03/08/2019

Une pêche aux aloses au pied du moulin, en 1835

Les moulins du début du XIXe siècle n'empêchaient pas l'alose feinte du bassin rhodannien de suivre son cycle de vie entre la mer et les fleuves. Le peintre Garneray a immortalisé une belle scène de pêche au pied d'un moulin de l'Hérault, en 1835. A l'époque, l'alose feinte remontait jusqu'en Bourgogne.

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Ambroise Louis Garneray (1783-1857) fut corsaire, peintre, dessinateur, graveur et écrivain. On lui doit des peintures de marine, mais aussi toute une série de "pêche" dont cette pêche aux aloses, huile sur toile de 1835. Un catalogue d'époque dit que cette vue est "prise en amont de la ville d'Agde sur la rive gauche de l'Hérault". Il pourrait s'agit du moulin des évêques, bâti en 1175 et ayant connu de multiples ré-aménagements jusqu'à nos jours (voir Nepipvoda 2018). La toile montre une dizaine de pêcheurs qui ont étendu filets et nasses à l'exutoire d'un moulin à deux roues. D'autres s'affairent sur la chaussée empierrée à blocs grossiers du moulin. L'espèce concernée serait l'alose feinte du Rhône (Alosa Fallax rhodanensis), une sous-espèce d’Alosa fallax. Endémique au bassin méditerranéen, elle vit en mer et remonte dans les cours d’eau pour se reproduire. Elle parcourait à l'origine l'axe rhodanien jusqu'au lac du Bourget et au bassin Saône-Doubs (voir Lebel et al 2001), où elle est encore documentée en première partie de XXe siècle. Les grands barrages du Rhône ont par la suite limité sa répartition aux portions aval des fleuves côtiers.

Merci à Christian Lévêque qui nous a signalé lors des rencontres estivales de l'association cette belle oeuvre, que l'on peut voir reproduite avec d'autres dans son livre sur la mémoire des fleuves et des rivières.

01/08/2019

L'écologie aquatique face aux nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs ayant développé un modèle du lac Victoria revient dans une publication récente sur la nécessité d'acter la réalité des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par l'humain au fil de l'histoire, mais aussi de prendre en compte les effets de l'Anthropocène sur les dynamiques accélérées du vivant. C'est une tendance de fond en écologie scientifique, s'opposant à certaines visions du 20e siècle qui voyaient la nature comme une référence stable dans le temps et un phénomène susceptible de revenir facilement à son état antérieur après perturbation.  Cette idée est dépassée mais elle irrigue encore des textes de programmation publique, comme la directive cadre européenne sur l'eau. Nous avons besoin d'une révision des concepts et des pratiques en écologie de l'eau.

Les modèles mathématiques sont désormais des outils essentiels pour construire nos connaissances sur les relations complexes de causalité entre activités humaines et impacts environnementaux, afin de les traduire en hypothèses et scénarios de développement durable. Les modèles climatiques en sont un exemple connu. On voit aussi émerger des modèles hydro-écologiques. Wolf M Mooij et ses collègues ont développé à partir de l'étude du lac Victoria le modèle PCLake, d'abord pertinent pour des lacs peu profonds, puis généralisé aux lacs profonds, et en cours d'extension sur des zones humides.

Les auteurs exposent "trois défis majeurs" pour améliorer l'applicabilité de tels modèles d'écosystème aquatique (des modèles écologiques en général) au développement durable en période de changement environnemental mondial :
"Le premier défi découle de la notion selon laquelle si le changement de société entraîne un changement environnemental, il conduira finalement à des réponses adaptatives chez les organismes et les espèces par le biais d'une dynamique éco-évolutive. Deuxièmement, étant donné que chaque espèce résout le 'puzzle adaptatif' d’une manière unique ou peut s’éteindre, cela entraînera de nouvelles interactions entre espèces et une nouvelle dynamique écosystémique. Troisièmement, non seulement les écosystèmes mais aussi les sociétés montrent des réponses non linéaires et parfois hystérétiques au stress, conduisant à une dynamique socio-écologique compliquée. Ces défis sont logiquement organisés selon un axe de complexité qui va des individus aux sociétés entières."
Ce schéma montre que les espèces répondent à des changement selon deux régimes, l'un comportemental (au cours de la vie de l'individu et de la population locale), l'autre évolutif (par micro-évolution faisant bifurquer la trajectoire de l'espèce).


Les auteurs remarquent : "Les systèmes biologiques ont deux mécanismes fondamentalement différents pour s'adapter aux conditions environnementales changeantes: par l'adaptation écologique ou évolutive. Au sein du domaine écologique, les organismes peuvent réagir à des conditions locales changeantes, par le biais de leur comportement et de leur plasticité phénotypique, à des échelles de temps différentes, ou en évitant ces conditions changeantes par le mouvement ou la migration. Les communautés d'espèces peuvent réagir aux conditions locales changeantes en procédant au tri des espèces ou en évitant ces conditions en modifiant leur aire de répartition. Aucune de ces réponses ne nécessite d'évoluer en modifiant la constitution génétique d'organismes ou d'espèces, mais la plupart de ces réponses créent de nouveaux régimes de sélection et peuvent donc conduire à une microévolution. Cette microévolution peut alors à son tour invoquer de nouvelles réponses écologiques conduisant à une dynamique éco-évolutive."

Autre enjeu de l'Anthropocène : les interactions rapidement changeantes entre espèces.


Les chercheurs commentent : "Les interactions entre les espèces dans les réseaux trophiques ont évolué dans des conditions relativement stables de l’Holocène, et se modifieront radicalement en raison des changements rapides de l’environnement mondial dans l’Anthropocène. Par exemple, les espèces envahissent (1), remplacent potentiellement d’autres espèces (2), disparaissent (3), ont des réponses phénotypiques différentielles menant à une inadéquation trophique (4), ou s’adaptent en exploitant une nouvelle ressource (5), toutes conduisant à nouvelle dynamique des écosystèmes."

Un point soulevé par les scientifiques retient notre attention : la dynamique des nouveaux écosystèmes et le changement de paradigme dans la recherche en écologie.

Wolf M Mooij et ses collègues soulignent ainsi : "Reconnaître l'émergence de nouveaux écosystèmes stimulera une nouvelle approche de la gestion et de la modélisation des écosystèmes. Jusqu'à récemment, la restauration écologique était la vision dominante selon laquelle nous devions essayer de préserver autant que possible la biodiversité et les zones naturelles de la Terre qui se sont développées pendant le climat relativement stable de l'Holocène et qui étaient toujours en place au début de la grande accélération. Dans ce paradigme, il semblait logique de centrer nos modèles d'écosystème et de paysage sur la nature telle qu'elle était jadis. Une compréhension complète des changements en cours dans l'Anthropocène a donné lieu à une vision radicalement différente de la restauration écologique et à l'émergence du concept de nouveaux écosystèmes. Les nouveaux écosystèmes font partie de l’environnement et de la niche humains, y compris les zones urbaines, suburbaines et rurales, mais se déploient également là où la plupart des espèces endémiques se sont éteintes, qu’elles soient ou non dues aux invasions d’exotiques. En l’absence d’analogues naturels, les modèles pourraient servir de réalité virtuelle pour estimer ce qui serait possible au sein de nouveaux écosystèmes."

Discussion
Les politiques européennes de l'eau, rassemblées dans la directive cadre européenne 2000, ont introduit voici 20 ans la notion d'un "état de référence" d'une rivière ou d'un lac : ce à quoi devrait ressembler la biologie, la physique, la chimie de la masse d'eau. Cette démarche s'inscrit dans la nécessité pour toute technocratie voulant poser une norme d'avoir une métrique de mesure de la normalité et de l'écart à la normalité. Mais on peut bien sûr se demander s'il existe la moindre "normalité" dans l'évolution du vivant et si le rôle d'une autorité bureaucratique est de statuer sur cette normalité.

Au-delà de sa dimension politique, cette idée de l'état de référence d'un milieu est surtout issue d'une recherche en écologie du 20e siècle qui a été largement dépassée au cours des 3 dernières décennies (lire par exemple Bouleau et ont 2014, 2015; Alexandre et al 2017; Lévêque 2017; Backstrom et al 2018 ; Evans et Davies 2018). Ainsi :
  • l'influence humaine sur le vivant est bien plus ancienne qu'on le croyait, elle est observable dès le néolithique et des milieux perçus comme "vierges", "sauvages", "naturels" ne le sont pas en réalité. Avec des changements globaux comme la modification du régime thermique et hydrologique (changement climatique) ou l'introduction continue de nouvelles espèces sur tous les continents (globalisation), il est manifeste que le cadre ancien de représentation est inadapté à nos réflexions;
  • le vivant est aussi plus dynamique qu'on ne le pensait, il ne tend pas spontanément vers un état d'équilibre stable (le "climax" comme on l'appelait) mais il s'ajuste plutôt en permanence à des changements locaux ou globaux (la vie n'est pas "à l'équilibre" au sens où les milieux que nous voyons sous nos yeux, et qui paraissent parfois stables, répondent en réalité à divers changements déjà impulsés, dont la période d'action va du jour au siècle voire au millénaire);
  • la dynamique du vivant est non-linéaire et non-réversible, l'imaginaire physique du pendule qui revient à son état initial lorsqu'on cesse une action (imaginaire irriguant le modèle "pression-impact-réponse") n'est pas adapté à la réalité biologique et écologique (à la fois parce qu'il y a un très grand nombre de paramètres en interaction dans un écosystème, faisant émerger des réponses chaotiques, et parce que les propriétés biologiques sont capables de mutations, comme si le pendule ne se contentait pas de répondre à une poussée mais changeait sa forme et sa masse selon les poussées).
Les limites de "l'état de référence" et de la "restauration" d'écosystèmes dans un état antérieur sont probablement celles qui s'opposeront aussi en partie à l'objectif de Wolf M Mooij et de ses collègues d'obtenir des modélisations vraiment opérationnelles. On peut certes mieux décrire la complexité, mais de là à la dompter dans un modèle pour affirmer au décideur qu'un état futur d'un écosystème est prédictible, il y a un pas qui éveille notre scepticisme. Nous sommes plus vraisemblablement condamnés à prendre des décisions en situation structurelle d'incertitude sur leurs conséquences dès qu'on s'éloigne un peu dans le temps. Ce qui devrait nous pousser à débattre du régime de ces décisions en écologie, et à y ré-affirmer le rôle premier de la société.

Référence : Mooij WM et al (2019), Modeling water quality in the Anthropocene: directions for the next-generation aquatic ecosystem models, Current Opinion in Environmental Sustainability, 36, 85–95

29/07/2019

Députés et sénateurs engagent la France à développer la petite hydro-électricité

Malgré l'opposition du gouvernement, le sénat et l'assemblée nationale ont appelé la politique énergétique et climatique de la France à "encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Ce choix des élus est une avancée pour la transition bas carbone, avec des dizaines de milliers de sites déjà en place qui sont susceptibles d'être relancés, pourvu qu'ils rencontrent désormais le soutien et non le frein de l'administration en charge de l'eau. Le parlement acte par ce texte les avis exprimés par la commission nationale du débat public lors de la discussion de la programmation énergétique avec les citoyens en 2018, la décision récente de 2019 du conseil d'Etat soulignant que la petite hydro-électricité est d'intérêt général aussi bien les directives de l'Union européenne appelant à développer cette hydro-électricité, y compris des puissances modestes en autoconsommation. Ce choix peut être lu comme un désaveu manifeste (venant après plusieurs autres) de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité en long, alors que de nombreuses solutions permettent de faire circuler des poissons migrateurs sans altérer le patrimoine hydraulique français. La politique de l'eau ne peut plus se permettre d'opposer stérilement l'énergie, la biodiversité, la patrimoine, mais doit les concilier.  


La "petite loi" énergie et climat avait pour but de traduire dans le droit la programmation pluri-annuelle de l'énergie de la France, et ses objectifs visant à la neutralité carbone en 2050. Le respect des accords de Paris demande une baisse des émissions carbone de la France dès 2020, cela de manière soutenue et continue pendant 30 ans. Toutes les ressources en énergie du territoire vont devoir être mobilisées pour relever collectivement ce défi.

Dans l'ultime session d'examen et discussion par la commission mixte paritaire de l'assemblée nationale et du sénat, dont les travaux se sont achevés la semaine dernière, un texte de consensus a été adopté par les deux chambres.

Au terme de ce texte, l'article L 100-4 du code de l’énergie sera modifié de la sorte :
"Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique nationale a pour objectifs (...) 4° D’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité".

La loi sera définitivement votée à la rentrée de septembre, en conformité obligatoire au texte venant d'être adopté en commission mixte paritaire.

C'est un progrès important, puisque l'ensemble des arrêtés de programmations politico-administratives relatives à l'eau et à l'énergie (SDAGE, SAGE, SRADDET, PCET, etc..) devra désormais prendre en compte cette orientation.

Nous remercions vivement les nombreux parlementaires qui ont réclamé et soutenu cette évolution. Nous déplorons que François de Rugy (devant l'Assemblée nationale) et Emmanuelle Wargon (devant le Sénat) aient pris des positions négatives sur cette nécessité de soutenir l'énergie hydraulique, et en particulier la petite hydro-électricité. Il est dommage que le pouvoir exécutif, à nouveau mal conseillé par sa haute administration de l'eau, persiste dans des schémas qui ne sont plus pertinents face à l'évolution des enjeux écologiques et énergétiques.

Ce choix de soutenir l'hydro-électricité est un choix de bon sens :
  • il existe 25 000 sites que l'on peut relancer en France
  • l'hydraulique a le meilleur bilan carbone quand elle se produit à partir de sites déjà en place (avec un minimum de génie civil), 
  • la relance des sites existants (chaussées de moulins et forges, petits barrages, digues, écluses...) ne crée pas de nouveaux impacts sur la rivière, sa morphologie, ses habitats en place, 
  • l'énergie hydraulique jouit d'une bonne insertion paysagère et d'un soutien social, en particulier dans les communes rurales où les moulins sont nombreux.
Le vote de la commission mixte paritaire est un désaveu supplémentaire de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui se trouve régulièrement contestée, amendée ou contredite par les parlementaires depuis 5 ans, et cela de manière transpartisane à chaque fois. C'est également un désaveu des arbitrages défavorables de l'administration lors des relances de moulins, forges ou autres sites anciens, qui ont été condamnés par le conseil d'Etat en 2019 dans l'arrêt moulin du Boeuf, mais qui sont aussi condamnés à terme par la directive européenne sur l'énergie de décembre 2018, appelant tous les Etats-membres à accélérer et simplifier l'hydro-électricité, y compris en autoconsommation (donc en petites puissances).

Notre pays ne veut pas voir disparaître ses ouvrages hydrauliques, mais les ré-engager dans une trajectoire énergétique et écologique : ce message doit être entendu.

La prime actuelle à la destruction des ouvrages hydrauliques susceptibles de produire de l'énergie est désormais anachronique : la direction de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'écologie, les services instructeurs de l'Etat, les agences de l'eau, les syndicats et parcs en charge de la GEMAPI ont vocation à intégrer rapidement cette approche et à cesser d'accorder des avantages ou des priorités à des solutions visant à démolir les chaussées et barrages. Cette orientation conflictuelle était non seulement contraire au déploiement rapide de la production bas-carbone sur toutes les rivières françaises, mais elle était aussi contestée pour ses nombreux impacts négatifs sur le patrimoine, le paysage, l'agrément, la disponibilité de l'eau, la régulation des crues et étiages, la préservation des milieux aquatiques et humides installés autour des sites anciens.

Les associations et syndicats devront s'assurer après l'adoption définitive de la loi à la rentrée que ces nouvelles directions énergétiques nationales sont suivies d'effet dans la politique de l'eau, en signalant à leurs préfets comme à leurs parlementaires les éventuels freins à la relance de la petite hydro-électricité.

Illustration : le moulin de Lugy, Hauts-de-France, DR

26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)

25/07/2019

La notion de zone humide change dans le droit: il sera plus facile de protéger les plans d'eau et biefs

Le conseil d'Etat avait estimé en 2017 que deux critères cumulatifs (présence d'eau et de plantes d'eau) définissent la zone humide. La loi vient de changer et d'en faire des critères alternatifs (soit de l'eau, soit des plantes d'eau). Nous rappelons que les biefs, canaux, plans d'eau, étangs, lacs sont des zones humides au sens de la loi, à ce titre protégées par elle : leur assèchement sans compensation par chantier de destruction d'un ouvrage hydraulique répartiteur peut (et doit) être attaqué en justice. 


Cette rigole de déversoir de moulin est une zone humide au sens de la loi. La présence temporaire ou permanente d'eau y dépend de l'ouvrage répartiteur sur la rivière (qui alimente le bief, le bief alimentant lui-même la rigole par son déversoir).  

Jadis abondantes, un grand nombre de zones humides naturelles ont disparu sous l'effet des usages urbains, agricoles et industriels des sols. Il en va aussi de même pour certaines zones humides artificielles, comme les innombrables étangs piscicoles ou retenues et canaux d'irrigation qui agrémentaient chaque vallée même modeste sous l'Ancien Régime. Le rapport Bernard de 1996 avait estimé que les 2/3 des zones humides ont disparu entre la fin du 19e et la fin du 20e siècle, surtout après 1945 du fait de la mécanisation (jusqu'à 100 000 hectares de drainage par an dans les années 1980, encore aujourd'hui l'équivalent d'un département artificialisé tous les 10 ans). Les choses ont changé avec leur protection à compter des années 1990.

En droit français, la notion de zone humide est définie dans l'article L 211-1 du code de l'environnement, qui avait été précisée par un arrêté du 24 juin 2008.

Dans une décision récente (22 février 2017, n°386325), le Conseil d’État avait exigé que deux critères cumulatifs (et non alternatifs) soient retenus :
  • terrain habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire;
  • végétation dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année.
Le gouvernement avait acté cette évolution par une note technique du 26 juin 2017.

Votée ce mois de juillet 2019, la loi portant création de l'office français de la biodiversité a, dans l'un de ses amendements, fait évoluer l'article L 211-1 du code de l'environnement. Elle est revenue à la définition alternative de la zone humide :
  • soit la présence d'eau permanente ou temporaire,
  • soit des espèces de plantes hygrophiles.
Nous rappelons à toutes les associations ainsi qu'à tous les propriétaires d'étang et de moulin que cette protection des zones humides s'applique à tous les éléments en eau de leurs biens qui risqueraient d'être asséché de manière permanente et de changer de nature (devenir un milieu sec) du fait d'un chantier de destruction d'ouvrage.

Un syndicat, un parc, une fédération de pêche qui proposerait des mesures de continuité en long menant à réduire la superficie de zones humides, sans proposer dès la phase chantier des mesures de compensation au moins équivalente à la surface des pertes induites, pourra donc être attaqué en justice au motif de non respect du 1-1° de l'article 211-1 du code de l'environnement.

Les grands textes internationaux comme la recherche scientifique en écologie reconnaissent volontiers que des zones humides peuvent être d'origine artificielle et correspondre à des aménagements humains. La rapport Bernard 1994 le disait déjà de manière claire : "les zones humides qui demeurent aujourd'hui en France ne sont pas, pour la plupart, des espaces "naturels" au sens strict du terme: elles sont le fruit des transformations faites par l'homme au cours des siècles dans des buts précis" (p. 55).  Mais l'administration française de l'écologie a parfois des problèmes avec cette évidence, ne montrant trop souvent d'intérêt que pour les écoulements supposés "naturels", poussant parfois à la destruction de milieux anthropiques d'intérêt au principal prétexte qu'ils contreviennent à une "naturalité" assez théorique (quand ce n'est pas une "continuité" devenue dogmatique).

Pour pallier ces interprétations douteuses de la réalité, mettant en danger des zones humides qu'il convient de préserver et non d'assécher, il serait donc utile que les parlementaires réfléchissent à une nouvelle évolution de la loi, en précisant explicitement dans le L211-1 du code de l'environnement que le caractère de zone humide s'apprécie de manière indépendante de l'origine naturelle ou artificielle du site. Mais quoi qu'il en soit, le texte de loi en sa rédaction actuelle permet déjà de protéger toutes les sites en eau de manière permanente ou temporaire, avec ou sans végétation hygrophile.

A lire en complément :
Biefs, canaux et étangs sont des zones humides au sens de Ramsar 
La définition juridique des zones humides 
Les milieux humides et aquatiques sont fragiles… alors cessons de les détruire et de les assécher! 
Les amphibiens et leur protection en France, un enjeu pour les moulins, étangs et plans d'eau 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau