14/03/2018

Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités

A Kerguinoui, les riverains du Léguer se plaignent que les modifications des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique ont aggravé les inondations. On leur dit qu'ils ont tort. A Poilley, le maire du village s'inquiète de l'effet des crues si les barrages de la Sélune venaient à être détruits. On lui dit qu'il a tort. Mais est-ce si sûr? La destruction d'ouvrages au nom de la continuité écologique aura-t-elle des effets négligeables et l'argent public est-il dépensé à bon escient? Ce n'est pas du tout l'avis de René Autelet, ingénieur conseil, dont nous publions une tribune avec son aimable autorisation. Détruire ou assécher un peu partout les retenues, les étangs, les canaux, les biefs, les plans d'eau alors que l'on vante les stratégies de rétention et d'expansion des eaux de crue lui paraît une complète contradiction de la part de nos décideurs. Car ces ouvrages ont aussi une fonction de gestion de l'eau, en crue comme à l'étiage, dont les Anciens usaient avec sagesse. Aucune étude n'a jamais simulé les variations d'inondation à échelle d'un bassin entier selon les hypothèses retenues pour la continuité écologique : il serait temps de le faire... avant de défaire!


Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?

À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.

Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".

Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?

Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?

Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".

La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.

Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".

De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Rurale n°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va  reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".

L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").

Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!

Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.

"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.

L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…

Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.

Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018

13/03/2018

Invertébrés en rivières: comment mesurer les effets des pressions humaines et des échelles spatiales (Villeneuve et al 2018)

Des chercheurs français publient les résultats d'un modèle conçu à partir de 643 sites et de plus de 2400 campagnes d'échantillonnage d'invertébrés aquatiques. Ce travail montre que si la pollution par les nutriments reste le premier effet direct sur les populations d'invertébrés, l'évaluation des pressions change quand on prend en compte les effets indirects et latents des autres facteurs du bassin. La morphologie et les usages des sols prennent alors un poids plus important, de même que les échelles spatiales larges du tronçon et bassin versant par rapport à l'échelle très locale du site. L'étude montre aussi que les rivières ne répondent pas tout à fait de la même manière selon leur dimension et leur substrat géologique calcaire ou non. Si le modèle ne détaille pas chaque impact morphologique, il apparaît que les usages agricoles et urbains des lits, des berges et du lit majeur ont un poids conséquent sur la qualité écologique vue à travers les invertébrés. Cela suggère que la reconquête d'un bon état écologique des rivières au sens de la DCE sera complexe, longue et coûteuse. Raison de plus pour que l'argent public soit dépensé sur la base d'analyses rigoureuses, non au hasard des modes ou lobbying du moment. Et pour que les finalités de cette action soient mieux exposées aux citoyens qui les financent : s'il s'agit de revoir l'ensemble des usages des bassins versants, le caractère massif de l'investissement devra justifier de services écosystémiques proportionnés à l'effort demandé. 

Bertrand Villeneuve et ses collègues (UR MALY, Irstea, Laboratoire d'hydro-écologie quantitative ; Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, UMR 7360 CNRS—Université de Lorraine) viennent de publier une nouvelle recherche à propos des impacts des différentes pressions sur les invertébrés aquatiques en rivière. Leur problématique est ainsi énoncée : "Le but de notre approche était de prendre en compte les échelles spatiales imbriquées pilotant le fonctionnement des rivières dans la description des liens pressions / état écologique, en analysant les résultats d'un modèle hiérarchique. Le développement de ce modèle nous a permis de répondre aux questions suivantes: La prise en compte des liens indirects entre les pressions anthropiques et l'état écologique des cours d'eau modifie-t-elle la hiérarchie des types de pression impactant les invertébrés benthiques? Les différentes échelles imbriquées jouent-elles des rôles différents dans la relation pressions anthropiques / statut écologique? Ce modèle permet-il de mieux comprendre le rôle spécifique de l'hydromorphologie dans l'évaluation de l'état écologique des cours d'eau?"

Les chercheurs ont sélectionné des hydro-écorégions de plaines et piémont (moins de 450 m), en divisant l'échantillon en deux critères géologiques : calcaire (roches sédimentaires) ou non calcaire. Une autre division, hydrologique, distingue les cours d'eau de petite dimension (ordre 1 à 3 de Strahler) et de moyenne dimension (ordre 4 à 6). Au final, quatre groupes sont analysés à partir de mesures réalisées sur 5 ans (2007-2012) : petites rivières non calcaires (160 sites, 638 échantillonnages), moyennes rivières non calcaires (127, 492), petites rivières calcaires (228, 817) et moyennes rivières calcaires (128, 460). Soit 643 sites et plus de 2400 campagnes d'échantillonnage.

La donnée biologique étudiée est l'indice invertébrés I2M2 (Mondy et al 2012), qui mesure les macro-invertébrés benthiques par la taxonomie et les traits des espèces, produisant un score de qualité en comparant des zones à faible et fort impact humain.

Les données de contexte et pression sont réparties en 3 échelles spatiales emboitées: le bassin versant (8 descripteurs, par exemple urbanisation, agriculture intensive, érosion, irrigation, etc.), le tronçon (13 descripteurs, par exemple digues, barrages, rectification, densité d'arbre en ripisylve), le site (8 descripteurs dont les données physico-chimiques type nitrates et phosphores, les matières en suspension, la mosaïques des substrats du lit).

La méthode statistique utilisée est l'approche PLS (Partial Least Squares, régression partielle moindres carrés), une modélisation qui cherche à mettre en correspondance des données manifestes et des données latentes, en tenant notamment en compte les influences indirectes (quand une variable A modifie une variable B par une action intermédiaire sur une variable C).



Les données du modèle utilisé par Villeneuve et al 2018, art cit, droit de courte citation.  Cliquer pour agrandir.

Le modèle est décrit par ce schéma ci-dessus, où l'on voit les différentes pressions (cadres rectangulaires) concourant à produire le résultat à expliquer (score I2M2), ou plus exactement ses variations. On notera que la notion de pression hydromorphologique est vaste : elle inclut érosion, drainage, irrigation, retenues (au niveau du bassin versant), ainsi que barrages, digues, routes en bord de rive, zones urbaines, état de la forêt rivulaire, rectification, changement de largeur (au niveau du tronçon).


Poids direct et indirect des facteurs de variation de l'I2M2, selon les types de rivière, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.

Le schéma ci-dessus montre le poids relatif des grands facteurs causaux sur les variations de l'I2M2, selon les types de rivière. Le modèle distingue l'effet direct de l'effet total, ce dernier ré-ajustant l'effet observé en tenant compte des co-influences des facteurs. Le principal enseignement est que l'impact direct de la pollution (nutriments) sur site tend à se réduire si l'on prend en compte les effets indirects, au profit notamment des usages des sols et de l'hydromorphologie. Une autre observation est que ces variations sont plus ou moins marquées selon la dimension et la géologie de la rivière.

Les chercheurs soulignent : "En se focalisant sur l'effet total (direct + indirect) des variables latentes sur les valeurs I2M2, si les variables à impact majeur restent les concentrations en nutriments et en matière organique pour les petits cours d'eau non calcaires, les contributions relatives des effets indirects modifient l'ordre hiérarchique des impacts des autres variables latentes pour les autres types de flux. En effet, pour les petits cours d'eau non calcaires, la contribution décroissante à la variation des valeurs I2M2 expliquée par le modèle sont: nutriments et matière organique (42%), usages des sols du bassin versant (21%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin versant (16%), les mosaïques du substrat (15%) et les altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (6%). En revanche, dans les cours d'eau de taille moyenne non calcaire, l'ordre décroissant d'importance des impacts a été modifié en: usages des sols du bassin versant (29%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (29%), nutriments et matière organique (18%), mosaïques (17%) et altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin (7%). Pour les petits cours d'eau calcaires, cet ordre était: usages es sols du bassin hydrographique (33%), mosaïques du substrat (25,0%), nutriments et matières organiques (19%), altérations hydromorphologiques du tronçon (15%) et bassin versant (8%). Pour les cours d'eau de taille moyenne, il s'agissait de: usage des sols (35%), nutriments et matière organique (24%), mosaïque de substrat (18%), altérations hydromorphologiques du tronçon (18%) et du bassin (5%)".

Concernant l'hydromorphologie, les chercheurs observent : "le total des contributions directes des variables hydromorphologiques, aussi bien à l'échelle du bassin versant que du tronçon, représentait de 13% à 23% de la variance totale des valeurs I2M2 expliquées par les modèles. Ces contributions sont passées de 6% (cours d'eau de petite taille) à 13% (cours d'eau de taille moyenne non calcaire) en tenant compte également des effets indirects du bassin versant et de l'hydromorphologie sur les caractéristiques physico-chimiques et les mosaïques des sites, fournissant des contributions totales de 22% à 36% (selon les types de rivière) de la variance expliquée dans les valeurs I2M2."


Poids direct et indirect des échelles spatiales du site, du tronçon ou du bassin, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.

Ce nouveau schéma ci-dessus montre le poids relatif du site, du tronçon ou du bassin versant. Le principal enseignement est que la prise en compte de l'effet total met en valeur l'influence des grandes échelles spatiales (tronçons et bassin versants). En d'autres termes, quand on analyse plus finement l'influence réciproque des impacts, on s'aperçoit qu'une partie des influences attribuées au site relève plutôt du tronçon ou du bassin versant.

Discussion
Concernant le modèle proposé dans cette publication, plusieurs points nous sembleraient intéressants à approfondir :

  • les scores I2M2 viennent en général du réseau de surveillance de la directive européenne sur l'eau, dont les sites d'implantation ne sont pas représentatifs de tout leur bassin. Il peut y avoir un biais d'échantillonnage (de même qu'il existe une marge d'erreur dans le calcul des scores invertébrés, voir la thèse Wiederkehr 2015 dont l'impact sur la significativité des variations est peu étudiée en général). Des travaux sur un moins grand nombre de rivières, mais avec des mesures plus réparties sur leurs cours pourraient affiner les résultats du modèle;
  • une absente dans les entrées du modèle reste la pollution des cours d'eau par les substances autres que les nutriments. Il a été montré par la recherche que les populations européennes d'invertébrés terrestres sont en déclin tendanciel depuis plusieurs décennies, parfois prononcé, avec en ce cas de fortes suspicions sur le rôle des pesticides de synthèse. Mais bien d'autres micropolluants terminent dans les eaux, sans que l'on connaisse leur impact. Ce critère est certes approché par les taux d'urbanisation et d'agriculture, mais les pratiques d'épuration et les types d'agriculture sont assez variables. On soulignera à ce sujet que si le modèle prédit bien la direction de variation des scores I2M2, il est loin d'expliquer toute la variance observée (le R2 est de 33% pour les petits cours d'eau non calcaires, 50% pour les cours d'eau non calcaires, 44% pour les petits cours d'eau calcaires et 40% pour les cours d'eau calcaires); 
  • le modèle donne une photographie instantanée des bassins. Il serait intéressant de développer une approche plus dynamique où, pour les scores invertébrés dont on dispose de séries pluridécennales et homogènes, l'évolution observée des insectes est mise en lien avec celle des pressions (voir le travail de Van Looy et al 2016). Comme il s'agit ici d'écologie appliquée, avec des avis donnés aux gestionnaires, cette approche dynamique contribuerait à séparer plus efficacement les mesures qui risquent d'avoir peu d'effets (voire des effets négatifs) et les autres;
  • enfin, une attente forte réside dans l'évaluation détaillée de l'impact morphologique. Cette catégorie regroupe beaucoup de pressions différentes, comme on l'a vu ci-dessus dans la description du modèle. Le gestionnaire tient depuis une quinzaine d'années un discours sur l'égale importance de la pollution et de la morphologie. Cela peut s'entendre, mais le problème est que la morphologie désigne en réalité l'usage des eaux, des berges et des sols sur toutes les échelles (site, tronçon, bassin) : à ce niveau de généralité, on n'est guère avancé dans la décision! Il faudrait donc hiérarchiser plus finement le poids des pressions morphologiques, tant pour l'atteinte problématique des objectifs DCE 2027 que pour la bonne information du débat démocratique sur la rivière.

Ce modèle de Bertrand Villeneuve et ses collègues montre la complexité et la difficulté d'une étude d'impact sur les bassins versants. Certains lecteurs nous demandent parfois pourquoi nous jugeons les documents de la littérature grise (comme les états des lieux des SDAGE) insuffisants comme outils de décision : cette étude leur apportera un début de réponse. Une politique écologique commence par des mesures in situ et des modélisations pour comprendre le bassin versant sur lequel on investit de l'argent public. Par exemple, dépenser beaucoup d'argent à échelle de sites sans prendre en compte des altérations à échelle supérieure (tronçon, bassin) risque de produire des résultats modestes ou nuls, ce qui est d'ailleurs souvent observé en analyse avant-après d'interventions sur la morphologie (voir par exemple Morandi 2014, Lorenz et al 2018 en Allemagne, cette synthèse 2005-2015). Comme les variations de populations d'insectes aquatiques ne sont pas vraiment la priorité des citoyens, le choix d'interventions peu sensées et le risque de résultats insignifiants vont altérer un consentement à payer déjà assez modeste.

On notera à ce sujet que l'I2M2, comme tous les indicateurs DCE fondés sur l'état de référence, souffre d'une certaine circularité dans sa construction. On s'attend à ce qu'une rivière et un bassin modifiés par l'homme ne produisent pas les mêmes assemblages d'espèces que d'autres très peu modifiés. Le fait de nommer "dégradation" ce changement est un jugement de valeur davantage qu'un jugement scientifique, et il revient in fine à dire (par des moyens un peu complexes) qu'une "bonne" rivière serait une rivière sur laquelle l'homme intervient un minimum (paradigme de la "nature sans l"homme" comme référence idéalisée). Il reste encore à expliquer pourquoi, c'est-à-dire en vertu de quel jugement social partagé certains assemblages d'insectes (dans le cas de l'I2M2) sont préférables à d'autres. On peut douter que l'ovoviviparité ou le polyvotinisme d'une métapopulation d'invertébrés motive en soi un grand nombre de riverains à agir ! Si l'insecte témoigne d'une pollution également dommageable à l'être humain, sa variation a davantage de sens. S'il témoigne d'une évolution physique ou chimique de l'eau sans effet notable sur l'homme, l'enjeu paraît plus difficile à justifier en coût des politiques publiques. Les scores plus aisés à partager seraient certainement la biomasse et la biodiversité (perçues comme signes d'une nature diverse et en bonne santé), mais ils n'apparaissent plus dans le score unique agrégé des indices composites de type I2M2. Dans l'étude ici commentée, les variations des sous-scores composant l'I2M2 ne sont pas détaillées, ce qui est dommage.

Enfin, bien qu'il s'adresse au gestionnaire dans sa conclusion, ce travail apporte surtout des éléments d'intérêt à une théorie de l'évolution écologique des communautés aquatiques, selon une approche systémique. Il est en cela très utile, puisqu'il améliore l'intelligibilité de la dynamique des écosystèmes sous influence anthropique. Sa valeur restera en revanche limitée pour informer les débats très locaux, qui concernent l'écologie de sites particuliers. Par exemple, notre association fait régulièrement observer aux syndicats ou autres gestionnaires que la disparition des ouvrages hydrauliques transversaux (comme suppression d'un impact morphologique en lit mineur) fait dans le même temps disparaître divers micro-habitats secondaires, aquatiques ou humides, qui profitent eux aussi à certaines espèces, dont des invertébrés. Le score I2M2 de la station en lit mineur et la réalité de la biodiversité du site avant-après ne sont pas les mêmes mesures (en l'occurrence, la biodiversité ordinaire perçue par les riverains n'est pas celle de l'I2M2). Les modèles hiérarchisés de bassin versant peuvent donc nourrir des réflexions pour les politiques publiques répondant à des objectifs cadres (comme ceux de la DCE), mais ils ne permettront pas l'économie d'échanges bien plus précis sur la rivière et la biodiversité que veulent les riverains. Et cela ne se décide pas dans les bureaux de Bruxelles...

Référence : Villeneuve B et al (2018), Direct and indirect effects of multiple stressors on stream invertebrates across watershed, reach and site scales: A structural equation modelling better informing on hydromorphological impacts, Science of the Total Environment, 612, 660–671

12/03/2018

Les fonctionnaires de l'eau sont-ils indifférents au social? (Ernest 2014)

Accusation souvent entendue lors de nos échanges au bord des rivières et adressée aux représentants d'Agences de l'eau, de DDT-M ou de l'AFB ex Onema : "ces gens-là sont des ayatollahs de l'écologie, ils préfèrent les poissons aux humains". Exagération? Sans aucun doute. Néanmoins, un intéressant mémoire de stage adressé par un lecteur montre qu'effectivement, les fonctionnaires en charge de l'eau ont assez peu d'intérêt pour les questions sociales de représentations et d'usages de la rivière quand ils portent ou accompagnent des restaurations écologiques. Le même travail montre que les attentes riveraines ne sont pas toujours celles que l'on voit mises en avant dans les prospectus des établissements publics. C'est bien dommage, car la recherche scientifique tend à conclure que cet oubli du social est l'un des freins majeurs à la mise en oeuvre de politiques écologiques. Les fonctionnaires de l'eau en administration centrale, en collectivités territoriales ou en établissements publics gagneraient à recevoir des formations plus multidisciplinaires pour comprendre que la rivière n'est pas seulement un fait naturel, mais aussi bien un fait historique et social. Une écologie hors-sol et une volonté de restaurer la rivière contre l'homme plutôt qu'avec lui produisent des déceptions voire des conflits.

Organisé avec le soutien de l'association Arc Eau Ile-de-France, le mémoire d'Achim Ernest présente ainsi son champ d'étude : "L'objectif du stage visait à réaliser une étude sur les retours d'expériences de restaurations de cours d'eau urbains et périurbains en Ile-de-France. Ces cours d'eau complexes engendrent des réticences à l'action de certains opérationnels . La principale cause est le manque d'expérience sur cette problématique . Ensuite, l'acceptabilité des projets par les élus et la population semble également un frein important. La réalisation du stage s'est déroulée en plusieurs étapes . Premièrement, nous avons identifié les enjeux et les besoins des opérationnels. Deuxièmement, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de gestionnaires ayant l'expérience de restauration écologique de cours d'eau. Enfin, pour comprendre les facteurs de l'enjeu social, des enquêtes auprès du public ont été réalisées."

Les rivières urbaines sont des cas spécifiques dans le réseau hydrographique français en raison de leur environnement social: artificialisation ancienne et quasi-totale, forte densité de population, conflits de foncier et d'usage. Les opérations de restauration y ont souvent un bilan positif car on part d'une situation très dégradée au départ, et la forte contrainte foncière limite de toute façon les ambitions de l'aménageur, donc les risques d'aviver des désaccords sur des changements massifs du lit mineur ou majeur.

Au total, 18 cours d'eau ont été sélectionnés en Ile-de-France, plus un à Metz. Trois collèges d'acteurs ont été constitués : les gestionnaires, les représentants de l'Etat et les élus. Le public a aussi été interrogé là où une précédente enquête de satisfaction avait été réalisée (avec des résultats positifs).


L'importance donnée aux différents enjeux par le public est présentée dans le tableau ci-dessus (cliquer pour agrandir). Il y avait 10 thèmes à classer en 10 positions, les cadres de couleur rouge, rose, jaune ou vert indiquent le fréquence décroissante de placement de la même réponse à la même position.

Il est intéressant de noter que les déchets arrivent nettement en tête, suivi de la faune et de la flore ("ambiance nature") et du paysage et de l'esthétique. Les autres critères sont nettement plus dispersés: cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas importants pour certains, mais qu'il n'y a pas d'accord. Le risque de débordement divise par exemple : soit très fort (8 fois en premier) soit très faible (12 fois en dernier). Autre enseignement de ce tableau : la forme et la vivacité de la rivière, massivement mises en avant par les gestionnaires et les représentants de l'Etat comme un élément morphologique d'importance, arrivent en dernière position des attentes du public. Cela tend à confirmer qu'il s'agit d'un enjeu d'expert en écologie des milieux aquatiques souhaitant voir revenir des micro-habitats davantage qu'un désir social pour telle ou telle forme de rivière.

Autre statistique notable dans la perception du public : la faune la plus souvent citée comme d'intérêt par les riverains.

Le tableau montre que les oiseaux et les mammifères fréquentant les cours d'eau arrivent devant ou égalité avec les poissons, et nettement devant les insectes ou mollusques. Ce point est là encore en décalage avec une politique des rivières qui est le plus souvent centrée sur les poissons, non seulement de la part des fédérations de pêche (ce qui se conçoit vu leur intérêt partiulier d'usager de l'eau) mais aussi de l'AFB-Onema (ce qui est un biais moins acceptable). Cela pose aussi la question de "l'état de référence" tel que le définit la directive cadre européenne sur l'eau : les indicateurs biologiques normalisés ne reflètent pas la biodiversité perçue et appréciée, qui n'est pas forcément celle des cours d'eau tels qu'ils étaient jadis. Notre association a récemment publié un rapport demandant la prise en compte de la biodiversité totale des cours d'eau et plans d'eau, au lieu des approches actuellement très orientées sur certaines espèces et négligeant la diversité acquise au fil des derniers siècles.

Enfin, le tableau le plus révélateur est celui de la synthèse sur la sensibilité des différents intervenants à la dimension sociale des restaurations de rivière.


On voit que l'Agence de l'eau (ici Seine-Normandie) est la moins réceptive à la dimension sociale. Cela correspond à notre expérience associative et c'est un problème évident, puisque cette agence redistribue l'argent public pour des interventions d'intérêt général visant à améliorer des services rendus par les écosystèmes, et non uniquement pour l'intérêt écologique au sens "naturaliste". Police de l'eau, techniciens de rivière, Onema (aujourd'hui AFB) ont une sensibilité faible à moyenne aux attentes du public. Les autres acteurs y sont plus fortement attentifs.

Sur la question de la restauration des rivières, il existe une divergence entre les représentants de l'Etat d'une part, les élus et les riverains d'autre part. Cette divergence pose un problème démocratique. Elle n'est pas systématique bien sûr, mais néanmoins perceptible sur le terrain comme dans les rapports d'étude indépendants de l'administration ou dans les enquêtes publiques sur les chantiers de restauration. Quand les opérations concernent des destructions complètes de patrimoine bâti et de paysage en place, comme c'est le cas pour la continuité écologique, ces divergences deviennent plus évidentes et plus conflictuelles (voir le rapport du CGEDD 2016). Le ministère de l'écologie, tutelle de ces administrations, pratique depuis 10 ans le déni de cette réalité. Cette politique de l'autruche n'est pas intelligente car elle entretient voire avive les tensions au lieu de les apaiser. Une approche ouverte aux dimensions multiples des cours d'eau est la seule voie d'avenir pour des rivières durables à la gouvernance plus partagée et plus équilibrée.

Référence : Ernest A (2014), Etude des retours d’expérience de restauration des cours d’eau urbains en Île-de-France : l’importance accordée à l’aspect social de ces restaurations, mémoire de master «sciences et génie de l’environnement », Ecole nationale des Ponts et Chaussées, stage au LADYSS, 58 p.

A lire en complément
Continuité écologique sur l'Armançon (21) : un mémoire expose les visions (et les doutes) des parties prenantes (Defarge 2015) 
Dans une enquête de terrain réalisée sur l'Armançon cote-dorienne à l'occasion d'un stage de Master, Nicolas Defarge a travaillé à comprendre les perceptions de la continuité écologique au bord de la rivière. Pour la quasi-totalité des propriétaires et pour la majorité des élus / associations interviewés, la continuité écologique n'est pas acceptée si elle implique l'effacement comme solution préférentielle. Principaux noeuds de conflictualité : la crainte d'une modification non maîtrisée des écoulements et du bord de rivière ; l'absence de consentement à payer des aménagements jugés non prioritaires pour la rivière par rapport aux pollutions ; la perception d'une inégalité de traitement entre les ouvrages (certains grands barrages du cours d'eau n'ont pas d'obligation d'aménagement). Les dimensions juridique (droit d'eau) ou énergétique sont moins citées. Ce travail suggère qu'il sera difficile de réussir la politique de continuité écologique sans une prise en compte des attentes, des craintes et des besoins des propriétaires comme des riverains.

La continuité écologique au miroir de ses acteurs et observateurs (De Coninck 2015) 
Amandine De Coninck (LEESU - Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains, ParisTech) a réalisé une volumineuse thèse sur la concertation dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique, à partir d'expériences sur deux hydrosystèmes (rivière du Grand Morin, vallée de l'Orge). Le document fourmille d'informations et réflexions intéressantes sur le déploiement des politiques environnementales, sur les options et stratégies des acteurs, sur les possibilités et limites de la concertation. Tous les gestionnaires devraient lire ce travail pour appréhender la manière dont on peut construire cette concertation et les enjeux de cet exercice. De manière générale, les acteurs gagneraient en réflexivité à comprendre la relativité de chaque position et leur place dans un système complexe de représentations divergentes. Le travail montre notamment que le public des chercheurs a un certain recul voire scepticisme par rapport au discours monolithique de certaines administrations.

11/03/2018

En Ardèche, les riverains de la Beaume refusent la destruction du paysage de la rivière aménagée

Un peu partout en Ardèche, le paysage des rivières très anciennement aménagées par l'homme est menacé par une continuité écologique tentant de promouvoir la destruction des sites et la vidange forcée des retenues. Sur la Beaume à Joyeuse et Rosières, les habitants constatent les effets néfastes de cette politique : assèchement de la rivière lors de la phase d’étiage estival, baisse du niveau de la nappe phréatique d’accompagnement, érosion des berges dans le tronçon amont, dépérissement d’arbres liés à l’abaissement de la nappe, colonisation de l’ambroisie comme espèce quasi exclusive sur le tronçon asséché, disparition des populations de castors et de chauve-souris qui y trouvaient refuge. Dans un courrier reproduit ci-dessous, ils appellent les élus locaux et nationaux à sortir de cette politique dogmatique et contraire à l'intérêt général.


Télécharger la présentation du site accompagnant ce courrier

Rendez-nous notre rivière!
Collectif des habitants des communes de Joyeuse et Rosières.

Le 7 novembre 2016, nous avions attiré votre attention et celle de vos prédécesseurs sur la situation des villages de Rosières et de Joyeuse en Ardèche,  qui sont opposés à la destruction d’une digue sur la rivière La Beaume, historique (16ème siècle), conséquence d’une règlementation d’origine européenne datant de 2006, prônant la restauration de la continuité écologique des rivières, et pour ce qui nous concerne permettre à l’apron du Rhône de remonter la rivière, sur un maximum possible de 2 km.

Cette digue construite par nos anciens pour des raisons autant d’irrigation que de maitrise de la rivière dont les crues sont dévastatrices, fait partie du patrimoine historique, géologique et paysager de nos deux communes depuis des siècles, et sont un atout touristique important, nos villages accueillant chaque année des milliers de touristes français et étrangers.

Le projet initié par le Syndicat de Rivières Beaume Drobie, désormais intégré au syndicat du bassin versant de l’Ardèche, prévoyait une passe à poisson, d’une longueur de 120 m, en béton, qui aurait détruit irrémédiablement un site magnifique auquel la population est très attachée et aurait couté plus de 200 000 euros en intégrant les études déjà réalisées.

La solution proposée ne pouvant être acceptée en l’état, le Conseil Municipal a proposé une solution d’ouverture permanente de deux exutoires de la digue, qui s’est vite révélée dangereuse pour celle coté Rosières en raison d’un tourbillon et qui a du être refermée rapidement, celle coté Joyeuse étant ouverte depuis juin 2016. Les services de l’Etat ont accepté cette solution à titre d’expérimentation, mais restent officiellement prêts à autoriser la destruction de la digue s’il s’avère que l’apron du Rhone n’est pas remonté en amont fin 2018.

En 2017, nous avons pu constater les effets néfastes de cette décision d’ouverture liés à la sécheresse qui a sévi de mai 2017 à novembre 2017, laissant totalement à sec la rivière et obligeant même l’Onema à procéder à des pêches électriques pour sauver les poissons prisonniers des quelques gouilles subsistant en aval. Plus de 1700 personnes (nos villages comptent une population de 3000 habitants) ont signé une pétition en 2016 pour que la rivière retrouve son aspect antérieur.

Partout en France, et en Ardèche, des ouvrages sont menacés sans qu’une analyse pertinente des possibilités et des conséquences prenant en compte tous les aspects, écologique, environnementaux humains et économiques  ait été réalisée. Au moment où l’utilisation de  l’argent public doit être mesurée à l’aune des réels besoins de la population, nous ne pouvons accepter une telle décision.

Nous vous demandons, comme Madame Royal s’y était engagée en décembre 2016, à ce qu’une analyse au « cas par cas » puisse être mise en œuvre, avant toute décision irréversible. 

Nous vous demandons l’abandon du projet, et la remise en état de la digue à l’initial. Nous sommes prêts à rencontrer les élus qui le souhaitent pour être entendus sur ce sujet.

A lire en complément
Apron du Rhône: les petits ouvrages expliquent-ils sa disparition?
Les données dont on dispose sur l'apron démontrent difficilement que les ouvrages anciens sont responsables de la disparition de ce poisson, qui était encore bien réparti sur 2200 km de cours d'eau au début du XXe siècle. A l'époque, les moulins fragmentaient pourtant les lits depuis des siècles, sans compter les nombreuses chutes naturelles infranchissables pour ce poisson qui migre très peu.

09/03/2018

Les Amis de la Sélune, faux-nez du lobby des pêcheurs de saumon

Le collectif des Amis de la Sélune milite pour la destruction des lacs et barrages de la vallée. L'examen de ses adhérents affichés montre qu'il s'agit dans 76% des cas d'associations et fédérations de pêche. Bien loin de s'engager de manière désintéressée pour l'écologie des rivières, il s'agit en fait de gagner des linéaires pour un loisir fondé sur la prédation. On se demande pourquoi certaines associations de protection de la nature se compromettent avec ce lobbying — le même qui essaie en ce moment de faire lever l'interdiction de pêche au saumon sur l'axe Loire-Allier et de poursuivre à grands frais l'alevinage par des souches dégénérées d'élevage. Loin d'être favorable à leur pratique, déjà largement ouverte sur des linéaires bretons et normands, la posture extrémiste de ces casseurs-pêcheurs risque surtout de se retourner contre eux et d'envenimer les rapports avec les riverains propriétaires des berges. Car finalement, pourquoi faudrait-il tolérer ces usagers intolérants et militants de la destruction du patrimoine?



La destruction des barrages de la Sélune n'a jamais été portée avec conviction par le territoire de Sud Manche, ses élus et ses habitants. Depuis le départ, c'est la pression de certains usagers - en particulier, les pêcheurs de saumon en tirant un profit pour leur loisir - qui s'est exercée au sein de la commission locale de l'eau du SAGE et des diverses instances de bassin où ces permanents des structures pêche ont la garantie d'une représentation, contrairement aux riverains. Cette pression a rencontré un écho favorable au sein des bureaucraties publiques de l'eau : Agence de l'eau Seine-Normandie, DDT-M, Dreal, Agence française pour la biodiversité (ancien Onema et Conseil supérieur de la pêche, qui appuie surtout l'halieutisme). Dans les années 2000, le ministère de l'écologie (tutelle de ces services) était à la recherche de quelques sites spectaculaires pour accompagner l'annonce du plan de restauration de la continuité écologique de 2009. Les tractations avec la direction EDF ont conduit à sacrifier les barrages de la Sélune (pas de renouvellement de concession) en échange de reports d'intervention sur le barrage de Poutès dans l'Allier.

Au long de ce processus, un collectif "les Amis de la Sélune" a essayé d'entretenir l'illusion d'une forte demande locale de changement de la vallée par destruction des barrages.

Ce collectif est en réalité porté par quelques associations écologistes nationales ou internationales, ayant une faible base militante, mais surtout par beaucoup de structures de pêche de loisir (ou professionnelle). La plupart de ces organisations reçoivent des subventions publiques et ne sont pas indépendantes du ministère dont elles appuient les décisions : ce chassé-croisé des associations et bureaucraties est évidemment une caricature de dialogue environnemental et de consultation de la société civile. L'examen de l'enquête publique a montré que nombre de soutiens apportés à la destruction étaient extérieurs à la vallée de la Sélune, à la Manche et même à la France (participation organisée de pêcheurs de saumon des quatre coins de la planète). Quand une consultation locale a été organisée en 2015, 99% des 20 000 riverains ayant voté ont refusé la destruction : la soi-disant demande sociale a fait pschitt, la vallée veut garder ses lacs.

Le dernier communiqué de ce collectif des Amis de la Sélune comporte cette précision:
Le collectif « Les Amis de la Sélune » rassemble un grand nombre d’organisations issues de la société civile, en France et à l'étranger, dont :
ANPER TOS - Association Bretonne pour la Pêche à la Mouche - Association Internationale de Défense du Saumon Atlantique – Club des Saumoniers - Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce - Eau et Rivières de Bretagne - European Rivers Network - Fédération de la Manche pour la Pêche et 24 AAPPMA - Federation of Irish Salmon and Sea Trout Anglers - Fédération Française des Moniteurs Guides de Pêche - Fédération Nationale pour la Pêche en France - Fondation GoodPlanet - Fonds Humus pour la biodiversité - L'Hydroscope - Ligue pour la Protection des Oiseaux - Manche Nature - Mayenne Nature Environnement - North Atlantic Salmon Fund - SOS Loire Vivante - Sustainable Eel Group – AAPPMA de l'Elorn (Finistère) - AAPPMA de Pont-Croix (Finistère) - AAPPMA de Pontrieux - la Roche Derrien (Côtes-d’Armor) - Association Régionale des Fédérations de Normandie pour la Pêche et la Protection du milieu aquatique – Association Régionale des Fédérations de Bretagne pour la Pêche et la Protection du milieu aquatique - Vét'Eau Pêche
Or, on voit que 36 associations sur 47 (76,5%) sont en réalité des structures de pêche.

Le message est clair : quelques associations écologistes ont ici servi de paravents à des usagers de la rivière qui ont avant tout pour désir d'étendre une activité de loisir et de prédation, pourquoi pas de développer un business de tourisme international haut-carbone pour que les pêcheurs du monde entier viennent s'amasser sur les rives et traquer une espèce que l'on dit vouloir protéger. (Mais là-dessus il y a loin des promesses aux réalités, comme l'a montré l'exagération des mirifiques perspectives de tourisme halieutique sur la Touques.)

Cette place de premier plan des pêcheurs dans la pression en vue de détruire les ouvrages de la Sélune a été observée dans des travaux de recherche universitaire (voir Lespez et Germaine 2017).

Est-ce un bon calcul? Si les barrages de la Sélune venaient à être détruits - ce qui reste à voir, attendu qu'un front contentieux s'ouvrira contre les décisions préfectorales en ce sens et que la vallée y est fortement opposée -, les pêcheurs de saumon n'y auraient pas forcément la vie tranquille qu'ils espèrent.

D'une part, les propriétaires privés riverains seraient amenés à une réflexion sur la concession du droit de pêche au lobby ayant milité pour détruire leur cadre de vie et les barrages auxquels ils sont attachés (ainsi qu'à une valorisation éventuelle de leur droit de pêche autrement que par concession gratuite à ces AAPPMA et fédérations extrémistes). D'autre part et surtout, une requête en interdiction totale de la pêche du saumon serait déposée - notre association vérifiera dès publication d'un arrêté d'effacement l'engagement du gouvernement sur ce point. Car il ne faut pas prendre les citoyens pour des idiots : on ne va pas dépenser des dizaines de millions € d'argent public et détruire le cadre de vie de dizaines de milliers de riverains pour la protection d'une espèce que l'on dit menacée, puis permettre dans la foulée à quelques milliers de prédateurs de venir la stresser pour leur bon plaisir, nuisant à la recomposition du stock comme à la qualité de l'étude scientifique. Une destruction devrait donc être synonyme d'une interdiction de pêche, et de contentieux si l'Etat s'y refusait.

Les pêcheurs de salmonidés disposent déjà d'importants linéaires pour leur loisir, sur la baie du Mont Saint-Michel (Sienne, Sée, Couesnon, Sélune aval) et la Manche (Saire, Vire) mais aussi sur de nombreux côtiers normands ou bretons. Leur militantisme en faveur de la destruction des barrages de la Sélune contre l'avis des habitants de la vallée relève d'une posture extrémiste et intolérante. Les riverains souhaitant protéger les lacs et barrages n'ont aucune raison de subir sur leurs berges des gens qui propagent ces attitudes de destruction et de division. C'est en manifestant leur refus qu'ils amèneront les pêcheurs à réfléchir et à mieux respecter les autres usages. Et ce qui vaut pour la Sélune doit valoir pour toutes les rivières où des AAPPMA militent aujourd'hui en faveur de la destruction irrémédiable du patrimoine hydraulique.

A lire sur la Sélune
Le déni démocratique
Bassin pollué et dégradé, risques sur la baie du Mont-Saint-Michel
Le gain réel pour les saumons
Le bilan coût-bénéfice déplorable de la destruction des barrages
Pollution génétique des saumons de la Sélune par les empoissonnements
Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

08/03/2018

Le parc Champagne-Bourgogne, l'obstacle à l'écoulement et la truite arc-en-ciel

Le parc des forêts de Champagne et Bourgogne est un futur parc national français en cours de concertation. La prochaine assemblée générale, qui risque de se tenir dans un climat tendu, propose d'adopter la charte du Parc. Ce texte a valeur contraignante, donc ses dispositions nombreuses soulèvent des débats. Nous commentons ici la mesure sur la naturalité et la fonctionnalité des cours d'eau, d'où il ressort qu'il faut avant toutes choses traquer et effacer chaque obstacle à l'écoulement, mais que déverser des truites arc-en-ciel ne pose pas de problème majeur à la bien étrange "naturalité"


L'objectif 6 de la charte vise à "garantir le bon fonctionnement des écosystèmes et l’expression de la biodiversité", et sa mesure n°3 à "renforcer la naturalité et la fonctionnalité des cours d’eau". Cliquer sur l'image ci-dessus pour lire ce texte.

Que peut-on y lire?
"La qualité des cours d’eau des têtes de bassin versant, qui repose notamment sur leurs eaux courantes, fraîches et bien oxygénées, est recherchée avec les signataires de la charte."
Cet incipit ressemble à une image de carte postale. Une rivière de tête de bassin versant boisé livrée à sa naturalité serait bien souvent une succession d'embâcles et de barrages de castors avec des alternances d'eaux courantes et stagnantes, des bras temporaires, des changements de lit, etc. L'image ci-dessous (DR) donne une idée de ce type de rivière, dont le cours tout à fait naturel mais peu prévisible n'est d'ailleurs pas sans provoquer des soucis aux propriétaires des rives.


"Le rétablissement de la continuité écologique aquatique de tous les cours d’eau du cœur, quel que soit leur classement, est accompagné sur la base de démarches concertées et d’études analysant l’ensemble des enjeux (naturels, paysagers, culturels et économiques) afin de mettre en œuvre des solutions exemplaires. Il tient compte notamment de la présence d’un important patrimoine bâti en bordure des cours d’eau et d’aménagements parfois à forte valeur sociétale/sociale, historique ou architecturale qu’il contribue à mieux connaître."
Ce texte montre des avancées dans la perception et la prise en compte des ouvrages anciens. Mais après 10 ans de conflit sur la continuité écologique, le projet du Parc ne retient pas la leçon et n'arrive pas à énoncer la phrase claire qui aurait débloqué les choses, à savoir que la protection du patrimoine hydraulique bâti des moulins et étangs, incluant les retenues et les biefs, est la solution de première intention. Au lieu de cela, nous avons le jargon technocratique des "solutions exemplaires" dont les propriétaires et riverains ont appris depuis 10 ans la signification exacte : soit vous effacez, soit vous payez de votre poche les centaines de milliers d'euros de "l'exemplarité". Vu que la charte considère les buses et gués comme des problèmes graves, on se doute que des chaussées, digues et barrages n'auront pas des arbitrages favorables.
"Pour garantir la naturalité des cours d’eau en cœur, la charte encadre les opérations de repeuplement de poisson. Seul le déversement de truite arc-en-ciel est possible sans autorisation préalable dans certains secteurs identifiés."
La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) est une espèce nord-américaine, acclimatée en Europe à fin de loisir par les adeptes de la pêche sportive. Le manuel de référence de Bruslé et Quignard 2013 nous dit qu'"introduite dans 97 pays, elle peut être considérée comme invasive et, suite à un impact, menacer la survie des populations naturelles de truites et de saumons" (Biologie des poissons d'eau douce européens, p. 111). La truite arc-en-ciel n'a pas beaucoup d'intérêt en rivière, à part procurer au pêcheur du dimanche la satisfaction de son quota de prédation. Qu'une charte visant la naturalité prévoit la possibilité de son déversement dans les eaux du coeur de parc de Champagne et Bourgogne indique l'efficacité du lobby pêche et la complaisance laxiste de l'AFB ex Onema dès que ces intérêts halieutiques sont en jeu.

Conclusion : dans le domaine aquatique, le projet de Parc illustre surtout les idées dans l'air du temps et les contradictions qu'elles affrontent pour devenir une politique écologique de territoire. Il est peu pédagogique de véhiculer des illusions de "naturalité" alors que l'on a seulement ici une certaine vison de la nature. Les seules options conformes à cette idée sous-jacente de "naturalité comme nature sans l'homme" seraient les choix d'interdiction totale de présence humaine et de non-intervention, comme cela peut se pratiquer dans les parcs de certains pays. Mais c'est peu envisageable dans les zones densément et anciennement peuplées comme l''Europe. Sinon, on a un mode de gestion de la nature conforme au goût et à l'intérêt de certains acteurs. Pourquoi pas, mais autant le dire.

07/03/2018

Belleydoux : consolider le seuil, revoir le classement de la Semine

La destruction de l'ouvrage de Belleydoux a été stoppée, mais sa ligne de crête a été fragilisée par les premiers travaux. Les mesures au droit du site suggèrent que le transit sédimentaire est moins important que prévu. Et il est reconnu que la rivière Semine est déjà fragmentée par des chutes naturelles, non franchissables en montaison. Notre association souhaite donc des mesures proportionnées au droit de l'ouvrage de Belleydoux et une révision du classement liste 2 de la Semine. Une consolidation du faîte de l'ouvrage est nécessaire pour prévenir les risques posés aux riverains et aux usagers de canyoning, qui apprécient cette chute artificielle s'ajoutant aux chutes naturelles de la rivière et offrant un cadre superbe aux activités de plein air. Des rivières durables valent mieux que des rivières sauvages... 

Le seuil de Belleydoux a fait l'objet d'une opération de démantèlement que notre association juge illégale, car elle modifie plus de 100 m de profil de la rivière sans autorisation ni enquête publique. Une plainte contre la préfecture de l'Ain a été déposée en 2017, en cours d'examen par le tribunal administratif de Lyon.

A la suite de cette plainte, mais aussi de la forte mobilisation des riverains (près de 700 signataires d'une pétition contre le démantèlement) et des usagers (canyoning notamment), la chantier a été stoppé et un cycle de concertation ouvert.

Hélas, les riverains observent que le démantèlement de la première ligne de crête du barrage l'a fragilisé. Comme on le voit sur cette photo, des blocs ont été emportés (à droite) par les crues hivernales.


Notre association se félicite que la concertation reprenne, mais déplore qu'elle n'ait pas eu lieu avant, lors de la construction du projet. Il n'y a aucun avenir sur nos rivières pour des chantiers qui ne sont pas d'abord portés par les riverains en vertu des services qu'ils leur rendent, au lieu d'être imposés par des comités fermés ne représentant qu'une partie des usages, des attentes et des connaissances.

Dans le cas du seuil de Belleydoux, il a été observé ces derniers mois que le transit sédimentaire après démantèlement partiel de l'ouvrage est inférieur aux attentes du maître d'ouvrage (parc naturel régional Haut Jura).

Nous n'en sommes pas particulièrement surpris : les ouvrages anciens comme celui de Belleydoux sont largement atterris, et ils ont donc acquis une certaines transparence sédimentaire : lors de crues morphogènes, le transport solide se fait en surverse de l'ouvrage sans que celui-ci représente un obstacle (contrairement à un grand barrage qui a des capacités de stockage de plusieurs millions de m3 et un parement de hauteur non submersible). Le dossier très sommaire présenté en justification de cet effacement ne démontrait d'ailleurs pas l'existence de déficit significatif altérant des habitats sur un linéaire d'importance, déficit qui aurait été de nature à motiver un démantèlement à financement public.

Par ailleurs et surtout, l'analyse sédimentaire demande un modèle hydromorphologique du bassin entier, et non une approche par site. Le niveau actuel d'équilibre dynamique sédimentaire est différent d'un bassin à l'autre, il s'établit sur long terme (décennies à millénaires) et il dépend de l'état des berges comme de celui des sols du bassin versant. Par exemple, certains bassins sont en situation de déficit d'apports du fait des afforestations faisant suite à la déprise agricole (en ce cas, le lit peu nourri tend de toute façon à s'inciser et s'enfoncer jusqu'au socle crue après crue, faute d'apports suffisants par l'érosion latérale).

On ne peut donc se prononcer sur un enjeu sédimentaire en prenant pour base des règles génériques ni en prenant pour objectif la petite quantité de sédiments contenue dans le remous d'un ouvrage modeste : c'est une approche à échelle bassin qui doit montrer l'existence d'un éventuel enjeu, et modéliser les variations de transit solide selon les hypothèses d'aménagement retenues en lit mineur, mais aussi en lit majeur.


Outre cette question sédimentaire, la rivière Semine est fragmentée de nombreuses chutes naturelles (cf ci-dessus, photos extraites du site descente canyon). Ces discontinuités atténuent considérablement l'enjeu ichtyologique de continuité et rendent peu compréhensible le classement au titre du L 214-17 CE (dont on aimerait connaître la motivation exacte, un courrier d'accès aux pièces du classement va être envoyé au préfet). Fragmentant naturellement le cours de la rivière, ces chutes suggèrent de notre point de vue que l'usage pêche devrait être prioritairement réglementé afin que les populations endémiques de cet hydrosystème isolé par la géologie ne soient pas affectées (évitement des alevinages, no kill, décontamination des matériels de pêche à risque de contamination par la saprolègne, etc.).

Pour la suite, notre association souhaite que la préfecture de l'Ain prononce une exemption de continuité sur l'ouvrage de Belleydoux et retravaille la pertinence du classement de la rivière Semine en liste 2 au titre de la continuité écologique.

Cette issue est autorisée par la circulaire DEVL1240962C du 18 janvier 2013 relative à l'application des classements de cours d'eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique.

Le ministère avait pris soin de préciser notamment :
"les mesures à imposer doivent tenir compte de la réalité locale et des enjeux réels des cours d'eau, de l'impact des barrages et de la proportionnalité des coûts par rapport à l'efficacité et aux bénéfices attendus. (…) Le seul  aménagement  de  l'ouvrage  pour  assurer  cette  circulation  dans  le  sens  amont-aval  peut répondre à l'obligation induite par le classement à partir du moment où l'aménagement pour la montaison  n'a  pas  de  justification  écologique  suffisante  comparée  à  son  coût.  De  même, lorsqu'un ouvrage se situe à l'amont immédiat d'une chute naturelle, assurer la montaison peut ne pas avoir de sens écologique ; les mesures permettant d'assurer correctement la dévalaison seront alors suffisantes pour remplir l'obligation liée au classement à ce titre."
"Pour les seuils ne comportant pas de vannages, les prescriptions (déplacement des sédiments, dérasement, arasement, etc.) seront à adapter en fonction de leur impact individuel et de l'effet de cumul de sédiments qu'ils peuvent générer le cas échéant."

Ces conditions particulières de fragmentation par des chutes naturelles et d'enjeu sédimentaire non spécifié sont remplies pour la Semine au droit du seuil de Belleydoux.

Enfin, au regard des risques liés à la destructuration par les crues de l'ouvrage fragilisé - risques pour les riverains et dans la pratique de canyoning -, nous demandons que la ligne de faîte soit consolidée l'été prochain.

06/03/2018

Modèle de courrier pour un chantier de continuité écologique imposé au titre du L 211-1 code de l'environnement

Depuis quelques mois, l'administration en charge de l'environnement, s'appuyant sur un arrêt du Conseil d'Etat, tend à exiger des aménagements de continuité écologique en dehors des rivières ayant fait l'objet d'un classement (liste 2 du L 214-17 CE). Elle s'appuie sur l'article L 211-1 du code de l'environnement. Nous proposons ci-dessous pour les associations, les collectifs riverains ou le cas échéant les particuliers un modèle de courrier à ce sujet. L'article L 211-1 code de l'environnement est intéressant car s'il mentionne bien la continuité de la rivière, il énumère surtout l'ensemble des conditions de la "gestion équilibrée et durable de l'eau" (donc de l'intérêt général). Or ce texte, associé à d'autres rappelés dans ce modèle de courrier, montre que la destruction des ouvrages hydrauliques est généralement contraire à cet intérêt général car elle nuit à des éléments protégés par la loi. C'est donc un levier pour combattre certains chantages à l'effacement, qu'ils proviennent des agences de l'eau, des DDT-M ou de l'AFB, et plaider en faveur de solutions simples d'aménagement. 


Modèle de courrier (ici pour une association) aux DDT(-M)

Dans votre courrier visé en objet, vous signalez à notre association que le cours d'eau ne figure pas dans les listes 1 ou 2 au titre de l'article L 214-17 code de l'environnement, mais que l'article L 211-1 code de l'environnement 7° mentionne le "rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques" comme l'un des éléments de la gestion équilibrée et durable de l'eau.

C'est tout à fait exact. Nous souhaitons cependant mettre en contexte cette disposition dont vous vous prévalez.

Les arguments ici développés valent pour toute instruction de vos services motivée par cet article L211-1 CE sur les cours d'eau et plans d'eau du département

La "continuité écologique" : notion à spécifier
La "continuité de la rivière" est inscrite dans l'annexe V de la directive cadre européenne sur l'eau 2000 de même que la "continuité écologique" est inscrite dans la loi française (article L 211-1 code de l'environnement, article L 214-17 code de l'environnement).

La continuité en question désigne la continuité longitudinale, latérale, verticale et temporelle de l'écoulement de l'eau, du transport des sédiments et de la circulation des espèces.

Pour les espèces migratrices de poissons formant la cible biologique première de la défragmentation des rivières, la continuité en long au droit d'un ouvrage hydraulique peut être rétablie par :

  • Ouverture ou dépose de vanne
  • Rivière de contournement
  • Rampe rustique
  • Passe technique adaptée aux besoins migrateurs
  • Destruction partielle (arasement) ou totale (dérasement)

Donc d'une part, la continuité en long n'est qu'une des dimensions de la continuité écologique ; d'autre part, la destruction d'un ouvrage est une option extrême de rétablissement de cette continuité, dont la justification doit être forte en termes de garantie de bénéfices pour les milieux et stricte pour le respect des droits des tiers. Dans certains cas, la destruction d'un ouvrage et de sa retenue peut rompre la continuité temporelle (risque d'assec par exemple).

Dans le cas discuté en objet, il s'agira de démontrer in concreto a) l'existence d'espèces présentant un besoin de migration et b) l'entrave réelle à cette migration en l'hydrologie et la morphologie actuelles du site (ce qui peut s'observer le cas échéant par un déséquilibre des populations amont / aval). Vous voudrez bien nous transmettre les pièces en ce sens, par exemple les relevés de l'AFB. Une absence de motivation de la nécessité de la continuité en long dans le cours de la procédure contradictoire conduirait de notre point de vue à invalider le projet.

La continuité en long : les lois demandent l'aménagement et non la destruction d'ouvrages

Les lois françaises et les directives ou règlements européens - dont on rappellera la supériorité aux arrêtés préfectoraux (incluant SAGE ou SDAGE) dans la hiérarchie des normes juridiques - n'ont pas demandé la destruction des ouvrages hydrauliques.

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 créant l'article L 2147 code de l'environnement évoque " Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. "

Ni l'arasement ni le dérasement n'est défini comme solution, l'ouvrage doit être géré, équipé ou entretenu lorsqu'il y a un classement réglementaire de continuité écologique.

Le loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, créant la Trame verte et bleue, énonce dans son article 29 : " La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés."

Là encore, la loi évoque l'aménagement, et non l'arasement. Les députés et sénateurs ont expressément retiré un amendement qui prévoyait d'inscrire la destruction d'ouvrage dans les orientations du législateur pour la Trame verte et bleue. La loi demande également de traiter "les ouvrages les plus problématiques", ce qui suppose une analyse par bassin pour hiérarchiser les enjeux et garantir la cohérence des interventions financées sur argent public.

Le Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe (Blue print) COM/2012/0673 de 2012 édicté par la Commission européenne et notamment relatif à l'application de la DCE 2000  énonce à propos de la continuité en long de la rivière : "Si les évaluations de l'état écologique doivent encore être améliorées, il apparaît que la pression la plus courante sur l'état écologique des eaux de l'UE (19 États membres) provient de modifications des masses d'eau dues, par exemple, à la construction de barrages pour des centrales hydroélectriques et la navigation ou pour assécher les terres pour l'agriculture, ou à la construction de rives pour assurer une protection contre les inondations. Il existe des moyens bien connus pour faire face à ces pressions et il convient de les utiliser. Lorsque des structures existantes construites pour des centrales hydroélectriques, la navigation ou à d'autres fins interrompent un cours d'eau et, souvent, la migration des poissons, la pratique normale devrait être d'adopter des mesures d'atténuation, telles que des couloirs de migration ou des échelles à poissons. C'est ce qui se fait actuellement, principalement pour les nouvelles constructions, en application de la directive-cadre sur l'eau (article 4, paragraphe 7), mais il est important d'adapter progressivement les structures existantes afin d'améliorer l'état des eaux."

Les aménagements non destructifs sont donc présentés comme préconisation de première intention au plan européen également.

De ces textes, il résulte que des solutions de destruction d'ouvrages hydrauliques ne sont pas les préconisations nationales ou européennes quand il s'agit de rétablir une continuité longitudinale. Dans le cas du chantier visé en objet, l'ignorance de ces textes par le pétitionnaire et ses maîtres d'oeuvre, par vos services ou par ceux de l'agence de l'eau dans l'évaluation des financements conduirait notre association à contester la rigueur de l'instruction et la qualité de sa procédure contradictoire.

L'article L 211-1 code de l'environnement définit les conditions d'une gestion équilibrée et durable de l'eau conforme à l'intérêt général

Comme vous le rappelez dans votre courrier, la doctrine publique de la "gestion équilibre et durable de la ressource en eau" est spécifiée dans l'article L 211-1 code de l'environnement.

Mais vous ne citez que l'aliéna 7° du I relatif à la continuité écologique, en omettant de référer à l'intégralité de cet article, dont toutes les dispositions s'appliquent à tout projet en rivière. Or, c'est bien l'ensemble de ces dispositions qui va construire l'appréciation d'un intérêt général, et non telle ou telle isolée des autres.

"I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
(…)
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.- La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme."

Pour que le projet d'évolution de l'ouvrage hydraulique soit réputé d'intérêt général et conforme à cet article L 211-1 CE, il ne devra pas seulement rétablir une continuité en long (s'il est établi que la fragmentation représente en l'espèce un impact biologique significatif au droit du site), mais également vérifier dans quelle mesure l'objectif de continuité est conforme à ces autres enjeux :

  • contribuer à la prévention des inondations, 
  • préserver les zones humides (dont les plans d'eau, annexes humides et queues marécageuses, canaux font partie),
  • éviter tout écoulement sédimentaire dommageable (pollution, colmatage),
  • contribuer à une politique de stockage de l'eau à l'étiage,
  • respecter la vie biologique installée dans les milieux en place,
  • protéger les sites et les loisirs,
  • préserver le patrimoine hydraulique.

Notre association serait conduite à refuser le caractère d'intérêt général de tout chantier qui ne garantirait pas le respect optimal de l'ensemble de ces conditions d'une gestion durable et équilibre de l'eau, ou ne prévoirait pas des compensations si un choix particulier d'évolution du site devait nuire aux autres enjeux protégés par le L-221-1 code de l'environnement.

Illustration : exemple de passe à poissons (bassins successifs enrochés) au droit d'un moulin de la rivière Cousin, bien intégrée paysagèrement, ayant bénéficié d'un financement à 100% dans le cadre du programme LIFE+ Parc du Morvan. De tels montages de continuité en long ne posent pas de problème majeur et préservent les différentes dispositions de l'article L 211-1 code de l'environnement, contrairement aux destructions.

04/03/2018

100 élus de la Manche demandent à Nicolas Hulot de stopper la casse des barrages de la Sélune

En novembre 2017, le ministère de la Transition écologique et solidaire a relancé de manière non concertée le projet contesté de destruction des lacs et barrages de la Sélune, prétendant notamment avoir reçu les élus locaux qui en auraient fait la demande. Près de 100 élus du Sud Manche contestent aujourd'hui cette version des faits, en rappelant l'attachement du territoire aux lacs et aux barrages de la Sélune, ainsi que leur souhait de trouver des solutions non destructrices pour l'avenir du site.



Lettre ouverte des élus du sud de la Manche 
(téléchargeable ici)

Monsieur le Ministre,

Nous avons été très choqués par votre communiqué du 14 novembre concernant le barrage de Vezins: on vous aurait fait croire que tous les élus locaux seraient d’accord avec sa suppression. C’est notoirement faux, pour la très grande majorité d’entre eux, et cette fable risque de porter un grave préjudice au territoire! Il faut que vous sachiez qu’il y a un vrai débat, mais que les habitants du territoire sont très majoritairement en faveur du maintien du lac.

La voie adoptée par Ségolène Royal pour tenter d’organiser une prise de décision sereine a été de commencer par faire appliquer le décret du 11 décembre 2007 qui impose que les barrages fassent périodiquement l’objet d’un « carénage » avec vidange complète – la vidange étant ici conduite par précaution sur un calendrier très étalé. Ce schéma n’a pas été contesté dès lors qu’il subordonnait la suite du débat à l’application des règles concernant la sûreté des grands barrages : à défaut de cette motivation, la vidange du lac aurait certainement fait l’objet de mouvements très négatifs. Si ce décret est bien ce qui s’applique, quelles dispositions pensez-vous prendre pour que les actions classiques de contrôles et réparations qui constituent l’examen de sûreté aboutissent rapidement et dans des conditions de professionnalisme et d’indépendance qui puissent donner confiance tant aux partisans de la suppression qu’à ceux du maintien ?

Si ce carénage confirme le bon état de la structure et permet le rétablissement des 200 hectares du lac, des propositions vous seront présentées pour la continuité écologique, une vraie prévention (protection des biens et des personnes : zones industrielles et d’habitations) des inondations et la gestion de la réserve d’eau mais aussi, si vous approuvez le principe d’une remise en concession, pour l’énergie, directement, via une STEP ou la production d’hydrogène et pour le maintien et le développement de l’emploi dans ce territoire. 

Si en revanche l’ouvrage apparaissait présenter des dégradations sérieuses qui ne seraient pas réparables dans le cadre d’un carénage normal, vous seriez mieux en mesure d’expliquer une décision de suppression même si elle poserait de sérieuses difficultés pour le territoire.

Illustration : Le lac de retenue du barrage de Vezins. Par Ikmo-ned — Travail personnel, CC BY-SA 3.0.

02/03/2018

Le droit de pêche est mal respecté en cours d'eau non domaniaux

Un sondage mené par notre association suggère que la gestion des droits de pêche en cours d'eau non domaniaux est problématique, avec les 3/4 des répondants n'ayant aucun accord tacite ou explicite de concession de leur droit de pêche à une association. Certaines fédérations et associations de pêche affirment pourtant dans leur communication que la rivière entière est ouverte à leurs adhérents, ce qui est faux. Hydrauxois va donc demander aux instances halieutiques et aux services administratifs de faire mieux appliquer les dispositions du code de l'environnement. Et travailler à ce qu'un respect mutuel des différents usages de la rivière s'instaure.


Nous avons récemment rappelé ce que dit la loi française sur le droit de pêche. En rivière non domaniale, ce droit appartient à chaque riverain (L435-4 CE), les associations agréées ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent (L434-3 CE), le droit de pêche peut être exercé gratuitement en cas d'intervention d'entretien sur une propriété répondant aux conditions du L435-5 CE, dans les précisions apportées par le Conseil d'Etat (n°320852, 23 décembre 2010).

Dans le même temps, notre association a lancé un sondage prospectif sur ses adhérents et sympathisants en cours d'eau non domaniaux. Nous avons obtenu 175 réponses, ce qui donne un premier aperçu.



En fréquence, 76,6 % des répondants ont parfois ou souvent des pêcheurs sur leurs rives.



En terme de concession du droit de pêche, 23,4% seulement ont un accord tacite ou explicite avec l'association de pêche.

Il y a donc un problème, puisqu'une association ne peut proposer à ses adhérents de pêcher en rivière non domaniale que si elle détient un droit de pêche sur les propriétés riveraines.

Parmi les autres résultats :
  • 55% des répondants se disent plutôt ou beaucoup gênés par la présence de pêcheurs,
  • 60% des personnes gênées souhaitent être aidées pour faire respecter le droit,
  • 49,6% des personnes non gênées aimeraient que le droit de pêche soit malgré tout formalisé.
Notre association va donc entreprendre sur l'Yonne et la Côte d'Or un certain nombre de démarches pour que cette question des droits de pêche soit mieux gérée par les instances halieutiques, et mieux contrôlée par l'administration.

Chaque propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial est libre d'attribuer le droit de pêche à sa convenance (sauf cas particulier de financement public de travaux d'entretien). En tant qu'association, nous sommes favorables aux usages multiples de la rivière, et si la pratique de pêche ne produit pas des problèmes d'intimité, nous incitons plutôt à la tolérer afin que chacun profite de la rivière selon ses centres d'intérêt.

Toutefois, il faut encore que les pêcheurs développent des bonnes pratiques environnementales (qui ne consistent pas toujours à optimiser les sites pour tel ou tel poisson) et surtout qu'ils se montrent  eux-mêmes tolérants vis-à-vis des autres usages de la rivière. En particulier sur la question aujourd'hui problématique des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, forges, etc.). Une mise au point sera donc proposée à chaque AAPPMA pour clarifier les choses et déterminer si une co-existence intelligente des usages de l'eau est envisageable.

Illustration en haut : exemple de très mauvaises pratiques. La propriété privée concernée n'a signé aucun bail concédant le droit de pêche. La pêche au niveau des pertuis de vanne comme en exutoire de passes à poissons est formellement interdite. Il appartient aux fédérations et associations agréées, ainsi qu'aux administrations en charge de l'eau, de faire respecter tout le code de l'environnement, et pas seulement certaines dispositions à la mode...

01/03/2018

Contre la destruction du moulin de Vaux sur l'Arconce

Par arrêté préfectoral du 25 janvier 2018, la préfecture de Saône-et-Loire engage une enquête publique sur un projet d'effacement de l'ouvrage du moulin de Vaux et de sa retenue sur les communes de Nochize et Saint-Julien-de-Civry. Un dossier d'autorisation au titre de la loi sur l'eau est présenté par Syndicat Mixte d'Aménagement de l'Arconce et ses Affluents (SMAAA). L'association Hydrauxois, saisie par l'un de ses adhérents riverains de la demande d'examen de ces documents, donne un avis négatif au projet et engage les riverains à faire de même.


Le rapport de notre association peut être téléchargé à cette adresse. Il sera utile à d'autres associations confrontées au même type de projet, ici motivé par l'article L 211-1 CE car la rivière n'est pas en liste 2 au titre du L 214-17 CE.

Le dossier de l'enquête publique est consultable à ce lien. Le commissaire-enquêteur se tient à la disposition de toute personne désirant lui faire part directement de ses observations les:

  • samedi 10 mars 2018 de 9h à 12h à la mairie de Nochize
  • vendredi 16 mars 2018 de 15h à 18h à la mairie de Saint-Julien-de-Civry

Les intéressés pourront consigner leurs observations, propositions et contre-propositions sur le registre, ou les adresser pendant la durée et avant la date de clôture de l'enquête :

  • par écrit à la mairie de Nochize à l'attention du commissaire-enquêteur
  • par voie électronique : pref-proc-env (at) saone-et-loire.gouv.fr

L'association Hydrauxois observe qu'en choisissant une solution radicale de destruction, non prévue dans la loi et malgré la présence de l'anguille sur tout le cours de l'Arconce, au lieu de solutions alternatives d'aménagement, favorisées par la loi et non étudiées dans son dossier, le projet du SMAAA méconnaît les dispositions de l'article L 211-1 du code de l'environnement et donc la gestion équilibrée et durable de la ressource constitutive de l'intérêt général.

En effet, le projet du SMAAA

  • détruit des écosystèmes aquatiques et humides dans la retenue et les canaux latéraux amont, sans en faire l'étude préalable et sans en prévoir la compensation, alors même que la vallée est classée en ZNIEFF de type 1 n°260005574 " Haute Vallée de l'Arconce " avec plusieurs espèces susceptibles de profiter de ces habitats (par exemple la mulette épaisse, non étudiée dans le dossier),
  • engage une remobilisation sédimentaire potentiellement dommageable sans analyser les pollutions éventuelles de ces sédiments ni les risques de colmatage à l'aval,
  • amoindrit au lieu de protéger la ressource en eau (effet négatif reconnu du projet sur l'abreuvement, l'irrigation),
  • contredit la politique active de stockage de l'eau pour les étiages (suppression de la retenue et de sa lame d'eau en été),
  • nuit à l'intérêt de l'agriculture, notamment en faisant disparaître des droits d'eau riverains relatifs à l'irrigation sans apporter la démonstration du consentement des détenteurs de ces droits d'eau à les voir disparaître,
  • contredit la protection des sites et des loisirs, alors qu'un usage de baignade à proximité du centre équestre est avéré,
  • ignore le patrimoine hydraulique et sa valeur paysagère, notamment ne fournit pas la "Grille d'analyse de caractérisation et de qualification d'un patrimoine lié à l'eau" éditée en août 2017 par le ministère de la Transition écologique et solidaire et le ministère de la Culture, avec demande expresse aux services instructeurs que cette grille soit remplie avant tout projet, cela alors même que le Charolais-Brionnais est en campagne d'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Pour ces motifs, l'association Hydrauxois serait amenée à engager une requête contentieuse contre le chantier en l'état de ses justifications et demande donc à M. le Commissaire enquêteur de donner dès à présent un avis négatif sur ce projet.

Malgré la remise de la demande de moratoire sur la continuité écologique à M. Nicolas Hulot et malgré les discussions en cours au Comité national de l'eau visant à redéfinir une doctrine publique de cette continuité, les administrations et gestionnaires publics en charge de l'eau persistent à programmer des destructions dans des conditions déplorables. Nous appelons donc les riverains, leurs collectifs, leurs associations à engager des contentieux judiciaires sur les projets les plus critiquables, et nous nous tenons à leur disposition pour leur en fournir des modèles.

La pseudo-concertation consistant à faire semblant d'écouter les riverains pour les pousser à accepter les subventions financières et pressions réglementaires favorables aux seules destructions ne produira que du conflit et de la division au bord des rivières françaises. Le gouvernement doit changer de manière conséquente ses arbitrages ineptes sur la continuité en long des cours d'eau.