13/05/2023

Un petit film sur les moulins et les castors

Patrice Cadet (FFAM, Association des moulins de la Loire) a réalisé un film instructif sur les castors et les moulins. Arpentant les rivières de sa région, le chercheur rappelle que le régime naturel des rivières a toujours été la fragmentation, en particulier par les castors qui construisent des barrages en série dans les petits et moyens cours d'eau des zones boisées. On l'observe aujourd'hui puisqu'après avoir frôlé l'extinction au 19e et au 20e siècles, le castor fait son grand retour et produit à nouveau des retenues d'eau un peu partout sur nos rivières. Evidemment, et c'est l'objet du film de Patrice Cadet, le castor aide aussi à comprendre le caractère aberrant de l'obsession de la "continuité" écologique en long par destruction de tout seuil et toute retenue d'origine humaine. Car les changements fonctionnels de l'eau et du sédiment opérés par le castor (création d'un barrage et d'une chute, parfois d'un canal latéral, apparition d'un plan d'eau à écoulement lent, meilleure alimentation locale en eau des sols, des nappes, de la végétation, auto-épuration d'intrants, etc.) sont souvent ceux que certains prétendent catastrophiques et "anti-naturels"! Quant aux moulins, outre leur rôle bénéfique en création de retenues d'eau et canaux, ils permettent d'aller un peu plus loin que le castor et de produire des choses utiles, comme par exemple l'énergie hydro-électrique très bas-carbone. A condition que l'administration française de l'eau respecte la loi et favorise leur relance, au lieu de chercher à les détruire et à assécher les bassins versants...

Pour visionner : 



12/05/2023

Les politiques publiques de l'eau dans l'impasse naturaliste

Les politiques publiques de l’eau et des rivières s’alimentent toujours à des visions sous-jacentes. Il y a eu voici 40 ans une crise du productivisme suite aux pollutions massives de l’eau. Mais la solution trouvée pour y répondre tend à devenir un naturalisme qui flatte l’utopie d’un retour à la rivière sauvage et le blâme de principe des usages humains de l'eau. Ce n’est pas le bon remède. D’une part cette vision ne correspond pas à l’eau et à la rivière que vivent et désirent tous les humains. D’autre part elle nie la réalité telle que l’observe la science, à savoir le caractère désormais hybride des milieux où se mêlent depuis des millénaires actions humaines et non -humaines. Nous appelons les décideurs à engager des débats de fond sur ces sujets, avant de se noyer dans le détail de normes détachées d'une vision d’ensemble. Car les législations françaises et européennes sur l’eau doivent refléter des vues claires pour l'avenir, et fuir les constructions utopiques qui ne nourrissent que des déceptions. 


Les administrations en charge de l’eau ont été saisies voici une trentaine d’années d’une nouvelle idéologie, que l’on peut appeler l’idéologie de la rivière sauvage. Celle-ci consiste à poser que l’état désirable d’une rivière est d’être indemne de toute influence humaine. Ou, ce qui revient au même, que toute modification de la dimension chimique, biologique, thermique, morphologique d’une rivière par les humains doit être lue comme une anomalie et une dégradation, à éviter pour ce qui regarde l’avenir et à supprimer pour ce qui relève des héritages du passé. 

Les universitaires parlent d’une «ontologie naturaliste» pour désigner le socle de cette position idéologique. Derrière ce mot compliqué, l’idée est que la nature est une réalité différente de l’humain, qu’elle est séparée et dans une certaine mesure opposée à l’humain, que défendre la nature consiste à y repousser l’humain. Intellectuellement, on divise la nature entre l’humain et le non-humain comme des réalités séparées, on analyse la nature selon des déviations observables par rapport à une nature idéale et théorique sans humain. Pratiquement, on blâme l’humain dès qu’on observe une altération du non-humain. Une telle vision binaire s'entoure de sophistication chez les experts, mais elle peut vite prendre l’allure d’une religion chez certains

Appliquée au domaine de l’eau et des rivières, cette vision naturaliste a conduit à envisager des processus de «renaturation» (retour à la nature sauvage) par destruction des traces de présence humaine. Pas seulement à titre d’expérience locale parce qu’une population le désirait, mais dans le cas français et européen à titre de programme d’Etat comme avenir désirable des cours d’eau et plans d’eau. Le sujet le plus visible et le plus polémique a été la destruction planifiée des ouvrages hydrauliques humains (moulins, étangs) formant des milieux d’origine artificielle comme des retenues, des plans d’eau, des canaux, des biefs, etc. Plus récemment, on a aussi vu émerger des groupe activistes plus ou moins violents, dont le comportement suggère un refus pathologique d'envisager des stockages d'eau à fin d'usage agricole. 


Cette position naturaliste est soutenue à divers degrés par des administrations, des ONG, des chercheurs, des intellectuels. Elle n’est pas en soi blâmable comme telle : en démocratie, chacun est heureusement libre de développer sa vision de la nature, ici de l’eau, des rivières, des plans d’eau et des zones humides. Mais pour qui ne la partage pas, et c'est notre cas, le problème est double concernant la translation de cette idéologie dans le droit commun : 
  • d’abord cette idéologie s’est imposée de manière subreptice et non ouverte, par petites touches et non par grands débats, par voie d'expertise dans les élites et non de discussions sur les territoires – il n’y a jamais eu de débat démocratique clair pour savoir si nous voulions ou non entrer dans un nouveau régime de retour à une rivière sauvage ; 
  • ensuite cette idéologie est intellectuellement aberrante, car la réalité n’est pas cette eau sauvage, mais une eau hybride, c’est-à-dire une co-construction des rivières et généralement des hydrosystèmes par les actions humaines qui ne sont pas séparées des processus « naturels » au sens de non-humain. 
Une recherche scientifique désormais abondante montre que le régime de l’eau est modifié par la sédentarisation humaine, depuis des millénaires. Ce n’est pas une anomalie : c’est ainsi que fonctionne la réalité. Cela concerne au premier chef le volume de l’eau et sa répartition, qui est modifiée par les usages sociaux et économiques, mais aussi  tout le reste : le cycle des sédiments est modifié par les usages des sols, la faune et la flore sont modifiées par des introductions et disparitions d’espèces, la composition chimique de l’eau est modifiée par des soustractions et des rejets de molécules, la température de l’eau est modifiée par les changements climatiques

Le vivant s’automodifie en permanence, par l'effet de l’espèce humaine comme par les autres. L’humain étant une espèce ingénieure qui construit par artificialisation ses propres écosystèmes de vie, cela conduit à ce que nous observons : une eau hybride qui conserve la puissance de son grand cycle physique au niveau de la planète Terre, mais qui est partout modifiée localement par les actions des humains dans les bassins versants. Les chercheurs ne savent pas quand a commencé ce qu'ils nomment "Anthropocène", l'époque géologique où l'action humaine devient une force dominante. Pour ce qui concerne l'eau, cet Anthropocène a débuté précocément.

Dans des zones très anciennement et densément peuplées, comme l’Europe, aucune rivière, aucun plan d’eau ne peut être dit naturel ou sauvage au sens d’indemne d’influences humaines ; on peut tout au plus voir des degrés de «naturalité» ou «anthropisation» selon qu’on observe une faible ou une forte intensité des actions humaines. Mais cette manière de voir est encore un dualisme binaire qui suppose de réfléchir depuis une nature théorique qui n’existe pas (la nature sauvage sans humain) au lieu de penser les dynamiques depuis ce qui existe (l'évolution hybride entremêlant les actions humaines et non-humaines). En outre, cette vision se concentre souvent sur la morphologie (la forme des écoulements et la disposition de certains habitats), elle oublie que de toute façon, certains changements globaux comme le réchauffement climatique agissent partout : une rivière adaptée à une espèce d’eau froide voici 500 ou 5000 ans ne le sera pas pour autant demain si elle est à sec ou si son eau atteint 25°C en été.

Le caractère hybride de l’eau et des rivières doit-il être un blanc-seing pour n’importe quelle action humaine? Est-ce à dire qu’il faut modifier à marche forcée le cycle de l’eau et de ses espèces? Que nous n'avons pas à nous préoccuper des conséquences de nos actions? Non, évidemment. Aussi tôt que l'on en trouve une trace dans l'histoire, les humains discutent au contraire de ce qu'ils font.

L’idéologie qui précédait le naturalisme en la matière, et qu’on peut appeler pour simplifier le productivisme (voir la nature uniquement comme ressource exploitable à court terme), a montré ses défauts, notamment à compter de la grande accélération de l'Anthropocène de la période 1930-1970 : pollutions innombrables entraînant des coûts et des problèmes de santé, disparition locale de l’eau par surexploitation, perte de diverses expériences sensibles sur l’eau comme paysage, parfois disparition massive de la faune et de flore ayant des effets indésirables. Tout cela est reconnu par la science, tout cela a déjà suscité des évolutions des pratiques.

Mais ces reproches que l’on peut faire à l’âge productiviste n’impliquent pas d’adopter sa symétrie naturaliste avec son utopie de retour à une nature sauvage. Il s’agit simplement pour les humains de discuter des eaux et rivières qu’ils veulent. Sans manquer toutes les informations utiles à cette discussion, qu'elles concernent les humains ou les non-humains. Sans verser dans des croyances simplistes, des mots d'ordre sectaires, des dogmes détachés des retours d'expérience. 

06/05/2023

Où sont passés les saumons de l’Atlantique ? (Dadswell et al 2022)

Nous allons faire disparaître les obstacles des rivières (seuils, barrages), reconnecter des habitats fluviaux, et le saumon Atlantique reviendra à son abondance passée. Cette promesse majeure de la politique dite de continuité écologique est fondée sur une science du 20e siècle. Problème : cette vision est fausse. Dans un passage en revue critique de l’état des stocks de saumon Atlantique, des scientifiques montrent que si le saumon a souffert dans le passé des barrages, de la pollution et de la surexploitation de pêche continentale, ces causes n’expliquent pas le fort déclin observé depuis le milieu des années 1980, même dans des rivières sans obstacle, sans polluant et à pêche interdite ou très restreinte. L’hypothèse dominante retenue par ces chercheurs est une pression de la pêche illégale, non déclarée, non réglementée (INN), d’autant plus forte que le bassin de retour des saumons est situé loin du gyre subpolaire formant une étape de leur migration marine.


Illustration par Timothy Knepp, U.S. Fish and Wildlife Service.

La présence des saumons atlantiques adultes (Salmo salar Linnaeus, 1758), retournant dans les rivières autour de l'océan Atlantique Nord, a été étroitement surveillée depuis que les humains ont commencé à exploiter la ressource. Historiquement, les populations de saumon ont été très abondantes, même si les chroniques historiques évoquent des périodes de pénurie. L'examen des retours d'adultes au cours des 100 à 200 dernières années où nous disposons de chroniques historiques fiables et continues suggère qu'il existait un cycle naturel d'abondance annuelle, avec des quantités de saumons en rivière pouvant varier d’un facteur 10 entre les période d’abondance et les périodes de rareté. La quantité globale  de saumons a cependant décru régulièrement au fil du temps en raison de causes anthropiques connues (grands barrages, pollutions, surpêche). Mais, depuis les années 1980, une nouvelle baisse globale et mal expliquée est observée alors que les pressions anciennes se sont stabilisées ou ont régressé.

Sept spécialistes nord-américains et européens du saumon Atlantique ont publié un passage en revue critique des causes possibles de déclin récent du saumon Atlantique. Voici le résumé de leur étude :
« Les retours d'adultes dans de nombreux stocks de saumon atlantique sauvage et d'écloserie de l'Atlantique Nord ont diminué ou se sont effondrés depuis 1985. L'amélioration, les fermetures de la pêche commerciale et les restrictions de pêche à la ligne n'ont pas réussi à enrayer le déclin. Les impacts humains tels que les barrages, la pollution ou la surexploitation marine étaient responsables de certains déclins de stocks dans le passé, mais les retours d'adultes dans les stocks de rivières et d'écloseries sans impacts locaux évidents ont également diminué ou se sont effondrés depuis 1985. De nombreuses études ont postulé que la récente occurrence généralisée de faibles retours d'adultes peuvent être causés par le changement climatique, la salmoniculture, la disponibilité de nourriture en mer ou les prédateurs marins, mais ces possibilités ne sont pas soutenues par certains  stocks qui persistent près des niveaux historiques, la perte de stocks éloignés des sites d'élevage, un éventail de proies marines diversifié et la rareté des grands prédateurs du large. 

Le déclin et l'effondrement des stocks ont des caractéristiques communes : 1) les retours cycliques annuels d'adultes cessent, 2) les retours annuels d'adultes sont stables, 3) la taille moyenne des adultes diminue et 4) les effondrements de stocks se sont produits le plus tôt parmi les bassins versants éloignés du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord (NASpG). Les montaisons annuelles cycliques d'adultes étaient communes à tous les stocks dans le passé qui n'étaient pas touchés par des changements anthropiques dans leurs cours d'eau natals. 

Une ligne plate d'abondance des adultes et une réduction de la taille moyenne des adultes sont des caractéristiques communes à de nombreux stocks de poissons surexploités et suggèrent une exploitation de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) en mer. L'éloignement de la NASpG entraînant une mortalité plus élevée des post-saumoneaux migrateurs augmenterait le risque d'effondrement de ces stocks dû à l'exploitation INN. Les prises accessoires de post-saumoneaux et d'adultes dans les pêches au chalut en couple au large de l'Europe et les captures d'adultes interceptés au large du Groenland, dans le golfe du Saint-Laurent et au large de l'Europe ont été des sources de mortalité marine, mais il semble peu probable qu'elles soient la principale cause de la déclin. La répartition dans le temps et dans l'espace des anciennes pêcheries hauturières légales indiquait que les pêcheurs connaissaient bien le schéma migratoire océanique du saumon et, combiné au manque de surveillance depuis 1985 en dehors des zones économiques exclusives ou dans les régions nordiques éloignées, cela pourrait signifier une mortalité élevée en mer à cause de la pêche INN. Le problème des pêcheries océaniques INN est aigu, a entraîné l'effondrement de nombreux stocks d'espèces recherchées dans le monde entier et est probablement lié au déclin et à l'effondrement imminent de la population de saumons de l'Atlantique Nord. »

Estimation de l'abondance avant la pêche (lignes pleines) et retours d'adultes (lignes pointillées ou tirets) de saumons atlantiques sauvages unibermarins (gris) et bibermarins (noir) en millions provenant du stock d'Amérique du Nord (AN), d'Europe du Nord (NE) et d'Europe du Sud (SE) dans l'Atlantique Nord entre 1971 et 2019. Extrait de Dadswell et al, art cit.

Le cas emblématique de deux rivières à bonnes conditions où le saumon décline malgré tout
Un exemple de ce qui est arrivé aux stocks de saumon dans certaines parties de l'Atlantique Nord est illustré par l'histoire récente de deux rivières tributaires de la baie de Fundy, au Canada. Il est utile de s’attarder sur le récit des chercheurs, car la description des actions menées sur ces bassins rappelle ce qui est fait en France depuis 50 ans de plans grands migrateurs, avec la même absence de résultat probant.

Voici ce qu’expliquent les chercheurs : 
« La rivière Upper Salmon (USR) et la rivière Point Wolfe (PWR) sont de petits bassins hydrographiques situés dans le parc national Fundy avec respectivement 10 et 23,3 km d'habitat du saumon accessible. Les rivières ont été endiguées à la tête de la marée dans les années 1800 à des fins d'exploitation forestière et leurs populations ont disparu. Après la création du parc en 1948, l'exploitation forestière a été interdite, les barrages sont tombés en désuétude et se sont finalement effondrés ou ont été enlevés.

Le cours supérieur de la rivière Upper Salmon est devenu accessible au saumon en 1954 et, en 1963, la population de la rivière était estimée à 100 adultes par les gardes du parc. La rivière a une eau extrêmement claire et les poissons sont visibles même dans les bassins les plus profonds depuis les hautes berges rocheuses. La réintroduction s'est probablement produite par divagation naturelle ou à partir d'une petite population survivante dans les affluents en aval de l'ancien barrage. Lorsque les premiers relevés scientifiques ont été menés de 1965 à 1968, on estimait que la montaison annuelle variait de 312 à 1 363 poissons. Pendant la période d'augmentation de la population, une pêche commerciale au saumon au filet dérivant existait encore dans la baie de Fundy et la pêche à la ligne dans la rivière était autorisée après 1965. Les prises à la ligne variaient de 4 à 113 poissons/an ou un taux d'exploitation de 1,1 à 27,5 %.

La rivière Point Wolfe n'était pas accessible au saumon jusqu'en 1984, lorsque les installations de franchissement du poisson ont été achevées au barrage à marée. L'ensemencement annuel de 42 000 alevins d'automne a été réalisé de 1982 à 1985 (Gibson et al. 2003).

Les montaisons annuelles d'adultes dans l’USR ont persisté à des niveaux durables jusqu'en 1985, mais la pêche à la ligne a été fermée en 1991, après que les montaisons annuelles eurent diminué rapidement. En 1998, des enquêtes sur les retours d'adultes ont révélé que la montaison de frai s'était effondrée avec peu ou pas de poissons. De petits nombres de retours d'adultes provenant de l'empoissonnement des REP ont été observés (peu de comptages disponibles) mais la montaison annuelle n'a jamais établi un niveau durable.

À partir de 2006, Canada Parks a lancé un effort concerté pour rétablir le saumon atlantique dans les deux rivières. Entre 2006 et 2017, un total de 968 670 tacons et 1 679 adultes élevés en écloserie ont été stockés dans les rivières et des pièges à vis, la surveillance des montaisons de smolts a capturé jusqu'à ∼ 2 000 smolts quittant les rivières chaque année. De 2011 à 2019, un total de 4 534 adultes de smolts capturés dans l’USR  ont été élevés jusqu'à maturité dans une ferme salmonicole marine et, une fois mûrs, relâchés dans la rivière pour frayer (∼400–900/an). (...) Bien que la production de juvéniles ait augmenté en raison de cet effort, en 2019, les retours d'adultes sauvages (3 en USR) n'avaient toujours pas augmenté de manière substantielle dans les deux rivières. »
Discussion
Les causes alléguées de déclin des saumons et d’autres grands migrateurs comme l’anguille (qui a connu le même effondrement dans les années 1980) sont nombreuses : surpêche en haute mer dans le cadre légal, acidification des océans, changement climatique, polluants émergents, salmoniculture, retour de prédateurs en conséquence de protection (phoques et cétacés par exemple). Mais aucune n’est convaincante pour Michael Dadswell et ses collègues, d’où l’hypothèse privilégiée par eux de la pêche illégale, non déclarée  et non réglementée. 

Nous ne savons pas si cette hypothèse se confirmera et il faudrait déjà mettre des moyens pour contrôler les effets de ces pêches océaniques dans la zone Atlantique nord. En revanche, le travail des chercheurs montre combien la politique publique des migrateurs en France est éloignée de l’état actuel de la réflexion scientifique. 

La guerre des seuils et des barrages lancée au nom de la continuité écologique est une représentation du 20e siècle, qui ne correspond plus à la réalité. Elle est en fait une redite des politiques halieutiques commencée au 19e siècle, comme nous l'avions exposé, sans réflexion de fond sur les nouvelles conditions à l'Anthropocène et en particulier la bifurcation sensible après le milieu du 20e siècle. Sans surprise, même sur les rivières ayant fait l’objet de politique saumon depuis longtemps, on n’assite pas au retour en masse du migrateur malgré des ouvertures de nouveaux habitats (voir nos articles sur la Loire, sur la Vire).  Cela signifie que l’argent public est mal dépensé à deux titres : d’une part, on se trompe sur les problèmes du saumon et on investit sur de mauvais chantiers, en particulier quand ils concernent des seuils anciens n’ayant jamais entravé historiquement le saumon (voir Merg et al 2020) ; d’autre part, en détruisant les ouvrages, on se prive de leurs services écosystémiques rendus à la société, en particulier leurs possibles usages pour la transition énergétique comme l’adaptation climatique et la régulation des niveaux d'eau.

Référence : Dadswell M et al (2022), The decline and impending collapse of the Atlantic Salmon (Salmo salar) population in the North Atlantic Ocean: A review of possible causes, Reviews in Fisheries Science & Aquaculture, 30,2, 215-258.

22/04/2023

Le retour du décret scélérat du gouvernement pour détruire et assécher les patrimoines de l'eau sur simple déclaration

Loin de vouloir l'apaisement au bord des rivières, le gouvernement veut continuer son programme fou de destruction des retenues d'eau anciennes. Le conseil d'Etat avait annulé en 2022 le décret scélérat de 2020 qui prévoyait notamment cette destruction des moulins, étangs, plans d'eau, canaux sans aucune autorisation administrative, sans enquête publique ni étude d'impact, sur simple déclaration opaque et loin du regard des citoyens. Le ministère de l'écologie remet le couvert et propose un nouveau décret en ce sens, avec un toilettage ultra-minimal pour se conformer à l'arrêt du conseil d'Etat. Vous pouvez exprimer votre critique du texte lors de la phase de consultation. Et nous allons bien sûr requérir son annulation s'il était adopté en l'état. 



Petit retour en arrière : le régime des installations, ouvrages et travaux en rivière des années 2010 prévoyait que pour tout chantier un peu important, modifiant plus de 100 mètres de linéaire d'eau, une procédure d'autorisation est nécessaire. C'est logique : on ne joue pas de manière arbitraire avec les écoulements d'eau qui ont des impacts sur les riverains, les paysages, les usages et les milieux. Il faut y associer de près les citoyens, comme le veut le principe de démocratie environnementale. 

Mais voilà : ce régime d'autorisation suppose d'une étude d'impact complète et une enquête publique. Or, certains travaux menés au nom d'une soi-disant écologie sont très impopulaires. Le ministère de l'écologie et ses clientèles ont ainsi découvert que leur projet fou de détruire les ouvrages hydrauliques anciens au nom de la continuité dite écologique soulevait une très forte opposition riveraine. L'étude d'impact et l'enquête publique permettaient de s'exprimer à ce sujet, et aussi de préparer des contentieux si le maître d'ouvrage ne prenait pas acte du refus des citoyens de détruire les moulins, les forges, les étangs, les plans d'eau, les canaux, les biefs – tous ces ouvrages dont le seul crime est de ne pas être conforme à une nouvelle utopie intégriste et hors-sol du retour à la rivière sauvage. Les réalités derrière ces manoeuvres et proclamations sur le "sauvetage des rivières" sont moins reluisantes. Le gouvernement faisant peu sur les excès de pollution, d'artificialisation et de prélèvement, il offre à certains un lot de consolation : créer localement une pseudo-nature sauvage de carte postale, à la pelleteuse et au bulldozer, en agressant pour cela des acteurs moins puissants et moins influents que les grands producteurs. Les patrimoines de l'eau ne pèsent pas assez dans le PIB pour être entendus par les hauts fonctionnaires et cabinets ministériels faisant la pluie et le beau temps...

Le premier décret scélérat de 2020 annulé par le conseil d'Etat, mais le gouvernement revient à la charge
Un décret scélérat a été promulgué par Edouard Philippe aux derniers jours de son mandat de Premier ministre, qui éliminait purement et simplement le régime d'autorisation pour tous les chantiers supposés être écologiques, dont les destructions d'ouvrage. Une simple déclaration (procédure opaque) permettait désormais de modifier 10, 100, 1000 ou 10 000 mètres de linéaire de rivière, sans que les citoyens soient correctement informés, sans que l'impact soit correctement évalué, sans que le bon usage de l'argent public dans les priorités de l'eau soit discuté. 

Notre association Hydrauxois a déjà obtenu avec ses consoeurs l'annulation au conseil d'Etat de ce premier décret de 2020. Mais le ministère de l'écologie n'en a cure et il repropose le même texte avec des modifications mineures (voir le projet de décret en consultation publique). Malheureusement, nous préparons un recours contre cette nouvelle mouture du décret dans l'hypothèse où elle serait retenue et promulguée. Le conseil d'Etat n'avait examiné qu'un seul de la douzaine de moyens soulevés par les plaignants dans la première procédure. 

Il y a d'abord le cas de la destruction / dessication aberrante et contre-productive des moulins, forges, étangs, plans d'eau, biefs, canaux, qui va à l'encontre de la politique de rétention d'eau et de transition énergétique, ainsi qu'à l'encontre de l'attachement riverain aux patrimoines et paysages. De surcroît, il n'existe pas une seule étude scientifique suggérant que ces ouvrages anciens sont une altération grave de l'état écologique ou chimique de l'eau. Le simple bon sens suggère qu'un moulin ou étang d'Ancien régime n'est pas vraiment le premier problème du pays dans les crises qu'il traverse. Par ailleurs, le ministère de l'écologie sait très bien que c'est un casus belli, depuis plus de 10 ans : au lieu de retirer ce point conflictuel du décret, il le maintient pour faire plaisir à quelques lobbies (une fraction des pêcheurs de salmonidés et des naturalistes voulant le retour à la rivière sauvage, des réalités sociales fort minoritaires au bord des rivières). 

Il y a ensuite et plus généralement une incompréhension : un chantier de génie écologique ou de "renaturation" est avant tout un chantier. Il mobilise de l'argent public, il modifie le régime des écoulements, il implique des risques parfaitement identifiés dans la documentation technique de la restauration de milieux : par exemple, incision des lits, instabilité des berges, abaissement des nappes donc altération du stockage et du  prélèvement, remontée d'espèces invasives, destruction d'espèces locales d'intérêt qui ont colonisé la zone, rétraction argile / pourrissement bois et fragilisation du bâti, modification locale des régimes d'assec et d'inondation, perte de réserve eau incendie, etc.

Un choix aberrant à l'heure de la crise de l'eau et de l'énergie, une censure de la démocratie environnementale
A moins d'être un apprenti sorcier aveuglé par son idéologie, de tels risques sont à prendre en compte et à discuter avec la population concernée. Ces risques sont attestés dans les retours d'expérience et dans la littérature scientifique. Ils font partie de l'analyse coût-bénéfice des chantiers écologiques, indispensable pour éviter que l'argent public (de plus en plus rare) paie des danseuses inutiles voire nuisibles.

Plus le chantier est ambitieux (c’est-à-dire  plus il concerne un grand linéaire, beaucoup de propriétés riveraines et beaucoup d’argent public), plus il est indispensable de procéder en toute transparence à une étude d'impact, à une analyse de sûreté des tiers, à une estimation coût-avantage-risque par rapport aux besoins du bassin versant comme aux urgences du pays, à une concertation avec les citoyens et une enquête publique pour vérifier la sincérité et la complétude de cette concertation. 

Refuser de faire cela, souhaiter une simple déclaration opaque entre le maître d'ouvrage et l'Etat, créer un régime d'exception ad hoc et donc une inégalité des projets devant leurs obligations de respect des tiers, c'est inacceptable. 

Les fonctionnaires et gestionnaires de l'eau qui applaudissent ce régime d'exception ne vont que subir une défiance et une conflictualité renforcées
Il est dommage que les acteurs locaux de l'eau ne le comprennent pas, notamment ceux des syndicats, des agences de l'eau, des DDT-Dreal et de l'OFB qui se sont plaints de l'annulation du premier décret de 2020 : ce dossier nuit fortement à leur image. Et ils subiront de toute façon de l'insécurité juridique : nous attaquerons en justice les chantiers simplement déclarés et mal fondés ; au moindre problème mal anticipé et créant un dommage, nous attaquerons également au pénal, avec d'autant moins de retenue qu'il aura été impossible de concerter avant et que les décideurs devront payer en ce cas leur choix arbitraire. 

Les gestionnaires publics de l'eau veulent-il laisser dans l'histoire cette image de gens qui, alors que le pays traverse crise hydrique et crise énergétique, pensent que la première urgence est de dépenser l'argent public pour détruire ce qui retient l'eau, peut produire de l'énergie bas-carbone, crée des agréments riverains? Qui a intérêt au maintien de cette défiance et de cette conflictualité? Quand le ministère de l'écologie va-t-il acter que le retour à la rivière sauvage n'est nullement une cause d'intérêt général, mais une lubie pour quelques minorités non représentatives des enjeux sociaux et de l'intérêt général?

20/04/2023

Pas d'impact sédimentaire notable d'un seuil en rivière (Rollet el al 2022)

Des chercheurs ont étudié le seuil le plus important du fleuve côtier Gapeau, dans le sud de la France. A l'occasion de trois crues, ils montrent que la retenue de 700 m créée par cette chaussée ancienne ne sédimente pas la charge grossière et évacue les charges plus fines de sables et graviers. Les scientifiques concluent que se focaliser sur les seuils dans ce contexte ne sera pas de nature à recharger en sédiment les côtes et les plages à l'aval, car le déficit sédimentaire a d'autres causes. Leur travail rappelle aussi que la plupart des recherches menées sur la sédimentation dans les ouvrages modestes (seuils, chaussées, petits barrages et déversoirs) ne montrent pas d'effet notable. Soit le contraire de ce qui est affirmé dans le discours du gestionnaire public.



Le seuil de Sainte-Eulalie, étudié par les chercheurs. DR.

Anne-Julia Rollet, Simon Dufour, Romain Capanni et Mireille Lippmann Provansal ont analysé l'impact sédimentaire d'un seuil sur une petite rivière du Sud de la France. Le Gapeau est un fleuve côtier de 47,5 km de long (pente : 0,7 m.m-1) qui draine un bassin versant de 564 km² entre les crêtes montagneuses de la Sainte Baume et de Morières au nord et à l'ouest et la crête montagneuse des Maures à l'est. La rivière s'ouvre au sud sur la plaine et se jette dans la rade d'Hyères. Le bassin versant du Gapeau contient deux sous-bassins aux caractéristiques géologiques contrastées : le sous-bassin versant ouest, où la rivière Gapeau coule sur un substrat calcaire, perméable et favorable à l'infiltration, et  le sous-bassin versant est de la rivière Réal-Martin (principal affluent de la rivière Gapeau), qui coule sur des substrats métamorphiques imperméables. La rivière Gapeau présente un chenal étroit et profond sur la majeure partie de sa longueur ainsi que des berges élevées. Cette morphologie est particulièrement adaptée au transit des flux d'eau et de sédiments. 

Dans la partie aval du Gapeau, le seul ouvrage pouvant piéger les sédiments en transit est le seuil de Sainte Eulalie. Cette chaussée est un ouvrage en maçonnerie de 3,75 m de haut et génère en amont un plan d'eau d'environ 700 mètres de long en régime d'étiage. Sa date exacte de construction est inconnue, mais elle est indiquée sur des cartes de 1896. 

Pour déterminer l'influence du seuil sur la continuité sédimentaire de la rivière, les chercheurs ont suivi l'évolution du stock sédimentaire en amont du seuil de Sainte Eulalie, qui est la principale zone de piégeage. La capacité de piégeage des sédiments du déversoir a été évaluée en analysant les différentiels bathymétriques avant vs après les crues, avec quatre mesures par point pour assurer une marge d'erreur verticale de ± 0,10 m après post-traitement. Trois relevés bathymétriques ont été réalisés pour décrire la mobilité sédimentaire générée lors de crues de trois intensités différentes : débit d'eau instantané de 42 m3.s-1, 57 m3.s-1 et 67 m3.s-1.

Voici le résumé de leur travail :
"Dans les systèmes littoraux et fluviaux en déficit sédimentaire la restauration du transport solide fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière. La suppression d’ouvrages transversaux (seuils, barrages) est parfois préconisée même si l’effet réel   des petits seuils sur le transport de la charge de fond n’est pas démontré dans tous types de contexte. Dans ce cadre, notre étude a pour objectif d’apporter des éléments quantifiés pour (i) documenter l’interruption des transferts sédimentaires grossiers (> sables fins) par un petit seuil sur un système fluvial côtier méditerranéen (le Gapeau), et (ii) discuter la pertinence de sa suppression pour la restauration de la continuité sédimentaire. Ces éléments sont produits partir d’approches croisées de suivis de la dynamique sédimentaire du fond du lit (bathymétrie, traçages sédimentaires, chaines d’érosion et suivis topographiques) et de modélisation de capacités de transport. Nos résultats nous permettent de conclure que le seuil étudié ne semble pas constituer d’entrave physique au transfert de la charge de fond dans la mesure où aucune accrétion nette n’a été observée en amont de l’ouvrage malgré des crues importantes enregistrées durant le suivi. Néanmoins, la mesure indirecte du transport solide montre qu’il n’existe pas ou plus de charriage sur ce cours d’eau qui connait un fort déficit sédimentaire. Ainsi, la suppression de seuil sur le Gapeau serait insuffisante pour atténuer le déficit sédimentaire fluvial et/ou littoral. Il conviendrait plutôt de concentrer la réflexion sur la réalité des entrées sédimentaires et l’efficacité des connexions entre les versants et le chenal."
Les auteurs précisent encore :
"La mesure indirecte du transport sédimentaire a montré que la charge de fond n'est pas (ou plus) transportée le long de la rivière Gapeau (à l'exception d'un peu de transport résiduel de sable et de gravier que nous n'avons pas réussi à quantifier). Le transport sédimentaire mesuré, même lors d'une crue de 5 ans, avait un volume extrêmement faible (456 m3) et était très inférieur à la capacité de transport (20 200 m3). Cette différence indique que la rivière Gapeau présente un important déficit sédimentaire. Nous avons également observé un pavage important du lit de la rivière qui variait de 2,1 à 10,5 en aval de la zone d'étude. Le lit de la rivière Gapeau est ainsi quasi stable lors des crues les plus courantes, et il ne reste qu'une faible coulée sédimentaire composée de sable et de gravier. Ce débit est trop faible pour être détecté par des mesures indirectes de transport sédimentaire, mais nous l'avons détecté lors du suivi de la retenue de Sainte Eulalie.

Des mesures bathymétriques supplémentaires effectuées à l'embouchure de la rivière Gapeau avant et après la crue de décembre 2008 ont indiqué que 1 300 à 1 400 m3 de sédiments (sable moyen à grossier) ont été apportés aux plages (Brunel, 2010; Capanni, 2011). Cependant, ces apports en conditions hydrologiques actives (Q5) ne compensent pas les 2 700 m3.an-1 estimés d'érosion côtière (Capanni, 2011). Ainsi, les apports fluviaux de la rivière Gapeau semblent peu contribuer au trait de côte. Les volumes actuels de sédiments grossiers fluviaux ne sont pas suffisants pour maintenir la rivière en bon état, et le système fluvial du Gapeau présente un déficit sédimentaire sévère malgré la présence du seuil de Sainte Eulalie. Ces éléments soulèvent ainsi des questions sur l'utilité de retirer le seuil pour rétablir la continuité sédimentaire et entretenir le trait de côte. Le déversoir n'entrave pas l'écoulement du sable, dont le volume est beaucoup trop faible pour contrebalancer les déficits côtiers en sable. Sur la base de nos observations du seuil de Sainte Eulalie, nous émettons l'hypothèse que la plupart des autres ouvrages du bassin versant ne gênent pas le transfert sédimentaire soit parce qu'ils sont déjà engorgés soit parce qu'ils n'ont jamais complètement interrompu le transfert sédimentaire. Le seuil de Sainte Eulalie, comme tous les seuils de la rivière Gapeau, était déjà présent dans le « profil des grands efforts hydrauliques » en 1954 (et probablement bien avant). Avant les années 1970, cependant, les données topographiques indiquent qu'aucune incision ou rétraction n'a eu lieu (Capanni, 2011). Les autres ouvrages sont situés en amont dans la zone du bassin versant, dans des contextes aux pentes souvent plus fortes que ceux de Sainte Eulalie, qui est aussi l'ouvrage le plus haut (3,5 m, contre 2,0 m pour les autres). Ainsi, si le seuil de Sainte Eulalie ne stocke pas de charriage, les autres seuils ne le sont probablement pas non plus. Ces observations sont cohérentes avec les résultats de la plupart des études sur l'influence des petites structures sur le transport du charriage dans des contextes géomorphologiquement dynamiques."

Discussion
Le faible effet sédimentaire des petits ouvrages hydrauliques est un trait récurrent des recherches menées sur ce sujet. Dans leur travail, les chercheurs le rappellent : "De nombreuses études ont mis en évidence l'influence des petites structures sur la morphologie des chenaux (Fencl et al., 2015), mais seules quelques études morphologiques se sont concentrées sur l'influence des déversoirs sur la continuité des sédiments grossiers. Les modifications morphologiques qu'entraînent les seuils couvrent souvent une superficie relativement réduite et sont liées soit à un engorgement de l'ouvrage en amont (ex. : sédimentation), soit à une poussée hydraulique en aval (ex. : incision en aval de l'ouvrage, apparition de berges médianes). A ce jour, aucun changement morphologique en aval des seuils n'a été explicitement corrélé au déficit sédimentaire qu'ils ont généré. Les quelques études portant sur l'influence des déversoirs sur la continuité sédimentaire suggèrent qu'ils ne l'influencent pas fortement (Csiki et Rhoad, 2010 ; Pearson et Pizzuto, 2015 ; Peeters et al., 2020 ; Casserly et al., 2021). Les sédiments de charriage peuvent quitter un réservoir lors d'épisodes de débit élevé (Pearson et al., 2011; Casserly et al., 2021) ou après avoir dépassé la capacité de stockage du réservoir (Major et al., 2012). Pearson et Pizzuto (2015) ont suggéré que toutes les fractions granulométriques dans le matériau du lit fourni en amont auraient pu être transportées à travers le réservoir qu'ils ont étudié, le long de la rampe en pente et au-dessus du barrage de 2,5 m, tandis que Peeters et al. (2020) ont observé un transfert sélectif de particules autour de la médiane. Cependant, la réponse des rivières à l'existence à long terme de déversoirs varie considérablement (Csiki et Rhoad, 2010) et dépend principalement des caractéristiques des ouvrages (c'est-à-dire la forme, la hauteur de la crête, la présence ou l'absence de systèmes de vannage), la rivière (c.-à-d. occurrence de grandes crues, taille des sédiments, capacité de l'hydraulique fluviale à transporter les sédiments au-dessus de la crête du déversoir) et les caractéristiques générales du bassin versant (p. ex. densité du déversoir en amont, apport de sédiments disponible) (Pearson et Pizzuto, 2015) . Par conséquent, comprendre l'influence des déversoirs sur les flux de sédiments (et donc la pertinence de les enlever) nécessite une approche de recherche et de gestion différente et plus intégrée que l'approche individualiste qui a été appliquée aux grands barrages (Fencl et al., 2015)."

A rebours du discours public tenu depuis 15 ans pour justifier la destruction des petits ouvrages, ceux-ci ne représentent donc pas a priori un problème grave de transfert sédimentaire. Le même discours public avait déjà menti sur la soi-disant "auto-épuration" des rivières, que les barrages entraveraient alors que l'inverse est vrai (toutes choses égales par ailleurs, une retenue tend à éliminer divers intrants et polluants). La rhétorique est désormais connue : on ne met en avant que des aspects négatifs des ouvrages hydrauliques, quitte à les exagérer voire les inventer dans certains cas, alors que l'on passe sous silence leurs aspects positifs. Cette politique publique partisane et nuisible aux patrimoines des rivières doit cesser.

Référence : Anne-Julia Rollet et al (2022), Is removing weirs always effective at countering the sediment deficit? Case study in a Mediterranean context: the Gapeau River, Géomorphologie : relief, processus, environnement, 28,3, 187-200