06/12/2018

Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018)

Ce pourrait être le titre d'une fable moderne de La Fontaine. Une équipe de chercheurs et ingénieurs français montre que les silures organisent leur chasse au niveau d'une passe à poissons de la Garonne et consomment jusqu'à 35% des saumons se présentant dans le dispositif. Le silure est un poisson-chat géant originaire du Danube, introduit voici cinquante ans dans la plupart de nos eaux. Il représente donc une nouvelle menace pour les grands migrateurs déjà affectés par d'autres pressions (obstacles, pollutions, surpêche, pathogènes, pertes de frayères, réchauffement, changement de cycles océaniques). Cela pose question sur les choix publics, car cette énumération des menaces anciennes ou nouvelles signifie aussi une addition des coûts sociaux et économiques si l'on souhaitait revenir à des conditions antérieures sur toutes les rivières du pays. Combien doit-on et veut-on investir (ou perdre)? Pour quels résultats? Avec quel consentement des citoyens et quels enjeux pour eux? Car ces passes à poissons coûtent cher, surtout si elles devaient devenir de simples garde-manger pour espèces opportunistes...


Les principales causes historiques du déclin mondial des salmonidés sont la fragmentation des cours d'eau, la modification de l'habitat, l'acidification, la pollution et la surexploitation. Désormais,les changements climatiques et les espèces de poissons introduites sont aussi considérés comme des menaces potentielles, quoique moins bien connues.

Stéphanie Boulêtreau et ses 5 collègues (CNRS, université Toulouse, LNHE, EDF—R&D, Migado) ont analysé les comportements des silures vis-à-vis des saumons atlantique dans la Garonne.

Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".

Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).

Dans ce travail, les chercheurs ont étudié le comportement de prédation des silures au niveau d'une passe à poissons. La Garonne s'étend sur 580 km de sa source dans les Pyrénées à l’océan Atlantique. Le complexe hydroélectrique Golfech-Malause a été construit en 1971 à environ 270 km de l'embouchure de la rivière, en aval de la confluence avec le Tarn. C'est le premier obstacle à la montaisons des anadromes. La centrale a été équipée en 1987 d’un ascenseur à poisson sur la rive droite du canal de fuite.

Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.

"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."

Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.

Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).

Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!

Autre enseignement de l'étude : les espèces exotiques et invasives sont en train de changer peu à peu toutes les conditions du vivant. Jadis, seuls les océans et les airs étaient libres de barrières physiques. Désormais, depuis plusieurs millénaires mais avec une forte accélération depuis un siècle, des espèces sont introduites  par l'homme dans tous les milieux terrestres. A court terme, nous observons surtout des proliférations ici ou là. Mais à long terme, ce sont toutes les cartes de l'évolution qui sont rebattues.

Comme souvent, l'étude pose question sur les choix publics. Pour certains, elle démontrera qu'il convient de démanteler tous les ouvrages des fleuves et rivières, conditions pour un retour garanti des grands migrateurs vers les têtes de bassin, puis une survie optimale de la progéniture retournant vers la mer. Pour d'autres, elles suggérera au contraire que la volonté de revenir à des conditions naturelles antérieures représente un coût et une contrainte considérables sur les usages humains de la rivière, donc que la politique de conservation des poissons migrateurs devrait se dédier à certains axes peu ou pas équipés, mais ne plus prétendre "renaturer" des systèmes ayant déjà changé et présentant désormais d'autres dynamiques.

Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.

Image : localisation de l'étude Boulêtreau et 2018 ci-dessus, organisation de la passe à poisson de Golfech sur la Garonne, droit de courte citation

A lire sur le même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)

02/12/2018

A Genay (21), chantage à la destruction du plan d'eau et du moulin pour payer l'assainissement

Pour accorder des subventions sur une opération d'assainissement non collectif dans la commune de Genay, l'agence de l'eau Seine-Normandie exige la destruction d'un seuil de moulin et du plan d'eau du village. C'est le chantage d'une bureaucratie intégriste ayant promu la casse des ouvrages sur tout le bassin de Seine et de Normandie – une bureaucratie d'ores et déjà responsable d'une altération sans précédent du patrimoine hydraulique de notre pays. Au lieu de défendre l'intérêt des citoyens, le syndicat SMBVA appuie cette politique absurde et décriée. Mais cette écologie punitive peut-elle persister dans un tel aveuglement dogmatique alors que les Français se montrent excédés du mauvais comportement de l'Etat et du mauvais usage des impôts? Les technocrates de l'eau ont-ils compris que de telles méthodes et de tels gâchis d'argent public sont de moins en moins tolérés, surtout dans une ruralité où l'argent manque partout? Les citoyens doivent demander aux gestionnaires publics de traiter d'abord toutes les pollutions et de satisfaire les réelles exigences de qualité de l'eau posées par les directives européennes, au lieu de ces nuisances sans rapport à l'intérêt général. Autre choix prioritaire : développer l'hydro-électricité dans chaque village ayant la chance de pouvoir le faire grâce à la présence d'ouvrages. 


Notre association a reçu copie d'un courrier de l'Agence de l'eau au syndicat mixte de l'Armançon (SMBVA, ex SIRTAVA). En voici un extrait (cliquer pour agrandir) :



Dans ce courrier du 18 septembre 2018, le directeur territorial Seine Amont de l'Agence de l'eau Seine-Normandie prétend au président du SMBVA que "l'élément déclencheur" d'une aide financière de l'agence de l'eau pour améliorer l'assainissement non collectif serait la destruction de l'ouvrage hydraulique et du plan d'eau de la commune.

En d'autres termes : pas de casse de moulin et pas de suppression du plan d'eau, alors pas d'aide à la lutte contre la pollution.

Le chantage bureaucratique usuel sur les rivières, le bassin Seine-Normandie étant le plus intégriste en matière de destruction du patrimoine hydraulique (75% des sites détruits selon le rapport CGEDD 2016)

Ce courrier, que nous considérons comme un abus de pouvoir de l'agence de l'eau Seine-Normandie, sera versé si besoin dans un éventuel dossier contentieux contre la destruction du patrimoine de la commune de Genay.

Il y a des alternatives
Rappelons les faits, dans ce village de l'Auxois où coule l'Armançon.

Le propriétaire du moulin aval de la commune (moulin dit de la scierie ou moulin des Noues), agriculteur ayant acquis en 2000 le bien dans le cadre d'une préemption SAFER, a subi des pressions régulières du syndicat SMBVA et la DDT 21 l'ayant mené à abandonner son droit d'eau, de peur d'avoir à payer des amendes au titre de la continuité écologique. Le droit d'eau abandonné, le propriétaire se trouve dans l'obligation de remettre la rivière en l'état. Il faut noter que rien n'est clairement spécifié dans la loi sur ce que doit devenir un site après abandon de droit d'eau : tout serait donc encore possible, à condition de s'entendre sur l'interprétation d'une "remise en état".

Ainsi, si nous avions une ambition collective répondant aux enjeux réels de l'avenir des rivières et du climat au lieu de satisfaire des exigences intégristes et absurdes de soi-disant "renaturation", la commune de Genay pourrait décider de gérer le site à la place du propriétaire défaillant, développer un projet de petite usine hydro-électrique pour décarboner l'électricité du village (puissance de 50 kW, équivalent consommation d'une cinquantaine de familles), conserver le plan d'eau, ajouter une passe à poissons ou une rivière de contournement.

Le SMBVA avait organisé une réunion publique à Genay, le 16 décembre 2016. Une étude complète devait être faite sur le seuil, notamment sur son intérêt écologique (analyse d'effet d'épuration, analyse de biodiversité dont les rives). Rien de clair ne nous a été présenté, le syndicat semble avoir acté le principe de destruction du site, essayant de vendre aux habitants de la commune une improbable mare en guise de nouveau plan d'eau. Nous avions lors de cette réunion demandé à la salle si les personnes présentes souhaitaient garder le plan d'eau communal : tous les bras s'étaient levés. Et nous avions demandé au personnel du syndicat de prendre acte de cette volonté villageoise.

Mais en matière d'ouvrages hydrauliques, le SMBVA n'agit plus dans l'intérêt des communes ni des citoyens : il exécute simplement les ordres reçus de l'Etat de l'agence de l'eau, quand il n'en rajoute pas dans l'intégrisme de la renaturation allant bien au-delà de ce que demande la loi. Hélas, aucun avantage écologique clair ne ressort de telles mesures : on fait varier localement des densités de poissons ou d'insectes aquatiques, des caractéristiques morphologiques du lit, mais c'est loin de représenter une cause prioritaire de protection de la biodiversité.

Cette écologie punitive et bureaucratique dépense l'argent public sans intérêt clair pour l'environnement et contre l'avis des habitants : peut-elle se poursuivre à l'heure où le pays est excédé de ce genre d'excès public? Les habitants de Genay voulant préserver leur cadre de vie devront-ils enfiler à leur tour un gilet jaune pour se faire entendre? Le gestionnaire public n'est-il pas capable de se remettre en question quand il voit l'opposition de la société qu'il est censé servir?

Nous le verrons en 2019.

Vidéo sur les pratiques du SMBVA
Le scandale de la casse de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon




A lire en complément
Lettre ouverte aux élus de l'Armançon sur la destruction des ouvrages hydrauliques
Techniques ordinaires de manipulation en évaluation écologique des seuils de moulins

29/11/2018

Comment la bureaucratie jacobine tue l'écologie au bord des rivières

En arrière-plan de la crise des gilets jaunes, née d'une révolte contre une mesure perçue comme d'écologie punitive, les observateurs décèlent une crise plus profonde en France : pouvoir trop jacobin, trop vertical, trop centralisé, déclin des communs et extinction de la démocratie locale réduite à l'exécution docile de mesures technocratiques décidées ailleurs, profusion de normes hors-sol, sans aucun jeu d'exécution ni réalisme économique ni contrôle du consentement populaire réel, sentiment que les citoyens ne sont plus représentés et ne peuvent plus réellement diriger leur destin. En tant qu'association, faisant (très modestement!) partie de ces corps intermédiaires et acteurs sociaux que l'on n'écoute plus guère, nous avons précisément observé, vécu, documenté ce phénomène depuis 7 ans au bord des rivières, dans le cadre de la politique très contestée de destruction imposée des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages, plans d'eau). Notre diagnostic était déjà celui d'une dérive grave de l'action publique, avec un mépris manifeste de l'avis des riverains et un fossé béant opposant les gestionnaires publics aux populations. Il faut en sortir : nous avons urgemment besoin d'une écologie démocratique, concertée, co-décidée et constructive. 



Les riverains parlent, les syndicats et administrations les ignorent
Le phénomène se répète, de village en village, de rivière en rivière. Lors de réunions publiques, des représentants de syndicats de rivières, d'agence de l'eau, de l'Etat (DDT, AFB) présentent un projet. Les diapositives projetées sur l'écran  démontrent que ce projet a déjà été largement avancé, en petits comités, avant la réunion.

Thème: une mesure de continuité écologique. Ici on cassera un moulin et on asséchera son bief, là on videra un étang.

La salle écoute en silence. Et puis des mots fusent. On se demande à quoi cela sert. On rappelle des anecdotes d'anciens. On dit que le site n'est pas si laid tel qu'il est. On se rappelle des souvenirs de pêche miraculeuse, il y a longtemps, avant les 30 glorieuses, avant que tout soit pollué ou bétonné.

A la tribune, les représentants administratifs opinent, écoutent, répondent parfois. Ils prennent des notes, ils adoptent un air concerné.

Cela ne change strictement rien.

Le cadre normatif du projet est figé, il a déjà été défini par la directive cadre  européenne (DCE) sur l'eau de 2000 et par les circulaires du ministère de l'écologie interprétant à leur manière la loi sur l'eau de 2006. Les services déconcentrés de l'Etat n'ont pas de marge réelle de manoeuvre, ils obéissent à leur hiérarchie ministérielle et ils visent des objectifs. Avec une politique du chiffre.  Le financement du projet est de toute façon très fléché, pas de négociation en vue : les agences de l'eau paieront à subvention publique maximale une certaine solution, mais décourageront les autres. En Seine-Normandie, et en Artois-Picardie, les trois quarts de ces réunions décident la destruction des sites. Plus de la moitié en Loire-Bretagne. Cela se passe un peu mieux en bassin de Rhône, où il y a moins de dogmes et de rigidités. Mais les problèmes ne sont pas absents sur ce bassin non plus.

Dans les cas les plus caricaturaux, les enquêtes publiques des projets voient s'exprimer massivement des oppositions quand des sites sont menacés de destruction et les commissaires enquêteurs donnent des avis négatifs, mais l'Etat, l'agence de l'eau et le syndicat de rivière les ignorent. C'est arrivé sur l'Orge comme c'est arrivé sur l'Armançon.

Mépris ultime de la voix des citoyens, aveu que tous les processus de concertation et de participation ne sont qu'une façade destinée à avaliser de gré ou de force une politique. Une politique essentiellement décidée, planifiée et encadrée par l'administration centrale de l'Etat.

Ces descriptions ne prétendent pas couvrir tous les aménagements de rivières en France, fort heureusement. Mais elles décrivent la plupart des expériences que nous avons vécues quand des riverains nous ont appelé à l'aide. La rubrique témoignages de ce site apporte des dizaines d'exemples, de même que l'observatoire de la continuité écologique.

Le résultat en est attendu, il ne détonne pas avec les propos entendus ces jours-ci dans le mouvement des "gilets jaunes" : nous avons perdu confiance dans l'Etat, nous le percevons comme une sorte de machine sourde à toute objection, aveugle à tout écart entre ses injonctions et les réalités. Pire encore, il apparaît à des gens qu'ils sont devenus du jour au lendemain comme des adversaires désignés par leur propre Etat. Parce que des décisions ont été prises. Loin.

La rivière comme laboratoire d'une écologie du diktat et du carcan
La question des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques détruits au nom de la continuité écologique a ainsi été le laboratoire d'une écologie punitive, une écologie bureaucratique qui tue l'idée même d'écologie en la transformant en diktat et en carcan.

Le choix de faire disparaître en première intention le patrimoine des rivières, massivement, méthodiquement, est un choix proprement inouï par sa violence sociale et symbolique. On détache des fonctionnaires centraux ou territoriaux pour faire du porte à porte et expliquer à des gens que l'on veut détruire leur propriété. Qu'ils sont des pollueurs, des ennemis de la nature. Que leur ouvrage hydraulique ne devrait pas exister.

Et on affirme tout cela alors que les bassins versants français ont subi la plus importante pollution de leur histoire depuis un siècle, cela sans rapport aucun avec des ouvrages anciens les accompagnant parfois depuis l'ère médiévale.

Par exemple, dans une présentation aux services administratifs, une représentante de direction centrale du ministère de l'écologie peut appeler froidement à supprimer 90% des moulins sans usages et à encercler les récalcitrants. Comment ce discours de "guerre" de l'administration environnementale contre une partie de sa propre population a-t-il pu se développer? Comment les garde-fous démocratiques élémentaires n'ont pas conduit à sanctionner ce fonctionnaire pour des propos aussi agressivement déplacés? Comment se fait-il que ces mêmes hauts fonctionnaires, malgré l'échec de la réforme de continuité écologique comme l'échec de la DCE 2000, n'aient jamais été audités sérieusement par le parlement pour répondre de leurs erreurs manifestes d'appréciation?

Ce choix est la résultante de toute une série d'approximations et d'impréparations dans la construction des normes, puis de confiscations du pouvoir visant à imposer une pensée unique de la rivière et à anesthésier la capacité critique des citoyens devant des arguments d'autorité  :

- côté légal, la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en 2000 dans une préparation de légèreté assez stupéfiante en terme d'échanges intellectuels et de consultations citoyennes, quand on songe à l'importance et au coût de cet ensemble normatif s'imposant à tous les pays de l'Union et engageant des dépenses structurantes sur un quart de siècle ; la loi sur l'eau de 2006 a été elle-même engagée avec peu de débats et de travaux techniques malgré l'importance du sujet, comme trop de lois françaises en raison de la faiblesse de notre parlement (en moyens d'audit, d'expertise, de contrôle) et de son excès d'activité législative, le conduisant à produire trop de textes trop mal préparés, mal budgétisés et mal anticipés dans l'ensemble de leurs effets;

- côté réglementaire et administratif, la direction centrale de l'eau et la biodiversité au sein du ministère de l'écologie prend toutes les décisions structurantes, elle interprète les lois à sa convenance, elle précise la doctrine de l'Etat jusqu'au moindre détail dans ses circulaires et instructions (aux DDT-M et DREAL), elle se permet d'ignorer les réprimandes des parlementaires et table sur sa capacité à épuiser les contestations judiciaires, d'autant plus aisément que la justice administrative française n'a nulle indépendance vis-à-vis de l'Etat ;

- côté "sachant", technique et intellectuel, l'agence française pour la biodiversité (ancien Onema) déploie une vision fermée voire corporatiste de ses enjeux, avec peu d'échanges hors de certaines disciplines (hydrobiologie au premier chef), beaucoup de littérature grise non revue par les pairs, un moindre appel à la recherche scientifique, des biais manifestes dans la communication et dans l'analyse des enjeux, une approche de la biodiversité visant davantage à créer des doctrines rigides pour légitimer l'action publique qu'à ouvrir des débats sans préjugés ou à problématiser les rapports de notre société à la nature. Le travail s'accompagne d'une normalisation de techniques d'analyse de la rivière, avec des choix implicites opérés derrière une pseudo-neutralité de la norme, selon un raisonnement circulaire (définissons comme "dégradation" ce que mesure un indice de "dégradation")  ;

- côté programmatique et financier, les comités de bassin des agences de l'eau (censés être une "démocratie de l'eau" décidant des schémas d'aménagement "SDAGE") voient leur composition décidée par les préfets (donc à la discrétion de l'Etat central). Dans le collège non politique et non administratif, seuls sont présents des lobbies "installés" (qu'ils soient industriels, sociétaux ou idéologiques) ne représentant qu'une modeste partie de la société civile. Les moulins, les étangs, les riverains, les associations du patrimoine, les sociétés des sciences et tant d'autres acteurs de vie locale en sont par exemple absents. Ces comités de bassin sont une démocratie de l'eau vidée de sa substance par le contrôle étatique de sa nomination et de son fonctionnement, sans réelle capacité de résistance critique sur des sujets souvent très techniques. Ils sont devenus avec le temps une chambre d'enregistrement de la volonté gouvernementale car ce sont là encore les représentants de l'Etat dans les préfectures de bassin qui préparent tous les textes normatifs et programmatiques.

Sortir de la bureaucratisation totale de l'action en rivière
Le résultat en est une bureaucratisation totale de l'action en rivière. Quand le citoyen voit arriver les porteurs de projet, il y a déjà 4 échelons normatifs qui ont cadré l'action et une grille de financement qui définit les solutions privilégiées.

Nous avons documenté cette dérive sur ce site, par des dizaines d'articles. Nous l'avons documentée aussi par des centaines d'échanges avec des riverains.

Nous l'avons dit dès notre naissance : une telle manière de procéder n'a pas de légitimité démocratique aux yeux des citoyens qui en sont informés.

Formellement, cette manière respecte certes les procédures – sauf des abus de pouvoir de-ci de-là que condamnent parfois des cours administratives. Intellectuellement, moralement et politiquement, cette manière de faire est coupée des citoyens, elle ignore les attentes sociales et la diversité des points de vue, elle surinterprète les lois selon certaines visées idéologiques à la mode, elle exprime un exercice fermé, vertical, autoritaire du pouvoir.

Les pouvoirs publics doivent ré-inventer de toute urgence l'exercice de la démocratie sur la question de l'eau, et plus largement de l'écologie. Cela passe par une inversion des mentalités et des pratiques dont voici quelques pistes :
  • co-construire les programmes avec les riverains, depuis la base,
  • répondre à des attentes réelles, et ne pas imposer des dogmes,
  • préférer l'incitation et le volontariat à la contrainte et la répression,
  • donner du jeu à l'application des normes (quitte à laisser le juge trancher des conflits d'interprétation),
  • reconnaître de l'autonomie locale dans l'usage des financements,
  • cibler les priorités touchant la santé et la sécurité humaines (pollutions, inondations, sécheresses) avant les autres sujets concernant le seul "non-humain",
  • considérer l'argent public comme un bien précieux dédié à des usages nécessaires,
  • confier l'écologie au bloc communal et aux régions plutôt qu'à l'Etat central.
Nous verrons si notre politique des rivières est capable de se ré-inventer. Mais à l'heure où partout des citoyens protestent contre la dépossession démocratique, nous persisterons dans cette voie qui est déjà la nôtre depuis notre naissance : aider des collectifs riverains voulant protéger leur cadre de vie, défendre les habitants face à des projets qu'ils refusent, interpeller l'Etat pour que soient respectées les conditions élémentaires d'équilibre des pouvoirs, d'écoute des citoyens, de sincérité et de justice des décisions.

La bureaucratie jacobine est en crise, le consentement à l'écologie est en crise, ces deux crises sont indissociablement liées dans notre pays.

27/11/2018

Emmanuel Macron: "Je n'oublie pas l'eau, l'énergie hydraulique est une richesse des territoires"

Le président de la république appelle à développer l'énergie hydraulique en France. C'est un désaveu clair des casseurs de barrages, y compris les fonctionnaires ayant engagé une dérive intégriste au sein de l'appareil d'Etat, en l'occurrence la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie. La destruction du patrimoine hydraulique de notre pays était devenue un symbole de l'écologie punitive et de la gabegie d'argent public, alors que les Français doivent faire des sacrifices. Nous veillerons à ce que ces paroles deviennent des actes, car l'écart entre les discours et les réalités est à la base de notre crise démocratique. Le gel des destructions contestées de barrages et de moulins devra être observable partout sur nos rivières dès 2019. Les gestionnaires de l'eau doivent désormais concilier écologie et hydro-électricité, au lieu de les opposer stérilement.



Dans son discours de lancement de la programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE), le président de la république a pris soin de préciser à propos de la mobilisation des énergies renouvelables : "Je n'oublie pas l'eau (...) richesse des territoires, avec l'énergie hydraulique".

Et de préciser, "Nous (...) renforcerons notre production d’énergie hydraulique, une énergie à bas coût et de faible pollution ".

C'est une évolution notable car jusqu'à présent, la plupart des déclarations du gouvernement ciblaient le vent et le soleil, mais jamais l'eau. Que le chef de l'Etat prenne soin de citer explicitement l'énergie hydraulique et les territoires est une avancée majeure. Il faudra analyser en détail les cadrages de la PPE et, surtout, le comportement des administrations en charge de l'eau et de l'énergie.

Le président de la république a également appelé à cesser l'inflation des normes (lois et règlements) qui assomment les citoyens et transforment l'action publique en carcan punitif ne recevant plus de consentement démocratique.

Ce message est un désaveu clair du lobby des casseurs d'ouvrages hydrauliques (mouvements écologistes intégristes très minoritaires dans la population, branche militante des pêcheurs de salmonidés). C'est surtout un désaveu des choix de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie depuis 20 ans, avec une prétention à "renaturer" les rivières en faisant disparaître leur patrimoine hydraulique, cela par une insupportable pression sur les propriétaires et riverains.

Le choix d'Emmanuel Macron est conforme à la consultation publique organisée à l'occasion de la PPE, dont les participants comme les organisateurs avaient conclu à la nécessité de développer l'énergie hydro-électrique. Continuer à faire la sourde oreille à ces avis citoyens, donner la primauté à des minorités radicales ne représentant qu'elles-mêmes ne serait plus tenable alors que le pacte démocratique de notre pays est menacé par la colère des Français considérant que l'Etat ne les entend plus.

Nous appelons en conséquence le gouvernement et son administration à mettre les actes en conformité avec ces paroles:
  • gel de la destruction des barrages de la Sélune,
  • gel de toutes les destructions d'usines hydro-électriques, moulins, forges et autres ouvrages ayant un intérêt énergétique,
  • incitation forte à équiper ces ouvrages en énergie, d'abord par des simplifications et accélérations de procédures, afin d'éviter les surcoûts inutiles.
La transition écologique est en marche : le patrimoine et l'énergie hydrauliques en font partie !

A lire : 
Les moulins à eau et les transitions énergétique : faits et chiffres

17/11/2018

Quelques réflexions sur l'écologie punitive : les dix commandements de politiques environnementales apaisées

A l'occasion du mouvement social des "gilets jaunes", protestation populaire contre la hausse des taxes sur les carburants et plus généralement la baisse du pouvoir d'achat, on entend beaucoup parler ces temps-ci de "l'écologie punitive". Les rivières françaises ont été depuis 10 ans un laboratoire d'une forme particulière de cette écologie punitive: l'organisation par l'Etat de la destruction des ouvrages hydrauliques, souvent contre l'avis des riverains, par le moyen du chantage financier et de la menace règlementaire, avec comme résultat une politique publique de l'eau reconnue comme l'une des plus conflictuelles du moment. Aux automobilistes on demande un effort de quelques euros à dizaines d'euros par mois. Mais aux moulins, il est question de demander des dépenses des dizaines à centaines de milliers d'euros! Quant aux riverains, ils sont sommés d'accepter la disparition du paysage hydraulique formant leur cadre de vie. Comment dépasser cette écologie punitive tout en gardant des ambitions environnementales? Nous proposons dix commandements au gestionnaire public s'il veut que l'écologie se réconcilie avec la société et l'économie, sans s'enfermer dans l'impasse actuelle du conflit et de la division.



Face au risque de changement climatique, à la pollution de l'air dans les métropoles, à la dépendance au pétrole importé (de régimes pas toujours amicaux), il n'y a que des bonnes raisons de se passer d'essence ou de diesel. La taxe carbone intégrée aux carburants, en rendant le pétrole moins attractif et plus pesant dans le portefeuille, doit inciter à changer nos comportements.

Taxer et réglementer oui... s'il existe des alternatives viables
Oui mais voilà : la voiture est un objet très pratique, synonyme de liberté et de confort ; en zones rurales et péri-urbaines, on est obligé de prendre cette voiture  pour sa vie sociale et professionnelle (pas de transport en commun, plus de travail, de commerces, ni de services publics de proximité) ; les alternatives électriques et hybrides restent chères ou insatisfaisantes pour certains usages ; les revenus sont trop faibles et d'autres contraintes pèsent déjà sur le pouvoir d'achat (y compris celles de chauffage pour l'énergie).

On parle alors d'écologie punitive : faute de réelle option pour changer de comportement, la mesure est juste perçue comme une brimade, une contrainte à laquelle on ne peut échapper. Certains ajoutent dans le cas des taxes que le but serait de renflouer les caisses de l'Etat. Ce soupçon est renforcé par le fait que le revenu des taxes sur les carburants n'est que très faiblement dédié à la transition écologique proprement dit : l'essentiel abonde le budget général de l'Etat et des collectivités.

Une conflictualité à bas bruit sur de nombreux sujets "écolos"
Le coût du carburant n'est pas le seul motif de mécontentement en France : les ré-introductions et expansions de l'ours et du loup provoquent des réactions localement violentes ; la moitié des projets éoliens seraient en contentieux du fait de la moins-value immobilière et paysagère, ainsi que des atteintes à la biodiversité locale ; une conflictualité à bas bruit s'installe sur de nombreux sujets ayant trait à l'environnement (abattoir, consommation de viande et bien-être animal ; contestation de grands projets jugés inutiles ; tension avec l'agriculture autour des pesticides etc.)

Et il y a bien sûr le cas des ouvrages en rivières (moulins, forges, étangs), dont nous sommes acteurs et pas seulement observateurs. 

A partir d'une attente de meilleure circulation de poissons et des sédiments, qui n'est pas en soi absurde et qui était initialement prévue sur un nombre limité de rivières à enjeux, on est passé sur beaucoup de rivières à une idéologie dogmatique de "renaturation" et de "restauration" visant en réalité à effacer les traces de la mémoire humaine des cours d'eau. Une  trame bleue au bulldozer et la pelleteuse : sur fond de chantage financier et de menace règlementaire, des propriétaires de moulins et étangs sont traités comme des délinquants en puissance, menacés de futures mises en demeure à peine d'amende voire de prison s'ils n'obéissent pas aux injonctions. L'aide publique ne rend abordable que la solution de la destruction pure et simple de l'ouvrage en rivière, avec son paysage et son héritage.

Le harcèlement des moulins, étangs et barrages, un diktat qui ne passe pas
Dans les formes les plus scandaleuses de la gabegie d'argent public, l'Etat envisage aujourd'hui de détruire des grands barrages de production d'électricité et d'eau potable, pour des sommes de dizaines de millions €, contre l'avis de leurs dizaines de milliers de riverains : c'est l'exemple odieux des deux barrages de la Sélune, sacrifiés au lobby des pêcheurs de saumon, et qui vont nourrir bientôt contentieux judiciaires et luttes locales.

Cette écologie de l'agression et de la punition ne mène logiquement qu'à la multiplication des conflits. Et si l'Etat ne comprend pas le sens des résistances populaires à ses politiques mal préparées, mal concertés et non acceptées, ces oppositions se radicaliseront : quand on menace l'existence même de votre cadre de vie ou quand on veut vous contraindre à la ruine, qu'a-t-on encore à perdre?

La question se pose d'éviter cette radicalisation face à une écologie perçue comme punitive par les populations. Voici quelques idées à ce sujet.


Les 10 commandements
d'une écologie de la conciliation

Tu appelleras "écologie" ce qui l'est vraiment. L'écologie est la connaissance des écosystèmes, des relations entre habitats et espèces, par extension des grands cycles bio-géo-chimiques de la planète et de leurs liens au vivant. L'écologie est d'abord une science et une ingénierie. On devrait désormais éviter d'appeler "écologique" ou "écologiques" des croyances, des idéologies, des projets de société qui correspondent à des vues particulières sur la société et sur le rapport à la nature. Ou à des intérêts de lobbies. Exemple sur les rivière : non, augmenter localement des truites à la demande d'une société de pêche ou détruire un étang sans analyser d'abord ses peuplements, ce n'est pas spécialement de l'écologie.

Tu prendras garde aux émotions négatives. Pour capter l'attention du public, les médias, les ONG mais aussi parfois les politiques ont tendance à faire du catastrophisme environnemental, à ne retenir que le négatif dans la réalité et que les pires prévisions pour le futur. Certes, nous devons protéger la nature menacée par des excès de notre développement économique et démographique. Mais la peur et la colère ne sont pas des sentiments qui permettent une vie démocratique sereine ni qui soutiennent durablement des choix de société. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas dire aux citoyens qu'elles se dégradent partout et tout le temps, alors que les bilans poissons ou bilans insectes des dernières décennies ne sont pas toujours mauvais. 

Tu statueras avec prudence et précision sur la réalité.  L'écologie est une discipline assez jeune, elle est parcourue de débats internes nombreux, elle manque encore souvent de données solides et de long terme. Comme politique publique tardive, l'environnement est largement en phase de test d'ajustage aux contraintes de la société et de l'économie. Tous nos modèles de la réalité sont des approximations (donc ils sont faux, stricto sensu!) : il faut alors se garder de prononcer des jugements définitifs et de généralités invérifiables. De la modestie, pas de l'arrogance. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas lancer des assertions sur l'auto-épuration de cours d'eau qui se révèlent ensuite des inexactitudes.

Tu permettras une co-décision, et non une concertation en trompe l'oeil. Les politiques environnementales ont été depuis 20 ans associées à un impératif de démocratie participative, d'appropriation par les citoyens des enjeux relatifs à leur cadre de vie. Mais il faut en accepter les conséquences : on ne fait pas de l'écologie contre l'avis des premiers intéressés, on ne prétend pas qu'un seul point de vue est correct et que la "pédagogie" imposera cette vue unique. Exemple sur les rivières : non, quand tout un village signe une pétition pour garder sa chute d'eau de moulin et quand l'enquête publique conclut à l'absence d'intérêt général et d'intérêt écologique, on n'insiste pas et on révise son projet au lieu de détruire le site. 

Tu éviteras des arbitrages lointains, contraints et brutaux. En France, l'Etat a perdu la capacité d'animer, gérer, produire des consensus forts sur des projets de territoire et de société. Le centralisme et l'autoritarisme jacobins ne fonctionnent plus, notamment parce que l'ère numérique a ouvert un âge d'horizontalité où tout le monde est informé en temps réel et où l'Etat est devenu un acteur à côté d'autres. Par ailleurs l'écologie, c'est toujours du cas par cas. Le modèle de l'action publique est à revoir en accordant une plus grande autonomie politique et fiscale au niveau local, proche du terrain. Exemple sur les rivières : non, les SAGE ne peuvent pas être de simples copiés-collés de 3 niveaux normatifs supérieurs (SDAGE, lois et règlements nationaux, directive de l'Europe) et d'un financement déjà fléché sur chaque poste de l'agence de l'eau, ce qui ôte toute substance à la liberté locale de choix et dépossède le citoyen de capacité à s'impliquer.

Tu respecteras le réalisme économique. Beaucoup de mesures écologiques ont des coûts mais n'ont aucun bénéfice économique à court terme, certaines n'en ayant pas même à long terme (elles défendent des valeurs intrinsèques, non marchandes). Pour ne pas assommer le contribuable et déprimer l'économie, nous sommes donc condamnés à pratique une écologie des petits pas, à mesure de notre solvabilité (ménage, entreprise, Etat). Exemple sur les rivières : non, demander des investissements de passes à poissons qui ont une valeur supérieure à celle d'un bien immobilier ou qui représentent 20 ans de bénéfice d'une petite entreprise n'a aucun sens, c'est une caricature de la bureaucratie hors sol.  

Tu seras économe de l'argent public. Nous sommes sortis depuis longtemps de la période d'abondance des 30 glorieuses. L'argent public devient plus difficile à lever, son usage est nettement plus observé, et contesté.  En temps de crise, la population attend de l'Etat qu'il garantisse l'essentiel de ses missions sociales et régaliennes avant de faire de l'écologie. Et cette écologie doit répondre à des enjeux forts, non contestés. Exemple sur les rivières : non il n'est pas normal que les analyses cout-bénéfice de la directive cadre européenne montre qu'elle coûte davantage qu'elle ne rapporte dans les 3/4 des cas, ou que l'Etat détruise sur argent public des ouvrages d'électricité bas-carbone en fonctionnement (à Pont-Audemer ou sur la Sélune).

Tu avanceras des faits et des preuves, en ayant à l'esprit la complexité. Les dogmes et les slogans ne sauraient remplacer les données et les débats. Les phénomènes humains comme naturels sont complexes : on ne peut plus faire des politiques publiques qui essaient de mobiliser par des simplifications. Nous vivons l'âge des politiques fondées sur les preuves, les citoyens n'ont jamais été aussi éduqués et les moyens de vérifier les sources aussi nombreux. Il ne suffit pas d'avancer un propos d'un scientifique, ou d'une discipline scientifique, mais de montrer que des communautés scientifiques pluridisciplinaires sont d'accord entre elles sur l'interprétation d'un phénomène. Exemple sur les rivières : non, la rivière "sauvage" ou la rivière "naturelle" sont des phénomènes qui n'existent plus réellement en Europe, nous n'avons que des rivières hybrides qui portent des millénaires d'influence humaine, il faut une éducation de cette complexité. 

Tu entendras ce que te dit la société. La nature n'est pas le catalogue figé d'un muséum d'histoire naturelle, c'est d'abord une histoire, une dynamique : elle change sans cesse. C'est aussi une construction sociale : les gens n'ont pas les mêmes idées, goûts, représentations et attentes sur la nature. L'écologie ne peut pas être la revanche de la nature contre l'homme, ou la séparation de la nature et de l'homme : c'est une modulation de l'interface entre humain et non-humain à travers des choix sociaux. On ne peut donc faire l'impasse du social et des services (réellement) rendus par les écosystèmes selon leurs aménagements.  Exemple sur les rivières : non, quand des centaines d'associations et des milliers d'élus demandent de stopper les destructions d'ouvrages et en saisissent le ministre de l'écologie, les ignorer, ne pas leur répondre et refuser de les recevoir n'est pas une solution digne d'une gestion ouverte aux enjeux sociaux.  

Tu feras preuve de bon sens (et de bonne foi). Ce dernier commandement est peut-être le plus important... mais pas le plus simple à respecter ! L'appel au bon sens ne doit pas être un éloge de l'ignorance volontaire : si nos ancêtres savaient tout et si nous avions une juste compréhension de tout, il n'y aurait jamais de progrès des connaissances et des pratiques. Le bon sens n'est pas l'intuition (parfois trompeuse) mais un mélange d'expérience, d'observation et de logique, avec de la cohérence dans les positions que l'on défend. C'est aussi le recul : nous ne sommes pas omniscient, l'idée géniale du moment sera critiquée demain ! Exemple sur les rivières : non, il n'y a pas de bon sens (ni de bonne foi) à assécher des retenues d'eau quand on subit des sécheresses, à détruire des centrales hydro-électriques en place quand on dit que l'énergie bas-carbone est une urgence, à défendre la biodiversité mais à ignorer toutes les espèces d'étangs et de lacs, à refuser que les moulins changent les peuplements de poissons mais à accepter que la pêche et le climat changent ces mêmes peuplements, etc.