins industriels désaffectés, rizières, réservoirs de grande dimension, bassins de gravières et de carrières, mares de bordure routière, bassins d'abreuvement, parois et bords de rivière et lac artificiels.

Après avoir observé que les masse d'eau artificielles, courantes ou (plus souvent) stagnantes, hébergent elles aussi de la biodiversité (y compris des espèces endémiques de leurs régions), Chester et Robson énumèrent quelques attributs favorables.

Au niveau du site :
  • berges végétalisées et peu abruptes
  • végétation aquatique (submergée ou flottante)
  • absence de poissons
  • hydropériode (durée de l'eau présente en permanence)
  • sols en sédiment naturel plutôt que sol artificiel
Au niveau du contexte :
  • proximité d'autres masses d'eau
  • connectivité à d'autres masses d'eau
  • proximité de zones terrestres arborées
La superficie ou l'âge ne sont pas forcément des prédicteurs de biodiversité. Les refuges sont d'autant plus efficaces que les zones avoisinantes sont altérées. La qualité chimique de l'eau n'est cependant pas une variable toujours déterminante.

Enfin, les chercheurs énumèrent des points-clé en action de gestion et en question de recherche :

"Beaucoup de masses d'eau artificielles peuvent héberger des espèces particulières parce qu'elles n'ont pas un régime naturel, ou qu'elles varient de quelque manière des conditions naturelles. Par conséquent, l'utilisation d'actions de restauration traditionnelles doit être soigneusement examinée par les gestionnaires avant la mise en œuvre.

Il faudrait envisager d'améliorer la connectivité entre les refuges anthropiques et les plans d'eau environnants et les paysages terrestres

Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau.

L'hydropériode  est plus facile à contrôler dans de nombreuses masses d'eau artificielles que dans les masses d'eau naturelles. L'hydropériode peut donc être gérée au profit d'espèces particulières ou de groupes d'espèces.

Il convient de prêter attention aux menaces potentielles pour les refuges anthropiques tels que le dragage, le busage, le drainage et l'utilisation de pesticides".

Discussion
La papier de Chester et Robson témoigne de l'évolution des approches écologiques depuis les années 2000. Longtemps, l'écologie a été centrée sur l'étude des systèmes naturels non ou peu perturbés par l'homme, dans la perspective de leur conservation. Mais on s'est progressivement aperçu que l'influence anthropique est bien plus ancienne qu'on ne le pensait initialement, des régions "vierges" ou "sauvages" portant en réalité la marque de plusieurs occupations humaines au fil de l'histoire. Le caractère désormais massif de cette influence (changement des cycles carbone, azote, eau, réchauffement climatique, explosion mondiale des espèces exotiques, etc.) a conduit à désigner notre époque comme l'Anthropocène, c'est-à-dire l'âge géologique où l'homme devient la première force de transformation de la nature, avec des effets à long terme non réversibles.

Par ailleurs, la distinction entre le naturel et l'artificiel perd son intérêt à mesure que l'écologie s'intéresse aux capacités évolutives et fonctionnelles des milieux : si une masse d'eau en place présente des propriétés d'intérêt pour le vivant, qu'elle ait été créée ou modifiée par l'homme ne fait pas spécialement disparaître ces propriétés.

On ne peut donc qu'espérer une généralisation de travaux d'étude des masses d'eau artificielles en France, en commençant déjà par leur diagnostic qui est à peu près inexistant (voir notre rapport en ce sens). Dans notre pays, la politique publique de l'eau est surtout inspirée  par l'écologie dite de restauration ou de renaturation, consistant à essayer de revenir à un état antérieur des masses d'eau. Si cet angle peut être d'intérêt, à évaluer au cas par cas, il répond néanmoins à un paradigme ancien et désormais débattu de l'écologie (la nature pré-humaine comme référence à retrouver, voir Alexandre et al 2017 sur le fixisme en écologie). Ce choix produit aussi un certain nombre de déceptions dans les résultats observés et rate beaucoup d'options à moindre coût qui pourraient être bénéfiques à la biodiversité locale.

Référence : Chester ET, Robson BJ (2013), Anthropogenic refuges for freshwater biodiversity: Their ecological characteristics and management, Biological Conservation, 166, 64–75

Illustration : une zone humide au pied d'un déversoir sur la Seine, à Chamesson (21). Ce milieu est manifestement d'intérêt, mais sa composition faunistique et floristique n'est pas étudiée aujourd'hui, alors que le gestionnaire incite à faire disparaître l'hydrosystème au profit d'une "renaturation" optimisée pour les truites et espèces rhéophiles du lit mineur. Nous demandons aujourd'hui que l'Agence française pour la biodiversité remplisse son rôle, c'est-à-dire étudie les milieux aquatiques et humides sans préjugé sur leur origine artificielle et sans réductionnisme en faveur des seuls enjeux piscicoles à connotation halieutique.

A lire sur le même thème :
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)


(Autre vue de l'hydrosystème en photo en haut.)

08/02/2018

L'agence française pour la biodiversité, auxiliaire des pêcheurs de truites de l'Ource?

Notre association fait régulièrement observer que l'AFB (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) développe sur les rivières une expertise très centrée sur l'halieutisme, avec une ignorance de la plupart des enjeux autres que piscicoles (en particulier que les salmonidés et espèces de milieux lotiques). On en trouve encore un exemple dans l'avis de l'AFB sur la destruction de 3 ouvrages hydrauliques de l'Ource, un chantier récemment autorisé par un arrêté préfectoral dont Hydrauxois requiert l'annulation. L'AFB s'y intéresse essentiellement aux truites et fait comme si la disparition de plus de 2000 m de biefs et annexes en eau ne représente pas un enjeu local digne d'un diagnostic écologique avant intervention. De quelle "biodiversité" parlent au juste ces fonctionnaires? Pourquoi le lien d'une agence publique avec les enjeux d'intérêt pour les seuls pêcheurs est-il toujours aussi manifeste?


Après avoir subi un vote négatif en comité syndical du syndicat mixte Sequana le 6 septembre 2017, le projet absurde de destruction de 3 ouvrages hydrauliques sur l'Ource a malgré tout été acté par l'arrêté préfectoral n°792 du 13 décembre 2017. Notre association a déposé un recours amiable en annulation de cet arrêté et, en cas de refus de la préfecture, portera cette requête en annulation devant le tribunal administratif.

A cette occasion, nous avons eu accès à l'avis de l'Agence française pour la biodiversité accompagnant ce projet. Cette pièce émanant d'une administration et concernant l'environnement, donc pouvant être accessible à tout citoyen, nous la rendons publique à ce lien.

Pour ceux qui l'ignorent encore, l'Agence française pour la biodiversité a intégré l'ancien Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même le successeur du Conseil supérieur de la pêche (CSP). L'AFB-Onema-CSP se caractérise par un traitement des questions écologiques en rivière centré sur les poissons des milieux lotiques, particulièrement des poissons qui se trouvent très appréciés de certains types de pêche (salmonidés). Ce qui est bien dommage, car la biodiversité aquatique dont cette agence est supposée être la garante est représentée dans 98% des cas par des espèces autres que les poissons (et dans 99,5% des cas par des poissons autre que spécialisés en eau courante). Si l'on ajoute la biodiversité rivulaire, le poisson est loin d'occuper la place centrale qu'il a aujourd'hui dans l'instruction des dossiers concernant les milieux aquatiques (voir ce rapport).

L'avis de l'AFB sur la destruction des ouvrages de l'Ource montre à nouveau ces biais :
  • appréciation de pure complaisance de la qualité du diagnostic ("le projet présenté s’appuie sur un état initial solide") alors qu'à peu près tout manque dans le dossier présenté par le syndicat Sequana (pas d'analyse des peuplements faune-flore de 2000 m de biefs et zones humides menacés, pas d'état initial correct des poissons avec mesure amont-retenue-aval et bief, absence de la moindre référence aux diverses mesures obligatoires de la directive cadre européenne sur l'eau, pas d'analyse chimique des sédiments, etc.), 
  • généralité sur les sédiments consistant à dire en termes savants et inutilement complexes que la rivière n'aura pas localement la même substrat avec ou sans ouvrage, sans qu'il soit précisé en quoi l'habitat lentique des retenues actuelles et leur fosse en aval de chute poseraient un problème pour le vivant (hors frayères à truite) et en quoi la fin des habitats aquatiques de biefs asséchés et de leurs annexes ne sera pas une perte plus impactante pour le vivant qu'un changement de faciès sur le lit mineur,
  • centrage de tout le document sur les poissons (en particulier les rhéophiles, et bien sûr les truites) sans aucune considération pour d'autres espèces,
  • même sur les poissons, aucune mise en contexte sur les peuplements du tronçon, aucune analyse des causes des densités observées (on cite des impacts de manière impressionniste, sans modèle explicatif), aucune projection de l'évolution de l'hydrosystème et de ses assemblages biologiques en changement climatique (alors les assecs de l'Ource sont signalés, sans que leur discontinuité hydrologique soit cartographiée et analysée), évocation d'un "potentiel piscicole" qui serait "fort" sans élément pour le démontrer (le rapport de la fédération de pêche cité en référence a utilisé des méthodologies datées et absentes de la littérature scientifique récente en écologie), le potentiel est "historiquement reconnu pour la truite fario", mais les ouvrages fondés en tire sont là depuis plusieurs siècles, donc il faut supposer qu'ils n'ont pas empêché "historiquement" la présence de ces truites, etc.
L'AFB suggère sans l'imposer (ni préciser les bonnes pratiques, voir Smith et al 2017 par exemple)  qu'un suivi biologique serait "intéressant" - car le syndicat envisage seulement un suivi morphologique. Vérifier qu'une zone de retenue change de morphologie quand elle devient une zone d'eau courante est sans grand intérêt (car trivial) si l'on ne mesure pas la diversité et la biomasse des espèces présentes avant et après, à des périodes comparables de l'année (dont les étiages). Car c'est bien pour le vivant que l'on est censé agir, pas pour une "diversité de faciès" répétée ad nauseam sans démonstration qu'il y aura gain de diversité alpha ou bêta sur les stations du tronçon. Mais une bonne analyse avant-après suppose plusieurs années de mesure avant travaux (pour analyser la variabilité saisonnière et annuelle du système visé par des travaux) : ce n'est pas fait ici, donc on agit aveuglément, sans se fonder sur des mesures mais seulement sur quelques principes génériques appuyés par de pauvres relevés de pêche.

On note par ailleurs une erreur de droit (qui n'est de toute façon pas la spécialité ni la mission de l'AFB, donc son intervention sur le sujet est étrange) : "Le projet présenté, avec un démantèlement des ouvrages transversaux, consiste en fait à une remise en état des lieux telle que définie par l’article L.214-3. De fait, l’opération projetée ne peut relever du régime de l’autorisation au sens de la rubrique liée aux ouvrages transversaux comme mentionné dans le dossier (p.8)." Or toute modification de plus de 100 mètres de profil de rivière impose une autorisation loi sur l'eau au titre du régime IOTA R 214-1 CE, que cette modification résulte du L 214-17 CE, du L 214-3 CE ou de tout autre article du code de l'environnement. L'AFB semble encore véhiculer la vue naïve selon laquelle un chantier dit de restauration écologique ne serait pas d'abord un chantier, donc une intervention en lit et berge susceptible de dégrader l'état actuel des milieux (ou de nuire aux droits des tiers, par ailleurs).

Comme celui déjà réalisé sur Tonnerre à l'époque de l'Onema (voir cet article), ce rapport sur l'Ource confirme donc que l'AFB cherche certainement à optimiser chaque mètre carré de rivière pour des espèces rhéophiles, mais ne travaille pas sérieusement sur la biodiversité aquatique en dehors de ce cadre étroit. C'est sans doute pour la même raison que l'Onema puis l'AFB n'ont jamais éprouvé la nécessité d'une estimation scientifique des impacts de la pêche sur les milieux, assortie de préconisations sur l'évolution des pratiques.

Ces biais halieutiques et excès de spécialisation piscicole / lotique de certaines instructions en écologie des rivières sont aujourd'hui anachroniques. Ils ont déjà été observés dans des travaux universitaires (par exemple Lespez et al 2015, Dufour et al 2017). L'agence française pour la biodiversité en tiendra-t-elle compte? Ou continuera-t-elle l'enfermement corporatiste qui a déjà caractérisé le CSP, puis l'Onema?

Illustration : bief d'un des ouvrages de Prusly-sur-Ource, milieu riche en vivant qui risque d'être asséché sur plusieurs milliers de mètres sans la moindre étude d'impact par le syndicat Sequana, la fédération de pêche ou l'AFB, alors que le commissaire enquêteur en a demandé le diagnostic. Mais tout ce qui contredit aujourd'hui le dogme de la continuité écologique "à la française" est écarté d'un revers de main : on rationalise les destructions d'ouvrages à la chaîne par des justifications répétitives, copiées-collées d'un site à l'autre, et d'une grande pauvreté de contenu.

07/02/2018

Des zones humides permanentes plus riches en diversité (Gleason et Rooney 2018)

À l'échelle mondiale, de nombreux écosystèmes aquatiques connaissent une dessiccation périodique qui impose un stress sur le vivant. Jennifer E. Gleason (Université de Guelph) Rebecca C. Rooney (Uuniversité de Wterloo) ont étudié la  région des cuvettes des prairies du Nord (PPPR) en Alberta (Canada), qui renferme d'abondantes zones humides sous forme de mares se remplissant lors de la fonte des neiges printanière, avant baisser de niveau en été. On peut leur assigner une classe de permanence selon la durée de présence de l'eau. Résultat : les zones humides permanentes sont plus riches en invertébrés, et les zones humides temporaires n'abritent pas de faune spécifique. De telles études seraient utiles à mener en France, afin d'éclairer la politique de restauration ou conservation de zones humides.  



Les zones humides dynamiques, à hydropériode variable, abritent des communautés diverses macro-invertébrés. La question posée par les chercheurs est de savoir si la permanence des mares transforment les communautés de macro-invertébrés. Outre la composition taxonomique, ils ont caractérisé ces communautés par groupes fonctionnels afin de tester les associations entre la dessiccation des étangs, les typs alimentataires ou les guildes comportementales.

Les macroinvertébrés aquatiques ont été échantillonnés sur 87 milieux humides de la RPPN qui couvraient une gamme de classes de permanence des étangs, soit 600 prélèvements, 62 taxons plus plus de 2,25 millions d'individus. L'abondance moyenne par site était de 22,31 (± 7,61) taxons, et de 6776,19 (± 5617,31) individus au mètre carré. la profondeur moyenne des mares était de 0,51 ± 0.23 m. Des analyses multivariées ont visé à identifier les différences dans la composition et les groupes fonctionnels selon les classes de permanence.

Principaux résultats :

  • la composition de la communauté de macro-invertébrés est statistiquement distincte selon les classes de permanence des étangs, les zones humides les plus extrêmes en caractère temporaire ou permanent différant le plus,
  • les macro-invertébrés dans les zones humides temporaires ne sont pas des taxons uniques spécialement adaptés, mais un sous-ensemble de la communauté que l'on trouve dans les zones humides plus permanentes,
  • la plupart des taxons sont plus abondants dans les zones humides plus permanentes. Seuls deux groupes taxonomiques (Culicidae et Anostraca) sur 62 sont plus abondants dans les milieux humides temporaires.
  • étonnamment, la qualité de l'eau (conductivité, turbidité, cations dominants, phosphore, azote et carbone), n'est pas fortement associée aux principaux gradients de composition des communautés.

Nous ne connaissons pas d'étude en France de la biodiversité des zones humides selon le niveau de permanence en eau de leurs milieux (on trouve en revanche des travaux sur les rivières intermittentes). Il serait intéressant de mener ces analyses dans diverses hydro-écorégions. A l'heure où la préservation et la restauration de ces zones humides forment une politique publique, le gestionnaire gagne à faire les meilleurs choix pour optimiser la biodiversité, finalité de ces programmes.

Référence : Gleason JE et RC Rooney (2018), Pond permanence is a key determinant of aquatic macroinvertebrate community structure in wetlands, Freshwater Biology, 63, 3, 264–277

Illustration : une petite zone humide intermittente se formant en pied de bief d'un moulin du Morvan.

05/02/2018

Droit de pêche, propriété et riveraineté: un point sur les lois et règlements

En cours d'eau domanial et non domanial, la pêche de loisir en eau douce ne répond pas aux mêmes règles d'exercice. Nous proposons ici une première présentation synthétique des textes régissant le droit de pêche. Tout pêcheur doit avoir un permis de pêche, quelque soit la rivière et le régime de propriété. En cours d'eau domanial, l'Etat ou la collectivité détient le droit de pêche (sauf dans les cas de droit fondé en titre), le riverain doit respecter une servitude de passage pour les pêcheurs. En cours d'eau non domanial, les riverains sont les propriétaires du droit de pêche (découlant de la propriété des berges et du lit). Les associations de pêche ne peuvent alors proposer à leurs adhérents que les linéaires où elles détiennent des droits de pêche (soit par propriété des fonds, soit par accord avec leurs propriétaires). Voici les principaux textes de loi, leurs liens vers les codes et quelques commentaires.


Article L435-1 code de l'environnement
I. - Le droit de pêche appartient à l'Etat et est exercé à son profit :
1° Dans le domaine public de l'Etat défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d'un droit fondé sur titre ;
2° Dans les parties non salées des cours d'eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l'inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret.
II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'exploitation par adjudication, amodiation amiable ou licence, du droit de pêche de l'Etat, et les modalités de gestion des ressources piscicoles du domaine et des cours d'eau et canaux mentionnés aux 1° et 2° du I. Il fixe, en particulier, la liste des fonctionnaires, des agents et des membres de leur famille qui ne peuvent prendre part directement ou indirectement à la location de ce droit de pêche.
Article L435-3-1 code de l'environnement
Dans le domaine public fluvial d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales, le droit de pêche appartient à cette collectivité territoriale ou à ce groupement.
Article L2131-2 code général de la propriété des personnes publiques 
Tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d'un droit réel, riverain d'un cours d'eau ou d'un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l'usage du gestionnaire de ce cours d'eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons.
Sauf exception, l'accès aux rives et la pêche sont libres (moyennant le paiement d'une carte annuelle) sur les cours d'eau domaniaux, qui sont généralement les canaux publics et les anciennes rivières dites navigables et flottables, propriété de l'Etat ou des collectivités. Le droit fondé en titre sur rivière domaniale (ouvrage devant exister avant 1566) fait exception en ce que le droit de pêche reste attaché à la propriété privée. En cours d'eau ou plan d'eau domanial, le riverain a une servitude de passage pour les pêcheurs (voir les détails de cet article L2131-2 CPPP ci-dessus pour la mise en oeuvre). 

Article L435-4 code de l'environnement 
Dans les cours d'eau et canaux non domaniaux, les propriétaires riverains ont, chacun de leur côté, le droit de pêche jusqu'au milieu du cours d'eau ou du canal, sous réserve de droits contraires établis par possession ou titres.
Dans les plans d'eau non domaniaux, le droit de pêche appartient au propriétaire du fonds.
Dans les plans d'eau et cours d'eau non domaniaux (ni navigables ni flottables), le droit de pêche est lié à la propriété privée riveraine. Par défaut, il est interdit à toute autre personne que le propriétaire de pêcher depuis la berge. L'accès en bateau est autorisé (l'eau est bien commun) à condition de ne pas débarquer sur la rive ou le lit (de même pour la pêche depuis un pont sur une route publique). Pour rappel un bief est un canal privé, non assimilable à un cours d'eau selon la loi (lit "non naturel" à l'origine).

Article L434-3 code de l'environnement
Les associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique contribuent à la surveillance de la pêche, exploitent les droits de pêche qu'elles détiennent, participent à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques et effectuent des opérations de gestion piscicole.
Les AAPPMA (associations agréées de pêche) ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent, ce qui suppose en cours d'eau non domaniaux la capacité à démontrer des accords en ce sens avec les propriétaires des berges sur tout le linéaire du domaine réputé pêchable par ces associations.

Article L435-5 code de l'environnement
Lorsque l'entretien d'un cours d'eau non domanial est financé majoritairement par des fonds publics, le droit de pêche du propriétaire riverain est exercé, hors les cours attenantes aux habitations et les jardins, gratuitement, pour une durée de cinq ans, par l'association de pêche et de protection du milieu aquatique agréée pour cette section de cours d'eau ou, à défaut, par la fédération départementale ou interdépartementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique.
Pendant la période d'exercice gratuit du droit de pêche, le propriétaire conserve le droit d'exercer la pêche pour lui-même, son conjoint, ses ascendants et ses descendants.
Cet article prévoit une exception à l'attribution du droit de pêche au seul propriétaire riverain dans un cours d'eau non domanial : le propriétaire ayant bénéficié d'un financement public majoritaire de travaux, et pour l'entretien du cours d'eau, doit concéder le droit de pêche à l'association agréée. Cette concession est limitée sur une période de 5 ans après les travaux. Le conseil d'Etat (n° 320852 , 23 décembre 2010) a précisé que cette disposition s'applique si toutes les conditions requises par les articles R. 435-34 CE et suivant pour la définition et l'évaluation des travaux sont remplies.

Article L435-6 code de l'environnement 
L'exercice du droit de pêche emporte bénéfice du droit de passage qui doit s'exercer, autant que possible, en suivant la rive du cours d'eau et à moindre dommage. Les modalités d'exercice de ce droit de passage peuvent faire l'objet d'une convention avec le propriétaire riverain.
Article L435-7 code de l'environnement 
Lorsqu'une association ou une fédération définie à l'article L. 434-3 exerce gratuitement un droit de pêche, elle est tenue de réparer les dommages subis par le propriétaire riverain ou ses ayants droit à l'occasion de l'exercice de ce droit.
Lorsqu'un droit de pêche a été concédé par le propriétaire, les usagers sont tenus de respecter les lieux et de réparer des dommages. 

Article R436-71 code de l'environnement
Toute pêche est interdite à partir des barrages et des écluses ainsi que sur une distance de 50 mètres en aval de l'extrémité de ceux-ci, à l'exception de la pêche à l'aide d'une ligne.
En outre, la pêche aux engins et aux filets est interdite sur une distance de 200 mètres en aval de l'extrémité de tout barrage et de toute écluse.
Seule la pêche à la ligne est autorisée à proximité des ouvrages hydrauliques de type barrage ou écluse.

Article Article R436-70 code de l'environnement
Toute pêche est interdite :
1° Dans les dispositifs assurant la circulation des poissons dans les ouvrages construits dans le lit des cours d'eau ;
2° Dans les pertuis, vannages et dans les passages d'eau à l'intérieur des bâtiments.
La pêche est totalement interdite dans les passes à poissons et rivières de contournement, ou depuis les pertuis et vannages des ouvrages en rivière.

Illustration : photo par Janter, CC BY-SA 3.0.

02/02/2018

La définition juridique des zones humides

Deux critères permettent de définir une zone humide : la présence temporaire ou permanente d'eau, la présence de végétation hygrophile (plantes spécialisées de milieu aquatique ou humide). Le Conseil d'Etat a précisé que ces critères doivent être cumulatifs. Explications. [MAJ 2019 : voir cet article sur la modification de la loi]


Les zones humides sont définies en droit français dans l'article L 211-1 du code de l'environnement, qui entend assurer
"La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année"
Deux critères sont donc requis :
  • l'hydromorphie du sol, les terrains devant être "inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire";
  • la présence de végétation hygrophile. 
Dans un arrêt récent (n° 386325, 22 février 2017), le Conseil d'Etat a précisé que "une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d'eau et, pendant au moins une partie de l'année, de plantes hygrophiles", c'est-à-dire que "ces deux critères sont cumulatifs" et non alternatifs. [MAJ 2019 : la loi a restauré la notion de critères alternatifs]

Le caractère partiellement ou totalement inondé est assez évident à observer.

Le critère botanique doit être par ailleurs caractérisé. Comme le précise cet article du site "zones humides" de l'administration de l'environnement:
"On désigne par le terme d’hygrophytes toutes les plantes qui poussent en milieux humides mais, selon leur niveau d’adaptation, celles-ci se distribuent selon des gradients d’humidité et/ou de salinité. En France, on distingue ainsi les hydrophytes, toujours immergées ou affleurant à la surface de l’eau (cératophylles, potamots, nénuphars, élodées, lentilles d’eau…) et les amphiphytes qui poussent à la limite terre-eau et sont adaptées aux deux environnements ; ce groupe inclut les hélophytes qui sont enracinées au fond de l’eau et dont les parties aériennes sont émergentes (roseaux, Typha, Baldingère, carex…)"
Des plantes hygrophiles indicatrices des zones humides sont répertoriées dans des listes établies par région biogéographique (article R-211-108 code de l'environnement, à noter que le 2 aliéna de cet article n'est plus conforme à la loi).

L'annexe II A l'arrêté du 24 juin 2008 précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 code de l'environnement  définit une première liste de 775 espèces et 26 sous-espèces permettant de qualifier une zone humide sur le critère végétal.

Malgré leur intérêt pour la biodiversité, les zones humides naturelles sont aujourd'hui menacées par l'extension de l'artificialisation des sols et des milieux (construction, drainage, etc.). Les zones humides anthropiques (étangs, lacs, plans d'eau, biefs) sont mises en danger par certaines destructions d'ouvrages dans le cadre de la restauration de continuité en long (souvent pour des motifs halieutiques). Divers outils juridiques existent pour protéger les zones humides, même si le droit se montre encore contradictoire en ce domaine (voir Cizel 2017).

Illustration : marges et queue de l'étang de Bussières (89), dont on observe qu'elles réunissent les deux critères de définition de la zone humide. Ce site en ZNIEFF de type II est aujourd'hui menacé par des travaux de démolition de la digue et mise à sec des milieux humides d'intérêt par la fédération de pêche de l'Yonne, sans que notre association ait obtenu l'étude d'impact environnemental.