30/07/2022

L’exemption de continuité écologique pour les moulins producteurs contestée par le conseil d’Etat

Nouveau rebondissement de jurisprudence dans la continuité écologique : le conseil d’Etat vient de décider que l’administration ne doit pas appliquer l’exemption de continuité écologique pour les moulins producteurs d’électricité, prévue à l’article L 214-18-1 code de l’environnement, car elle serait contraire à la directive cadre européenne 2000 et au règlement anguille 2007. Pourtant le ministère soutenait la position contraire devant le conseil constitutionnel voici quelques mois... Le droit devient incohérent et illisible. Il est temps pour le mouvement des ouvrages hydrauliques de demander aux parlementaires la remise à plat complète de la continuité écologique, source de confusion et de contentieux depuis trop longtemps. Il est déjà acquis que la casse des ouvrages hydrauliques est contraire à l'intérêt général, en particulier à la protection de la ressource en eau et à la promotion de la transition énergétique, deux urgences actées par tous. Il faut désormais poser que les chantiers de continuité ne doivent être exigés que dans les cas réellement utiles à des espèces menacées d'extinction, et financés par la collectivité au titre de la gestion publique de la rivière, comme les autres aménagements d'intérêt général.


Une société exploitait une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse (département de l'Indre), au droit d’un ancien moulin. Par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de l'Indre a fixé des prescriptions supplémentaires de continuité écologique à l'autorisation d'exploiter l'énergie hydroélectrique sur le barrage. L’exploitant a invoqué l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de l’article 15 de la loi du 24 février 2017, posant que : «Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l'article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l'autorité administrative mentionnées au même 2°

Le conseil d’Etat pose que cette exemption ne s’applique pas si un moulin avait été classé en continuité écologique mais n’avait pas satisfait alors aux exigences du classement : «Il résulte des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, éclairées par les travaux préparatoires relatifs à la loi du 24 février 2017 précitée, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau et de favoriser la production d’énergie hydroélectrique, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement ne peuvent donc être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.» Le conseil d’Etat considère donc que si une rivière a été classée avant la production électrique, la continuité s’impose.

Allant plus avant, le conseil d’Etat pose que l’administration est fondée à invoquer la directive cadre européenne de 2000 et le règlement européen anguille de 2007 pour ne pas suivre l’exemption prévue par le L 214-18-1 code environnement, qui est inférieur dans la hiérarchie des normes : « Si la société requérante invoque les dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement cité au point 2 pour soutenir qu’aucune obligation résultant du 2° du I de l’article 214-17-1 du même code ne peut être imposée à son installation, ces dispositions, en tant qu’elles exonèrent les moulins à eau existant à la date de publication de la loi du 24 février 2017 des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, indépendamment de leur incidence sur la continuité écologique des cours d’eau concernés et de leur capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles, méconnaissent les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007. Par suite, eu égard aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique interne telles qu’elles découlent de l’article 55 de la Constitution, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire de s’abstenir d’adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en œuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées.»

Commentaire
On doit d’abord souligner la surprenante mauvaise foi et incohérence du ministère de l’écologie sur ce dossier. En effet, le même article L 214-18-1 code de l’environnement avait fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité un peu plus tôt dans l’année. L’issue avait été cette fois favorable, avec la reconnaissance du caractère d’intérêt général du patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique. Or le ministère, qui défendait alors cet article du code de l'environnement, avait exposé dans son mémoire en défense au conseil constitutionnel que l’exemption de continuité ne contredisait nullement le droit européen. Cette fois, le ministère a procédé à l’inverse pour défendre la position de la préfecture de l'Indre devant le conseil d’Etat. L'administration française ne sait plus où elle va et devient un contre-modèle d'arbitraire...

Selon nos informations, le plaignant et son conseil discutent de l'opportunité de saisir la cour européenne des droits de l'homme dans la mesure où le non-renvoi par le conseil d'Etat à une cour administrative empêche le plaignant de faire valoir ses arguments en contradictoire contre ceux du ministère de l'écologie.

Pour le reste, la doctrine juridique ne résout pas la contradiction de base entre la politique publique de continuité et les autres politiques publiques de l'eau :
  • Il est reconnu que le patrimoine hydraulique et l’énergie hydro-électrique sont d’intérêt général, qu’ils font partie de la gestion équilibrée et durable de l’eau, à ce titre la destruction des ouvrages ne peut être la politique menée par les gestionnaires publics de l’eau – c’est même formellement interdit en rivière classée continuité écologique depuis la réforme de la loi climat et résilience de 2021. La crise énergétique et la crise climatique ne vont certainement pas permettre de revenir à un choix décrié, ruineux et dangereux de destructions des ouvrages de retenues d’eau et d’énergie bas-carbone.
  • Il reste donc des dispositifs de franchissement de poissons migrateurs, sauf que ceux-ci représentent une charge spéciale et exorbitante, inaccessible au budget des particuliers, des petits exploitants et des petites communes, mais les agences de l’eau, les régions et les syndicats de rivière refusent d‘appliquer le financement à 100% alors qu’ils l’appliquaient (outrageusement) sur les destructions désormais interdites.
Tant que les gestionnaires  publics en charge de l’eau et des financements de continuité resteront bloqués sur leur idéologie nuisible de diabolisation et de casse de ouvrages au lieu de reconnaître sans arrière-pensée leur existence et de financer leur modernisation, les problèmes continueront. 

S’il est appelé à réviser une nouvelle fois l’article L 214-18-1 code de l’environnement (comme la décision du conseil d'Etat le lui suggère), le parlement doit donc en profiter pour
  • Renforcer la protection des ouvrages en posant dans la loi de manière forte et explicite qu’ils sont indispensables aux objectifs de protection de la ressource en eau, adaptation au changement climatique, sécurité civile incendie, transition énergétique, relocalisation économique, préservation du patrimoine historique et paysager, donc que la rivière avec ouvrage relève de l’intérêt général et qu’elle restera l’horizon des bassins versants.
  • Recentrer la continuité écologique en long sur lit mineur (distincte et différente de la continuité latérale sur lit majeur) en la redéfinissant comme option de protection des grand migrateurs menacés d'extinction sur le bassin concerné, et non pas en laissant entendre qu'elle vise une "renaturation" des bassins ou de manière indistincte un aménagement de tous les ouvrages même quand il n'existe pas d'enjeu d'espèce menacée. Cela implique de cibler nettement mieux le choix des rivières et tronçons classés.
  • Rappeler la nécessité du financement public des charges d’intérêt général relevant de la continuité écologique, assimilables à d'autres aménagements de la rivière (une passe à poissons n'apporte évidemment rien à un propriétaire, sinon une servitude d'entretien et une hausse de la fiscalité du bâti) ; en conséquence, et du fait du coût de cette politique qui est objectivement très secondaire par rapport aux enjeux du pays sur l’eau et l’énergie, exiger aussi de l’administration une révision réaliste du classement de continuité écologique. 
Pour le fond, la continuité écologique a révélé depuis 10 ans deux visions contradictoires : les partisans de la nature sauvage considérant qu’il faut à terme éliminer tout impact humain d’un milieu naturel et donc soutenir tout ce qui va dans ce sens, ici la destruction pure et simple des ouvrages ; les partisans de l’environnement aménagé considérant qu’il faut viser des objectifs d’intérêt général où la biodiversité endémique est un paramètre parmi d’autres, à ne pas négliger comme jadis mais à ne pas sacraliser non plus par excès inverse, au regard d’autres enjeux critiques et au regard également de la réalité de l’évolution des milieux aquatiques depuis des siècles. Il faut tout de même rappeler que le déclin massif des anguilles date de la seconde moitié du 20e siècle (à partir des années 1980), alors que les moulins sont présents sur les rivières depuis deux millénaires. 

Nous pensons que notre vision, favorable à la gestion intelligente de l’eau, de l’énergie et de l’environnement, est très largement majoritaire quand elle est correctement expliquée ; et que la promotion du retour à la nature sauvage est au contraire une lubie assez marginale et radicale, décalée des menaces majeures qui pèsent sur l’environnement comme des aspirations des citoyens, en particulier ceux qui vivent près des rivières concernées. Mais les propriétaires, les riverains, les associations, les collectifs et les syndicats doivent impérativement et sans relâche expliquer leurs positions dans le débat public et auprès des décideurs, en particulier leurs parlementaires. Cet arrêt du conseil d'Etat est aussi un avertissement : si nous cessons la mobilisation intensive contre les casseurs d'ouvrages hydrauliques, les empêcheurs de transition énergétique et les assécheurs de milieux aquatiques, les nuisances vont reprendre. Que chacun écrive à son député et son sénateur pour les entretenir de ces sujets et leur demander de réviser le droit de l'environnement là où il produit des échecs.

Référence : Conseil d’Etat, 28 juillet 2022, arrêt n° 443911 

Note aux adhérents Hydrauxois : pour notre part, nous demandons aux préfets depuis les classements de 2012 et 2013 de respecter la loi imposant l’indemnisation des charges exorbitantes de continuité. Notre position est donc inchangée : les pouvoirs publics flèchent ce financement des chantiers de mise en conformité ou se mettent en défaut par rapport à la loi. Nous insistons sur la nécessité d’envoyer en recommandé les modèles de courrier que nous proposons, afin de rester cohérents dans votre défense juridique, de montrer que vous n’ignorez pas la loi et de mettre la pression sur les agences de l’eau, dont le blocage financier très dogmatique explique l’essentiel des problèmes observés. Si l’on était venu voir les propriétaires pour leur proposer des solutions adaptées et financées au lieu d'essayer de leur imposer une ruine, nous aurions gagné dix ans… La France se perd dans ces absurdités bureaucratiques alors que l’argent public manque partout. Cela aussi, les citoyens ne l’oublient pas : les pouvoirs publics doivent changer de braquet s’ils veulent sortir de la spirale de déconsidération où ils sont engagés. 

27/07/2022

Les barrages de castors bénéfiques pour la quantité et la qualité d'eau en tête de bassin versant (Dittbrenner et al 2022)

Les castors et les humains sont les deux seules espèces capables de construire des retenues et diversions d'eau sur le lit mineur des rivières. Une nouvelle étude nord-américaine confirme, après de nombreuses autres, que la formation des retenues par barrages de castor tend à augmenter le stockage local de l'eau dans les sols et nappes, ainsi dans le cas étudié qu'à baisser la température de l'eau. Les chercheurs jugent ce bilan très bénéfique, notamment en situation de changement climatique qui réduit le débit des petites rivières de tête de bassin.  Ces travaux contredisent évidemment le dogme du libre écoulement des eaux selon lequel tout obstacle en rivière est un drame écologique, et toute retenue une somme d'effets uniquement négatifs. L'état normal d'une rivière est plutôt d'être parsemée de tels obstacles, qu'ils proviennent de castors, d'humains, d'embâcles, d'éboulis ou autres causes ni plus ni moins naturelles les unes que les autres.


La rivière avant et après la création de barrages et retenues par les castors, extrait de Dittbrenner  et al 2022, art cit.

Longtemps présent en abondance dans les ruisseaux et rivières de l'hémisphère Nord, les castors américains (Castor canadensis) et eurasiens (Castor fiber) ont connu une régression forte de l'Antiquité au 20e siècle, au point de frôler l'extinction. Désormais protégées, ces espèces ont entamé une reconquête progressive des vallées où elles vivaient, du moins celles qui présentent encore des biotopes favorables à leur cycle de vie. C'est le cas en particulier des têtes de bassin qui sont restées boisées.

Les castors se caractérisent par la construction de barrages, digues, canaux, huttes qui forment leur territoire. C'est la seule espèce avec la nôtre qui crée des plans d'eau par barrages. Les écologues et hydrologues s'intéressent aux castors pour comprendre l'impact des retenues d'eau qu'ils bâtissent.  Benjamin J. Dittbrenner et ses collègues ont analysé des bassins versants aux Etats-Unis en phase de reconquête par une colonie de castors. 

Voici le résumé de leur travail

"De nombreuses régions connaissent une augmentation des températures des cours d'eau en raison du changement climatique, et certaines connaissent une réduction des débits des cours d'eau en été et de la disponibilité de l'eau. Étant donné que la construction de barrages et la formation de retenues par le castor peuvent augmenter le stockage de l'eau, le refroidissement des cours d'eau et la résilience de l'écosystème riverain, le castor a été proposé comme un outil potentiel d'adaptation au climat. Malgré le grand nombre d'études qui ont évalué comment l'activité des castors peut affecter l'hydrologie et la température de l'eau, peu d'études expérimentales ont quantifié ces résultats après la relocalisation des castors. 

Nous avons évalué les changements de température et de stockage de l'eau suite à la relocalisation de 69 castors dans 13 cours d'eau d'amont du bassin versant de la rivière Skykomish dans le bassin de la rivière Snohomish, Washington, États-Unis. Nous avons évalué comment les barrages de castors affectaient le stockage des eaux de surface et souterraines et la température des cours d'eau. Les relocalisations réussies ont créé 243 m3 de stockage d'eau de surface par 100 m de cours d'eau au cours de la première année suivant la relocalisation. Les barrages ont augmenté l'élévation de la nappe phréatique jusqu'à 0,33 m et stocké environ 2,4 fois plus d'eau souterraine que d'eau de surface par tronçon de relocalisation. Les tronçons de cours d'eau en aval des barrages ont affiché une diminution moyenne de 2,3 °C pendant les conditions de débit de base en été. Nous avons également évalué comment les dommages, l'état, la fréquence d'entretien et la morphologie des étangs influençaient la température des cours d'eau dans les complexes de milieux humides naturellement colonisés. 

Nos résultats démontrent que la construction de barrages peut augmenter le stockage de l'eau et réduire les températures des cours d'eau au cours de la première année suivant la relocalisation réussie des castors. La morphologie fluviale et des plaines inondables des tronçons candidats à la relocalisation est une considération importante car elle détermine le type et l'ampleur de la réponse. La relocalisation vers des tronçons avec de petites retenues abandonnées existantes peut répondre aux critères thermiques en convertissant des tronçons de réchauffement en tronçons de refroidissement, tandis que la relocalisation dans de grands complexes abandonnés ou un habitat vacant peut entraîner un plus grand stockage de l'eau. Bien que la relocalisation des castors puisse être une stratégie d'adaptation climatique efficace pour conserver des régimes hydrologiques et une qualité de l'eau plus stables dans notre zone d'étude, il semble y avoir des facteurs environnementaux et géomorphologiques spécifiques à la région qui influencent la façon dont les castors affectent stockage et température de l'eau. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment et pourquoi ces différences régionales affectent le stockage de l'eau et la réponse de la température des cours d'eau dans les systèmes influencés par le castor."

Les auteurs rappellent que leurs analyses confirment de nombreux travaux antérieurs : "Il a été démontré que les complexes de castor augmentent considérablement le potentiel de stockage des eaux de surface et souterraines. On estime que, dans le monde entier, les complexes de castors stockent jusqu'à 11 km3 d'eau de surface (Karran et al., 2016) avec jusqu'à 30 % de l'eau de surface d'un cours d'eau stockée dans des retenues de castors (Duncan, 1984). Des études ont montré que le castor augmentait la largeur des zones riveraines le long des cours d'eau de 11 à 34 m (McKinstry et al., 2001), et dans les tronçons en aval des barrages, le volume des bassins augmentait également (Stack & Beschta, 1989). On a constaté que les tronçons de cours d'eau endigués étendaient l'étendue latérale de la zone hyporhéique jusqu'à 8 m au-delà des tronçons de contrôle à partir d'une largeur de 0,2 m avant la construction du barrage (Shaw, 2009), tandis que les retenues plus grandes étendaient l'étendue des eaux souterraines de plus de 50 m ( 10 m dans les tronçons témoins ; Lowry, 1993). Cependant, en raison de la complexité et de la grande variabilité de la géologie locale, du relief, du type de sol et d'autres caractéristiques morphologiques, les estimations du stockage total sont difficiles à quantifier. Bien que la plupart des études existantes aient documenté le stockage dans des complexes de castor bien établis, les effets du déplacement du castor sur le stockage des eaux de surface et souterraines restent sous-étudiés."

Concernant la température, les auteurs soulignent la dépendance au contexte local et la nécessité de bien fixer l'échelle de l'analyse thermique, en tenant compte notamment des remontées de nappes : "Les effets des barrages de castors sur la température des cours d'eau sont également très variables d'une étude à l'autre selon l'emplacement et la méthodologie d'étude. Des recherches antérieures ont trouvé des preuves de réchauffement (Avery, 2002; Patterson, 1951), de refroidissement (White, 1990), de réchauffement ou de refroidissement selon la saison (Avery, 1983), ou d'absence de relation entre la présence d'un barrage et la température (McRae & Edwards, 1994 ). Dans les systèmes d'amont à plus haute altitude, où les cours d'eau sont relativement froids, des augmentations de température de 6 à 9 °C ont été observées en aval des étangs de castors (Margolis et al., 2001). Des études plus récentes ont évalué les températures des cours d'eau à plus grande échelle et ont constaté que les étangs de castors peuvent également avoir un effet de refroidissement net (Weber et al., 2017; White et Rahel, 2008) en raison de la recharge et de la remontée d'eau souterraine (Pollock et al., 2007)"

Discussion
Le castor nord-américain bâtit des barrages de plus grande dimension que le castor européen, mais les deux espèces utilisent cette même stratégie de construction de niche pour remodeler les rivières. 

Le point évidemment étonnant de ces études sur le castor, c'est qu'elles contredisent totalement le discours dogmatique sur la nécessité d'un libre écoulement parfait des eaux de surface au nom de la continuité écologique des rivières. Dans la réalité, les rivières même sans humains sont cesse fragmentées, par des barrages d'embâcles, d'éboulis ou de castors. Leur lit est loin d'être le petit chenal lotique encaissé et sinueux que l'on montre souvent comme exemple de rivières "naturelles" alors que c'est un style fluvial tardif issu de l'exploitation humaine des bassins versants (voir Lespez et al 2015).

Si le petit barrage de castor diffère évidemment du petit barrage humain par sa conception, il est notable que de nombreuses propriétés et fonctionnalités hydrologiques sont semblables : hausse de la lame d'eau, élargissement du lit en eau sur l'emprise de la retenue, débordement locaux an amont si le foncier est prévu pour l'accueillir (ou diversion dans des canaux latéraux, sachant que le castor lui aussi est capable de creuser ces annexes hydrauliques). Au demeurant, d'autre travaux de recherche ont montré que la destruction des ouvrages humains mène à des incisions de lit, moindres débordements et moindres recharges de nappes (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

L'image ci-dessous montre une succession de petits plans d'eau humains en tête de bassin, sur une carte ancienne (Cassini, 18e siècle). Nos ancêtres, comme les castors, avaient une certaine intuition des moyens de retenir et gérer l'eau dans les bassins versants...

Référence : Dittbrenner BJ et al (2022), Relocated beaver can increase water storage and decrease stream temperature in headwater streams, Ecosphere, 13, 7, e4168


Succession de plans d'eau humains dans un aménagement d'Ancien Régime en tête de bassin.

25/07/2022

Probable augmentation des rivières à sec en France au cours du siècle (Sauquet et al 2021)

Des chercheurs français ont simulé l’évolution du débit des rivières de tête de bassin en situation de changement climatique d’ici 2100. Il en résulte que la probabilité d’assèchement et de rivière devenant intermittente en été risque de quasiment doubler (x1.75) dans le scénario d’émission carbone le plus pessimiste. Même le scénario le plus optimiste voit une augmentation des assecs, ce qui aura des conséquences pour la biodiversité actuelle et pour les usages humains. La gestion de l’eau doit prévoir ces situations de crise : ne pas simplement regarder les conditions passées de la rivière, mais anticiper ses conditions futures. 


Le changement climatique provoque une augmentation de la température de l'air, se traduisant par un risque d’augmentation de l'aridité, de la désertification et de la dégradation des sol. En conditions plus sèches, la disponibilité de l'eau devrait diminuer et l'intermittence de l'écoulement de surface en été augmenter. Les occurrences d'assèchement exacerbent la concurrence entre les utilisations humaines et modifient les écosystèmes d'eau douce : perte de diversité biologique, modification de la décomposition de la matière organique, changements radicaux dans la dispersion des organismes.

Mais comment peut évoluer l’intermittence des cours d’eau au cours de ce siècle, en lien à des sécheresses hydrologiques d’été ? Eric Sauquet et ses collègues (INRAE, Paris-Saclay) ont couplé des modèles climatiques avec un modèle hydrologique de débit pour répondre à cette question.

Voici le résumé de leur travail :
« À mesure que le climat change, les cours d'eau d'amont pérennes pourraient devenir intermittents et les rivières intermittentes pourraient s'assécher plus souvent en raison de sécheresses plus graves. 

Un schéma  de modélisation soutenu par des observations sur le terrain a été appliqué pour évaluer la probabilité d'assèchement dans les eaux d'amont à l'échelle régionale (Pd) sous condition de changement climatique. Les relations empiriques entre la gravité des faibles débits et les proportions observées d'états sans débit ont été calibrées pour 22 hydro-écorégions dans les conditions actuelles. Ces relations ont été appliquées à l'aide de données de débit journalier sur un large ensemble de stations de jaugeage simulées par le modèle hydrologique Modèle du Génie Rural à 6 paramètres Journalier (GR6J) sous les scénarios d'émission RCP2.6 et RCP8.5. 

Les résultats suggèrent un modèle spatial plus contrasté à l'avenir que dans les conditions actuelles. Les changements notables incluent l'augmentation de l'étendue et de la durée de l'assèchement, en particulier dans les régions où les probabilités d'assèchement sont historiquement élevées et les changements de saisonnalité dans les régions alpines. Les écosystèmes aquatiques connaîtront des conditions hydrologiques sans précédent, qui pourraient entraîner des pertes de fonctions écosystémiques. »
Cette figure montre l’évolution des débits entre 2021-2050 et 2071-2100 en situation de réchauffement, en été (JJA) et automne (SON) :


Extrait de Sauquet et al 2021, art cit.

La probabilité moyennée d’assèchement est de 12% dans le climat actuel mais pourrait monter à 17-21% selon les scénarios climatiques d’émission. 

Concernant la biodiversité, les auteurs notent : « L'intermittence va se généraliser dans des régions actuellement peu exposées à de telles conditions. Alors que le Nord de la France aura des étendues d'intermittence comparables à celles du bassin méditerranéen aujourd'hui, le pourcentage de tronçons secs doublera en bassin méditerranéen. Les changements observés ici pourraient être trop rapides pour permettre aux espèces de s'adapter, ce qui pourrait entraîner des risques d'extinction élevés pour le biote aquatique et en particulier les spécialistes des eaux d'amont incapables de se disperser sur les terres (par exemple, les poissons, Jaeger et al. 2014). Dans un paysage non fragmenté, les espèces peuvent descendre ou remonter pour trouver refuge pendant la période sèche. L'augmentation de l'étendue de l'intermittence peut augmenter la fragmentation du réseau fluvial et empêcher l'accès aux refuges pérennes (Davey et Kelly 2007), augmentant les risques d'extinction des espèces (Jaeger et al. 2014, Vander Vorste et al. 2020). »

Discussion
Les simulations des débits des rivières sont complexes, car il faut associer des modèles climatiques et des modèles hydrologiques. En particulier, l’évolution des précipitations est plus difficile à modéliser que celle des températures. Néanmoins, la plupart des simulations publiées pour la France métropolitaine annoncent un schéma dont nous voyons les premières réalités aujourd’hui : un apport de précipitation se maintenant voire augmentant en saison pluvieuse, se raréfiant voire parfois disparaissant en saison sèche. 

La question est : qu’en déduisons-nous pour la gestion des sols, des nappes, des plans d’eau et des cours d’eau? Une approche ayant actuellement la faveur du gestionnaire public de l’eau en France consiste à dire qu’il faut «renaturer» les milieux (éliminer les impacts liés aux humains), diminuer la consommation d’eau par la société et ensuite laisser faire la nature. Ce n’est pas notre point de vue. 

D’abord, le changement climatique n’a rien de «naturel», mais il s’impose à nous. Il n’y a pas tellement de sens à restaurer des conditions de milieux naturels dans leur situation d’il y a quelques siècles (qui était déjà modifiée) alors même que l’apport d’eau dans ces milieux ne sera plus le même à l’avenir. Ensuite, même avant les émissions carbone de l’industrie fossile moderne, la raréfaction de l’eau était souvent un problème dans les campagnes. C’est une des raisons pour lesquelles les têtes de bassins versants étaient couvertes de petits ouvrages qui stockaient ou faisaient déborder latéralement l’eau d’hiver, permettant des retenues de surface ou des recharges de nappes. Enfin, la disparition de l’eau est une discontinuité radicale qui altère l’essentiel du vivant aquatique, hors les espèces spécialisées en adaptation à l’intermittence. Comme ce vivant est soumis à de nombreuses autres pressions, l’effet risque d’être catastrophique. 

Pour des raisons tant sociales qu’économiques et écologiques, la gestion adaptative de l’eau doit devenir une priorité. Elle ne sera pas simplement le «retour à la nature». Si les modèles hydroclimatiques prévoient un excès d’eau d’hiver et un déficit d’eau d’été, nous devons réfléchir sans préjugé à tout ce qui permet de gérer de façon intelligente et bénéfique cette condition nouvelle. L'une des pistes est évidemment de travailler sur l'ensemble du bassin (lit majeur et lit mineur) à tout ce qui permet de retenir l'eau de la saison pluvieuse dans les sols, les nappes et les lits.

Référence : Sauquet E et al (2021), Predicting flow intermittence in France under climate change,  Hydrological Sciences Journal, 66, 14

15/07/2022

La recherche confirme le fort potentiel de la petite hydro-électricité en Europe (Quaranta et al 2022)

Le potentiel de développement de la petite hydro-électricité au fil de l’eau en Europe correspond à une production de 79 à 1710 TWh par an, montre une équipe de chercheurs. La valeur haute est considérable, trois fois la production électrique de la France. Cette énorme fourchette tient presque entièrement aux règlementations administratives : si celles-ci cessent de réprimer l’hydro-électricité, les rivières peuvent délivrer tout leur potentiel pour contribuer à atteindre l’objectif de zéro carbone net en 2050. Chacun doit exposer aux décideurs publics l’urgence de mettre les administrations au service de la transition énergétique, ce qui n’est pas le cas sur toutes les rivières françaises, loin s'en faut. Les agences de l’eau et les syndicats de bassin se désintéressent le plus souvent de  l’énergie des rivières, alors que c’est un des enjeux de l'eau depuis deux millénaires et que des dizaines de milliers de sites équipables existent. Pire, ils combattent dans certains cas des projets énergétiques et détruisent même le potentiel de production, alors que la loi a spécifié en 2019 que la petite hydro-électricité devait être désormais mobilisée pour l’urgence climatique. Informez urgemment vos parlementaires de ces données en vue de la prochaine loi énergie qui sera discutée à l'assemblée, et exigez que l’administration de l’eau change immédiatement sa politique néfaste.



L'hydroélectricité est la plus principale source d'énergie renouvelable utilisée dans le monde, représentant 1 330 GW de puissance installée mondiale. La grande hydroélectricité (> 10 MW) contribue également à une meilleure gestion de l'eau (par exemple, le contrôle des inondations), fournit une capacité de stockage, soutient la diffusion de sources d'énergie renouvelables intermittentes (par exemple, éolien et solaire) et offre de la flexibilité au réseau électrique. La petite hydroélectricité (< 10 MW) peut également contribuer au développement local, à la production d'énergie décentralisée et aux opportunités dans les zones reculées. On estime que la capacité installée mondiale de la petite hydroélectricité est de 75 GW, avec 173 GW de potentiel inexploité. La petite hydroélectricité au fil de l'eau représente plus de 75 % des 3 700 centrales hydroélectriques prévues ou en construction dans le monde, en particulier en Europe, leader en ce domaine.

Cinq chercheurs européens (Emanuele Quaranta, Katalin Bódis, Egidijus Kasiulis, Aonghus McNabola, Alberto Pistocchi) ont analysé le potentiel de développement de la petite hydro-électricité en Europe. Leur point était surtout de comparer le potentiel théorique que nous pourrions produire avec le potentiel réduit en cas de régulation environnementale interdisant d'exploiter. C'est-à-dire mesurer le poids de normes écologiques sur la production énergétique des cours d'eau.

Voici le résumé de leur étude :

"Les petites centrales hydroélectriques (puissance installée inférieure à 10 MW) sont généralement considérées comme moins impactantes que les grandes centrales, ce qui a stimulé leur propagation rapide, avec un potentiel de développement qui n'est pas encore épuisé. Cependant, comme ils peuvent avoir des impacts sur l'environnement, en particulier dans le cas d'installations en cascade, il est nécessaire de les exploiter de manière plus durable, par ex. en tenant compte des besoins des écosystèmes et en développant des technologies à faible impact. 

Dans cet article, une évaluation a été menée pour estimer comment le débit environnemental et la densité spatiale des installations affectent le potentiel de la petite hydroélectricité (en tenant compte des systèmes au fil de l'eau comme type de dérivation) dans l'Union européenne. Le potentiel de diversion pour centrale hydro-électrique est de 79 TWh/an sous les contraintes environnementales les plus strictes considérées, et de 1 710 TWh/an sous les contraintes les plus relâchées. 

Le potentiel des microtechnologies à faible impact (< 100 kW) a également été évalué, montrant que le potentiel économique des hydroliennes en rivière est de 1,2 TWh/an, celui des roues hydrauliques dans les anciens moulins est de 1,6 TWh/an, et le potentiel hydroélectrique des réseaux d'eau et d'assainissement est de 3,1 TWh/an, pour un coût d'investissement moyen de 5 000 €/kW. »

Les auteurs soulignent en particulier que notre capacité à développer cette source dépend du choix fait dans la gestion des rivières : « Les contraintes environnementales affectent le potentiel hydroélectrique au fil de l’eau à grande échelle, de 79 TWh/an à 1 710 TWh/an. Cette grande variation indique que le potentiel de la petite hydroélectricité dépend strictement des objectifs de protection de l'environnement fixés dans l'autorisation des centrales."

Il est à noter que pour l'équipement des moulins existants, les auteurs ont calculé selon l'option de la roue horizontale, en raison "de son acceptation sociale et de sa durabilité environnementale". Mais beaucoup de moulins ont été équipés de turbines au 19e siècle et au 20e siècle, cet équipement ayant une meilleure plage d'utilisation et un meilleur rendement. 

Discussion
Une précédente recherche européenne avait analysé plus en détail le potentiel spécifique de relance des moulins à eau les plus faciles à équiper (Punys et al 2019). Ce nouveau travail confirme qu’il existe un fort potentiel de contribution de la petite hydro-électricité à l’objectif européen zéro carbone 2050. Il est notable que la principale variable est non pas la disponibilité des sites, mais la décision d’accepter ou non l’hydro-électricité dans la gestion écologique, sociale et économique des bassins versants. Nous appelons donc les décideurs à faire les bons choix. Aujourd’hui, la prévention du réchauffement climatique et l’indépendance énergétique européenne sont considérées comme des causes d’intérêt public majeur, mais ce n’est pas inscrit explicitement comme tel dans le droit français et européen. Il existe donc des conflits de normes climatiques (baisse du carbone) et écologiques (conservation de milieux), ce qui tend à geler les initiatives, paralyser les investissements et ralentir la transition.

En France, nous observons une situation assez catastrophique en terme de mobilisation de la petite hydro-électricité: les gestionnaires publics en charge des bassins versants (agence de l’eau, syndicat de bassin) n’ont généralement pas de culture énergétique et ne prévoient pas dans leurs schémas de planification l’incitation forte à l’équipement des sites existants. Pire encore, des politiques sont parfois menées pour contrarier cet équipement, l'assortir d'exigences non subventionnées et disproportionnées qui représentent 10 à 20 ans de revenus de la production électrique, voire détruire purement et simplement les ouvrages. Cette politique à contre-emploi doit cesser. 

Nos lecteurs doivent prendre ces données et informer leurs parlementaires, qui votent notamment le budget des agences de l’eau et qui prépare une loi énergie pour la rentrée de septembre 2022. Rappelons que la loi française a déjà précisé en 2019 que la petite hydro-électricité doit être mobilisée face à l’urgence écologique. La crise énergétique consécutive à la guerre en Europe n’a fait qu’accentuer cette urgence, en y ajoutant la nécessité de retrouver notre souveraineté, donc d’exploiter toutes nos ressources locales d’énergie. Il est peu acceptable que l’administration bloque encore ce choix démocratique, nuise à la réponse à l’urgence climatique et énergétique, complexifie et renchérisse ce qui pourrait être relativement simple et rapide. 

Référence : Quaranta E et al (2022), Is there a residual and hidden potential for small and micro hydropower in Europe? A screening‑level regional assessment, Water Resources Management,  36, 1745–1762

13/07/2022

L'eau est une ressource critique, il faut la retenir pour la société et le vivant

Près de 90% de l'eau renouvelable en France repart à la mer. Les humains n'utilisent qu'une fraction de cette eau, de l'ordre de 3%. Les dernières observations font état d'une baisse de précipitation après le début des années 2000, mais centrée sur certaines régions en stress. L'eau étant une ressource critique comme l'énergie, nous devons développer des solutions pour ralentir et retenir son écoulement vers la mer, faire en sorte que davantage d'eau reste disponible pour la société et le vivant. Certains options s'inspirent des progrès de nos observations et compréhensions écologiques ("solutions fondées sur la nature"). D'autres sont des solutions techniques et inspirées de l'expérience humaine. Aucun dogme en la matière n'est acceptable, vu la gravité de l'enjeu de l'eau que nous rappellent les sécheresses comme les crues. Une chose est certaine : la politique actuelle de suppressions des ouvrages de retenues et canaux, avec incision des lits et accélération des écoulements, est une vision catastrophique, à contre-emploi des besoins de la France pour le 21e siècle. Cela doit cesser immédiatement, comme l'a exigé la loi Climat et résilience de 2021 demandant d'arrêter les destructions d'ouvrages et assèchements de leurs milieux. 


L'eau est un cycle : elle tombe du ciel sous forme de précipitation, s'infiltre au sol ou ruisselle, s'écoule vers la mer par les cours d'eau, s'évapore, revient sous la forme de nuages qui créent les précipitations et relancent le cycle à nouveau. 

Les quantités concernées en France (métropole)
Dans les années 2000, le cycle de l'eau en France métropolitaine concerne environ un volume 500 milliards de m3.

Selon le site eaufrance, le cycle de l'eau en France métropolitaine engage : 
- 503 milliards de m³ d'eau apportés par la pluie et la neige ; 
- l'évaporation de 314 milliards de m³ (60%) ; 
- l'arrivée de 11 milliards de m³ en provenance des pays voisins. 

Le volume annuel total des eaux renouvelables est donc de 200 milliards de m³ dont : 
- 80 milliards de m³ ruissellent ; 
- 120 milliards de m³ s'infiltrent. 

Dans ce volume annuel total des eaux renouvelables : 
- 6 milliards de m³ sont consommés ou s'évaporent ; 
- 18 milliards de m³ sortent du territoire ; 
- 176 milliards de m³ s'écoulent vers la mer.

Ces chiffres montrent que :
- la consommation humaine (6 milliards m³) n'est que fraction de 3% de l'eau renouvelable totale (200 milliards m³)
- l'enjeu pour la société, l'économie et l'environnement concerne essentiellement les 176 milliards de m³ qui aujourd'hui repartent à la mer.

Une étude montre une baisse des précipitations depuis le début des années 2000
Le changement climatique va affecter le cycle de l'eau, car il change la température, l'évaporation, la circulation couplée de l'océan et de l'atmosphère et le régime zonal de précipitations (la quantité moyenne de pluie sur une région du globe). 

Cette évolution hydroclimatique est dure à simuler, mais les modèles suggèrent que la France pourrait connaître davantage de précipitations dans certains zones, moins dans d'autres déjà sèches au Sud. Des événements extrêmes de type longues sécheresses et canicules vont devenir plus fréquents, donc renforcer les tensions sur quelques mois à quelques années. Nous aurons peut-être jusqu'à une à deux décennies sèches. Il peut aussi y avoir, à l'inverse, des précipitations extrêmes qui vont aggraver le risque de crues et inondations. Il est donc très difficile d'anticiper : il faut des capacités de gestion du manque comme de l'excès d'eau.

Une récente analyse du ministère de l'écologie en France montre qu'il pleut de moins en moins en France. Les précipitations ont baissé de 6 % en moyenne à partir de 2002. Une évolution amplifiée par une hausse de l'évapotranspiration de 3 % à partir de 1999. En revanche, le volume des eaux qui entrent en France par les fleuves et les rivières a peu varié.



Toutefois, les régions ne s'assèchent pas toutes, comme le montre cette carte. Des zones n'ont pas de tendance claire, voire une hausse de l'eau renouvelable. D'autres une baisse, surtout le Sud-Ouest.



Aucun dogme ne doit entraver les politiques publiques... surtout pas celui de l'assèchement des retenues et canaux!
Face au risque font peser les sécheresses comme les crues, et du fait de la dimension critique de l'eau pour toute société, cette ressource doit être gérée avec la plus grande attention. Aujourd'hui, aucun dogme ne doit s'opposer à la maîtrise territoriale de l'eau. Comme nous l'avons vu, près de 90% de l'eau repart à la mer, alors que nous avons besoin qu'elle reste davantage présente dans les sols, les aquifères, les nappes, les retenues, la végétation locale. En particulier dans les saisons d'excès de pluies où les milieux peuvent se gorger d'eau.

Il existe des solutions fondées sur la nature et des solutions fondées sur la technique. On ne doit pas les opposer comme certains le font de manière stérile et polémique – nous pensons ici à ceux qui s'opposent par principe aux ouvrages hydrauliques humains.

Ces solutions ont en commun de retenir l'écoulement de l'eau (pour qu'elle ne reparte pas très vite à la mer) mais en évitant aussi des engorgements locaux provoquant inondations et dommages. 

Dans les solutions fondées sur la nature : désimperméabilisation des sols pour éviter le ruissellement qui ne nourrit pas les couches profondes du sol et les nappes, végétalisation qui rétablit le cycle local d'évapotranspiration (haies, bosquets, ripisylve etc.) et le stockage autour des systèmes racinaires, orientation des crues vers des champs d'expansion dédiés à cette fin (continuité latérale maîtrisée, zones humides), recréation d'annexes et bras morts de cours d'eau qui ont souvent été comblés

Dans les solutions fondées sur la technique : maintien des ouvrages des cours d'eau avec bonne gestion des retenues et des canaux, création de nouvelles retenues (connectées ou déconnectées du lit mineur) à bonne conception écologique (milieu lentique accueillant pour le vivant tout en ayant des usages fonctionnels), amélioration de l'épuration des eaux usées et ré-injection dans des nappes (stockage souterrain à moindre évaporation) ou pour des usages agricoles.

Pour ce qui concerne le mouvement des ouvrages hydrauliques, la première urgence est de stopper sans regret la politique publique aberrante de destruction des seuils, chaussées, barrages et canaux. Ce choix est catastrophique en période de réchauffement climatique car il mène à l'incision des lits, à l'accélération des écoulements, à la baisse des lames d'eau, à la disparition des retenues, à l'assèchement des canaux latéraux et à la perte d'outils locaux de gestion, c'est-à-dire exactement le contraire de l'objectif que nous devons avoir. Il est indispensable de continuer à informer les parlementaires à ce sujet, pour exiger que l'administration implémente la nouvelle politique de continuité écologique non destructrice