03/03/2020

Les attitudes intégristes contre les barrages et moulins, un "verrou majeur à faire sauter" pour une continuité écologique apaisée

L'Etat soutient officiellement une "continuité écologique apaisée" après 10 ans de contentieux et conflits au bord des rivières face à des pelleteuses détruisant le patrimoine de l'eau, ses usages et ses milieux. Mais nous constatons que certaines administrations et certaines associations à agrément public tiennent un tout autre langage dans les médias, ou sur le terrain. En témoigne un récent reportage de la Nouvelle République sur le bassin de la Loire. Avec l'échec de 45 ans de politique sur les poissons grands migrateurs, des centaines de millions à milliards € d'argent public dépensés en un demi-siècle sur ce sujet très spécialisé, des ouvrages hydrauliques détruits partout au grand dam des riverains, des autres enjeux écologiques négligés au profit de dépenses centrées sur des intérêts halieutiques, des causes majeures de pollution jamais efficacement traitées et une lutte contre le réchauffement en berne, ces acteurs publics de l'eau ne sont plus en position de poser aujourd'hui en donneurs de leçon et en procureurs des usages légitimes de la rivière. Il n'y aura pas de continuité apaisée si le dogmatisme et l'intégrisme anti-ouvrages persistent dans la parole publique en France. 



Voici ce que dit le journal la Nouvelle République dans son édition du 1er mars

"Le rétablissement de la continuité écologique est pour Aurore Baisez et Pierre Steinbach plus que jamais d’actualité, même si cette politique d’effacement des ouvrages d’art sur les rivières fait souvent grincer des dents localement. «D’un côté, les seuils, barrages et retenues contribuent aux phénomènes d’évaporation, d’augmentation de la température de l’eau et de réduction des débits, note Pierre Steinbach, de l’autre, ces ouvrages constituent autant d’obstacles dangereux, parfois infranchissables pour les migrateurs.» Les spécialistes rappellent que l’effacement de certains ouvrages d’art par le passé – le barrage du lac de Loire à Blois en 2009, celui de Maison-Rouge dans la Vienne – a démontré son efficacité sur les populations de poissons migrateurs. «Il y a près de 13.000 obstacles sur l’ensemble du bassin de la Loire, pointe Aurore Baisez, leur accumulation le long de la route de migration crée des retards qui compromettent les chances de reproduction.» Parmi ces obstacles, certains sont identifiés comme des verrous majeurs à faire sauter : démantèlement, brèche, gestion des ouvertures, plusieurs solutions existent «et la passe à poissons est la moins bonne de toutes !» prévient Aurore Baisez. Elle est pourtant souvent choisie, même si ce n’est pas la moins onéreuse…"

Aurore Baisez est directrice de Logrami, Loire grands migrateurs, une structure des fédérations de pêche reconnue publiquement par le décret du 16 février 1994 sur la gestion des poissons amphihalins. Pierre Steinbach est agent de l’Office français de la biodiversité, qui a pris la place des anciens AFB (créé en 2016), Onema (créé en 2006) et Conseil supérieur de la pêche (créé en 1948). Ces acteurs représentent donc une parole publique sur l'eau. Une parole que, hélas, on entend un peu partout à l'identique.

Nous contestons la présentation qui est faite des ouvrages hydrauliques:

  • il est trompeur de parler des seuils (chaussées de moulin) et des barrages comme s'ils représentaient une seule réalité, les témoignages historiques montrent par exemple que le saumon remontait jusqu'en tête de bassin de Loire à l'époque des moulins et étangs fondés en titre
  • il est faux d'affirmer en toute généralité qu'une retenue évapore davantage que le même tronçon naturel et qu'elle présente un moins bon bilan hydrique annuel, le contraire a déjà été mesuré (voir Al Domany 2017, Al Domany et al 2020),
  • certaines rivières du bassin de Loire (et d'ailleurs) où la destruction de barrages, seuils, digues a été opérée sans discernement depuis 10 ans sont devenues en été des cloaques réchauffés, pollués, sans lame d'eau et colonisés par des invasives (voir par exemple le Vicoin, le Thouet),
  • le bilan ichtyologique de 30 ans de politique des grands migrateurs vient d'être tiré dans une publication (Legrand et al 2020), ce bilan n'est pas spécialement bon (nous y reviendrons en détail dans un prochain article), les auteurs du bilan admettent eux-mêmes qu'ils ne trouvent pas de lien significatif avec la continuité écologique, 
  • malgré les millions à milliards € de dépenses publiques depuis les premiers plans saumon des années 1970 et la loi pêche de 1984 (puis la loi de 1992, la loi de 2006), les migrateurs ne sont pas de retour sur de nombreuses rivières, voire continuent de décliner, tandis que l'argent dépensé sur cette seule question très liée au loisir pêche est un argent qui ne profite pas aux autres enjeux de l'écologie des milieux aquatiques et humides,
  • sur l'axe Loire-Allier en particulier, l'un des plus travaillés par ces politiques de restauration, le bilan des plans saumon entre 1976 et aujourd'hui (44 ans d'action) est mauvais, les taux de retour du saumon ont baissé et n'ont jamais retrouvé ceux des années 1970, l'introduction de saumon d'élevage par la pisciculture de Chanteuges soutient les effectifs mais modifie la souche sauvage.


Effectif saumon à Vichy (Allier) entre les années 1970 et les années 2010.



Effectif saumon à Vichy (Allier) entre 1997 et 2019 (source des données : ©Logrami)


En dehors des propos sur les ouvrages, ces deux acteurs rappellent selon le même journal d'autres réalités:

  • une eau qui se réchauffe et qui a atteint 32,7° en été 2019 dans le chenal d’Orléans,
  • une baisse de l'alose récente (années 2000) qui ne peut pas être causalement liée à des ouvrages présents depuis 100 à 500 ans (mais l'Onema déjà avait pris l'habitude d'accuser à tort et à travers les barrages), tout comme d'ailleurs la chute des anguilles datant des années 1970-1980, donc sans lien aux moulins et étangs anciens,
  • une mortalité mal estimée due à la pêche professionnelle en Loire,
  • une variation des cycles océaniques des poissons amphihalins dont les causes ne sont pas encore bien élucidées, ni même l'ampleur connue.

Entre le peu d'effet des millions d'euros consacrés à détruire les ouvrages, les variations démographiques récentes des poissons qui sont de toute évidence sans lien direct à des ouvrages présents à l'époque où ces poissons abondaient encore, les menaces majeures qui pèsent sur les milieux aquatiques (la pollution n'est pas citée), comment peut-on persister dans de mauvais choix publics?

Par ailleurs, la continuité écologique pose problème en France car un certain nombre d'acteurs publics ayant l'écoute préférentielle des pouvoirs publics considèrent que le comptage de poissons migrateurs est l'alpha et l'omega de la rivière. Ou bien que revenir à un style "sauvage" de cette rivière est le seul enjeu valable, le seul horizon possible. Ou bien que détruire des ouvrages est un but de la loi française, ce qui est un mensonge maintes fois répété mais maintes fois dénoncé par les parlementaires eux-mêmes, excédés de la destruction sans fondement législatif du patrimoine du pays.

Cette dérive doit cesser.

Une rivière est un phénomène complexe, historique, social, paysager, économique, énergétique, ludique et pas seulement un fait naturel que l'on pourrait et devrait réduire à cette dimension naturelle. Une rivière est aussi ce que ses riverains font et veulent pour elle — les riverains, pas juste des experts qui diraient le vrai et le bon au nom de toute la société.  Nous devons sortir d'un intégrisme et d'un dogmatisme anti-ouvrage qui ont produit toutes les divisions que l'on déplore depuis 10 ans: il n'y aura aucune "continuité apaisée" si des représentants de l'Etat ou d'associations ayant le soutien de l'Etat ne cessent pas la diabolisation des ouvrages humains des rivières, ne reconnaissent pas le caractère historiquement modifié et socialement construit de ces rivières, n'engagent pas un dialogue ouvert entre l'écologie des poissons migrateurs et d'autres savoirs, d'autres usages, d'autres attentes.

01/03/2020

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)

Une étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. Ce travail, fondamental, remet en question la robustesse et la sagesse des choix opérés en matière de suppression des ouvrages humains des bassins versants. C'est un sujet grave à l'heure où le changement climatique rend incertain l'avenir de la ressource en eau pour la société et le vivant. Le débat français sur les ouvrages hydrauliques a été grevé dès le départ par des préjugés, avec déjà dans le passé récent des assertions fausses sur l'auto-épuration. Cela continue aujourd'hui avec des généralités inexactes sur l'évaporation et les sécheresses. Une politique publique ne peut inspirer la confiance si elle repose sur de tels procédés. Nous devons exiger un débat démocratique et des expertises contradictoires sur la question de la continuité écologique et, plus largement, sur les attendus de "renaturation" des bassins versants. Et d'ici là, protéger les milieux menacés par des choix mal informés.



Mohammad Al Domany, Laurent Touchart, Pascal Bartout et Quentin Choffel (Université d’Orléans, Laboratoire CEDETE) travaillent notamment sur les milieux lentiques des étangs et plans d'eau. L'équipe vient de publier un travail sur le Limousin, dont nous proposons ici une synthèse. L'article comporte aussi des développements de recherche sur le calcul et la modélisation de l'évapotranspiration en fonction des couverts végétaux, non évoqués ici car intéressant le public expert.

Le constat : les autorités publiques de l'eau critiquent l'évaporation estivale des plans d'eau et étangs sans mesure de l'évaporation des autres milieux
"«En région Poitou-Charentes, Pays de Loire et Centre, les très nombreux plans d’eau situés en tête de bassin-versant accentuent fortement l’intensité des étiages, d’autant plus que ceux-ci ont le plus souvent été aménagés sur d’anciennes zones humides» (Boutet-Berry et al., 2011, p. 27). Cette affirmation de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (devenu AFB depuis) représente le discours officiel des autorités françaises, exprimé de la même manière dans les documents internes des agences de l’eau, des syndicats de bassin, des schémas d’aménagement et de gestion des eaux ou encore des contrats de rivière. La justification répétée de cette assertion se trouve être que les étangs du centre- ouest de la France évaporeraient en moyenne, en été, un demi-litre par seconde par hectare, soit la perte d’une tranche d’eau de cent trente millimètres par mois. Or il manque dans ces documents une comparaison avec les autres milieux géographiques. En effet, la perte d’eau, ou «la forte accentuation de l’étiage» n’est pas une question absolue, mais relative. L’étang évapore certes, mais la zone humide (ZH) qui existait avant la mise en eau de l’étang ou qui reprendra sa place après «l’effacement», prôné par les autorités, évapotranspirera elle aussi. Si mise en accusation de l’étang il doit y avoir, elle ne peut se fonder sur son évaporation, mais sur l’éventuelle surévaporation qui se produit en dépassement de l’évapotranspiration (ET) du terrain qui a existé ou existera en lieu et place de la nappe d’eau libre."

Les résultats en recherche internationale : les surfaces de plans d'eau n'évaporent pas toujours davantage que des milieux naturels végétalisés
"À l’échelle mondiale, dans différents milieux climatiques, un certain nombre de chercheurs ont montré depuis longtemps que l’évaporation d’une nappe d’eau libre n’était pas forcément supérieure à l’ET d’un terrain humide où les plantes ne souffrent pas de stress hydrique. En Floride, certains ont noté que l’évaporation d’un plan d’eau était supérieure à l’ET des plantes de ZH pendant la saison de repos végétatif, mais qu’elle lui était inférieure quand les plantes se trouvaient dans leur stade de croissance maximale (DeBusk et al., 1983). En Égypte, A. Rashed et ses collaborateurs (2014) ont quantifié par des mesures directes le fait que l’évaporation d’une surface d’eau libre était toute l’année inférieure à l’ET des plantes de ZH. En Floride, les plantes étudiées étaient la Jacinthe d’eau et la Petite Lentille d’eau, en Égypte, il s’agissait des deux mêmes, auxquelles s’ajoutaient la Massette, le Roseau et le Millet rampant.
Dans la zone tempérée européenne, de nombreux résultats sont analogues. Que ce soit en Russie occidentale (Uryvaev, 1953), en Allemagne (Gessner, 1959, Herbst et Kappen, 1999), en Roumanie (Stan et al., 2016), l’évaporation des petits lacs naturels (de la taille des étangs artificiels français) est plus faible que l’ET des hélophytes selon un rapport variant entre 1,5 et 3 à l’échelle annuelle. Dans les petits plans d’eau d’Allemagne du nord (Herbst et Kappen, 1999), l’évaporation a été inférieure à l’ET lors de trois des quatre années de mesures. En Roumanie, dans le cas du lac Caldarusani, l’évaporation estivale était de 4,3 mm/j, cependant que l’ET des plantes était de 10,3 mm/j."


Plan des sites étudiés, Extrait de Al Domany et al 2020, art cit.

Le site étudié : étang et sagne en Haute-Vienne
"À l’intérieur de la Haute-Vienne, le site d’étude se trouve précisément à une dizaine de kilomètres au sud-est de Limoges, sur les communes de Feytiat et Eyjeaux. Il s’agit, en tête de bassin d’un ruisseau affluent de la Valoine, elle- même se jetant dans la Vienne quelques kilomètres en aval, de la chaîne des cinq étangs du Petit Crouzeix, précédée d’une sagne. Celle-ci, formée d’une jonchaie, provient d’un ancien étang, rompu dans les années 1970. Les mesures quotidiennes d’évaporation prises entre le 1er mars et le 30 septembre 20185 ont été effectuées sur celui des cinq plans d’eau situé le plus en aval, l’étang des Halbrans, celles d’ET du jonc sur la prairie humide située à l’amont, la sagne de Chantecaille. Les deux sites de mesures, en continuité topographique (même vallon) et hydrographique (même ruisseau), se trouvent à seulement 1 km de distance. Ils sont soumis au «climat océanique altéré» (température moyenne annuelle supérieure à 11 °C, précipitations dépassant 700 mm/an) de la classification de Joly et al. (2010). Les précipitations y tombent tout au long de l’année avec un minimum en saison estivale et un maximum de saison hivernale."

Le résultat des mesures : l'étang améliore la disponibilité en eau
"Dans le cadre d’une année 2018 plus chaude que la normale, dont le printemps était pluvieux, favorisant une ET maximale des plantes, et l’été sec, provoquant une évaporation maximale des nappes d’eau libres, nos mesures sur les sept mois allant de mars à septembre ont montré que la sagne de Chantecaille perdait près d’une fois et demie plus d’eau que l’étang situé à côté. Sur cette période, les coefficients culturaux moyens du jonc et du gazon ont été respectivement de 1,35 et 1,48. Ainsi, dans les conditions précitées, un étang ne provoque pas de surévaporation et de diminution de la ressource en eau, mais il augmente au contraire la disponibilité en eau du milieu, alors qu’une ZH la réduit, car elle évapotranspire plus en direction de l’atmosphère. De même, le décalage temporel potentiellement généré par l’étang pour la reprise de l’écoulement en aval de celui-ci en période d’étiage est infime par rapport à une ZH saturée en eau."


Comparaison de l'étang et de la zone humide naturelle. Les variations quotidiennes de l’évaporation et de l’évapotranspiration mesurées à l’étang des Halbrans et à la sagne de Chantecaille entre le 1er mars et le 30 septembre 2018. Extrait de Al Domany et al 2020, art cit.

La synthèse du travail
"Malgré la rareté des études reposant sur des méthodologies scientifiques rigoureuses pour estimer la quantité d’eau perdue des étangs français via l’évaporation, les autorités les considèrent comme une cause majeure de l’étiage estival du chevelu hydrographique de tête de bassin. L’évaporation des étangs enregistre ses taux les plus élevés en été, mais les études antérieures avaient négligé la quantité d’eau pouvant être perdue par l’évapotranspiration des plantes qui remplaceraient ces étangs s’ils étaient effacés. Dans cette recherche nous adaptons une approche basée sur l’éventuelle surévaporation qui se produit en dépassement de l’évapotranspiration du terrain qui a existé ou existera en lieu et place de la nappe d’eau libre. Des mesures directes de l’évaporation d’un étang et de l’évapotranspiration des plantes occupant le fond d’un ancien étang rompu ont été prises entre le 1er mars et le 30 septembre 2018 en Limousin. Les résultats montrent que la prairie humide a perdu 1,37 fois la quantité d’eau perdue par l’étang voisin. Concernant l’évapotranspiration, la comparaison entre les calculs des formules mathématiques et les mesures prises in situ montrent que la méthode de Penman-Monteith ne prend pas en considération le stade végétatif des plantes. Concernant l’évaporation, la formule « Aldomany » donne des valeurs proches des mesures réalisées sur l’étang, l’écart moyen n’étant que de 6,4 %. Les méthodes mathématiques utilisées dans cette recherche peuvent fournir des estimations acceptables de l’évapotranspiration réelle des prairies humides si le coefficient cultural calculé dans cette étude (1,37) est pris en considération."

Discussion
Ce travail tout à fait fondamental de Mohammad Al Domany et de ses collègues nous dit que le discours binaire souvent entendu de la part des représentants de l'administration et des syndicats de rivière — l'ouvrage hydraulique est toujours mauvais, la solution fondée sur la nature est toujours bonne — est imprécis, voire inexact. Et dangereux à l'heure où le changement climatique est en train de bouleverser les conditions de température et de précipitation de nos bassins versants. Comme l'écrivent les auteurs : "en termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."

Ce sujet doit être interprété à la lumière d'une certaine dérive des politiques de l'eau en France.

Au cours des années 1990, les services du ministère de l'écologie et des agences de l'eau ont développé une nouvelle doctrine de gestion publique des rivières. A côté de la lutte contre les pollutions des cours d'eau par des composés chimiques de synthèse, l'administration a développé le schéma d'une "restauration écologique" qui inclut également des dimensions morphologiques et hydrologiques (voir Morandi 2016). A la base théorique de ce schéma, on trouve une opposition entre un milieu naturel sans humain, qui serait une référence du fonctionnement normal et souhaitable d'un bassin versant, et un milieu modifié par l'humain, qui serait une dégradation par rapport à l'état idéal ancien des milieux. Une des conséquences de cette nouvelle orientation a été la désignation des ouvrages hydrauliques (barrages, chaussées de moulins, digues d'étangs et plans d'eau) comme des problèmes supposément graves de l'écologie aquatique.

Au lieu d'assumer cette option pour ce qu'elle, à savoir d'abord un choix normatif, idéologique, sur ce que devrait être "la nature" et ici la rivière, les services techniques des administrations de l'eau ont prétendu que leur choix apportait toujours des gains objectifs de fonctionnalités écologiques et de services rendus par les écosystèmes à la société. En d'autres termes, il ne s'agissait pas seulement d'une vision particulière de la nature et de ce que devrait être la nature, mais aussi d'un intérêt général de la société qui trouverait de nombreux avantages à faire disparaître des lacs, des étangs, des canaux, des biefs et autres "anomalies" par rapport à un milieu naturel.

Ce discours a fini par devenir dogmatique, et trompeur. Ainsi, des services publics comme l'Onema (aujourd'hui OFB) ou les agences de l'eau ont prétendu que les ouvrages en rivières nuisaient à l'auto-épuration des polluants de l'eau, alors que c'est faux, comme cela a fini par être reconnu. Pareillement, il y a eu un déni de l'existence d'une biodiversité propre aux milieux aquatiques et humaines d'origine humaine : la soi-disant absence d'intérêt des canaux, étangs et plans d'eau pour la faune et la flore a été assénée et l'est encore en absence de toute mesure systématique de terrain. Or, la recherche scientifique européenne et internationale a amplement démontré le contraire. Que les ouvrages artificiels présentent certaines nuisances pour certaines espèces est une chose bien établie par la recherche en écologie et en histoire environnementale, mais prétendre qu'ils ne forment pas eux-mêmes de nouveaux écosystèmes à étudier comme tels n'a plus rien de scientifique.

Loin de reconnaître leurs imprécisions, erreurs et dans certains cas manipulations de l'information, certaines administrations persistent. Comme le changement climatique est devenu la première urgence publique en écologie au cours des dix dernières années, de nouveau éléments de langage sont apparus. Le problème des ouvrages ne serait plus leur (fantaisiste) nuisance à l'auto-épuration des rivières, mais le fait qu'ils évaporeraient l'eau, aggraveraient les sécheresses et nuiraient donc à la ressource comme au vivant. A cela s'opposerait la "solution fondée sur la nature", qui aurait forcément toutes les vertus et apporteraient à la société davantage de bienfaits, notamment en matière de rétention d'eau toute l'année et de lutte contre les étiages sévères. Sur ce sujet, des chercheurs conseillers des agences de l'eau se laissent parfois aller à des représentations trop simplifiées voire orientées de la recherche. Or, l'effet est catastrophique pour la suite : ce qui est émis comme hypothèse ou généralité au sommet des administrations devient vite un dogme au bord des rivières, où les élus comme les techniciens n'ont ni les bases de connaissance ni de toute façon les outils pour contrôler certaines assertions.

Pour les associations de protection de ouvrages hydrauliques, de leurs patrimoines et de leurs milieux, deux actions sont nécessaires :
  • assurer dans l'urgence la protection des sites menacés par des destructions, pas seulement au nom du paysage, du bâti et des usages, mais aussi aussi parce que l'on fait disparaître des milieux aquatiques et humides,
  • exiger la mise en place d'expertises scientifiques pluridisciplinaires, et si besoin contradictoires, sur la question des rivières et des plans d'eau, en particulier une vraie  politique de collecte de données et de recherche sur les nouveaux écosystèmes créés par l'usage humain millénaire des cours d'eau.

Référence : Al Domany M et al (2020), Une zone humide perd-elle autant, moins ou davantage d’eau par évapotranspiration qu’un étang par évaporation ? Etude expérimentale en Limousin, Annales de géographie, 731, 83-112

Illustration, en haut : un étang en Haute Vienne, Babsy, CC 3.0 

23/02/2020

La ministre de l'écologie avoue sa "perplexité" face à des destructions de moulins centenaires pour la continuité des rivières

Le sénateur Jean-Claude Tissot a saisi la ministre Elisabeth Borne sur l'intérêt des moulins, fournissant de l'électricité décarbonée à des milliers de foyers dans son département, et le parlementaire s'est étonné des barrières trop souvent opposées par l'administration à leur relance. Dans le débat qui a suivi, la ministre de la transition écologique et solidaire a bien essayé de défendre la "restauration des continuités écologiques", mais elle a dû confesser sa perplexité face à certains chantiers. Et pour cause, seule une dérive d'une fraction de l'administration et des syndicats de bassin a pu faire de ce sujet des moulins, étangs et plans d'eau un problème écologique, à l'heure où les bassins versants affrontent depuis plusieurs décennies des perturbations d'une toute autre ampleur: changement hydro-climatique, pollutions chimiques et sédimentaires, artificialisation des sols et berges, destructions des zones humides, prélèvements croissants en eau, espèces et pathogènes exotiques. Remettons les pieds sur terre, et remettons surtout les ouvrages hydrauliques au service d'une gestion écologique des rivières. 



En cours de discussion sur la programmation pluri-annuelle de l'énergie, le sénateur Jean-Claude Tissot (Loire) a saisi en ces termes l'attention d'Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :
"Je vais vous parler d’hydroélectricité, plus particulièrement des microcentrales.Récemment, j’ai eu l’occasion de visiter un moulin sur mon département, qui produit de l’électricité. A lui seul, il produit plus de 320 000 kilowattheures d’électricité par an. Sur mon département, les 14 moulins producteurs d’électricité en fournissent pour 2800 foyers.
Malgré cette production conséquente d’énergie renouvelable, les propriétaires sont confrontés à une administration particulièrement réticente à tout nouveau projet. Les seuils des moulins ont la mauvaise réputation de détruire la continuité écologique, en empêchant le passage des poissons et des sédiments. Les faits observés sur le terrain démontrent l’exacte inverse, les retenues des seuils ont permis de conserver l’eau durant différentes sécheresses et de pérenniser la vie aquatique même en période d’étiage.
Les gaz à effet de serre sont les véritables responsables de l’asséchement des cours d’eau. Donc empêcher le développement des microcentrales hydroélectriques, c’est lutter contre une des solutions productrices d’énergie renouvelable.
Ma question est très directe : Est-ce que vous prévoyez de faire une place pour cesmicrocentrales, qui pourraient à elles seules fournir une part de l’électricité dont nos concitoyens ont besoin ?"
Deux autres sénateurs avaient soulevé des points similaires, Évelyne Renaud-Garabedian et Alain Duran.

La question était claire, la réponse de la ministre le fut moins, comme on peut le voir dans ce film de séance (vers 18:57:20).

"On n'a pas un potentiel de petite hydraulique très important...", commence la ministre, vite interrompue par les sénateurs qui demandent s'il faut empêcher les relances de moulins formant ce potentiel.

"Non, répond la ministre, dans le respect de la DCE et des objectifs des continuités écologiques..." ce qui soulève immédiatement une bronca, car les élus des territoires que sont les sénateurs connaissent les innombrables problèmes nés de la politique de continuité écologique, notamment l'acharnement à détruire des sites contre l'avis des riverains.

Ce qui pousse ensuite la ministre à cet aveu :

"j'ai pu constater dans des vies antérieures, notamment en tant que préfète, que cette question de l'arasement des seuils y compris certains qui peuvent exister depuis des centaines d'années, peut laisser perplexe (...) 

Une nouvelle interruption accueille cet euphémisme, et la ministre poursuit :

"Honnêtement, je partage la perplexité qu'on peut avoir quand on dit qu'il faut restaurer une continuité écologique dont on se dit qu'elle n'existe plus depuis quelques siècles, cela mérite d'être regardé avec pragmatisme."

La ministre confirme ensuite aux sénateurs qu'il y a des objectifs de soutien de l'Etat à la petite hydro-électricité dans la PPE.

La ministre de la transition écologique et solidaire ayant travaillé au cabinet de Ségolène Royal quand celle-ci avait demandé aux préfets un moratoire sur les destructions d'ouvrage (2015), elle n'est pas sans savoir que ces polémiques et conflits autour de la continuité écologique durent depuis dix ans. Et qu'il faut maintenant y mettre un terme.

Une fraction de l'administration et des établissements de gestion de rivière a cru pouvoir aller au-delà des lois françaises et européennes en exerçant des pressions systématiques pour détruire des seuils et barrages autorisés, au lieu de proposer les solutions de gestion, équipement et entretien demandées par les parlementaires. Ce fut un échec dans beaucoup de cas : il est donc temps d'engager des options plus douces, plus proportionnées et plus consensuelles de continuité en long au droit des seuls ouvrages posant problème. Et aussi, comme le demande le sénateur Tissot, de mobiliser les moulins au service de la transition énergétique, de la préservation de l'eau, de la création de zones refuges pour le vivant aquatique et rivulaire.

Rappel aux associations : seule la mobilisation a bloqué la continuité destructrice, seule la mobilisation garantira une véritable continuité apaisée, qui est loin d'être claire à ce jour dans l'esprit de certains fonctionnaires en charge de l'eau et de la biodiversité. Dans tous les cas où un service administratif (DDT-M, agence de l'eau, Office français pour la biodiversité) ou un établissement GEMAPI (syndicat de rivière, parc, intercommunalité) exerce une pression indue en vue de détruire un ouvrage hydraulique ou d'empêcher son équipement énergétique bas-carbone, vous devez en informer les parlementaires de la circonscription et le préfet. En cas de persistance du trouble, saisir le juge administratif (nous contacter). Les excès de certaines postures militantes allant très au-delà des contenus de la loi doivent désormais être constatés, et leurs auteurs rappelés à plus de discernement.

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20/02/2020

La colère des riverains du Thouet face au dogme de la destruction des retenues, barrages et chaussées de moulin

Une rivière ayant de moins en moins d'eau en été et une lame d'écoulement réduite à presque rien, des proliférations de plantes invasives (jussie, élodée), une faune piscicole appauvrie, des usages et des agréments estivaux contrariés voire disparus... la colère monte sur les rives du Thouet, affluent de la Loire coulant entre Maine-et-Loire et Deux-Sèvres. Pêcheurs, riverains et élus contestent le bilan de la continuité écologique destructrice qui a vu les disparitions de plusieurs barrages et chaussées, particulièrement dans la zone gérée par l'Agglomération Saumur Val de Loire. L'étude de la station de mesure de qualité DCE proche de Saumur leur donne plutôt raison: depuis 2010, l'indice poisson rivière est toujours mauvais, avec son pire score à date récente, tandis que les teneurs maximales de nitrates ont plutôt augmenté. Pour éviter une dérive fatale comme celle du Vicoin, rivière martyre quasiment privée d'eau à chaque été depuis que 95% de ses ouvrages ont été détruits, un moratoire sur les effacements d'ouvrage sur le Thouet doit être engagé au plus vite. La restauration de continuité en long doit préserver les ouvrages et les équiper si besoin, pas les détruire. 



Depuis le début des années 2010, une politique d'arasement des barrages et chaussées de moulins est menée sur le Thouet en Maine-et-loire. Ces chantiers ont soulevé de nombreuses polémiques quand ils ont été proposés, mais ont été menés malgré les protestations. Aujourd'hui, les langues se délient, particulièrement autour de l'Agglo Saumur Val de Loire — qui a agi jusqu'au présent en bon petit soldat des destructions souhaitées par l'Etat et l'agence de l'eau.

Les pêcheurs témoignent des dégâts : plus d'eau, plus de poissons, des plantes invasives
Les pêcheurs ont d'abord exprimé leur colère face à la disparition des ouvrages et de leurs réserves d'eau.“Ces retenues existaient parfois depuis mille ans”, pointe Camille Richard, membre du collectif Thouet. “La faune et la flore de la rivière étaient structurées autour de ces ouvrages.” Le reproche est d'autant plus vif que la destruction de ces barrages et de leurs précieux petits réservoirs d'eau n'est en rien une obligation. “L’Europe n’a jamais dit qu’il fallait les éradiquer”, fulmine inlassablement Ludovic Panneau, président des Martins pêcheurs, association de pêche de Montreuil-Bellay. “Elle a demandé aux gestionnaires des rivières d’entretenir les ouvrages et de les gérer de sorte que la continuité écologique soit assurée.

Premier problème : le niveau d'eau en été est très bas en l'absence des retenues. “Le niveau et le débit du Thouet s’effondrent de manière significative”, affirme Camille Richard. Qui précise : “La rivière a perdu 2,5 mètres de profondeur en moyenne. Les bateaux ne passent plus et les berges sont trop haute”.“Ces bassins étaient indispensables à la vie aquatique, y compris l’été, quand l’eau était basse”, appuie Ludovic Panneau.

Deuxième problème : la jussie, plante invasive, s'est installée dans le secteur. “C’est un drame”, explique Camille Richard. Ce végétal étouffe l’écosystème.” “Le réchauffement de l’eau s’accélère et favorise la photosynthèse” ajoute Ludovic Panneau. “De nouvelles plantes aquatiques apparaissent, au premier rang desquelles figure l’élodée.”



Un élu dénonce le refus d'un bilan objectif des actions menées, avec comparaison entre zones avec et sans barrages
Les pêcheurs et les riverains sont donc consternés. Ils ne sont plus les seuls à se poser des questions, quand beaucoup s'inquiètent de nouveaux projets comme la disparition du barrage du moulin de Couché. Dominique Monnier, ancien maire du Puy-Notre-Dame, ex-vice président du Conseil général, s'est fendu d'une lettre ouverte à l'agglomération de Saumur Val de Loire.

En voici quelques extraits :

“Les maires se posent de nombreuses questions sur la gestion de cette rivière depuis la disparition des barrages. Ils admettent parfaitement que, pour des questions écologiques et de continuité de l’eau, cette action ait pu amener des améliorations de la rivière, mais tous indiquent qu’aucun bilan significatif n’a été réalisé.”

“Ne peut-on pas marquer une pause et réfléchir avant de continuer à araser? Peut-on savoir si le travail déjà réalisé a apporté les bénéfices écologiques espérés?”

L'élu propose une méthode objective et intéressante, comparer au fil des années comment évoluent en hydrologie, biologie et écologie les tronçons où les chaussées ont disparu et ceux où ils sont restés :

“il doit être possible de comparer les conséquences obtenues sur la partie Maine-et-Loire (relevant d’une gestion publique), arasée, avec la partie Deux-Sèvres (gestion privée), restée en état.”

Au final, Dominique Monnier interpelle le président de l’Agglo : “Pouvez-vous nous donner des éclaircissements concrets sur les améliorations espérées, si elles existent”. Et la chargée des milieux aquatiques et de la diversité à l’Agglo : “Pourquoi campe-t-elle sur ses positons sans vouloir répondre?



Analyse des données de l'eau à la station aval près de Saumur: le bilan n'est pas bon du tout depuis 2010
L'élu, les pêcheurs, les riverains ont quelques raisons de s'inquiéter. Nous avons été voir sur la base données publiques de l'eau Naïades l'évolution des indicateurs de qualité écologique et chimique de l'eau à la station du Thouet aval, située dans le Saumurois, à Chacé. Nous avons pris les dernières mesures disponibles en ligne (2017 pour les poissons, 2019 pour les nitrates) pour voir l'évolution observée depuis 2010.

L'indice poisson rivière mesure la composition de la faune piscicole. Plus il est élevé, plus cet indice est mauvais : inférieur ou égal à 7 excellent, entre 7 et 16 bonne qualité, entre 16 et 25 qualité médiocre, entre 25 et 36 mauvaise qualité, supérieur à 36 très mauvaise qualité.

L'IPR à Chacé depuis 2010 oscille entre qualité médiocre et mauvaise qualité. Le pire score a été atteint la dernière année de mesure :


Le taux de nitrates dans l'eau indique le risque d'eutrophisation, et c'est notamment un facteur favorable aux plantes invasives. Alors que les barrages ont plutôt tendance à épurer les eaux courantes (en sédimentation et métabolisation locales des effluents), les gestionnaires de rivières ont prétendu le contraire dans les années 2010. Nous avons pris les valeurs maximales observées de chaque année (plusieurs campagnes).

Mais à Chacé, le bilan nitrates n'est pas bon:



Les nitrates sont en tendance maximale croissante à la station de mesure, à deux reprises dont en 2018 le mauvais état écologique a été atteint (dépassement de 50 mg/l). Les valeurs observées, supérieures à 30 mg/l, sont considérées comme élevées et nettement au-dessus de la concentration d'un milieu naturel d'eau de surface, hors plan d'eau.

Cesser le mépris et la langue de bois des gestionnaires, stopper un dogme destructeur
Sophie Tubiana, chargée de la gestion des milieux aquatiques et de la biodiversité à l’agglomération Saumur Val de Loire, avait ainsi répondu aux citoyens inquiets: “Nous sommes confrontés à des conflits d’usage. Agriculteurs, pêcheurs, promeneurs, chacun défend ses intérêts. À l’Agglo nous œuvrons pour le bien commun.

Désolés de contredire cette représentante de la bureaucratie de l'eau : il n'y a aucun bien commun fondé sur la négation des attentes des riverains et des usagers, il n'y a aucun bien commun dans la destruction des patrimoines des rivières, il n'y a aucun bien commun lorsque les résultats promis des politiques d'effacement des ouvrages ne sont pas au rendez-vous et que les vraies causes de dégradation de la rivière ne sont pas traitées.

Ces pratiques doivent cesser désormais, d'autant que le gouvernement a reconnu en 2018 des excès et erreurs dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, demandant d'engager une "politique apaisée".

Nous appelons donc les élus et citoyens du bassin du Thouet à exiger un moratoire sur toute destruction d'ouvrage, un audit indépendant de la politique menée depuis les années 2010 et une définition concertée des vraies priorités pour la qualité de l'eau. 

Illustrations : le Thouet aval en été, sans eau, eutrophe, envahi par la jussie, P. Benoist/OCE.

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Analyser la continuité écologique au-delà de ses bilans "officiels"
Les ouvrages anciens (moulins, forges, étangs) ou plus récents (barrages), installés depuis des décennies à des siècles, tendent à créer au fil du temps un état écologique alternatif sur les rivières, avec des zones courantes et des zones lentes, des retenues et des bras dérivés (biefs). En prenant le choix de les détruire, on occasionne une perte irrémédiable du patrimoine historique et paysager de chaque bassin, ainsi que du potentiel énergétique bas carbone de la rivière et de divers usages riverains. Par ailleurs, les gestionnaires de l'eau jouent aux apprentis sorciers, car ils refusent de reconnaître les conséquences prévisibles: perte de ressource en eau, disparition de milieux aquatiques ou humides, étiages plus sévères avec moindre hauteur d'eau et parfois assec, incision des lits, fragilisation berges et bâtis, moindre écrêtage des crues, disparition de certaines espèces lentiques qui s'étaient installées, suppression de zones refuges, etc.
Les politiques de destruction sont inspirées par des vues souvent dogmatiques sur un idéal de "retour à la nature sauvage" n'ayant pas grand sens dans les milieux européens anthropisés depuis 5 millénaires. Elles nient certaines fonctionnalités écologiques et sociales avérées des petits ouvrages. Ces effacements de barrage ne reposent de surcroît pas sur des bases légales, car le parlement français a demandé dans la loi de gérer, équiper, entretenir les ouvrages autorisés, non de les détruire. Les riverains doivent donc défendre sur chaque site les milieux et les usages menacés par des administrations et syndicats outrepassant leurs prérogatives et faisant des choix néfastes pour la société comme pour le vivant.
Trop souvent, les services de l'Etat (DDT-M, DREAL, Office de la biodiversité), les maîtres d'ouvrage publics (syndicats, parcs, intercos et agglos GEMAPI) et des parties prenantes choisies (fédérations de pêche) se contentent d'énoncer des généralités non vérifiables sur la soi-disant vertu des travaux engagés, ou se limitent à mettre en avant quelques espèces spécialisées de poissons. Mais l'écologie, l'hydrologie, la sociologie, l'histoire, la géographie et l'économie d'un bassin versant ne se limitent pas à ce discours convenu ni à ces enjeux limités. Nous avons besoin d'une analyse critique, indépendante, citoyenne des conséquences réelles des choix de continuité:
Un trophée de l'eau pour le Vicoin? Analyse critique d'un bilan médiocre 
Touques: comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique 
Dérives sur la Dives: des pompes électriques pour des biefs transformés en marigots 
Sauvegarde de la Boivre: ce que les juges administratifs exigent d'un projet de restauration de rivière
La Romanée réduite à des flaques d'eau au droit de l'ancien étang de Bussières 

15/02/2020

Les espèces protégées du lac de la Roche qui boit (Sélune), sacrifiées pour la cause du saumon

Limoselle aquatique, léersie faux-riz, salamandre tachetée, triton palmé, grèbe huppé,  brochet.. ce sont quelques-unes des 22 espèces protégées qui sont menacées par le chantier de la destruction du barrage de la Roche qui boit dans la Manche, sur la Sélune. Encore le dossier est-il incomplet puisqu'il exclut la loutre, présente sur le bassin, ainsi que les habitats de la baie du Mont Saint-Michel qui subiront des flux accrus de nutriments, pesticides et autres polluants. La préfecture prépare un arrêté de dérogation permettant les destructions d'habitats et espèces. Vous pouvez vous exprimer dans l'enquête publique jusqu'au 17 février 2020. Pour faire plaisir au lobby des pêcheurs de saumon, on détruit ainsi des écosystèmes de lacs qui, outre diverses espèces protégées et bien d'autres communes, avaient aussi de nombreux usages utiles à la société: énergie bas carbone, eau potable, loisirs, prévention des inondations, adaptation au réchauffement climatique. Quand va cesser ce scandale français de la continuité écologique destructrice? Pourquoi l'Etat sacrifie-t-il les habitats lacustres, les citoyens riverains et les biens communs de la société à des lobbies? 


La DREAL Normandie organise du 3 au 17 février 2020 inclus une consultation du public pour la demande de dérogation présentée par Électricité de France, pour les travaux de démantèlement du barrage de la Roche qui boit, sur les communes de Virey, Saint-Martin-de-Landelles et Saint-Brice-de-Landelles (50).

Le dossier de consultation fait apparaître que :

"Le projet aura un impact 4 espèces végétales protégées et sur les groupes faunistiques suivants :
- Oiseaux : 2 espèces,
- Chiroptères : 6 espèces,
- Amphibiens : 4 espèces,
- Poissons : 6 espèces."

Ce dossier est incomplet: nous avons montré que la loutre est bel et bien présente dans la zone, ce que l'étude faite au début des années 2010 ne retient pas. La loutre est aussi protégée, et peut utiliser les plans d'eau comme vivier. Il est par ailleurs reconnu que les lacs de barrage ont un effet tampon et épurateur des pollutions, non étudié dans le dossier. Les habitats de la baie du Mont Saint-Michel subiront donc des flux accrus de nutriments, pesticides et autres polluants.

Combien d'autres espèces ont été négligées dans ce dossier à charge, où l'Etat a fait pression depuis 15 ans pour détruire les barrages de la Sélune?

La bureaucratie de l'eau dilapide ainsi l'argent public (50 millions €) pour effacer ces barrages qui
  • ont été soutenus en consultation par 99% de leurs riverains,
  • produisent une énergie bas carbone,
  • ralentissent les inondations de la vallée aval,
  • forment la principale réserve d'eau potable locale,
  • nourrissent les activités socio-économiques autour des lacs,
  • protègent la baie du Mont-Michel des pollutions,
  • hébergent des espèces protégées et abritent une forte biomasse.
C'est une honte, la promotion par l'Etat jacobin d'une forme d'écologie radicale, sectaire et punitive, décidée par et pour des lobbies au mépris des citoyens. Dites non à ces dérives, sur la Sélune comme ailleurs.

Ecrire à l'enquête publique

Illustration :  Le lac de la Roche qui boit, Epncantonducey, Travail personnel, CC‑BY‑SA

14/02/2020

Le bilan biogéochimique des barrages, au-delà des idées reçues (Maavara et al 2020)

Sept chercheurs publient dans une revue de référence une synthèse des connaissances sur les effets biogéochimiques des barrages. Ils soulignent notamment que les ouvrages ont tendance à éliminer les excès de nutriments (azote, phosphore), parfois au détriment de leur réservoir qui devient eutrophe, mais au bénéfice du bassin versant et des estuaires. Le bilan carbone est complexe, dépendant de la superficie, de la latitude et de la température, les tropiques étant défavorables par rapport aux zones tempérées et boréales. Les successions de petits barrages peuvent avoir des effets plus intéressants qu'un grand barrage selon les paramètres que l'on veut améliorer dans un bassin versant. Ces chercheurs soulignent aussi que la destruction des barrages est susceptible d'avoir des effets négatifs, attestés par des retours d'expérience : excès de nutriments, de polluants et d'émission carbone. Ces points sont totalement absents dans la planification et le suivi de la politique française de continuité écologique, qui a au contraire mis en avant des arguments fantaisistes et trompeurs, comme la soi-disant "auto-épuration" des cours d'eau par destruction d'ouvrages. Nous devons cesser d'agir sans savoir, exiger une politique des rivières informée par des données et des preuves.

Taylor Maavara et ses six collègues proposent dans la revue Nature reviews, Earth & Environment une synthèse des connaissances sur les impacts biogéochimiques des barrages. Leur travail est notamment motivé par la forte croissance de la construction de barrages dans le monde, en raison de la transition énergétique bas-carbone pour prévenir le changement climatique. Le barrage fluvial est pratiqué depuis des millénaires, les premiers ouvrages ayant été construits en 2000 avant notre ère dans l'empire égyptien. Le nombre de barrages a augmenté régulièrement avant la Seconde Guerre mondiale, rapidement par la suite, atteignant un pic dans les années 1960 et 1970 en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Une deuxième vague de construction de barrages a commencé au début des années 2000, avec plus de 3 700 barrages hydroélectriques planifiés ou en construction dans le monde, pour ceux qui ont une capacité de production supérieure à 1 mégawatt (MW).


Le cycle des nutriments dans une retenue évoluant dans le temps, source Maavara et al 2020, art cit.


Voici d'abord le résumé des points essentiels que mettent en avant les chercheurs :
"- L'élimination des nutriments dans les réservoirs de barrage modifie les cycles biogéochimiques globaux, avec des conséquences sur la structure et le fonctionnement de l'écosystème le long des réseaux fluviaux.
- L'importance globale des réservoirs en tant que sources et/ou puits de gaz à effet de serre reste fortement débattue.
- Le temps de résidence hydraulique du réservoir peut être utilisé pour développer des relations simples et prédire les éliminations des nutriments, bien que les petits réservoirs puissent avoir de grandes efficacités d'élimination.
- Les stratégies de gestion des barrages ont un impact sur le cycle des nutriments à toutes les phases du cycle de vie d'un barrage, y compris son effacement."

Dans le détail, cette publication comporte de nombreux point intéressants.

Les nutriments, tels que le carbone (C), l'azote (N), le phosphore (P) et le silicium (Si), sont transportés et transformés le long de ce que Maavara et ses collègues nomment le "continuum aquatique terre-océan" (LOAC), formant la base des réseaux alimentaires en eau douce et marine. Les réservoirs de barrage agissent comme des réacteurs "au sein du flux", augmentant le temps de séjour le long du continuum.

Les auteurs remarquent : "Ces augmentations du temps de séjour des nutriments améliorent leurs transformations des formes dissoutes aux formes particulaires à travers la productivité primaire ou l'adsorption, la sédimentation et la rétention, et l'élimination gazeuse et/ou la fixation atmosphérique des nutriments dans les réservoirs. Selon les objectifs locaux ou régionaux de gestion des nutriments, le renforcement du cycle biogéochimique et l'élimination dans les réservoirs peuvent être considérés soit comme un avantage (par exemple, le réservoir réduit le flux de nutriments en aval vers les masses d'eau eutrophiques) ou comme un problème (si le réservoir lui-même souffre de eutrophisation ou si elle altère la stœchiométrie des nutriments de telle sorte qu'elle favorise l'eutrophisation en aval)."

Une précision est apportée sur les petits barrages, qui contribuent eux aussi à cette auto-épuration des nutriments:

"Bien qu'il existe généralement une relation positive entre l'ampleur de l'élimination des nutriments et le temps de résidence d'un réservoir, les petits réservoirs peuvent avoir une réactivité biogéochimique disproportionnellement élevée par unité de surface ou de temps. Par exemple, la constante de vitesse de décomposition OC (kOC) du premier ordre, qui décrit la réactivité par unité de temps, augmente à mesure que le temps de résidence diminue. Lorsqu'elle est mise à l'échelle, cette relation entraîne une diminution des constantes de vitesse de minéralisation du carbone organique avec la distance le long du continuum terre-océan; cette diminution est due à la décomposition de matériaux hautement réactifs dans les cours d'eau d'amont à faibles temps de résidence et au transport subséquent en aval des matériaux moins labiles vers des plans d'eau plus grands avec des temps de résidence plus élevés. Par exemple, dans une analyse de plus de 200 lacs et réservoirs, des relations inverses entre le temps de résidence et les constantes de vitesse d'élimination pour le phosphore total, l'azote total, le nitrate et le phosphate ont été identifiées. Étant donné que les petits plans d'eau ont de très faibles débits, les flux absolus de nutriments ont toujours tendance à être faibles, mais lorsque de nombreux petits réservoirs sont reliés le long du continuum terre-océan, leur capacité d'élimination des nutriments peut être élevée. Le mécanisme responsable d'une plus grande réactivité des nutriments dans les petits plans d'eau a été attribué à l'augmentation du rapport surface de contact interface sédiment-eau par rapport au volume à mesure que la taille du plan d'eau diminue"

Faut-il préférer une succession de petits barrages à un grand barrage? Les scientifiques n'excluent pas l'option :

"Une question clé en suspens est de savoir si la construction d'une série de petits barrages en cascade au lieu d'un seul grand barrage est préférable pour l'environnement. Les preuves suggèrent que plusieurs petits réservoirs avec des temps de résidence hydraulique qui correspondent au même temps qu'un seul grand réservoir élimineront les nutriments et réduiront les charges de nutriments en aval plus efficacement qu'un seul grand réservoir. Des «pré-barrages» (petits barrages en amont) qui réduisent les charges de nutriments dans les réservoirs en aval ont parfois été construits pour atténuer les problèmes d'eutrophisation en aval. Il est possible d'utiliser davantage des barrages ou des pré-barrages pour atténuer les problèmes d'eutrophisation côtière, en particulier s'il est fortement nécessaire de réduire les charges de P. L'incertitude avec cette approche est que les pré-barrages peuvent simplement servir à aggraver les problèmes d'eutrophisation plus en amont, tout en amplifiant davantage les autres changements écosystémiques associés à la régulation des cours d'eau. Les preuves de l'efficacité du pré-barrage sont également mitigées - même avec une conception soignée axée sur la maximisation de la rétention de P et de N dans les pré-barrages en amont des réservoirs d'eau potable allemands, il a été recommandé que les pré-barrages soient vidés et dragués tous les 5 à 10 jours afin de rester efficace. Enfin, il existe peu d'informations disponibles sur l'élimination de chaque élément nutritif les uns par rapport aux autres dans les petits systèmes."

Concernant les gaz à effet de serre, le bilan des barrages est complexe.

Les estimations mondiales des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) des surfaces des réservoirs varient considérablement car les chercheurs n'ont pas les mêmes bases de superficie des réservoirs, ni les mêmes modèles.

"Sur la base d'une surface mondiale de réservoir de 1,5 × 106 km2, on a estimé que 273 Tg C CO2/an et 52 Tg C CH4/an sont émis par les réservoirs chaque année. En utilisant une zone de réservoir mondiale de 3,05 × 105 km2, les émissions ont été estimées à 36,8 Tg C CO2 an − 1 et 13,3 Tg C CH4 an − 1. Pour les réservoirs mondiaux d'hydroélectricité (superficie = 3,4 × 105 km2), les émissions annuelles sont estimées à 48 Tg C sous forme de CO2 et 3 Tg C sous forme de CH4. Cependant, tout le carbone éliminé dans les réservoirs n'est pas converti en gaz à effet de serre, car l'enfouissement du carbone organique (OC) dans les réservoirs mondiaux a été estimé à 26 Tg C /an (superficie = 3,05 × 105 km2), 60 Tg C /an (superficie = 3,5 × 105 km2), 160–200 Tg C/an (superficie = 4,0 × 105 km2) et 290 Tg /an (superficie = 6,6 × 105 km2). Par unité de surface, ces flux d'émissions mondiaux se situent dans une marge plus petite, avec des émissions mondiales allant de 120 à 181 g C CO2/m2/an et des émissions allant de 35 à 44 g C CH4/m2/an. A l'inverse, les flux d'enfouissement surfaciques varient considérablement, de 85 à 500 g C/m2/an"

Au sein de ces estimations mondiales, des différences notables dans les émissions de gaz à effet de serre des réservoirs sont observées au niveau régional. "Les émissions de carbone gazeux des réservoirs des régions tropicales sont généralement plus élevées que les émissions des réservoirs boréaux et tempérés, en partie en raison de leurs grandes surfaces, des volumes élevés de biomasse et de CO du sol inondées et des températures de l'eau plus chaudes", soulignent les chercheurs.

Les scientifiques soulignent également divers problèmes liés aux effacements de barrage.

L'effacement des barrages peut relarguer des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES): "les zones d'inondation nouvellement créées (ou recréées), avec des sédiments riches en matières organiques et des variations fréquentes des niveaux d'eau, pourraient également devenir des points chauds pour les émissions de GES après la suppression d'un barrage. Cette idée est attestée par l’ampleur des émissions hypothétiques d’équivalent CO2 des dix plus grands réservoirs des États-Unis une fois qu’ils sont effacés: après 100 ans de barrage, les émissions post-démantèlement dépasseraient de neuf fois celles des émissions du réservoir sur sa durée de vie. À l'heure actuelle, aucune stratégie pour éviter cette conséquence de l'enlèvement du barrage n'a été élaborée."

Autre risque, la remobilisation des nutriments et contaminants, y compris des polluants persistants comme le PCB. "L'héritage des éléments nutritifs et contaminants, généralement défini comme les éléments ou les composés qui restent dans le paysage ou le système au-delà d'un an après leur application, s'accumulent dans les sédiments du réservoir au cours de la durée de vie d'un barrage, puis sont érodés en aval en raison de l'augmentation des débits lors de la suppression des barrages. La remobilisation et les impacts en aval de la remobilisation des éléments nutritifs et des contaminants hérités sont de plus en plus reconnus et discutés dans le contexte de la construction et de l'élimination des barrages. Par exemple, les effets des contaminants hérités ont été observés à New York, aux États-Unis, où l'utilisation industrielle de biphényles polychlorés (PCB) à Fort Edward et à Hudson Falls a entraîné une accumulation de PCB dans les sédiments du réservoir au-dessus du barrage hydroélectrique de Fort Edward. Ces contaminants hérités ont été mobilisés et libérés en aval après le retrait du barrage en 1973, et le transport des PCB continue d'être documenté aujourd'hui, malgré des efforts massifs de restauration"

Au final, les chercheurs plaident pour une approche équilibrée des coûts et bénéfices au plan biogéochimique :

"Les discussions qui présentent tous les barrages comme problématiques ne sont pas productives, tout comme les discussions qui louent les barrages en tant que source d'énergie durable la plus viable à l'ère du changement climatique sont trompeuses. Il est peu probable que le barrage des rivières pour produire de l'énergie, contrôler les inondations et équilibrer la distribution inégale de l'eau au fil du temps ne s'arrête pas. Si des barrages sont construits sans tenir compte de leurs impacts sur le cycle des éléments nutritifs, les modifications des ratios d'éléments nutritifs côtiers, l'augmentation de la prévalence des efflorescences d'algues, les émissions de GES inutilement importante, le remplissage et l'eutrophisation des réservoirs continueront probablement. Cependant, la construction et la gestion responsables des barrages - de la conception à la déconstruction, et dans le contexte de l'ensemble du bassin versant - peuvent être réalisables en équilibrant les impacts environnementaux des barrages avec les services qu'ils fournissent. Sur la base des impacts biogéochimiques du barrage discutés dans cette revue, nous postulons que la biogéochimie du continuum terre-océan devrait être considérée à chaque étape du cycle de vie d'un barrage, et idéalement pendant sa conception et sa planification".

Discussion
Ces travaux mettent de nouveau en lumière des éléments qui sont systématiquement gommés en France dans la gestion des ouvrages hydrauliques, au profit d'une "novlangue" administrative simpliste:
  • les travaux de recherche (nombreux) sur les grands barrages et ceux (rares) sur les petits barrages ne donnent pas toujours les mêmes résultats, ils sont contexte-dépendants, ce qui interdit des généralisations comme on en lit bien trop dans le discours public;
  • certaines assertions qui ont été avancées, comme l'auto-épuration des rivières par suppression de barrages, se confirment être erronées voire manipulatrices. Les nutriments en excès sont un problème de source des pollutions dans les bassins et à tout prendre, les barrages en permettent la gestion plus fine, avec un rôle plus positif que négatif de dépollution des eaux;
  • le bilan carbone et donc d'effet de serre est tout aussi complexe, il va dépendre des paramètres locaux (latitude, végétation, température), et le fait que des réservoirs puissent avoir des bilans négatifs suggèrent qu'il faut les rentabiliser au maximum (principe du multi-usage pour l'eau potable, l'irrigation, l'énergie, le soutien d'étiage) et réfléchir avant leur construction (même si le problème est surtout aigu en zone tropicale et en réservoir à végétation noyée);
  • l'effacement des barrages est loin d'être anodin, il peut avoir des effets négatifs sur les excès de nutriments, sur les polluants et sur l'effet de serre.

Un incroyable amateurisme a entouré depuis 10 ans la réforme de continuité écologique en France. Nous devons en sortir, exiger une planification publique à bases scientifiques sérieuses, et non à propos militants sur des idéaux de "nature sauvage". Il faut déjà des mesures physiques, chimiques et biologiques bien plus nombreuses, mais aussi de vrais modèles d'interprétation de ces données par bassin, avec des réflexions collectives qui ne soient pas une simple langue de bois fondée sur la répétition de préjugés, d'approximations et d'imprécisions.

Référence : Maavara T et al (2020), River dam impacts on biogeochemical cycling, Nature reviews, Earth & Environment, 1, 103–116

11/02/2020

La commission de régulation de l'énergie tire la sonnette d'alarme sur les coûts de la continuité écologique

Dans un rapport venant de paraître sur la rentabilité de la petite hydro-électricité, la commission de régulation de l'énergie pointe notamment le coût croissant des exigences écologiques de la règlementation française, en particulier le coût de la continuité écologique. Le gouvernement doit acter cette réalité et trouver des solutions pour ne plus opposer transition énergétique et conservation de la biodiversité. Il convient notamment de prioriser les interventions de continuité là où il y a réellement des espèces menacées, au lieu de la doctrine coûteuse et disproportionnée visant à demander par principe une franchissabilité totale des poissons sur chaque ouvrage équipé en énergie. Plus généralement, l'écologie a des coûts: le discours public doit cesser de les dissimuler, mais en faire des objets de débat démocratique en fonction des bénéfices attendus pour la société et pour le vivant. C'est le prix d'une écologie réaliste ne se contentant pas de grands discours et de bons sentiments.

Extrait du rapport de la CRE

"Le renforcement des exigences environnementales semble avoir eu une influence à la hausse sur les coûts d’investissements au cours des dernières années (cf. 3.1.2), bien que cette augmentation ait été en partie compensée par la mise en place de la réfaction tarifaire sur les coûts de raccordement. Le coût des études d’impact et les frais de développement d’un projet hydroélectrique neuf peuvent représenter des montants importants, de l’ordre de 8 % de l’investissement total. Ces dépenses sont d’ailleurs engagées sans la garantie d’un contrat à la clé et constituent donc un frein à l’entrée pour certains producteurs. 


Le coût d’une passe à poissons peut quant à lui atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros pour un coût d’investissement total de 2 à 5 M€ pour une centrale d’1 MW. Au-delà du surcoût d’investissement que représente ce dispositif, il affecte également le productible de l’installation en isolant une partie du débit et est susceptible d’augmenter l’assiette de la taxe foncière applicable à la centrale (cf. 3.1.2).

La CRE en tire deux points d’attention, l’un en termes de risque pour les installations en fonctionnement ou en développement, l’autre en termes d’impact de ces contraintes sur les finances publiques.

En termes de risque
L’ajout de nouvelles exigences environnementales à une installation existante représente un risque réglementaire qui implique idéalement d’échelonner les exigences afin qu’elles lui soient imposées à une échéance cohérente avec la prochaine période de soutien dont bénéficierait l’installation. S’agissant des installations en développe- ment, les décisions de l’administration – et notamment le précadrage environnemental dans le cadre de l’appel d’offres – doivent être conçues de sorte à limiter au maximum les risques d’un refus de délivrance de l’autorisation environnementale finale ou de cerner les exigences spécifiques et donc les surcoûts potentiels associés néces- saires à la mise en œuvre du projet.

En termes de coûts pour les finances publiques
Le respect des nouvelles exigences environnementales – qui poursuivent un objectif de protection de la biodiversité auquel la CRE ne peut que souscrire et dont le calibrage ne relève pas de ses compétences – constitue un facteur de hausse du coût du soutien qui affecte les finances publiques. Dès lors, la CRE attire l’attention sur l’importance de donner un maximum de visibilité en matière d’équilibre coût-bénéfice entre les enjeux de protection des milieux naturels et les enjeux de développement de la petite hydroélectricité. La note technique publiée début mai 2019 par le Ministère de la transition écologique et solidaire7, présentant des éléments de méthode et d’organisation pour une meilleure coordination des services à l’échelle nationale et locale sur le sujet de la continuité écologique, s’inscrit dans cette démarche."

Commentaires

Ce rapport de la Commission de régulation de l'énergie rappelle un principe général : la protection de la biodiversité a toujours des coûts. Le décideur public doit les exposer aux citoyens et aux parties prenantes, ne pas mettre en avant les seuls bénéfices tout en omettant les conditions d'obtention de ces bénéfices. 

Sur les ouvrages nouveaux, il est logique de prévoir par construction la meilleure circulation possible des organismes aquatiques et des sédiments, avec des dispositifs de type passe à poisson ou rivière de contournement, dont l'efficacité est désormais assez correcte. Les progrès des connaissances amènent à une meilleure intégration écologique de l'hydro-électricité, qui a tout intérêt à accompagner ces progrès. On peut déroger à ce principe dans certains cas justifiés, comme la nécessité de protéger une tête de bassin de la remontée d'espèces exotiques ou invasives. Les barrages sont parfois utilisés à cette fin de régulation et conservation (usage fréquent au Canada en protection des grands lacs, par exemple), mais ce cas est plutôt exceptionnel.

Sur les ouvrages anciens, les constructions en place ne prévoient généralement pas de franchissement permanent à toutes espèces (situation réservée aux crues noyant les ouvrages), ni de vannes adaptées permettant de larges transits sédimentaires de décharge. Toutefois la plupart de ces ouvrages anciens, présents depuis des siècles, ont créé ce que les chercheurs nomment un "état écologique stable alternatif" de la rivière, c'est-à-dire un nouvel équilibre dynamique des débits, sédiments, nutriments, espèces qui intègre la présence des ouvrages. Les dispositifs de franchissement devraient y être prescrits selon des critères plus stricts de présence d'espèces menacées dont on peut démontrer qu'elles ne sont pas adaptées à la fragmentation et que leur population est menacée. Ce ne peut pas être une demande de routine au vu des coûts pour les particuliers et la collectivité. Dans de nombreuses rivières, en particulier à truites, le mauvais usage s'est répandu de demander automatiquement des dispositifs même si les populations piscicoles ne montrent pas de déficit attribuable aux ouvrages. Les pouvoirs publics doivent cesser ces dépenses peu utiles par rapport à des priorités établies.

La production énergétique bas carbone des rivières relève en France de l'intérêt général au même titre que la biodiversité, comme le rappelle la loi énonçant les principes de la gestion équilibrée et durable de l'eau (art L 211-1 code de l'environnement). On ne peut donc opposer transition énergétique et conservation écologique. Si les exigences réglementaires en matière de biodiversité dérogent trop à la rentabilité d'exploitation et entravent la lutte contre le réchauffement climatique, il appartient à la puissance publique de prévoir une large prise en charge du financement des dispositifs prescrits. C'est tout à fait possible dans le budget des agences de l'eau, dont la vocation est la mise en oeuvre des politiques publiques de rivière, notamment des choix collectifs qui induisent des coûts dépassant les capacités raisonnables d'autofinancement des particuliers et exploitants. La modération de la dépense publique sera obtenue en limitant les dispositifs les plus chers (passes à poissons) aux seuls cas de nécessité écologique solidement démontrée et de gains vérifiables.

Source : Commission de régulation de l'énergie, Coûts et rentabilités de la petite hydroélectricité en métropole continentale, Rapport, janvier 2020.

07/02/2020

Au lieu de réussir à baisser les pesticides, le ministère de l'agriculture continue de vouloir détruire des ouvrages en rivière

En réponse à une question du député Favennec Becot, le ministre de l'agriculture persiste à développer sur les ouvrages hydrauliques un certain nombre de contre-vérités et, plus gravement, un certain nombre de propositions contraires à la loi. Le gouvernement dénie le rôle de retenue et  diffusion de l'eau par les ouvrages tout au long de l'année comme leur atout d'hébergement et protection du vivant aquatique. Cela contre toutes les observations de terrain en ce sens, notamment lors de la sécheresse 2019. Dans le même temps, la cour des comptes constate l'échec depuis 10 ans de la lutte française contre les pollutions par pesticides. Les ministères de l'écologie et de l'agriculture doivent cesser de marcher sur la tête à tenter encore en 2020 de détruire des moulins et étangs pendant que nous tardons à prendre la mesure du changement climatique, à accélérer  la transition bas carbone et à réduire les toxiques impliqués dans une baisse sans précédent de la biodiversité. 


Retenue de moulin sur la Digeanne, formant zone humide et hébergeant du vivant toute l'année. Parce qu'il ne veut pas reconnaître les limites et dérapages de la renaturation, le gouvernement persiste dans la négation de toute valeur écologique des ouvrages hydrauliques anciens. Cela contredirait le dogme asséné depuis 10 ans, cela obligerait les porteurs de projet de continuité à une analyse sincère, complète et objective des milieux tels qu'ils existent au terme d'évolutions historiques multiséculaires. Aucune continuité ne sera "apaisée" sur la base de ces dénis de réalité. 


Dans sa réponse au député reproduite ci-dessous, le ministre écrit : "lorsque l'enjeu est fort et pour des ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d'abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression de l'ouvrage sont effectivement mises en avant au regard d'autres solutions de technicité élevée et par nature très coûteuses"

Cette "solution" vantée par le ministre n'est tout simplement pas prévue par la loi française, qui demande des ouvrages gérés, équipés, entretenus (article L 214-17 C env) et qui exige bien entendu le respect des ouvrages autorisés (article L 214-6 C env). Le pouvoir exécutif reste dans une logique de continuité imposée et non apaisée. Il revient à l'administration de proposer des solutions prévues par la loi, toute autre option faisant l'objet d'une mise en demeure par le propriétaire de respecter cette loi, le cas échant d'un contentieux pour excès de pouvoir. Contactez notre association si vous subissez encore des propositions illégales de destruction alors que vous êtes attaché à la protection de votre ouvrage, de son patrimoine et de ses milieux.

Le ministre écrit : "la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage".

Cette phrase méconnaît elle aussi la réalité autant que la loi. La capacité à retenir et divertir (biefs, canaux) de l'eau n'est pas dépendante d'un volume donné en deçà duquel ce serait sans intérêt pour les riverains et pour le vivant. Il y a souvent des dizaines d'ouvrages sur chaque rivière, c'est cette accumulation qui permet tout au long de l'année (pas seulement à l'étiage) de recharger les nappes et d'infiltrer les sols, de soutenir la végétation, d'héberger la faune. Tous les riverains l'observent, les parlementaires en ont été informés (voir nos articles et témoignages sur les sécheresses). Par ailleurs, les retenues comme les biefs forment des milieux aquatiques, parfois des zones humides attenantes, et ils sont à ce titre protégés par la loi. Leur assèchement par suppression d'ouvrage sans étude préalable d'hydrologie et de biodiversité, sans compensation par création d'une superficie aquatique au moins équivalente sur le même tronçon, peut et doit faire l'objet d'un recours administratif et/ou d'une plainte pénale.

Le ministre écrit : "la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique".

C'est tout à fait exact, mais les solutions fondées sur la nature ne s'opposent pas aux solutions héritées de l'histoire. La recherche a montré que la suppression des ouvrages en travers et de leur retenue conduit à l'incision des lits, l'abaissement des niveaux et la limitation des débordements en lit majeur (Maaß et Schüttrumpf 2019). S'y ajoute l'assèchement des annexes hydrauliques. Donc le contraire de ce que dit le ministre! Inversement, les biefs et canaux de dérivation, les étangs et leurs marges humides, les lacs sont parfois des équivalents fonctionnels de milieux naturels, leur origine anthropique n'ôtant rien à leur capacité d'hébergement du vivant (Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Sousa et al 2019, Guivier et al 2019). Supprimer des masses d'eau et plans d'eau, d'origine naturelle comme d'origine humaine, c'est supprimer des ressources en eau pour la société et le vivant.

Ces propos du ministre sont donc un nouveau signal de mépris du gouvernement pour la continuité apaisée et de déni des problèmes qui se posent depuis 10 ans.

Dans le même temps, la cour des comptes relève que les plans Ecophyto visant à réduire les pesticides sont un échec :
"Mis en œuvre depuis 2008, les plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits « plans Écophyto », devaient permettre à la France de réduire les risques et les effets de ces produits (communément appelés « pesticides ») sur la santé humaine et sur l'environnement, et d'encourager le recours à des méthodes de substitution. Dix ans après, malgré des actions mobilisant des fonds publics importants, ces plans n'ont pas atteint leurs objectifs."
Le dernier comité de suivi du plan Ecophyto 2+ en janvier 2020 a d'ailleurs constaté "une augmentation globale forte des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques en 2018". Les quantités de substances phytosanitaires les plus préoccupantes ont certes diminué de 9 à 15% sur 10 ans, mais c'est 5 fois moins que le programme initial. Et parfois sans garantie que certains substituts sont meilleurs pour les berges, les rivières et les nappes.

Nous suggérons donc au ministre de l'agriculture de respecter les engagements de l'Etat sur la lutte contre la pollution chimique des milieux plutôt que de continuer à couvrir la destruction illégale des moulins, des étangs et des plans d'eau, qui sont des atouts pour les territoires.

Question du député
M. Yannick Favennec Becot attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'enjeu de la préservation des ouvrages hydrauliques. La France se trouve de plus en plus souvent confrontée à des aléas et risques majeurs : l'absence de recharge des nappes en hiver engendre des situations critiques l'année suivante pour de nombreux territoires. Une meilleure exploitation excédentaire des saisons pluvieuses est un enjeu primordial. Cela passe soit par le stockage, soit l'expansion des échanges de l'eau avec les sols et les nappes. Les solutions sont les barrages réservoirs (pour le stockage soutenant l'étiage et l'alimentation en eau de la population), les retenues stockant les ruissellements, les ouvrages en lit mineur (type moulins, étangs, plans d'eau, lacs) maintenant des lames d'eau à l'étiage, alimentant des marges humides et/ou des canaux faisant circuler l'eau, et les restaurations de zones humides naturelles. Or, la destruction de milliers d'ouvrages séculaires de stockage et de circulation de l'eau est promue et financée par l'administration de l'eau, au motif de la continuité écologique. Les informations livrées par le rapport CGEDD permettent de le vérifier. L'instruction de ces travaux est assouplie et le financement public s'élève à 80 %. Cette approche tranche avec la définition de la gestion équilibrée et durable de l'eau figurant dans la loi à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer ses intentions quant à la mise en œuvre d'une politique nouvelle de protection et de valorisation de ces ouvrages, et d'un moratoire à effet immédiat sur toutes les destructions d'ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau, le maintien de la lame d'eau ou la diversion de l'eau en France. Ce réajustement de l'administration de l'eau permettrait de faire un inventaire des ouvrages existants (en activité ou à restaurer), lesquels seraient tout à fait complémentaires des nouveaux projets d'ouvrages de gestion quantitative de l'eau.

Réponse du ministre
Les ouvrages hydrauliques regroupent plusieurs familles d'ouvrages destinés à différentes fonctions, telles que retenir de l'eau pour différents usages (énergie, eau potable, irrigation, activités touristiques), la canaliser afin de protoger, lutter contre les inondations ou les submersions. Au-delà de leurs fonctionnalités, la politique publique concernant ces ouvrages doit concilier plusieurs enjeux tels que la sécurité, le patrimoine, la qualité de l'eau et le maintien de la biodiversité. La Loi sur l'eau de 2006 a notamment prévu des classements de cours d'eau pour lesquels les ouvrages existants en lit mineur, doivent assurer la circulation piscicole et le transport sédimentaire là où cet enjeu est fort. 

Face au retard pris dans la mise en oeuvre de cette réglementation et aux vives réactions de certains acteurs, un plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique a été élaboré en 2018 avec l'ensemble des parties prenantes au sein du comité national de l'eau et sous le pilotage du ministère de la transition écologique et solidaire. Ce plan propose des éléments de méthode et d'organisation pour que les discussions locales et nationales puissent se faire de manière apaisée, au service d'une mise en œuvre efficace de l'action publique, à la fois sur les plans techniques, administratifs, sociaux et économiques. Il encourage la mise en œuvre de solutions proportionnées aux enjeux et économiquement réalistes. Dans certains cas, lorsque l'enjeu est fort et pour des ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d'abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression de l'ouvrage sont effectivement mises en avant au regard d'autres solutions de technicité élevée et par nature très coûteuses. 

Concernant la problématique de la gestion quantitative et durable de l'eau, le stockage de l'eau fait bien partie de l'éventail des solutions, avec la recherche de sobriété et d'optimisation de l'utilisation de l'eau, la transition agro-écologique de l'agriculture et les solutions fondées sur la nature, pour une meilleure résilience des territoires face aux effets du changement climatique. L'instruction gouvernementale du 7 mai 2019 relative aux projets de territoire pour la gestion de l'eau rappelle certains principes. Il importe en particulier que l'ouvrage contribue à atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins, ressources et la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques. Les ouvrages de stockage peuvent prendre différentes formes qui, selon les contextes locaux, n'ont pas toutes le même impact en matière de continuité écologique et sur l'environnement en général : réserves alimentées par pompage dans la nappe, réserves alimentées par pompage dans la rivière, retenues alimentées par ruissellement sans connection au réseau hydrographique, retenues en dérivation, retenues en barrages en cours d'eau. Un recensement de ces stockages d'eau existants est en cours, sous la coordination du ministère de la transition écologique et solidaire, dans la perspective d'optimiser leur utilisation. 

Par ailleurs, il est à noter que la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique. Les eaux courantes se réchauffent moins vite que les eaux stagnantes qui sont ainsi susceptibles de subir à l'étiage une évaporation aggravée. 

En conséquence, la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage. Restaurer la biodiversité aquatique et améliorer la disponibilité de la ressource en eau sont compatibles dès lors qu'aucun systématisme n'est appliqué, mais que les solutions adaptées aux besoins et aux contextes locaux sont recherchées à l'échelle des territoires.

Source : Question écrite N°24701 de M. Yannick Favennec Becot