19/05/2018

A quelle échelle évaluer les gains et pertes de biodiversité ? (Primack et al 2018)

Tandis que la France s'apprête à lancer un nouveau plan de protection de la biodiversité, aujourd'hui en consultation publique, les chercheurs débattent des meilleurs moyens de la conserver. La revue Biological Conservation vient de publier un numéro dédié à une question aujourd'hui très débattue : le déclin mondial de la biodiversité, marqué par la disparition d'espèces endémiques, se retrouve-t-il à l'échelle locale, où parfois de nouvelles espèces remplacent celles qui précédaient? En arrière-plan de cette interrogation factuelle, un débat de fond: que voulons-nous au juste conserver ou restaurer quand nous agissons sur des milieux? Cette question est centrale pour l'avenir de la gestion des rivières, où certains choix publics français remettent aujourd'hui en question la biodiversité acquise au fil des dernières décennies et siècles.



Richard B.Primack et huit collègues éditeur de la revue très respectée Biological Conservation introduisent ce numéro spécial par un éditorial exposant les enjeux de connaissances et de pratiques sur la question de l'échelle spatiale d'appréciation de la biodiversité :

"Les changements de la biodiversité à l'échelle locale reflètent-ils les déclins observés à l'échelle mondiale? Ce débat remonte à au moins 15 ans (Sax et Gaines 2003), mais a récemment été relancé par plusieurs auteurs (par exemple, Gonzalez et al 2016, Vellend et al 2017). Les échanges animés sur cette question rappellent les débats antérieurs sur la nature du domaine scientifique concerné, savoir si la «biologie de la conservation», qui était une discipline de crise axée sur la protection de la biodiversité (Soulé 1985), devrait devenir une «science de la conservation» qui tente de maximiser la préservation de la biodiversité avec le bien-être humain (Kareiva et Marvier 2012)."

Les résultats combinés de plusieurs études récentes suggèrent ainsi que des perturbations humaines considérables, telles que l'expansion agricole et l'urbanisation, entraînent une baisse significative de la richesse en espèces locales, mais que dans les zones où les écosystèmes sont relativement intacts, comme les friches et les forêts secondaires, le tendance de la richesse spécifique reste relativement faible, constante voire augmente avec le temps (Vellend et al 2017) : "si vous vous rendez dans un endroit précis, comme la Nouvelle-Zélande, Hawaï ou le Massachusetts, les forêts, les zones humides et les prairies pourraient contenir moins d'espèces indigènes, mais le même nombre ou plus d'espèces que par le passé. Comment est-ce possible? Cette stabilité de la biodiversité à l'échelle locale résulte généralement de la présence d'espèces non indigènes compensant numériquement les pertes d'espèces indigènes (Vellend et al 2017) - 30 espèces indigènes pourraient disparaître d'un endroit, mais 30, 40 ou davantage d'espèces non indigènes peuvent arriver et s'établir - bien que la preuve de la généralité de ce modèle soit remise en question (Cardinale et al 2017)."

Les chercheurs se demandent : pourquoi ce débat, axé en grande partie sur l'interprétation des données, devient-il si intense dans la communauté des spécialistes de la conservation? (Nota : cette intensité concerne davantage le monde anglo-saxon et est mal perçue en France, où les débats sur l'écologie restent assez confidentiels, voire rudimentaires, hélas).

D'abord parce que ce débat engage "la logique principale du mouvement de conservation moderne - à savoir que les activités humaines causent des déclins majeurs de la biodiversité dans le monde (Ripple et al 2017), et que ces déclins sont mauvais du point de vue scientifique, éthique, des valeurs, des services écosystémiques et du bien-être humain (Pascual et al 2017)". Certains chercheurs en conservation ont donc fortement réagi à ces résultats. "Ils ont soutenu que certaines des méta-analyses (par exemple, Dornelas et al 2014, Vellend et al 2013) sont imparfaites parce que les données sous-jacentes: (1) ne sont pas spatialement représentatives de la biodiversité dans le monde (elles sont biaisées). 2) ne sont pas représentatives des principaux facteurs de changement de la biodiversité (ils omettent les sites qui ont été convertis à l'agriculture ou au développement urbain), (3) combinent les données provenant de sites qui ont été récemment perturbés et sont susceptibles de perdre des espèces avec d'autres sites en phase de ré-équilibrage après perturbation (4) s'appuyer sur des séries chronologiques dépourvues de données historiques, ce qui rend difficile la caractérisation précise des changements de la biodiversité (résumé dans Cardinale et al 2017)".

Primack et ses collègues reconnaissent, mais relativisent ces objections : "ces points sont solides, mais les critiques n'écartent pas la valeur des analyses que Vellend et al (2013), Dornelas et al (2014), et d'autres ont réalisées. Leurs analyses sont raisonnables et convaincantes compte tenu des données disponibles, et les faiblesses, reconnues par les auteurs, sont difficiles voire impossibles à éviter. De plus, plusieurs études subséquentes dans différentes communautés écologiques ont révélé des tendances similaires de renouvellement élevé des espèces, et de richesse spécifiques relativement constante ou croissante aux échelles locales (Barnagaud et al. 2017; Dunic et al 2017; Elahi et al 2015; et al 2017, Jones et al 2017). Les chercheurs en conservation, les praticiens et les décideurs devraient reconnaître les limites des résultats, mais devraient considérer leurs implications à mesure que la recherche se poursuit et ajuster leurs objectifs et leurs actions en conséquence (certes plus facile à dire qu'à faire) (Fleischman et Briske 2016; Knight et al 2008)."

Les éditorialistes insistent sur des points qui font un certain consensus :

Accord sur le déclin mondial de la biodiversité. "Dans le monde entier, les espèces ont disparu à cause de l'activité humaine, un grand pourcentage d'espèces sont menacées d'extinction, et de nombreuses populations locales d'espèces ont été extirpées (Barnosky et al 2011). Certains auteurs se sont demandé si les taux de spéciation pourraient augmenter en raison des nouvelles situations créées par les individus (Sax et Gaines 2003; Thomas 2017), mais les taux d'extinction entraînés par les activités humaines  et les changements qui en résultent en environnement global dépassent largement la spéciation (Ceballos et al 2015, Pimm et al 2014)."

La hausse de richesse locale peut aussi s'accompagner d'une banalisation régionale. "Si la biodiversité indigène peut diminuer à toutes les échelles, la richesse en espèces locales (c.-à-d. la diversité alpha) ne diminue pas dans de nombreux endroits parce que la perte d'espèces indigènes est compensée par l'établissement de nouvelles espèces indigènes (Dornelas et al 2014, Dunic et al 2017, Hillebrand et al 2017). Comme le notent les auteurs, ces observations sont cohérentes avec l'homogénéisation biotique, dans laquelle les sites locaux proches deviennent plus similaires (c'est-à-dire réduisant la diversité bêta) lorsque des espèces particulières se propagent et colonisent des sites (Olden 2006). Les études à l'échelle locale nous en disent peu sur les changements de la richesse en espèces à des échelles régionales ou plus grandes (c.-à-d. la diversité gamma ou le pool d'espèces régional)."

Par ailleurs, si la richesse spécifique est l'indicateur de base de la biodiversité et le plus simple à présenter aux citoyens, ce n'est pas le seul que l'on peut mettre en avant.

Mais les auteurs reconnaissent aussi que les études sur la biodiversité locale posent de nombreuses et réelles questions aux chercheurs et aux praticiens de la conservation, les amenant à réfléchir sur leur propre discipline, ses valeurs, ses objectifs :

"Par exemple, les gestionnaires devraient-ils travailler à préserver les espèces et les communautés indigènes, ou devraient-ils travailler pour maintenir les processus et les services écosystémiques en gérant les assemblages d'espèces, que ces espèces soient indigènes ou non (Belnap et al 2012; Cardinale 2012)? Les espèces nouvellement arrivées peuvent-elles parfois «remplacer» les fonctions et les services écosystémiques fournis par les espèces indigènes perdues (Foster et Robinson 2007, Pejchar 2015)? Si oui, est-ce souhaitable, juste et légitime, et est-il vraiment possible de prédire quand les fonctions et les services pourraient être remplacés avec succès (Pakeman et Lewis 2018)? Comment les gestionnaires devraient-ils travailler pour maintenir des populations viables d'espèces à l'échelle locale, alors que nous nous attendons à ce que leur abondance et leurs aires de répartition changent en réponse aux conditions changeantes à l'échelle mondiale? La taille de la population de nombreuses espèces, y compris les espèces communes, diminue (pas seulement les aires de répartition), et ces baisses peuvent ne pas apparaître dans les données sur la richesse spécifique (Ceballos et al 2017). Les gestionnaires devraient-ils accepter des nouveaux écosystèmes alors que les changements dans la composition des espèces deviennent omniprésents et en grande partie inévitables (Hillebrand et al 2017, Hobbs et al 2014)? Dans un environnement en évolution rapide, le caractère natif est-il un élément important de l'intégrité écologique, ce que de nombreux organismes de conservation utilisent comme objectif clé de gestion? Quand les gestionnaires devraient-ils résister au changement dans les écosystèmes? Et comment les gestionnaires devraient-ils peser les modèles et les processus à l'échelle locale et mondiale lorsqu'ils établissent leurs objectifs et leurs priorités de conservation?"

Les biologistes mettent enfin en garde sur la réaction de défense de certains collègues qui s'offusquent de la publication de travaux allant à l'encontre de "dogmes" de la conservation : "Même si le débat sur les changements globaux de la richesse en espèces à l'échelle locale se concentre sur les données, les analyses et l'interprétation, il touche aussi aux valeurs de conservation et peut informer sur la manière dont nous faisons la conservation sur le terrain. Dans la recherche sur la conservation, ce mélange de valeurs et de science est inévitable, étant donné que les objectifs de la conservation sont largement dérivés des valeurs humaines - par exemple, qu'il existe une valeur intrinsèque dans la diversité naturelle des organismes et qu'il est important d'éviter des extinctions causées par l'homme. Malheureusement, les chercheurs hésitent parfois à écrire des articles qui semblent aller à l'encontre des valeurs et des dogmes de la conservation, et d'autres chercheurs n'hésitent pas à critiquer la publication de ces résultats. (…) Les scientifiques de la conservation sont naturellement préoccupés par le fait que de fausses déclarations pourraient se traduire par un soutien réduit à la recherche et à la pratique de la conservation. (…) Clairement, cependant, nous ne devrions pas éviter les discussions honnêtes qui font avancer la science, de publier de la bonne science (qu'elle représente de «bonnes» ou de «mauvaises» nouvelles pour les pratiques actuellement acceptées en conservation) ou de débattre des questions fondamentales du domaine."

Discussion
La conservation de la biodiversité est le nom que l'on donne aujourd'hui à l'ancienne protection de la nature. Elle fait partie des thèmes de plus en plus présents dans les sociétés industrialisées comme dans les économies émergentes. On constate les effets négatifs du progrès matériel, notamment la disparition progressive de la biodiversité ordinaire dans certaines zones très artificialisées (agriculture intensive, ville et périphéries urbaines) et la mise en danger d'espèces endémiques, dont la probabilité d'extinction croît à mesure qu'augmentent les pressions. La presse a récemment évoqué des études montrant le déclin rapide d'insectes ou d'oiseaux dans certaines régions européennes.

Mais si la conscience de l'intérêt à protéger le vivant progresse, celle des obstacles à cette protection aussi : à mesure que l'écologie inspire des politiques publiques, il devient manifeste que son coût est important, soit le coût d'évitement des impacts (geler certains territoires, empêcher certaines activités, diminuer leur rentabilité par l'interdiction de certains intrants), soit le coût de restauration des milieux. Il est donc particulièrement important que l'argent public soit dédié aux bons besoins et aux bons endroits pour les bons objectifs, le "bon" étant en l'occurrence la définition de priorités de conservation. Nous n'en sommes plus aux effets d'annonce, mais à l'exigence de précision et d'efficacité.

Cette exigence est loin d'être rencontrée dans tous les choix publics en matière d'écologie de la conservation et de la restauration, notamment pour les milieux aquatiques que notre association étudie. On a par exemple assisté depuis dix ans à une politique mal informée de prime systématique à la destruction des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes qui, si elle peut avoir du sens quand il existe une bonne probabilité de gains pour des espèces de poissons réellement menacées d'extinction, est rapidement devenue l'objet dune application dogmatique et paresseuse. On fait disparaître des canaux, des étangs, des retenues et des lacs sans aucune évaluation de leur biodiversité acquise au fil des générations et de leur intérêt dans une perspective de changement climatique et de pression croissante sur la ressource en eau. Plus fondamentalement, ce sont certaines méthodes déployées par les gestionnaires qui se sont révélées inacceptables : défaut des mesures élémentaires permettant d'éclairer la décision (c'est-à-dire l'évaluation sur sites de la biodiversité locale et régionale), fermeture des échanges à des spécialistes usant d'arguments d'autorité, confusion permanente d'enjeux halieutiques et d'enjeux écologiques, précipitation délétère tenant à une planification administrative irréaliste et empêchant toute prise de recul sur l'action.

Nous espérons donc que l'annonce estivale du plan de sauvegarde de la biodiversité sera assortie d'un changement conséquent dans les méthodes de mise en oeuvre de la continuité longitudinale des rivières, d'analyse de la biodiversité des milieux lotiques et lentiques, de ré-évaluation de la place et du coût de cette continuité en long par rapport à d'autres déterminants hydrologiques, morphologiques et chimiques de la biodiversité des eaux et des rives. Il y a beaucoup de choses à faire pour la qualité et la diversité des milieux aquatiques, avec assez peu d'argent pour cela et des attentes riveraines à respecter : la destruction de l'hydraulique ancienne, des milieux qu'elle a créés et des espèces qu'elle héberge doit démontrer le cas échéant son intérêt par d'autres gains que des espèces de poissons spécialisés intéressants certains usagers.

Enfin, Richard B.Primack et ses collègues parlent de "valeurs" en science de la conservation, et évoquent même des "dogmes". Il est nécessaire de rappeler que la confiance des citoyens dans la science tient à ce qu'elle est séparée de l'opinion du fait de sa recherche de neutralité et d'objectivité. Les chercheurs ou praticiens en écologie de la conservation peuvent avoir des valeurs relatives à leur objet d'étude, mais ils ne doivent pas oublier qu'en démocratie, les citoyens sont égaux quand on en vient à ces choix de valeur, qu'une science n'a aucune légitimité particulière à imposer les siennes, que la confusion des genres nuit parfois à la sincérité et la clarté du débat public (voir la critique de Christian Lévêque). De même, la recherche ne peut qu'être guidée par des données, des hypothèses, des modèles et des théories, pas par des "dogmes", ou en général des croyances. Il convient donc que les instances en charge des réflexions et des choix écologiques (Muséum national d'histoire naturelle, IUCN, agence française et agences régionales de la biodiversité, conservatoires, parcs, etc.) répondent aux questions posées dans cet éditorial de Biological Conservation et amènent dans les débats publics l'interrogation sur les présupposés de l'action sur les milieux.

Références : Primack RB et al (2018), Biodiversity gains? The debate on changes in local- vs global-scale species richness, Biological Conservation, 219, A1-A3

Illustration : libellule au bord d'un bief de moulin.

A lire en complément: Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes.

16/05/2018

L'étang de Bussières effacé en catimini… mais avec l'argent du contribuable!

Aucune pancarte sur site, aucune annonce sur panneau municipal, aucune publicité: l'étang de Bussières a été effacé en conciliabule très fermé où les citoyens n'étaient manifestement pas les bienvenus. Les acteurs de cette casse: la fédération de pêche 89, la DDT, l'AFB, mais aussi désormais l'Agence de l'eau Seine-Normandie. A l'occasion du contentieux pénal et administratif en cours, nous venons en effet de découvrir que le lobby pêche s'est fait offrir 80% de l'acquisition de l'étang en 2015 (44 000 €) puis 80% de la destruction en 2017 (22 400 €). La première aide nous paraît des plus suspectes dans sa motivation et fera l'objet d'un complément d'enquête: l'agence de l'eau a officiellement financé l'acquisition d'une "zone humide de 7 ha", qui en réalité a disparu! Une chose est sûre : les pêcheurs de truite cassent le patrimoine et altèrent les milieux en place avec l'argent des autres, mais sans écouter l'avis des autres. C'est tellement simple, quand un lobby jouit d'une telle protection d'Etat…



Quelle que soit l'issue que la justice donnera à cette affaire, l'effacement de l'étang de Bussières est d'ores et déjà un symbole des pratiques déplorables et nuisibles du lobby pêche en France en matière de continuité écologique, mais aussi de l'inacceptable laxisme de l'appareil d'Etat à son endroit. Le cas n'est pas isolé : le plan de gestion piscicole de l'Yonne est fondé sur des données vieilles d'un quart de siècle sans que la préfecture n'y voit le moindre problème ; les demandes de respect des droits de pêche en cours d'eau non domanial restent lettre morte et devront, elles aussi, faire l'objet de contentieux face au mépris complet des pêcheurs et services de police de l'eau devant les demandes des citoyens.

Dans le cas de l'étang de Bussières, rappelons que :
  • pendant 3 ans entre 2015 et 2018, la fédération pêche 89 a agi de manière totalement indifférente aux riverains, donnant des informations incomplètes et de mauvaise foi aux demandes de notre association,
  • alors que la destruction de l'étang équivalait à changer plus de 2000 m de profil de rivière Romanée, à mettre hors d'eau plus de 5 ha de plans d'eau et zones humides, avec divers impacts sur les milieux et les tiers, la DDT et la fédération de pêche ont organisé le chantier de telle sorte qu'il échappe à toute autorisation préfectorale, donc à toute enquête publique ouverte aux citoyens et à toute étude d'impact environnemental. Un comble quand la même DDT si laxiste avec les pêcheurs devient si rigoriste avec les riverains, propriétaires et collectivités. L'administration de l'eau ne peut pas espérer la moindre attitude coopérative sur la base d'une attitude aussi manifestement déséquilibrée et partiale,
  • l'Agence française de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a produit un déplorable rapport de complaisance de quelques pages, pour un chantier en site classé Znieff de type 2 avec plans d'eau comme milieux d'intérêt, et hébergeant de nombreuses espèces propres à ces milieux lentiques et annexes humides, dont plusieurs sont vulnérables en Bourgogne ou en France. Cela à l'heure où la recherche européenne appelle à protéger les mares et étangs pour leur très forte contribution à la biodiversité, ce qui manifestement indiffère un service d'Etat pour qui la biodiversité aquatique concerne d'abord des poissons spécialisés d'intérêt halieutique,
  • enfin et nous venons de l'apprendre, cette procédure opaque a de surcroît été financée depuis 3 ans par l'argent des contribuables... ceux-là mêmes qui n'étaient pas les bienvenus pour donner leur avis!
A l'occasion du procès en cours, notre avocat a pris soin de vérifier si par hasard cette destruction fort confidentielle avait fait l'objet d'aides publiques. Ce qui normalement fait l'objet d'un affichage sur le site ayant bénéficié d'une aide (information ici absente). Il s'avère que c'est le cas : l'Agence de l'eau Seine-Normandie a versés des subventions à deux reprises, 44 k€ en 2015 pour l'acquisition de l'étang, puis 22,4 k€ en 2017 pour sa destruction.



Comme on peut le voir ci-dessus (cliquer pour agrandir), la justification de la subvention de 2015 est pour le moins suspecte.
  • D'abord, il est acté dès cette époque que l'objectif est un "effacement", alors que la DDT 89 prétendra par la suite que les opérations relèvent au plan réglementaire de la gestion de pisciculture. (Plus c'est gros, plus ça passe, mais pas cette fois.)
  • Ensuite, l'Agence de l'eau justifie sa généreuse subvention de 80% par rapport à ses barèmes internes en posant que "l'intervention est de type "zones humides" et concerne une "acquisition" sur les milieux en état naturels ou pseudo-naturels". Elle précise "surface de zones humides 7 ha".
Voilà qui est pour le moins étrange :
  • la fédération de pêche et l'administration nient que l'étang et ses marges forment une zone humide, or il a été acquis comme tel avec l'argent public (soit c'est faux et la subvention est mal motivée, donc indue ; soit c'est vrai et notre association a raison de vouloir protéger une zone humide dont la DDT et la fédération de pêche nient l'existence),
  • la fédération de pêche n'a aucun projet connu de restauration de "7 ha" de zones humides. Au contraire, après un chantier bâclé et sans analyse des milieux humides, elle laisse en ce moment même la rivière inciser son lit dans les sédiments (cf photo ci-dessus), de sorte que toutes les zones et annexes humides périclitent, et leurs populations sont parfois en train de périr sur place (diverses observations en ce sens, que le juge recevra).
Nous avons donc demandé à notre avocat un complément d'enquête sur les conditions précises d'attribution de cette subvention, dont le motif officiel paraît de sauvegarder 7 ha de zones humides mais dont le seul résultat pour le moment est détruire ces zones humides et d'offrir au lobby des pêcheurs de truite 2000 m de linéaire d'une rivière au modeste débit, enfoncée dans son lit, non susceptible de nourrir en eau les zones adjacentes pour former un milieu humide comparable à ceux qui ont été détruits.

Pour conclure, ce procès est important, comme le sont nos autres actions en justice : ce sera le procès d'un système de casse organisée et de ses dérives. Nous appelons tous nos lecteurs à nous soutenir financièrement afin de contribuer à en payer les frais. L'association Hydrauxois se bat contre une administration de l'eau opaque, brutale, refusant de reconnaître ses erreurs et de répondre de ses contradictions : seul votre soutien nous permet de faire entendre en justice la voix du patrimoine hydraulique menacé, la voix des riverains méprisés et la voix des milieux altérés.


14/05/2018

Deux mille ans de retenues de moulins sur les rivières européennes

Inventé dans l'Antiquité, sans doute vers le IIIe siècle avant notre ère, perfectionné par les Romains, le moulin à eau s'est diffusé en Europe de manière continue pendant 2000 ans. Si certains moulins sont installés directement au fil de l'eau, beaucoup développent précocement des chaussées barrant la rivière, formant une retenue et dérivant un bief. Cet extrait de l'historien Colin Ryne rappelle quelques-unes des premières mentions des retenues de moulins et techniques de construction d'ouvrages hydrauliques en Antiquité tardive et Haut Moyen Âge européens. 



"Les premières preuves documentaires et archéologiques pour l'utilisation des retenues de moulins hors d'Irlande sont relativement rares. Les premiers barrages connus pour l'énergie hydraulique, datant de la période romaine, semblent avoir été des barrages de dérivation, construits à travers de petites rivières ou ruisseaux, où la fonction du barrage était d'élever le niveau d'un cours d'eau naturel et de le détourner en un canal d'alimentation ou une goulotte d'amenée pour un moulin. L'ouvrage au fil de l'eau ou chaussée d'un moulin à eau vertical, en roue de dessous, du IIIe siècle de notre ère, à Haltwhistle Burn Head, sur le mur d'Hadrien, consistait en un barrage de blocs de granit jetés sur un cours d'eau adjacent. 

Dans la période post-romaine immédiate, la construction des chaussées de moulin est décrite dans la littérature hagiographique précoce. Au tournant du VIe siècle de notre ère, Grégoire de Tours décrit la construction d'un barrage de moulin pour le monastère de Loches : "Quand il eût amené des poteaux à travers la rivière et rassemblé des tas de pierres énormes, il construisit une chaussée et recueillit l'eau dans le canal, par la force de laquelle il fit tourner la roue du moulin à grande vitesse". La loi salique du VIe siècle de notre ère prescrit même une amende pour la destruction des barrages de moulin. Au moins un site saxon, Wharram Percy, a produit des preuves de l'existence d'un barrage de moulins avec évidence d'empierremment, pratique bien documentée plus tardivement.

La formation des retenues de moulins est cependant moins bien documentée dans les sources européennes médiévales précoces. Les retenues sont mentionnées dans le code de loi wisigothique du VIe siècle et vers 740, il y a une référence à un stagnum fluminus à Tauberischafscheim en Allemagne. La plus ancienne mention connue du composé de vieil-anglais mylepul ("millpond", retenue de moulin), par exemple, apparaît dans une charte anglo-saxonne vers 833. 

Il ne fait guère de doute que dans les périodes médiévales plus tardives, les retenues de moulins étaient des caractéristiques communes du paysage. Leur entretien, associé à des dispositifs connexes comme les biefs et les écluses, s'est souvent avéré être une lourde charge financière pour les domaines seigneuriaux et monastiques. Leur fréquence était telle que les premiers juristes irlandais ont fait de grands efforts pour fournir un cadre juridique pour les droits d'eau qui les concernent, comme en témoigne la loi Coibnes Uisci Thairidne, au VIIe siècle."

Extrait de : Ryne Colin, Waterpower in Medieval Ireland, in Squatriti P (ed) (2000),  Working with water in Medieval Europe. technology and ressource use, Brill, 1-49

Illustration : moulin dans le Psautier de Luttrell (1340).

12/05/2018

La France gère mal les pollutions par eaux pluviales

Le site Eaux glacées de Marc Laimé a révélé un rapport du CGEDD sur les eaux pluviales, que le ministère de la Transition écologique gardait sous le coude depuis un an. Et pour cause, le rapport pointe que la France est un élève très moyen de l'Europe en matière de gestion des eaux pluviales et de ruissellement, qui sont pourtant une source majeure de pollution des rivières, des plans d'eau et des nappes phréatiques. Le CGEDD appelle à des investissements sur cette question délaissée… mais avec quel argent, quand le budget des agences de l'eau est ponctionné pour combler le déficit de l'Etat ou dilapidé dans des mesures nuisibles comme la destruction des moulins, étangs, plans d'eau, et que les collectivités se plaignent de leur manque chronique de moyens? Une minorité de masses d'eau françaises est aujourd'hui en bon état écologique et chimique au sens des directives européennes : les gestionnaires publics doivent recentrer les budgets et les priorités sur les obligations réelles de notre pays. Extraits


Une part importante de la pollution n’est pas rejetée par les stations d’épuration mais en amont de celles-ci par temps de pluie
Les enjeux de la pollution urbaine, notamment pour la conformité aux directives européennes, se déplacent des eaux usées vers les eaux pluviales : c’est sur ces dernières qu’il faudra dans les prochaines années concentrer les efforts.

En effet, l’amélioration du traitement des eaux usées collectées par temps sec révèle maintenant l’importance des rejets de temps de pluie, y compris pour les paramètres les plus classiques de la pollution. La part principale de cet enjeu concerne les réseaux dits unitaires où eaux pluviales et eaux usées sont mélangées. Cependant, bien peu de réseaux séparatifs sont exempts d’entrées d’eaux usées : les rejets des réseaux «séparatifs pluviaux», du fait notamment de ces mélanges, doivent également être pris en considération.

Les eaux pluviales et de ruissellement sont par ailleurs les vecteurs d’une part prépondérante de certains micropolluants dont des substances dangereuses prioritaires pour lesquelles des échéances et des objectifs de réduction précis ont été fixés.

Ces rejets ne peuvent être quantifiés que par des mesures dites d’autosurveillance. Pour les débits et les fréquences de débordement, l’étude comparative réalisée par le bureau Milieu LTD pour le compte de la commission européenne présenté en annexe du diagnostic détaillé montre que la France n’était pas, en 2015, parmi les pays ou les régions les plus avancés dans ce domaine (Royaume-Uni, Danemark, Wallonie, Allemagne, Irlande, Pologne) et que des efforts significatifs restent à accomplir pour rejoindre ce peloton de tête. Les données sont encore plus insuffisantes pour les flux de polluants «classiques» (DBO, DCO) portés par ces déversements. Les informations restent extrêmement pauvres pour les substances dangereuses, notamment les métaux lourds et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Les directives européennes induisent implicitement des contraintes fortes sur les rejets de temps de pluie
La directive «eaux résiduaires urbaines» définit celles-ci comme «les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement» et prévoit leur collecte et leur traitement jusqu’aux événements dits «exceptionnels». La performance globale des systèmes d’assainissement (raccordement, collecte, transport, déversements et traitement) incluant les déversements de temps de pluie, constitue désormais, avec la pollution agricole diffuse et la morphologie des cours d’eau, les principaux défis pour répondre aux objectifs européens.

La directive cadre sur l’eau (DCE) et directive-cadre plus récente sur la stratégie milieux marins 2008/56/CE (DCSMM) établissent des objectifs pour mettre fin à la détérioration de l’état des masses d’eau de l’Union européenne et parvenir au bon état ou au bon potentiel des rivières, lacs et eaux souterraines et des eaux marines.

Avec une première échéance en 2021, la DCE impose la réduction des rejets de substances dites substances dangereuses. Cela concerne en particulier les substances dangereuses prioritaires (SDP) qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques, et des substances de la liste 1 de la directive 2006/11/CE «concernant la pollution causée par certaines substances déversées dans le milieu aquatique de la Communauté» dont une part est transportée par les eaux pluviales.

La gestion des eaux pluviales est notamment concernée par les objectifs de réduction de certaines substances dangereuses et ceci dès l’échéance 2021 pour les HAP et, dans une moindre mesure, pour les produits phytosanitaires. C’est essentiellement une question de maîtrise de la pollution à la source et de restriction d’usage, auxquels les systèmes de gestion à la parcelle peuvent contribuer.

Comme c’est déjà le cas sur le littoral, l’affichage d’ambitions emblématiques de baignade en rivière (par exemple à l’occasion de la candidature de Paris pour accueillir les Jeux Olympiques en 2024) peut faire du respect de la directive baignade la contrainte européenne la plus prégnante pour les rejets d’eaux pluviales en rivière.

Atteindre le bon état écologique des masses d’eau suppose de réduire sensiblement l’ensemble des flux de pollutions déversées par temps de pluie.

Les risques de non-atteinte des objectifs sont mal cernés
C’est dans les dix dernières années à peine que les directives européennes sont apparues comme contraignantes pour le temps de pluie dans l’esprit de nombre de collectivités. Les enjeux liés aux objectifs de la DERU et de la DCE se sont alors superposés, entraînant une certaine confusion dans les esprits, notamment ceux des élus, sur la nature des enjeux propres à chacune. Les précisions techniques nécessaires n’ont été explicitées au plan national que récemment par une note technique en date du 7 septembre 2015.

Il n’existe pas aujourd’hui, au plan national, une analyse globale des risques de non-conformité, une fois assurée la conformité «station» ERU, au regard de ces deux enjeux qui vont dominer les dépenses à venir :
- conformité «systèmes d’assainissement» : assurer la performance de collecte et de traitement des ERU,
-conformité DCE : atteindre le bon état des masses d’eau concernées.

La mission a collecté les études disponibles, mais n’y a pas trouvé la réponse à la question : quels sont les investissements prioritaires à prévoir à court et moyen terme pour la mise aux normes correspondant au respect de la DERU et de la DCE ?

Lien vers le rapport complet sur le site Eaux glacées

Illustration : par Photones (CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

10/05/2018

La biodiversité se limite-t-elle aux espèces indigènes ? (Schlaepfer 2018)

Depuis sa naissance, la conservation de la biodiversité a centré son intérêt sur les espèces endémiques. Mais pour l'écologue Martin Schlaepfer, il est temps de réviser cette option. Les espèces non natives ne sont pas toutes invasives et contribuent à la biodiversité locale au même titre que d'autres. Elles rendent parfois des services écosystémiques. Et au regard de leur expansion rapide, il devient difficile de continuer à ignorer leur présence dans les milieux.


Martin A. Schlaepfer (Institut des sciences de l'environnement, Université de Genève) vient de publier un article de perspective sur la biodiversité dans la revue PLoS Biology.

Les humains ont déjà une longue histoire de protection de certains éléments de la nature. Mais, souligne le chercheur, "les concepts et les valeurs qui sous-tendent les initiatives de conservation ont toutefois changé à plusieurs reprises. Les efforts de conservation du XXe siècle ont principalement porté sur la préservation des paysages sans influence humaine et sur la prévention de l'érosion de la biodiversité, en mettant l'accent sur la protection des espèces rares contre l'extinction. Les 20 dernières années ont vu l'émergence de concepts supplémentaires qui mettent l'accent sur la résilience de la nature et les «services» que la nature contribue au bien-être humain. Ces approches novatrices sont promues par certains responsables de la conservation dans l'hypothèse qu'ils élargiront le soutien social aux objectifs de conservation."

Ces évolutions de la conservation nourrissent de nouveaux débats. Les espèces non indigènes et leur valeur en font partie. Au cours des dernières décennies, les scientifiques ont plutôt dépeint les espèces non natives d'une région comme une menace : dommages économiques, problèmes de santé, perte de biodiversité endémique. "L'opinion selon laquelle les espèces non indigènes sont potentiellement indésirables persiste dans les indicateurs utilisés pour suivre les progrès vers les objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB), où elles n'apparaissent qu'en tant que prédicteurs numériques pour de futures invasions (Objectif d'Aichi 9)."

Mais, relativise Martin A. Schlaepfer, le regard des chercheurs évolue aussi à mesure que de nouvelles données apparaissent : "Plus récemment, les scientifiques ont également documenté les contributions positives potentielles des espèces non indigènes à la richesse régionale en espèces, aux objectifs de conservation, et aux services écosystémiques qu'elles apportent à certaines parties prenantes de la société".

Cela soulève les questions suivantes: "les espèces non indigènes font-elles partie de la «nature» ou de la «biodiversité» que nous souhaitons préserver? Si oui, peuvent-elles être intégrées dans un processus de planification de la conservation d'une manière qui reconnaisse leur potentiel d'effets indésirables, mais capte aussi leurs contributions positives potentielles à la biodiversité et à la société?"

Martin A. Schlaepfer répond de manière positive à ces questions, à partir de trois types d'arguments.

D'abord, l'absence d'espèces non indigènes dans les indices de biodiversité est en contradiction avec les termes de la Convention sur la diversité biologique et des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies. "La définition de la biodiversité de la CDB (Article 2) englobe les dimensions biologiques du monde (gènes, espèces, écosystèmes et leurs interactions), mais elle ne fait aucune distinction entre les formes de vie indigènes et non indigènes".

Ensuite, l'action humaine a d'ores et déjà abouti à la présence de nombreuses espèces introduites. Les ignorer devient de plus en plus difficile : "les espèces non indigènes devraient être incluses dans les indices clés de la biodiversité car elles représentent une grande partie des écosystèmes modernes et des bassins d'espèces régionaux. Les plantes et les oiseaux non indigènes peuvent constituer 50% ou plus des espèces dans certains milieux urbains, insulaires et de friches." Les décideurs politiques régionaux risquent donc de faire de mauvais choix s'ils ignorent la réalité des espèces désormais présentes dans les milieux anthropisés.

Enfin, et peut-être le plus important pour l'auteur, "les motivations de la société pour la conservation de la biodiversité évoluent et les indicateurs utilisés pour mesurer l'état de l'environnement et les progrès vers nos objectifs devraient faire de même. Les indices de biodiversité devront englober toutes les espèces s'ils doivent rester socialement pertinentes et illustrer toute la gamme de ce que l'on appelle maintenant les services (et les nuisances) écosystémiques, ou les contributions de la nature aux humains".

Discussion
Voulons-nous protéger la nature ou certaines représentations de la nature? Cette question se pose sans cesse dans les politiques écologiques, qu'elles visent la conservation ou la restauration des écosystèmes. Ces politiques ont accompagné la modernité et ont d'abord voulu épargner certaines zones de l'impact humain. Cela faisait (et fait toujours) sens. Mais ces zones ont été parfois idéalisées comme "vierges" ou "originelles", or on sait qu'en réalité, la plupart avait connu des phases d'occupation humaine depuis les colonisations paléolithiques de la planète par Homo sapiens. Le vivant change plus rapidement que nous ne le pensions voici une ou deux générations.

L'évolution récente de l'humanité produit des extinctions d'espèces, mais aussi des introductions (en plus grand nombre pour le moment en terme d'observations confirmées). A l'échelle des temps biologiques et géologiques, l'action humaine procède ainsi à un brassage des espèces à travers tous les continents sans précédent par sa vitesse – brassage dont l'influence dans l'évolution sera considérable. Car nombre d'espèces introduites devraient s'installer dans leur nouveau milieu et diverger progressivement de leurs populations mères, en particulier quand l'espèce a franchi des océans. Le changement climatique risque d'accélérer ces évolutions locales au fil des prochains siècles, avec des espèces gagnantes et perdantes. Nous avons déjà rebattu les cartes de la vie, et le phénomène ne décélère pas.

Dans le domaine de l'eau, les questions posées par Martin A. Schlaepfer méritent un examen attentif. On voit parfois des tronçons de rivières, des plans d'eau ou des sites locaux désignés comme en "mauvais état écologique" au prétexte que telle ou telle espèce endémique de poisson en est absente, ou n'y trouve pas un habitat optimal. Mais si le nouvel habitat héberge de nombreuses autres espèces, sans phénomène invasif se traduisant par une simplification du milieu ou une nuisance à la société, le choix d'intervention doit faire l'objet d'une évaluation plus fine. Il serait utile que l'agence française pour la biodiversité publie des analyses sur ces questions, qui sont pour l'instant largement ignorées des décideurs et gestionnaires. Déjà que des campagnes pilotes d'étude de la biodiversité des masses d'eau fassent le point sur les espèces présentes, leur richesse totale, la complexité de leurs réseaux trophiques et leur origine endémique ou non.

Référence : Schlaepfer MA (2018), Do non-native species contribute to biodiversity?, PLoS Biology, 16(4): e2005568

Illustration : ombre commun (Thymallus thymallus), photograpie Christian Maier, domaine public. Originaire du bassin danubien, ce poisson aimant les courants vifs a été introduit par l'homme dans divers bassins, à des fins halieutiques. Il y a établi des populations durables et s'y reproduit désormais naturellement. Le cas n'est pas isolé. Une analyse des poissons du bassin de la Seine (campagne Piren) a par exemple montré que sur 54 espèces présentes, 22 ne sont pas endémiques au bassin. Cette biodiversité acquise n'est donc plus anecdotique et a déjà modifié les guildes de poissons. La société veut-elle protéger seulement la biodiversité anciennement installée, ou l'ensemble du vivant sans considération de sa date d'installation dans une écorégion? Cette question doit être posée clairement dans le débat public.

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