27/09/2018

Pêcheurs et préfets sont-ils capables de respecter l'état de droit en matière de continuité? Casse à Louhossoa

Le seuil de Apeztegia à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques) a été ébréché à peine quelques jours après la parution de l'arrêté préfectoral (signé le 13 septembre 2018), sous maîtrise d'ouvrage de la fédération de pêche, sans même attendre le délai d'opposition à l'arrêté (4 mois). Problème : l'étude préalable montrait que le chantier modifie 445 m de rivière. Dans le droit français (article R 214-1 code de l'environnement), un tel changement du milieu (plus de 100 m de profil en long) impose une procédure d'autorisation avec enquête publique. L'administration ne saurait l'ignorer puisque le tribunal administratif de Pau vient de condamner le ministère de l'écologie pour avoir négligé cette disposition bien connue de tout pétitionnaire de chantier en rivière. Mais ici, le préfet a passé outre et autorisé la destruction sur la base d'une simple déclaration. Comme pour l'étang de Bussières, où une double procédure pénale et administrative est engagée. Le gouvernement lance un plan pour une continuité prétendument "apaisée", mais son administration persiste à valider n'importe quelle dépense publique et n'importe quelle entorse au droit commun de l'eau. C'est lamentable et en guise d'apaisement, ce double langage ne fait qu'accroître l'exaspération des riverains. Un recours sera déposé pour cesser les autres opérations prévues dans les Pyrénées-Atlantiques. 

L'ouvrage ébréché :


L'extrait du document d'incidence montrant les 445 m d'impact :


Sur le seuil d'Inchaya faisant partie du même lot analysé de 7 ouvrages, le bureau d'études observait dans le rapport de préparation du chantier qu'une modification de plus de 100m (ici 135 m) implique une autorisation (a fortiori pour 445m sur le seuil d'Apeztegia, mais le préfet a de toute façon ignoré ces obligations sur tous le seuils concernés par son arrêté) :

26/09/2018

Plan gouvernemental pour une politique apaisée de continuité écologique: commentaires et modèle de lettre aux préfets

Après 8 mois de discussion au comité national de l'eau (CNE), le ministère de la Transition écologique et solidaire a officiellement adopté un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique. Ce texte reste très insatisfaisant : les hauts fonctionnaires de la direction de l'eau et de la biodiversité bloquent toute remise en question de leurs erreurs et de leurs interprétations abusives de la loi, persistant même à présenter comme des avancées ce qui forme toujours un déni scandaleux des dispositions votées par nos parlementaires. La loi interdit de contraindre un ouvrage autorisé à la destruction et la loi oblige l'Etat à indemniser les travaux au coût excessif : ce sont les éléments qu'il convient toujours de rappeler aux services de l'Etat, le cas échéant au juge si ces services les ignorent. La continuité écologique sera "apaisée" quand l'Etat reconnaîtra l'intérêt des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques au lieu d'organiser leur harcèlement et leur effacement. Elle restera conflictuelle tant que les riverains et propriétaires devront se battre pour faire reconnaître leurs droits et leurs libertés, ainsi que la valeur du patrimoine historique et paysager, de ses usages sociaux, des milieux vivants qu'il héberge. Commentaires de ce nouveau plan et modèle de courrier associatif au préfet. 



La discussion au CNE avait soulevé des espoirs, car certains de ses animateurs étaient sincères. Mais le Plan en résultant est très en deçà de ce que l'on pouvait attendre.

En effet, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a maintenu l'essentiel de ses positions contestées et a refusé en conséquence les solutions les plus simples : déclasser un grand nombre de cours d'eau n'ayant pas de réels enjeux migrateurs ; poser la priorité aux aménagements non destructeurs et leur financement public.

Au lieu de la simplicité et de la clarté, c'est un surcroît de complexité qui a été choisi. Cela alors que les services en charge de l'eau et de la biodiversité se plaignent déjà du manque de temps et de moyens pour mener à bien leurs missions : il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes sur la lucidité et l'efficacité de l'action publique, le pilotage de la direction ministérielle de l'eau étant aujourd'hui très critiqué sur certains choix.

Au sein de ce Plan, on note des points positifs et négatifs.  En particulier :

Point positifs
  • il est reconnu que certains ouvrages devront être définis comme prioritaires et d'autre non, premier pas pour reconnaître que nombre d'ouvrages sont aujourd'hui classés sans réel enjeu écologique,
  • il est demandé une mise en œuvre de solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes, ce qui suggère que des options actuelles sont disproportionnées et irréalistes,
  • il est posé le principe d'une conciliation des enjeux (environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs), donc la prime à la casse n'a pas à être un choix de première intention, comme c'est le cas dans un trop grand nombre d'instruction des agences de l'eau (par exemple 75% en Seine-Normandie, Artois-Picardie, plus de 50% en Loire-Bretagne).
Points négatifs
  • il n'y a aucune sécurité juridique ni efficacité programmatique en l'état du Plan, puisque même les ouvrages non prioritaires sont théoriquement toujours tenus d'être aménagés, dans le délai légal de 5 ans, de sorte que le propriétaire n'a pas de garantie sur son sort et risque de se retrouver dans un flou peu admissible,
  • l'Etat continue d'essayer d'échapper à la loi sur l'eau de 2006 en affirmant que les solutions de continuité écologique ne seront pas indemnisées, mais feront l'objet de simples facilités fiscales (prêt taux zéro, etc.), ce qui est inacceptable. Toute charge exorbitante de mise en conformité à la continuité doit être indemnisée sur fonds publics, il n'y a pas à déroger à cette règle voulue par le législateur 
Nous verrons avec quel degré de sincérité intellectuelle, de cohérence territoriale et d'esprit de conciliation les services de l'Etat mettent en oeuvre ce nouveau Plan.

Il n'y aura aucune politique "apaisée" de continuité écologique si les conditions suivantes ne sont pas remplies :

  • sortir de l'arbitraire, l'analyse au cas par cas est la règle en hydrologie et écologie, mais elle ne signifie pas que les services de l'Etat (AFB, Dreal, DDT-M, agences de l'eau) peuvent prendre des arbitrages différents ou présenter des niveaux d'exigence différents pour des cas similaires, au gré du bon vouloir des agents, comme c'est hélas le cas aujourd'hui (voir ce document listant tous les types de problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre de la continuité à partir de témoignages de terrain et retours de propriétaires),
  • exempter clairement des obligations de continuité les ouvrages reconnus comme non prioritaires, par un courrier explicite de la préfecture sortant le propriétaire de l'insécurité juridique,
  • indemniser les solutions de franchissement représentant des charges spéciales et exorbitantes, ce que demande la loi et ce qui est à portée des budgets des agences de l'eau, d'autant que les ouvrages prioritaires seront bien moins nombreux à traiter que l'ensemble des ouvrages classés.
***

Modèle de lettre au préfet sur le Plan d'action pour une politique apaisée de continuité

Les associations de propriétaires, riverains et protection du patrimoine hydraulique doivent envoyer en recommandé un courrier au préfet actant le nouveau Plan. Ce courrier est l'occasion de rappeler les termes de la loi de continuité et les obligations (non respectées à date) de l'Etat. En cas de contentieux, il servira à chaque propriétaire adhérent de l'association pour témoigner de la bonne volonté de trouver des solutions et du retard de l'Etat à les proposer.

Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte)

Par la voix du ministre d'Etat en charge de la Transition écologique et solidaire, le gouvernement a annoncé en août 2018 l'adoption d'un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique. 

Ce Plan comporte 7 actions dont l'exécution et la coordination reviennent principalement aux services de l'Etat.

Nous observons en particulier que ce Plan demande sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique de :
- prioriser les interventions, et déjà définir en concertation avec les premiers concernés ce qu'est un ouvrage prioritaire (action 1)
- assurer une meilleure conciliation des enjeux environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs (action 2)
- chercher des solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes (action 4)
- trouver les circuits et outils financiers pour réaliser les travaux (action 5)

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le spécifier par courrier, la plupart des propriétaires d'ouvrages hydrauliques adhérents de notre association sont toujours dans l'attente d'une solution visant à respecter les termes de la loi (art L 214-17 CE), à savoir 
1) un ouvrage "géré, équipé, entretenu" , ce qui exclut toute pression à la destruction de la consistance légale autorisée,
2) selon "des règles définies par l'autorité administrative", ce qui suppose la caractérisation par vos services des enjeux propres à chaque rivière et ouvrage,
3) avec indemnisation des travaux présentant des "charges spéciales et exorbitantes", ce qui demande de flécher un financement si un dispositif coûteux est prescrit.

Le nouveau Plan gouvernemental aidera probablement à cet objectif, et il faut l'espérer car la plupart de nos adhérents sont aujourd'hui orphelins de solutions respectant la loi.

Disposés à rencontrer vos services avec les propriétaires de chaque rivière pour avancer de manière cohérente et concertée dans l'esprit "apaisé" que souhaite le gouvernement, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte), l'expression de nos sentiments respectueux.

24/09/2018

Les poissons de l'Yonne moyenne en 1952, avant les pollutions mais après les barrages

En 1952, un responsable de pêche et de pisciculture publie une étude sur les poissons de l'Yonne moyenne, à l'amont et l'aval d'Auxerre. En ce temps, les grandes pollutions issues des substances de synthèse et de l'agriculture productiviste des 30 Glorieuses n'ont pas réellement commencé, mais les ouvrages barrant la rivière sont présents. L'auteur note que les migrateurs comme le saumon, l'esturgeon ou l'alose finte ont déjà disparu depuis 50 à 100 ans. En revanche, la rivière compte 23 espèces dont 18 communes, et elle est décrite comme très poissonneuse. Ce travail suggère que si les barrages rehaussés bloquent la montaison des migrateurs après 1850, ils n'empêchent pas en soi la biodiversité des poissons holobiotiques, y compris des espèces rhéophiles et polluo-sensibles. On a décidément du mal à croire que la question des ouvrages hydrauliques forme le premier enjeu de qualité des rivières : ils sont surtout le faire-valoir de gestionnaires ayant les plus grandes difficultés à traiter à la source les nouvelles pollutions et dégradations des bassins versants. Quant au retour de grands migrateurs en tête de bassin, il y a déjà beaucoup à faire à l'aval avant d'y songer...


R. Poplin, alors vice-président de la Fédération des associations de pêche et de pisciculture de l'Yonne, fait paraître en 1952 dans le Bulletin français de pisciculture une étude sur les peuplements de poissons de l'Yonne moyenne, soit la partie du cours d'eau allant de Mailly-la-Ville à Charmoy, approximativement de la confluence avec la Cure à celle avec l'Armançon.

Poplin observe à propos de ce tronçon : "Ses eaux sont assez froides, ainsi que l'atteste la rareté des deux espèces aux exigences opposées, la Carpe et la Truite, qui semblent marquer les limites extrêmes du peuplement. Ce caractère est confirmé par l'absence totale de certaines espèces, en particulier le Poisson-chat et la Perche-soleil ainsi que par l'insuccès des tentatives de repeuplement en Black-bass, faites à plusieurs reprises, et qui ont invariablement abouti à la disparition complète des sujets."

La période de l'étude est intéressante, car nous sommes avant la modernisation des 30 Glorieuses, avec ses conséquences sur les modèles agricoles de production (engrais, mécanisation, pesticides) et sur les pollutions domestiques ou urbaines (lessives, produits issue de la chimie de synthèse, etc.). Certains ont qualifié les années 1950 de "grande accélération" de l'Anthropocène, car on y voit les courbes d'impact de l'homme sur les milieux prendre une pente beaucoup plus soutenue.

L'auteur note d'ailleurs la qualité de l'eau : "Pourvues d'une végétation aquatique abondante, et indemnes de toute pollution appréciable, les eaux de l'Yonne semblent posséder une capacité biogénique élevée. Dans son ensemble, ce cours d'eau peut être considéré comme très poissonneux." En revanche, il souligne le caractère canalisé de la rivière, avec "des parties délaissées par la navigation où les eaux rapides et peu profondes suivent la pente naturelle ; des parties canalisées où la pente est masquée et atténuée par les barrages et pertuis, avec des eaux plus profondes et sensiblement ralenties".

Nous avons donc une étude assez charnière : celle d'une rivière déjà impactée sur sa morphologie, notamment la continuité en long (présence de retenues et biefs), mais encore épargnée sur sa physico-chimie (assez peu de pollutions, même s'il existait déjà une industrie et moins de normes qu'aujourd'hui).

Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique la zone étudiée et le niveau d'abondance relative des espèces de poissons.



Vingt-trois espèces sont présentes dans l'Yonne moyenne à cette période, dont 18 sont assez communes à très communes. On observe qu'une espèce sensible aux pollutions comme le vairon est "très commune". Le brochet, qui peut parcourir de longues distances et recherche des annexes latérales, est encore commun lui aussi. La rivière comporte aussi bien des espèces rhéophiles (goujon, vairon, hotu, lamproie de Planer) que limnophiles (gardon, ablette, brème).

Concernant les grands migrateurs (esturgeon, alose et alose finte, saumon) ils ont disparu entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ce qui peut être attribué à la construction ou la rehausse de barrages sur la Seine et l'Yonne, principalement pour la navigation.

Aujourd'hui, certains gestionnaires de l'eau (AFB, agence de l'eau) affirment que les impacts morphologiques et en particulier les discontinuités en long seraient les premiers facteurs de dégradation de la rivière. Ce point est contesté, en particulier pour la petite hydraulique, et les travaux scientifiques ne montrent pas du tout un poids majeur des ouvrages sur les poissons. Le travail de R. Poplin ne plaide pas non plus en ce sens dans le cas de l'Yonne moyenne, en tout pas pour les discontinuités en long de type chaussées, barrages et écluses, qui n'empêchaient pas la rivière d'avoir une population de poissons abondante et variée au milieu du XXe siècle.

Quant à espérer le retour des grands migrateurs sur cette zone, il faut déjà que le bassin aval de la Seine et de l'Yonne soit pourvu de dispositifs de franchissement sur tous les ouvrages de navigation, écrêtement de crue ou énergie, que les eaux ne soient pas trop polluées dans l'aval de l'agglomération parisienne jusqu'à l'estuaire et que les nouvelles espèces prédatrices (comme le silure) ne soient pas trop actives. Beaucoup de conditions avant d'en faire un enjeu pertinent vers les têtes de bassin.

Référence : Poplin R (1952), Le peuplement des eaux de l'Yonne moyenne, Bull Fr Piscic, 164, 109-114

22/09/2018

Zéro perte de linéaire, berge et diversité en rivière? Les fonctionnaires de l'écologie nagent dans leurs contradictions

Les hauts fonctionnaires du ministère de l'écologie appellent à des mesures de compensation pour tout chantier affectant les milieux aquatiques et humides, en particulier le linéaire en eau, ses berges, la capacité productive du milieu. Problème : les mêmes fonctionnaires exigent une application dogmatique de la continuité écologique avec préférence à l'effacement qui, dans de nombreux cas, amène à assécher des centaines de mètres de biefs et zones humides annexes, à faire crever la végétation riveraine, à diminuer la productivité biologique de plans d'eau et à réduire la capacité d'accueil de la biodiversité locale. Il faut donc désormais rappeler aux préfets et aux établissements porteurs de projets d'effacement ce qu'exige le ministère: la disparition d'un milieu en eau doit être évitée sinon compensée.  

La direction de l'eau et de la biodiversité a participé en 2017 à un colloque sur les mesures compensatoires quand un environnement aquatique ou humide est altéré par un chantier (Dimensionnement de la compensation écologique des cours d’eau, Bron, septembre 2017). Les hauts fonctionnaires ont exprimé leur "doctrine".



Voici deux diapositives intéressantes où les hauts fonctionnaires exposent certains points à la vigilance des préfets.


Le problème : ces mêmes hauts fonctionnaires ont donné la préférence à la destruction systématique des ouvrages d'hydraulique ancienne au nom de la continuité écologique, cela pour divers motifs (parfois une stratégie sincère pour améliorer la situation de grands migrateurs comme le saumon ou l'anguille; plus souvent la soumission au lobby des pêcheurs de salmonidés et à des ONG minoritaires défendant une vision radicale de la conservation, ainsi que la démission de la puissance publique faute de moyens, avec volonté de se débarrasser d'ouvrages dont il faut assumer le suivi réglementaire).

Or cette politique de destruction des ouvrages, biefs, canaux et plans d'eau a de nombreux effets négatifs sur l'environnement local, au regard même des différents motifs de compensation écologique que le ministère reconnait et rappelle aux préfets. Il est en effet courant que les opérations de destructions d'ouvrages fassent disparaître des centaines voire des milliers de mètres d'annexes latérales en eau (bief) et de leurs abords humides, particulièrement en tête de bassin où des milliers d'ouvrages anciens (étangs, moulins) sont concernés.


Exemple des conséquences de destructions d'ouvrages en lit mineur : la rivière se trouve réduite à un chenal unique car tout le réseau latéral des biefs et zones humides alimentés par ces biefs sera à sec à terme. De tels chantiers font perdre du linéaire d'écoulement et de berge, donc de la productivité et de la diversité biologiques pour les milieux aquatiques et humides. En tête de bassin, ces chantiers ne sont généralement réputés favorables à la biodiversité qu'en raison de la focalisation sur certaines espèces halieutiques comme la truite, intéressant en réalité des usagers de la rivière (lobbying des pêcheurs et de leurs fédérations). 

Les chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, lorsqu'ils concernent des étangs ou des chaussées / barrages produisant des biefs d'intérêt avec des berges boisées, ont donc des impacts qu'il conviendrait de compenser, si l'on reprend la nomenclature proposée par le ministère:
  • perte de linéaire de cours d’eau,
  • perte de linéaire de berges naturelles,
  • modification des écoulements souterrains, des échanges nappe/cours d’eau,
  • déconnexion du chenal principal avec ses annexes hydrauliques, rupture ou altération de la continuité écologique latérale,
  • modification ou diminution localisée de la capacité d'accueil du cours d'eau pour la flore et la faune : réduction de la richesse spécifique, modification de la diversité des peuplements et/ou baisse de la productivité.

Lors des préparations de dossier, enquêtes publiques et contentieux judiciaires concernant des effacements d'ouvrages hydrauliques, nous appelons les riverains ou leurs associations à opposer ces points au pétitionnaire qui détruit ou assèche des plans d'eau et des biefs avec toute la perte de productivité biologique que cela implique.

Comment procéder ?
  • Les éléments en eau (et leur berge) appelés à disparaître sont photographiés et cartographiés par les riverains, avec autant que possible documentation de la biodiversité observée (arbres et plantes, insectes, amphibiens, oiseaux, poissons, etc.).
  • Un rapport est publié avec une demande formelle soit de respect des milieux en place, soit de description des compensations à hauteur de ce qui sera détruit, sous forme de courrier à adresser à 4 interlocuteurs : service instructeur DDT-M (courrier recommandé); service instructeur AFB (courrier simple) ; pétitionnaire maître d'ouvrage du chantier (syndicat, parc, fédé pêche, etc.) (courrier recommandé) ; élus locaux sur le territoire du chantier (courrier simple). 

Si l'administration et le pétitionnaire se refusent à éviter ou compenser les destructions opérées, le cas doit être porté en justice : requête en annulation de l'arrêté préfectoral autorisant les travaux malgré l'absence de compensation. Contacter notre association pour des modèles de contentieux.

Référence à citer : Direction de l'eau et de la biodiversité (MTES) (2017), Mesures compensatoires cours d’eau, réglementation, doctrine, 28 p. Egalement disponible à ce lien.

19/09/2018

La pollution, menace n°1 des estuaires et eaux de transition (Teichert et al 2016)

Une étude menée sur 90 estuaires de la façade Atlantique dont 25 en France montre que le premier facteur de dégradation de la vie biologique est formé par les pollutions de l'eau. Notre pays est malheureusement en retard sur le traitement à la source du problème. Pire encore, en supprimant au nom de la continuité les myriades de plans d'eau qui jouent le rôle local de stockage et d'épuration de certains polluants, on accélère le déversement vers l'aval de toutes les contaminations des bassins. Cette politique de l'autruche cible mal les priorités écologiques et vaudra à la France d'être condamnée pour non respect de la directive-cadre européenne sur l'eau, comme elle a déjà été sanctionnée pour ses manquements sur les directives nitrates et eaux résiduaires.

Nils Teichert et ses collègues ont examiné 90 zones estuariennes et eaux de transition sur la façade atlantique nord de l'Europe, incluant la France. Ils ont analysé 17 stresseurs rassemblé en 9 catégories (urbanisation de la côte, dragage de sédiments, pêcheries, changement de débit, perte de zone intertidale, eutrophisation, déplétion d'oxygène, développement portuaire et pollution chimique).

Voilà le résumé de leur recherche :

"Les estuaires sont soumis à de multiples facteurs de stress anthropiques, qui ont des effets additifs, antagonistes ou synergiques. Les défis actuels impliquent l'utilisation de grandes bases de données d'enquêtes de surveillance biologique (par exemple la directive-cadre européenne sur l'eau) pour aider les gestionnaires de l'environnement à hiérarchiser les mesures de restauration. Cette étude a examiné l'impact de neuf catégories d'agents stressants sur l'état écologique des poissons provenant de 90 estuaires des pays de l'Atlantique du Nord-Est. Nous avons utilisé un modèle à forêt aléatoire pour: 1) détecter les facteurs de stress dominants et leurs effets non linéaires; 2) évaluer les avantages écologiques attendus de la réduction de la pression des facteurs de stress; et 3) examiner les interactions entre les facteurs de stress. Les résultats ont montré que les principaux avantages de la restauration étaient attendus lors de l'atténuation de la pollution de l'eau et de la déplétion de l'oxygène."

Ce schéma montre que la dégradation physique et chimique de l'eau des estuaires par les polluants est le premier enjeu de gestion écologique :


Les chercheurs observent : "La qualité chimique des eaux est un élément crucial pour façonner l'abondance et les assemblages dans les estuaires (Delpech et al 2010; Le Pape et al 2007; Whitfield et Elliott 2002). Les contaminants chimiques peuvent avoir un impact direct ou indirect sur la physiologie du poisson en perturbant les fonctions biologiques fondamentales, telles que la reproduction ou la croissance, et peuvent induire des effets létaux dans les cas extrêmes (Fleeger et al 2003; Johnson et al 1998). et Van Der Kraak 1997; Scott et Sloman 2004). Dans notre étude, la pollution de l'eau a été classée au premier rang des priorités dans le schéma de restauration combiné et a montré un changement de seuil pour les effets biologiques de la qualité de l'eau."

Concernant la déplétion d'oxygène, ils précisent : "L'enrichissement en éléments nutritifs et en matière organique peut avoir de graves répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes marins, notamment en raison de problèmes d'épuisement de l'oxygène (Diaz et Rosenberg 1995; Diaz et Rosenberg 2008). L'hypoxie est généralement définie par des concentrations en oxygène inférieures à 2 mg l− 1 (environ 24% de saturation à 20 ° C et 15 psu), mais son effet sur les communautés de poissons peut survenir plus tôt lorsque les individus sont capables de détecter les signaux de déplétion del'oxygène (Breitburg 2002; Delage et al 2014). Bien que l'appauvrissement en oxygène soit souvent associé à l'eutrophisation, plusieurs autres facteurs affectent fortement la saturation en oxygène dans les eaux d'estuaires, telles que la température ou le temps de résidence des eaux affectées par le débit du fleuve. Les effets directs de l'eutrophisation n'ont pas été analysé dans notre étude, mais l'appauvrissement en oxygène a été classé au deuxième rang des priorités dans le schéma de restauration. L'état écologique des poissons a fortement diminué lorsque les problèmes d'hypoxie se sont étendus sur 1 à 5% de la longueur de l'estuaire. Uriarte et Borja (2009) ont déjà démontré pour les poissons dans les exploitations que la saturation en oxygène inférieure à 80% conduisait à un statut écologique moyen, tandis que la saturation à 60% conduisait à un statut médiocre avec un effet de seuil. Ces résultats suggèrent qu'un déclin modéré de la saturation en oxygène peut avoir des effets sur la faune mobile (Breitburg 2002), entraînant une modification de la structure des communautés de poissons (Pollock et al 2007)."

Discussion
Certains gestionnaires ont fait l'hypothèse en France que les impacts morphologiques sur les masses d'eau (leur berge, leur substrat, leur écoulement) sont aussi, voire plus importants que les impacts chimiques. Ce point est contredit par les études d'hydro-écologie quantitative, aussi bien dans les eaux continentales que dans les eaux estuariennes : ce sont les polluants qui arrivent en tête des facteurs expliquant le mieux la dégradation des indices biologiques, et cela assez nettement (voir par exemple Dahm et al 2013, Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018).

Pour les estuaires, le choix français de favoriser la suppression des barrages et seuils à fin de continuité longitudinale sur les rivières et fleuves devrait aggraver le bilan au lieu de l'améliorer. En effet, les zones lentiques de ces ouvrages jouent un rôle favorable à l'épuration locale de certains intrants (par voie biologique de métabolisation ou par voie physique de sédimentation). En supprimant ces "tampons" et en accélérant les écoulements, on repousse la charge polluante vers l'aval. Avec le réchauffement des eaux dû au changement climatique, ces évolutions risquent de rendre les estuaires (qui sont aussi les portes d'entrée et de sortie des poissons grands migrateurs) moins favorables au vivant.

La France a déjà été rappelée à l'ordre à plusieurs reprises par l'Europe pour son retard dans l'application des directives nitrates et eaux résiduaires urbaines, avec pour conséquence un lourd héritage d'eutrophisation. Elle gère également mal ses eaux pluviales, comme l'a rappelé le CGEDD dans un récent rapport. Quant aux pesticides, leur charge n'a pas diminué (Hossard et al 2017). Les pollutions chimiques doivent devenir l'enjeu prioritaire des rivières françaises, de la source à l'estuaire. Cela suppose de changer les arbitrages financiers des agences de l'eau qui dépensent actuellement plusieurs centaines de millions € par an pour des mesures morphologiques dont la nature reste en réalité expérimentale et dont les résultats sont, du point de vue de la science, très incertains.

Référence : Teichert N et al (2016), Restoring fish ecological quality in estuaries: Implication of interactive and cumulative effects among anthropogenic stressors, Sci Tot Env, 542, 383-393