21/04/2019

La pêche de loisir et la continuité écologique (Thomas et Germaine 2018)

Deux chercheurs publient une étude sur le rapport des pêcheurs à la continuité écologique, principalement dans l'Ouest de la France, avec un focus sur les barrages de la Sélune que l'Etat veut détruire. Il en ressort que même sur des zones où les salmonidés migrateurs sont des enjeux halieutiques importants, le monde de la pêche n'est pas homogène dans son appréciation de la destruction des ouvrages et des modifications des milieux que ces destructions produisent.

Olivier Thomas et Marie-Anne Germaine (Laboratoire Mosaïques, CNRS) publient dans la revue Norois une étude sur les rapports entre continuité écologique et pêche de loisir.

Voici la synthèse de leur article :
"Dès l’émergence des premières sociétés de pêche à la in du xixe et au début du xxe siècle, les pêcheurs à la ligne ont développé une sensibilité à l’égard de l’eau et de la faune piscicole. D’abord mobilisés pour le repeuplement piscicole et la surveil- lance des cours d’eau, puis pleinement engagés dans la gestion des milieux halieutiques d’eau douce, les pêcheurs vont voir leur rôle évoluer à partir de la Loi-Pêche de 1984. Participant à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques, ils deviennent des acteurs incontournables de la mise en œuvre des nouveaux principes de gestion écologique des cours d’eau, en particulier la restauration de la continuité écologique visant à rétablir la libre circulation des poissons migrateurs. À partir de l’exemple des cours d’eau du Nord-Ouest de la France, et d’un focus sur le cas du démantèlement des barrages de la Sélune, cet article propose de mettre en tension le poids des héritages (pratiques de repeuplement) et les dynamiques de changements (restauration des milieux) qui animent le monde de la pêche de loisir à travers une analyse rétrospective du positionnement des pêcheurs. Il s’agit ainsi d’analyser le rôle ambivalent des acteurs de la pêche, à la fois partenaire et opposant, dans la mise en œuvre de la restauration des cours d’eau. Si les fédérations de pêche prônent le passage vers une gestion patrimoniale, cette posture vient parfois bousculer les habitudes des pêcheurs et plus largement leurs représentations de la nature."

Outre d'intéressantes considérations sur l'évolution de l'organisation et de la pratique de la pêche mise en parallèle avec l'évolution des lois de gestion des milieux aquatiques depuis le XIXe siècle, les auteurs publient le résultat d'un sondage sur la continuité ayant eu 516 répondants (35 % habitent dans le département de la Manche et 70 % résident dans les régions Normandie ou Bretagne):


Ils observent : "la construction de l’opinion au sujet de l’arasement des barrages de la Sélune ne s’inscrit pas dans une logique binaire opposant les « pour » et les « contre » à l’image des résultats de l’enquête par questionnaire menée à une échelle plus large. En effet, 14,3 % des pêcheurs enquêtés disent avoir un «avis partagé» au sujet des opérations de restauration de la continuité écologique menées en France, 8 % se déclarent «plutôt défavorables» et 10,2 % «plutôt favorables». Près d’un pêcheur sur trois aurait ainsi une opinion nuancée".

L'article montre une division du monde de la pêche au gré des territoires et des pratiques, mais aussi des positions des acteurs par rapport aux instances de décision.

Thomas et Germaine observent ainsi : "Si la plupart des pêcheurs à la ligne sont sensibles aux enjeux environnementaux, tout particulièrement en ce qui concerne la qualité de l’eau, la transformation radicale des milieux halieutiques hérités liée à l’effacement d’ouvrages n’est pas toujours bien accueillie. L’abaissement de la hauteur d’eau peut par exemple être mal perçu parce qu’il bouleverse à la fois la distribution des poissons et les habitudes de pêche. En outre, la contestation parmi les pêcheurs semble d’autant plus forte quand le secteur de pêche concerné est accessible et fréquenté depuis longtemps."

Exemple donnée de l'avis du président de l’AAPPMA de la Futaie sur l'Ernée :
« Si là ça avait grogné quand ils avaient enlevé... il y avait des petits barrages qui permettaient toujours de donner... des petits barrages sur l’Ernée [...] qui devaient faire 70 ou 80 cm qu’ont été enlevés. Là je sais que ça grognait. Bon bah il y a plus d’eau pour pêcher. Il y en avait deux je crois. Deux sur l’Ernée. Moi j’en connais un. On voit encore le... il y a un fossé en béton, puis c’était une plaque avec deux vérins qui faisait une petite retenue. On pouvait pêcher de la carpe, des truites, des gardons... Maintenant, ils ont carrément enlevé le tablier. [...] moi je le fais pour la truite, c’est vrai qu’il y a plus épais d’eau. [...] Mais les gens qui veulent faire de la pêche en famille, ou les anciens qui marchent pas de trop, avec une canne, bah ils peuvent plus parce qu’il n’y a plus où pêcher. Et puis c’était le long des maisons, des jardins. Ces retenues elles servaient que les gens ils arrosent aussi leurs jardins avec ça. Il y avait plusieurs petits escaliers en parpaings. Je sais que même moi étant gamin j’y allais avec mon grand-père on pêchait les goujons, les vairons... C’est sûr que pour la truite c’est bien, mais après ça élimine toutes les autres espèces. » (24 juillet 2017.)
Autre exemple d'un bénévole de La Gaule Fougeraise sur le Couesnon :
"[...] sur le Couesnon. Ils ont coupé le barrage à Vendel [...] Et il y avait des belles frayères à tanches et tout ça qu’il y avait aussi au moulin de Bleau. C’est pareil là il y avait la vieille rivière qui était là. Sur les barrages de « dans le temps », il y avait une vanne. Ça a toujours existé. Et là, le bief, il allait au moulin. Donc là, il y avait des nénuphars, mais c’était plein de tanches. La tanche elle était dans le Couesnon parce qu’il y en avait beaucoup dans le temps. Il y en a de moins en moins. Elle est en voie de disparition. Là qu’est-ce qu’ils ont fait, bah ils ont coupé le barrage et ça s’en va à l’autre bout. Mais moi je vais vous dire tout ça c’est mauvais. C’est tout ce qu’il y a de plus mauvais. Parce que moi je pêche le blanc dans le Couesnon. [...] Dans le temps il y avait des nénuphars partout. Fallait voir les gardons qu’on prenait, le blanc tout ça. » (Extrait d’entretien avec un bénévole de La Gaule Fougeraise, 12 août 2016.)"
En revanche, les observations de Thomas et Germaine permettent de comprendre que les fédérations de pêche, reconnues comme interlocuteurs directs des services de l'Etat et courroies de transmission obligées de divers arbitrages du ministre de l'écologie, jouent un rôle plus engagé dans la destruction des ouvrages.

On le voit en Normandie, où l'agence de l'eau abonde volontiers les opérations de casse d'ouvrages portées par les fédérations :
"si la majorité des dossiers d’effacement ou d’aménagement de seuils sont portés par des propriétaires privés, les fédérations départementales de pêche assurent aussi de plus en plus la maîtrise d’ouvrage de certains projets devenant un partenaire clef des agences de l’eau et de l’État dans la mise en œuvre des programmes de restauration. Pour cela, elles sont amenées à devenir propriétaires des sites concernés. Plusieurs projets récents portés par les fédérations de pêche normandes ont ainsi nécessité l’acquisition préalable du foncier. La fédération de pêche du Calvados a ainsi porté en 2016 l’effacement de trois seuils et la démolition de deux anciens sites industriels situés sur l’Orne (sites du Bateau et de la Fouillerie, moulin du Danet) après rachat des sites auprès de leurs propriétaires qui n’en avaient plus l’usage et qui étaient priés de se mettre aux normes. D’un coût total de 2,7 millions d’euros, l’opération a été prise en charge financièrement par l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN). La fédération de pêche de la Manche a, de son côté, assuré la maîtrise d’ouvrage de plusieurs chantiers de restauration de la continuité écologique sur la Vire par délégation : elle a ainsi pris le relais de l’usine laitière Elvire pour l’arasement du seuil d’Aubigny en juillet 2015 pour un coût de 62000 € financé par l’AESN; elle a assuré la maîtrise d’ouvrage du démantèlement du barrage de l’usine de Candol pour l’entreprise Guérin en juillet 2017 avec un financement de 200 000 € de l’AESN. La fédération de la Manche a en revanche dû acheter la pisciculture de Valjoie sur le Beuvron, afluent de la Sélune, pour assurer en 2015 la suppression du seuil associé."
La rôle du lobby des pêcheurs, en particulier d'ONG et d'associations militantes à côté de certaines fédérations de pêche, est aussi décisif dans la pression pour détruire les barrages de la Sélune, mais avec une organisation assez élitiste de la communication, laissant peu de place aux acteurs locaux :
"En 2011, les promoteurs de l’arasement des barrages de la Sélune fondent le collectif «Les Amis de la Sélune» porté par la fondation Humus (Fonds pour la biodiversité). Ce collectif est composé pour l’essentiel d’acteurs extérieurs au bassin : aux cotés des associations généralistes de protection de l’environnement (France Nature Environnement ou WWF France), on y retrouve des militants halieutiques comme ANPER TOS et des organisations spécialisées dans la défense ou la pêche du saumon (Club des Saumoniers, Association internationale de défense du saumon atlantique, Federation of irish salmon and sea trout anglers, NASF, association bretonne pour la pêche à la mouche). Il s’agit à la fois de faire de la Sélune une des premières rivières à saumons de France et de «retrouver la rivière à saumons d’antan». L’écotourisme est mis en avant et le saumon doit tout particulièrement attirer pêcheurs et curieux pendant la saison de reproduction. La plupart des communiqués de presse sont rédigés par le directeur de l’Union Régionale des Fédérations de Bretagne-Basse Normandie-Pays de la Loire pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques et de nombreuses AAPPMA, voisines, mais extérieures au bassin, sont co-signataires de ces derniers."
Discussion
Olivier Thomas et Marie-Anne Germaine esquissent dans cette étude un portrait des différentes attitudes du monde de la pêche par rapport aux politiques publiques de la rivière, en particulier celle de continuité écologique ayant pris de l'importance au cours des 20 dernières années. Les pêcheurs présentent la particularité d'être objet et sujet de ces politiques, puisqu'ils ont été de plus en plus étroitement associés à "la protection des milieux aquatiques" et bénéficient d'une reconnaissance d'Etat que n'ont pas d'autres usagers. La trajectoire institutionnelle qui a mené du Conseil supérieur de la pêche (CSP 1948-2006) à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema 2007-2017) puis à l'Agence française de la biodiversité (AFB depuis 2018) suggère aussi que le monde de la pêche a produit sa propre lecture des enjeux aquatiques et écologiques au sein d'établissements qui ont leur poids dans la construction des doctrines publiques. On peut penser au demeurant que des biais sont présents dans ces discours (exemple sur le poids des poissons dans la biodiversité, exemple sur le poids relatif de la continuité dans les différents problèmes écologiques discutés en littérature scientifique).

Il n'y a pas dans le travail de Thomas et Germaine d'analyse critique de la construction de ces politiques publiques, comme on la trouve par exemple dans les travaux de Simon Dufour (voir Dufour 2017, Dufour 2018). C'est dommage car l'enjeu des rivières passées, présentes et futures réside certainement dans le régime de justification normative de l'action publique, justification qui reflète elle-même l'état des usages socio-économiques et des rapports de force politiques, non la seule "vérité" d'un discours scientifique de "la nature" (voir Latour 1999).  Du même coup, c'est aussi et évidemment le rôle du "sachant" que les associations sont amenées à questionner : ce sachant a-t-il pleine liberté de ses sujets de recherche et de leurs financements? Est-il indemne de tout biais quand il va construire ses hypothèses, ses modèles, ses méthodes de collecte des données? L'hydrobiologiste Christian Lévêque avait émis d'intéressantes critiques sur le sujet dans le domaine de l'écologie (voir Lévêque 2013), mais les mêmes interrogations valent bien sûr pour la sociologie, la géographie et toutes les disciplines qui vont analyser la rivière ou ses acteurs... sans être vraiment indépendantes des bureaucraties publiques qui décident de politiques sur cette même rivière, et ces mêmes acteurs.

Quant au monde de la pêche, nous avions déjà émis quelques réflexions sur l'évolution de son rapport à l'écologie mais aussi sur le détournement d'attention de ses impacts par son activité comme lobby. En soi, l'activité de pêche de loisir n'a rien d'écologique au sens d'un respect des milieux et des espèces ; par ailleurs elle se trouve (comme la chasse) plutôt en porte à faux avec l'évolution des perceptions collectives sur la souffrance animale. Les pêcheurs peuvent endosser par opportunisme ou par conviction tel ou tel discours écologique dominant, mais si ces discours se prolongent dans la logique qui leur est propre, la disparition de la pêche deviendra aussi légitime que celle des ouvrages pour revenir à des rivières et des espèces pleinement laissées à elles-mêmes, formant un idéal normatif de "naturalité" que promeuvent des politiques publiques ayant des vues radicales de conservation de la nature. Ce sera aussi une question d'équité : des pêcheurs militants de salmonidés peuvent diaboliser certains usages sociaux ou économiques de la rivière, mais ils ne peuvent espérer en même temps s'exonérer des critiques, des plaintes ou des refus de leurs propres usages, ni plus ni moins légitimes que d'autres.

Référence : Thomas O, Germaine MA (2018), La restauration de la continuité écologique des cours d’eau et la pêche de loisir : héritages, changements et enjeux, Norois, 249, 43-60

18/04/2019

Prendra-t-on le risque de détruire le château de Chenonceau au nom des poissons migrateurs?

Les eaux du Cher sont basses et cela fragilise les fondations de l'aile nord du château de Chenonceau. Si la sécheresse explique le faible niveau d'eau, elle n'est pas seule en cause : la préfecture interdit de remonter le barrage à aiguilles de Civray-de-Touraine en hiver et au printemps au nom de la priorité donnée aux poissons migrateurs... cela alors qu'on a payé une passe à poissons d'un demi-million d'euros sur ce barrage. Un conseiller départemental a même dû se mettre dans l'illégalité l'hiver dernier, de peur de voir le château souffrir du manque d'eau. Jadis, c'était un moulin qui faisait office de régulateur et rehausse des eaux de Chenonceau. Ce qui se passe sur cette merveille du patrimoine français se passe partout en France sur des sites plus modestes, où les berges et bâtis anciens souffrent des apprentis sorciers de la continuité écologique et de la rivière renaturée. L'arasement et le dérasement d'ouvrages hydrauliques mettent en danger des équilibres multiséculaires de l'eau et des rives au nom de dogmes ayant davantage à voir avec l'intégrisme qu'avec l'écologie. Combien de temps encore les citoyens devront-ils subir ces nuisances? Qui va ordonner à une administration de l'eau totalement à la dérive de revenir au bon sens et de redéfinir les vraies priorités? 



C'est une incroyable histoire que raconte Olivier Collet sur le site Info-Tours. En cette mi-avril, les eaux du Cher sont basses. Dangereusement basses. Car sur le Cher se situe le château de Chenonceau, spendeur du Val de Loire, seul château qui y enjambe une rivière. Or, comme le relève le conseiller départemental du canton de Bléré Vincent Louault, "les fondations de Chenonceau nécessitent qu’il y ait de l’eau en permanence afin de ne pas abimer le bâtiment. Avec cette sécheresse exceptionnelle, on observe des rapides sous le château. Comme en Dordogne. La conséquence c’est un effet abrasif et que toute une partie des fondations sont hors d’eau."

Si la partie sud du Château repose sur de la roche, sa partie nord est bâtie sur pieux en bois dans un sol moins stable. Ce risque est bien connu : nombre de fondations anciennes ont été conçues pour être en eau en permanence. Et des variations de l'eau provoquent divers désagréments : rétraction d'argile, pourrissement de bois, affouillement et érosion sur les fondations. Avec à l'arrivée de possibles effondrements.

Malgré une passe à poissons à 530 000 €, il faut encore baisser le barrage: le dogme bureaucratique en action
Mais les variations des niveaux de l'eau sont chose courante depuis des siècles, avec des sécheresses parfois plus extrêmes dans le passé que celles que nous connaissons aujourd'hui. Où se situe le problème ?

Selon Vincent Louault, c'est l'évolution de la gestion du barrage à aiguilles de Civray-de-Touraine qui pose problème. Actuellement, il est interdit de remonter le barrage avant le dernier vendredi de mai en vertu d’un règlement préfectoral pour ne pas perturber la migration des poissons. Du coup, le niveau de l’eau obéit désormais aux caprices de la nature, et il peut être particulièrement bas si les hivers et printemps sont secs.

Aujourd'hui, le Conseil départemental d’Indre-et-Loire en appelle à l’Etat pour obtenir une dérogation. Le refus de rehausser le barrage est d’autant moins compréhensible qu'une passe à poissons d'un demi-million  d'euros y a été créée!

Vincent Louault fait un aveu au journaliste : "l’eau est déjà descendue si bas en décembre ce qui avait nécessité la remontée du barrage pendant deux mois à une période où il n’y a pas de remontée de poissons migrateurs. Je n’avais pas eu l’autorisation de l’Etat, c’était illégal et j’avais écopé d’un rappel à la loi. Chenonceau vit grâce à ces barrages à aiguilles. Et avant grâce à un moulin. Il y a toujours eu de l’eau sous le château. Si l’Etat me donne l’autorisation je peux remonter le barrage en 6h."

Au-delà de cette urgence, l’élu attend de l’Etat une doctrine pérenne qui permette la remontée du barrage dès que le Cher descend sous un certain niveau.

Pour l'instant, la préfecture parle d'un simple arrêté dérogatoire. Mais la question n'est pas là : les fondations se fragiliseront chaque année au gré des lenteurs administratives si l'on ne fait pas clairement de la protection du patrimoine hydraulique une priorité.

Partout en France, berges et bâtis sont menacés
Ce problème observable à Chenonceau se pose partout : les berges et les bâtis de nos rivières ont été conçus autour des ouvrages en place, qu'il s'agisse des anciens moulins omniprésents ou des barrages plus récents. Il en va de même pour le régime des crues et assecs, le niveau des nappes, l'inondation permanente des fondations.

En effaçant les ouvrages, en modifiant le lit des rivières, en asséchant des biefs et canaux, les amnésiques de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie comme les élus et les fonctionnaires (agences de l'eau, syndicats) qui exécutent leurs ordres prennent la responsabilité de dommages qui surviendront parfois plusieurs années à plusieurs décennies après le changement des niveaux d'eau. Les riverains et les propriétaires doivent refuser tout chantier d'arasement ou dérasement d'ouvrages qui ne soit pas assorti d'une analyse géotechnique, d'un état des lieux initial très précis mais surtout d'une reconnaissance explicite de  responsabilité civile et pénale. En cas de refus, nous vous conseillons de vous opposer au chantier, y compris en portant l'affaire en justice si le maître d'ouvrage public prétend ignorer vos demandes : car ce ne sont pas quelques élus syndicaux et fonctionnaires de passage qui relèveront vos biens s'ils s'écroulent dans 5, 10 ou 25 ans.

Au-delà des ces gênes et dommages potentiels sur les propriétés privées, c'est tout un patrimoine séculaire des rivières qui est aujourd'hui menacé par la volonté précipitée, dangereuse et souvent dogmatique de changer rapidement les écoulements au nom d'une continuité "écologique" devenue un dogme destructeur. Les parlementaires ont rappelé à de nombreuses reprises leur attachement au paysage et au patrimoine des vallées françaises, tout comme des centaines d'associations et des milliers d'élus locaux. Pourquoi les préfectures et leur tutelle du ministère de l'écologie continuent-elles d'agir au mépris de cette volonté démocratique? Que doivent faire les citoyens pour que cessent enfin ces nuisances?

Illustration : les galeries sur la rivière du château de Chenonceau, Ra-smit, Wikimedia Commons.

16/04/2019

L'Etat veut casser les barrages de la Sélune sans attendre l'avis de la justice saisie par plusieurs procédures

Quand Edouard Philippe a annoncé la fin du projet de Notre-Dame-des-Landes, il a dit aux Français qu'aucun projet de territoire divisant la population concernée n'était tenable. Mais la technocratie jacobine pratique volontiers le deux poids deux mesures, ce qui explique en bonne part la colère croissante que suscitent ses arbitrages autoritaires et aléatoires partout dans le pays. Ainsi, le même gouvernement soi-disant soucieux de l'unité des populations autour des projets territoriaux n'hésite pas à lancer aujourd'hui la destruction des barrages de la Sélune, contre l'avis de ses riverains et surtout sans attendre l'issue de plusieurs procédures de justice engagées depuis le début d'année. Nous appelons nos lecteurs à saisir urgemment leurs parlementaires de ce scandale d'Etat, en demandant des comptes à François de Rugy et Edouard Philippe sur cette gabegie de 50 millions € où l'on casse des outils de production bas-carbone en pleine transition énergétique et où l'on assèche des grands lacs à l'heure de l'adaptation au changement climatique. Ce chantier est le sacrifice de 20 000 riverains pour quelques adeptes de l'écologie punitive et de la pêche au saumon: c'est insupportable. La casse du patrimoine hydraulique français doit cesser.


Photos RZ-La Manche Libre, tous droits réservés.

En pleine transition énergétique, le gouvernement veut détruire les ouvrages de la Sélune en état de produire une électricité très bas carbone, au coût de 50 millions € d'argent public pris dans la poche du contribuable, au risque de faire revenir inondations et pollutions à l'aval et jusqu'à la baie du Mont Saint-Michel, cela pour un gain hypothétique de 1300 saumons: incompréhensible et inacceptable gabegie. Cette option a été refusée par les 20 000 riverains voyant disparaître des lacs et ouvrages appréciés. Et sous couvert d'écologie, elle a pour principaux promoteurs le lobby des pêcheurs de saumons, qui s'intéresse davantage à son loisir privé et aux poissons au bout de sa ligne qu'à toute autre considération. On prétend que c'est une opération exceptionnelle pour les saumons alors même que des opérations similaires aux Etats-Unis concernent des centaines de milliers de migrateurs, et surtout que le saumon est dores et déjà capable de coloniser de nombreux fleuves côtiers en France. S'acharner à détruire les barrages de la Sélune relève de l'affichage et du symbole : le symbole misérable de la casse du patrimoine hydraulique français au nom d'une "continuité écologique" devenue un dogme.

Enfermé dans les bureaux du ministère où, comme son prédécesseur Nicolas Hulot, il ne reçoit que des factions choisies pour conforter ses vues, prétendant mensongèrement à l'opinion publique et à la représentation nationale que la France fait tout pour tenir ses objectifs bas carbone, François de Rugy refuse une réunion de concertation rassemblant les acteurs de la vallée. L'Etat encourage depuis quelques semaines le maître d'oeuvre à démanteler les installations électriques essentielles du site de la Sélune, cela alors même que la justice a été saisie par plusieurs procédures lancées par des riverains, des élus, des associations.

Face à ses pratiques inqualifiables, l'Association des amis des barrages a refusé un simulacre de concertation proposé par Sophie-Dorothée Duron, conseillère auprès du ministre, et de nouveau demandé à l'Etat d'attendre l'avis de la justice avant toute action irréversible. Comme il se doit dans une démocratie respectant l'équilibre des pouvoirs et les demandes de la société.

L'ADB s'en explique dans une lettre que nous reproduisons ci-dessous.

Nous appelons nos lecteurs à saisir urgemment leurs députés et sénateurs de ce scandale en leur demandant d'interpeller le gouvernement, qui affirme "entendre" les citoyens dans le cadre du Grand Débat, qui prétend travailler à une continuité écologique "apaisée" mais qui poursuit en réalité sur la Sélune comme ailleurs ses pratiques autoritaires et décriées d'écologie punitive.

Quant aux riverains des lacs et barrages de la Sélune, dont certains ont commencé par désespoir à s'enchaîner sur les grilles du chantier, ils sont fondés à utiliser tout moyen pacifique de protestation démocratique pour exiger de l'administration qu'elle stoppe le chantier et attende les jugements.

Si les bureaucraties d'Etat n'ont pas la décence de respecter le temps de la justice, c'est sur le terrain de chaque destruction contestée qu'il faut désormais s'engager.

Courrier de l'ADB :

En 2015, madame Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Energie, avait pris une décision de nature à satisfaire la grande majorité des acteurs du dossiers des barrages de la Sélune. L’arrêté préfectoral du 3 mars 2016 prévoyait la vidange nécessaire de la seule retenue de Vezins, en excluant la destruction du barrage. Les expertises menées sur l’ensemble des installations une fois l’assec réalisé devaient conduire à une décision finale basée sur leurs résultats, et non sur les considérations purement idéologiques et politiciennes habituellement retenues.

En 2017, Monsieur Nicolas Hulot, éphémère ministre de la Transition écologique et solidaire a annoncé, unilatéralement, sans concertation et contre toute attente, la démolition immédiate des ouvrages de Vezins et La Roche-Qui-Boit. Annonce faite par simple
communiqué de presse, n’ayant donc pas valeur de décision ministérielle.

Dès la nomination de Monsieur François de Rugy, actuel ministre d’État de la Transition écologique et solidaire, notre association s’est manifestée pour solliciter une entrevue susceptible de nous permettre de faire valoir nos arguments selon lesquels la raison voudrait que le processus initié par Madame Royal soit mené à son terme, comme prévu, quelle que soit la décision finale qu’il en résulterait. Cette demande était aussi celle de la majorité des élus locaux et de l’ensemble de la population concernée. Une lettre a aussi été transmise en mains propres à Monsieur de Rugy par notre député, sans plus de succès. Depuis 2009, il est le seul des ministres concernés à ignorer nos sollicitations. La proposition qui nous est faite est la réponse aux nombreux courriers que nous avons adressés à Monsieur le Président de la République. Son chef de cabinet nous faisait savoir à chaque fois qu’il transmettait à Monsieur de Rugy.

Le 29 octobre 2018, le Préfet de la Manche a pris un arrêté « complémentaire » portant sur la démolition des deux ouvrages et notre association a déposé plusieurs recours devant le Tribunal administratif pour le contester. Sans pouvoir empêcher sa mise à exécution dès ce 1er avril, malgré l’indignation des élus et de la population locale.

Par ailleurs, Monsieur de Rugy a clairement fait connaître son opposition à la production d’hydroélectricité, alors que le Président de la République répète à l’envi qu’elle est l’énergie renouvelable la moins chère à produire et qu’il souhaite en favoriser le développement. Ce qui laisse difficilement espérer un choix consensuel, et encore moins un retour sur une décision en parfaite incohérence avec les objectifs affichés de ce gouvernement et des précédents.

Notre conseil d’administration a donc considéré qu’un entretien avec la Conseillère en charge de la biodiversité, de l’eau et de la mer auprès du Ministre d’État de la Transition Écologique et Solidaire, n’aurait d’autre conséquence que de laisser entendre que notre association cautionnerait la décision de démolir les barrages et de « renaturer » la vallée de la Sélune. Et ce, sans attendre de savoir comment et par quoi les fonctions actuelles des barrages et des lacs allaient être remplacées.

Ce n’est bien évidemment pas le cas.

Le tribunal administratif de Caen examinera le dossier sur le fond dès ce mois de Juin. Il nous paraîtrait raisonnable qu’aucun acte irréversible ne soit commis avant que la justice n’ait enfin tranché sur cette affaire qui n’est jamais venue devant un tribunal, malgré toutes les discussions et les controverses dont elle fait l’objet depuis de nombreuses années. Une telle décision d’État apaiserait les esprits tout en faisant l’objet d’un large consensus.

Nous l’appelons donc de nos voeux.

12/04/2019

Victoire du moulin du Boeuf contre le ministère de l'écologie au conseil d'Etat! L'hydro-électricité des moulins reconnue comme d'intérêt général

Après huit années de lutte dont près de 6 ans de combat judiciaire, le conseil d'Etat vient de reconnaître le droit du moulin du Boeuf d'exploiter l'énergie de la Seine à Bellenod. Le pot de terre l'a emporté sur le pot de fer : c'est une immense victoire pour Gilles et Marie-Anne, pour les associations Arpohc et Hydrauxois qui sont à leurs côtés depuis le début, pour les centaines de sympathisants qui ont aidé à financer le contentieux jusqu'au conseil d'Etat. Cette décision de la plus haute instance du droit administratif est aussi très intéressante au plan juridique puisqu'elle dit explicitement aux administrations du ministère de l'écologie que l'équipement des moulins entre dans la gestion durable et équilibrée de l'eau telle que la définit la loi, cela sans réserve sur la puissance modeste de chaque moulin. Le combat du moulin du Boeuf envoie un signal puissant à tous les moulins de France: battez-vous sur chaque site contre les administrations qui essaient de vous détruire ou de vous empêcher de produire une énergie locale, propre et appréciée!


Gilles Bouqueton (au centre) avec Christian Jacquemin et François Blanchot (Arpohc), devant la banderole qui orne depuis 6 ans le moulin du Boeuf.  La lutte a payé! Photo : le Bien Public.

En 2013, dans l'un des premiers articles de ce site, nous avions exprimé notre incompréhension lorsque la préfecture de Côte d'Or avait décidé de casser le droit d'eau du moulin du Boeuf (Bellenod-sur-Seine) et d'empêcher ses propriétaires, Gilles Bouqueton et Marie-Anne Portier, d'installer une roue pour exploiter l'énergie de la rivière. Le moulin est hors réseau EDF, et ses propriétaires l'avaient acquis dans une perspective écologique d'autoconsommation énergétique avec des ressources locales. Des réunions de concertation avec les représentants de la DDT et de l'Onema (aujourd'hui AFB) n'avaient rien donné.

En pleine période de classement des rivières (la Seine amont est liste 1 et liste 2 de continuité dite "écologique"), alors que la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère instruisait ses agents de la nécessité de détruire le maximum de moulins et d'étangs, le site du Boeuf devenait le symbole des premiers dérapages de la continuité écologique dans un sens excessivement tracassier, voire punitif et répressif. Mais Gilles Bouqueton et Marie-Anne Portier n'entendaient pas s'en laisser compter, et ont confié à Me Remy le soin de défendre leur cas devant les tribunaux et cours.

Près de six ans plus tard, dans sa lecture du 11 avril 2019 (arrête n°414211), le conseil d'Etat a donné raison aux propriétaires contre le ministère de l'écologie : il casse l'arrêt du 4 juillet 2017 de la cour administrative d’appel de Lyon, qui avait validé l'annulation du droit d'eau.

Cet arrêt du conseil d'Etat comporte des éléments d'intérêt pour le monde des moulins.

Dans son deuxième attendu, les conseillers citent l’article L. 211-1 du code de l’environnement en précisant :
"Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l’un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l’eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l’autorité administrative compétente, lorsqu’elle autorise au titre de cette police de l’eau des installations ou ouvrages de production d’énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage."
C'est une position très intéressante car cette jurisprudence sera opposable à tous les services administratif prétendant que la continuité dite écologique, également présente dans cet article L 211-1 code de l'environnement, aurait en quelque sorte une primauté sur le reste des éléments formant la "gestion équilibrée et durable de l'eau", donc concourant à l'intérêt général. Il n'en est rien. C'était l'appréciation que notre association et ses avocats faisaient de cet article : elle se trouve confirmée.

Précisant sa doctrine, le conseil d'Etat retoque également les appréciations de la cour d'appel qui avait allégué de la faible puissance du moulin pour justifier son absence supposée d'intérêt :
la cour a estimé qu’eu égard à la puissance du moulin du Bœuf, évaluée à 49,2 kilowatts, la perte du potentiel théorique mobilisable de ce moulin était minime à l’échelle du bassin de la Seine. En se prononçant ainsi alors que, en tout état de cause, aucune disposition n’imposerait d’apprécier le potentiel de production électrique d’une installation à l’échelle du bassin du cours d’eau concerné, et alors, que, au demeurant, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la puissance potentielle du moulin du Bœuf correspond à la production électrique moyenne d’un moulin, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
Donc non seulement l'hydro-électricité doit être considérée comme faisant partie de la gestion durable et équilibrée de l'eau, mais la contribution des moulins s'y apprécie en fonction de la puissance normale moyenne de ce type d'ouvrage (variant le plus souvent de 5 à 500 kW, ici 49,2 kW). On ne peut juger du potentiel des moulins en faisant référence "à l’échelle du bassin du cours d’eau concerné", mais on doit apprécier chaque potentiel particulier.

Cette précision du conseil d'Etat tombe à point nommé : le ministre de l'écologie prétend devant les parlementaires que la petite hydro-électricité serait sans intérêt pour la transition énergétique, a contrario de ce qu'avait dit le président Macron mais aussi des conclusions de la commission nationale du débat public sur la programmation énergétique et des attentes de la directive européenne 2018 sur les énergies renouvelables. La décision des conseillers d'Etat est assez logique dans ce contexte général du droit français et européen, et donc contraire aux propos de François de Rugy et des lobbies minoritaires qu'il défend sur ce cas d'espèce (pour des raisons parfois éloignées de l'écologie...)

Dernier point plus classique : les conseillers d'Etat rappellent qu'une absence d'entretien d'un site n'est pas synonyme de perte de son droit d'eau :
"il ressort des appréciations souveraines de la cour non arguées de dénaturation que si les dégradations ayant par le passé affecté le barrage et les vannes ont eu pour conséquence une modification ponctuelle du lit naturel du cours d’eau, des travaux ont été réalisés par les propriétaires du moulin afin de retirer les végétaux, alluvions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d’eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l’eau d’y circuler librement avec une hauteur de chute de quarante-cinq centimètres entre l’amont et l’aval du moulin, où une roue et une vanne récentes ont été installées. La cour, en jugeant que ces éléments caractérisaient un défaut d’entretien régulier des installations de ce moulin à la date de son arrêt, justifiant l’abrogation de l’autorisation d’exploitation du moulin distincte, ainsi qu’il a été dit, du droit d’usage de l’eau, a inexactement qualifié les faits de l’espèce."
Comme nous le précise Me Remy dans un commentaire de ce point, "l’état d’abandon ou l’absence d’entretien d’un ouvrage doivent s’apprécier, conformément aux règles de plein contentieux, à la date à laquelle le juge statue".

Référence : Conseil d'Etat 2019, arrêt n° 414211, Bouqueton et autres contre ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

10/04/2019

Contamination des petites rivières européennes par les produits pesticides et vétérinaires (Casado et al 2019)

Une analyse de 29 petites rivières européennes montre que toutes comportent des produits pesticides et vétérinaires, 13 d'entre elles dépassant les niveaux règlementaires de concentration. La France n'est pas épargnée par cette contamination, y compris des ruisseaux du bassin Loire Bretagne.



Carte des résultats (cliquer pour agrandir), Casado et al 2019, art cit.

Voici une traduction du résumé de la recherche menée par Jorge Casado, Kevin Brigden, David Santillo et Paul Johnston (Université d'Exeter, Royaume-Uni).

"Des échantillons d'eau provenant de 29 petites rivières situées dans 10 pays différents de l'Union européenne ont été examinés pour rechercher la présence d'un grand nombre de pesticides (275) et de médicaments vétérinaires (101). L'extraction en phase solide a été combinée à la chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse tandem à haute résolution Orbitrap pour quantifier les niveaux de pesticides dans les échantillons et détecter la présence de médicaments vétérinaires. Tous les cours d'eau et canaux européens inclus dans cette enquête étaient contaminés par des mélanges de pesticides et, dans la plupart des cas, par plusieurs médicaments vétérinaires au moment de l'échantillonnage, sans schéma national ou régional clair de variation. Au total, 103 pesticides différents, dont 24 interdits dans l'UE, et 21 médicaments vétérinaires ont été trouvés dans les échantillons analysés.

Les herbicides ont été le principal contributeur à la quantité totale de pesticides présents dans les échantillons, la terbuthylazine étant présente dans tous les échantillons. La concentration individuelle maximale enregistrée était de diméthénamide à 59,85 µgL-1. La concentration maximale combinée de pesticides a été trouvée dans un échantillon du canal de Wulfdambeek, en Belgique, avec 94,02 µgL− 1 composé d'un mélange de 70 pesticides différents. Les normes réglementaires européennes définissant les niveaux de concentration acceptables ont été dépassées pour au moins un pesticide dans 13 des 29 échantillons analysés, les néonicotinoïdes, l'imidaclopride et la clothianidine, dépassant le plus souvent ces limites.

La majorité des médicaments vétérinaires détectés étaient des antimicrobiens, la plupart des antibiotiques. La dicloxacilline, un antibiotique β-lactame, était présente dans les deux tiers des échantillons analysés.

L’application de cette approche de recherche cohérente à travers l’Europe a permis d’identifier une menace significative pour le milieu aquatique liée à la contamination par des pesticides, et dans certains cas des médicaments vétérinaires, au moment de l’échantillonnage dans les masses d’eau testées."

En France, trois cours d'eau ont été testés : le Gouessant à Lamballe (Bretagne), le ruisseau de la Madoire à Bressuire (Poitou-Charentes), le ruisseau du Vernic à Pleyben (Bretagne). On y trouve entre 1 et 5 produits vétérinaires, entre 10 et 30 pesticides.

Référence : Casado J et al (2019), Screening of pesticides and veterinary drugs in small streams in the European Union by liquid chromatography high resolution mass spectrometry, Science of the Total Environment, 670, 1204-1205

07/04/2019

Les effets complexes d'un étang sur la qualité de l'eau et les invertébrés en tête de bassin (Four et al 2019)

En comparant deux petites rivières mosellanes en tête du bassin de la Sarre, l'une avec étang piscicole datant du Moyen Âge et l'autre sans, six chercheurs ont étudié certains effets de la présence d'un plan d'eau. Leurs travaux montrent que les populations de macro-invertébrés à l'amont ne sont pas significativement modifiées par la présence de l'ouvrage et de sa retenue. A l'aval, la biomasse des invertébrés est trois fois plus forte quand un étang est présent, surtout parce que des gammaridés en profitent. La présence de l'étang modifie le cycle des nutriments et des réseaux trophiques, pouvant contribuer à détoxifier l'eau. Elle change aussi, dans un sens favorable, la disponibilité de l'eau à l'étiage dans ces têtes de bassin où les assecs sont fréquents. Les chercheurs proposent donc aux gestionnaires d'engager des études écologiques approfondies quand il s'agit de faire des choix sur les ouvrages, leurs plans d'eau et leurs services écosystémiques.


Si les ouvrages et plans d'eau ont acquis une mauvaise réputation à la suite de la directive-cadre sur l'eau de l'Union européenne (DCE 2000), qui a valorisé un "état de référence" idéal de la rivière sans aucune altération morphologique des conditions naturelles d'écoulement, ils rendent de nombreux services écosystémiques et leur bilan réel a finalement été très peu étudié par rapport à celui des systèmes lotiques.

Brian Four et ses cinq collègues (université de Lorraine, Université de lausanne, INRA) remarquant ainsi en introduction de leurs travaux.
"Les étangs piscicoles, créés par la construction d'un barrage sur des cours d'eau peu importants et utilisés pour la production de poisson, sont des agro-écosystèmes très répandus sur la Terre (Oertli & Frossard 2013). Ces plans d'eau artificiels sont généralement considérés comme des facteurs de modification des cours d’eau (directive-cadre sur l’eau: DCE, Union européenne, 2000). Par conséquent, ils sont fortement critiqués et leur élimination est favorisée par la DCE car ils peuvent entraîner des altérations hydromorphologiques, chimiques et écologiques dans les cours d'eau perturbant le continuum phyico-chimique et écologique naturel (par exemple, Bunn & Arthington 2002; Elosegi & Sabater 2013; Gonzalez et al 2013; Four et al 2017a, b). Cependant, ces modifications peuvent être profondément influencées par le mode de gestion des étangs piscicoles. Parmi elles, le degré d’intensification du système (par exemple la densité du poisson et/ou l’utilisation d’engrais/de nourriture) ou la gestion du barrage sont des pratiques qui peuvent fortement influer l’effet des étangs sur les eaux réceptrices (par exemple, Banas et al 2002; Gaillard et al 2016a; Four et al 2017b). Ces systèmes sont connus pour fournir de multiples services écosystémiques (Evaluation du Millénaire, 2005; Aubin et al 2014; Mathé et Rey-Valette 2015), tels que la production de poisson et le niveau élevé de diversité alpha dans l'environnement et autour de l'écosystème aquatique (augmentation de la richesse en espèces de plantes et d'oiseaux; Pinet et Hélan 2015; Convention de Ramsar 1971). De plus, lorsqu'ils sont gérés de manière extensive (sans utiliser d'engrais et / ou de nourriture) dans le paysage agricole, certaines études ont montré que la présence de ces agro-écosystèmes le long des cours d'eau pouvait également favoriser une diminution des teneurs en matières en suspension, en pesticides et en éléments nutritifs du coeurs d'eau à l'aval (Banas et al 2002; Gaillard et al 2016a,  b)."
Comme il a été démontré que les étangs ont des effets variables sur les rivières, il apparaît essentiel aux auteurs de "mieux évaluer les différentes modifications possibles avant de tirer des conclusions pertinentes en ce qui concerne leur gestion". D'autant que comme ils l'observent, "de manière surprenante, seules quelques études ont étudié les modifications de la matière organique (MO) causées par les agro-écosystèmes, en particulier par les barrages des plans d'eau piscicoles dans les petits cours d’eau".

Les chercheurs ont étudié deux rivières intermittentes en premier ordre de Strahler dans la tête de bassin de la Sarre. Très proches et donc dans la même hydro-éco-région, une rivière était dotée d'un étang piscicole sur son lit mineur (superficie de 4,7 ha, datant du Moyen Age) et l'autre non. Les usages des sols sur leurs bassins étaient comparables. L'étang était géré pour une production piscicole en polyculture (carpe, brochet, perche, gardon). Deux points d'étude ont été déterminés à l'amont et à l'aval des cours d'eau, dans un cas avec l'étang au milieu et dans l'autre en condition lotique de référence.

Les chercheurs ont notamment analysé sur chaque système :
  • l'abondance et la diversité des macro-invertébrés
  • la composition de ressources alimentaires et des réseaux trophiques
Parmi leurs principaux résultats :
  • 8077 individus de 56 taxons ont été répertoriés au total,
  • l'amont de la rivière libre et l'amont de la rivière discontinue ne montrent pas de différences significatives,
  • seul l'aval de l'étang piscicole a montré des différences significatives, avec notamment une densité d'invertébrés (8198/m2) trois fois supérieure aux autres sites,
  • l'aval de l'étang était dominé par des déchiqueteurs crevettes (Gammaridae) plutôt que des déchiqueteurs insectes,
  • les niveaux isotopiques d'azote et carbone montraient des variations, ainsi que les niches trophiques des invertébrés en particulier à l'aval de l'étang pour les sources autotrophes (biofilm et algues combinés), pour les matières organiques transférées (SOM) et pour les copépodes (appauvris en carbone 13 par rapport aux autres sites).
Ce tableau (cliquer pour agrandir) montre notamment les différentes mesures entre amont et aval de la rivière sans ouvrage (UR, DR) et de la rivière avec ouvrage (UF, DF).

Extrait de Four et al 2019, art cit.

Les chercheurs sont amenés à souligner la nécessité de relativiser l'impact de la discontinuité écologique selon le contexte de chaque rivière et ouvrage :
"En conclusion, nous avons montré que des études de ce type peuvent accroître la connaissance des impacts des étangs sur le fonctionnement des cours d’eau. Certes, les étangs piscicoles sont connus pour nuire à la continuité écologique des cours d'eau mais, lorsqu'ils sont établis dans des cours d'eau temporaires, leur impact peut ne pas être très significatif dans les affluents temporaires en amont. En fait, nous avons montré que les étangs piscicoles ne modifieraient peut-être pas radicalement les communautés de macro-invertébrés en amont, soulignant que dans les écosystèmes lotiques temporaires, la continuité des flux écologiques semble avoir une importance limitée en ce qui concerne la restauration du réseau trophique basal (les communautés de macro-invertébrés) en raison des schémas de dispersion aérienne des taxons dominants (Acuna et al 2005), ou de la colonisation limitée d’organismes provenant de l’étang. Cette étude a mis en évidence que la qualité de ces écosystèmes (pour favoriser la colonisation et la survie de ces taxons adaptés) et la densité des cours d'eau temporaires d'un même bassin hydrographique (pour faciliter la colonisation croisée d'insectes) sont plus importantes que la présence d'étangs pour préserver le fonctionnemment de cours d'eau amont. D'autre part, notre étude a montré que les étangs piscicoles entraînaient des modifications substantielles de la dynamique trophique dans les tronçons en aval. Étant donné que les étangs se trouvent généralement dans des bassins hydrographiques altérés par des activités humaines telles que les pratiques agricoles (Four et al 2017a) et qu'ils favorisent les densités de macroinvertébrés (en particulier celle de Gammarus pulex) dans les eaux, la présence d'étangs sur de petits cours d'eau pourrait augmenter la consommation allochtone et autochtone de matière organique dans les cours d'eau. En conséquence, cela pourrait faciliter l'immobilisation et la dégradation d'au moins une partie du surplus de matière organique produit dans les étangs  et/ou dans le bassin hydrographique en les intégrant dans les réseaux trophiques. En outre, cela pourrait également favoriser la détoxification dans le flux des polluants agricoles avec leur adsorption sur la matière organique transférée et un métabolisme intensifié au niveau de l'écosystème (Gan et al 2004; Hameed et al 2011). Cette étude s'ajoute aux résultats antérieurs montrant que les étangs à poissons peuvent favoriser la réduction des pesticides dans les cours d'eau en augmentant l'adsorption et la dégradation des pesticides (Gaillard et al 2016a, b)." 
Discussion
Les chercheurs ayant étudié les rivières avec et sans étang du bassin de la Sarre concluent à l'intention des gestionnaires par la nécessité d'une analyse fine de chaque situation en matière de gestion écologique des milieux aquatiques et d'évaluation de services écosystémiques.

Comme ils le disent aussi dans leur conclusion :
"Compte tenu de la complexité des effets des activités anthropiques (barrages, étangs, pratiques agricoles et pratiques connexes dans les bassins hydrographiques) sur les processus écologiques des cours d’eau et la qualité de leur eau à plus grande échelle, il serait pertinent d’intégrer le spectre des services écosystémiques (Tibi et Therond 2017) fournies par les étangs piscicoles dans les décisions de gestion, en particulier dans les zones d'activités agricoles intensives. Pour cela, généraliser ce type d’études intégrant le changement de communauté (par exemple, le changement de biomasse des différents groupes alimentaires fonctionnels de la communauté), le changement des niches trophiques (par exemple, les assimilations) et le changement de diversité fonctionnelle (basé sur des métriques pondérées par la densité des communautés) est crucial pour mieux comprendre nos conclusions et pour aider les décideurs à mieux prendre en compte la complexité des activités humaines dans les bassins hydrographiques, finalement pour promouvoir les services des écosystèmes aquatiques".
Qu'il s'agisse de la mise en oeuvre de la directive-cadre européenne sur l'eau de 2000 ou de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, la question de la bonne information écologique pour éclairer les décisions publiques est ainsi de première importance.

Faute de moyens associés à la programmation publique, les gestionnaires ont eu parfois tendance à partir d'orientations un peu simplistes, comme le fait qu'un état de référence "plus proche d'un milieu naturel" serait toujours une bonne chose. Mais les rivières européennes ne sont pas dans une situation "naturelle" depuis longtemps, elles subissent diverses pressions à effets additifs, synergiques ou antagonistes (devant donc être évaluées in situ), elles ont été modifiées dans leurs peuplements (y compris des exotiques et invasives reposant la question de la valeur de fragmentation), elles hébergent divers écosystèmes artificiels plus ou moins anciens. On ne peut donc se fier simplement à une biodiversité ou une fonctionnalité "de référence" pour faire des choix éclairés.

Pareillement, la politique française de continuité écologique est issue d'une trajectoire particulière et ancienne, d'abord centrée sur des enjeux halieutiques, ayant commencé avec la loi échelle à poisson 1865. Elle a été greffée sur le tard à la politique de gestion des rivières définie par la DCE 2000, mais en même temps se sont superposés d'autres enjeux d'écologie et de développement durable : protection de zones humides, gestion des inondations et assecs, problème des charges toxiques en intrants agricoles et rejets domestiques, prélèvements locaux en eau, hydro-électricité et changement climatique, usages récréatifs et paysagers des rivières aménagées, patrimonialisation de certains héritages techniques et industriels, prise en compte des services écosystémiques, etc.

Seule l'étude approfondie des ouvrages hydrauliques, de leurs biodiversités, de leurs fonctionnalités et des services écosysémiques associés à leurs usages permettra de nourrir une politique publique bien informée à leur sujet. Nous en sommes encore loin.

Référence : Four B et al (2019), Using stable isotope approach to quantify pond dam impacts on isotopic niches and assimilation of resources by invertebrates in temporary streams: a case study, Hydrobiologia, 834, 1, 163–181.

A lire sur le même thème
Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018) 
Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016) 
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008) 

Notre demande aux gestionnaires
Pour une étude de la biodiversité et des fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes 

04/04/2019

L'aveu de François de Rugy: au service du lobby pêcheur et contre la petite hydro-électricité

Le ministre François de Rugy vient de lâcher un aveu de taille à l'Assemblée nationale: pour lui, la petite hydro-électricité ne sert qu'à bloquer les rivières et... empêcher les pêcheurs de pêcher! Cette régression considérable par rapport à l'évolution des débats sur les ouvrages de rivière confirme ce que nous pressentions face à l'inertie des travaux en comité national de l'eau depuis 18 mois : ce gouvernement technocratique et jacobin persiste dans le mépris des ouvrages hydrauliques et dans la soumission aux lobbies qui ont engagé leur destruction. Alors que 4 TWh de petite hydro-électricité ne sont pas exploitées, alors que ce gouvernement détruit les barrages en état de fonctionnement sur la Sélune sans attendre l'avis de la justice, les syndicats d'hydro-électricité, les fédérations de moulins, les collectifs riverains, les élus locaux et toutes les associations soucieuses d'accélérer la transition bas-carbone doivent dénoncer cette imposture.


Lors de la séance publique du 2 avril 2019 à l'Assemblée Nationale, en réponse à la députée Marie-Noëlle  Battistel, le ministre d'état François de Rugy a tenu des propos aberrants mais révélateurs de la direction idéologique que de son ministère (voir minute 4'47 et suivante de cette vidéo)

Nous citons le ministre :
"Nous sommes de fervents défenseurs de l'hydro-électricité, par le fait que l'hydro-électricité est une part importante de la production en France (environ 12% de l'électricité), le fait que c'est une énergie renouvelable, non polluante - une fois que les vallées ont été noyées tout de même, mais cela, ça a été fait - donc cette énergie nous devons l'utiliser au mieux. Et je le dis : l'hydroélectricité des barrages, pas la petite hydro-électricité où l'on bloque les rivières et où l'on empêche les pêcheurs de pêcher".
Tout y est dans cet aveu :
L'Etat veut casser les barrages de la Sélune sans attendre l'avis de la justice : le mépris jacobin à l'oeuvre (source). Les mêmes avaient stoppé Notre-Dame-des-Landes au motif qu'il y avait trop d'oppositions, mais le "deux poids deux mesures" est le règle. L'arbitraire de l'exécutif et de ses bureaucraties est devenu un problème démocratique majeur en France. 

Nous nous demandions si la nouvelle direction politique du ministère est une amie ou une ennemie des ouvrages hydrauliques. Nous avons la réponse.

La folie consistant à détruire sur argent public les ouvrages hydrauliques au lieu de les équiper dure depuis 10 ans. François de Rugy entend manifestement la poursuivre.

Les propriétaires et riverains d'ouvrages hydrauliques doivent donc se préparer à réveiller les conflits judiciaires et les oppositions de terrain contre une administration qui veut leur disparition, tout en améliorant l'information des parlementaires et des élus locaux face à ces insupportables dérives étatiques.

Le dernier week-end de juillet, Hydrauxois et les associations de Bourgogne organisent deux journées de rencontres, débats et formations pour tous les cadres associatifs désireux de participer à ce combat commun. Nous espérons vous y retrouver nombreux pour organiser l'affirmation des rivières, de leurs patrimoines et de leurs citoyens face à l'oppression bureaucratique.

30/03/2019

Les discontinuités des rivières, un phénomène antérieur à l'être humain

Continues, les rivières? Pas tant que cela. Dans un monde imaginaire où la nature serait laissée à elle-même sans intervention humaine, beaucoup de rivières seraient en réalité des courses d'obstacles : barrages d'embâcles et de castors, chutes, cascades et seuils de pierres, pertes et assecs à l'étiage... les discontinuités sont partout. En particulier dans les têtes de bassin versant, là où les fortes pentes forment parfois des linéaires infranchissables pour remonter le courant et où des rivières peu larges à débit peu prononcé s'obstruent plus facilement que dans les larges écoulements des plaines alluviales. Aussi faut-il se garder d'idéaliser une nature de carte postale, comme le font certains gestionnaires. Et se ré-interroger sur la nécessité de traiter les discontinuités artificielles ajoutées par l'être humain. Car toutes ces singularités hydrologiques font des gagnants et des perdants pour le vivant, ce que seul un examen local de la biodiversité révélera.



Lorsqu'ils ont créé le concept de "continuum fluvial" en 1980,  Robin L Vannote et ses collègues n'avaient pas spécialement pour idée que toute rivière présente un transit parfaitement libre pour les sédiments et les espèces. Leur réflexion consistait à observer que les cours d'eau connaissent une variation continue de l'énergie cinétique du courant et de l'énergie biochimique des nutriments / proies entre la source et l'embouchure.

Mais dans la réalité, une rivière peut présenter des discontinuités locales, qui sont particulièrement marquées dans les têtes de bassin versant. Elles peuvent être de nature géologique, rhéologique, hydrologique. Et forment autant de singularités. En voici quelques exemples.

Cascades et cataractes - Pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de haut, elles sont formées lorsque le lit rencontre une paroi verticale ou à forte pente.

Chutes et sauts - Hautes de quelques mètres, ces discontinuités sont créées par amas de gros blocs rocheux entravant le lit

Seuils - Des blocs et grosses pierres en travers créent des petits sauts d'écoulement de quelques dizaines de centimètres, suffisant à décourager les espèces de poissons sans capacité de saut.

Rapides et torrents - Les accélérations de l'écoulement sur plusieurs dizaines à centaines de mètres en raison d'une forte pente locale peuvent créer une barrière de franchissement pour les espèces faiblement nageuses.

Pertes et assecs - Dans les régions calcaires, mais parfois ailleurs aussi, les rivières deviennent intermittentes en été ou dans les périodes de sécheresse.

Barrages de castors - Ces rongeurs aquatiques, qui ont une espèce américaine et une espèce européenne, construisent des retenues dans les eaux peu profondes des petites et moyennes rivières.

Barrages d'embâcles - L'état naturel d'une berge et d'un milieu adjacent à la rivière est généralement boisé (ripisylve), ce qui entraîne régulièrement des chutes de troncs et branches formant barrages.

Hautes de quelques dizaines de centimètres à près de 1000 mètres, dégradables en quelques mois à quelques millions d'années, les discontinuités font donc partie des répertoires naturels de la morphologie des rivières. Elles peuvent provoquer des naissances d'espèces (spéciation) en bloquant les échanges génétiques entre des populations. Elles induisent des singularités, des changements, des transitions qui sont autant d'opportunités pour le vivant. Au fil des millénaires, les sociétés humaines ont créé de nouvelles discontinuités : chaussées de moulins, digues d'étangs, écluses de canaux, puis tardivement des grands barrages. Dans une perspective d'écologie intégrative où la rivière est le produit d'une histoire naturelle dont l'intervention humaine est une étape, et non une anomalie, il faut la regarder comme un milieu portant les traces de tous ses héritages.

25/03/2019

Les poissons des fleuves français reflètent déjà clairement le changement climatique (Maire et al 2019)

Analysant 40 ans de données sur la Loire, la Meuse, le Rhône, la Seine et la Vienne, des chercheurs montrent que les assemblages de poissons de nos fleuves reflètent déjà les effets du changement climatique, avec une tendance au remplacement des espèces septentrionales par des espèces méridionales mieux adaptées aux eaux chaudes. Il faut aussi noter que sur cette période, la biomasse et la richesse spécifique des poissons ont augmenté, sans que les exotiques (non endémiques en France) ne prolifèrent, mais avec des espèces non-locales (absentes des premiers relevés) plus nombreuses. Les peuplements de nos rivières changent donc, et plus rapidement que nous ne le pensions. Cela devrait inspirer des réflexions aux gestionnaires des bassins ayant parfois tendance à espérer un retour vers un "état de référence" du milieu calculé sur les siècles passés, mais aussi à sous-estimer l'importance des variations hydro-climatiques dans nos choix d'aménagement pour l'avenir des rivières.

Lors de l'implantation des centrales nucléaires françaises à compter des années 1970, EDF a engagé une campagne de mesure systématique des populations de poissons à l'amont et à l'aval des exutoires des centrales. Ces données très homogènes, dont les plus anciennes commencent en 1979, permettent un suivi longitudinal de qualité de la faune pisciaire. Onze sites sont concernés en France sur la Loire (Belleville, Chinon, Dampierre, Saint-Laurent), le Rhone (Bugey, Cruas, Saint-Alban, Tricastin), la Meuse (Chooz), la Vienne (Civeaux) et la Seine (Nogent).

Anthony Maire, Eva Thierry, Martin Daufresne (Laboratoire national d'hydraulique et environnement, EDF) et Wolfgang Viechtbauer (Université de Maastricht) ont utilisé cette base de données pour étudier l'évolution des assemblages de poissons en lien au changement hydroclimatique.

Un total de 923 418 poissons individuels de 40 espèces différentes a été échantillonné pendant toute la période de surveillance (1979-2015). Cela représentait en moyenne 26 383 ± 12 738 individus et 30 ± 2 espèces par station.

Six espèces migratrices anadromes (Alosa alosa, Alosa fallax fallax, Alosa fallax rhodan- ensis, Lampetra fluviatilis, Liza ramada et Petromyzon marinus) ont été exclues de l'analyse car les lieux et techniques d'échantillonnage n'étaient pas pertinents pour évaluer leur présence.

Pour caractériser les poissons, les chercheurs ont utilisé l'abondance totale par densité de capture de pêche (CPUE), la diversité spécifique (nombre d'espèces), l'équitabilité (proportion relative des différentes espèces dans la diversité), les espèces non-locales (absentes des premiers relevés) ou exotiques (non endémiques en France).

Du point de vue géographique et climatique (rapport à la latitude), les espèces de poissons ont été classées en septentrionales, méridionales ou intermédiaires selon les limites connues de leur répartition.

Enfin, les données de température et de débit de l'eau ont été analysées. Elles montrent une nette tendance à la hausse des températures de l'eau (en haut) et à la baisse des débits (en bas) :

Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Anthony Maire et ses collègues résument ainsi leurs principales observations :

"Des tendances générales significatives ont été mises en évidence respectivement à la hausse pour la température de l'eau et à la baisse pour le débit au cours de la période d'étude. Parallèlement, la densité de nombreuses espèces a augmenté, entraînant une forte augmentation de la richesse en espèces (environ + 50%) et de l'abondance totale des poissons (environ quatre fois), mais sans tendance significative en termes d'équitabalité des espèces. De forts changements dans la composition des espèces ont été observés au cours de la période d'étude, avec une tendance générale à la hausse dans l'abondance relative des nouveaux arrivants (c'est-à-dire des espèces non échantillonnées pendant les premières années de l'enquête), tandis que la tendance de l'abondance relative des espèces exotiques était non significative. De plus, le changement le plus important sous-jacent aux changements de communauté était le remplacement des espèces septentrionales par les espèces méridionales."

Le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les courbes de ces tendances.



Changements temporels en métrique des assemblages de poissons. Les 7 premières années (1979-1985) sont représentées en gris en raison de la moins bonne représentativité de la valeur moyenne pour cette période. Extrait de Maire et al 2019, art cit.

Les chercheurs font observer : "Les augmentations globales observées de la richesse en espèces et de l'abondance totale sont cohérentes avec les tendances sous-jacentes au niveau de chaque espèce, ce qui montre les nombreuses espèces ayant connu une augmentation de la densité au cours de la période étudiée. Des relations similaires entre les tendances au niveau des espèces et des communautés avaient déjà été observées ou prédites pour les poissons d'eau douce en France (Buisson et al 2008; Daufresne et Boët 2007; Poulet et al 2011), ainsi que pour d'autres taxa dans des zones fluviales similaires (par exemple, macroinvertébrés  Floury et al 2013). La tendance de la richesse en espèces d’environ +50% au cours des 4 dernières décennies était même du même ordre de grandeur que l’augmentation moyenne prédite, allant de 50% à 68% d’ici 2080, sur la base de modèles de répartition future de 30%. espèces de poissons dans les rivières françaises (Buisson et al 2008). Conformément aux résultats actuels, la même étude a également prédit que de nombreuses espèces bénéficieraient d'un futur climat plus chaud, ce qui entraînerait des changements substantiels dans la composition des espèces au sein des communautés". En revanche, les auteurs soulignent que le réchauffement de l'eau et la diminution du débit devraient être défavorables pour d'autres taxa que les poissons.

Cette étude a examiné les tendances de la température et du débit de l'eau en tant que principaux facteurs susceptibles de modifier la composition des communautés de poissons d'eau douce. Mais d'autres changements environnementaux sont susceptibles de s'être produits localement au cours de la même période, pouvant avoir contribué aux variations biologiques observées.

Les chercheurs remarquent à ce sujet : "Outre les tendances hydroclimatiques, les changements dans la qualité de l'eau, et en particulier dans les concentrations de phosphore, ont probablement eu une influence considérable sur les populations aquatiques suite aux améliorations apportées au traitement des eaux usées (Durance & Ormerod 2009; Floury et al 2017). Plusieurs études ont démontré que l'amélioration de la qualité de l'eau avait des conséquences écologiques pour divers organismes du réseau trophique, tels que le phytoplancton (Larroudé et al 2013) et les macroinvertébrés (Floury et al 2013) dans la Loire ou les poissons dans diverses grandes rivières. aux États-Unis (Counihan et al 2018) et probablement aussi en France (Poulet et al 2011). Néanmoins, si les réponses écologiques de nombreuses régions, évaluées par exemple par une méta-analyse, se révèlent être similaires et tendant généralement dans la même direction (par exemple, changement dans la répartition des espèces par la tendance à remonter vers le pôle), alors on peut présumer avec confiance que des facteurs globaux tels que comme le changement climatique sont impliqués (García Molinos et al 2018). Pris ensemble, ces résultats mettent en évidence le rôle central du changement climatique dans les tendances observées et ses profondes implications pour les écosystèmes d'eau douce."

Enfin, les chercheurs concluent à la nécessité de tester différentes hypothèses d'adaptation des poissons au changement climatique. Il s'agit notamment de comprendre si les espèces à fort taux de reproduction (stratégie r) seront avantagées par rapport aux espèces à faible taux (stratégie K) et si la réduction de la taille corporelle (trait universellement observé en réponse au réchauffement) se vérifie aussi chez les résidents des rivières.

Référence : Maire A et al (2019), Poleward shift in large-river fish communities detected with a novel meta-analysis framework, Freshwater Biology, 1–14.

23/03/2019

Le castor eurasien décide de construire ses barrages selon la hauteur d'eau de la rivière (Swinnen et al 2019)

Champions de la discontinuité écologique, les castors sont connus pour leur capacité à construire des barrages et retenues qui modifient l'environnement local de la rivière. Mais parfois, ils se contentent de bâtir aussi des huttes, des abris ou des terriers, sans édifier d'ouvrages hydrauliques en travers des lits. Une équipe de chercheurs belges a comparé les facteurs écologiques dans 15 territoires de castor avec des barrages (32 ouvrages) et 13 autres territoires sans barrages. Leur principale conclusion, convergente avec une précédente étude suédoise : dans 97% des cas, la profondeur de l'eau est le paramètre décisif pour prédire les rivières qui auront des barrages. Les castors s'engagent dans la construction d'ouvrage avec une haute probabilité là où la lame d'eau est inférieure à 68 cm. Aujourd'hui, le castor se ré-implante dans tous les territoires d'Europe dont il avait été chassé : cela signifie que les rivières de tête de bassin versant ont vocation à être de nouveau fragmentées par leurs nombreux barrages. Cette fragmentation a des avantages écologiques reconnus.


Le castor eurasien (Castor fiber) était autrefois répandu dans les forêts et vallées fluviales boisées d'Europe et d'Asie. Mais sa chasse excessive pour la fourrure, la viande et le castoréum a causé un déclin massif et il ne restait au XXe siècle qu'environ 1200 castors d'Eurasie au sein de 8 petites populations reliques. Les translocations, la propagation naturelle et la réduction de la prédation ont permis une expansion des populations, qui atteignent aujurd'hui jusqu'à un million d'individus. Les castors sont de nouveau présents dans la majeure partie de leur ancienne aire de répartition.

"Les castors sont souvent considérés comme des ingénieurs des écosystèmes car ils peuvent modifier, maintenir ou créer des habitats en modulant la disponibilité des ressources biotiques et abiotiques pour eux-mêmes et pour les autres espèces" rappellent Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues des universités d'Anvers et de Gand. Les castors abattent des arbres, construisent des barrages, assemblent des abris et creusent des terriers, dans le lit des rivières et sur leurs berges.

La technique la plus connue et la plus spectaculaire du castor est la construction de barrages coupant le lit des rivières.

Les chercheurs belges rappellent ainsi le rôle des barrages dans la stratégie de vie des castors : "Bien que les barrages remplissent plusieurs objectifs, ils augmentent tous le niveau d'eau en amont du barrage, créant ainsi une retenue pour les castors. Cette retenue leur permet de construire un terrier ou une hutte avec une entrée sous-marine, ce qui réduit les risques de prédation (Gurnell 1998, Hartman et Axelsson 2004, Rosell et al 2005) et peut être utilisé pour cacher de la nourriture pour l'hiver (Hartman et Axelsson 2004, Beck et al 2010). De plus, l’augmentation du niveau d’eau associée aux barrages de castor peut modifier la position du bord de la retenue, facilitant ainsi l’accès aux sources de nourriture, car les castors préfèrent chercher leur nourriture à moins de 10 m de l'eau (Nolet et al 1994, Hartman et Tornlov 2006)."

Mais cette option du barrage n'est pas systématique. Si les castors peuvent être présents dans divers environnements lentiques et lotiques, des petites rivières et des étangs aux grandes rivières et aux lacs, les ouvrages ne sont pas pour autant construits dans tous leurs territoires.

Qu'est-ce qui détermine le choix de construire ou non ces barrages et retenues de castors?

Les scientifiques ont collecté des données sur tous les territoires de castor connus en Flandre, 3 territoires adjacents dans la région wallonne de Belgique et un territoire aux Pays-Bas. La population de castors de cette région se répartit dans 71 territoires au moment de l'étude (2017), avec un potentiel estimé de 924 territoires de castor (la réintroduction en Belgique ne date que de 2003 et la colonisation par les castors ne fait que commencer). Les chercheurs ont sélectionné 15 territoires à barrages et 13 sites témoins sans barrages.

Dans un précédent travail, Hartman et Tornlov (2006) avaient étudié l'influence de la profondeur et de la largeur du cours d'eau sur la construction de barrages de castor en Suède. Ils ont pu établir une distinction entre les sites de hutte et de barrage dans 93% des cas. Les chercheurs ont testé l'importance de ces paramètres dans un paysage différent et ont inclus 5 paramètres environnementaux supplémentaires : vitesse du cours d'eau, distance entre barrage, terrier, hutte et végétation ligneuse la plus proche, hauteur des berges. Ces nouveaux paramètres différaient significativement entre les sites de barrage et les sites témoins, mais ils n'augmentaient pas pour autant la puissance de l'arbre de classification.

Ainsi, les chercheurs concluent : "le meilleur arbre de classification n'incluait que la profondeur de l'eau, avec une classification correcte de 97% avec un seuil de profondeur de 68 cm, ce qui indique que d'autres paramètres entraînent une amélioration négligeable des résultats de la classification".

Enfin, dans la zone étudiée, les barrages de castor ont augmenté le niveau d'eau en moyenne de 47 ±21 cm, ce qui est presque identique à la 46 ± 21 cm rapporté par Hartman et Tornlov (2006). En ce qui concerne le risque d'inondation, en moyenne, le point le plus bas de la rive n'est que de 25 cm plus haut que le niveau d'eau en amont du barrage.

Discussion
Le fait que la hauteur d'eau soit le critère discriminant de construction des barrages du castor eurasien suggère qu'à mesure de sa recolonisation de nos vallées, le rongeur aquatique va reprendre ses constructions dans les zones boisées des têtes de bassin versant, là où l'on trouve des rivières et ruisseaux de faible profondeur.

Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues rappellent l'intérêt des barrages et retenues de castors : "Bien que la construction de barrages puisse être incompatible avec d'autres types d'utilisation des terres, la présence de castors et de leurs barrages peut également être intégrée à la politique actuelle de restauration écologique des rivières (Pahl-Wostl 2006). Le rôle essentiel des barrages de castor dans le maintien et la diversification des cours d'eau et de l'habitat riverain a été reconnu (Rosell et al 2005, Pollock et al  2018). Les castors peuvent augmenter la rétention d'eau, le débit de base et la recharge des eaux souterraines; diminuer les débits de pointe; augmenter la rétention de sédiments; et influer sur la température de l'eau, le cycle des éléments nutritifs, les contaminants et la géomorphologie (Rosell et al 2005, Pollock et al 2018). En outre, les castors peuvent modifier l’abondance et la richesse en espèces de plantes, invertébrés, amphibiens, reptiles, poissons, oiseaux et mammifères (Collen et Gibson 2001, Rosell et al 2005, Dalbeck et al 2007, Nummi et Hahtola 2008, Stringer et Gaywood 2016)."

Contrairement à certaines idées reçues que véhicule une écologie administrative ("continuité écologique"), la parfaite connectivité en long et la non-fragmentation des lits mineurs ne sont donc pas spécialement l'état naturel des rivières en tête de bassin versant. Outre les castors, les barrages spontanés d'embâcles par chute de troncs sont aussi fréquents dans ces cours d'eau, avec des temps de décomposition pouvant être longs. Pour le petite histoire, l'administration française considère qu'un "obstacle à la continuité écologique" commence à partir de 20 cm, soit deux fois moins que la hauteur moyenne des barrages de castors. La police de l'eau risque d'être débordée par les contrevenants!

Références : Swinnen KRR et al (2019), Environmental factors influencing beaver dam locations, The Journal of Wildlife Management, 83, 2, 356-364

Illustration : en haut, la courbe et le profil de ce barrage (établi sur un petit cours d'eau près d'Olden, dans la région de Jämtland en Suède) le rendent similaire à celui qui aurait été fait par un ingénieur, par Lars Falkdalen Lindahl, CC BY-SA 4.0 ; ci-dessous, barrage de castor dans le Parc national de Lahemaa (Estonie), par Athanasius Soter Domaine public

19/03/2019

La FFAM demande au ministère de l'écologie de cesser son double langage et d'arrêter la casse des ouvrages

La Fédération française des associations de sauvegarde de moulins (FFAM) a exprimé au Comité national de l'eau son regret qu'après 18 mois de négociation, les désaccords majeurs entre l'administration du ministère de l'écologie et les moulins n'ont pas réellement trouvé d'issue. Nous saluons cette démarche lucide. Si le ministère refuse de poser clairement le respect des moulins, étangs, plans d'eau et autres éléments du patrimoine des bassins comme la base de toute politique de continuité, les défenseurs de ce patrimoine n'ont rien à attendre d'une pseudo-concertation en forme de répétition des mêmes dogmes et de poursuite des mêmes erreurs.



Depuis 18 mois, le Comité national de l'eau (CNE) s'est réuni à la demande de Nicolas Hulot, dans le but de donner suite aux nombreuses critiques et dérives de la continuité écologique :
En 2018, une pétition de 7500 propriétaires et riverains d'ouvrages menacés a signifié au ministère le refus de toute pression à la destruction de sites. Par ailleurs depuis deux mois, les pétitions et marches pour le climat accusent le gouvernement de freiner la transition bas carbone, ce qui est effectivement le cas quand on casse sur argent public des outils de production hydro-électrique (Sélune, Pont-Audemer, des centaines d'ouvrages détruits, de nombreux projets de relance énergétique découragés par des demandes aux coûts et aux enjeux totalement disproportionnés : cet exemple aux Eyziescet exemple à Argentrécet exemple au Bugue, etc.).

Dans ce contexte, tout le monde attendait des gestes forts du ministère de l'écologie.

Nous avions rappelé dans un courrier au CNE en date du 10 avril 2018 les 2 conditions assez simples d'une continuité écologique apaisée:
  • la reconnaissance claire par l'Etat du droit d'exister de tout ouvrage hydraulique autorisé et le rappel explicite à tous les services administratifs que le but de la continuité n'est pas de casser ces ouvrages, seulement de les aménager là où c'est nécessaire,
  • le financement public des dispositifs de continuité dont on sait depuis 150 ans (première loi échelle à poissons de 1865) qu'ils sont trop coûteux pour des petits exploitants ou des particuliers, donc qu'ils condamnent le maître d'ouvrage à la ruine économique s'ils sont imposés.
Sans même débattre des désaccords de fond sur les représentations de la rivière, de la biodiversité, de l'écologie et des connaissances à leur sujet – désaccords très nombreux –, ces deux éléments sont la base de l'application formelle de la loi, da la réussite opérationnelle de la continuité comme du respect moral des interlocuteurs.

Ces deux points élémentaires n'ont pas été retenus.

On propose de multiplier les complexités dans une réglementation qui en comporte déjà trop.

On  contourne l'essentiel dans un luxe de détails peu utiles si la base d'un accord solide est absente.

On cherche à définir des ouvrages prioritaires pour concentrer sur eux seuls l'effort public, mais sans exempter les autres d'obligation de travaux, en laissant les maîtres d'ouvrage à eux-mêmes.

On continue surtout dans la duplicité et le double langage : pendant que les discussions du CNE se tiennent, les services de l'Etat siégeant aux agences de l'eau programment la prime à la casse des ouvrages hydrauliques pour la période 2019-2024. Ce que les associations de Loire-Bretagne et Seine-Normandie vont contester en justice, ouvrant un nouveau cycle contentieux.

Il y a des gens sincères dans le processus de discussion du CNE.

Mais ce n'est manifestement pas le cas de certains services de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie :
L'administration centrale jacobine serre aujourd'hui les rangs face au pays en colère.

Elle devrait plutôt admettre ses erreurs et sortir une fois pour toutes d'un mode de gouvernance autoritaire en faillite : venir chez les citoyens avec l'intention manifeste de les menacer en vue de détruire leur bien était, est et sera toujours une violence insupportable dans une démocratie.

Si elle devait persister, la politique de destruction du patrimoine de rivières par le ministère de l'écologie et par les fonctionnaires travaillant sous ses ordres ne ferait qu'ajouter du désespoir, de la colère et du conflit dans un pays où les tensions sont déjà partout extrêmes.

Nous saluons donc la mise au point nécessaire de la FFAM. Et nous appelons les services centraux de l'Etat à apporter les révisions qu'appelle la politique des ouvrages hydrauliques, afin de retrouver la confiance et le dialogue indispensables à cette politique.