24/04/2024

La Bretagne détruit son patrimoine hydraulique, mais le saumon continue de régresser dans ses rivières

Agence de l’eau, office français de la biodiversité, syndicats de bassin, associations naturalistes et fédérations de pêche le promettaient : avec la nouvelle politique dite de continuité écologique visant à effacer les ouvrages en rivières, les poissons migrateurs allaient revenir en masse pour coloniser les cours d’eau. En Bretagne, c’est l’inverse qui se produit pour le saumon : ses mesures de population n’ont jamais été aussi faibles depuis 25 ans. Certains « sachants » devraient donc changer de ton et cesser de jouer les apprentis sorciers sur argent public, car leurs résultats ne sont nullement à hauteur des sacrifices demandés. 

Il fut un temps où, dès qu’un saumon atlantique était aperçu dans une zone de bassin versant dont il avait disparu, les gestionnaires de rivière et les médias clamaient le grand retour de la biodiversité, et en particulier des poissons migrateurs. Cet excès d’optimisme est révolu. Sur nombre de bassins en France, le saumon se fait rare. Si quelques individus poussent parfois un peu plus loin dans la rivière quand on y a fait disparaître un barrage, une population de saumon ne s’installe pas pour autant de manière durable et croissante dans le bassin. Ainsi récemment les médias bretons ont commenté le déclin du saumon sauvage (par exemple France 3). 

Ce graphique issu de l’Observatoire des poissons migrateurs de Bretagne (source) montre l’évolution régionale du saumon atlantique. Les effectifs en 2023 sont au plus bas depuis le début des mesures (1998) et la tendance des 10 dernières années est baissière.


Cet autre graphique montre les trois stations de mesure sur rivières (Scorff, Aulne, Elorn), avec les mêmes conclusions.


Pourtant, les gestionnaires publics de l’eau, les ONG naturalistes et les fédérations de pêche avaient assuré les décideurs et les citoyens que la restauration de continuité écologique, engagée dès la loi pêche de 1984 et accélérée avec la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, devait augmenter les habitats favorables aux migrateurs et leurs populations. Il n’en est rien, malgré des centaines de millions d’euros engagés à des destructions d’ouvrages, des constructions de passes à poissons et des recréations de frayères. Le pire étant que les ouvrages détruits sont souvent des patrimoines de dimension modeste (petits moulins traditionnels), dont les données historiques (cf Merg et al 2020) ou les données d’observation (par exemple Newton et al 2017) ont montré qu’ils ne sont pas vraiment des obstacles infranchissables aux saumons. 

Ce mauvais résultat en Bretagne n’est guère surprenant. Sur d’autres bassins comme l’axe Loire-Allier, pionnier des politiques en faveur du saumon dès les années 1970, les statistiques sont également médiocres, ce malgré le soutien des empoissonnements de saumons d’élevage (voir cet article). Dans la Normandie voisine de la Bretagne, même observation  : il peut y avoir une réponse ponctuelle de poissons migrateurs après un effacement, mais pas de résultat durable et des baisses ensuite (voir cet article)

Un travail scientifique mené sur 40 ans de données en France avait conclu à un bilan mitigé pour les poissons migrateurs, et aucune corrélation claire avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). Une autre étude récente sur le saumon atlantique a montré que cette espèce peut disparaître de bassins remplissant des conditions idéales (pas de pollutions, pas d’obstacles) et que la cause probable de ses évolutions démographiques serait à rechercher dans le cycle océanique : réchauffement climatique, changement des courants marins, pêche industrielle… (Dadswell et al 2022, voir aussi Vollset et al 2022). 

Le mouvement des riverains et des ouvrages hydrauliques doit donc rappeler aux élus et aux gestionnaires publics de l’eau que
  • la destruction des ouvrages en rivière est une politique coûteuse qui affecte de nombreuses dimensions d’intérêt général (patrimoine, paysage, énergie, régulation de l’eau), alors qu’aucun travail scientifique n‘a jamais conclu que l’ouvrage en rivière est le facteur de premier ordre d’une dégradation chimique, biologique, écologique de l’eau, surtout quand on parle d’ouvrages très anciens ayant créé une rivière aménagée avec une nouvelle trajectoire locale des milieux ;
  • l’obsession de la continuité en long a trop souvent pris la dimension d’un dogme qui n’est pas justifié par les résultats obtenus, d’autant que d’autres formes de continuités (latérales, temporelles) sont plus importantes pour la biodiversité, la sécurité et l’agrément ;
  • les politiques des rivières et des ouvrages doivent être éclairées par tous les acteurs du bassin, pas seulement les ONG naturalistes et les fédérations de pêche qui ont leur vision propre de l’eau, mais ne résument pas ce qu’attend la société civile ;
  • il ne faut pas dégrader l’image de la science auprès des citoyens en transformant des recherches appliquées toujours partielles et souvent exploratoires en vérité définitive et exclusive sur les questions de l’eau (un peu de modestie sur la complexité de la réalité et de pluralisme dans les approches scientifiques est bienvenu) ;
  • les faibles résultats mais fortes conflictualités des politiques de continuité écologique suggèrent de mettre en pause cette programmation, ayant déjà causé la disparition de milliers d'ouvrages et de leurs retenues, afin d'analyser plus clairement ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, pour en comprendre les raisons.

19/04/2024

Les rivières ne connaîtront pas de retour en arrière (Greene et al 2023)

La restauration de rivières est devenue une activité à budget mondial multimilliardaire, comme d’autres choix publics en écologie.  Mais cette profusion de moyens se tient toujours dans une certaine confusion des fins et des méthodes, observent trois scientifiques dans une réflexion sur leur discipline. Avec de possibles déceptions à la clé, car on ne peut pas revenir à un état antérieur de l’évolution, ni même promettre des résultats garantis compte-tenu de la complexité et de la contingence propres à chaque écosystème dans sa trajectoire évolutive.

Rachel H. Greene, Martin C. Thoms, et Melissa Parsons (Université New England, Armidale,  Australie) examinent les interventions de restauration des rivières visant à inverser les effets de la dégradation environnementale afin de ramener les écosystèmes à leur état antérieur, dit de «pré-perturbation». Les chercheurs questionnent la faisabilité et la pertinence de ces interventions dans l'ère de l'Anthropocène, où les impacts humains dominent les écosystèmes.

Voici le constat qui motive leur analyse :

« Les activités de restauration visent généralement à inverser les impacts de la dégradation de l’environnement et à ramener un système à son état d’origine ‘avant la perturbation’. Est-ce réaliste, réalisable, ou cela reflète-t-il un préjugé inconscient de l’Anthropocène, l’époque géologique actuelle où les perturbations humaines dominent les écosystèmes ? Des milliards de dollars sont investis chaque année dans la restauration des rivières à l’échelle mondiale, mais les données empiriques disponibles pour évaluer la récupération des rivières après ces activités sont limitées. Les modèles de réponse actuels, généralement basés sur les concepts d'équilibre et de stabilité, supposent que les rivières reviennent aux conditions d'avant la perturbation en supprimant ou en atténuant une perturbation ou un facteur de stress. »


Or, les auteurs constatent que les « recettes » de la restauration de rivières sont souvent copiées, mais ne sont pas interrogées sur leur validité conceptuelle. Cinq exemples sont donnés de manières de penser qui ne produisent pas toujours les résultats escomptés :

« Il existe cinq groupes principaux de méthodes de restauration des rivières : copie carbone, champ des rêves, avance rapide, livre de recettes,  commande & contrôle (Hilderbrand et al., 2005). S’appuyant sur la conviction de Clements (1936) selon laquelle les écosystèmes suivent une trajectoire prévisible vers un point final spécifique, la méthode de la copie carbone suppose qu’une réplique d’un état historique ou idéal peut être créée (Hilderbrand et al., 2005). Cependant, dans l’Anthropocène actuel, les objectifs qui reproduisent les conditions historiques peuvent s’avérer impossibles à atteindre en raison des différents régimes climatiques, de la composition de la végétation ou des pressions liées à l’utilisation des terres (Hilderbrand et al., 2005 ; Brierley et Fryirs, 2009 ; Nardini et Conte, 2021). Basées soit sur des photographies et des cartes historiques, soit sur la localisation d'anciens cours d'eau (Soar et Thorne, 2001), les méthodes de copie carbone impliquent souvent des solutions techniques, où dominent les principes de commande & contrôle. Les méthodes de commande & contrôle impliquent une manipulation physique active des systèmes fluviaux, ce qui réduit la résilience et la capacité d’adaptation du système (Gunderson, 2000) et se concentre davantage sur les symptômes plutôt que sur les causes de la dégradation des écosystèmes (Hilderbrand et al., 2005). Le champ des rêves repose sur l’hypothèse selon laquelle « si vous le construisez, ils viendront » (Palmer et al., 1997); cela ne tient pas compte de la complexité naturelle des rivières, des régimes de perturbations naturelles et anthropiques en cours et des trajectoires de réponse imprévisibles (Kondolf, 1995). Malgré le manque de preuves probantes, l’avance rapide est un type de restauration par lequel les gens supposent que les processus de succession écologique peuvent être accélérés pour atteindre un résultat souhaité ou une trajectoire de réponse spécifique (Hilderbrand et al., 2005). La méthode du livre de recettes suppose que les systèmes ayant des caractéristiques physiques ou écologiques similaires devraient avoir des réponses similaires aux mêmes activités de restauration. Cette hypothèse a conduit à l'utilisation continue de méthodes de restauration infructueuses quoique  publiées, courantes dans les techniques basées sur l'ingénierie (Hilderbrand et al., 2005). Les méthodes de livres de recettes donnent rarement de bons résultats, car elles simplifient à l’extrême la variabilité naturelle de systèmes fluviaux complexes qui présentent des caractéristiques, des sensibilités et des réponses diverses (Fryirs et Brierley, 2009). »

Dans leur article, Rachel H. Greene, Martin C. Thoms et Melissa Parsons proposent un cadre conceptuel pour la restauration et la réparation des rivières dans l'ère de l'Anthropocène, qui se distingue de ces approches traditionnelles par plusieurs aspects fondamentaux.

Reconnaissance du changement d'état des rivières : les auteurs soutiennent que les rivières de l'Anthropocène ont subi des transformations telles qu'elles ne peuvent plus revenir à leur état antérieur. Ils insistent sur le fait que la restauration des rivières ne devrait pas viser à restaurer un état passé mais plutôt à accroître la résilience et la capacité des rivières à supporter les perturbations futures.

Pensée en termes de résilience : la résilience implique de reconnaître et d'accepter que les rivières puissent avoir basculé dans un nouveau régime d'attraction ou un nouvel état stable en raison de l'Anthropocène. Une fois ce point de basculement franchi, il n'est pas possible de revenir en arrière, et donc, les efforts devraient se concentrer sur la préparation des rivières à rester fonctionnelles dans leur nouvel état.

Utilisation de l'écologie du paysage : les auteurs préconisent l'utilisation de principes d'écologie du paysage pour restaurer la hétérogénéité structurelle et fonctionnelle des paysages riverains. Cela inclut la création de diversités dans les habitats et les structures qui peuvent renforcer la biodiversité et améliorer la résilience des rivières face aux perturbations.

Science fluviale pour guider la réparation : la science fluviale est utilisée pour reconnaître l'importance de l'hétérogénéité physique à différentes échelles, ce qui aide à comprendre les sensibilités différentes aux perturbations et les trajectoires de récupération associées. Cela guide la sélection des types d'activités de restauration fluviale à des endroits spécifiques au sein d'un réseau de rivières.

Changement de paradigme dans la gestion des rivières : les auteurs appellent à un changement de paradigme dans la façon dont les rivières sont étudiées et gérées, en passant d'un objectif de restauration à un objectif de réparation. Cela signifie abandonner la référence à un état antérieur, qui peut ne plus être atteignable.

Discussion
La restauration écologique est dans une phase assez curieuse de son histoire. D’un côté, elle est devenue un lieu commun de l’époque, au moins dans les sociétés occidentales et industrialisées, une option assez largement acceptée par les décideurs et les populations. D’un autre côté, elle est conceptuellement instable et à mesure que la théorie se confronte à la pratique, il apparait de plus en plus difficile de promettre une « restauration » garante de tel ou tel état. 

Une partie des représentations écologiques de la restauration vient d’un héritage scientifique désormais dépassé du 20e siècle. Dépassé pour au moins trois raisons :
  • on avait sous-estimé la profondeur et la persistance des changements de milieux opérés par les humains dans l’histoire de leur colonisation de la planète ; 
  • on avait développé une approche trop déterministe et réductionniste où un milieu laissé à lui-même devait forcément passer par des phases successives le menant à un équilibre stable ainsi qu'à une "biotypologie" prévisible ; 
  • on avait conceptuellement  séparé une nature idéalement isolé et des humains réduits à l’état d’impact externe sur cette nature, alors que l’action humaine est inséparable des altérations thermiques, hydrologiques, sédimentaires qui changent continuellement et substantiellement les trajectoires locales (et parfois globales) de la nature (dont cette action humaine est une partie intégrante).
Au final, l’ingénierie écologique ne signifiera pas le retour à un jardin d’Eden, comme elle est parfois naïvement représentée par ses partisans et acteurs. Les milieux aquatiques du futur seront différents de ceux du présent et du passé, tout comme leurs peuplements biologiques et leurs usages sociaux. Les arbitrages sur les aménagements fluviaux resteront des constructions complexes où les éléments naturels (habitats, faunes, flores) ne sont qu’un des critères de décision, à côté des formes, fonctions, pratiques et ressources que souhaitent préserver dans la durée les riverains d'un même bassin.

Référence : Greene RH et al (2023), We cannot turn back time: a framework for restoring and repairing rivers in the Anthropocene, Front. Environ. Sci., 11, doi.org/10.3389/fenvs.2023.1162908 

16/04/2024

La règlementation européenne "Restaurer la nature" est bloquée par le conseil des Etats

Plusieurs États membres de l'Union européenne ont retiré leur soutien à une règlementation phare dite de restauration de la nature, bloquant ainsi son adoption. Cette décision survient dans un contexte de défis accrus pour le secteur agricole européen, exacerbés par des tensions géopolitiques et des changements climatiques. Mais au-delà de cette conjoncture, la difficulté à faire passer des lois imposant "par en haut" la manière dont les citoyens devraient ou ne devraient pas gérer leurs cadre de vie est un signe des temps. L'écologie elle aussi aura l'obligation d'être plus ouverte à la diversité des attentes sociales et à la complexité des représentations de la nature. 


La Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède ont manifesté leur refus de signer la règlementation Restore Nature (Restaurer la nature), tandis que la Pologne, l'Autriche,  la Finlande et la Belgique ont signifié leur abstention. 

Ce retrait du soutien à une règlementation écologique par plusieurs États membres de l'Union européenne marque un nouveau coup dur pour ce projet de législation, élaboré pendant deux ans. Initialement, cette règle visait à restaurer les habitats et écosystèmes dégradés de l'UE, dans le cadre du Pacte vert. Elle représente l'une des plus grandes politiques environnementales jamais proposées par l'UE, après la directive Habitat, faune flore de 1992.

Pour atteindre l'objectif fixé de restaurer au moins 20% des terres et mers de l'UE d'ici la fin de la décennie, les États membres devraient restaurer 30% de leurs habitats terrestres et marins d'ici 2030, y compris les forêts, prairies, zones humides, mais aussi les rivières, lacs, estuaires et fonds coralliens, avec des augmentations prévues à 60% en 2040, puis 90% en 2050. Ils devraient également adopter des plans nationaux de restauration détaillant les moyens d'atteindre ces objectifs.

La règlementation "Restaurer la nature" avait déjà été sérieusement remaniée après les oppositions parlementaires au projet de la Commission, puis les protestations des agriculteurs européens. Des événements climatiques extrêmes et les tensions géopolitiques récentes ont exacerbé les défis agricoles, affectant les prix et les revenus.

Ces événements récents représentent un nouveau revers pour la politique environnementale controversée de l'Union européenne, montrant la complexité des politiques écologiques dans un contexte de crises multiples. Au-delà du cas particulier des agriculteurs, beaucoup craignent que la décision d'aménagement des cadres environnementaux ne soit confisquée par des technocraties très éloignées du terrain et des pratiques, avec des incitations devenant parfois des dogmes. 

L'association Hydrauxois avait alerté précocement les élus et les administratifs européens sur les nombreuses dérives déjà observées dans le cadre de la restauration des rivières, marquée en France par des destruction massives de patrimoines et par des oppositions riveraines multiples. 

Autant les citoyens sont intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la réduction des polluants toxiques, la préservation de paysages d'intérêt, la protection raisonnée de la faune et de la flore, autant ce processus ne peut se réduire à l'imposition d'une écologie théorique dont le mot d'ordre serait finalement de chasser les humains des milieux naturels ou de revenir à une hypothétique nature du passé. 

Restaurer des habitats diversifiés, pourquoi pas. Mais punir les humains et détruire leurs patrimoines, cela ne passe plus. Les pratiques de restauration écologique doivent acter ce blocage pour évoluer dans leurs méthodes et objectifs. 

11/04/2024

La destruction de la chaussée du Surgié à Figeac soulève de fortes oppositions

La commune de Figeac et la préfecture du Lot s'orientent vers la destruction de la chaussée du Surgié, sur la rivière Célé. Mais de nombreux riverains et des associations locales s'y opposent. L'association Hydrauxois a demandé la communication des expertises qui, selon une mauvaise habitude des gestionnaires publics, ne sont pas publiées sur les sites de la préfecture, de la commune, de l'agence de l'eau ou du syndicat de bassin, alors qu'elles sont financées par le contribuable et d'intérêt général. Nous publions ci-après la synthèse faite par un riverain, M. Daniel Paget, engagé dans le collectif de défense du site du Surgié. Ce récit permet de comprendre l'histoire du lieu et de mesurer les diverses inquiétudes nées de la potentielle destruction d'un patrimoine sur argent public, pour un montant exorbitant qui pourrait approcher les 10 millions d'euros. Le dossier présente aussi de nombreuses questions sur sa légalité, que les conseils juridiques de l'association Hydrauxois vont examiner de près.



La présence d’un barrage au niveau du Surgié remonte au 13e siècle où, à cette époque, il permettait d’alimenter en rive gauche le moulin, et en rive droite les canaux qui traversaient la ville de Figeac.

En 1974 a été construite la station de pompage de Prentegarde, située en amont du barrage, qui alimente en eau potable le figeacois. Pour sécuriser le pompage dans le Célé lors des bas débits, un empierrement transversal au Célé était réalisé juste en aval de la prise d’eau afin de maintenir un niveau d’eau suffisant pour les pompes. Lors des crues automnales, cet empierrement était naturellement emporté par la force du courant du Célé.

En 1985, la commune prend possession du barrage et le reconstruit un peu plus haut que le barrage historique, afin que le niveau de la retenue permette de créer le plan d’eau de la base de loisirs actuelle. Ceci a eu pour effet de sécuriser également le prélèvement d’eau potable, sans recourir à des empierrements. Depuis, la production d’eau potable pour les figeacois ne pose aucun problème, même lors des très bas débits (étiages) du Célé.

En 1985, dès la première mise en eau du barrage reconstruit, ce dernier a été l’objet de fuites au travers de sa structure liées à une malfaçon.

Les premières années d’exploitation ont mis en évidence l’envasement de la zone de loisirs nécessitant des curages fréquents. Pour pallier ces inconvénients, 120 toupies de béton ont été déversées pour boucher les cavités internes du barrage, creusées par l’eau. Une digue « filtrante » a été construite en 2000 pour séparer le cours d’eau de la zone de loisirs afin d’éviter l’envasement.

Quelques années plus tard, la digue « filtrante » s’étant colmatée, le plan d’eau touristique est devenu un espace clos, dont la température d’eau augmente fortement en été. Cette situation est propice au développement des cyanobactéries qui rendent dangereuse la baignade pour les humains et les animaux ainsi que la consommation des poissons.

Des travaux de modernisation d'une chaussée ancienne dont on constate aujourd'hui l'échec
Le barrage du Surgié s’avère donc, de longue date, un problème pour la municipalité et l’insuffisance d’entretien a complexifié le problème en rendant inopérantes les passes à poissons et à canoës.

En 2017, Monsieur le Préfet conscient des dangers que représenterait la rupture du barrage a notamment exigé une visite technique approfondie afin que Monsieur le Maire puisse prendre les dispositions qui s’imposent en connaissance de cause.

De nombreuses études ont été faites, confirmant la dangerosité du barrage et donc l’impérieuse nécessité de trouver une solution qui remédie aux différents problèmes légaux du Surgié (solidité de l’ouvrage, conformité de la passe à poissons, risque sanitaire du plan d’eau...).

L’équipe municipale s’est orientée vers la destruction du barrage avec renaturation de la zone du Surgié et les études ont été faites en ce sens.

Une solution alternative à la destruction du barrage a été proposée, par les élus minoritaires de «renouveau pour Figeac» au conseil municipal du 15 octobre 2019. Il s’agissait de réparer le barrage et les dispositifs de continuité écologique, d’installer une production hydroélectrique et de modifier légèrement la digue filtrante pour créer une circulation dans le plan d’eau. Cette proposition, d’un coût estimé à 2,1 millions d’euros à l’époque, était étayée par un dossier remis aux conseillers municipaux. Il y était précisé qu’un revenu annuel moyen de 100 000 euros pour la commune était généré par la vente d’électricité . Aucune étude de cette alternative n’a été portée à la connaissance des élus.

Dans le même temps, les réflexions municipales sur la sécurisation de production d’eau potable conduisent à reconstruire la station de pompage de Prentegarde et à équiper sa prise d’eau dans le Célé d’un dégrilleur automatique. Cette rénovation a coûté 7 millions d’euros.

Un engagement vers la destruction en 2020
En 2020 Monsieur le Maire fait voter par le conseil municipal la destruction du barrage avec renaturation de la zone, pour un montant de 2,7 millions d’euros. Cette décision est justifiée par le reste à charge moindre pour la commune, grâce aux subventions dont peut bénéficier le scénario d’effacement.

Suite à cette décision les alertes auprès de Monsieur le Maire ont été réitérées, notamment le risque majeur sur la distribution d’eau potable lors des étiages, du fait de la baisse de niveau du Célé liée à la disparition de la retenue d’eau du barrage.

Lors du conseil municipal du 13 novembre 2023, Monsieur le Maire informe d’un surcoût de 3,9 millions d’euros portant ainsi le coût total du projet à 6,6 millions d’euros (7,7 millions d’euros si l’on rajoute la construction de la passerelle d’accès à la zone touristique) .

La loi ayant évolué depuis 2020, le niveau de subventions pour le scénario d’effacement est incertain à ce jour.

Compte tenu de la complexité de ce dossier le Maire a délégué sa responsabilité de Maître d’Ouvrage au Syndicat mixte Célé Lot médian en lui accordant une rémunération de 137 500 euros.

Le 26 novembre 2023, un collectif de quatre Présidents d’associations (Sauvegarde du Célé, Moulins du Querçy Lot Tarn et Garonne, AAPPMA Figeac, Réveil des moulins du Querçy) fait part de ses interrogations et demande un rendez vous à Monsieur le Maire. A ce jour l’association Sauvegarde du Célé s’est retirée du collectif.

Dans un article dans la Dépêche du midi du 30 novembre 2023 le Maire qualifie de « polémique » cette demande de rendez vous et indique qu’une réunion publique est prévue.

Des risques manifestement sous-estimés
Les risques induits par l’effacement du barrage ont manifestement été sous estimés lors des études du scénario d’effacement à 2,7 millions d’euros. Le surcoût de 3,9 millions d’euros s’explique en grande partie par les dispositions à prendre pour couvrir les risques majeurs sur l’alimentation en eau potable des figeacois lors des étiages, et sur l’érosion des berges et du bâti lors des crues. A noter l’absence de communication publique sur ces risques.

Pour sécuriser l’alimentation en eau potable, après destruction du barrage, il sera nécessaire de créer une nouvelle prise d’eau en fond de rivière. On peut légitimement s’interroger sur ce choix qui ne bénéficie pas de nombreux retours d’expérience et qui, de toute évidence est intrinsèquement moins sûr que la situation actuelle.

L’analyse rétrospective des conceptions préconisées par les bureaux d’études devrait inciter Monsieur le Maire à plus de prudence. En effet , les résultats de leurs préconisations posent question.

Le barrage, dès sa première mise en eau a commencé à fuir ! Le plan d’eau, s’est régulièrement envasé ! La digue filtrante s’est rapidement colmatée !

Un budget de 250 000 euros vient d’être voté pour les études d’une solution de secours pour l’alimentation en eau potable des figeacois à partir de la rivière Lot depuis Capdenac. Le coût d’un tel raccordement au travers du territoire aurait un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros faisant ainsi peser une pression fiscale sur le long terme. S’agissant de travaux en milieu aquatique il est probable qu’une partie de ces coûts soit financée par la taxe GEMAPI qui figure sur la feuille d’impôts des citoyens du Grand Figeac.

Monsieur le Maire n’a pas fait étudier sérieusement la solution alternative proposée alors qu’elle présente moins de risques et qu’elle est moins onéreuse en coût complet.

Une solution alternative doit être sérieusement étudiée
La solution alternative proposée consiste à renforcer le barrage existant (technique maîtrisée par les professionnels du domaine), à équiper le barrage d’une turbine ichtyocompatible préservant la faune piscicole, à rendre conforme les passes à poissons et à canoës, à réaliser une échancrure à l amont de la digue filtrante actuelle pour assurer l’alimentation de la base de loisirs à contre- courant, à remettre en service la buse existante à l’aval, avec réglage de débit, afin de maîtriser la circulation dans le plan d’eau.

Il est encore temps de vérifier les avantages et inconvénients de ces deux solutions et de connaître leur niveau de subventions afin de faire le meilleur choix final. Ce travail d’analyse ne peut être fait dans une réunion publique de quelques heures qui sera forcément une communication valorisant l’effacement, à l’image des éléments accessibles sur le site internet de la mairie.

Ce choix final, qui est du ressort du Maire élu, doit intégrer ses conséquences en termes technique, environnemental et économique sur le long terme mais aussi en terme de pression fiscale sur les figeacois notamment à cause du secours depuis Capdenac en cas d’effacement.

A la dernière réunion du 4 avril 2024
La réunion technique publique organisée par M le Maire de Figeac le 4 avril 2024 a permis de dresser un panorama exhaustif de la situation du Surgié en présence des experts, des financeurs et de l’Etat. Madame la Préfète a souligné l’urgence de prendre une décision pour régler les problèmes identifiés :
1) dangerosité du barrage et non conformité des ouvrages de franchissement
2) risque sanitaire lié aux cyanobactéries
3) risque sur la production d’eau potable

Les nombreuses interventions dans la salle ont mis en évidence des questionnements qui mériteraient une analyse approfondie entre experts, qui n’ont pas forcément le même point de vue. Mais c’est le scénario destruction avec renaturation qui a fait l’objet de la plupart des études il paraît évident que c’est le seul à ce jour qui, malgré ses éventuelles imperfections puisse être retenu.


En cas de destruction du barrage les risques ou inconvénients ci dessous sont à craindre

L’impossibilité de délivrer l’eau potable aux figeacois lors des dysfonctionnements prévisibles de la nouvelle prise d’eau. Ce risque a une probabilité d’occurrence significative, probabilité qui diminuera un peu dans quelques années avec le secours envisagé depuis Capdenac gare en pompant dans le Lot ( coût plusieurs dizaines de millions d’euros)

L’érosion des berges et du bâti riverain dont il est prévu d’en prévenir les effets par plus d’un kilomètre d’enrochements ( coût > 1 M€)

Le colmatage du pont Gambetta par de gros embâcles transportés en hautes eaux avec des risques d’ inondation des riverains, sans penser au scénario catastrophe de rupture du pont

La perte d’une très importante réserve d’eau, qui serait bien utile dans le contexte du réchauffement climatique et dans le contexte d’un grave incendie en ville ; qui serait également bien utile dans la gestion des crues et dans la prévention des inondation par la régulation judicieuse de l’ouverture du clapet

La perte du rôle amortisseur de la retenue actuelle pour les épisodes de pollution surtout à l’étiage

Le bouleversement des équilibres écologiques qui se sont créés au fil du temps, car les retenues d’eau au niveau du Surgié remontent au 13 ième siècle avec un barrage sur chaque bras à l’époque

Une très faible la lame d’eau lors des étiages sévères avec l’absence de zone refuge pour les poissons et une moindre alimentation de la nappe phréatique

La remobilisation des sédiments accumulés sur toute la zone affectée par une modification du régime hydraulique

La disparition de zone de décantation fort utile lors des pollutions accidentelles

La suppression d’une possibilité de production d’énergie verte

La création d’une zone « bras mort » difficilement accessible potentiellement favorable à la prolifération de moustiques

L’incidence significative à long terme sur la fiscalité de Figeac et du Grand Figeac notamment au travers de la taxe Gémapi.

D’autres effets collatéraux sont à signaler sur l’impact patrimonial de la suppression du dernier moulin fonctionnel de Figeac, sur l’économie touristique, sur les loisirs aquatiques (baignades , kayak , pêche ..).

Des solutions alternatives moins coûteuses en deniers publics existent mais elles mériteraient une analyse contradictoire entre experts ; ce qui n’a pu être le cas aujourd’hui au motif que les subventions maximales (encore incertaines) vont au scénario retenu par M. le Maire

03/04/2024

Les riverains, moulins, étangs, protecteurs du patrimoine seront toujours exclus des instances des SAGE


Un  projet de décret  soumis à consultation a pour objet de modifier les dispositions du code de l’environnement relatives aux schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Rappelons que les SAGE participent à la gestion publique de  l’eau à échelle d’un bassin versant. 

Parmi les évolutions à noter :
  • La capacité pour le préfet de faire évoluer le périmètre d’un SAGE
  • L’autorisation de travailler en visioconférence pour les commissions locales de l’eau
  • La possibilité simplifiée de réviser totalement ou partiellement le contenu d’un SAGE selon l’évolution des autres textes normatifs ou l’observation d’effets non désirés
  • L’obligation d’identifier les zones humides sur le territoire du SAGE 
Nous constatons que malgré les demandes répétées faites en ce sens, de nombreux acteurs restent exclus des commissions locales de l'eau, à savoir :
  • les riverains
  • les protecteurs du patrimoine
  • les propriétaires de moulins, étangs, plans d'eau
En revanche, d'autres acteurs déjà très représentés dans toutes les instances de l’eau voient encore leurs prérogatives augmenter, comme par exemple le comité de gestion des poissons migrateurs qui acquiert le droit d'évaluer les projets de SAGE.

La démocratie riveraine défaillante n'est donc nullement renforcée par ce projet de décret. 

Il en va de même pour la gestion politique des SAGE, puisque le collège des représentants élus des collectivités territoriales ne voit pas ses prérogatives évoluer. L’un des reproches pourtant fait aux SDAGE comme aux SAGE est d’être devenus des chambres d’enregistrement d’évolutions technocratiques décidées à Paris ou à Bruxelles, avec très peu de latitude de choix de leur environnement pour les élus et les citoyens. 

Pour participer à la consultation : Projet de décret relatif aux schémas d’aménagement et de gestion des eaux, Consultation du 28/03/2024 au 21/04/2024 

24/03/2024

Un barbeau ibérique profite des aménagements de barrages hydro-électriques (Santos et al 2023)

L'examen d'un aménagement de barrage hydro-électrique sur la rivière Vilariça révèle des résultats intéressants pour la survie et la reproduction d'une espèce de barbeau ibérique. Il est possible de concilier les usages humains de la rivière et le maintien de la biodiversité fluviale. 


Les interventions humaines comme la construction de barrages modifient les conditions de connectivité dans les rivières, affectant ainsi la vie des organismes aquatiques, en particulier les poissons migrateurs. Les chercheurs en Europe comme dans le monde étudient comment divers procédés de compensation permettent d'améliorer malgré tout le cycle de vie des poissons par rapport à l'obstacle à leur circulation. Voici le résumé d'un travail mené sur une espèce de barbeau ibérique :

"Dans les systèmes fluviaux, où les organismes aquatiques sont limités à la vie au sein des réseaux de rivière, les barrières anthropiques peuvent interrompre la connectivité et contribuer à la fragmentation de l'habitat. La connectivité de l'habitat est particulièrement importante pour les poissons migrateurs qui doivent parcourir des distances considérables pour se rendre dans les zones de frai, d'alevinage et de refuge. 

Afin de soutenir les étapes cruciales du cycle de vie des espèces de poissons indigènes, des mesures compensatoires ont été établies dans la rivière Vilariça grâce à la construction de l'aménagement hydroélectrique de Baixo Sabor (BSHS). Ainsi, le but de ce travail est d'évaluer si les mesures mises en œuvre, telles que des seuils d'amélioration de l'habitat et un système de dérivation du débit libérant l'eau du BSHS, ont amélioré la survie et la reproduction d'une espèce indigène, le barbeau ibérique (ou barbeau du Tage, Luciobarbus bocagei). L'évaluation comprenait le calcul du nombre d'individus reproducteurs et de la superficie utilisable pondérée (WUA) de l'habitat de frai. De plus, pour évaluer l'activité de frai, une méthodologie de frai par unité d'effort (SPUE) a été développée. 

Les résultats ont montré que la migration et le frai de L. bocagei étaient améliorés par l'augmentation de la vitesse d'écoulement du système de dérivation. Les fascines installées ont également contribué au succès de la reproduction, car elles ont permis l'établissement d'aires de repos et de fraie essentielles à la période de reproduction. Il a été possible d'estimer la SPUE maximale de 5,4 frayères par minute dans les frayères avec une portée de 20 m et le nombre de poissons observés, qui variait entre 251 et 800 dans les frayères et les aires de repos. De plus, la WUA maximale a été estimée à 1 580 m2 pour un débit de 1 m3/s (entre le débit médian et maximum pour la saison de frai) dans un tronçon de 2 km de la rivière Vilariça. 

Ce travail a montré que la réhabilitation d'un affluent d'une rivière fragmentée suite à la construction de barrages était une procédure compensatoire valable car elle permettait la migration et le frai des poissons."

Cette recherche, comme bien d'autres, montre l'efficacité réelle des débits réservés, des aménagements d'habitats et des dispositifs de franchissement au droit des ouvrages hydrauliques barrant les lits mineurs. Cela plaide pour une restauration de continuité écologique conciliant les divers usages de la rivière.

Référence : Santos RMB et al (2023), Effect of river restoration on spawning activity of Iberian barbel (Luciobarbus bocagei), Journal for Nature Conservation, 76, 126488

10/03/2024

Le conseil d’Etat constate l’illégalité de la destruction de l’étang de Bussières par la fédération de pêche et la préfecture de l’Yonne

Après 6 années de procédure, l’association Hydrauxois obtient enfin la condamnation par la justice de l’opération de destruction et assèchement de l’étang de Bussières : ce magnifique patrimoine hydraulique et écologique des marges du Morvan avait été détruit dans des conditions opaques, en absence de toute étude environnementale et de toute enquête publique. Il va sans dire que cette décision légitime la défiance que l’on peut avoir envers une administration eau & biodiversité qui a engagé depuis la décennie 2010 une longue dérive sur le dossier de la continuité écologique des cours d’eau. Nous attendons des préfets un rappel à l’ordre de leurs agents comme des fédérations de pêche à agrément public. 


Rappelons les faits : la fédération de l’Yonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FYPPMA) a acquis en 2015 de l’étang de Bussières, situé sur le passage de la rivière la Romanée, sur le territoire de la commune de Bussières (Yonne). Ce site était dans une zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2, notamment classée en raison des habitats des marges et queues d’étang. Outre sa belle biodiversité, l’étang de Bussières apportait une précieuse réserve d’eau sur un bassin où la rivière est souvent à sec en été. Déjà présent sous l’Ancien Régime, c’était aussi un beau patrimoine hydraulique et paysager

Devenue propriétaire, la fédération de pêche de l’Yonne a informé le directeur départemental des territoires de l’Yonne de son intention de réaliser une vidange complète de l’étang à la fin du mois d’octobre 2017, en vue de son effacement ultérieur. A la suite de la vidange de l’étang, la FYPPMA a sollicité, le 27 novembre 2017, l’autorisation de réaliser des travaux présentant un caractère d’urgence sur la Romanée : la préfecture a accepté sans même que soit déposé un dossier de déclaration au titre de la loi sur l’eau, conformément aux dispositions de l’article R. 214-44 du code de l’environnement. Enfin, par un courrier du 13 mars 2018, le directeur départemental des territoires a indiqué à la fédération qu’il ne comptait pas faire opposition à la déclaration déposée le 10 janvier 2018 aux fins de détruire la digue de l’étang de Bussières.

Par ce subterfuge d’une série d’actes pris isolément, alors même que le but de la destruction de ce magnifique étang était établi dès le départ et avait fait l’objet d’une subvention publique de l’agence de l’eau, la fédération de pêche de l’Yonne et la préfecture ont sciemment contourné  l’article R. 214-42 du code de l’environnement, dont les termes comme le rappelle le conseil d’Etat «impliquent que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement.»

Le tribunal administratif de Dijon puis la cour administrative d’appel de Lyon n’avaient pas retenu cette interprétation. Ces jugements sont censurés par le conseil d’Etat : «En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

L’Etat est donc condamné dans cette triste affaire, qui est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.


Quelques observations
L’association Hydrauxois est satisfaite que justice soit rendue. Elle déplore que les services de l’Etat et la fédération de pêche de l’Yonne, cette dernière disposant d’un agrément public, se soient comportés en se croyant au-dessus des lois sous prétexte qu’il était question de supposé rétablissement de la continuité écologique ou de "renaturation". Nous avions saisi en urgence la DDT de l'Yonne sur les anomalies de ce dossier, sans succès, comme nous avions alerté l'OFB de Bourgogne Franche-Comté, également sans effet. Nous avions pourtant raison.

Le fait d’avoir perdu aux deux premières instances mais gagné au conseil d’Etat rappelle à tous les plaignants de ce genre d’affaire (nombreux en France) qu’il faut s’engager en justice en prévoyant d'aller jusqu’au terme de la procédure : ce n’est pas la première fois que le conseil d’Etat donne raison à des riverains, collectivités et propriétaires d’ouvrages hydrauliques malgré des avis contraires des cours inférieures.

Enfin, un seul moyen juridique suffisant à casser en droit un jugement ou à annuler un texte attaqué, le conseil d'Etat n'a malheureusement pas apprécié nos autres arguments sur la valeur intrinsèque de l'étang comme zone humide et comme milieu d'intérêt écologique. Mais d'autres contentieux sont en cours qui, espérons-le, nous permettront d'obtenir un arrêt sur ce point. Car le fond du problème est là: on dilapide l'argent public à détruire des milieux aquatiques utiles et appréciés, au bénéfice d'une vision marginale du retour à la nature sauvage n'ayant jamais été inscrite comme telle dans le droit français, et au détriment de l'investissement pour réduire les vrais impacts dégradant l'eau.

Pour la suite sur l'étang de Bussières, nous demanderons à la cour d’appel de Lyon d’ordonner la remise en état du site illégalement détruit. 

Source : Conseil d’Etat, arrêt n°460964, 8 mars 2024 

Engageons-nous pour le retour en eau de ce magnifique site!


29/02/2024

Luttes riveraines pour les patrimoines de l'eau et leur gestion partagée

Partout en France, et aussi en Europe, des citoyens et des élus sont confrontés à certaines règlementations aberrantes de l'eau. Elles menacent en particulier des patrimoines hydrauliques comme les étangs, plans d'eau, canaux, barrages ou moulins. Quelques témoignages de ces luttes extraits de notre revue de presse de février. 


Barrage en péril à Pont-Rolland, mauvaise affaire pour la transition. En péril depuis plusieurs années, le barrage hydroélectrique du Pont-Rolland, situé entre Hillion et Morieux (Lamballe-Armor), pourrait être détruit dans les Côtes-d’Armor. « On nous prive d’une production locale d’électricité », observent les riverains. Mais les opposants n’ont pas dit leur dernier mot et continuent de se battre pour le maintien de cette usine fermée depuis plus de dix ans. En lire plus sur Ouest France Signer la pétition.

Un seuil qui maintient les niveaux d'eau indispensables aux populations. La seuil de Beauregrad sur la Garonne avait été endommagé par des crues, et les services de l'Etat répugnent à sa reconstruction. Elus locaux et citoyens doivent se battre pour retrouver une précieuse régulation des niveaux d'eau. Afin de sécuriser l’approvisionnement en eau des habitants de l’Agglomération d’Agen dont la station de pompage est située à Boé, les élus de l’Agglomération et la maire de Boé, proposent ainsi à la population de signer la lettre – pétition adressée à Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France demandant la réhabilitation du seuil de Beauregard. En lire plus sur Petit Bleu 

Spoliation de patrimoine à  Célas. L’Asec, Association de sauvegarde environnementale de Célac, estime qu’il y a d’autres moyens de restaurer la rivière Saint-Eloi que l’effacement de l’étang de Questembert (Morbihan). Pour elle, supprimer l’étang de Célac « est une spoliation du patrimoine ». L'association a fait entendre à la réunion de concertation du 24 février 2024. En lire plus sur Ouest France

Simplifier les curages pour protéger les personnes et les biens. Crues à répétition : dénonçant l'inaction de l'État, les agriculteurs du Pas-de-Calais curent eux-mêmes un cours d'eau, lors d'opérations coup de poing à Béthune. Les formalités et délais demandés par les services eau et biodiversité pour intervenir sur des milieux aquatiques sont parfois incompatibles avec la protection des biens et la sécurité. Voir le reportage sur TF1

Mobilisation des citoyens pour un étang en zone Natura 2000. "NON" à la disparition de l'étang de Chawion! C'est le message lancé par une bonne soixantaine de citoyens réunis au bord de ce trésor naturel situé dans le Bois de Staneux à Theux (Belgique), en zone Natura 2000. Ils s'opposent en fait au projet de la ministre wallonne de l'Environnement et de la Nature, qui souhaite remblayer l'étang. Une pétition a vu le jour et a déjà recueilli près de 700 signatures. En lire plus sur Vedia

Les moulins de l'Evre menacés au lieu d'être valorisés. L’Amicale des propriétaires privés des moulins de l’Èvre, dans les Mauges (Maine-et-Loire) a écrit au ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. L’objet de cette lettre ouverte ? Leur désaccord avec le programme de travaux du Smib (Syndicat mixte des bassins Èvre-Thau-Saint-Denis-Robinets-Haie d’Alot) sur les cours d’eau, notamment ceux prévus sur l’Èvre. Les gestionnaires publics de l'eau n'intègrent pas le fait que la loi française demande désormais de protéger et valoriser le patrimoine hydraulique, en particulier celui des moulins à eau, non de la détruire. En lire plus sur Ouest France

La population d'Aigurande se battra pour garder son étang. Partout les services de l'Etat font pression pour détruire et assécher des plans d'eau : l’annonce en 2023 de la destruction de l’étang du Grand Moulin à Aigurande (Indre) a fait l’effet d’un choc. Une association de défense s’est montée, lundi 12 février 2024, lors d’une réunion publique. En lire plus sur la Nouvelle République 

Vigilance pour le plan d'eau de Pierrefitte-ès-Bois. Lieu emblématique de la petite commune de Pierrefitte-ès-Bois, l’étang communal est menacé par la préfecture, en raison de ses supposés impacts sur les milieux aquatiques. Mais les dernières mises à jour du dossier, rendent plus optimiste la mairie quant au maintien du site. Les citoyens restent vigilants. En lire plus sur la République du Centre

Des étangs médiévaux attendent de retrouver leurs eaux en Bourgogne. A Châtillon-sur-Seine (Côte d'or), incompréhension et colère de citoyens, réunis dans un collectif, suite au recours de deux associations de protection de la nature et de l'environnement contre l'arrêté du préfet de Côte-d'Or. Les naturalistes militants prétendent contre toute raison que ces étangs médiévaux sont néfastes aux milieux et doivent être asséchés définitivement, tout en méprisant la souhait massif des riverains et élus locaux de retrouver les plans d'eau. A lire dans le Châtillonais et l'Auxois

18/02/2024

Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Dans l'article publié le 5 février 2024 (Bien Public), la nouvelle maire de Longvic, Céline Tonot, discute des priorités de la ville. Elle mentionne l'impossibilité de remettre en eau un bief pour des raisons réglementaires, contrairement aux engagements antérieurs, alors qu'une crue avait partiellement emporté un seuil de répartition des eaux de l'Ouche. Notre association réagit.


© Damien Rabeisen / France 3 Bourgogne

Commentaire de l'association Hydrauxois
Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Suite à l'article paru le 5 février 2024, il est nécessaire de rectifier certaines informations concernant le projet de remise en eau du bief à Longvic. José Almeida, l'ancien maire, s'était engagé à cette remise en eau avant la fin de son mandat, selon le BP du 7 mars 2023. Hélas, il n'en a rien été, les dossiers sur l'eau étant toujours entravés en France par un harcèlement normatif peu gérable. Contrairement aux déclarations de Céline Tonot, la nouvelle maire, aucune considération réglementaire ne s'oppose formellement à ce projet. En effet, le site est soumis à l'obligation de rétablir la continuité écologique, ce qui inclut la protection des poissons et des sédiments, mais la loi et la jurisprudence permettent de reconstruire totalement ou partiellement un ouvrage.

Il serait inexact  d'affirmer que la loi demande la destruction du bief ou de l’ouvrage; aucune loi ne le stipule. Au contraire, les moulins et leurs ouvrages sont protégés par la législation depuis la loi de 2021 ayant réformé l'article L 214-17 du code de l'environnement, interdisant même l'obtention de subventions pour leur destruction. Ce moulin de Longvic, fondé sur titre en 1858, avec son bief, représente un patrimoine à valoriser pour ses aspects culturels, historiques, et écologiques. Il contribue à la gestion des risques d'inondation en servant de bras secondaire à la rivière Ouche. Il abrite une faune et une flore spécifiques.

La remise en eau du bief offrirait un espace de refuge pour la faune aquatique en période de sécheresse et permettrait la production d'énergie renouvelable, comme le démontre l'exemple de Plombières-les-Dijon qui relance un projet hydro-électrique. En 1921, la puissance du moulin était de 89,2 kW, preuve de son potentiel énergétique notable. La loi française demande aux collectivités de développer les énergies renouvelables sur leur territoire, or l'énergie de l'eau est parmi les plus populaires : il appartient aux élus de l'inventorier et d'aider à la développer.

Notre volonté de voir un projet alternatif se réaliser reflète l'intérêt patrimonial, écologique, et énergétique que représente le bief pour Longvic et ses habitants. Nous appelons les citoyens à se manifester en ce sens.

07/02/2024

Les effets des barrages sur les poissons migrateurs : ce que disent les données

Claude Delobel, chercheur en informatique et mathématiques appliquées, expert en analyse de données, revient sur un article scientifique récemment paru et dédié à l'influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis. Il souligne que la lecture des données disponibles dans cet article doit être correctement hiérarchisée selon les poids des variables analysées. Car si l'on peut tirer une première conclusion d'importance, c'est que les variations actuelles de poissons migrateurs du réseau hydrographique nord-américain ne sont liées que marginalement aux barrages par rapport aux autres facteurs étudiés, en particulier naturels. 


Barrage de Glenn Canyon et réservoir du Lac Powell (source). 


Etude complémentaire de l’article de Dean et al. sur l’influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis
Claude Delobel

Le site Hydrauxois (1) fait une analyse de l’article (2) publié en 2023 sur les facteurs qui influencent la richesse en poissons migrateurs dans 9 régions des USA en fonction des barrages sur les cours d’eau. La fragmentation des rivières due à la présence de barrages est un facteur pris en compte en le décomposant en différentes métriques selon la densité des barrages sur un segment de rivière mais aussi en intégrant les effets cumulatifs des barrages sur la totalité du bassin versant aval et amont. D’autres facteurs sont aussi étudiés comme ceux relatifs à l’environnement immédiat d’un segment de rivière en prenant en compte des facteurs naturels du territoire (température, pluviométrie, débit de base, pente) et les facteurs humains dans l’utilisation des sols (urbanisation, nature des cultures, prélèvement en eau, densité des croisements route-rivière). Cette étude est effectuée à grande échelle puisqu’elle porte sur 9 régions des USA avec 45 989 sites d’observations où les données sur les espèces de poissons sont collectées sur une large période de 1990 à 2019. Pour la description des grandes régions et la répartition des espèces on se reportera au site Hydrauxois. 

Le réseau fluvial est modélisé comme un ensemble de segments de longueurs variables dont les extrémités sont des confluences de rivières, des lacs ou réservoirs, les océans ou les grands lacs. A chaque segment est associé localement une portion de territoire qui représente la zone qui draine directement ce segment, mais aussi les surfaces relatives aux bassins versants aval et amont. On pourra ainsi associer à ces surfaces les facteurs naturels ou humains qui les caractérisent. 

Pour étudier ces corrélations multifactorielles entre la diversité des espèces migratrices et les facteurs environnementaux deux techniques informatiques développées à partir des années 2000 sont utilisées : «Canonical Correspondance Analysis » (CCA) et « Boosted Regression Tree » (BRT). Ces techniques permettent de traiter des grandes masses de données et sont particulièrement bien adaptées à la situation. Pour la compréhension de l’analyse BRT et son application en écologie on peut se reporter à l’article (3) sur l’étude des facteurs influençant les populations d’anguille en Nouvelle Zélande. 

Le site Hydrauxois décrit le cadre général de l’étude en ce qui concerne les principales régions des USA et les différentes familles de poissons migrateurs. Il commente les résultats de la première technique utilisée (CCA) sur les 9 régions. Nous reprenons la principale conclusion : «Le premier point remarquable est que le modèle des chercheurs ne parvient à expliquer que 32,7% au mieux de la variance des poissons. Cela signifie que les facteurs pris en compte laissent, selon les bassins, 70 à 90% des variations de poissons sans explication causale décisive. … Le second point est que la part des barrages au sein de la variance expliquée est encore plus faible, même si elle significative dans quatre bassins sur neuf. Il est logique que certains grands barrages non équipés de dispositifs de franchissement dépriment des populations de poissons de migrateurs et favorisent des espèces non migratrices, notamment adaptées aux milieux lentiques ou semi-lotiques de retenues. A l’ère anthropocène marquée par la transformation diffuse et continue des déterminants du vivant, il existe rarement une cause simple pouvant expliquer pourquoi les populations actuelles des espèces divergent de celles des époques précédentes.».
 
Nous souhaitons compléter ces commentaires en examinant l’autre partie de l’article relative à l’utilisation de la technique BRT. Nous verrons qu’elle apporte un éclairage complémentaire et surtout qu’elle met en lumière le rôle prépondérant des facteurs naturels du territoire dans la préservation des espèces migratrices. Cette deuxième technique utilisée est appliquée aux 4 régions de l’est des USA où la fragmentation des rivières est la plus sensible. Le modèle repose sur 14 variables explicatives classées selon trois catégories : les facteurs naturels du territoire, les facteurs humains dans l’utilisation des sols, et les métriques de fragmentation du réseau de rivières : 
  • Facteurs naturels du territoire : surface de drainage du territoire associé au segment local de rivière, index de base de débit, moyenne annuelle de précipitation, moyenne annuelle de température, pente ;
  • Facteurs humains dans l’utilisation des sols : urbanisation, culture des sols, prairie, prélèvement en eau, densité croisement route-rivière ; 
  • Fragmentation du réseau de rivière : densité de barrage sur le segment principal (nombre de barrages par 100 km de longueur), degré de régulation, nombre total de barrages sur le réseau aval, nombre total de barrages sur le réseau amont. 
Analyser et hiérarchiser les rangs des variables prédictives
Le modèle évalue l’importance de ces 14 variables sur une partie des espèces migratrices, les poissons potamodromes (poisson ayant un cycle de vie en eau douce), et les résultats sont rassemblés dans la figure 1 ci-dessous. 
 

Figure 1. Extrait. TABLE 5 Mean rank (mean relative contribution, %) of environmental variables used to predict relative abundances of potamodromous fishes using BRTs in ecoregions of the UMW, SAP, CPL, and NAP within the eastern conterminous USA. 

Pour les 4 régions de l’est des USA dénommées respectivement UMW, SAP, CPL et NAP on trouve pour les 14 variables un premier chiffre qui donne le rang, c'est-à-dire l’importance relative de la variable, puis entre parenthèse le poids relatif de cette variable en %. Plus l’importance relative d’une variable sera grande plus le rang sera important. Rappelons que ces 4 régions correspondent respectivement : UMW, la région des grands lacs, SAP, la région sud des Appalaches, NAP, la région nord des Appalaches, et CPL les plaines de la côte ouest et sud-ouest. 

Les auteurs de l’article font les commentaires suivants. «Le rang le plus élevé des facteurs naturels du territoire est la température annuelle dans les régions NAP et SAP, la surface de drainage pour la région UMW, et la pente de la rivière pour la région CPL. La variable index de base de débit comme les variables surface de drainage et pente ont des rangs similaires dans les régions UMW et CPL. Parmi les facteurs humains, les espèces potamodrome de poisson sont influencées par un sol de type prairie dans les régions UMW et SAP, les sols cultivés dans la région CPL, et le prélèvement en eau dans la région NAP. Le nombre de barrages sur le réseau aval dans les régions SAP et UMW et la densité de barrages sur le segment principal dans les régions SAP et NAP ont des rangs plus déterminants que tous les facteurs humains de l’utilisation des sols. Plus particulièrement, l’influence des barrages sur le réseau amont (degré de régulation et nombre total de barrages sur le réseau amont) est moindre que tous les facteurs anthropogéniques, contrairement à l’influences des barrages sur le réseau aval qui est le facteur déterminant dans ces régions.».

Cette conclusion qui permet aux auteurs d’affirmer que dans trois régions de de l’est des USA (UMW, SAP, NAP) l’influence des barrages dans le réseau aval est plus déterminante que les facteurs humains doit être fortement relativisée, même si elle est réelle. En effet, ce constat est fondé sur la notion de rang d’une variable sans regarder son importance relative par rapport à l’ensemble de toutes les variables, le rang d’une variable peut être élevé alors que son poids relatif est faible. Par exemple la variable nombre de barrages sur le réseau aval pour la région SAP a le rang 5 sur 14, alors que son poids relatif est de 7% de toutes les variables prédictives. 

A partir du tableau de la figure 1, il est possible de le synthétiser en regroupant l’influence des variables par nature, les facteurs naturels du territoire (N), les facteurs humains dans l’utilisation des sols (H) et la fragmentation des rivières par les barrages (R). 


En effectuant ce regroupement il ne faut pas se méprendre sur l’interprétation de ce tableau. Nous n’avons pas fusionné les 5 variables relatives aux facteurs naturels en une seule variable prédictive, nous disons seulement, par exemple, que le poids relatifs de ces 5 variables pour la région UMW est de 60.2%. 

A partir de là, il est important de constater : (1) les facteurs naturels sont prépondérants et majoritaires dans les 4 régions et conditionnent la relative abondance des espèces de poissons potamodrome, (2) dans toutes les régions l’aspect fragmentation des rivières est moins important que les facteurs humains dans l’utilisation des sols, seule dans la région SAP les facteurs humains sont du même ordre de grandeur que les aspects fragmentation. 
 
Certes, ce regroupement nous a fait perdre en finesse, mais il nous a permis de mettre en lumière ce qui est essentiel. Dans toute interprétation d’un modèle il est bon à la fois de raisonner en grandes masses et aussi de se focaliser sur des aspects secondaires. 

La fragmentation figure dans les variables les moins significatives
Comme nous venons de le voir, l’aspect fragmentation existe mais constitue l’ensemble des variables les moins significatives. Toutefois quand nous examinons cet aspect, les 3 variables, densité moyenne d’un segment, nombre total de barrages sur le secteur aval ou amont ont des rôles différents. On constate tout d’abord que la variable relative au secteur amont joue un rôle négligeable, elle intervient au 13e rang sur 14 dans 3 régions UMW, SAP, et NAP, et elle apparait au 10e rang dans la région CPL. La densité moyenne en barrages d’un segment est seulement significative dans les régions NAP et SAP alors que dans les autres régions elle figure au dernier rang. Enfin, l’influence des barrages dans le réseau aval est la variable la plus sensible dans les régions UMW et SAP pour prédire la relative abondance des poissons potamodromes.

Les auteurs de l’article associeraient ce dernier fait à la position relative d’un segment de rivière dans le réseau fluvial, si un segment est en fin de bassin avec une surface de drainage importante : «la taille de rivière augmente, les canaux deviennent de plus en large et profond avec une surface et un volume d’eau offrant des habitats plus complexes pour une plus large diversité d’espèces.». 

La variable qui mesure le nombre de barrages du réseau aval d’un segment donné est dépendante de la position relative de ce segment, elle est d’autant plus grande que le segment est en tête de bassin versant et prend la valeur 0 pour un segment terminal à l’embouchure. Dans le cas des régions UMW et SAP la très grande majorité des segments de rivières sont des affluents directs ou indirects du fleuve Mississipi et la distance moyenne de ces segments à l’embouchure est très grande. En conséquence le nombre de barrages sur le réseau aval est important et peut impacter l’abondance des poissons potamodromes, ce qui pourrait expliquer la sensibilité et l’influence du réseau aval. Toutefois, dans le cas des poissons potamodromes les déplacements se font sur des distances assez courtes selon les espèces, de l’ordre de la dizaine de kilomètres, et restent donc localisés à une très faible zone du cours d’eau par rapport à la longueur totale du réseau hydrographique. En conséquence, l’abondance des poissons potamodromes devraient être plus influencés par la densité moyenne des barrages sur un segment que par l’importance du réseau aval. Il faut aussi constater que dans ces deux régions, UMW et SAP, c’est la surface de drainage qui est le facteur primordial de la diversité en poissons potamodromes. 

Ainsi, nous voyons la difficulté à faire une interprétation d’un phénomène complexe. Pour approfondir cette analyse, il faudrait disposer des graphiques qui décrivent l’effet de chaque variable sur l’abondance des poissons. Même si ces graphiques ne sont pas parfaits, car toutes les variables ne sont pas indépendantes les unes des autres, ce qui est le cas, ils fournissent une base solide à toute interprétation. En général les logiciels BRT fournissent ces résultats, mais ils ne sont pas présents dans l’article. 

Parmi d’autres études qui ont étudié l’influence des barrages sur les populations piscicoles on peut mentionner celle réalisée sur le bassin de la Loire (4) avec un indice de connectivité dépendant de la densité des barrages dans le réseau fluvial. Cette étude avait montré de façon générale une faible corrélation entre l’indice de connectivité et la qualité de l’indice poisson IPR avec toutefois des modulations plus fortes pour les espèces rhéophiles dans les régions où les pentes sont plus fortes sans toutefois mettre en évidence le rôle du réseau aval. De plus cette étude ne prenait pas en compte ni les propriétés naturelles du territoire ni les facteurs humains. 

En conclusion, si cette étude récente sur un vaste territoire comme celui des USA montre bien les difficultés à appréhender une réalité complexe où de multiples facteurs environnementaux interviennent, elle permet de mettre en lumière plusieurs phénomènes en les hiérarchisant les uns par rapport aux autres. Les facteurs naturels du territoire sont les plus importants dans l’abondance des espèces de poisson potamodromes avec en particulier trois facteurs essentiels relatifs à la température, à l’index de base de débit des cours d’eau et la surface de drainage, ceci doit être mis en rapport avec les évolutions climatiques prévisibles. Dans le futur, les conditions optimales de vie des espèces migratrices risquent d’être profondément affectés par ces changements comme ceci est d’ailleurs souligné par les auteurs de l’article. 

Notes
(2) E. M. Dean, Dana M. Infante, Arthur Cooper, Lizhu Wang, Jared Ross. Cumulative effects on migratory fishes across the conterminous United Stares Regional patterns in fish response to river network fragmentation. River Res. Applic. 2023, 39 : 1736-1748.
(3) J. Elith, J. R. Leathwick, T. Hastie. A working guide to boosted regression trees. Journal of Animal Ecology, 77(4), 802-813.
(4) Van Looy K., Tormos T., Souchon Y. Disentangling dam impacts in river networks. Ecological Indicators 37,10-20, 2014. 

A propos de l'auteur
Ancien Professeur des Universités de Grenoble et Paris XI. Ancien Directeur du laboratoire d'Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble (IMAG) associé au CNRS. Auteur d'un article sur les indices de connectivités dans les réseaux hydrographiques publié au Colloque de limnologie «étangs et lacs» à l'Université d'Orléans en 2021. Membres des Associations des Riverains de France (ARF) et des riverains de l'Indre et de ses affluents (ARDI). Co-fondateur de la coopérative Force Hydro Centre (FHC) pour le développement des énergies hydroélectriques.

01/02/2024

La production des moulins à eau et petites centrales hydro-électriques en France

Les 463 sites de moins de 150 kW qui injectent de l'électricité sur le réseau représentent aujourd'hui une puissance cumulée de 43 MW. Cette donnée ne tient pas compte de l'autoconsommation des moulins à eau, dont la production n'est pas connue. Le chiffre de 43 MW pour 463 sites est encourageant  puisque la France dispose d'un patrimoine déjà installé de près de 70 000 seuils et barrages qui ne sont pas équipés, outre le potentiel de nouveaux sites. Nous appelons donc les pouvoirs publics à s'engager à une hausse continue du taux d'équipement énergétique des chutes des rivières. Il s'agit de demander aux agences de l'eau (SDAGE) et aux syndicats de bassin (SAGE) d'en faire un objectif systématique de leur programmation. Aujourd'hui, ces instances se désintéressent trop souvent du sujet, voire détruisent les ouvrages hydrauliques à potentiel producteur. 


Des communes de plus en plus nombreuses (ici Gœulzin) sont intéressées par la relance locale des moulins à eau présents sur leur territoire. Plusieurs dizaines de milliers de sites seraient équipables. 

A la question du député Marc Le Fur sur la production électrique des moulins à eau, le ministère de l'écologie apporte la réponse suivante.

L’analyse du Registre national des installations de production et de stockage d’électricité produit par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) (données publiques en date du 31/07/2023) fait état des informations que vous trouverez ci-dessous (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/registre-national-des-installations-de-production-et-de-stockage-delectricite-au-30-09-2023/).

Le tableau présente par région et département les puissances cumulées ainsi que le nombre d’installations hydroélectriques dont la puissance est inférieure à 150 kW, seuil qui peut représenter les moulins à eau équipés pour la production hydroélectrique. Ces chiffres ne tiennent compte que des installations raccordées au réseau de distribution, c’est-à-dire uniquement celles capables de fournir une aide au réseau électrique et n’intègrent donc pas les chiffres de l’autoconsommation.

La puissance totale cumulée de ces installations s’élève à environ 43 MW soit près de 0,07% de la puissance du parc de production d’énergie renouvelable en France et 0,029 % de la puissance électrique installée en France (sur la base des données RTE au 31 décembre 2022).

A titre de comparaison, la puissance totale installée de l’ensemble de ces 463 installations représente l’équivalent de la puissance de 7 éoliennes en mer actuellement installées au large de à Saint-Nazaire. Ces valeurs rappellent le caractère très limité de la production énergétique des installations hydroélectriques de faible puissance dans le mix électrique, sans pour autant remettre en cause le fait qu’il produise une électricité décarbonée qui participe donc à l’objectif de décarbonation de mix énergétique.

Ainsi, l’État soutient financièrement le développement de ces installations avec l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d’achat et du complément de rémunération pour l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie hydraulique des lacs, des cours d’eau et des eaux captées gravitairement, dit H16. Ce soutien automatique est conditionné au respect et à la conciliation de l’ensemble des enjeux de l’utilisation de la ressource en eau, notamment des enjeux de biodiversité.

Sous la responsabilité des préfets, la procédure d’autorisation au titre de la loi sur l’eau permet aujourd’hui une gestion équilibrée des projets de petite hydroélectricité au plus près des territoires. Il s’agit d’une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d’eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité.

Aujourd’hui, un producteur d’une installation d’une centaine de kilowatts peut espérer, grâce au H16, un tarif d’environ 170€/MWh produit. Ce niveau de tarif est très nettement supérieur au prix de marché de l’électricité sur les 10 dernières années et est très supérieur également aux prix de marché futur français.


Nos commentaires :
  • La petite hydro-électricité est un petit apport au mix énergétique français et européen : tout le monde est d'accord sur ce point. Mais chaque kWh compte lorsqu'on parle de la transition énergétique et de la souveraineté géopolitique.
  • Les données du ministère ne comptabilisent pas l'autoconsommation, qui est assez répandue dans le monde des moulins à eau car une puissance de quelques kW n'a pa forcément intérêt à injecter sur le réseau avec les complexités que cela implique en dossier. Cette autoconsommation n'a aucun coût pour la collectivité puisqu'elle n'a aucune aide publique sur le prix du MWh. Elle tend plutôt à soulager le réseau. 
  • Les administrations publiques en charge de l'eau (agences de l'eau, OFB, syndicats) n'ont pas tendance à soutenir le développement hydro-électrique des bassins versants, et certains de ces acteurs sont même engagés dans une vision naturaliste de destruction maximale des seuils et barrages pour revenir à une sorte de rivière sauvage idéalisée ou de nature théorique vidée de ses humains. Ce qui est un problème évident de conflit entre politiques publiques, outre les conflits sociaux liés au refus de cette idéologie.
  • Il est notable que 463 sites seulement représentent une puissance de l'ordre de 43 MW. Il existe en effet environ 50 000 moulins à eau en France, et environ 20 000 seuils et barrages n'étant pas des moulins à eau mais disposant d’une chute et un débit équipables. Même en faisant l'hypothèse (raisonnable) que les ouvrages non équipés sont plutôt moins puissants que ceux équipés, cela signifie que le potentiel des sites existants est bien de l'ordre du GW. 
  • Outre la puissance, il faudrait compatibiliser l'énergie : le facteur de charge d'une installation hydraulique est généralement de 50 à 70%, davantage en zone hydraulique fluviale régulière. Donc 1 MW de solaire, d'éolien ou d'hydraulique ne produit la même quantité d'énergie sur une année.
  • Concernant le tarif de rachat du MWh en petite hydraulique, il est certainement possible de l'améliorer si la filière est en enfin soutenue (objectif assumé par l'acteur public d'une hausse du taux d'équipement de toutes les rivières), si des offres plus standardisées d'équipement se développent grâce à cette garantie d'objectif public et si les exigences environnementales sont révisées de manière plus raisonnable par rapport aux excès documentés depuis la décennie 2010 (le soutien public à l'achat du MWh est conditionné à de nombreuses exigences qui impliquent des chantiers coûteux et des baisses de productible). 
Voici ci-dessous la production par répartition géographique, associée à la réponse du ministère. Le fichier Excel peut être téléchargé ici