11/07/2023

Un déversoir en rivière ralentit les invasions d'espèces indésirables (Daniels et al 2023)

Un modèle sur la prévention des invasions par écrevisse signal confirme que les seuils en rivière ont un effet d'atténuation. Ce qui a déjà été observé sur le terrain pour diverses espèces invasives. Les chercheurs demandent de prendre aussi en compte les impacts positifs et capacité de régulation des ouvrages hydrauliques dans les politiques publiques les concernant. 



L'écrevisse signal, aussi appelée écrevisse de Californie ou ou écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus) est une espèce de crustacés décapode originaire du nord-ouest de l'Amérique du Nord, mais introduite dans plusieurs autres régions du monde. En Europe, l'écrevisse signal est inscrite depuis 2016 dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes. Des chercheurs ont simulé le rôle d'ouvrages hydrauliques sur une rivière, par un modèle calé sur observations empiriques, pour vérifier si l'invasion des écrevisses est modifiée par leur présence.

Voici le résumé de leur étude :
"Les espèces envahissantes et les infrastructures fluviales sont des menaces majeures pour la biodiversité des eaux douces. Ces facteurs de stress sont généralement considérés isolément, mais la construction et l'entretien des infrastructures fluviales peuvent à la fois favoriser et limiter l'expansion des espèces envahissantes. Les limites spatiales et temporelles des études en laboratoire et sur le terrain, associées à une faible prise en compte des réponses au niveau de la population (par exemple, le taux d'invasion), ont une compréhension limitée de l'efficacité de l'infrastructure pour le confinement à long terme des espèces envahissantes à l'échelle du bassin versant.

Cette étude a utilisé un modèle basé sur l'individu (IBM) pour étudier la capacité d'une barrière fluviale partielle à contenir la propagation d'espèces envahissantes à de grandes échelles spatio-temporelles, en utilisant l'écrevisse signal américaine Pacifastacus leniusculus comme espèce modèle. Le modèle de base (sans barrière) a recréé avec précision les taux d'expansion longitudinale des écrevisses signal signalés dans la littérature existante. Une barrière fluviale virtuelle a été ajoutée au modèle de base, avec un passage au niveau de la structure paramétré à l'aide de la littérature existante et des résultats d'une expérience qui n'a démontré aucune relation claire entre densité d'écrevisses et efficacité du franchissement d'un déversoir de type Crump.

Les résultats du modèle ont indiqué qu'un déversoir en aval du point de rejet n'avait aucun effet sur l'expansion longitudinale des écrevisses, alors qu'une barrière en amont ralentissait le taux d'invasion pendant 6,5 ans après sa première rencontre. Après que le taux d'invasion soit revenu aux niveaux d'avant la barrière, le front d'invasion était de 2,4 km plus en aval que prévu en l'absence de barrière, ce qui représente un retard de 1,73 an dans l'expansion de l'aire de répartition longitudinale.

Synthèse et applications. Malgré des impacts négatifs substantiels sur la biodiversité native, les infrastructures fluviales peuvent également retarder la propagation des espèces envahissantes d'eau douce, ce qui représente un compromis. Cela démontre la nécessité de prendre en compte les conséquences écologiques positives des infrastructures fluviales lors de la conception de techniques de priorisation pour l'élimination et l'atténuation des barrières (par exemple, le passage sélectif des poissons), et suggère que dans certains cas, les barrières peuvent fournir un outil utile de lutte intégrée contre les ravageurs."
Les auteurs précisent encore dans le texte :
"La capacité des barrières fluviales à ralentir les taux d'invasion souligne la nécessité de prendre en compte les espèces envahissantes dans la suppression des barrages et la planification des mesures d'atténuation. Les taux de suppression des barrages s'accélèrent (Mouchliatis, 2022), mais faciliter la propagation des espèces envahissantes en supprimant les barrières de dispersion est une préoccupation commune des gestionnaires (Tullos et al., 2016). En effet, la suppression de trois barrages sur la rivière Boardman, Michigan, États-Unis, a facilité la propagation de l'escargot de vase néo-zélandais Potamopyrgus antipodarum (Mahan et al., 2021), et il y a eu une récente campagne pour inclure la propagation potentielle d'espèces envahissantes. espèces dans les modèles de hiérarchisation de l'élimination des barrières (par exemple, Terêncio et al., 2021). Ceci est particulièrement important dans les régions mégadivers, où les grands barrages sont répandus et leur suppression peut faciliter d'énormes événements d'invasion d'eau douce (par exemple, Vitule et al., 2012). De même, les techniques d'atténuation conçues pour améliorer le passage des espèces natives (c'est-à-dire les passes à poissons) peuvent également permettre le déplacement d'espèces indésirables, ce qui représente un compromis important pour la gestion des pêches (McLaughlin et al., 2013). Cela souligne l'importance des solutions de passage sélectif des poissons, grâce auxquelles la connectivité est améliorée pour le biote endémique sans faciliter la dispersion des espèces envahissantes (par exemple Kerr et al., 2021 ; Stuart et al., 2006)."
Discussion
Les rivières de l'Anthropocène sont déjà très modifiées dans leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques. Le transfert massif d'espèces exotiques, parfois invasives, représente notamment une bifurcation évolutive importante qui modifie un nombre croissant de biotopes et biocénoses, menant localement à de nouveaux équilibres (ou déséquilibres) dynamiques. Plaquer sur cette réalité l'idée que la destruction d'ouvrages hydrauliques pour imposer un libre cours de toutes espèces va restaurer un équilibre antérieur du vivant n'a donc guère de sens. Un gestion raisonnée et informée de ces ouvrages, ayant par ailleurs divers intérêts pour la société et sa régulation de l'eau, paraît donc une stratégie plus intelligente.

Référence : Daniels JA et al (2023), River infrastructure and the spread of freshwater invasive species: Inferences from an experimentally‐parameterised individual‐based model, Journal of Applied Ecology, doi.org/10.1111/1365-2664.14387

27/06/2023

Le rejet provisoire du règlement européen de restauration de la nature vaut avertissement pour une certaine vision de l’écologie

Après les commissions de l’agriculture et de la pêche, la commission environnement du Parlement européen vient de voter le rejet du projet de règlement de restauration de la nature. L’avenir du texte est suspendu à la séance plénière de l’été. Mais quand la «restauration de la nature» prend des formes sectaires et radicales, comme par exemple la destruction du patrimoine hydraulique européen contre l’avis des riverains et en pleine crise hydroclimatique, faut-il s’étonner de la difficulté à trouver de larges compromis ? Quelques réflexions à ce sujet. 


La commission environnement du parlement européen vient de voter ce 27 juin 2023 contre le projet de règlement sur la restauration de la nature. Après avoir achevé l’examen article par article, la commission a finalement voté un amendement de rejet de l’ensemble du projet. Quinze jours plus tôt, le 15 juin, les mêmes eurodéputés avaient pourtant voté… contre un tel amendement de rejet ! Dans les deux cas, 44 élus ont voté pour, 44 contre, mais les règles d’identité de vote ont été cette fois favorables au rejet. La suite du texte pourrait se jouer à la séance plénière du parlement, les 10-13 juillet prochains. Même s'il était adopté, il faudrait encore l'avis des gouvernements, dont plusieurs ont émis des réserves sérieuses.

Les politiques de biodiversité doivent réfléchir à l'impasse de l'opposition nature-humanité 
Les députés hostiles au projet l’ont été principalement au titre de la mise en danger d’activités comme la pêche ou l’agriculture, à une époque où la question de la souveraineté alimentaire est redevenue de première importance en Europe et dans le monde. Mais au-delà de ces arguments dont la valeur est discutée, cela montre que les politiques de biodiversité ont désormais du mal à trouver une voie aisément majoritaire, contrairement à celles du climat et de l’énergie.

Notre association avait exprimé à l’automne dernier ses plus vives réserves sur le volet «eau» de ce règlement européen de restauration de la nature. Et plus généralement sur sa philosophie sous-jacente, inspirée de chercheurs et d’ONG spécialisés qui tendent à dissocier et opposer la nature et l’humanité

Nous avons vu en France où mène notamment ce choix sur le cours d’eau : refus de reconnaitre la valeur des ouvrages hydrauliques, indifférence au patrimoine et au paysage, information lacunaire et biaisé des citoyens, pressions et conflits avec les riverains, volonté d’imposer une vision très théorique de la rivière sauvage selon une «référence» pré-industrielle d’une nature qui n’existe plus, destruction inouïe de barrages hydro-électriques et de nombreuses retenues d’eau alors que tous les efforts devraient être concentrés sur l’atténuation et l’adaptation climatiques.

Une certaine écologie de la conservation et de la restauration doit entendre le message. Elle doit travailler davantage avec les sciences sociales et les humanités de l’eau, s’ouvrir davantage à la pluralité des associations et usagers  qui, en démocratie, ont aussi le droit de défendre leur vision de la nature.

Mener la bataille européenne pour une autre écologie
L’association Hydrauxois est bien entendu favorable à des mesures permettant de retrouver des fonctionnalités et de sauvegarder des biodiversités dans les écosystèmes. Nous espérons que le règlement sera amendé pour arriver à un équilibre. 

Tout programme sur l’environnement doit être co-construit avec les citoyens, en retenant ce qui est accepté et en rejetant ce qui ne l'est pas, d’abord au niveau local concerné et pas par décision lointaine d'une technocratie. Un tel programme doit aussi cesser de raisonner selon un état antérieur idéal du vivant, qui ne reviendra jamais à l’identique, surtout pas en période de changement climatique où les paramètres essentiels du vivant évoluent très vite. Il faut aussi accepter que les milieux changent et sont hybridés de longue date par les humains. Il faut entendre que nos artefacts humains, nos existences humaines, nos animaux et plantes domestiques font aussi partie des biotopes et des biocénoses – rien n’est en fait séparé dans l'évolution de la terre et de la vie. Parfois, les actions humaines ont créé de nouveaux habitats d’intérêt ou de nouvelles biodiversités, augmenté des services écosystémiques. Parfois elles ont des effets essentiellement délétères et doivent alors se modérer. 

Enfin, notre association rappelle à ses consoeurs en France et en Europe, amoureuses de tous les patrimoines de l’eau, que la bataille normative se joue à Bruxelles et à Strasbourg. C’est vrai aujourd’hui pour le règlement de restauration de la nature. Ce sera vrai demain pour la révision de la directive cadre sur l’eau. Certaines erreurs ont été commises dans les politiques publiques : il est de notre devoir d’en témoigner auprès des fonctionnaires et des élus, afin de ne plus les répéter et de trouver des moyens plus durables, plus inclusifs, plus intelligents de protection de l’eau et des rivières. 

13/06/2023

La justice condamne et annule le programme de casse des ouvrages hydrauliques de l’agence de l’eau Seine-Normandie

Nouvelle victoire en justice ! Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de prononcer l'illégalité et l'annulation partielle conséquente du programme de casse des ouvrages hydrauliques de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Des procédures similaires sont déjà engagées sur les autres bassins du pays. La continuité écologique avait été transformée en programme de retour dogmatique à la rivière sauvage et de négation totale de la valeur du patrimoine hydraulique : c'est une nouvelle sanction de cette aberration. L'incroyable dérive de l'administration eau & biodiversité consistant à détruire les ouvrages des rivières au lieu de les aménager écologiquement se trouve donc privée de son principal outil de financement sur argent public. 


Par décision du n° 1904387 – 2207014 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par Hydrauxois, la FFAM et de nombreux autres requérants associatifs vient de prononcer l’annulation partielle du programme d’aide à la destruction des ouvrages hydrauliques en rivières classées continuité écologique de l’agence de l’eau Seine-Normandie. 

Alors que la loi de 2021, faisant suite à dix années de troubles et de contentieux, avait clairement exprimé que la continuité écologique ne visait pas à détruire l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, l’agence de l’eau Seine-Normandie (comme ses consœurs) a continué de financer cette solution, et plus encore de la financer à un taux nettement avantageux de 80% de subvention. Soit une forte incitation à détruire au lieu d'aménager. 

Le tribunal condamne l’agence de l’eau en ces termes :
Sur les conclusions à fin d’annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021 :
18. Aux termes de l’article L. 214-17 du code de l'environnement tel que modifié par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : « I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous- bassin : (…) / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages (…) ».

19. Les associations requérantes soutiennent que la délibération du 16 novembre 2021 révisant le 11ème programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine- Normandie est devenue illégale du fait de la modification par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l'environnement.

20. Il ressort des pièces du dossier que le 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement oblige désormais, s’agissant uniquement des ouvrages implantés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, à les entretenir, les gérer et les équiper, sans remettre en cause leur usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, de sorte que ces mesures sont les seules modalités autorisées pour l'accomplissement des obligations relatives au transport suffisant des sédiments et à la circulation des poissons migrateurs, à l’exclusion plus particulièrement pour les moulins à eau de la destruction des ouvrages de retenue. Or, il ressort du point E.1 du programme pluriannuel d’intervention en litige qu’il prévoit la possibilité de financer de tels travaux de destruction, lorsqu’ils sont nécessaires à la restauration de la continuité écologique.

21. D’une part, si l’agence de l’eau Seine Normandie fait valoir en défense que les dispositions précitées de l’article L. 214-17 du code de l'environnement ne régissent pas directement l’attribution des aides encadrées par le 11ème programme révisé et que ce programme prévoit que les travaux financés doivent satisfaire aux obligations règlementaires, ces aides ne sauraient être attribuées en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur à la date de l’adoption de la délibération attaquée et la seule réserve relative aux obligations règlementaires ne permet donc pas d’être interprétée comme ayant implicitement mais nécessairement exclu de son dispositif d’aides, les travaux ainsi prohibés par la loi.

22. D’autre part, l’agence de l’eau Seine-Normandie soulève en défense une exception d’inconventionnalité de la nouvelle rédaction de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, qui serait contraire selon elle, au a) du 1 de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d’amélioration de l’état des masses d’eau de surface. Elle fait valoir que l’annexe V de cette directive fixe ainsi la continuité des rivières comme l’un des paramètres biologiques de la qualité de leur état écologique qui doit permettre une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments. Cette nouvelle rédaction de la loi serait également, selon l’agence de l’eau, contraire, à l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses. Il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 214-17 que celles-ci limitent l’interdiction qu’elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, comme modalité d’accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d’inconventionnalité, telle qu’elle est soulevée en défense, doit être écartée.

23. Dans ces conditions, le point E.1 du 11ème programme pluriannuel d’intervention, tel qu’approuvé par la délibération en litige, méconnait partiellement les dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

L’association Hydrauxois :
  • se félicite de la sanction des dérives de l’administration eau & biodiversité, qui a voulu persister dans un programme massif de destructions des ouvrages hydrauliques contraire à l’esprit et à la lettre de la loi française ;
  • observe que le mouvement des ouvrages hydrauliques et de leurs riverains avait raison de pointer ces dérives auprès des élus, des préfets, des médias, malgré les dénégations réflexes et mensongères du ministère de l'écologie quand il était interrogé à ce sujet;
  • appelle ses adhérents, les maîtres d’ouvrages, les collectifs et associations à demander immédiatement l’arrêt de toute destruction en cours d’ouvrage sur le bassin Seine-Normandie (rivières listes 2 ou listes 1- listes2), et en particulier à contester si nécessaire devant la justice son financement public ;
  • appelle les administrations de la république, et en particulier les préfets départementaux et préfets de bassin ainsi que la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, à faire cesser les dérapages idéologiques internes et les prises de position des agents publics contraires aux lois du pays ;
  • appelle les élus de la république, et en particulier les parlementaires, à repenser et réviser la politique de l'eau et des rivières en incluant pleinement la valeur des ouvrages hydrauliques et leur contribution aux grands enjeux de notre temps : relocalisation économique, agrément social et paysager, gestion hydrologique des débits, production énergétique bas carbone, défense incendie, adaptation climatique, protection des biodiversités.
Des procédures similaires ont été engagées sur les 5 autres bassins hydrographiques de la France métropolitaine. 

Source : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, décision du n° 1904387 – 2207014, 9 juin 2023

28/05/2023

Olivier Thibault, le nouveau directeur de l’OFB, trompe les parlementaires sur la continuité écologique

Auditionné par les parlementaires afin de valider sa nomination comme directeur de l’Office français de la biodiversité, Olivier Thibault a tenu des propos imprécis ou faux sur la continuité écologique. Il est manifestement impossible de concilier l’idéologie administrative du retour à la rivière sauvage avec un minimum de bonne foi dans l’analyse des réalités hydrauliques, en particulier les ouvrages anciens des moulins et étangs. 




Interrogé sur le thème de la continuité écologique et des moulins (voir la vidéo, vers 1’10), Olivier Thibault a commencé par leur attribuer la responsabilité de la disparition des poissons migrateurs. 

Ce propos est inexact. Une analyse de l’histoire des poissons migrateurs a montré que ceux-ci étaient encore présents un peu partout sur le territoire français au milieu du 18e siècle (Merg et al 2020). Or à cette époque les rivières étaient déjà couvertes de moulins et d’étangs, car l’hydraulique était la première énergie mécanique du pays et la pisciculture une activité vivrière. Une autre étude ayant analysé l’évolution des poissons migrateurs sur les 40 dernières années (1983-2017) ne trouve aucun lien significatif avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). L’échec de la restauration fluviale s’observe aussi sur des bassins pilotes qui ont mobilisé de forts investissements à compter des années 1970, comme par exemple le saumon de l’axe Loire-Allier : malgré les efforts sur un demi-siècle, le taux de retour du saumon se situe à des niveaux historiquement très bas, outre que ces saumons relèvent désormais de souches d’élevage et non de souche sauvage. Pour ce cas du saumon atlantique, les chercheurs montrent que les baisses de recrutement depuis quelques décennies ne sont probablement pas liées aux facteurs usuellement mis en avant (pollution et continuité) car même dans des bassins très préservés, le saumon reste rare ou absent (Dadswell et al 2022). La même remarque pourrait être faite sur l'anguille : l'effondrement des stocks de ce migrateur date des années 1980, sans rapport temporel avec des ouvrages anciens présents depuis des siècles. 

Olivier Thibault a ensuite affirmé que 11% seulement des rivières françaises faisaient l’objet d’une politique de continuité écologique.

Ce propos est imprécis et trompeur. Suite à la loi de 2006, les préfectures de bassin ont classé 11% des rivières en liste 2 (obligation d’assurer la continuité au droit des ouvrages) et 30% en liste 1 (interdiction d’obstacle à la continuité écologique), voir données du CGEDD 2016. Mais surtout, les services de l’OFB que dirige Olivier Thibaut comme les services des DDT-M et des DREAL tendent désormais à exiger la continuité écologique à toute occasion de travaux sur un ouvrage. Ces services administratifs tirent argument que la continuité hydrographique figure dans les règles générales de gestion équilibrée et durable de l’eau (article L 211-1 code de l’environnement), donc qu’elle est exigible sur toute rivière, pas seulement sur celles spécifiquement classées à cette fin. Ces services tendent à donner des avis négatifs aux demandes de travaux sur des sites hydrauliques si ces travaux ne prévoient pas le poste (très coûteux) de continuité. C'est la raison pour laquelle nous demandons aux parlementaires de modifier la loi, afin d'empêcher ces attitudes de sur-administration et sur-réglementation qui bloquent l'hydraulique française depuis 20 ans.


Olivier Thibault a prétendu qu’il était « archi-faux » d’affirmer que les seuils en rivière aident à retenir l’eau et peuvent avoir des effets positifs sur les nappes ou les sécheresses.

Ce propos est « archi-faux ». D’abord, comme l’a reconnu l’expertise collective Irstea-Onema sur les effets cumulés des retenues d’eau, il existe très peu de données d’observation dans le monde sur les effets hydrologiques des petits ouvrages et de leurs plans d’eau (Carluer et 2016). Cette expertise signale que les retenues perdent de l’eau par infiltration et échange avec les aquifères, retenant une valeur médiane de 1 à 2 mm par jour pour le flux de transfert vers les aquifères. Ensuite, les règles de base de la physique (hydrostatique, hydrodynamique) comme l’observation empirique des puits et captages en bord d’ouvrages montrent que la création d’un plan d’eau et d’une lame d’eau plus haute augmente le niveau de la nappe sous-jacente. Le BRGM a rappelé cette évidence aux parlementaires dans une autre audition. De très nombreux travaux ont été menés pour étudier les barrages de castors – ce qui soit dit en passant montre une anomalie de la programmation de la recherche publique, car le même travail n’est même pas fait sur les ouvrages humains malgré leur ancienneté et omniprésence : tous ces travaux sur les castors documentent des effets positifs des petits barrages en lit mineur  pour la rétention d’eau dans les bassins (voir par exemple revue chez Larsen et al 2021). Enfin, de rares travaux ont été menés sur des rivières où l'on avait effacé des ouvrages, d'autres où l'on avait cessé de gérer les retenues de moulins : ces travaux documentent des incisions des lits et des baisses de niveau des nappes, deux phénomènes négatifs pour la retenue d'eau en sol et sous-sol (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). On lira également avec profit la monographie de Pierre Potherat sur l'analyse des ouvrages hydrauliques et de leur gestion en lien aux recharges d'aquifères (Potherat 2021). 

Concernant l’évaporation, citée par Olivier Thibault comme un grave problème lié aux retenues d’eau, rappelons que tous les milieux de surface évaporent, qu’ils soient naturels ou artificiels. L’une des seules études menées en France pour comparer l’évaporation de retenues artificielles avec des zones humides ou des forêts a montré que les retenues humaines évaporent moins sur l’année (Al Domany et al 2020). De tels travaux doivent être répliqués, mais ils tirent déjà un signal d’alarme assez fort sur l’effet des « solutions fondées sur le nature » en ce qui concerne spécifiquement la lutte contre les sécheresses. Les parlementaires ne doivent pas suivre aveuglément des idées floues et à la mode, mais exiger des preuves scientifiques fortes avant d’engager un programme public sur des sujets importants pour la société et le vivant. Si l’OFB prétend que les ouvrages hydrauliques ont un effet négatif sur le stockage d’eau, il faut publier les travaux scientifiques qui le démontrent. Sinon, il faut arrêter de propager des fausses informations au nom d’une idéologie du retour à la rivière sauvage.  

Conclusion : l’Office français de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a largement contribué à transformer la continuité écologique en dogme et à bloquer toute analyse sérieuse des services écosystémiques rendus par les ouvrages hydrauliques. Olivier Thibault commence sa mandature à la direction de cette institution sur un très mauvais départ, avec la redite des éléments de langage relevant d’une idéologie administrative davantage que de la précision scientifique.