19/05/2022

Les réservoirs atténuent les effets des crues et sécheresses (Brunner 2021)

Une chercheuse a comparé plusieurs milliers de jauges dans des bassins versants avec ou sans barrages réservoirs aux Etats-Unis. Son travail montre que les rivières régulées ont des crues et des sécheresses moins intenses au niveau local que les rivières non régulées. Au niveau régional, l'effet protecteur se vérifie pour les crues, pas pour les sécheresses. L'usage premier des réservoirs (eau potable, énergie, irrigation, loisir...) n'influence pas le résultat. Ce travail contredit la petite musique militante de certains experts selon laquelle les retenues et réservoirs ne serviraient à rien. Au contraire, la politique publique de l'eau doit développer une vision ambitieuse de stockage, régulation et distribution de l'eau, cela par moyens naturels aussi bien qu'artificiels, les deux stratégies s'additionnant. C'est l'ensemble du bassin de la source à la mer qui doit coordonner cette ambition, afin d'obtenir les effets locaux et régionaux désirés. Face aux risques hydroclimatiques accrus, l'heure n'est pas à l'idéologie, mais à la protection des citoyens, des usages et des milieux. 


Comme l'actualité le rappelle, les sécheresses et les inondations peuvent avoir des impacts prononcés sur les sociétés et les milieux, formant une préoccupation humaine depuis toujours. Les retenues et réservoirs, souvent exploités à des fins différentes (production hydroélectrique, loisirs, irrigation, eau potable), sont une stratégie parmi d'autres pour réduire le risque lié aux crues et sécheresses. 

Manuela I Brunner (Université de Fribourg, NCAR de Boulder, Colorado) a analysé l'effet à grande échelle de réservoirs aux Etats-Unis. Voici le résumé de son travail :

"Les extrêmes hydrologiques peuvent particulièrement impacter les bassins versants à forte présence humaine, où ils sont modulés par l'intervention humaine telle que la régulation par réservoirs. Pourtant, nous savons peu de choses sur la façon dont l'exploitation des réservoirs affecte les sécheresses et les inondations, en particulier à l'échelle régionale. Ici, je présente un vaste ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés aux États-Unis et j'évalue comment la régulation par des réservoirs affecte les caractéristiques locales et régionales de sécheresse et d'inondation. 

Mes résultats montrent que (1) la régulation des réservoirs affecte les risques de sécheresse et d'inondation à l'échelle locale en réduisant la gravité (c'est-à-dire l'intensité/l'ampleur et le déficit/le volume) mais en augmentant la durée ; (2) la réglementation affecte les aléas régionaux en réduisant la connectivité spatiale des inondations (c'est-à-dire le nombre de bassins versants avec lesquels un bassin co-subit des inondations) en hiver et en augmentant la connectivité spatiale de la sécheresse en été ; (3) l'effet d'atténuation locale n'est que faiblement affecté par la fonction du réservoir, pour les sécheresses comme les inondations. 

Je conclus que les caractéristiques locales et régionales des inondations et des sécheresses sont considérablement modulées par la régulation des réservoirs, un aspect qui ne doit pas être négligé dans les évaluations des aléas ou des impacts climatiques."

La chercheuse observe que les études par modèle ou par observation confirment que les réservoirs jouent des rôles efficaces de régulation de sécheresses ou de crues :

"Il a été démontré que les réservoirs atténuent principalement les sécheresses et les inondations dans différentes parties du monde dans des études basées sur des modèles et des observations (Verbunt et al 2005, He et al 2017, Wang et al 2017, Tijdeman et al 2018). Les études basées sur des modèles simulent le débit naturel avec un modèle hydrologique et comparent ce débit naturel simulé au débit régulé observé. En revanche, les études basées sur l'observation comparent soit les conditions régulées en aval d'un réservoir aux conditions naturelles en amont, soit les conditions avant la construction du barrage aux conditions après la construction du barrage (Rangecroft et al 2019, Van Loon et al 2019). Les études basées sur l'observation sont souvent limitées à quelques bassins versants, tandis que les évaluations à grande échelle sont principalement basées sur des modèles et reposent sur des hypothèses spécifiques concernant la demande en eau et la régulation du débit (Yassin et al 2019). L'effet d'atténuation de la sécheresse des réservoirs a par ex. été démontré dans des études basées sur l'observation pour le Royaume-Uni (Tijdeman et al 2018) et dans des études basées sur des modèles pour la Californie (He et al 2017), en Chine (Tu et al 2018, Chai et al 2019), aux États-Unis (Wan et al 2017) et à l'échelle mondiale (Wanders et Wada 2015) tandis que d'autres études ont signalé une augmentation de la sévérité et de la durée de la sécheresse pour certains réservoirs en Chine (Zhang et al 2015). De même, des études basées sur des modèles et des observations ont montré des réductions des pics d'inondation, par ex. pour le bassin du Rhin, en Italie et aux États-Unis (Verbunt et al 2005, Wang et al 2017, Volpi et al 2018), et dans les volumes d'inondation, par ex. en Thaïlande (Mateo et al 2014)."

Mais Manuela I Brunner fait observer que l'on manque d'analyse à échelle de bassins versants et sur de nombreux ouvrages. La chercheuse a compilé un ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés en amont et en aval des réservoirs aux États-Unis. Le travail est mené sur la base de 2683 jauges exploitées par l'US Geological Survey (USGS) en distinguant les catégories "presque naturelles" (bassins avec une altération humaine minimale) et "régulés" (avec retenues de stockage).

Ce schéma montre en particulier les effets des réservoirs : à gauche, on voit que les pics et volumes de crues sont réduits (mais la durée allongée car lissée), à droite on voit l'intensité de la sécheresse et le déficit d'eau sont réduits, sans effet clair sur la durée.


A propos de la connexion régionale des sécheresses, la chercheuse précise : "Alors que l'effet réservoir-régulation est principalement positif à l'échelle locale, les dépendances spatiales à la sécheresse peuvent être légèrement renforcées en été, c'est-à-dire que la synchronisation de la sécheresse entre les bassins versants s'intensifie en présence de réservoirs. Cette synchronisation augmente la probabilité de sécheresses généralisées et introduit de nouveaux défis de gestion car les transferts d'eau vers des bassins versants secs à partir d'eau abondante en amont ou de bassins versants voisins peuvent ne plus être réalisables. Cette constatation contraste avec les conclusions de Wan et al (2017) qui ont montré que la gestion de l'eau réduit l'étendue spatiale de la sécheresse, en particulier pendant la saison d'irrigation. Mes résultats suggèrent également de telles diminutions, mais pas pour la saison estivale. L'effet potentiel d'atténuation de la sécheresse peut aussi concerner la pénurie d'eau, comme le montrent des études antérieures qui ont mis en évidence le potentiel des réservoirs pour atténuer cette pénurie (Liu et al 2018, Brunner et al 2019, Kellner et Brunner 2020)."

Il convient donc d'insérer la gestion des retenues et réservoirs dans une stratégie régionale qui, outre les effets locaux bénéfiques, s'assure que l'ensemble du bassin pourra bénéficier d'apport d'eau utile.

Discussion
En ce printemps 2022, la France est à nouveau menacée par la sécheresse, avec un hiver et un printemps peu pluvieux, et des vagues de chaleur précoces. Certains "sachants" et "experts" font entendre dans les médias une petite musique : les retenues ne servent à rien, voire aggravent la situation. Ces propos sont inexacts et dangereux, comme nous l'avions déjà rappelé. Nous demandons au gouvernement, au parlement et aux établissements en charge des bassins versants de développer une politique ambitieuse de retenue et stockage d'eau partout, et par tous les moyens, à fin de régulation des crues et sécheresses risquant de devenir plus graves en période de changement climatique. 

Il n'y a aucun sens à opposer les solutions fondées sur la nature (restauration de zones humides, préservation de forêts et bois, etc.) avec les solutions fondées sur la technique (retenues, canaux, injection en nappe, etc.). Les deux stratégies sont complémentaires. Et la destruction des retenues existantes sur les bassins versants est bien sûr une aberration coûteuse et dangereuse, n'ayant aucune place dans une politique publique. 

Référence : Manuela I Brunner MI (2021), Reservoir regulation affects droughts and floods at local and regional scales, Environ. Res. Lett. 16 124016

17/05/2022

L'idéologie de la destruction des ouvrages en rivière est contraire aux lois de la république

La décision du conseil constitutionnel rappelant que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique relèvent de l’intérêt général et sont conformes à la charte de l’environnement doit mettre fin à 10 ans de dérive d’une partie de l’administration en charge de l’eau et de la biodiversité. La France n’a plus à détruire ses moulins, étangs, retenues et autres ouvrages, mais à les équiper dans un sens utile aux transitions en cours de son modèle socio-économique. Nous alertons ici le gouvernement et les préfets sur leur vigilance désormais  nécessaire concernant la gestion des agents de la fonction publique :  l’idéologie intégriste de la destruction des ouvrages est tout à fait libre de s’exprimer dans une association privée, mais elle n’a plus aucune place dans une administration où elle relèverait d’une dérive contraire aux lois de la république. Il revient à l’Etat de restaurer sans délai la crédibilité de l’action publique, le respect des lois et des jurisprudences, la confiance dans l’état de droit sur la question des rivières et des ouvrages hydrauliques.


Dans les années 2000 et 2010, une interprétation hasardeuse des lois sur l'eau et l'environnement a mené les administrations françaises à inciter à détruire un grand nombre d'ouvrages en rivière (moulins, étangs, digues, barrages) et à assécher autant de milieux (biefs, canaux, retenues, lacs, zones humides attenantes) au nom de la continuité des sédiments et des poissons, ce qui a été appelé la «continuité écologique». 

Une planification inouïe de destruction en masse du patrimoine hydraulique, de ses milieux et de ses usages
Cette politique a été menée par les services administratifs et des établissements publics : Office français de la biodiversité (ex Onema), DDT et DREAL des préfectures de département et de région, agences de l'eau, en coordination avec des syndicats intercommunaux de gestion des bassins versants ou des parcs naturels. Une fraction des fonctionnaires en charge de l'eau et de la biodiversité, dont la tutelle est une sous-direction ministérielle rattachée au ministère de l'écologie (DEB), a estimé que la bonne rivière était désormais la rivière «sauvage» ou «libre» ayant un minimum d’impact morphologique humain, donc que la vocation de quasiment tous les ouvrages en place (gué, seuil, barrage, digue) était de disparaître, hors quelques-uns gérés publiquement ou de rares autres conservés comme vestiges muséographiques. Ce projet de destruction et de harcèlement a été explicitement assumé par des hauts  fonctionnaires en charge des rivières

Cette politique a soulevé le scepticisme voire l’opposition directe des riverains et propriétaires d’ouvrages hydrauliques, des élus locaux, des associations de protection du patrimoine, du cadre de vie et de l’environnement, des petits irrigants, des gestionnaires d’étangs, des producteurs d’hydro-électricité. 

En effet, l’administration paraissait porteuse d’une écologie totalement théorique et hors-sol, une rivière idéalisée où il n’y aurait plus d’humains, plus d’usages humains, une rivière devenant un musée du vivant auquel personne n’aurait le droit de toucher. Cette vision est non seulement contraire à l’expérience de la plupart des citoyens, qui apprécient la nature aménagée autant ou davantage que la nature sauvage, mais elle est aussi en contradiction frontale avec de nombreuses ambitions publiques : relocaliser l’économie et relancer l’emploi local, produire de l’énergie bas-carbone, exploiter les ressources en circuit-court au plus près des territoires, mieux réguler les crues et les sécheresses. De surcroît, bien des ouvrages hydrauliques sont présents depuis des siècles (le nombre de moulins était plus important voici 200 ans qu’aujourd’hui), donc le fonctionnement des rivières et bassins versants a évolué. Parfois, les moulins, étangs, canaux, plans d’eau et lacs ont dessiné de nouveaux écosystèmes à part entière, certes différents de ceux d’une nature «sauvage», mais abritant néanmoins de la biodiversité et rendant des services écosystémiques.

Dans notre pays très jacobin, vertical et centralisé, l’administration s’est hélas souvent coupée de l’économie et de la société. En particulier, si vous ne comptez pas parmi  les grands acteurs (industries, ONG) à la taille de l’Etat, vous devenez invisible. Le dialogue a donc été difficile sinon impossible dans les années 2010. Quand les propriétaires, les riverains, les associations, les syndicats faisaient des objections, les services du ministère, des agences de l’eau et des préfectures n’en tenaient aucun compte. Quand il était demandé que l’argent public ne serve pas à détruire les ouvrages à 100% de financement (prime à la casse comme choix public dominant) mais plutôt à les préserver, moderniser et aménager dans un sens écologique, on essuyait des refus. Ce n’était «pas assez ambitieux», par quoi il fallait entendre pas assez conforme à l’idéologie administrative d’une rivière «renaturée» c’est-à-dire soi disant rendue à la nature et interdite aux humains

Le parlement et la justice ont tranché en faveur des moulins et autres ouvrages
Le monde des ouvrages hydrauliques a donc dû recourir aux parlementaires, pour leur exposer les problèmes de terrain et leur demander de préciser les normes sur l’eau ; ainsi que recourir à la justice, pour faire constater que l’administration avait engagé une dérive manifeste par rapport à l’esprit des lois françaises, en particulier la loi sur l’eau de 2006. Car jamais les députés et sénateurs n’avaient validé l’idée de détruire en masse des ouvrages hydrauliques au nom d’une idéologie de la rivière sauvage : améliorer des fonctionnalités écologiques ne revient pas nier les interactions humaines avec l’environnement. Et, tant du point de vue du patrimoine que de la transition, les ouvrages ont des intérêts multiples : leur démolition ne pouvait être le sens de la doctrine publique de l’eau.

La décision toute récente du conseil constitutionnel confirme, à l’occasion de la reconnaissance de constitutionalité des exemptions à la continuité écologique, que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique sont d’intérêt général autant que conformes à un environnement équilibré. 

Cette décision vient elle-même après de nombreuses censures du ministère de l’écologie par le conseil d’Etat sur la question de la continuité écologique. La plus haute juridiction administrative a non seulement cassé diverses décisions de préfet fondées sur des abus de pouvoir récurrents dans la suppression de droits d’eau, mais elle a également réitéré régulièrement l’intérêt général des ouvrages hydrauliques ainsi que la compatibilité intrinsèque des ouvrages avec la continuité écologique. Il n’y a donc aucune base légale à prétendre que la destruction des seuils, chaussées et barrages en rivière serait une condition nécessaire de cette continuité. Ni à affirmer que le législateur visait au retour d'une rivière parfaitement indemne de modifications morphologiques locales, issues de l'occupation humaine dans l'histoire du pays.

Outre les cours de justice, depuis 2017, le parlement français a saisi 5 occasions pour réformer la loi sur l’eau de 2006 dans le domaine de la continuité écologique, ainsi que dans le domaine de la transition énergétique. A chaque fois, ces évolutions législatives ont renforcé la protection du patrimoine hydraulique et de le petite hydro-électricité. La dernière évolution notable, née de la loi Climat et résilience de 2021, a été claire : la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques est interdite dans les rivières classées continuité écologique, en particulier la destruction des moulins à eau ayant un potentiel hydro-électrique. 

La continuité écologique doit améliorer le patrimoine en place, pas le détruire
Le parlement, le conseil d’Etat, le conseil constitutionnel ont donc condamné sans contredit possible l’idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la rivière sauvage.

Cela ne signifie pas que la continuité écologique a été condamnée. Celle-ci est simplement redéfinie et reprécisée dans ce qui a toujours été son périmètre : améliorer, là où c’est réellement nécessaire et proportionné, une fonction de transit de sédiments et une fonction de circulation de poissons migrateurs. Il existe de nombreuses solutions non destructrices pour parvenir à cet objectif : ce sont elles que les services administratifs (OFB, agences de l’eau, DDT-M, Dreal) ont désormais obligation de promouvoir et de financer, en accompagnant les maîtres d’ouvrage dans un esprit positif et constructif. 

En outre, les services de l’Etat ont vocation à accélérer la transition bas-carbone qui engage la France par des directives européennes et des traités internationaux. Dans le cas des ouvrages, cela signifie faciliter la relance de leur production hydro-électrique. Rappelons que 25 000 moulins et sans doute autant d'ouvrages "non moulins" peuvent être équipés pour produire de l'énergie très bas-carbone, outre l'hypothèse de construction de nouveaux barrages, stoppée dans les années 1980 sous l'effet des même groupes de pression qui ont fait dériver la continuité écologique 30 ans plus tard. L'hydro-électricité n'est pas un détail à l'heure où chaque ménage et chaque collectivité doivent  sortir des énergies fossiles en l'espace d'une génération seulement.

Un fonctionnaire de la rivière doit protéger la loi, pas son idéologie
Au cours des années écoulées, chacune des avancées parlementaires et judiciaires en faveur des ouvrages hydrauliques a fait l’objet d’une résistance de la part de l’administration non élue, déjà de la direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie voire du ministre en place, parfois de tel ou tel agent des services déconcentrés ou des agences de l’eau. Nous avons chaque fois documenté ces comportements déplorables, irritants et surtout fort peu démocratiques. 

Aujourd’hui, le doute n’est plus permis : si des agents publics persistent à nier les décisions du parlement et de la justice, ils n’ont plus aucune légitimité à exercer leur mission dans le cadre d’une administration. 

Nous appelons donc tant le ministère de tutelle de ces agents que les préfets à préciser sans ambiguïté aucune la nouvelle doctrine de continuité écologique et à remettre sans délai de l’ordre dans l'ensemble des services publics en charge de l’eau et des milieux aquatiques. 

Post-scriptum : l’association Hydrauxois est née voici 10 ans et dans l’un de ses tout premiers dossiers, elle appelait à l’issue qui a finalement été validée par le droit, à savoir moderniser et rendre un usage d’intérêt général aux ouvrages plutôt que les détruire. Cette issue devient évidente à l’heure de la crise énergétique, de la nécessité de relocaliser les économies dans les territoires, de l’urgence d’accélérer la transition bas-carbone, du besoin de gérer l’eau face à des événements hydrologiques extrêmes appelés à devenir plus fréquents. Ce premier dossier n’avait reçu strictement aucune réaction des services publics destinataires. Pourquoi 10 ans d’ignorance, de cécité, de division, de conflit ? Comment peut-on croire un seul instant que l’écologie progressera dans la négation de la diversité des aspirations sociales et locales ? Comment a-t-on pu penser que la politique publique des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques ne serait pas co-construite avec les premiers concernés afin de définir ce qui est possible, et non pas érigée contre eux comme si l'Etat pouvait définir arbitrairement des cibles de destruction ? Et comment se fait-il que tant de rivières françaises soient toujours autant polluées alors que les directives européennes comme la recherche scientifique font de cette pollution l’enjeu de premier ordre pour la qualité des milieux aquatiques ? La politique publique de l'eau appelle des réformes de fond dans ses objectifs et dans sa gouvernance. Nous en parlerons dans un prochain article, à l'heure où le gouvernement envisage une "planification écologique". 

13/05/2022

L'exemption de continuité écologique est conforme à la constitution française!

Des associations de naturalistes et pêcheurs avaient saisi le Conseil constitutionnel en vue de lui faire déclarer comme contraire à la Charte de l'environnement et à la Constitution l'exemption de continuité écologique de moulins producteurs d'électricité. Notre association et ses consoeurs avaient mandaté leur conseil juridique pour défendre la conformité de la loi à la Constitution. Nous remportons ce jour une victoire juridique importante, car le Conseil constitutionnel reconnaît que la protection du patrimoine hydraulique et la production d'hydro-électivité sont d'"intérêt général" et inscrites dans la recherche d'un "environnement équilibré" tel que stipulé dans l'article 1 de la Charte de l'environnement. Après leur série de défaites au Conseil d'Etat entre 2019 et 2021, les ennemis des moulins et autres patrimoines des rivières n'ont plus de base juridique à leurs dérives. Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit poursuivre sa mobilisation au service des intérêts du pays et de l'environnement. 


Les associations France Nature Environnement et Anper-Tos, rejointes par la Fédération nationale de la pêche, avaient demandé au Conseil constitutionnel de statuer sur le caractère constitutionnel de l'article L 214-18-1 du code de l'environnement.

Cet article permet d'exempter de continuité écologique des moulins à eau quand ceux-ci sont équipés pour produire de l'électricité. Le Conseil d'Etat avait confirmé le caractère opposable de cet article en 2021, alors que l'administration de l'eau refusait de le mettre en oeuvre pour des motifs dilatoires. C'est cette décision du Conseil d'Etat qui a poussé les associations de défenseurs de la nature sauvage et le lobby des pêcheurs à saisir le Conseil constitutionnel. Leur but était d'obtenir l'annulation de l'exemption de continuité écologique en ce qu'elle serait contraire à la constitution française.

L'association Hydrauxois et ses consoeurs avaient demandé à Me Remy et Goudemez de défendre la validité de l'article incriminé au regard du droit. Le Conseil constitutionnel a validé notre interprétation. Nous nous en félicitons.

Intérêt général des moulins et de l'énergie hydraulique
La décision du Conseil constitutionnel est importante au plan de la doctrine. Le point le plus décisif est la reconnaissance du caractère d'intérêt général du patrimoine hydraulique et de la production hydro-électrique :
"il ressort des travaux parlementaires que le législateur a entendu non seulement préserver le patrimoine hydraulique mais également favoriser la production d'énergie hydroélectrique qui contribue au développement des énergies renouvelables. Il a, ce faisant, poursuivi des motifs d'intérêt général." 

Posant cela, le Conseil constitutionnel considère que les moulins produisant de l'électricité sont conformes à la lettre et à l'esprit de l'article premier de la Charte de l'environnement (rattachée à la Constitution), disposant que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé".

Cette interprétation entraîne l'abandon des griefs secondaires :
"Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement doit être écarté. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les articles 2, 3 et 4 de la Charte de l'environnement, ni le principe d'égalité, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution."
Nous commenterons dans de prochains articles les conséquences politiques et administratives de cette décision. 

Référence : Conseil constitutionnel, décision n° 2022-991, QPC du 13 mai 2022 

26/04/2022

La pollution touche aussi les lacs isolés de montagne (Machate et al 2022)

Une étude révèle que 151 molécules chimiques ont été détectées dans les eaux de huit lacs d’altitude en Ariège, dans les Hautes-Pyrénées et le Béarn. Ces substances incluent des pesticides,​ des fongicides,​ des biocides d’usage courant et soixante composés utilisés dans les parfums et les produits de nettoyage. Au moins deux composés sont en concentration suffisante pour induire une baisse de la population de crustacés. Ce travail confirme la pollution massive et ubiquitaire de tous les milieux aquatiques, phénomène dont il a été montré qu'il est la première cause de dégradation du vivant. A quand un retour aux vraies priorités pour la politique publique de l'eau?



Voici la synthèse de cette recherche :

"Les lacs de montagne ont longtemps été perçus comme des environnements vierges. Cependant, il a été démontré que les dépôts atmosphériques de polluants organiques persistants (POP) exposent ces écosystèmes sensibles à la pollution chimique. On sait peu de choses sur l'impact de cette pollution sur les écosystèmes aquatiques à haute altitude. 

Nous avons combiné l'échantillonnage passif avec la chromatographie liquide et gazeuse et la spectrométrie de masse à haute résolution (LC- et GC-HRMS) pour filtrer l'eau de huit lacs dans trois régions différentes des Pyrénées françaises. Au total, nous avons recherché 479 produits chimiques organiques, notamment des POP, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des pesticides anciens et actuels, des biocides et des composés de parfums. 

Nous avons détecté un cocktail complexe de 151 produits chimiques individuels et utilisé leur somme d'unités toxiques (ΣTU) pour évaluer la toxicité pour les crustacés et les algues. Si les risques pour les algues n'ont jamais atteint le niveau des risques chroniques, cela a toujours été le cas pour les crustacés. Les seuils de risque toxique aigu pour les crustacés ont même été dépassés sur plusieurs de nos sites. Sur les sites présentant des niveaux de risque toxique aigu (> 0,1 ΣTU), les crustacés étaient totalement absents ou présentaient une faible abondance. 

Nous concluons que les crustacés ont été au moins en partie impactés par les risques toxiques élevés induits par les insecticides diazinon et perméthrine. Ces médicaments sont largement utilisés pour protéger le bétail contre la maladie de la fièvre catarrhale ovine transmise par les insectes suceurs, suggérant que le bétail en liberté est une source locale. Nos résultats fournissent des preuves importantes sur la pollution chimique toxique dans les zones montagnardes relativement isolées, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes aquatiques de montagne."

05/04/2022

Le GIEC rappelle la nécessité de développer l'hydro-électricité pour limiter les émissions carbone

Le nouveau rapport du groupe 3 du GIEC, en charge de faire le point sur les solutions bas-carbone de prévention du changement climatique, rappelle la nécessité de développer l'hydro-électricité. Nous publions ici la traduction du point de synthèse du GIEC à ce sujet. Il est urgent que la France relance son programme hydraulique stoppé dans les années 1980, déjà qu'elle cesse immédiatement la folie consistant à détruire des moulins et barrages au nom de la continuité des cours d'eau, alors qu'il existe des solutions conciliant production énergétique et résilience écologique. Nous appellerons le nouveau parlement et le nouveau gouvernement à prendre acte des données de la science, ce qui implique de stopper les politiques climaticides dans le domaine de l'eau et des rivières. 



Extrait du rapport complet du GIEC sur l'hydro-électricité

"L'hydroélectricité est techniquement mature, prouvée dans le monde entier comme une source primaire d'électricité renouvelable, et peut être utilisée pour équilibrer l'approvisionnement en électricité en offrant flexibilité et stockage. Le coût actualisé de l'hydroélectricité est inférieur à celui de la nouvelle option à combustible fossile la moins chère. Cependant, le futur potentiel d'atténuation de l'hydroélectricité dépend de la minimisation des impacts environnementaux et sociaux pendant les étapes de planification, de la réduction des risques de rupture de barrage et de la modernisation du parc hydroélectrique vieillissant pour augmenter la capacité de production et la flexibilité (confiance élevée). Les estimations du potentiel hydroélectrique disponible théorique brut mondial varient de 31 à 128 PWh / an (112 à 460 EJ / an), dépassant la production totale d'électricité en 2018 (Banerjee et al. 2017 ; AIE 2021d ; BP 2020). Ce potentiel est réparti sur 11,8 millions d'emplacements, mais nombre d'entre eux ne peuvent pas être développés pour des raisons (actuelles) techniques, économiques ou politiques. Le potentiel technique estimé de l'hydroélectricité est de 8–30 PWh/an (29–108 EJ/an), et son potentiel économique estimé est de 8–15 PWh/an (29–54 EJ/an) (van Vliet et al. 2016c ; Zhou et al. 2015). La production hydroélectrique réelle en 2019 était de 4,2 PWh (15,3 EJ), fournissant environ 16 % de l'électricité mondiale et 43 % de l'électricité mondiale à partir d'énergies renouvelables (BP 2020 ; Killingtveit 2020 ; AIE 2020f). L'Asie détient le plus grand potentiel hydroélectrique (48%), suivie de l'Amérique du Sud (19%) (Hoes et al. 2017).

L'hydroélectricité est une technologie mature avec des solutions adaptées localement (confiance élevée) (Zhou et al. 2015 ; Killingtveit 2020). Le rendement maximal des centrales hydroélectriques est supérieur à 85 %. Les centrales hydroélectriques sans stockage ou avec un petit stockage produisent généralement de quelques kW à 10 MW (des exemples de telles centrales produisant des quantités plus élevées existent) et sont utiles pour fournir de l'électricité à une échelle allant des ménages aux petites communautés (El Bassam et al. 2013 ; Towler 2014). Cependant, les centrales hydroélectriques sans ou avec un petit stockage peuvent être sensibles à la variabilité climatique, en particulier les sécheresses, lorsque la quantité d'eau peut ne pas être suffisante pour produire de l'électricité (Premalatha et al. 2014). Les centrales hydroélectriques avec stockage peuvent produire 10 GW, atteignant plus de 100 TWh/an (0,36 EJ/an), mais nécessitent généralement de grandes surfaces. L'hydroélectricité de stockage par pompage stocke l'énergie en pompant l'eau vers des réservoirs plus élevés pendant les périodes de faible demande (Killingtveit 2020). Le stockage dans les systèmes hydroélectriques offre la flexibilité nécessaire pour compenser les variations rapides des charges et des approvisionnements en électricité. Les caractéristiques de régulation du stockage jouent un rôle important pour assurer la continuité de l'approvisionnement en énergie à partir de sources renouvelables (Yang et al. 2018b).

L'hydroélectricité est l'une des technologies électriques les moins coûteuses (Mukheibir 2013 ; IRENA 2021b). Ses coûts d'exploitation et de maintenance représentent généralement 2 à 2,5 % des coûts d'investissement par kW/an pour une durée de vie de 40 à 80 ans (Killingtveit 2020). Les coûts de construction sont spécifiques au site. Le coût total d'un grand projet hydroélectrique installé varie de 10600 à 804500 USD / kW si le site est situé loin des lignes de transmission, des routes et des infrastructures. Les coûts d'investissement augmentent pour les petites centrales hydroélectriques et peuvent atteindre 100000 USD/kW ou plus pour l'installation de centrales de moins de 1 MW - 20 % à 80 % de plus que pour les grandes centrales hydroélectriques (IRENA 2015). Au cours des 100 dernières années, les coûts totaux installés et le coûts actualisés ont augmenté de quelques pour cent, mais le coût actualisé de l'hydroélectricité reste inférieur à la nouvelle option la moins chère alimentée aux combustibles fossiles (IRENA 2019b, 2021).

Les centrales hydroélectriques peuvent avoir de graves impacts environnementaux et sociétaux (degré de confiance élevé) (Mccartney 2009). Les barrages peuvent conduire à la fragmentation des habitats écologiques car ils agissent comme des barrières à la migration des poissons et d'autres espèces terrestres et aquatiques, des sédiments et du débit d'eau. Ces barrières peuvent être atténuées par des passages de sédiments et des aides à la migration des poissons, ainsi que par la fourniture de débits environnementaux. Sous les barrages, il peut y avoir des altérations considérables de la végétation, des débits naturels des rivières, de la rétention des sédiments et des nutriments, ainsi que de la qualité et de la température de l'eau. La construction de grands réservoirs entraîne la perte de terres, ce qui peut entraîner des conséquences sociales et environnementales. Minimiser les impacts sociétaux et environnementaux nécessite de prendre en compte les aspects physiques, environnementaux, climatologiques, sociaux, économiques et politiques locaux lors de la phase de planification (Killingtveit 2020). De plus, lorsque de vastes étendues de terres sont inondées par la construction de barrages, elles génèrent des gaz à effet de serre (Phyoe et Wang 2019 ; Maavara et al. 2020 ; Prairie et al. 2018).

D'autre part, l'hydroélectricité fournit une électricité flexible et compétitive à faibles émissions, des avantages économiques locaux (par exemple, en augmentant l'irrigation et la production d'électricité dans les pays en développement) et des services auxiliaires tels que l'approvisionnement en eau municipale, l'irrigation et la gestion de la sécheresse, la navigation et les loisirs, et lutte contre les inondations (IRENA 2021b). Cependant, les avantages économiques à long terme pour les communautés affectées par les réservoirs font l'objet de débats (de Faria et al. 2017 ; Catolico et al. 2021). Le soutien public à l'énergie hydroélectrique est généralement élevé (Steg 2018) et supérieur au soutien au charbon, au gaz et au nucléaire. Pourtant, le soutien public à l'hydroélectricité semble différer pour les projets existants et nouveaux (confiance élevée).

Le soutien public est généralement élevé pour l'hydroélectricité à petite et moyenne échelle dans les régions où l'hydroélectricité était historiquement utilisée (Gormally et al. 2014). De plus, les grands projets hydroélectriques existants sont fortement soutenus en Suisse (Plum et al. 2019 ; Rudolf et al. 2014), au Canada (Boyd et al. 2019) et en Norvège (Karlstrøm et Ryghaug 2014), où il s'agit d'une source d'énergie de confiance commune. Le soutien public semble plus faible pour les nouveaux projets hydroélectriques (Hazboun et Boudet 2020), et la construction de nouvelles grandes centrales hydroélectriques s'est heurtée à une forte résistance dans certaines régions (Bronfman et al., 2015 ; Vince, 2010). Les gens perçoivent généralement l'énergie hydroélectrique comme propre et ne contribuant pas au changement climatique et à la pollution de l'environnement (Kaldellis et al. 2013). Par exemple, en Suède, les gens croyaient que les projets hydroélectriques existants avaient aussi peu d'impacts négatifs sur l'environnement que le solaire, et encore moins que le vent (Ek 2005). Cependant, dans les régions où la construction de nouvelles centrales hydroélectriques à grande échelle rencontre une résistance, les gens pensent que la production d'électricité à partir de l'hydroélectricité peut entraîner des risques environnementaux, sociaux et personnels (Bronfman et al., 2012 ; Kaldellis et al., 2013).

Le temps de construction des centrales hydroélectriques est plus long que celui de nombreuses autres technologies renouvelables, et ce temps de construction peut être prolongé du temps supplémentaire nécessaire pour remplir le réservoir. Ce délai prolongé peut créer une incertitude quant à l'achèvement du projet. L'incertitude est due à l'insécurité des variations annuelles des précipitations et des apports d'eau nécessaires pour remplir les réservoirs. Ceci est particulièrement critique dans le cas des centrales hydroélectriques transfrontalières, où le remplissage des réservoirs peut avoir des implications importantes sur les utilisateurs en aval dans d'autres pays. En raison des contraintes sociales et environnementales, seule une petite fraction des projets hydroélectriques économiques potentiels peut être développée, en particulier dans les pays développés. De nombreux pays en développement disposent d'un important potentiel hydroélectrique non développé et il existe des possibilités de développer l'hydroélectricité combinée à d'autres activités économiques telles que l'irrigation (Lacombe et al. 2014). La concurrence pour l'hydroélectricité à travers les frontières du pays peut conduire à des conflits, qui pourraient être exacerbés si le climat modifie les précipitations et le débit des cours d'eau (Ito et al. 2016)."

Source : GIEC / IPCC (2022), Climate Change 2022. Mitigation of Climate Change. Working group III contribution to the IPCC sixth assessment report (AR6)