11/10/2018

L'Argentalet à sec à La Roche-en-Bresnil

Un riverain nous fait parvenir cette photo de l'Argentalet (affluent du Serein) à sec, au hameau de Clermont sur la commune de la Roche-en-Brenil. Avec ce commentaire : "du jamais vu, quand il y avait les étangs qui perdaient toujours un peu d'eau, la rivière ne se vidait pas. Certes, le climat change et cette sécheresse est très sévère mais on peut s'interroger sur la gestion de l'eau". Le 26 mai 2016, de fortes intempéries avaient causé la rupture de plusieurs digues d'étang sur l'Argentalet. Hélas, si ces dommages de crues entraînaient jadis la reconstruction rapide des digues, les services de l'Etat ont signalé aux propriétaires leur souhait de laisser la rivière en libre cours au nom de la continuité écologique. Autant dire qu'ils ont découragé toute tentative de restaurer les étangs, ce qui aurait sans doute demandé une longue bataille administrative, voire judiciaire.  Il n'y a donc plus de retenues sur cette zone. Mais il n'y a plus d'eau non plus lors des sécheresses sévères, comme sur la Romanée… Est-ce un gain pour la biodiversité aquatique et pour l'agrément des riverains? Où est la fameuse "continuité écologique" dans ces discontinuités temporelles et spatiales du débit, qui font disparaître localement le vivant? Nos élus vont-ils réellement engager une politique d'adaptation au changement climatique qui tienne compte des attentes des citoyens, sans se contenter de subir la fatalité de rivières devenant intermittentes du fait des sécheresses de plus en plus fréquentes et de la hausse des prélèvements d'eau? Ceux qui se flattent de penser "à long terme" sont-ils capables de se projeter au-delà des dotations à quelques années d'argent public? Autant de questions dont nous attendons des réponses convaincantes, pendant que nos rivières traversent épreuve après épreuve. 



09/10/2018

Pas de hausse des températures limitée à 1,5°C sans hydro-électricité, selon le GIEC

Le GIEC vient de publier un rapport destiné à éclairer les décideurs et les opinions sur la différence entre un monde réchauffé de 1,5°C et de 2°C par rapport à l'époque pré-industrielle. Ce rapport examine aussi les conditions de réussite d'un objectif de réchauffement limité à 1,5°C (soit seulement 0,5°C par rapport à aujourd'hui). Tous les scénarios qui parviennent à cet objectif incluent une hausse des énergies renouvelables, dont l'hydro-électricité. Le gouvernement français doit stopper immédiatement le choix aberrant de dépenser l'argent public à détruire des barrages et usines hydro-électriques ainsi que des moulins pouvant être relancés.



Dans son nouveau rapport de 400 pages, le Groupe international d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) analyse notre situation climatique. Commandé par l'ONU au moment de l'accord de Paris (2015), ce texte du GIEC doit nourrir le processus de révision des engagements nationaux, qui sera lancé à la COP24 en décembre prochain.

Le rapport du GIEC observe à propos des scénarios qui permettraient de contenir le réchauffement à 1,5 °C par rapport à l'ère pré-industrielle (chapitre 2, p.53) :

"Vers le milieu du siècle, la majorité de l’énergie primaire provient de combustibles non fossiles (c’est-à-dire les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire) dans la plupart des trajectoires à 1,5 ° C (…)

L'énergie renouvelable (biomasse, hydroélectricité, solaire, éolienne et géothermique) augmente dans toutes les trajectoires à 1,5 ° C, la part d'énergie renouvelable dans l'énergie primaire atteignant 28–88% en 2050, avec une plage interquartile de 49–67% . La magnitude et la répartition entre bioénergie, éolienne, solaire et hydro-électricité diffèrent d'une trajectoire à l'autre."

La France est en retard sur ses objectifs et engagement énergétiques, comme l'avait relevé l'OCDE. Les émissions carbone sont même reparties à la hausse depuis deux ans, malgré les efforts accomplis.

Face à la difficulté et au coût de la transition bas-carbone, on ne peut plus faire comme si nous avions le luxe de négliger des opportunités.

L'énergie hydraulique a de multiples atouts, en particulier la petite hydraulique relancée sur les sites existants :
  • elle a le meilleur bilan carbone de toutes les énergies en région boréale et tempérée, et plus encore quand on restaure des sites anciens (GIEC SRREN Report 2012) ;
  • elle a le meilleur bilan matière première, car sa technologie est simple, concentrée, robuste et à longue durée de vie (Kleijn et al 2011 et Van Der Voet et al 2013).;
  • elle a le meilleur taux de retour sur investissement énergétique (EROEI), c'est-à-dire qu'elle est la plus efficace quand on intègre ce qu'elle consomme et ce qu'elle produit sur toute la durée de vie (Murphy et Halls 2010) ;
  • elle a une forte acceptabilité sociale, car elle n'a pas de nuisance visuelle ou sonore, n'altère pas les paysages, ré-utilise en général des ouvrages existants et est associée à des retenues qui ont de nombreux autres usages sociaux (voir le résultat de la concertation publique PPE 2018) ;
  • elle a une bonne rentabilité économique et coûte moins cher au contribuable (CSPE) que d'autres énergies moins mature (hydrolien, éolien offshore, solaire en petite installation, etc.) ;
  • elle est bien répartie sur le territoire, ne demande pas de développer le réseau très haute tension et permet de produire à proximité de la consommation (moins de perte en distribution) ;
  • elle permet à tout un tissu économique local de se développer pour l'installation et la maintenance des équipements.


Malgré ces évidences, nous assistons à une aberrante politique à contre-emploi en France : la direction de l'eau du ministère de l'écologie et les agences de l'eau encouragent et financent la destruction des ouvrages hydrauliques susceptibles de produire de l'énergie locale et propre. Cela inclut même, comble de l'absurdité, des barrages et usines hydro-électriques en fonctionnement :
Le seul autre pays dans le monde engagé dans une politique de destruction aussi systématique des ouvrages hydrauliques, ce sont les Etats-Unis d'Amérique : la France veut-elle copier en Europe les champions occidentaux des émissions carbone ? 

Cette politique de destruction des seuils et barrages dilapide l'argent public, aggrave le bilan carbone, retarde la transition énergétique en France et nuit à long terme à nos capacités d'adaptation au changement climatique (stockage et régulation de l'eau). Elle doit cesser immédiatement, comme nous en avons fait la demande à François de Rugy. Et comme la commission du débat public sur la programmation pluri-annuelle de l'énergie vient aussi de le rappeler au gouvernement, l'hydro-électricité figure en bonne place dans les énergies dont les Français souhaitent le déploiement.  .

08/10/2018

La Cour des comptes critique à nouveau la gestion publique de la biodiversité

La gestion de l'eau et de la biodiversité a déjà été étrillée dans un rapport IGF-CGEDD publié au printemps dernier. C'est au tour du premier président de la Cour des comptes d'écrire au ministre de la Transition écologique et au ministre de l'Action et des comptes publics pour leur rappeler que la tutelle de l'Etat sur les opérateurs de biodiversité est aujourd'hui défaillante : les objectifs ne sont pas posés, l'action n'est pas évaluée, le modèle économique est inexistant. Non seulement nous avons des bureaucraties dont les services rendus aux citoyens sont parfois difficiles à percevoir et dont certains choix arbitraires sont dénués de contre-pouvoirs démocratiques efficaces, mais ces bureaucraties sont de surcroît mal gérées. Stop ou encore? On posera la question aux parlementaires, dont le rôle est de contrôler au nom des citoyens l'action du gouvernement, et notamment le bon usage du denier public.



Pour les riverains qui, effarés, voient l'argent public de l'eau et de la biodiversité gaspillé à détruire des moulins, des étangs, des usines hydro-électriques en fonctionnement (Sélune, Risle), l'idée qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de l'écologie publique à la française ne vient pas comme une surprise.

Après l'inspection générale des finances (IGF) et le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ayant récemment pointé le manque de résultat et de cohérence de ces politiques publiques, c'est au tour du premier président de la Cour des comptes (Didier Migaud) de s'adresser au ministre de l'écologie au ministre des comptes publics.

On note dans son courrier venant d'être rendu public :

"Les missions essentielles des opérateurs de la biodiversité ne sont pas toujours clairement définies et restent insuffisamment explicitées et évaluées. (…)

Les contrôles opérés ont également conduit la Cour à relever que les missions ne sont pas toujours déclinées de manière lisible dans les principaux documents établis ou approuvés par les services de l’État pour orienter l’activité annuelle ou pluriannuelle des opérateurs (contrats d’objectifs, lettres de mission-cadre et annuelles du directeur, programme annuel de performance, le cas échéant charte des parcs nationaux). (…)

Enfin et alors que les opérateurs doivent contribuer à l’effort de redressement des comptes publics, l’exercice de la tutelle est demeuré peu satisfaisant, sur la définition de leur modèle économique."

Rappelons que la Cour des comptes a déjà épinglé plusieurs fois l'Onema et l'Agence française pour la biodiversité, en relevant des erreurs de gestion et des octrois d'avantages abusifs dans l'exercice des fonctions (rapport de 2013 sur les dysfonctionnement de l'Office, rapport de 2017 sur le défaut de rigueur dans la correction des dysfonctionnements et l'intégration acrobatique dans l'AFB).

A lire : Cour des comptes (2018), La tutelle de l’État sur les opérateurs de la biodiversité

05/10/2018

La biodiversité des poissons d'eau douce vient de la fragmentation des milieux (Tedesco et al 2017)

Paradoxe des poissons d'eau douce : ils représentent 40% de la diversité totale des poissons du globe, mais ils vivent dans 1% seulement des habitats disponibles. Pourquoi une telle diversité en si peu d'espace? Selon une équipe de chercheurs, la réponse se trouve dans la fragmentation physique des habitats d'eau douce, favorisant l'émergence de nouvelles espèces dans l'évolution, en particulier chez les groupes non migrateurs ayant de faibles capacités de dispersion. Si ces travaux concernent le temps long de la spéciation et de l'extinction, on peut penser que des traits génétiques et comportementaux de certaines populations continuent d'évoluer aujourd'hui, sous l'effet des fragmentations de certains milieux (seuils, barrages) mais aussi des ouvertures d'autres milieux (canaux, translocations). 

Les espèces émergent dans l'évolution quand des populations filles sont isolées de leurs populations mères et s'en différencient peu à peu, par le jeu de la sélection naturelle (reproduction différentielle de certains traits mieux adaptés à un milieu local). Mais un isolement trop extrême peut aussi conduire à une disparition d'une population devenue trop petite. Il y a donc un jeu de balancier entre des tendances à la spéciation et à l'extinction : en limitant le flux de gènes, la fragmentation des populations par isolement géographique est supposée augmenter les taux de spéciation ; une plus grande capacité de dispersion des espèces devrait pour sa part réduire les taux d'isolement et de spéciation, tout en augmentant la résilience des populations aux perturbations, réduisant ainsi également les taux d'extinction.

Quatre chercheurs (Pablo A. Tedesco, Emmanuel Paradis, Christian Lévêque, Bernard Hugueny) se sont penchés sur le "paradoxe des poissons d'eau douce"ainsi posé :

"Avec env. 126 000 espèces animales décrites vivant dans les eaux douces (Balian et al 2008), elles représentent plus de 10% de tous les animaux décrits à ce jour (Mora et al 2011; Wiens 2015b), tout en occupant seulement 0,8% de la surface de la Terre et 0,02 % du volume habitable aquatique disponible (Dawson 2012). Parmi les organismes aquatiques, les poissons sont un bon exemple de ce paradoxe: environ 40% se trouvent dans les eaux douces, tandis que les 60% restants de la diversité halieutique habitent des habitats marins représentant plus de 99% des habitats aquatiques disponibles (Lévèque et al., 2008), définissant ce que nous pourrions appeler le «paradoxe des poissons d'eau douce»."



Se peut-il que la diversité des poissons d'eau douce proviennent de la fragmentation de leurs habitats? Voici le résumé de leur recherche, fondée sur une analyse phylogénétique (ci-dessus, l'arbre reconstitué des poissons).

"But : Les facteurs qui isolent les populations et réduisent le flux de gènes sont considérés comme des critères clés de la spéciation et éventuellement de la diversification. Nous analysons ici les taux de diversification de près de 80% des familles de poissons actinoptérygiens [NDT : poissons osseux à mâchoire] en relation avec les caractéristiques biologiques et les facteurs d’habitat associés aux niveaux d’isolement et de fragmentation.

"Localisation : globale.

"Méthodes : le taux de diversification net de chaque famille a été évalué à l'aide de l'estimateur de la méthode des moments pour l'âge des groupes-souches. L’analyse phylogénétique des moindres carrés généralisés (PGLS), en contrôlant la non-indépendance entre les clades due à la phylogénie, a été appliquée avec le taux de diversification comme variable de réponse pour tester les effets de la taille moyenne du corps, des proportions de espèces strictement d’eau douce, associés aux récifs et migrateurs, en incluant la distribution médiane latitudinale et l’aire de répartition de chaque famille.

"Résultats : après avoir pris en compte la parenté phylogénétique des familles et leur distribution en latitude, nous avons trouvé un appui solide à nos hypothèses d'isolement et de fragmentation: la prédominance de la dépendance à l'eau douce, de l'association récifale, de la petite taille ou du comportement non migrateur dans les familles est liée à des taux de diversification plus rapides. Nous avons également constaté un effet très significatif et positif de la plage de latitude, et aucun effet évident de la latitude médiane.

"Principales conclusions : cette analyse suggère que les facteurs liés à la fragmentation physique des habitats et à la moindre capacité de dispersion des espèces ont joué un rôle important dans les processus de diversification du groupe de vertébrés le plus variés."

Bien entendu, la fragmentation dont on parle ici concerne (dans le domaine continental) l'effet à long terme (milliers à millions d'années) de l'isolement naturel des bassins versants et des freins d'accès (chutes naturelles ou glaciations, par exemple) dans les réseaux dendritiques des rivières. Ce n'est donc pas comparable avec la fragmentation artificielle d'origine anthropique (seuls, barrages), ayant concerné encore peu de générations de poissons, une fragmentation qui est contrebalancée par des ouvertures de milieux elles aussi anthropiques (canaux franchissant les frontières de bassin ou translocations à fin halieutique, par exemple).

Toutefois, on a pu observer aujourd'hui que des truites s'adaptent à des hydrosystèmes fragmentés (Hansen et al 2014) ou que des barbeaux soumis à la pression de sélection d'ouvrages peu franchissables tendent à évoluer localement vers la sédentarité (Branco et al 2017).  De même, certains travaux montrant que des souches endémiques locales de truites résistent mieux à l'introgression avec les truites d'élevage quand elles sont à l'amont de barrages incitent à creuser ces questions (voir Caudron 2008 sur les Alpes et cet article sur la Loire).

Le travail de sélection et adaptation de l'évolution continue donc son oeuvre, y compris dans les milieux modifiés par l'homme.

Référence : Tedesco PA et al (2017), Explaining global‐scale diversification patterns in actinopterygian fishes, Journal of Biogeography, 44, 4, 773-783

04/10/2018

Les riverains de la Sagne à Cabrerets en lutte pour préserver leur cadre de vie

Sur la Sagne (affluent du Célé), au village de Cabrerets, des centaines d'habitants ont déjà signé une pétition pour déplorer la destruction de leur cadre de vie au nom de la continuité écologique. Partout, des collectifs riverains s'organisent et se plaignent des mêmes maux : manque de concertation, travail en vase clos des bureaucrates de l'eau (syndicats et parcs, agences de bassin, préfectures), refus de débats sincères sur les options, avantages surévalués de la continuité et pertes sous-évaluées du cadre paysager et des services rendus par les écosystèmes aménagés. La continuité ne sera jamais apaisée si l'on méprise ainsi les citoyens et si l'on nie leurs contestations du bien-fondé de certaines mesures n'ayant rien à voir avec l'intérêt général.



Extrait de la pétition :

Sans contester la validité du projet dans son ensemble, les habitants de la commune souhaitent néanmoins attirer l'attention des décideurs sur un certains nombres d’éléments regrettables dans la prise en compte de leur avis  sur ce projet et leur manque d’information.

Une association a été créée et  l'urgence est là, les travaux ont commencé et sans réaction des acteurs que sont la mairie de Cabrerets, Syndicat Mixte de La Rance et du Célé et la préfecture du Lot, les bassins et les ouvrages tant appréciés des habitants de la commune et des nombreux touristes passant dans le village seront détruits.

Ainsi nous déplorons :

- La suppression des seuils artificiels mis en place sur le linéaire du village dont une gestion simple, qui a fait ses preuves sur du long terme, permettait de former et maintenir des bassins dans la traversée du bourg sans compromettre l’écoulement de l’eau pendant les crues. Au contraire ces petites retenues diminuent les risques en  atténuant l’effet de canalisation du cours d’eau sur un segment à forte pente. De même, la continuité écologique de la Sagne n’a jamais été compromise par ces seuils de faible hauteur comme en témoigne la présence des espèces piscicoles en amont. Au contraire, la présence de petits bassins permet d’assurer une continuité temporelle du ruisseau profitable à la faune et à la flore.
De plus, ces bassins offrent un agrément en période estivale et justifient la présence des lavoirs. De plus, ces bassins offrent un agrément en période estivale et justifient la présence des lavoirs.

La commissaire enquêtrice dans son rapport approuve la sauvegarde des seuils ou d’une partie de ces seuils « en proposant de nuancer le projet de disparition systématique des six seuils bâtis qui ont faute d'entretien favorisé l'accumulation du tuf et en envisageant la conservation technique de tout ou partie de ces seuils ».

- La destruction de la passerelle d’accès au restaurant « La Roue » qui nuit au bon fonctionnement de l’activité de restauration de madame Delvit. La proposition alternative pour cet accès paraît dangereuse du fait que la nouvelle rampe débouche sur la route principale du bourg particulièrement passante en période estivale. Sans compter que cet aménagement réduit son espace commercial et que ce dernier a un coût élevé.

- L’absence de garantie quant à l’efficacité des travaux comme le stipule la réponse aux questions de l’enquête publique : « l’arasement des seuils, comme l’ensemble du projet ne permet pas d’éviter le débordement d’une crue décennale dans le bourg. » . 

- D’une manière plus générale, le manque de concertation avec les habitants de la commune sur le projet et la non prise en compte de la mémoire des « Anciens » en ce qui concerne l’entretien de la Sagne dans le bourg. Par exemple, les derniers travaux de curage réalisés en 1991 auraient pu servir de référence, d’autant plus que l’entrepreneur demeure dans notre commune.

Signez la pétition en solidarité des riverains de la Sagne

Illustration : la Sagne à Cabrerets par Torsade de Pointes — photographie personnelle, domaine public 

A lire sur le bassin du Celé :
Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)
Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015) 

03/10/2018

En Mayenne, le Vicoin sans ouvrage et sans eau...

La Mayenne est frappée de plein fouet par la sécheresse. Les journaux nous montrent des photos de riverains construisant des petits batardeaux pour essayer de retenir l'eau... sur une rivière où l'on vient de détruire tous les ouvrages hydrauliques de retenue, sur argent public, au nom du dogme de la continuité écologique destructrice et imposée par l'Etat. Les fonctionnaires de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie sont directement responsables de ces dérives : nous attendons qu'ils en répondent devant leur ministre, devant le parlement et devant leurs concitoyens. Il n'y aura aucun apaisement sans autocritique publique des erreurs faites depuis 10 ans et sans instruction claire aux services de l'Etat de ne pas reproduire ces erreurs à l'avenir. 


La préfecture de Mayenne annonce "des restrictions d’eau renforcées" face à la sécheresse qui sévit.  Une photo montre des riverains qui tentent de reconstruire un petit barrage de planches sur une rivière presque vidée de ses eaux :"mise en place d’un barrage sur le Vicoin au niveau de l’hippodrome de Ligonnière pour lutter contre la sécheresse", dit la légende.

Le Vicoin ?

Les lecteurs de notre site se souviennent peut-être que cette rivière à la gestion soi-disant exemplaire avait reçu un "trophée de l'eau" de l'agence de bassin Loire-Bretagne. Motif de cette satisfaction ? Au nom de la continuité écologique, tous les barrages de la rivière ont été détruits ou arasés, le dernier cet été. Plutôt que d'ouvrir les vannes aux périodes de crues ou de migrations de certains poissons, on a préféré tout faire disparaître. Les riverains, les pêcheurs, les promeneurs se sont plaints à des multiples reprises de ces choix. Ils ont souligné à l'administration et au syndicat que le Vicoin a des étiages sévères, des pollutions multiples.

Rien n'y a fait : le dogme est le dogme, on a besoin de "vitrines" et de "retour d'expérience" (manifestement biaisés dans leur construction) pour dire que la continuité écologique est une réforme formidable.

Eté 2018 : face au manque d'eau, nous en sommes aux restrictions et à refaire de misérables batardeaux de planches. Et les chercheurs du climat nous préviennent que c'est seulement le début, les épisodes extrêmes en crue comme en sécheresse devraient devenir de plus en plus fréquents au long de ce siècle. Des sécheresses et canicules comme celles de 2018 pouraient devenir la norme après 2050.

Détruire les outils de gestion de l'eau issus de notre patrimoine est un choix irréversible et irresponsable. Le ministère doit prononcer un moratoire sur toutes les opérations de continuité écologique aboutissant à la disparition des chaussées et barrages. 350 associations et 1300 élus l'ont demandé à Nicolas Hulot en janvier 2018, 7500 propriétaires et riverains de sites menacés l'ont demandé à François de Rugy en septembre 2018 : maintenant, c'est urgent.

02/10/2018

Un recours des riverains ? Vite, cassons l'ouvrage pour rendre la situation irréversible...

Nous avions signalé une destruction non autorisée d'ouvrage hydraulique dans les Pyrénées-Atlantique, faite sur simple déclaration malgré plus de 400 m de profil en long modifiés. Alors que les parties prenantes ont été informées et que des recours sont déposés sur les autres chantiers problématiques, la fédération de pêche de ce département se hâte de détruire les ouvrages afin de rendre irréversible la situation. Une habitude apparemment pour ce lobby si bien intégré dans l'appareil d'Etat qu'il a toute confiance dans la protection et la compréhension des services préfectoraux à son endroit. C'est au tour de la chaussée Kaskoin Karrika d'être détruite. Vous avez dit "continuité apaisée" ? Subir un pouvoir arbitraire est déjà peu supportable. Subir un pouvoir arbitraire qui se prétend ouvert et conciliant dans sa propagande ne l'est plus du tout. La continuité écologique est en train de donner une image catastrophique des politiques publiques de l'environnement.

01/10/2018

Poissons des rivières : les mauvais diagnostics produisent des mauvais remèdes

La base de toute démarche efficace et fondée sur la science, c'est d'examiner les phénomènes pour en comprendre les causes. Faute de cela, on avance des propositions en forme d'intimes convictions, de croyances héritées ou d'hypothèses non validées, ce qui n'a pas vocation à devenir une politique publique s'imposant à tous. Malgré une vaste littérature technique, très souvent spécialisée sur quelques espèces dans quelques milieux, l'état des poissons dans les rivières françaises reste mal connu aujourd'hui. Si l'on fait bien des relevés de pêche, on n'étudie presque jamais leur histoire et on n'analyse pas vraiment les causes des variations observées. Cette carence dans la qualité des diagnostics conduit le gestionnaire à proposer des remèdes qui n'ont aucune garantie d'efficacité, malgré leurs coûts et parfois leurs nuisances pour des usages établis des rivières. Quelques réflexions et quelques pistes pour refonder la politique écologique des rivières - et ici en particulier des poissons - sur les données, les modèles et les preuves. Cela sera aussi la condition sine qua non d'une continuité écologique "apaisée". 



Comment évaluer la population de poissons d'une rivière et comprendre ce qui la modifie ? Dans la gestion actuelle des rivières en France, la question s'est posée d'abord pour le cas des poissons grands migrateurs parcourant de plus ou moins longues distances (saumons, anguilles, aloses, lamproies, etc.).

Pour ces grands migrateurs, la réponse est parfois assez simple : c'est la présence ou l'absence d'obstacles sur la rivière qui induit la présence ou l'absence de poissons vers les zones amont, en particulier des barrages infranchissables. Des cas sont bien documentés de barrages qui, à compter de la seconde partie du XIXe siècle, ont bloqué les bassins et entraîné le déclin rapide de certaines espèces. Mais même pour ce cas le plus simple de la répartition et de l'abondance des grands migrateurs, d'autres causes sont en jeu et abaissent de toute façon la probabilité de revoir ces populations en grand nombre, même si les barrages disparaissaient : pollutions, dégradation des substrats, surpêche, réchauffement de l'eau, baisse des débits par prélèvement, changements de phase océanique, bouchons estuariens, modification génétique des souches, introductions de prédateurs, parasites dans le cycle marin, notamment issus des élevages, etc. La restauration d'une voie de franchissement au droit des barrages n'est donc pas la panacée : si cette option ouvre l'amont des bassins pour les grands migrateurs, la capacité d'une recolonisation durable dépend d'autres facteurs et les abondances passées ont peu de chance de revenir à brève échéance, cela malgré des coûts publics importants (voir l'exemple du saumon Loire-Allier).

Ces migrateurs amphihalins faisant de longs parcours attirent l'attention du public par leur importance historique, halieutique, gastronomique ou symbolique, mais ils ne représentent que quelques espèces de poissons parmi la quasi-centaine d'espèces endémiques ou introduites que comptent les rivières françaises (encore moins si l'on songe à toute la biodiversité aquatique, bien sûr). La plupart des rivières classées au titre de la continuité écologique ne sont pas des fleuves côtiers et elles ont des enjeux autres que ceux de ces grands migrateurs.

Comment évaluer l'état piscicole d'une rivière et les causes de cet état piscicole ?
Aujourd'hui, le cas le plus fréquent ressemble à ceci : des pêcheurs réalisent des relevés par pêche électrique, ils appliquent souvent des méthodologies anciennes et désormais peu usitées en science des rivières (comme la biotypologie de Verneaux), des hypothèses causales sont émises dans le rapport mais sans moyen de les vérifier ou les réfuter, ce rapport sert de bases d'évaluation pour les choix locaux. Parfois, ce ne sont pas des pêcheurs, mais des bureaux d'études, avec des méthodes un peu différentes. Le résultat est cependant sensiblement équivalent.

Cette méthode est insatisfaisante et doit être dépassée.

Elle est en retard sur certains enseignements de l'écologie scientifique depuis deux décennies. Elle pose que toute déviation de peuplement par rapport à l'idéal d'une rivière sans humain devrait et pourrait être corrigé, ce qui n'est pas discriminant. Et elle ne rend pas justice à une réalité : les variations des poissons d'une rivière s'expliquent aussi par l'histoire propre de cette rivière et des actions qui y ont été menées au fil des décennies, voire des siècles. Des mécanismes communs à tous les cours d'eau expliquent certaines variations : mais d'autres seront spécifiques à chaque bassin. L'écologie, c'est la singularité et la contingence. Le vivant ne répond pas de manière déterministe à des événements, et ces événements ne sont pas eux-mêmes homogènes d'une vallée à l'autre.

Le plus ennuyeux est que cette méthode, malgré son apparence technique avec des graphiques et des données, ne dit généralement rien des causes de ce que l'on observe. Or, c'est bien la question des causes qui intéresse le gestionnaire. Par exemple, si en 20 ans la moitié des truites ont disparu à cause d'un prédateur comme le cormoran ou d'un parasite comme la saprolègne, dépenser de l'argent pour traiter la végétation des berges ou les ouvrages hydrauliques n'aura pas vraiment d'effet sur la biomasse des truites : quand on se trompe sur le diagnostic, on se trompe aussi sur le remède. De même, quand la recherche montre que sur certaines rivières aménagées, les déversements issus de pisciculture pour la pêche depuis un siècle ont davantage d'influence aujourd'hui que tout autre facteur, l'ignorance du passé ne permet pas de comprendre le présent ni l'avenir.

Voici quelques besoins de données et de méthodes que les fédérations de pêches, les syndicats de gestion, les services de l'agence française de la biodiversité et des agences de l'eau devraient satisfaire, mais ne satisfont presque jamais complètement aujourd'hui.

Disposer de relevés anciens et de séries assez longues : il existe une variabilité interannuelle forte des peuplements pisciaires, pour des raisons naturelles (par exemple crues et sécheresses sévères) ou liées à l'action humaine (par exemple pollution). Un faible nombre de relevés manque donc de significativité statistique pour établir des moyennes et des tendances. Avoir des séries anciennes permet aussi, dans l'idéal, d'identifier l'apparition d'impacts en repérant des bifurcations dans l'évolution des tendances. (Exemples d'analyse longue durée : Belliard at al 2016 sur le bassin de Seine, ou à plus fine échelle Beslagic et al 2013 sur le bassin de l'Armançon. Voir aussi Poulet et al 2011 en analyse de tendance sur 20 ans)

Prendre l'IPR+ comme base d'estimation (mais non comme guide définitif) : l'indice poisson rivière révisé (IPR+) est un indicateur de peuplement mis au point pour la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Il consiste à établir une base probabiliste de peuplement de poissons dans chaque éco-région et chaque type de rivière, en prenant comme  hypothèse que des peuplements en zones peu impactées par l'homme (peu urbanisées, peu agricoles) sont représentatifs d'un optimum. L'IPR+ ne donne toutefois pas d'indication sur l'histoire de chaque rivière, et il n'indique pas les causes des écarts observés : c'est une photographie instantanée. L'IPR+ reste aussi prisonnier de sa logique de construction : la biodiversité totale (espèces endémiques et espèces introduites dans l'histoire) y est moins valorisée que la bio-intégrité (conformité à un idéal-type de rivière naturelle). Si tel fut le paradigme de la DCE 2000, il est aujourd'hui contesté par certains chercheurs comme à la fois peu réaliste sur ce que nous pouvons faire et pas forcément informatif sur l'avenir du vivant (voir par exemple Bouleau et Pont 2014, 2015).

Quand on prend l'IPR+, il est intéressant d'examiner les sous-composantes du score global, car ce sont elles qui vont donner des informations fines (nombre total d’espèces, nombre de rhéophiles, lithophiles, tolérants, invertivores, omnivores, densité totale d’individus). Des débats sont nécessaires sur les scores que l'on veut améliorer par le choix public. Certains considèrent par exemple qu'augmenter les rhéophiles et lithophiles serait plus important qu'augmenter la diversité et la densité totales des poissons, mais il s'agit là d'un choix plus subjectif qu'autre chose, qui n'a pas à être asséné comme une vérité indiscutable et qui doit au contraire avancer ses justifications.

Connaître les impacts du bassin et leurs évolutions dans le temps : une fois que l'on dispose d'une courbe de tendance des populations de poissons, si possible sur une durée longue, et d'un état présent de type IPR+, on doit être capable de l'analyser.

Si la population évolue peu et est conforme à ce qui est attendu pour les habitats disponibles sur la rivière, il n'y a pas de problème particulier (mais il faut alors le reconnaître et le dire, pas affirmer par réflexe qu'il y a besoin impératif d'agir!). Si elle évolue beaucoup, et en particulier si elle se dégrade (perte de biomasse, perte de diversité), il s'agit de trouver les causes, qui ne seront généralement pas un facteur unique. On doit donc être capable d'examiner les facteurs suivants et leurs évolutions dans le temps (avec pour certains cas la nécessité de retrouver des extremas, par exemple une sécheresse très sévère ayant redistribué les cartes une année dans la série):
- Température de l'eau (par défaut de l'air)
- Niveau des débits d'étiage et assecs
- Niveau des crues
- Prélèvements quantitatifs (évolution du débit moyen)
- Espèces invasives
- Pathogènes des poissons
- Espèces prédatrices des poissons
- Sédiments fins (érosion de versants) et substrats
- Nitrates, phosphates et eutrophisation
- Polluants chimiques (géno-, neuro- et reprotoxiques)
- Construction d'ouvrages en travers et d'ouvrages latéraux
- Rectifications et incisions de lits
- Extraction de granulats
- Végétations rivulaires
- Prélèvements-déversements de pêche

Cette liste correspond à ce que l'on trouve dans les manuels d'ichtyologie ou d'écologie des milieux aquatiques ainsi que dans la littérature scientifique pour expliquer les causes possibles de variations locales de poissons, en particulier la biomasse et la biodiversité. Chaque rivière et chaque bassin ayant son histoire, on doit tenir compte des contingences : un modèle généraliste ne peut pas décrire, expliquer et prédire à partir de quelques lois génériques le comportement local du vivant. Un simple modèle déterministe habitats-densités (estimation de frayère menant à une estimation de population) est par exemple insatisfaisant, car l'habitat n'est pas le seul critère pour l'évolution d'une population : la chimie, l'hydrologie, la température, l'interaction avec d'autres espèces comptent également. Affirmer que des poissons ont disparu (et surtout que des poissons reviendront) sur une simple analyse d'habitats n'est donc pas assez robuste.

Définir et justifier les objectifs : pour finir, le gestionnaire de rivière doit définir les objectifs qu'il veut atteindre, et en expliquer les raisons aux citoyens.

Depuis toujours, la question piscicole a été dominée par l'enjeu de la pêche. Il en résulte que certains poissons appréciés des pêcheurs sont particulièrement valorisés, ce qui peut varier selon les pratiques locales de pêche. Souvent, ce sont les saumons, les truites, les anguilles et les brochets dont on parle. Mais aujourd'hui, les attentes des pêcheurs (comme celle des chasseurs) ne sont plus confondues avec l'écologie. Le simple fait d'espérer davantage de proies ne signifie pas que l'on fait des bons choix pour l'environnement et en particulier pour la biodiversité. L'exemple particulièrement clair en est donné dans les choix de destruction des étangs et plans d'eau. Le motif en est généralement de retrouver une rivière d'eau courante avec ses peuplements (des espèces de poissons d'eaux vives ou rhéophiles). Mais si l'on analyse la biomasse et la biodiversité du site avec ou sans plan d'eau, le bilan de "restauration" peut aussi bien être négatif. Si le cours d'eau est dans une situation de prélèvement quantitatif important ou dans une zone à aggravation des assecs par le changement climatique, ce bilan pourrait même devenir catastrophique à terme.

Au-delà des pêcheurs, l'écologie elle-même n'est pas forcément consensuelle dans ses finalités. En simplifiant, on peut dire qu'il y a aujourd'hui deux écoles concernant les objectifs de biodiversité : certains considèrent que seule vaut la biodiversité endémique telle qu'elle était à l'époque pré-industrielle voire pré-agricole, donc souhaitent restaurer cet état ancien (renaturation, ré-ensauvegement) ; d'autres considèrent que la biodiversité acquise n'a pas moins de valeur que la biodiversité native, donc que l'action doit se concentrer sur ce qui perturbe toutes les espèces et diminue la productivité biologique. L'AFB (ex Onema) a pris des positions relevant de la première option : on peut regretter ce parti-pris de la part d'une agence publique. La biodiversité n'est pas la bio-intégrité, et tous les chercheurs ne sont pas d'accord entre eux sur les meilleurs choix de conservation. Le coût de restauration de milieux étant considérable, une mauvaise allocation de ressources rares peut pénaliser l'action publique sans produire des résultats très probants (voir ces retours scientifiques dans le monde, en France Morandi 2014, Morandi et al 2016, Dufour et al 2017).

Enfin, le gestionnaire public doit toujours justifier ses choix par des niveaux d'urgence relatifs.  C'est l'intérêt d'étudier sérieusement les poissons, et notamment les tendances historiques : si des populations sont assez stables localement, il n'y a pas de raison de faire de cette question une priorité d'investissement alors que l'écologie a beaucoup d'autres sujets à traiter et des moyens limités.

Conclusion : ne plus travailler sur des diagnostics faux car incomplets
A ce jour, nous n'avons rencontré aucune étude des peuplements de poissons d'un bassin versant qui fasse l'effort de retrouver et quantifier, sur la durée, l'ensemble des paramètres évoqués dans cet article. Les travaux menés par les syndicats de bassin, agences de l'eau ou fédérations de pêche sont généralement bien plus simples : des relevés sans suivi longitudinal, sans recherche sur l'histoire du bassin et sans quantifications du poids relatif des impacts. Or, pas de donnée fiable signifie pas de conclusion possible (du moins pas de conclusion robuste de nature à fonder un choix de gestion et une dépense publique sur un minimum d'assurance d'avoir un résultat à la hauteur).

Ce qui se rapproche d'analyses assez substantielles, ce sont des modèles multivariés mis en oeuvre par des chercheurs sur de grandes quantités de données (hydro-écologie quantitative), comme par exemple Dahm et al 2013, Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018. Ces travaux n'analysent pas l'évolution locale diachronique de populations, mais comparent des rivières en grand nombre (peuplements, impacts du bassin versant) pour mesurer des différences instantanées. Cela reste une approximation et au demeurant, de tels modèles expliquent en général la moitié seulement des variations trouvées entre les rivières (il reste donc beaucoup de contingence ou d'incertitude à éclairer pour des choix locaux). A date, tous ces travaux concluent que les marqueurs d'usages agricoles des sols sont les premiers prédicteurs de dégradation d'un milieu et des populations piscicoles (ou invertébrées), en particulier les nitrates et phosphates. Mais quand on les interroge, les chercheurs en charge de ces modèles admettent qu'ils ne suivent pas la pollution chimique - faute de mesure de celle-ci - donc que leur modèle reste une approximation.

D'autres travaux ont repris les données de relevés de pêche sur 15 ans avec une maille géographique assez fine, pour définir des zones prioritaires de conservation (Maire et al 2016). Les chercheurs y ont tenté de définir des objectifs de conservation, c'est-à-dire de circonscrire les tronçons présentant un intérêt particulier. Ils ont construit un indice à quatre facteurs : la diversité taxonomique (nombre d'espèces), la diversité fonctionnelle (traits singuliers du comportement de l'espèce, voir Buisson et al 2013, à noter que cela inclut la rhéophilie et le type migratoire), l'importance patrimoniale (statut de conservation, limitations biogéographiques d'expansion) et l'intérêt socio-économique. Ce dernier est fondé sur un précédent travail (Fishing Interest Index, FII, Maire et el 2013) et centré sur la pêche (professionnelle et de loisir). La démarche est intéressante mais le centrage sur la pratique halieutique ne correspond pas à une politique publique de biodiversité. Le même modèle pourrait être remobilisé avec d'autres critères et, si possible, avec davantage de profondeur historique dans les données.

Aujourd'hui, la direction de l'eau et de la biodiversité parle de prioriser les ouvrages hydrauliques à traiter sur les rivières, après l'échec du classement des rivières de 2012-2013 et les critiques contenues notamment dans l'audit du CGEDD 2016. Les premières propositions sont décevantes : au lieu de passer à la vitesse supérieure et de faire de l'écologie réellement scientifique, les hauts fonctionnaires ne proposent aucun bond qualitatif dans l'analyse des milieux aquatiques, persistant dans des pratiques clientélistes (par exemple, laisser des pêcheurs de truite définir le besoin de frayères) ou impressionnistes (par exemple, statuer sur le poids d'une pression morphologique sans analyse factuelle et causale). Ces mauvaises pratiques doivent cesser : on attend une écologie de la preuve et de la donnée, avec concertation sur les options environnementalement efficaces et socialement acceptées, pas une écologie d'affichage où les arbitrages en arrière-pan restent opaques arbitraires ou corporatistes.

A lire sur le même thème
Echantillonner les poissons avant un projet d'effacement d'ouvrage (Smith et al 2017)

29/09/2018

Zanichellie des marais et Potamot dense dans un bief bourguignon

Belle surprise pour un propriétaire de moulin de la Côte chalonnaise : son bief héberge deux plantes aquatiques peu courantes dans notre région, la Zannichellie des marais et le Potamot dense.

Ces deux plantes sont qualifiées de rares en Bourgogne (Olivier Bardet et al., 2008, Atlas de la flore sauvage de Bourgogne, MHN-Biotope, 752 p.)

Zannichellie des marais (Zannichellia palustris) : 46 stations connues en Bourgogne.



Potamot dense (Groenlandia densa) : 61 stations connues en Bourgogne.



Rappel à nos lecteurs propriétaires d'ouvrages hydrauliques : pensez à inventorier la faune et la flore de vos biefs (ou étangs) et de leurs abords, éventuellement en demandant l'aide d'associations naturalistes. Pour la faune, vous pouvez signaler vos observations (régionales) sur le site e-Observations de Bourgogne Nature. Pour la flore, une observation peut être saisie sur le carnet en ligne de Tela Botanica. Même la cartographie de la biodiversité ordinaire peut être d'intérêt.

27/09/2018

Pêcheurs et préfets sont-ils capables de respecter l'état de droit en matière de continuité? Casse à Louhossoa

Le seuil de Apeztegia à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques) a été ébréché à peine quelques jours après la parution de l'arrêté préfectoral (signé le 13 septembre 2018), sous maîtrise d'ouvrage de la fédération de pêche, sans même attendre le délai d'opposition à l'arrêté (4 mois). Problème : l'étude préalable montrait que le chantier modifie 445 m de rivière. Dans le droit français (article R 214-1 code de l'environnement), un tel changement du milieu (plus de 100 m de profil en long) impose une procédure d'autorisation avec enquête publique. L'administration ne saurait l'ignorer puisque le tribunal administratif de Pau vient de condamner le ministère de l'écologie pour avoir négligé cette disposition bien connue de tout pétitionnaire de chantier en rivière. Mais ici, le préfet a passé outre et autorisé la destruction sur la base d'une simple déclaration. Comme pour l'étang de Bussières, où une double procédure pénale et administrative est engagée. Le gouvernement lance un plan pour une continuité prétendument "apaisée", mais son administration persiste à valider n'importe quelle dépense publique et n'importe quelle entorse au droit commun de l'eau. C'est lamentable et en guise d'apaisement, ce double langage ne fait qu'accroître l'exaspération des riverains. Un recours sera déposé pour cesser les autres opérations prévues dans les Pyrénées-Atlantiques. 

L'ouvrage ébréché :


L'extrait du document d'incidence montrant les 445 m d'impact :


Sur le seuil d'Inchaya faisant partie du même lot analysé de 7 ouvrages, le bureau d'études observait dans le rapport de préparation du chantier qu'une modification de plus de 100m (ici 135 m) implique une autorisation (a fortiori pour 445m sur le seuil d'Apeztegia, mais le préfet a de toute façon ignoré ces obligations sur tous le seuils concernés par son arrêté) :

26/09/2018

Plan gouvernemental pour une politique apaisée de continuité écologique: commentaires et modèle de lettre aux préfets

Après 8 mois de discussion au comité national de l'eau (CNE), le ministère de la Transition écologique et solidaire a officiellement adopté un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique. Ce texte reste très insatisfaisant : les hauts fonctionnaires de la direction de l'eau et de la biodiversité bloquent toute remise en question de leurs erreurs et de leurs interprétations abusives de la loi, persistant même à présenter comme des avancées ce qui forme toujours un déni scandaleux des dispositions votées par nos parlementaires. La loi interdit de contraindre un ouvrage autorisé à la destruction et la loi oblige l'Etat à indemniser les travaux au coût excessif : ce sont les éléments qu'il convient toujours de rappeler aux services de l'Etat, le cas échéant au juge si ces services les ignorent. La continuité écologique sera "apaisée" quand l'Etat reconnaîtra l'intérêt des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques au lieu d'organiser leur harcèlement et leur effacement. Elle restera conflictuelle tant que les riverains et propriétaires devront se battre pour faire reconnaître leurs droits et leurs libertés, ainsi que la valeur du patrimoine historique et paysager, de ses usages sociaux, des milieux vivants qu'il héberge. Commentaires de ce nouveau plan et modèle de courrier associatif au préfet. 



La discussion au CNE avait soulevé des espoirs, car certains de ses animateurs étaient sincères. Mais le Plan en résultant est très en deçà de ce que l'on pouvait attendre.

En effet, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a maintenu l'essentiel de ses positions contestées et a refusé en conséquence les solutions les plus simples : déclasser un grand nombre de cours d'eau n'ayant pas de réels enjeux migrateurs ; poser la priorité aux aménagements non destructeurs et leur financement public.

Au lieu de la simplicité et de la clarté, c'est un surcroît de complexité qui a été choisi. Cela alors que les services en charge de l'eau et de la biodiversité se plaignent déjà du manque de temps et de moyens pour mener à bien leurs missions : il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes sur la lucidité et l'efficacité de l'action publique, le pilotage de la direction ministérielle de l'eau étant aujourd'hui très critiqué sur certains choix.

Au sein de ce Plan, on note des points positifs et négatifs.  En particulier :

Point positifs
  • il est reconnu que certains ouvrages devront être définis comme prioritaires et d'autre non, premier pas pour reconnaître que nombre d'ouvrages sont aujourd'hui classés sans réel enjeu écologique,
  • il est demandé une mise en œuvre de solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes, ce qui suggère que des options actuelles sont disproportionnées et irréalistes,
  • il est posé le principe d'une conciliation des enjeux (environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs), donc la prime à la casse n'a pas à être un choix de première intention, comme c'est le cas dans un trop grand nombre d'instruction des agences de l'eau (par exemple 75% en Seine-Normandie, Artois-Picardie, plus de 50% en Loire-Bretagne).
Points négatifs
  • il n'y a aucune sécurité juridique ni efficacité programmatique en l'état du Plan, puisque même les ouvrages non prioritaires sont théoriquement toujours tenus d'être aménagés, dans le délai légal de 5 ans, de sorte que le propriétaire n'a pas de garantie sur son sort et risque de se retrouver dans un flou peu admissible,
  • l'Etat continue d'essayer d'échapper à la loi sur l'eau de 2006 en affirmant que les solutions de continuité écologique ne seront pas indemnisées, mais feront l'objet de simples facilités fiscales (prêt taux zéro, etc.), ce qui est inacceptable. Toute charge exorbitante de mise en conformité à la continuité doit être indemnisée sur fonds publics, il n'y a pas à déroger à cette règle voulue par le législateur 
Nous verrons avec quel degré de sincérité intellectuelle, de cohérence territoriale et d'esprit de conciliation les services de l'Etat mettent en oeuvre ce nouveau Plan.

Il n'y aura aucune politique "apaisée" de continuité écologique si les conditions suivantes ne sont pas remplies :

  • sortir de l'arbitraire, l'analyse au cas par cas est la règle en hydrologie et écologie, mais elle ne signifie pas que les services de l'Etat (AFB, Dreal, DDT-M, agences de l'eau) peuvent prendre des arbitrages différents ou présenter des niveaux d'exigence différents pour des cas similaires, au gré du bon vouloir des agents, comme c'est hélas le cas aujourd'hui (voir ce document listant tous les types de problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre de la continuité à partir de témoignages de terrain et retours de propriétaires),
  • exempter clairement des obligations de continuité les ouvrages reconnus comme non prioritaires, par un courrier explicite de la préfecture sortant le propriétaire de l'insécurité juridique,
  • indemniser les solutions de franchissement représentant des charges spéciales et exorbitantes, ce que demande la loi et ce qui est à portée des budgets des agences de l'eau, d'autant que les ouvrages prioritaires seront bien moins nombreux à traiter que l'ensemble des ouvrages classés.
***

Modèle de lettre au préfet sur le Plan d'action pour une politique apaisée de continuité

Les associations de propriétaires, riverains et protection du patrimoine hydraulique doivent envoyer en recommandé un courrier au préfet actant le nouveau Plan. Ce courrier est l'occasion de rappeler les termes de la loi de continuité et les obligations (non respectées à date) de l'Etat. En cas de contentieux, il servira à chaque propriétaire adhérent de l'association pour témoigner de la bonne volonté de trouver des solutions et du retard de l'Etat à les proposer.

Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte)

Par la voix du ministre d'Etat en charge de la Transition écologique et solidaire, le gouvernement a annoncé en août 2018 l'adoption d'un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique. 

Ce Plan comporte 7 actions dont l'exécution et la coordination reviennent principalement aux services de l'Etat.

Nous observons en particulier que ce Plan demande sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique de :
- prioriser les interventions, et déjà définir en concertation avec les premiers concernés ce qu'est un ouvrage prioritaire (action 1)
- assurer une meilleure conciliation des enjeux environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs (action 2)
- chercher des solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes (action 4)
- trouver les circuits et outils financiers pour réaliser les travaux (action 5)

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le spécifier par courrier, la plupart des propriétaires d'ouvrages hydrauliques adhérents de notre association sont toujours dans l'attente d'une solution visant à respecter les termes de la loi (art L 214-17 CE), à savoir 
1) un ouvrage "géré, équipé, entretenu" , ce qui exclut toute pression à la destruction de la consistance légale autorisée,
2) selon "des règles définies par l'autorité administrative", ce qui suppose la caractérisation par vos services des enjeux propres à chaque rivière et ouvrage,
3) avec indemnisation des travaux présentant des "charges spéciales et exorbitantes", ce qui demande de flécher un financement si un dispositif coûteux est prescrit.

Le nouveau Plan gouvernemental aidera probablement à cet objectif, et il faut l'espérer car la plupart de nos adhérents sont aujourd'hui orphelins de solutions respectant la loi.

Disposés à rencontrer vos services avec les propriétaires de chaque rivière pour avancer de manière cohérente et concertée dans l'esprit "apaisé" que souhaite le gouvernement, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte), l'expression de nos sentiments respectueux.

24/09/2018

Les poissons de l'Yonne moyenne en 1952, avant les pollutions mais après les barrages

En 1952, un responsable de pêche et de pisciculture publie une étude sur les poissons de l'Yonne moyenne, à l'amont et l'aval d'Auxerre. En ce temps, les grandes pollutions issues des substances de synthèse et de l'agriculture productiviste des 30 Glorieuses n'ont pas réellement commencé, mais les ouvrages barrant la rivière sont présents. L'auteur note que les migrateurs comme le saumon, l'esturgeon ou l'alose finte ont déjà disparu depuis 50 à 100 ans. En revanche, la rivière compte 23 espèces dont 18 communes, et elle est décrite comme très poissonneuse. Ce travail suggère que si les barrages rehaussés bloquent la montaison des migrateurs après 1850, ils n'empêchent pas en soi la biodiversité des poissons holobiotiques, y compris des espèces rhéophiles et polluo-sensibles. On a décidément du mal à croire que la question des ouvrages hydrauliques forme le premier enjeu de qualité des rivières : ils sont surtout le faire-valoir de gestionnaires ayant les plus grandes difficultés à traiter à la source les nouvelles pollutions et dégradations des bassins versants. Quant au retour de grands migrateurs en tête de bassin, il y a déjà beaucoup à faire à l'aval avant d'y songer...


R. Poplin, alors vice-président de la Fédération des associations de pêche et de pisciculture de l'Yonne, fait paraître en 1952 dans le Bulletin français de pisciculture une étude sur les peuplements de poissons de l'Yonne moyenne, soit la partie du cours d'eau allant de Mailly-la-Ville à Charmoy, approximativement de la confluence avec la Cure à celle avec l'Armançon.

Poplin observe à propos de ce tronçon : "Ses eaux sont assez froides, ainsi que l'atteste la rareté des deux espèces aux exigences opposées, la Carpe et la Truite, qui semblent marquer les limites extrêmes du peuplement. Ce caractère est confirmé par l'absence totale de certaines espèces, en particulier le Poisson-chat et la Perche-soleil ainsi que par l'insuccès des tentatives de repeuplement en Black-bass, faites à plusieurs reprises, et qui ont invariablement abouti à la disparition complète des sujets."

La période de l'étude est intéressante, car nous sommes avant la modernisation des 30 Glorieuses, avec ses conséquences sur les modèles agricoles de production (engrais, mécanisation, pesticides) et sur les pollutions domestiques ou urbaines (lessives, produits issue de la chimie de synthèse, etc.). Certains ont qualifié les années 1950 de "grande accélération" de l'Anthropocène, car on y voit les courbes d'impact de l'homme sur les milieux prendre une pente beaucoup plus soutenue.

L'auteur note d'ailleurs la qualité de l'eau : "Pourvues d'une végétation aquatique abondante, et indemnes de toute pollution appréciable, les eaux de l'Yonne semblent posséder une capacité biogénique élevée. Dans son ensemble, ce cours d'eau peut être considéré comme très poissonneux." En revanche, il souligne le caractère canalisé de la rivière, avec "des parties délaissées par la navigation où les eaux rapides et peu profondes suivent la pente naturelle ; des parties canalisées où la pente est masquée et atténuée par les barrages et pertuis, avec des eaux plus profondes et sensiblement ralenties".

Nous avons donc une étude assez charnière : celle d'une rivière déjà impactée sur sa morphologie, notamment la continuité en long (présence de retenues et biefs), mais encore épargnée sur sa physico-chimie (assez peu de pollutions, même s'il existait déjà une industrie et moins de normes qu'aujourd'hui).

Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique la zone étudiée et le niveau d'abondance relative des espèces de poissons.



Vingt-trois espèces sont présentes dans l'Yonne moyenne à cette période, dont 18 sont assez communes à très communes. On observe qu'une espèce sensible aux pollutions comme le vairon est "très commune". Le brochet, qui peut parcourir de longues distances et recherche des annexes latérales, est encore commun lui aussi. La rivière comporte aussi bien des espèces rhéophiles (goujon, vairon, hotu, lamproie de Planer) que limnophiles (gardon, ablette, brème).

Concernant les grands migrateurs (esturgeon, alose et alose finte, saumon) ils ont disparu entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ce qui peut être attribué à la construction ou la rehausse de barrages sur la Seine et l'Yonne, principalement pour la navigation.

Aujourd'hui, certains gestionnaires de l'eau (AFB, agence de l'eau) affirment que les impacts morphologiques et en particulier les discontinuités en long seraient les premiers facteurs de dégradation de la rivière. Ce point est contesté, en particulier pour la petite hydraulique, et les travaux scientifiques ne montrent pas du tout un poids majeur des ouvrages sur les poissons. Le travail de R. Poplin ne plaide pas non plus en ce sens dans le cas de l'Yonne moyenne, en tout pas pour les discontinuités en long de type chaussées, barrages et écluses, qui n'empêchaient pas la rivière d'avoir une population de poissons abondante et variée au milieu du XXe siècle.

Quant à espérer le retour des grands migrateurs sur cette zone, il faut déjà que le bassin aval de la Seine et de l'Yonne soit pourvu de dispositifs de franchissement sur tous les ouvrages de navigation, écrêtement de crue ou énergie, que les eaux ne soient pas trop polluées dans l'aval de l'agglomération parisienne jusqu'à l'estuaire et que les nouvelles espèces prédatrices (comme le silure) ne soient pas trop actives. Beaucoup de conditions avant d'en faire un enjeu pertinent vers les têtes de bassin.

Référence : Poplin R (1952), Le peuplement des eaux de l'Yonne moyenne, Bull Fr Piscic, 164, 109-114

22/09/2018

Zéro perte de linéaire, berge et diversité en rivière? Les fonctionnaires de l'écologie nagent dans leurs contradictions

Les hauts fonctionnaires du ministère de l'écologie appellent à des mesures de compensation pour tout chantier affectant les milieux aquatiques et humides, en particulier le linéaire en eau, ses berges, la capacité productive du milieu. Problème : les mêmes fonctionnaires exigent une application dogmatique de la continuité écologique avec préférence à l'effacement qui, dans de nombreux cas, amène à assécher des centaines de mètres de biefs et zones humides annexes, à faire crever la végétation riveraine, à diminuer la productivité biologique de plans d'eau et à réduire la capacité d'accueil de la biodiversité locale. Il faut donc désormais rappeler aux préfets et aux établissements porteurs de projets d'effacement ce qu'exige le ministère: la disparition d'un milieu en eau doit être évitée sinon compensée.  

La direction de l'eau et de la biodiversité a participé en 2017 à un colloque sur les mesures compensatoires quand un environnement aquatique ou humide est altéré par un chantier (Dimensionnement de la compensation écologique des cours d’eau, Bron, septembre 2017). Les hauts fonctionnaires ont exprimé leur "doctrine".



Voici deux diapositives intéressantes où les hauts fonctionnaires exposent certains points à la vigilance des préfets.


Le problème : ces mêmes hauts fonctionnaires ont donné la préférence à la destruction systématique des ouvrages d'hydraulique ancienne au nom de la continuité écologique, cela pour divers motifs (parfois une stratégie sincère pour améliorer la situation de grands migrateurs comme le saumon ou l'anguille; plus souvent la soumission au lobby des pêcheurs de salmonidés et à des ONG minoritaires défendant une vision radicale de la conservation, ainsi que la démission de la puissance publique faute de moyens, avec volonté de se débarrasser d'ouvrages dont il faut assumer le suivi réglementaire).

Or cette politique de destruction des ouvrages, biefs, canaux et plans d'eau a de nombreux effets négatifs sur l'environnement local, au regard même des différents motifs de compensation écologique que le ministère reconnait et rappelle aux préfets. Il est en effet courant que les opérations de destructions d'ouvrages fassent disparaître des centaines voire des milliers de mètres d'annexes latérales en eau (bief) et de leurs abords humides, particulièrement en tête de bassin où des milliers d'ouvrages anciens (étangs, moulins) sont concernés.


Exemple des conséquences de destructions d'ouvrages en lit mineur : la rivière se trouve réduite à un chenal unique car tout le réseau latéral des biefs et zones humides alimentés par ces biefs sera à sec à terme. De tels chantiers font perdre du linéaire d'écoulement et de berge, donc de la productivité et de la diversité biologiques pour les milieux aquatiques et humides. En tête de bassin, ces chantiers ne sont généralement réputés favorables à la biodiversité qu'en raison de la focalisation sur certaines espèces halieutiques comme la truite, intéressant en réalité des usagers de la rivière (lobbying des pêcheurs et de leurs fédérations). 

Les chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, lorsqu'ils concernent des étangs ou des chaussées / barrages produisant des biefs d'intérêt avec des berges boisées, ont donc des impacts qu'il conviendrait de compenser, si l'on reprend la nomenclature proposée par le ministère:
  • perte de linéaire de cours d’eau,
  • perte de linéaire de berges naturelles,
  • modification des écoulements souterrains, des échanges nappe/cours d’eau,
  • déconnexion du chenal principal avec ses annexes hydrauliques, rupture ou altération de la continuité écologique latérale,
  • modification ou diminution localisée de la capacité d'accueil du cours d'eau pour la flore et la faune : réduction de la richesse spécifique, modification de la diversité des peuplements et/ou baisse de la productivité.

Lors des préparations de dossier, enquêtes publiques et contentieux judiciaires concernant des effacements d'ouvrages hydrauliques, nous appelons les riverains ou leurs associations à opposer ces points au pétitionnaire qui détruit ou assèche des plans d'eau et des biefs avec toute la perte de productivité biologique que cela implique.

Comment procéder ?
  • Les éléments en eau (et leur berge) appelés à disparaître sont photographiés et cartographiés par les riverains, avec autant que possible documentation de la biodiversité observée (arbres et plantes, insectes, amphibiens, oiseaux, poissons, etc.).
  • Un rapport est publié avec une demande formelle soit de respect des milieux en place, soit de description des compensations à hauteur de ce qui sera détruit, sous forme de courrier à adresser à 4 interlocuteurs : service instructeur DDT-M (courrier recommandé); service instructeur AFB (courrier simple) ; pétitionnaire maître d'ouvrage du chantier (syndicat, parc, fédé pêche, etc.) (courrier recommandé) ; élus locaux sur le territoire du chantier (courrier simple). 

Si l'administration et le pétitionnaire se refusent à éviter ou compenser les destructions opérées, le cas doit être porté en justice : requête en annulation de l'arrêté préfectoral autorisant les travaux malgré l'absence de compensation. Contacter notre association pour des modèles de contentieux.

Référence à citer : Direction de l'eau et de la biodiversité (MTES) (2017), Mesures compensatoires cours d’eau, réglementation, doctrine, 28 p. Egalement disponible à ce lien.

19/09/2018

La pollution, menace n°1 des estuaires et eaux de transition (Teichert et al 2016)

Une étude menée sur 90 estuaires de la façade Atlantique dont 25 en France montre que le premier facteur de dégradation de la vie biologique est formé par les pollutions de l'eau. Notre pays est malheureusement en retard sur le traitement à la source du problème. Pire encore, en supprimant au nom de la continuité les myriades de plans d'eau qui jouent le rôle local de stockage et d'épuration de certains polluants, on accélère le déversement vers l'aval de toutes les contaminations des bassins. Cette politique de l'autruche cible mal les priorités écologiques et vaudra à la France d'être condamnée pour non respect de la directive-cadre européenne sur l'eau, comme elle a déjà été sanctionnée pour ses manquements sur les directives nitrates et eaux résiduaires.

Nils Teichert et ses collègues ont examiné 90 zones estuariennes et eaux de transition sur la façade atlantique nord de l'Europe, incluant la France. Ils ont analysé 17 stresseurs rassemblé en 9 catégories (urbanisation de la côte, dragage de sédiments, pêcheries, changement de débit, perte de zone intertidale, eutrophisation, déplétion d'oxygène, développement portuaire et pollution chimique).

Voilà le résumé de leur recherche :

"Les estuaires sont soumis à de multiples facteurs de stress anthropiques, qui ont des effets additifs, antagonistes ou synergiques. Les défis actuels impliquent l'utilisation de grandes bases de données d'enquêtes de surveillance biologique (par exemple la directive-cadre européenne sur l'eau) pour aider les gestionnaires de l'environnement à hiérarchiser les mesures de restauration. Cette étude a examiné l'impact de neuf catégories d'agents stressants sur l'état écologique des poissons provenant de 90 estuaires des pays de l'Atlantique du Nord-Est. Nous avons utilisé un modèle à forêt aléatoire pour: 1) détecter les facteurs de stress dominants et leurs effets non linéaires; 2) évaluer les avantages écologiques attendus de la réduction de la pression des facteurs de stress; et 3) examiner les interactions entre les facteurs de stress. Les résultats ont montré que les principaux avantages de la restauration étaient attendus lors de l'atténuation de la pollution de l'eau et de la déplétion de l'oxygène."

Ce schéma montre que la dégradation physique et chimique de l'eau des estuaires par les polluants est le premier enjeu de gestion écologique :


Les chercheurs observent : "La qualité chimique des eaux est un élément crucial pour façonner l'abondance et les assemblages dans les estuaires (Delpech et al 2010; Le Pape et al 2007; Whitfield et Elliott 2002). Les contaminants chimiques peuvent avoir un impact direct ou indirect sur la physiologie du poisson en perturbant les fonctions biologiques fondamentales, telles que la reproduction ou la croissance, et peuvent induire des effets létaux dans les cas extrêmes (Fleeger et al 2003; Johnson et al 1998). et Van Der Kraak 1997; Scott et Sloman 2004). Dans notre étude, la pollution de l'eau a été classée au premier rang des priorités dans le schéma de restauration combiné et a montré un changement de seuil pour les effets biologiques de la qualité de l'eau."

Concernant la déplétion d'oxygène, ils précisent : "L'enrichissement en éléments nutritifs et en matière organique peut avoir de graves répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes marins, notamment en raison de problèmes d'épuisement de l'oxygène (Diaz et Rosenberg 1995; Diaz et Rosenberg 2008). L'hypoxie est généralement définie par des concentrations en oxygène inférieures à 2 mg l− 1 (environ 24% de saturation à 20 ° C et 15 psu), mais son effet sur les communautés de poissons peut survenir plus tôt lorsque les individus sont capables de détecter les signaux de déplétion del'oxygène (Breitburg 2002; Delage et al 2014). Bien que l'appauvrissement en oxygène soit souvent associé à l'eutrophisation, plusieurs autres facteurs affectent fortement la saturation en oxygène dans les eaux d'estuaires, telles que la température ou le temps de résidence des eaux affectées par le débit du fleuve. Les effets directs de l'eutrophisation n'ont pas été analysé dans notre étude, mais l'appauvrissement en oxygène a été classé au deuxième rang des priorités dans le schéma de restauration. L'état écologique des poissons a fortement diminué lorsque les problèmes d'hypoxie se sont étendus sur 1 à 5% de la longueur de l'estuaire. Uriarte et Borja (2009) ont déjà démontré pour les poissons dans les exploitations que la saturation en oxygène inférieure à 80% conduisait à un statut écologique moyen, tandis que la saturation à 60% conduisait à un statut médiocre avec un effet de seuil. Ces résultats suggèrent qu'un déclin modéré de la saturation en oxygène peut avoir des effets sur la faune mobile (Breitburg 2002), entraînant une modification de la structure des communautés de poissons (Pollock et al 2007)."

Discussion
Certains gestionnaires ont fait l'hypothèse en France que les impacts morphologiques sur les masses d'eau (leur berge, leur substrat, leur écoulement) sont aussi, voire plus importants que les impacts chimiques. Ce point est contredit par les études d'hydro-écologie quantitative, aussi bien dans les eaux continentales que dans les eaux estuariennes : ce sont les polluants qui arrivent en tête des facteurs expliquant le mieux la dégradation des indices biologiques, et cela assez nettement (voir par exemple Dahm et al 2013, Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018).

Pour les estuaires, le choix français de favoriser la suppression des barrages et seuils à fin de continuité longitudinale sur les rivières et fleuves devrait aggraver le bilan au lieu de l'améliorer. En effet, les zones lentiques de ces ouvrages jouent un rôle favorable à l'épuration locale de certains intrants (par voie biologique de métabolisation ou par voie physique de sédimentation). En supprimant ces "tampons" et en accélérant les écoulements, on repousse la charge polluante vers l'aval. Avec le réchauffement des eaux dû au changement climatique, ces évolutions risquent de rendre les estuaires (qui sont aussi les portes d'entrée et de sortie des poissons grands migrateurs) moins favorables au vivant.

La France a déjà été rappelée à l'ordre à plusieurs reprises par l'Europe pour son retard dans l'application des directives nitrates et eaux résiduaires urbaines, avec pour conséquence un lourd héritage d'eutrophisation. Elle gère également mal ses eaux pluviales, comme l'a rappelé le CGEDD dans un récent rapport. Quant aux pesticides, leur charge n'a pas diminué (Hossard et al 2017). Les pollutions chimiques doivent devenir l'enjeu prioritaire des rivières françaises, de la source à l'estuaire. Cela suppose de changer les arbitrages financiers des agences de l'eau qui dépensent actuellement plusieurs centaines de millions € par an pour des mesures morphologiques dont la nature reste en réalité expérimentale et dont les résultats sont, du point de vue de la science, très incertains.

Référence : Teichert N et al (2016), Restoring fish ecological quality in estuaries: Implication of interactive and cumulative effects among anthropogenic stressors, Sci Tot Env, 542, 383-393