09/12/2020

Six députés demandent à Barbara Pompili quand son administration va enfin cesser la casse absurde des moulins et étangs français

Bien loin d'être "apaisée", la continuité écologique nourrit le feu roulant des questions des parlementaires au gouvernement. Six députés, dont quatre de la majorité, s'étonnent ces dernières semaines que le gouvernement ait fait passer le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la mise à sec des biefs, des canaux, des étangs, des retenues avec destruction des ouvrages sur simple déclaration, sans enquête publique auprès des riverains, sans étude d'impact sur chaque site. Ils font observer que ces ouvrages et ces milieux issus de notre histoire représentent des réserves d'eau, des biotopes pour le vivant, un potentiel hydro-électrique très bas carbone, un patrimoine historique, culturel et paysager. Il serait temps que les bureaucraties ayant programmé la casse du patrimoine français de l'eau reconnaissent explicitement leur erreur d'appréciation, mais aussi que la loi reprécise les contours de la continuité écologique en vue de mettre fin à 10 ans de contentieux permanents.  Il est possible de faire progresser la circulation des poissons par des mesures non destructrices, sans céder à l'horizon intégriste et minoritaire d'une rivière "sauvage" qui serait purgée de toute trace humaine. Il est surtout nécessaire et urgent de recentrer la politique publique de l'eau sur les enjeux apparaissant comme essentiels aux citoyens : prévention du réchauffement climatique par équipement en énergie décarbonée, réduction des pollutions chimiques, gestion des crues et sécheresses frappant de plus en plus durement les territoires, respect des cadres de vie appréciés et de la démocratie locale.


Question N° 34366 de M. Olivier Dassault (Les Républicains - Oise )
M. Olivier Dassault attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur l'effacement et l'aménagement des barrages des moulins prévus dans le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020. La démolition des aménagements hydrauliques, qui ont pour certains, plusieurs centaines d'années, est devenue la solution retenue par l'Office de la biodiversité, sans tenir compte des répercussions topographiques, ni des phénomènes de vases communicants. Il s'agit d'une mesure qui entraîne peu à peu l'assèchement de lits dans les environs des ouvrages démantelés. La destruction des digues et des moulins opérée sans études d'impact ni enquêtes publiques met aussi en péril la biodiversité et ne facilite aucunement la libre circulation des poissons migrateurs. Il lui demande donc si des dispositions seront prises rapidement pour supprimer cette réglementation qui va à l'encontre du patrimoine et des milieux aquatiques ruraux.

Question N° 33900 de M. Philippe Chassaing (La République en Marche - Dordogne )
M. Philippe Chassaing appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 (complété par un arrêté du même jour) modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Ce texte dispose que tous les travaux visant à la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et de la continuité écologique relèvent désormais de la simple déclaration (et non plus de l'autorisation) avec, pour corollaire, de rendre obsolètes les études d'impact environnemental et social, les enquêtes publiques, ainsi que l'information des citoyens et des collectifs de riverains. L'incidence directe est qu'il pourrait être procédé plus facilement à la destruction des milieux en eaux d'origine anthropique, c'est-à-dire façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau, etc.), sans prendre en considération leur rôle écologique (conservation des biotopes qui se sont constitués dans ces milieux), touristique et patrimonial (les 60 000 moulins de France représentant le troisième patrimoine du pays). En effet, les moulins, qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine local, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, risquent d'être condamnés à terme. Alors que le processus d'autorisation et d'enquête publique contradictoire consiste précisément en une procédure d'organisation de la démocratie consultative et délibérative, sa suppression devrait logiquement générer de l'insécurité juridique. Outre le manque d'information sur les projets qui pourraient voir le jour dans leur département, les associations et les élus locaux craignent de ne plus pouvoir former de recours contentieux contre les arrêtés autorisant la destruction des « obstacles à la continuité écologique » dans les cours d'eau. Tandis que la circulaire du 30 avril 2019 relative à « la mise en œuvre du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau » n'a, semble-t-il, guère apaisé les inquiétudes des élus et des collectifs de riverains, ces derniers contestent aujourd'hui les dispositions réglementaires visant à passer outre la concertation locale et réclament une transition écologique qui soit non pas punitive, mais « participative » et raisonnée, appliquée au cas par cas, au plus près du terrain, avec le concours de tous les acteurs locaux et dans l'intérêt commun du territoire. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité du décret susmentionné et si elle entend donner suite aux demandes des groupements d'élus et des associations de défense du patrimoine meunier de retirer - ou à tout le moins d'amender - ce texte.

Question N° 33720 de M. Grégory Besson-Moreau (La République en Marche - Aube )
M. Grégory Besson-Moreau alerte Mme la ministre de la transition écologique sur la question de l'avenir des moulins à eau. Le 30 juin 2020, le précédent Premier ministre a accéléré le processus de destruction des moulins en eau en autorisant par décret le passage d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration concernant les démolitions des barrages des moulins. Cette démarche est censée favoriser la préservation de certaines espèces aquatiques et ainsi présenter des vertus en matière de biodiversité sur le long terme. Or, aucune étude d'impact n'a pour le moment démontré l'utilité de ce changement de paradigme sur l'ensemble du territoire. De la même manière, ces moulins à eau, pour beaucoup vestiges de l'époque médiévale, possèdent un potentiel non négligeable en matière d'hydroélectricité. De plus, les aménagements demandés pour leur maintien sont particulièrement onéreux pour les propriétaires et les subventions accordées insuffisantes. Enfin, les moulins à eau ont un rôle prépondérant en matière d'irrigation des plans d'eau. Il conviendrait alors de s'intéresser aux véritables raisons qui menacent aujourd'hui notre faune aquatique et non de pénaliser les propriétaires de moulins à eau, acteurs séculaires de l'équilibre entre l'activité humaine et la préservation de l'environnement. Aussi, il demande si le Gouvernement entend revenir sur cette décision et entreprendre une concertation visant à déboucher sur une solution respectueuse de l'environnement, de nos traditions et de notre patrimoine historique.

Question N° 32890 de M. Vincent Descoeur (Les Républicains - Cantal)
M. Vincent Descoeur appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Tous travaux ayant pour unique objet, la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques pourront être menés sans autorisation, sur simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique. Il pourra être ainsi procédé facilement à la destruction de tous les milieux aquatiques façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau). Ceci aura un impact sur l'environnement (avec notamment la destruction des biotopes qui se sont créés dans ces milieux) ainsi que sur le patrimoine. En effet, les moulins qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine culturel et industriel français, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, seront condamnés à terme. L'objet sur lequel repose le décret, celui de la « restauration des fonctions naturelles » est infondé. En effet, dans quelle mesure peut-on déterminer si telle fonction est naturelle ou pas sans qu'une étude d'impact ne soit menée ? Ces lieux forgés à la fois par la nature et par l'homme avaient trouvé un équilibre qui va être désormais profondément remis en question. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité d'un tel décret et s'il entend donner suite aux demandes des associations de défense du patrimoine des moulins de retirer ce texte.

Question N° 32702 de Mme Sophie Beaudouin-Hubiere (La République en Marche - Haute-Vienne )
Mme Sophie Beaudouin-Hubiere attire l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité, sur la gestion du patrimoine hydraulique français. En effet, un arrêté du 30 juin 2020 a facilité la destruction des retenues d'eau : une simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique, est nécessaire. Cela alors que les réserves d'eau s'avèrent primordiales en période de sécheresse pour les poissons, pour la vie aquatique, pour la nappe phréatique, pour les réserves en cas d'incendie. Si la destruction a été partiellement justifiée par la nécessité de permettre « la libre circulation des poissons migrateurs », il apparaît que nombre de moulins, y compris les plus anciens, comprennent des passes, chaussées ou échelles à poissons. De même, la politique menée par les agences de l'eau, qui subventionnent intégralement la destruction des barrages de moulins et surfacturent aux propriétaires les aménagements pour les poissons, pose question. Ainsi, elle souhaiterait savoir si elle compte annuler l'arrêté du 30 juin 2020 et plus largement, quelles actions elle compte mener pour protéger les réserves d'eau.

Question N° 32492 de M. Christophe Jerretie (Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés - Corrèze)
M. Christophe Jerretie attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la question de la préservation et de la sauvegarde des moulins à eau. La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques prévoit que les ouvrages hydrauliques doivent être « gérés, entretenus et équipés » par leurs propriétaires selon des règles définies par l'autorité administrative. En réalité, les agences de l'eau programment de plus en plus de destructions d'ouvrages hydrauliques. En simplifiant les procédures administratives, le décret du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau permet aux agences de l'eau de continuer plus facilement l'arasement des barrages, faisant ainsi réagir des associations voulant protéger le patrimoine hydraulique français. Cette multiplication des destructions est faite au nom de la continuité écologique et du respect d'une directive-cadre de l'Union européenne visant à améliorer la qualité de l'eau datant de 2000. En effet, les 60 000 ouvrages hydrauliques français seraient des obstacles mettant en péril la continuité écologique des espèces et des sédiments entre les cours d'eau. Néanmoins, les bienfaits en matière de biodiversité de cette politique de destruction sont contestés : les zones humides, qui regroupent une part importante de la faune et de la flore des cours d'eau pourraient être menacées par ces destructions. En conséquence, des milliers d'écosystèmes se retrouveraient en danger par la destruction indirecte de milieux de vie. Des espèces risquent même de disparaître : c'est le cas de la salamandre tachetée qui pourrait voir son habitat s'assécher durant les années à venir. De plus, détruire des moulins revient à détruire un patrimoine qui pourrait s'avérer fort utile en produisant hydroélectricité et farine. À l'heure où la production d'hydroélectricité est mise en valeur (par la loi du 9 novembre 2018 relative à l'énergie et au climat et par celle relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015) et où de plus en plus d'associations se plaignent de voir leur patrimoine hydraulique détruit sans même être consultées par les agences de l'eau, il souhaiterait savoir si le Gouvernement souhaite faire évoluer sa politique de destruction des ouvrages hydrauliques et de continuité écologique en la rendant plus favorable au patrimoine français et à la production d'hydroélectricité.

07/12/2020

Diffuser et utiliser la carte des 25 000 sites français que l'on peut relancer en petite hydro-électricité

Les politiques publiques de prévention du réchauffement climatique accusent des retards, et les Etats sont de plus en plus souvent condamnés devant les cours de justice pour cette raison. En France, nous souffrons notamment d'une mauvaise prise en compte de la petite hydro-électricité, car la direction de l'eau du ministère de l'écologie et son administration ont pris la décision absurde de décourager les relances des moulins par des demandes ingérables, pire encore de détruire ces sites au lieu de les préserver et d'inciter à les équiper. Les associations doivent utiliser la cartographie des sites anciens équipables mise au point par le projet européen RESTOR HYDRO pour saisir les préfets et les élus de la nécessité d'intégrer la relance des petits ouvrages hydrauliques dans tous les schémas et contrats de transition écologique (SRADDET, SAGE, SDAGE, CRTE). 


Le projet européen RESTOR HYDRO a mené dans les années 2010 une évaluation de l’état et du potentiel de restauration de la petite hydroélectricité dans les 27 pays européens. C'est un premier diagnostic, portant notamment sur les sites de moulins, forges, et anciennes usines à eau (voir notre recension de Punys et al 2019).

La carte d'estimation des sites équipables en France est disponible à cette adresse. On peut zoomer sur chaque territoire, ce qui en fait un média d'information très utile. 

Nous souhaitons que cet outil de prise en compte des moulins et autres sites équipables en petite hydro-électricité soit désormais systématiquement intégré :

- dans les schéma régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui ont vocation à développer les énergies renouvelables de chaque région,

- dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE local, SDAGE de bassin), qui ont vocation à informer les décideurs et citoyens des potentiels énergétiques des cours d'eau,

- dans les contrats territoriaux de relance et de transition écologique (CRTE), qui ont vocation à réduire les émissions carbone de chaque territoire.

Les associations ont vocation à informer les décideurs locaux en utilisant cette cartographie RESTOR HYDRO, mais aussi à l'améliorer par leur connaissance du terrain. A ce sujet, il serait utile que les structures porteuses du projet RESTOR HYDRO mettent les données brutes à disposition en format géolocalisé, afin de permettre une démarche participative (mise à jour et enrichissement des données) ainsi qu'un croisement avec d'autres formats géographiques SIG, pour montrer plus facilement les potentiels par bassins versants ou par régions.

Carte RESTOR HYDRO du potentiel de petite hydro-électricité


A télécharger : Les moulins au service de la transition, le dossier complet (pdf), un document de synthèse pour informer les élus et décideurs des territoires. Les moulins, forges, usines à eau sont présents dans tout le pays, jouissent d'une bonne acceptabilité sociale du fait de leur présence ancienne et offrent des opportunités de déployer une énergie bas-carbone à faible impact environnemental. La transition bien comprise commence par le ré-usage de ce qui est disponible localement et demande peu d'efforts pour être relancé.

04/12/2020

Les stations d'épuration laisseraient passer plus de 100 molécules toxiques dans les eaux françaises (Aemig et al 2021)

Si les années 1980 et suivantes ont vu se développer la lutte contre les nitrates et phosphates, encore inachevée dans plusieurs régions, on commence seulement à mesurer les volumes de micropolluants circulant dans les eaux en France. Dans la première étude de ce genre pour quantifier les contaminants à échelle du pays, les chercheurs ont identifié en sortie de station d'épuration 94 molécules organiques pouvant avoir des effets toxiques sur la santé humaine (88 écotoxiques), 15 molécules inorganiques pouvant avoir une toxicité humaine (19 écotoxiques), pour un total de près de 147 tonnes. Les stations d'épuration ne sont pas prévues pour traiter ces contaminants d'origines très diverses : pesticides, médicaments humains et vétérinaires, hormones, hydrocarbures, métaux lourds, composés de synthèse. L'effet de cette charge toxique sur les milieux aquatiques est très mal documenté à ce jour, malgré leur hausse constante depuis l'après-guerre. Il serait temps que les gestionnaires français de l'eau, au lieu de détruire maladivement des moulins et étangs d'Ancien Régime comme soi-disant pinacle écologique de la rivière "sauvage", s'intéressent sérieusement au dossier de la pollution ainsi qu'à la santé des humains comme à celle des milieux.


Quentin Aemig, Arnaud Hélias et Dominique Patureau (INRAE, ITAP Montpellier, ELSA Montpellier) ont pour la première fois en France tenté de quantifier les micropolluants rejetés par les stations d’épuration. Selon leur modélisation, les 5 milliards de mètres cubes d’eau qui sortent chaque année de ces stations comporteraient environ 147 tonnes de micropolluants.

Voici le résumé de leur travail :
"Les micropolluants émis par les activités humaines représentent une menace potentielle pour notre santé et notre environnement aquatique. Des milliers de substances actives sont utilisées et vont à la STEP via les eaux usées. Pendant le traitement de l'eau, une élimination incomplète se produit. Les effluents rejetés dans l'environnement contiennent encore une partie des micropolluants présents dans les effluents. Ici, nous avons étudié les impacts potentiels sur la santé humaine et le milieu aquatique du rejet de 261 micropolluants organiques et de 25 micropolluants inorganiques à l'échelle de la France. Les données ont été recueillies à partir d'enquêtes nationales, de rapports, d'articles et de travaux de doctorat. Le modèle USE-tox ® a été utilisé pour évaluer les impacts potentiels. Les impacts sur la santé humaine ont été estimés pour 94 micropolluants organiques et 15 inorganiques et sur le milieu aquatique pour 88 micropolluants organiques et 19 inorganiques, soulignant le manque de concentration et de données toxicologiques dans la littérature. Certains hydrocarbures aromatiques polycycliques et pesticides ainsi que l'As et le Zn ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur la santé humaine. Certains pesticides, le PCB 101, la βE2, l'Al, le Fe et le  Cu ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur l'environnement aquatique."

Ce schéma résume les molécules organiques et inorganiques étudiées (liste des substances, nombre de substances avec au moins une concentration détectable, nombre de substances dépassant la limite de détection dans plus de 10% des prélèvements, substances à toxicité humaine ou environnementale). 




Voici leur conclusion :

"Les impacts potentiels totaux sur la santé humaine ont varié entre 3 et 14 et 761 à 904 DALY [Disability Adjusted Life Year = cumul année de vie perdue] pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques. Les impacts potentiels totaux sur l'environnement aquatique ont varié entre 18 et 22 et 2 408 à 3 407 milliards de PDF.m3.j [Potentially Disappeared Fraction potentielle d'espèces disparues d'un volume) pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques.

Pour la toxicité et l'écotoxicité, les impacts potentiels ont été calculés avec un petit nombre de molécules par rapport à celles qui avaient été sélectionnées. Cela a mis en évidence le manque de données de concentration et de facteurs de caractérisation. La connaissance réelle des effets des micropolluants sur la santé humaine et l'environnement aquatique est limitée.

Nos études ont soulevé la question de la solution pour réduire les impacts des micropolluants organiques sur la santé humaine et l'environnement aquatique. La réduction ou l'interdiction d'utilisation est préférée en France; ici, nous avons mis en évidence que les micropolluants omniprésents (HAP), interdits (PCB) ou naturels (hormone) sont toujours présents dans les effluents et ont contribué à l'impact calculé signifiant que cette solution n'est pas appropriée pour tous les micropolluants. Les traitements tertiaires sont un autre moyen de réduire les rejets dans l'environnement, mais nous devons savoir s'ils sont suffisants pour réduire les micropolluants ayant les impacts les plus élevés et des études pour prouver que les produits de dégradation, le cas échéant, ne sont pas plus toxiques que les composés d'origine. De plus, on peut également s'interroger sur le coût impliqué par l'ajout de traitements tertiaires: il faut savoir si les options de traitement tertiaire disponibles sont efficaces pour éliminer les micropolluants et si elles sont rentables compte tenu de leur coût et de la diminution de l'impact. Nos résultats ont soulevé des questions sur les impacts des micropolluants inorganiques; en effet, ils sont naturellement présents dans l'eau, la plupart des concentrations dans les effluents des stations d'épuration sont proches des concentrations en rivière mais les impacts estimés montraient un risque élevé en raison de ces substances.

USETox® est basé uniquement sur des données de toxicité chronique et ne tient pas compte des perturbations endocriniennes. De plus, les effets des nanomatériaux, des microplastiques, des gènes de résistance, etc. n'ont pas été pris en compte par cette méthode mais peuvent représenter un impact important sur la santé humaine et l'environnement aquatique. Cependant, cette méthode pourrait être utilisée pour comparer différents scénarii: ajout de traitement tertiaire, réduction des émissions à la source, etc. Ici, comme première étape d'estimation des impacts potentiels, nous nous concentrons sur les valeurs de masse moyennes à l'échelle de la France. On sait qu'il existe une variation spatiale et temporelle des émissions de micropolluants (Lindim et al., 2019); une perspective est d'utiliser ce type de méthode à l'échelle du bassin versant, en considérant d'autres émissions provenant de l'agriculture ou des industries."
Parmi les substances les plus nocives pour les humains, 8 représentent seulement 4 % de la masse totale des 94 micropolluants, mais 94 % de leur impact potentiel. Elles se composent de quatre hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du dicofol (insecticide organochloré interdit depuis 2010), d’un retardateur de flammes (banni depuis 2004) ainsi que de deux anti-inflammatoires. Du côté de la faune aquatique, les cinq substances ayant le plus d’effet représentent 2 % du total des flux, mais comptent pour 99 % de l’impact. La cyperméthrine (un insecticide), un PCB, un type d’œstrogène naturel (ßE2), l’amoxicilline (un antibiotique) se révèlent comme les plus dommageables.

Discussion
Les pollutions des cours d'eau et des nappes restent mal évaluées, en raison du très grand nombre de substances chimiques (plusieurs dizaines de milliers) qui sont utilisées dans l'agriculture et l'industrie. Bien que présentes en faibles doses, ces molécules peuvent être toxiques dans certains cas, et leurs effets cumulés sont quasi-impossibles à estimer sur l'ensemble des organismes cibles présents dans les rivières et les plans d'eau. 

Ces résultats sont aussi très inquiétants pour la capacité de la France à respecter la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance ultime de résultat est fixée en 2027. Plus des deux-tiers des rivières sont en mauvais état chimique, notamment en raison des HAP et des pesticides. Mais les mesures de routine faites dans le cadre de l'évaluation DCE sont loin de comptabiliser toutes les molécules à effet toxique. 

Il est navrant que l'argent public de l'eau continue d'être dilapidé en France dans des mesures absurdes, comme la destruction des ouvrages anciens (moulins, étangs, plans d'eau), alors que la restauration de la qualité chimique de l'eau n'est toujours pas à portée de vue. Les administrations n'ayant pas été capables de hiérarchiser les enjeux et les priorités pour la société porteront une lourde responsabilité en ce domaine. 

01/12/2020

Guide de la continuité écologique et des rivières prioritaires

Après de grands retards et de nombreuses critiques, la réforme ratée de continuité écologique a donné lieu à la définition de rivières et d'ouvrages prioritaires. Nous publions la conférence Hydrauxois donnée à ce sujet, ainsi que la mise à jour du guide des propriétaires d'ouvrages hydrauliques pour répondre aux exigences de l'article L 214-17 du code de l'environnement. Attention, le droit est précis: pour ne pas se mettre en défaut tous les moulins, forges, étangs et plans d'eau concernés par un classement en liste 2 doivent lire attentivement le guide et agir en conséquence. Ne rien faire aujourd'hui, c'est se préparer des ennuis pour demain. 





Les points essentiels à retenir :

- la priorisation des rivières est sans base légale, c'est une décision purement interne de l'administration faussement présentée comme une solution, 

- tous les ouvrages classés en liste 2 restent soumis aux obligations de la loi, tous les ouvrages pourront donc être attaqués par des tiers (ou déclarés "non régulièrement installés" par l'Etat) s'ils ne sont pas en conformité à la continuité écologique au terme du délai légal (délai de 5 ans prorogé une fois, donc travaux avant 2022 ou 2023 selon les bassins),

- nous ne voulons pas de ces diversions, mais l'application de la loi : des solutions de continuité respectant la consistance légale des ouvrages (pas de destruction) et indemnisant les travaux à coût exorbitant (pas de charge publique sur le dos de particuliers),

- si cette mise en conformité est impossible dans les délais pour manque de temps ou d'argent, alors il faut soit réviser la loi (modifier l'article L 214-17 CE posant tant de problèmes depuis 2006) soit réviser la liste de classement en liste 2 pour revenir à des périmètres raisonnables,

- nous appelons tous les maîtres d'ouvrage à se coordonner sur les rivières liste 2, à opposer le même discours aux administrations et syndicats, à saisir leur parlementaire pour que le ministère de l'écologie cesse ses dérives et ses dénis pour trouver de vraies solutions.

Pour rappel : l'association Hydrauxois a demandé au conseil d'Etat l'annulation du processus de priorisation, car il crée des inégalités des citoyens devant la loi et, in fine, ne respecte pas les termes de cette loi en suggérant que les délais légaux ne seront pas respectés. Nous voulons que le ministère de l'écologie et le parlement actent sans détour l'échec de la réforme telle qu'elle été menée par l'administration, pour définir des solutions réellement pérennes. 

27/11/2020

La population de castor dépasse 1,2 million d'individus en Europe (Wróbel 2020)

Le castor eurasien (Castor fiber) est une espèce en pleine expansion. Les réintroductions, qui ont été menées dans diverses parties de l'Europe, ainsi que le taux d'accroissement naturel ont entraîné une augmentation du nombre d'individus. Où en sommes-nous en 2020? Michał Wróbel (Institut de recherche forestière, Pologne) a collecté les informations disponibles pour fournir des chiffres sur la population de castors eurasiens dans toute l'Europe. La population compterait près de 1,2 millions individus. Mais la France a encore un fort potentiel d'expansion du castor. Ce qui devrait occasionner la construction de nombreux barrages en rivière, jugés bénéfiques pour le vivant.

Nous reproduisons ci-dessous les données collectées par le chercheur.



Discussion
Les densités observées en Europe orientale, où le castor a moins régressé qu'en Europe occidentale, suggèrent un fort potentiel d'expansion, notamment en France. Cela implique que la morphologie des rivières peu profondes devrait être modifiée dans les années et décennies à venir — en particulier les têtes de bassin boisées, où le castor trouve des conditions favorables. Dans les rivières dont la lame d'eau est inférieure à 68 cm, les colonies de castors choisissent la stratégie de construction de barrages et retenues (Swinnen et al 2019).

Il sera intéressant d'observer comment les gestionnaires de l'eau, considérant désormais (au plan règlementaire) que tout obstacle de plus de 20 cm est une grave discontinuité écologique, vont accueillir le retour de ces barragistes de la nature. La littérature en écologie ne tarit pas d'éloge sur les castors et leurs bienfaits pour la diversité locale des habitats, l'épuration de l'eau, la création de débordements latéraux, etc.. Pourtant, les barrages et retenues de ces rongeurs semi-aquatiques ont sensiblement les mêmes effets que les plus modestes ouvrages des humains : ils tendent à ralentir l'écoulement et créer des systèmes lentiques, à réchauffer la masse d'eau retenue, à remplacer un lit en sable et gravier par du limon, etc. Par quelles acrobaties intellectuelles va-t-on  changer de discours pour affirmer que les mêmes effets sont tantôt remarquables, tantôt blâmables? A moins que les véritables motivations de certains usagers promouvant des "rivières libres" n'apparaissent plus clairement à cette occasion...

Référence : Wróbel M (2020) Population of Eurasian beaver (Castor fiber) in Europe, Global Ecology and Conservation, 23, e01046 

24/11/2020

Non, la science ne dit pas qu'il faut détruire les ouvrages des rivières

Alors qu'elle ne respecte ni ses engagements sur le réchauffement climatique ni ceux sur les pollutions, la technocratie française de l'eau prétend depuis 10 ans que la destruction des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques anciens serait une nécessité urgente dictée par la science. C'est un mensonge. Pour justifier ses choix, cette technocratie ne sélectionne qu'une petite partie des recherches, elle mélange sans vergogne la science et l'opinion, elle use d'un argument d'autorité n'ayant pas lieu d'être. Explications.


Depuis 10 ans, le France a engagé la politique la plus ambitieuse en Europe et dans le monde dans le domaine de la continuité écologique des rivières. En particulier la continuité en long, celle qui entend supprimer tout obstacle à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Il s'agit pour cette politique de favoriser la destruction du maximum de chaussées et de barrages, entraînant la disparition des paysages et habitats qui en résultent (plans d'eau, canaux), ainsi que des patrimoines et des usages attachés aux ouvrages. 

Face aux refus que soulève cette politique un peu partout, l'un des arguments les plus souvent entendus pour la justifier s'énonce ainsi: la science affirme que la disparition des ouvrages est une bonne chose.

Cet argument est faux, et il est manipulateur de trois manières. 

D'abord, la science ne parle pas des "bonnes" choses et des "mauvaises" choses, ce qui relève de l'opinion. La science se contente d'établir des faits, d'en chercher les causes et d'en viser des prédictions, elle ne se prononce pas sur le monde idéal. C'est aux citoyens et à leurs élus, une fois correctement informés des données de la science — et de toutes les données —, de décider ce qu'ils veulent pour la société et son environnement.

Ensuite, la science supposément favorable à la destruction des ouvrages a été réduite à l'écologie, en particulier l'écologie de conservation. Or la science ne se résume pas à l'écologie : les ouvrages hydrauliques peuvent être analysés au plan de l'hydrologie, de la limnologie, de l'histoire, de la géographie, de la sociologie, de l'anthropologie, de l'économie, du droit... il y a une véritable usurpation de "la science" si on la résume à une seule discipline. 

Enfin, même au sein de l'écologie formant la justification principale de cette politique, on a réduit l'approche scientifique à celle de chercheurs usant d'un paradigme particulier: seule une nature indemne de toute influence humaine représenterait la nature "de référence", la nature "normale". Or, tous les écologues scientifiques ne sont pas d'accord avec cette approche, certains admettent désormais que la biodiversité évolue, que les nouveaux écosystèmes créés par les humains ont des intérêts et peuvent être conservés.

La Coordination nationale eaux & rivières humaines a publié un recueil de 100 recherches scientifiques menées en France et Europe, toutes parues voici moins de 10 ans, montrant que le discours officiel d'Etat (et de divers lobbies) sur la continuité écologique représente en réalité une sélection arbitraire de certaines conclusions et de certaines approches de la recherche.

Entendons-nous bien : il ne s'agit évidemment pas de prétendre que des ouvrages hydrauliques ne transforment pas les milieux au plan physique, chimique ou biologique. C'est une évidence, beaucoup de recherches l'ont montré. Mais toutes ces transformations ne sont pas négatives, toutes ne sont pas jugées mauvaises par la société et toutes doivent être comparées à d'autres pour en comprendre la portée exacte, avant de prétendre que cela a la moindre gravité, ou même que c'est un problème. Notre pays n'étant par exemple pas capable de mesurer en routine les centaines de polluants circulant dans ses eaux, on peut douter que cet exercice de comparaison et hiérarchisation soit fait avec une grande robustesse. 

Ne confondons plus la science avec les alibis opportunistes de la technocratie. Cela nourrit la disqualification de la parole publique, mais aussi plus gravement le discrédit de la parole scientifique dont on ne sait plus trop si elle représente une recherche neutre de connaissances ou une idéologie au service du pouvoir politique.

A lire

22/11/2020

Le syndicat de la Sarthe SM SEAU déploie le bourrage de crâne pour justifier la casse des ouvrages en rivière

Souhaiter une continuité écologique "apaisée" mais persister dans la diabolisation des ouvrages, la diffusion d'informations incomplètes et trompeuses à leur sujet, l'appel à leur disparition? Cela ne marchera pas. Nous avons besoin d'un nouveau discours public de l'eau et de la rivière, pas de communication superficielle et mensongère. Ainsi dans l'actualité, un syndicat essaie d'obtenir du préfet une déclaration d'intérêt général (DIG) pour des travaux sur le Rhonne, l’Orne Champenoise, la Vézanne et le Fessard, pour un total de 2,98 millions d'euros d'argent public. Le volet sur les ouvrages hydrauliques et la continuité en long est un copier-coller paresseux des dogmes contre les retenues, canaux et plans d'eau, sans aucune prise en compte des évolutions des connaissances scientifiques ni des débats entre les experts de ces questions, sans aucune donnée de terrain analysant ces milieux avant de définir des choix. Nous ne pourrons pas parvenir à un apaisement sur cette question si l'administration valide des dogmes sans consistance menant à dilapider l'argent public de l'écologie dans des travaux sans lien à l'intérêt général et sans ciblage sur les premiers facteurs qui dégradent l'état des cours d'eau et plans d'eau. Les riverains et leurs associations doivent donc refuser ces DIG en enquête publique et aller en justice, car avec le décret scélérat du 30 juin 2020, il n'est plus possible ensuite d'exiger des études d'impact sur chaque casse de moulin, étang ou plan d'eau entraînant la destruction des milieux, fonctions, usages et potentiels liés à ces ouvrages. 


Le Syndicat mixte Sarthe Est Aval Unifié (SM SEAU) organiser une enquête publique pour un projet de travaux de restauration des milieux aquatiques sur les bassins versants du Rhonne, de l’Orne Champenoise, de la Vézanne et du Fessard.

Le syndicat veut obtenir une déclaration d'intérêt général (DIG) et une autorisation environnementale unique. Depuis le décret scélérat du 30 juin 2020, ce moment de la procédure est le seul où les citoyens peuvent s'exprimer. Si le préfet valide la DIG et l'autorisation environnementale dans un arrêté, alors le syndicat et ses exécutants pourront détruire à volonté des ouvrages et des milieux sans avoir à faire d'étude d'impact local ni à soumettre le projet aux citoyens concernés dans le cadre d'une procédure transparente.

Le syndicat mixte SM SEAU propose de donner la prime à l'effacement des ouvrages hydrauliques. 

Il  justifie ses mesures par des propos très généraux et très manipulateurs, dont voici l'exposé :
"Le diagnostic réalisé sur le territoire a mis en avant la présence de plusieurs ouvrages ou plans d’eau impactant la continuité écologique et plus généralement la qualité habitationnelle de la rivière.
Note : La régularité administrative n’est pas avérée pour chacun de ces ouvrages ou plans d’eau, des recherches seront effectuées afin d’identifier ceux qui seraient illégaux.
La présence d’ouvrages hydrauliques et de plans d’eau implantés en travers ou en dérivation du cours d’eau présente de nombreux impacts négatifs. Ces impacts sont proportionnels à l’envergure de l’ouvrage et du plan d’eau (hauteur de chute, surface du miroir d’eau...) et aux caractéristiques du cours d’eau.
En effet, ils peuvent être à l’origine :
− d’une aggravation du phénomène d’eutrophisation et d’une altération de la qualité de l’eau sur les portions aval du cours d’eau (augmentation de la température et de la matière organique, diminution de l’oxygène dissous) ;
− d’un effet d’obstacle pour les poissons en migration et de morcellement des populations ;
− d’un piégeage dans la retenue des sédiments grossiers (sables, graviers, blocs) et des limons (envasement progressif) et donc d’un déséquilibre hydro- sédimentaire à l’échelle de la rivière, avec une accentuation des phénomènes d’érosion plus en aval ;
− d’une homogénéisation des milieux aquatiques avec une modification des peuplements piscicoles et des macro-invertébrés (espèces polluo-résistantes) et une disparition des zones de fraie et de développement des juvéniles pour certaines espèces sensibles à la qualité du substrat (truites, vairons, chabots...) ;
− d’une augmentation des inondations à l’amont et des étiages à l’aval. 
Ces ouvrages et plans d’eau vont à l’encontre du bon état écologique des cours d’eau."
Cette justification reprend tous les dogmes de la continuité écologique et représente un bourrage de crâne. La coordination nationale Eaux & rivières humaines a publié un dossier de 100 recherches scientifiques récentes, en France et en Europe, dont beaucoup concernent des ouvrages et plans d'eau. Il ressort de ces travaux de recherche que 
  • Les milieux créés par les ouvrages hébergent de la biodiversité.
  • La biodiversité des bassins versants évolue depuis des millénaires sous influence humaine, dans le cadre d’une « socio-nature », rendant illusoire la définition administrative d’un « état de référence ».
  • Les ouvrages anciens et de petites dimensions ont souvent des impacts faibles à nuls sur le transit des sédiments ou la circulation des poissons grands migrateurs.
  • Les ouvrages, en particulier les chaines d’ouvrages de type moulins et étangs, assurent une retenue d’eau sur les bassins (surface, nappe), leur disparition altérant ce service environnemental.
  • Les pollutions et les usages des sols du bassin versant ont des effets beaucoup plus marqués sur la dégradation de l’eau que la morphologie du lit.
  • Au sein de la morphologie, les densités de barrages ont des effets faibles à nuls sur la qualité de l’eau et des milieux, voire un certain nombre d’effets positifs mesurés dans divers travaux (dépollution et hausse de biodiversité bêta du bassin en particulier).
  • La restauration écologique, et en particulier morphologique, des rivières est confrontée à des résultats incertains, parfois des échecs.
  • Les effacements d’ouvrages hydrauliques ont parfois des effets négatifs avérés : incision des lits, pertes de milieux (zones humides, ripisylves), pollutions, disparition d’aménités culturelles.
  • Les politiques de rivières sont en déficit de reconnaissance des aspirations des citoyens et des dimensions multiples de l’eau, avec certaines expertises qui ont des biais manifestes mais sont mises en avant sans débat par les gestionnaires.
  • Les résultats en écologie aquatique sont contextes-dépendants (contingents) et cela interdit de faire des prescriptions généralistes sur les ouvrages et leurs milieux, le cas par cas (vue intégrée par site, par rivière, par bassin) étant une absolue nécessité pour ne pas engager des résultats négatifs.
L'association Hydrauxois a donc donné un avis négatif à cette enquête publique. Elle se réserve l'opportunité de requérir en justice avec d'autres plaignants l'annulation d'un arrêté préfectoral qui validerait la présentation mensongère des enjeux de l'eau aux citoyens. Nous appelons toutes les associations de défense des riverains, des rivières et des ouvrages à participer systématiquement aux enquêtes publiques de DIG des syndicats et, si besoin, à ester en justice pour obtenir l'annulation de l'arrête préfectoral qui en découle.

Le gouvernement prétend qu'il va développer la "continuité écologique apaisée". Mais depuis 20 ans, les administrations et les experts de ce gouvernement développent un discours faux et militant de diabolisation systématique des ouvrages hydrauliques, discours que l'on trouve répliqué paresseusement par les syndicats de rivière et les bureaux d'études à qui ces syndicats sous-traitent la justification de leurs travaux.

Nous ne connaîtrons aucun apaisement sur la question des ouvrages hydrauliques tant que l'idéologie de la préférence systématique à la destruction des moulins, forges, étangs, canaux, plans d'eau et zones humides d'origine humaine sera à l'oeuvre dans les choix publics, nationaux comme locaux. 

21/11/2020

Le déclin de la faune sauvage est mal estimé par les indices globaux, qui cachent de fortes disparités (Leung et al 2020)

L'indice Planète vivante (Société zoologique de Londres ZSL, WWF) conclut que le monde a perdu 68% des vertébrés entre 1970 et 2016. Le chiffre est massif, alarmant. Mais le ré-examen des données par des chercheurs montre que 1% des vertébrés ont un déclin extrême, 0,4% une hausse extrême, et les 98,6% restants ne montreraient pas de tendance significative à la hausse ou à la baisse. En revanche, l'analyse plus fine des données par clusters cohérents suggère que des régions (comme l'indo-pacifique) et des règnes (reptile, amphibien) ont des stress plus importants. Les chercheurs appellent à des indices plus qualitatifs pour orienter nos choix en protection de la biodiversité et les rendre plus efficaces.

Dans la revue Nature, Brian Leung et quatre collègues suggèrent que le déclin catastrophique des populations mondiales de vertébrés est mal interprété et surestimé en raison des méthodes statistiques utilisées pour agréger les données.

Voici le résumé de leur recherche :

"Des analyses récentes ont signalé des déclins mondiaux catastrophiques des populations de vertébrés. Cependant, la distillation de nombreuses tendances en un indice moyen global masque la variation qui peut éclairer les mesures de conservation et peut être sensible aux décisions analytiques. 

Par exemple, des analyses antérieures ont estimé un déclin moyen des vertébrés de plus de 50% depuis 1970 (Living Planet Index). Ici, nous montrons cependant que cette estimation est déterminée par moins de 3% des populations de vertébrés; si l'on exclut ces populations extrêmement en déclin, la tendance mondiale passe à une augmentation. 

La sensibilité des tendances moyennes mondiales aux valeurs aberrantes suggère que des indices plus informatifs sont nécessaires. Nous proposons une approche alternative, qui identifie les grappes de déclin (ou d'augmentation) extrême qui diffèrent statistiquement de la majorité des tendances démographiques. Nous montrons que, parmi les systèmes taxonomiques-géographiques de l'Indice Planète Vivante, 16 systèmes contiennent des grappes de déclin extrême (comprenant environ 1% des populations; ces déclins extrêmes se produisent de manière disproportionnée chez les animaux plus grands) et 7 contiennent des augmentations extrêmes (environ 0,4% des populations). Les 98,6% restants de la population dans tous les systèmes n'ont montré aucune tendance mondiale moyenne. Cependant, analysés séparément, trois systèmes déclinaient fortement avec une certitude élevée (tous dans la région indo-pacifique) et sept étaient en déclin fortement mais avec moins de certitude (principalement des groupes de reptiles et d'amphibiens). 

La prise en compte des grappes extrêmes modifie fondamentalement l'interprétation des tendances mondiales des vertébrés et devrait être utilisée pour aider à hiérarchiser les efforts de conservation."

Cette carte montre par exemple les tendances des vertébrés d'eau douce dans le monde. 

Les astérisques rouges et bleus indiquent l'occurrence de grappes extrêmement décroissantes et de grappes croissantes, respectivement. Les distributions affichent le cluster principal de chaque système. Rouge, déclins significatifs; bleu, augmentations significatives; orange, fortes baisses non significatives; vert, fortes augmentations non significatives; jaune, changements faibles). Les cartes ont été créées à l'aide du logiciel ArcGIS par Esri (ArcGIS et ArcMap sont la propriété intellectuelle d'Esri et sont utilisés ici sous licence.

Discussion
Comme explique à l'AFP l'auteur principal Brian Leung, de l'université McGill à Montréal, "réunir toutes les courbes de population en un seul chiffre peut donner l'impression que tout décline partout, en se basant sur les maths plutôt que sur la réalité. Un tableau plus nuancé est plus précis: il y a des foyers de population en déclin extrême, dans des écosystèmes qui en dehors de ça ne sont ni en amélioration ni en déclin. Toutefois il y a aussi quelques zones géographiques où la plupart des populations examinées semblent en déclin. Il est important d'identifier celles-là".

L'écologie est désormais une politique publique fondée sur la science, et elle exige donc des métriques de qualité. Un discours trop flou sur le déclin global du vivant et la nécessité de "tout changer" risque de se traduire par l'impuissance, et surtout par des actions mal ciblées alors que les budgets de protection ou de restauration écologiques sont encore très limités. Dans le domaine du vivant aquatique et amphibie, nous souhaitons que les données soient utilisées de manière plus intelligente afin de hiérarchiser les zones et les espèces à problème. Il est nécessaire que les gestionnaires de l'environnement et décideurs disposent de telles approches plus discriminantes.

Référence : Leung B et al (2020), Clustered versus catastrophic global vertebrate declines, Nature, doi: 10.1038/s41586-020-2920-6

19/11/2020

Des insecticides antipuces surpuissants dans les rivières et plans d'eau (Perkins et al 2020)

Une recherche menée au Royaume-Uni a trouvé du fipronil dans 99% des échantillons de 20 rivières et le niveau moyen d'un produit de dégradation particulièrement toxique de ce pesticide était 38 fois supérieur à la limite de sécurité. Le fipronil et un autre agent neurotoxique appelé imidaclopride, lui aussi retrouvé dans les milieux aquatiques, ont été interdits d'utilisation en agriculture depuis quelques années. Principal suspect: les traitements antipuces des 21 millions de chiens et de chats du pays. Ces produits sont hautement toxiques pour les invertébrés — à titre d'exemple, une seule dose de traitement pour chien a un potentiel toxique suffisant pour tuer 60 millions d'abeilles. L'impact sur les insectes des rivières comme sur les poissons, amphibiens et oiseaux qui en dépendent est à explorer. Espérons que la France se penche aussi sur cette question, car l'analyse des pollutions chimiques et de leurs effets biologiques reste à ce jour très lacunaire au regard du nombre de substances circulant dans les eaux.


Voici le résumé de la recherche des quatre scientifiques anglais :

"On en sait peu sur le devenir environnemental ou l’impact des pesticides utilisés pour lutter contre les parasites des animaux de compagnie. À l'aide des données de l'Agence pour l'environnement, nous avons examiné l'occurrence du fipronil, des métabolites du fipronil et de l'imidaclopride dans 20 rivières anglaises de 2016 à 2018, comme indicateurs de la contamination potentielle des cours d'eau par leur utilisation comme ectoparasiticide sur les animaux de compagnie. Des échantillons d'eau ont été prélevés par l'Agence pour l'environnement dans le cadre de son programme de surveillance chimique et analysés à l'aide des méthodes de spectrométrie de masse par chromatographie liquide / spectrométrie de masse à temps de vol quadripolaire (LC / Q-TOF-MS). Au total, 3861 analyses chimiques ont été examinées et l'importance et les sources potentielles de cette contamination ont été évaluées. 

Le fipronil, le fipronil sulfone, le sulfure de fipronil (collectivement appelés fiproles) et l'imidaclopride ont été détectés dans 98,6%, 96,5%, 68,7% et 65,9% des échantillons, respectivement. Sur l'ensemble des sites fluviaux échantillonnés, les concentrations moyennes de fipronil (17 ng/l, fourchette <0,3–980 ng/l) et de fipronil sulfone (6,5 ng/l, fourchette <0,2–39 ng/l) étaient de 5,3 et 38,1 fois leurs limites de toxicité chronique de 3,2 et 0,17 ng/l, respectivement. L'imidaclopride avait une concentration moyenne de 31,7 ng/l (intervalle <1 à 360 ng/l), qui était inférieure à sa limite de toxicité chronique de 35 ng/l, mais 7 sites sur 20 dépassaient cette limite. Les quotients de risque chronique indiquent un risque environnemental élevé pour les écosystèmes aquatiques dû aux fiproles et un risque modéré à l'imidaclopride. 

Les sites immédiatement en aval des ouvrages de traitement des eaux usées présentaient les niveaux les plus élevés de fipronil et d'imidaclopride, ce qui étaye l'hypothèse selon laquelle des quantités potentiellement importantes de pesticides provenant de produits vétérinaires contre les puces pourraient pénétrer dans les cours d'eau par les égouts ménagers. Ces résultats suggèrent la nécessité d'une réévaluation des risques environnementaux associés à l'utilisation de produits antiparasitaires pour animaux de compagnie et des évaluations des risques que ces produits subissent avant l'approbation réglementaire."

Référence : Perkins R et al (2020), Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science of The Total Environment,, 143560

17/11/2020

Leur nature et la nôtre, les nouveaux débats de l'écologie

L'écologie doit-elle devenir un culte du retour à la nature sauvage sans l'homme ou rester une appréciation critique des écosystèmes tels qu'ils évoluent dans l'histoire, y compris sous l'influence de l'homme? L'hydrobiologiste Christian Lévêque publie dans le forum de la revue Water Alternatives un éditorial sur les deux visions qui s'affrontent en Europe concernant la restauration des rivières. Nous en proposons une traduction et un commentaire.


Que signifie "restaurer" les rivières? 
Restauration "écocentrique" vs "centrée sur l'humain"

"Depuis des siècles, nous adaptons nos cours d'eau pour utiliser les terres fertiles des grands lits fluviaux pour l'agriculture, pour faciliter la navigation et promouvoir le commerce, pour produire de l'énergie à l'aide de moulins à eau et de barrages et, plus récemment, pour des activités de loisirs. Dans le même temps, pour se protéger des inondations, des digues ont été construites à tel point que les fleuves européens ont perdu 90% de leurs plaines inondables. Et, bien sûr, les rivières ont trop souvent servi d'exutoire à nos déchets!

Le concept de «restauration écologique» cherche à corriger ces impacts et suggère qu'un écosystème peut être restauré dans son état "d'origine" ou "équilibré". On comprend que la restauration d'un château consiste à le ramener à son état d'origine car il y a un point de référence, à partir de la date de sa création. Mais quand on a affaire à un système écologique qui a évolué et changé au cours de milliers d'années, la question est plus complexe: il n'y a pas de date de création et on ne sait pas où placer le marqueur sur la chronologie! Une autre approche consiste à assimiler les écosystèmes aux organismes et à rechercher un «état sain», une notion assez floue proche de celle de restaurer un état fonctionnel avant le "stress". Dans les deux cas, les «écosystèmes naturels» sont considérés comme non-artificialisés / humanisés. Mais pour les socio-écosystèmes qui ont co-évolué pendant des siècles, cette référence n'est pas très significative car de nombreuses espèces ont depuis disparu ou se sont adaptées aux nouvelles conditions. Lorsque l'objectif est de supprimer des états esthétiques, écologiques, sanitaires ou économiques indésirables, on parle de réhabilitation ou de ré-affectation. Mais alors, la "référence" n'existe pas et doit être définie: quels sont les critères à utiliser et quelles natures voulons-nous atteindre?

Les actions humaines sont le plus souvent décrites par les écologues comme des "dégradations" et l'utilisation par l'homme d'un système comme une "pression". En effet, selon le paradigme dominant de certains défenseurs de l'environnement, la nature est parfaite lorsqu'elle est exempte d'artefacts humains. Ainsi, ils cherchent à "supprimer" les infrastructures qui ont été construites sur les cours d'eau pour révéler des rivières "sauvages" ou "naturelles"... Mais cela remet en question de nombreux autres enjeux, comme la sécurité des riverains, les écosystèmes aquatiques qui se sont développés au fil des siècles et l'avenir du patrimoine bâti. Ainsi, certains écologues (non écologistes) différencient des niveaux de systèmes adaptés, dont beaucoup sont fonctionnels et devraient être étudiés comme tels plutôt que systématiquement considérés comme "dégradés". Ce que certains ont appelé les "nouveaux écosystèmes", par opposition aux systèmes non humanisés, contribuent à notre cadre de vie et constituent également un patrimoine écologique. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que tous les écosystèmes modifiés sont identiques ou également légitimes; en effet, des évaluations au cas par cas sont nécessaires. La priorité en termes de restauration devient alors claire: limiter la pollution et maintenir une forte hétérogénéité environnementale, tout en tenant compte d'une réduction attendue des débits d'eau due au changement climatique.

Les grands barrages construits pour produire de l'hydroélectricité et/ou stocker de l'eau pour se protéger des inondations, ou pour alimenter les réseaux d'irrigation, ainsi que des prélèvements massifs, ont fortement affecté le fonctionnement des rivières: perturbant la continuité amont-aval, notamment en ce qui concerne le transport des sédiments, affectant fortement des plaines alluviales et des "annexes fluviales". Alors que dans l'imaginaire populaire une rivière est constituée d'eau courante, pour les écologues, un système fluvial est avant tout un ensemble hétérogène de sous-systèmes plus ou moins coulants ou stagnants. Un hydrosystème est la rivière avec sa plaine d'inondation et ses annexes fluviales, telles que les bras morts, les étangs résiduels, les zones humides connectées, etc.

La reconquête de ces zones désormais largement urbanisées pour les réintégrer dans le fonctionnement de la rivière tend à être impossible pour des raisons d'occupation des sols et de sécurité. Les infrastructures ont un rôle dans le contexte actuel et, en règle générale, il n'est pas prévu de les supprimer dans un proche avenir. Il n'est pas non plus question de supprimer les installations de navigation ou les digues qui protègent les villes, comme les réservoirs de la Seine qui protègent Paris. Enfin, ces débats ne doivent pas nous permettre d'oublier la question de la qualité de l'eau et, malgré de gros efforts d'assainissement de nos cours d'eau, la lutte contre la pollution doit rester la priorité.

Par conséquent, les infrastructures évoquées ci-dessus sont toutes en place depuis longtemps et, à quelques exceptions près, la redécouverte de cours d'eau "vierges" n'est possible que dans notre imagination. Ainsi, particulièrement en France, l'attention s'est portée sur les petits déversoirs et leurs annexes, qu'ils soient inactifs / abandonnés ou encore en service, qui seraient considérés comme un obstacle à la "continuité écologique" (c'est-à-dire le mouvement des poissons et des sédiments). L'un des objectifs est le retour des poissons migrateurs (considérés à la hâte comme incarnant la biodiversité aquatique) et le déplacement des truites, bien qu'elles puissent traverser la plupart des déversoirs (naturellement ou à l'aide de passes à poissons). Cependant, toutes les espèces aquatiques ne vivent pas dans l'eau courante. Les amphibiens, par exemple, préfèrent les environnements stagnants et ne se mélangent pas bien avec les poissons. C'est également le cas de nombreux invertébrés qui disparaîtraient avec le retrait des déversoirs et des zones humides associées, qui sont connus pour être riches en espèces, y compris celles en péril. La suppression de ces derniers refuges n'est en tout cas qu'une maigre compensation pour les annexes fluviales de la plaine alluviale que nous avons gommées, et elle condamne une partie de la biodiversité aquatique qui ne vit pas dans l'eau courante. Bien qu'aucune évaluation n'ait été faite de ce qu'il y a à gagner ou à perdre en termes d'espèces aquatiques et de fonctions écologiques, le gouvernement français a mis en place une politique centralisée de suppression des seuils.

Les partisans de la continuité écologique semblent également ne pas bien apprécier les processus en cours de changement climatique qui, d'après les prévisions, entraîneront à la fois des inondations plus graves et des périodes de sécheresse plus longues. De ce point de vue, est-il préférable d'avoir une rivière asséchée "naturelle" ou une rivière dans laquelle il reste quelques petits plans d'eau, qui, malgré leurs inconvénients, peuvent servir de refuge lors d'une sécheresse? Mon expérience avec d'autres systèmes fluviaux intermittents m'a appris l'importance de tels refuges pour la recolonisation du ruisseau par dérive, lorsque l'eau remonte.

En conclusion, tout le débat tourne autour de deux visions écologiques opposées. L'une peut être vue comme écocentrique, où la "vraie nature" n'est pas humanisée dans la mesure où tout développement est considéré comme portant atteinte à l'intégrité du système. Le paradigme de la nature sans humains est l'idéal dans les cercles écologistes et il est communiqué à travers le concept de "rivières sauvages". La restauration signifie alors effacer toute empreinte humaine. Cette vision longtemps dominante a été remise en question par ceux qui croient que les humains sont des acteurs de leur environnement et que les systèmes fluviaux sont co-construits par des processus naturels et des actions humaines."

Discussion
Christian Lévêque exprime de manière très claire les enjeux des milieux aquatiques que sont les rivières, les plans d'eau, les estuaires et les zones humides, d'origine naturelle comme artificielle (voir ses livres récents Lévêque et al 2020, Lévêque 2019, Lévêque 2013). 

L'écologie au sens de protection de l'environnement est devenue une politique publique de plus en plus affirmée depuis la seconde moitié du 20e siècle, en raison de certains effets du développement industriel perçus comme négatifs par les populations. Mais plus ces politiques écologiques se déploient, plus il apparaît qu'elles répondent à des motivations diverses, voire contradictoires. Nous pouvons être d'accord sur la nécessité de corriger des choses perçues par la plupart des citoyens comme des nuisances (par exemple, des pollutions qui tuent le vivant aquatique et mettent en danger la santé humaine) sans pour autant être d'accord sur des choses perçues comme secondaires ou donnant lieu à des appréciations opposées (par exemple, savoir si la biologie et la morphologie d'une retenue représentent un problème en soi par rapport à une eau courante).

Il existe au moins quatre dimensions de débat.
  • Dimension ontologique : au nom de quelle vision de la nature organisons-nous notre représentation de la réalité? Pour les uns, la nature doit se représenter idéalement comme une entité indépendante de l'observateur-acteur humain, pour d'autres la nature ne peut qu'intégrer l'observateur-acteur humain qui en est partie prenante. 
  • Dimension scientifique : par quelles disciplines l'objet "rivière" ou l'objet "bassin versant" doivent-ils être étudiés? Pour les uns, cela ne relève que des sciences naturelles, pour d'autres cela doit inclure les sciences humaines et sociales ainsi que les humanités.
  • Dimension politique : qui décide, et comment, de la mobilisation des savoirs (donc la collecte de données et la création de modèles) visant à alimenter la conception des normes d'action publique? Cette question concerne l'évolution technocratique de nos régimes, où beaucoup de sujets sont traités par des experts mais sans règle transparente dans la sélection des expertises jugées pertinentes.
  • Dimension démocratique : comment les citoyens, leurs associations, leurs syndicats, leurs partis, leurs élus ont-ils capacité à exprimer leur perception et leur volonté sur ces questions?  Ce sujet est le contrepoint du précédent, plus les choix semblent imposés par des experts sans débat réel dans la société qui subit les conséquences de ces choix, plus on voit se lever des oppositions citoyennes. 
En tant qu'association, nous souhaitons que ces dimensions deviennent le sujet de discussions plus ouvertes et plus informées. Nous en sommes encore loin en France, et même hélas en Europe.

Source : Lévêque C (2020), What does ‘restoring’ rivers mean? 'eco-centric' vs 'human-centric' restoration, The Water Dissensus, Water Alterntives Forum

A lire également du Water Dissensus Forum

13/11/2020

Libellules et demoiselles apprécient les plans d'eau d'origine artificielle (Vilenica et al 2020)

Artificielle ou naturelle? Le vivant aquatique ou amphibie ne fait pas toujours de différence quand il cherche une masse d'eau pour accomplir son cycle de vie. Une équipe de chercheurs croates montre qu'une vingtaine d'espèces d'odonates fréquente les retenues d'eau artificielles de deux éco-régions balkaniques, dont une espèce protégée car menacée d'extinction. Les scientifiques soulignent que les masses d'eau d'origine humaine ou fortement anthropisées ne peuvent être négligées dans la gestion de la biodiversité des bassins versants.  La directive cadre européenne avait prévu de classer des masses d'eau selon leur niveau de modification par l'homme, mais les autorités administratives françaises n'y ont quasiment pas eu recours dans les années 2000. Résultat: nous n'étudions pas dans notre pays la biodiversité de ces milieux et nous menons à la place des politiques coûteuses de "renaturation" sans même faire l'inventaire sérieux des biodiversités et fonctionnalités en place. Cela doit évoluer, car un nombre croissant de travaux scientifiques raconte une autre histoire. 

Lindenia tetraphylla par Par Dûrzan Cîrano (CC BY-SA 3.0)

Les odonates (libellules et demoiselles) font partie des groupes d'invertébrés aquatiques les plus populaires chez les entomologistes professionnels comme pour le grand public en raison de leur grande taille, de leur coloration distinctive et de leur comportement remarquable de vol. Ces insectes sont aussi largement utilisés comme indicateurs écologiques de la qualité de l'habitat et de l'intégrité des écosystèmes d'eau douce du fait de leur diversité, de leur cycle biologique amphibie, de leur temps de génération relativement court, de leur position trophique élevée et de leur sensibilité aux changements anthropiques à petite échelle dans l'environnement.

Marina Vilenica et ses collègues de l'université de Zagreb (Croatie) ont analysé la présence des libellules et demoiselles dans les plans d'eau artificiels des Balkans, formant l'essentiel des lacs des régions étudiées : "Nous avons étudié 36 plans d'eau artificiels, dont 21 sont situés dans l'écorégion dinarique des Balkans occidentaux (ER 5) et 15 dans l'écorégion des basses terres pannoniennes (ER 11) en Croatie (Illies, 1978). La majorité de ces plans d'eau sont des réservoirs construits sur des rivières petites ou grandes utilisées pour l'approvisionnement en eau, l'irrigation ou la production d'électricité, tandis que plusieurs sont des plans d'eau naturels mais anthropisés (par exemple Prolosko Blato, Sakadas, Njivice) ou des plans d'eau artificiels et des gravières ( par exemple Ponikve, Šoderica Koprivnica, Rakitje, Novo Čiče), utilisés principalement pour les loisirs. "

Voici le résumé de leur recherche:

"Dans quelle mesure les lacs artificiels sont-ils adaptés à l’habitat d’Odonates ? De nombreuses études ont fait état d’un impact négatif des modifications des habitats d’eau douce sur leur biote. Néanmoins, certains lacs artificiels se sont révélés précieux pour la conservation de la biodiversité car ils peuvent abriter de nombreuses espèces. C’est pourquoi nous avons étudié 36 lacs artificiels afin de déterminer dans quelle mesure ils peuvent représenter des habitats appropriés pour les Odonates. Les larves ont été échantillonnées pendant les mois d’été 2016 et 2017. Sur chaque site d’échantillonnage, un total de dix échantillons a été collecté à l’aide d’un filet à main pour le benthos. Un total de 21 espèces d’Odonates a été enregistré. Les assemblages d’Odonates étaient principalement constitués d’espèces communes largement répandues. Cependant, sur le site de réservoir Vlačine, situé dans l’écorégion des Balkans occidentaux dinariques, nous avons également enregistré une des espèces méditerranéennes rares et menacées, Lindenia tetraphylla (Vander Linden, 1825). La végétation aquatique et rivulaire, la fluctuation du niveau d’eau et la concentration d’oxygène dissous ont eu la plus grande influence sur les Odonates, montrant que les lacs artificiels avec une végétation aquatique et une zone rivulaire bien développées, et avec de faibles fluctuations du niveau d’eau, peuvent fournir des habitats appropriés pour diverses espèces d’Odonates. Les Odonates font partie des insectes d’eau douce sensibles largement utilisés comme indicateurs écologiques et comme espèces parapluie. Nos résultats concernant leurs assemblages dans des habitats fortement modifiés et artificiels pourraient donc contribuer aux futures activités de conservation du biote et des habitats d’eau douce."

Les auteurs concluent : "bien que ces plans d'eau artificiels abritent pour la plupart des espèces répandues et communes, dans certains cas, ils fournissent également un habitat convenable à certaines espèces rares et menacées. Les résultats de cette étude pourraient contribuer au développement d'un système de surveillance des masses d'eau artificielles conformément aux exigences de la directive-cadre européenne sur l'eau."

Discussion
Ce travail rejoint des dizaines d'autres recherches en France et en Europe montrant que des habitats aquatiques artificiels — fossés, canaux, biefs, mares, étangs, plans d'eau, lacs — sont colonisés par le vivant et deviennent des enjeux pour préserver le faune et la flore, en particulier en période de changement hydrologique et climatique (voir la recension de 100 travaux récents in CNERH 2020, voir le livre de Lévêque et Bravard dir 2020 sur ce sujet).

Notre association a sollicité voici plus de 2 ans l'Office français de la biodiversité pour une prise en compte de ces enjeux et la mise au point de protocoles de diagnostic avant intervention sur ouvrages hydrauliques. Hélas, l'administration publique française est pour le moment acquise à l'angle fermé de la naturalité et de l'endémisme, ne montrant pas d'intérêt pour les nouveaux écosystèmes créés par l'humain ni pour l'évolution des assemblages du vivant à l'Anthropocène. Les associations de protection de ces sites doivent organiser eux-mêmes des premiers inventaires à fin de sauvegarde et insister auprès des autorités en charge de l'environnement pour que les diagnostics complets des écosystèmes aquatiques humains soient réalisés sans préjugé. 

Référence : Vilenica M et al (2020), How suitable are man-made water bodies as habitats for Odonata?, Knowl Manag Aquat Ecosyst, 421, 13

10/11/2020

Les fédérations de moulins et riverains expliquent les conditions déplorables de concertation avec les hauts fonctionnaires eau et biodiversité

Suite des aventures du soviet suprême "comité national de l'eau". Il ressort de la lettre co-signée par les deux fédérations de moulins (FFAM, FDMF) et la fédération de riverains (ARF) que la haute administration avait convoqué une réunion en 48 h sur la base d'un document sorti du chapeau à valider en un temps record. La vision de la concertation par la direction de l'eau et de la biodiversité consiste désormais à transmettre ses ordres aux propriétaires par le biais des associations. La gouvernance jacobine et autoritaire de ce pays est décidément incurable, malgré son rejet partout, surtout en écologie où les citoyens protègent leur cadre de vie contre les projets inutiles décidés fort loin du terrain. La lettre des 3 fédérations rappelle que la première étape de la priorisation a été faite sans base scientifique transparente ni proposition aux associations de débattre des opportunités de classer chaque rivière ou chaque ouvrage. Bref, rien ne change, demain les préfectures et syndicats feront encore des pressions pour casser les ouvrages comme ils le font depuis 2010, le soviet suprême de l'eau se plaindra encore que les mêmes causes produisent les mêmes effets.  C'est pourtant très simple de tout débloquer et tout apaiser: il suffit de proposer et financer publiquement les seules solutions conformes à la loi, celles qui respectent les ouvrages autorisés des bassins versants, leur consistance légale, leurs usages et leurs milieux. 

Le courrier des fédérations moulins et riverains expliquant pourquoi il leur est impossible de travailler dans des conditions déplorables de concertation :

"Plusieurs raisons motivent ce choix qu’il nous a été difficile de prendre, alors que nos trois fédérations – ARF, FFAM, FDMF – ont toujours favorisé le dialogue constructif :

Les délais : il nous est techniquement difficile d'analyser sérieusement des documents de travail envoyés 2 jours avant la réunion. Ce délai est aussi trop court pour une confrontation d'idées des trois fédérations soucieuses de privilégier une analyse collective pertinente, alors que la « co-construction » et la « concertation », qui sont théoriquement les principes directeurs du GT Continuité Ecologique et de ses sous-groupes, supposeraient notamment que chaque partie prenante puisse bénéficier d’un temps de réflexion suffisant.

Au fond par ailleurs, la lecture rapide du projet de fiche nous laisse perplexes et inquiets tant nous constatons que les Fédérations sont sollicitées essentiellement comme réceptacles d'informations à transmettre aux adhérents. Ce rôle, qui serait cantonné à celui d’une « courroie de transmission » de mesures adoptées sans réelle concertation préalable, est incohérent et contraire au souhait que nous formulons depuis longtemps de tenir un rôle dans la concertation et dans des consultations préalables : le projet de bilan de la mise en œuvre du programme de priorisation ne mentionne nulle part la place des usagers (nous ne sommes toujours pas invités dans les comités de bassin). De même nous attendons toujours la liste des ouvrages prioritaires avec les critères afférents du préfet coordonnateur de bassin.

Il parait pour le moins cavalier d'écrire (page 1): " En pratique il existe 6 listes d'ouvrages prioritaires (appelées aussi programmes de priorisation) en métropole, un par bassin hydrographique, chacune ayant été définie et arbitrée à l'échelle du bassin". Pour mémoire, sauf exception, la phase de « concertation » n'a en réalité fait l'objet d'aucune information, concertation, ni consultation réelle des Fédérations de moulins et de riverains au niveau de la majorité des 6 bassins, ainsi que cela a d’ailleurs été signalé à l’occasion de la réunion du GT Continuité écologique du mois de mars dernier, mais aussi signalé par plusieurs écrits de fédérations et syndicats adressés aux services en charge de la mise en œuvre de la priorisation.

Au final d’ailleurs, il est souligné que la méthodologie tout à fait contestée observée à l’occasion de l’envoi des projets de listes de priorisation à l’échelle des bassins perdure, en dépit des remarques formulées à ce sujet, puisque les projets de documents de travail du sous-groupe Priorisation ne nous ont là encore été transmis que 2 jours avant la réunion... ce qui n’est pas respectueux du principe notamment de concertation.

Enfin, suite à la réunion des 3 Fédérations avec le Directeur de la DEB le 16 octobre dernier, à ce jour aucune suite n’a été donnée aux demandes que nous avons formulées pour construire une démarche plus apaisée du nouveau plan d'actions. Il est dommageable qu'aucune discussion ne soit engagée sur le problème notamment du financement déséquilibré suivant le type de travaux engagés (aménagement, arasement, etc.). C'est pour nos Fédérations un élément incontournable qui établirait la volonté réelle de respecter les articles 211-1 et 214-17 du code de l'environnement et l’usage équilibré de la ressource en eau. L'autre demande concernant la représentation institutionnelle des Fédérations dans les différents lieux de concertation n'est toujours pas pris en compte, ce qui continue de témoigner d'un traitement différencié des usagers en fonction de critères que nous ignorons. L'absence de réponses formelles nous fait penser que la volonté d'apaisement n'est que partielle et circonscrite à un seul échelon.

En conséquence, dans l'état actuel de préparation et du rôle que nous ressentons comme accessoire dans le projet présenté, il ne nous est donc pas possible de participer à la réunion prévue cet après-midi.

Nous restons toutefois favorables à un véritable travail de co-construction et de concertation, à condition que ces principes trouvent effectivement une expression concrète dans les moyens mis en œuvre ainsi que les décisions adoptées".

07/11/2020

De la continuité apaisée à la continuité énervée

D'après nos informations, le soviet suprême rebaptisé comité national de l'eau du 5 novembre a été l'occasion d'un coup de colère contre les "ultras" qui osent dire en public que la continuité écologique des rivières se passe toujours mal. Pour le quarteron de hauts fonctionnaires essayant de faire survivre en réanimation cette réforme frappée du virus du dogmatisme idéologique et de la gabegie financière, le citoyen ne comprend tout simplement rien et l'Etat fait tout pour son bien. Manque de chance, nous ne croyons plus un mot de ce refrain. Les citoyens français en ont surtout ras le bol d'être pris pour des idiots. Au bord des rivières comme ailleurs. 

Le groupe de travail "continuité écologique" du comité national de l'eau a été lancé voici deux ans pour mettre en oeuvre le plan de politique apaisée de continuité écologique — un texte promulgué à la va-vite en 2018 par un Nicolas Hulot qui n'avait manifestement aucun intérêt au dossier, vu que les principaux lobbies courtisant son ministère trempent depuis longtemps dans cette sombre affaire. Nicolas Hulot est celui qui n'a même pas daigné recevoir les représentants des 20 000 riverains de la Sélune protestant contre la destruction des barrages et des lacs au profit du lobby des pêcheurs de saumon, un scandale antidémocratique de la pseudo-écologie sectaire et punitive — alors que plusieurs actions en justice sont en cours quand les pelleteuses font le sale boulot de démolition d'ouvrages d'intérêt général. Ce mépris est répugnant, surtout venant de ceux qui luttent partout en France contre des grands projets inutiles nuisant à la qualité de vie des riverains. 

Les fédérations de moulins (FFAM, FDMF) et riverains (ARF) n'ayant pas pu faire reconnaître à ce comité national de l'eau une seule de leurs exigences fondamentales depuis 2 ans, elles n'ont même pas assisté à la dernière réunion, se contentant d'une représentation par leur avocat. 

Voilà un message assez clair.

C'est en effet par avocat que chaque association, chaque collectif riverain et chaque maître d'ouvrage devront désormais porter plainte (à l'administratif et dans certains cas au pénal) contre tout fonctionnaire territorial ou central qui essaie de:

  • harceler des propriétaires isolés et fragiles,
  • désinformer un propriétaire sur ses droits afin de vicier son consentement à signer des contrats ou courriers,
  • casser indûment un droit d'eau, 
  • imposer une solution de destruction d'ouvrage, 
  • prétendre que les passes à poissons n'ont pas à être indemnisées,
  • refuser de reconnaître la préservation du patrimoine classé et l'exemption des sites producteurs inscrites dans la loi,
  • ralentir la transition bas-carbone par des demandes abusives sur la relance énergétique des sites, 
  • mettre à sec des milieux aquatiques et humides, réduire la ressource en eau à l'étiage, altérer la faune et la flore des biotopes de retenues, étangs, canaux.

C'est-à-dire tout ce que l'on observe depuis 10 ans. 

Nous rappelons qu'au cours du seul été 2020 et en pleine désinformation de "continuité apaisée", l'administration a :

  • publié le décret scélérat du 30 juin 2020 qui permet de détruire des sites et mettre à sec des milieux sur simple déclaration confidentielle, sans enquête publique ni étude d'impact,
  • publié le décret scandaleux du 18 août 2020 qui entérine l'exclusion des comités de bassin des agences de l'eau de tous les représentants des ouvrages particuliers, familiaux, patrimoniaux (moulins, étangs, canaux, patrimoine riverain de la ruralité), c'est-à-dire interdisant que la politique publique des ouvrages soit co-construite avec les premiers concernés, non imposée par des bureaucraties et des lobbies non élus, 
  • engagé dans plusieurs SDAGE 2022-2027 la poursuite de la prime financière à la destruction pour encore 7 ans, soit la reconduite des blocages par impossibilité de financer les modes doux de continuité. 

A M. Claude Miqueu — co-animateur du groupe de travail du comité national de l'eau — qui répète dans le vide "du concret, du concret", voilà du tout à fait concret. 

Voilà des décisions normatives et financières de l'Etat et des administrations qui indiquent très clairement la volonté de persister dans le premier motif de colère des citoyens, à savoir la préférence publique pour la destruction des patrimoines bâtis et paysagers de l'eau, le harcèlement permanent des propriétaires et des riverains. 

On attend donc que l'Etat et les représentants de l'Etat dans les agences de l'eau reformulent ces textes qui contredisent le soi-disant apaisement.  Du concret, du concret, M. Miqueu.

La continuité sera apaisée quand les hauts fonctionnaires de l'eau et de la biodiversité cesseront de tromper et de manipuler leur monde pour reconnaître les 3 bases d'un apaisement, et instruire les services en ce sens:

  • les ouvrages autorisés doivent être respectés et il n'est plus question de les détruire sauf dans les cas où ils posent des dangers de salubrité publique,
  • les rivières sont des phénomènes socio-naturels, la part humaine de leur histoire, de leur peuplement, de leur fonctionnement et de leurs usages n'a pas à être niée ou diabolisée, le retour de la "rivière sauvage" et l'idéal de "nature sans humain" relèvent d'idéologies militantes mais ne sont pas le contenu de nos lois, donc ne doivent pas être la politique publique de l'administration de l'eau,
  • les dispositifs de continuité écologique se justifient pour protéger des espèces migratrices là où elles sont menacées et ces dispositifs doivent faire l'objet d'un financement public intégral vu leur coût inaccessible et vu que la charge d'entretien est déjà aux frais du maître d'ouvrage. 

Le reste est littérature. Du concret, du concret, M. Miqueu. 

Post scriptum : visiblement, les différents articles parus dans la presse nationale (non seulement locale) cet été et critiquant la mise en oeuvre brutale de la continuité écologique ont beaucoup énervé nos technocrates, dont la zone de confort est dérangée par la lumière faite sur leurs agissements. On s'en doute, l'opacité est l'alliée de l'arbitraire. Tous nos lecteurs qui ont des moyens de contacter des journalistes nationaux de presse, radio ou télévision doivent donc le faire. Les médias seront sûrement ravis de raconter qu'en pleine transition énergétique on détruit des ouvrages hydrauliques pouvant produire de l'électricité verte, qu'en plein changement hydro-climatique on détruit des ouvrages aidant à réguler des crues et des sécheresses, qu'en pleine interrogation sur l'avenir de l'eau dans nombre de vallées françaises on fait disparaître des moyens de stocker et diffuser l'eau toute l'année ainsi que de diversifier des milieux d'accueil du vivant aquatique, qu'en plein débat sur les circuits-courts, l'économie locale et la revitalisation des territoires ruraux on anéantit un patrimoine multiséculaire au lieu de le restaurer et de le valoriser. Beaucoup de citoyens commencent à douter que l'Etat central soit capable de prendre des décisions avisées pour l'avenir du pays, des décisions représentatives de ce que pensent réellement les citoyens et des décisions dont les conséquences fâcheuses sont payées par ceux qui les ont prises, pas par ceux qui les subissent. Dans le cas des ouvrages des rivières, ce doute est permis...

02/11/2020

Le ré-ensauvagement doit-il être la nouvelle idéologie publique de gestion de la nature?

Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet défendent l'idée d'une politique de ré-ensauvagement de la France et de l'Europe. Nous livrons ici diverses critiques de cette perspective, en rappelant qu'elle est une vision idéologique plus que scientifique de la nature, dont certaines contradictions surgissent vite si l'on passe de quelques réserves de protection naturelle à une expansion plus ambitieuse du retour de cette nature réputée sauvage. Cette vision anime en France sous d'autres noms les tenants de la continuité écologique des rivières, une réforme dont la conflictualité sociale rappelle que l'idéal de "nature sans humain" promu par certains se réalise au détriment des humains premiers concernés.  D'où la nécessité d'un débat démocratique élargi sur ces sujets, actuellement gérés par des spécialistes en lien à des technocraties, mais non réellement appropriés, réfléchis et débattus par les citoyens et leurs représentants élus. 


L'agence française de développement publie sur son blog un entretien avec Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet. Ces spécialistes du ré-ensauvagement sont naturalistes, experts au Conseil scientifique du patrimoine naturel (et auprès du Conseil de l’Europe pour Gilbert Cochet), attachés au Muséum national d’histoire naturelle. Ils viennent de publier L’Europe réensauvagée, vers un autre monde (Actes Sud)

Cette définition est donnée du ré-ensauvagement (Béatrice Kremer-Cochet) : "Le réensauvagement est la traduction littérale du terme rewilding, un concept développé par les Nord-Américains. Pour nous, il signifie : protéger un endroit pour lui permettre de retrouver son fonctionnement naturel. Cette protection peut inclure des actions pour favoriser le retour spontané d’espèces disparues ou, s’il n’est pas possible, les réintroduire. À terme, le ré-ensauvagement aboutit à la libre évolution : l’homme ne gère plus rien et la nature évolue sans contrainte anthropique. L’être humain s’interdit d’intervenir dans les équilibres naturels… mais pas de les contempler, ni de les observer, pour s’en inspirer."

On observe que cette doctrine est en réalité la même que celle proposée par une fraction de l'administration française sur les rivières. On parlera de "renaturation" ou de "restauration écologique" pour ne pas employer un terme un peu effrayant et faisant référence au "sauvage", mais l'objectif ultime est bien le même : supprimer peu à peu toute contrainte humaine à la nature (par exemple, les obstacles à la continuité), limiter peu à peu tous les usages humains de l'eau (irrigation, énergie, etc.) afin que la nature tende vers une naturalité idéale définie comme absence de toute perturbation venant des humains.

On doit d'abord noter que cette vue relève de l'idéologie (ou si l'on veut de la morale) et non de la science.  

L'approche scientifique n'énonce pas par elle-même s'il existe une "bonne" ou une "mauvaise" nature (voir Lévêque 2013), elle se contente de décrire des faits (dans le cas de l'écologie: comment les milieux et les espèces évoluent), des causes (quels facteurs font évoluer milieux et espèces) et des conséquences (quelles observations peut-on tenter de prédire quand on change des facteurs, à supposer que le système décrit soit prédictible).  Savoir si des faits ou des conséquences sont bons ou mauvais, beaux ou laids, utiles ou nuisibles, désirables ou indésirables, c'est le problème de la société humaine et de ses normes, pas le problème de la science en soi : une "bonne nature" est toujours en dernier ressort celle que des humains choisissent de désigner comme telle, avec une part d'arbitraire tenant à des goûts, des valeurs, des désirs, des pratiques, pas selon des démonstrations de ce qui serait vrai ou faux sans contestation possible. 

Cet objectif de ré-envaugement pose par ailleurs de nombreuses questions sur ce qui semble des contradictions ou des incertitudes:

  • pourquoi l'humain n'y est-il pas considéré comme partie intégrante de l'évolution du vivant, alors qu'il modifie cette évolution depuis qu'il est humain (les premières extinctions de méga-faune étant documentées depuis le paléolithique)?
  • somme-nous encore dans le cadre d'une possible naturalité sans humain quand des modifications globales (réchauffement climatique, circulation d'espèces exotiques) concernent désormais tous les milieux, sans perspective de changement rapide de cet état de fait?
  • est-il réellement démontré que des grands espaces contigus ré-ensauvagés ont un effet différent sur la biodiversité que la même quantité d'espace mais répartis en patch discontinus, ce qu'une partie de la recherche ne parvient pas à trouver dans les données (voir Watling et al 2020)?
  • ce ré-ensauvagement ou renaturation est-il le souhait réel des riverains de ces milieux ou le souhait d'experts qui ont l'oreille de pouvoirs technocratiques non élus?
  • comment concilie-t-on le discours de relocalisation de l'économie, du circuit-court et de la transition bas-carbone, impliquant notamment l'exploitation locale des ressources naturelles (organiques, minérales, énergétiques), avec l'idée d'une nature-écrin que les humains se contentent de contempler sans jamais la transformer?

Les auteurs répondent à certaines objections (économiques et sociales) en citant le tourisme comme nouvelle source de valorisation du sauvage respecté dans son état sauvage: "le retour d’une faune exceptionnelle possède un fort potentiel pour l’écotourisme. Nous savons aujourd’hui très bien gérer l’afflux de visiteurs afin que les retombées de l’écotourisme soient durables."

Mais cette option ne paraît pas généralisable, notamment dans la cas des rivières et milieux aquatiques continentaux qui nous intéresse. 

D'abord, comme indiqué, ce sont les faunes exceptionnelles et les sites remarquables (la nature scénique) qui attirent du monde, en raison de leur rareté. Or ce discours ne dit rien de la biodiversité ordinaire en nature ordinaire, formant l'essentiel des milieux. Quand on a renaturé ou ré-ensaauvagé une rivière dans une campagne peu sujette à l'afflux touristique, avec à l'arrivée quelques variations locales de poissons ou d'insectes pas spécialement "populaires", va-t-on attirer des flux de ressources par des masses de touristes? C'est fort peu probable.

Ensuite, les afflux touristiques ne sont pas toujours si bien gérés. Si l'on pratique une restauration de rivière ou de plan d'eau en vue d'y favoriser la venue du public, cela pose souvent problème du point de vue de l'idéal de naturalité. Par exemple, les fortes densités de baigneurs en été créent diverses perturbations, l'aménagement des berges pour des pêcheurs et promeneurs implique de ne pas laisser réellement faire leur renaturation (proliférations de végétations, d'embâcles, etc.).

Enfin, le principe du "laisser-faire" de la nature n'aboutit pas toujours à des choses réellement appréciées par les humains. Il suppose par exemple que les populations riveraines doivent accepter en divers endroits des lits quasiment sans eau ou à sec en été, des expansions de crues et reformation de marécages en hiver, toutes choses qui ne sont pas assimilables à de belles promenades dans un parc naturel vaste et balisé. 

Que certaines zones témoins (pour la science) et refuges (pour le vivant) fassent l'objet de préservation dans un état assez sauvage, pourquoi pas. Dans le cas des rivières françaises, une étude a estimé à 8% le linéaire des cours d'eau en situation de naturalité forte. Mais sur les zones qui sont anthropisées de très longue date, la réflexion ne peut pas être de simplement se référer à une nature sauvage passée ou idéalisée comme objectif de l'action publique. Il faut plutôt y accepter la cohabitation de plusieurs natures, parfois celle modifiée par un usage auquel les humains expriment de l'attachement ou du besoin, parfois celle plus spontanée des forces biophysiques laissées à elles-mêmes là où il y a peu d'usages et peu d'humains. Les critères de décision n'y sont pas un seul état de naturalité  posé comme la seule norme possible, mais plutôt l'équilibre (changeant) entre attentes sociales et réalités naturelles, avec nécessairement des priorités à définir du coté de l'écologie — par exemple, préserver assez d'eau pour le vivant aquatique, viser la protection d'espèces rares et endémiques si elles sont encore présentes. 

Poser que la nature sauvage sans humain est le seul idéal de nature et que l'écart à cette situation est forcément à lire comme un échec a peu de chance de réunir un consensus très large chez des citoyens correctement informés et de mener à des réactions pacifiques chez les humains appelés à être exclus de la belle vitrine sauvage voulue par ses concepteurs. L'histoire de la conservation de biodiversté par création de zones d'exclusion sauvages a d'ailleurs été parsemée de conflits et de négation des droits humains (voir Blanc 2020). Nous devrions discuter démocratiquement de ces sujets, au lieu de juxtaposer des vues contradictoires et des arguments d'autorité, sans aller au fond des réflexions, des désaccords et des contradictions. L'écologie étant désormais une politique publique, elle doit nourrir des débats publics sur les différentes manières de l'envisager.

A lire en complément

Le mouvement de la nouvelle conservation veut changer les politiques de biodiversité

Observations sur un nouvel indicateur de naturalité des cours d'eau 

L'opposition nature-société comme erreur fondatrice de la directive européenne sur l'eau et de la continuité écologique (Linton et Krueger 2020)