Affichage des articles dont le libellé est Science. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Science. Afficher tous les articles

04/06/2025

Les moulins de Rudăria, un patrimoine hydraulique au cœur des dynamiques touristiques (Dragan et al 2024)

Dans une Roumanie confrontée à l’exode rural et à la perte de repères identitaires dans ses campagnes, les moulins à eau de Rudăria offrent un exemple emblématique de valorisation du patrimoine culturel immatériel. Une étude récente analyse en détail le rôle de ces infrastructures hydrauliques dans la requalification touristique du territoire, à partir d’une double enquête menée auprès des touristes et des acteurs locaux.


Un des moulins du site étudiée, art.cit.

Situé dans la vallée d’Eftimie Murgu, au sud-ouest de la Roumanie (département de Caraș-Severin), le site de Rudăria abrite le plus grand ensemble de moulins à eau fonctionnels d’Europe du Sud-Est. Classés au patrimoine culturel national depuis 2000, ces 22 moulins traditionnels répartis sur un linéaire de 3 km témoignent de pratiques agro-pastorales anciennes reposant sur la coopération villageoise et la maîtrise communautaire de l’eau.

Face à la marginalisation économique de cette zone rurale montagneuse, les chercheurs ont souhaité explorer le potentiel des moulins comme leviers de développement touristique durable et comme vecteurs d’une reconnexion identitaire pour les habitants.

L’enquête s’appuie sur une double approche. D’un côté, un questionnaire a été administré à 190 visiteurs sur site, en août 2022, pour mieux comprendre leurs motivations, attentes et perceptions. De l’autre, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’un panel d’acteurs institutionnels, associatifs et économiques (représentants des collectivités, ONG, commerçants, guides locaux).

Cette approche croisée a permis d’analyser les conditions de valorisation touristique de ce patrimoine hydraulique, en mettant en lumière la diversité des parties prenantes et les dynamiques de gouvernance locale.

Parmi les résultats marquants, on note que 80 % des touristes sont attirés par l’authenticité du lieu et la beauté du paysage. Les visiteurs expriment une forte sensibilité au caractère fonctionnel des moulins : plus de 70 % déclarent qu’il est important de voir les moulins en activité, et non simplement comme vestiges.

Le profil des touristes reste majoritairement national (Roumains de milieu urbain), avec une part croissante de visiteurs internationaux grâce aux réseaux sociaux. Environ 60 % viennent pour la première fois, mais près de 20 % déclarent être déjà venus à Rudăria, ce qui indique une capacité de fidélisation du site.

Le développement touristique ne résulte pas d’un plan public structuré, mais plutôt d’une mobilisation ascendante. Une ONG locale, Acasă în Banat, joue un rôle clé dans la réhabilitation des moulins, la signalétique patrimoniale et l’animation du site. Ces initiatives sont soutenues ponctuellement par les autorités locales, mais l’absence d’une stratégie coordonnée à l’échelle départementale ou régionale limite encore le potentiel de développement.

La gestion du site repose donc sur des équilibres fragiles entre initiatives citoyennes, soutien public intermittent et valorisation commerciale prudente.

Discussion
L’étude montre que les moulins à eau de Rudăria, bien plus que des objets patrimoniaux figés, constituent un écosystème culturel vivant, capable de structurer une offre touristique cohérente et respectueuse des ressources locales. Mais pour que ce modèle devienne durable, les auteurs soulignent la nécessité d’un cadrage institutionnel plus clair, d’un appui à long terme des politiques culturelles et d’une intégration des communautés locales dans la gouvernance du site. On ne peut que souhaiter le développement de tels choix à échelle européenne, notre continent étant caractérisé par la persistance d'un patrimoine exceptionnel de moulins et usines à eau dont beaucoup ont conservé leurs fonctionnalités essentielles, leurs atouts paysagers et leur identité architecturale. 

26/05/2025

Castor et humain, quels effets pour leurs petits barrages ? (Wohl et Inamdar 2025)

Alors que les castors sont réintroduits dans les cours d'eau de l'hémisphère nord et que la restauration des rivières s'oriente vers des analogues de barrages de castors construits par l'homme, il est pertinent de comparer les effets de ces structures naturelles avec ceux des petits barrages humains. Une étude récente publiée par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar se penche sur cette question, comparant systématiquement les barrages de castors à quatre types de petits barrages humains afin d'évaluer leurs impacts respectifs sur les services écosystémiques.



Illustrations extraites de Wohl et Inamdar 2025, art cit.

La popularité croissante de la réintroduction des castors et de la construction d'analogues de leurs barrages (Beaver Dam Analogues - BDA) comme outils de gestion et de restauration des petites rivières soulève une question fondamentale : les petits barrages construits par l'homme, souvent dispersés dans le paysage (comme les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle ou les retenues agricoles), produisent-ils des effets écosystémiques similaires à ceux des barrages de castors ?. L'objectif principal de cette étude est de comparer systématiquement ces effets sur des processus clés tels que l'hydrologie, la dynamique des sédiments et des nutriments, l'habitat et la biodiversité, afin d'informer les gestionnaires et le public.

L'étude compare cinq types de petits barrages (<5m de haut en général):
  • Barrages de castors : Construits par Castor canadensis (Amérique du Nord) et Castor fiber (Eurasie). Ils sont souvent multiples, perméables, dynamiques, d'orientation variable et peuvent créer de vastes "prairies de castors" hétérogènes.
  • Analogues de barrages de castors (BDA) : Structures humaines conçues pour imiter les barrages de castors, souvent perméables. Leur usage est récent et vise la restauration.
  • Barrages de moulins : Historiquement construits pour l'énergie hydraulique, ils sont généralement imperméables. Beaucoup sont aujourd'hui en ruine ou ont été retirés.
  • Seuils de correction torrentielle (Check dams) : Utilisés pour contrôler l'érosion et stocker les sédiments, surtout en montagne et zones sèches. Ils peuvent être durables (béton, roche) ou temporaires (bois, fagots) et sont souvent construits en série.
  • Retenues collinaires / Étangs pour bétail (Stock ponds) : Remblais de terre construits en travers de petits cours d'eau (souvent éphémères) pour stocker l'eau, principalement en zones arides ou semi-arides. Ils sont généralement imperméables.
La comparaison s'effectue selon les effets de ces barrages sur:
  • Le bilan hydrique et la connectivité hydrologique tridimensionnelle (longitudinale, latérale, verticale).
  • Les sédiments.
  • La matière organique particulaire et le carbone.
  • Les nutriments (azote et phosphore).
  • L'habitat (diversité, abondance, connectivité).
  • Le biote (diversité et abondance des espèces).
L'analyse révèle des différences significatives entre les barrages de castors et les structures humaines, même si ce sont des moyennes masquant la nécessité d'analyse au cas par cas.

Hydrologie : Les barrages de castors et les BDA, grâce à leur perméabilité et leur structure, tendent à améliorer la connectivité hydrologique latérale (avec la plaine inondable) et verticale (échanges hyporhéiques, recharge de nappe) plus que les barrages humains imperméables..

Sédiments : Tous les barrages piègent les sédiments. Cependant, les barrages de castors et les BDA sont moins susceptibles de provoquer une érosion en aval, tandis que les barrages de moulins et les seuils peuvent entraîner une incision du lit. Les barrages de castors favorisent une aggradation de la plaine inondable.

Carbone et nutriments : Les barrages de castors créent des "points chauds" biogéochimiques. Ils favorisent généralement la séquestration du carbone  et la rétention/élimination de l'azote (N) et du phosphore (P), notamment via la dénitrification. Les barrages de moulins ont des effets complexes ; leurs sédiments peuvent stocker ou libérer N et P selon les conditions, et leur retrait peut entraîner des flux importants. Les données sont limitées pour les seuils et quasi inexistantes pour les stock ponds, bien que tous puissent potentiellement stocker C, N et P.

Habitat et biote : Les barrages de castors augmentent considérablement l'hétérogénéité des habitats (aquatiques, riverains) et, par conséquent, la biomasse et la biodiversité à l'échelle du paysage. Ils posent peu d'obstacles aux mouvements des organismes. Les BDA tentent de reproduire ces effets, mais avec un succès potentiellement moindre à ce jour. Les barrages humains, souvent imperméables et persistants, créent des habitats lentiques mais fragmentent fortement la connectivité longitudinale, limitant le passage des poissons. Ils peuvent parfois favoriser des espèces non natives.

L'étude conclut que les "prairies de castors" (complexes de multiples barrages) offrent les plus grands bénéfices écosystémiques. Les avantages des castors découlent de leur capacité à créer une mosaïque dynamique et hétérogène de barrages d'âges variés, perméables, qui maximisent la connectivité latérale et verticale, augmentant ainsi le stockage d'eau, de sédiments, de nutriments et de carbone, tout en favorisant la biodiversité. Les barrages humains, conçus pour être statiques et imperméables, n'offrent généralement pas la même complexité et les mêmes avantages écosystémiques, bien qu'ils puissent avoir une valeur locale (par exemple, habitat lentique rare, barrière aux espèces invasives).



Voici leur synthèse :

"Les barrages de castors, les analogues de barrages de castors, ainsi que les barrages de moulins et les seuils de correction torrentielle permettent à l'eau de s'écouler par-dessus le barrage, au moins pendant les hauts niveaux de la rivière. Les barrages de castors et les analogues de barrages de castors sont également susceptibles d'être au moins légèrement poreux et perméables et permettent ainsi un écoulement à travers le barrage. Les étangs de remblai sont typiquement des structures en terre et sont conçus pour être imperméables et résister au débordement. Les barrages humains sont couramment destinés à persister pendant des années, voire des décennies. Les barrages de castors individuels peuvent persister pendant des décennies mais sont plus susceptibles d'être utilisés seulement quelques années avant que les castors ne se déplacent vers un autre site dans le corridor fluvial. Une implication de cette fugacité est la présence de multiples barrages et étangs de castors abandonnés avec différents stades de remplissage et de qualité de l'eau qui augmentent l'habitat et la biodiversité. Les analogues de barrages de castors construits par l'homme, les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle et les remblais de terre sont destinés à créer un seul barrage avec une retenue d'eau, bien qu'il puisse y avoir plusieurs barrages en séquence le long d'un cours d'eau. Comme noté précédemment, les castors construisent des barrages avec diverses orientations par rapport à la direction générale aval, et beaucoup de ces barrages peuvent ne pas être sur le chenal principal. Les analogues de barrages de castors peuvent suivre ces motifs mais sont plus susceptibles d'être similaires aux autres barrages construits par l'homme en ce qui concerne leur présence en séquence sur le chenal principal. Comme noté concernant le passage des poissons, les barrages de castors sont plus susceptibles que les barrages construits par l'homme (à l'exception des analogues de barrages de castors) d'avoir des chenaux secondaires qui contournent le barrage et fournissent une connectivité hydrologique de surface au sein du corridor fluvial.

Un effet des barrages de castors avec une orientation et un emplacement variables est d'augmenter substantiellement la fragmentation (patchiness) du corridor fluvial. Les fragments (patches) sont des unités spatiales discrètes qui diffèrent des unités adjacentes. La fragmentation du corridor fluvial décrit l'hétérogénéité spatiale tridimensionnelle du corridor. Différents critères peuvent être utilisés pour délimiter les fragments. Dans les corridors fluviaux, les fragments diffèrent généralement en fonction de la topographie et de la communauté végétale, ce qui reflète l'histoire géomorphologique de l'érosion et du dépôt fluviaux, la granulométrie, l'humidité du sol et le temps de résidence du substrat sous-jacent. Les perturbations telles que les inondations et les incendies modifient la distribution des fragments dans le temps, comme l'exprime la mosaïque d'habitats changeante. La fugacité des barrages de castors individuels peut également créer une mosaïque d'habitats changeante, en particulier dans une prairie de castors.

Les barrages construits par l'homme autres que les analogues de barrages de castors sont susceptibles d'entraver le passage des poissons. Hart (2004), par exemple, a décrit des pêcheurs obtenant une législation pour retirer ou modifier les barrages de moulins qui empêchaient les poissons migrateurs d'atteindre leurs frayères dans l'Amérique du 18ème siècle. Cependant, les retenues associées aux barrages humains peuvent bénéficier à d'autres types d'organismes aquatiques. Les étangs de bétail dans les régions relativement sèches sont couramment construits sur des chenaux éphémères ou intermittents, et les étangs varient d'intermittents à pérennes. Les organismes aquatiques peuvent ne pas être présents dans ces réseaux fluviaux, ou les étangs peuvent créer des bassins refuges et des habitats supplémentaires pour des espèces aquatiques telles que les invertébrés et les amphibiens, et pour les oiseaux aquatiques. Les étangs de bétail peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'utilisation consomptive de l'eau ou le changement climatique dans les zones arides a réduit l'abondance d'eau stagnante et de zones humides dans les corridors fluviaux. Les retenues de moulins, même dans les régions avec une eau de surface abondante (par exemple, l'Angleterre), peuvent fournir un habitat lentique rare le long des corridors fluviaux et soutenir des populations d'organismes tels que les amphibiens qui préfèrent un tel habitat. Les retenues de moulins peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'ingénierie des corridors fluviaux dans les régions plus humides a réduit la présence de corridors fluviaux-humides naturels.

Chacun des cinq types de barrages considérés ici peut altérer les corridors fluviaux et les réseaux fluviaux de manière persistante pendant des décennies, voire des millénaires. Tant que les barrages eux-mêmes restent intacts, ils peuvent entraver le passage aval des matériaux et, dans certains cas, les mouvements longitudinaux des organismes. Une fois les barrages rompus, les sédiments accumulés restants peuvent altérer la morphologie du corridor fluvial et l'habitat en amont du barrage, ainsi que l'approvisionnement en solutés et en matières particulaires (sédiments, matière organique) vers les parties aval du réseau fluvial. La Figure 7 illustre conceptuellement l'ampleur relative et les avantages de ces altérations persistantes. Bien que les évaluations des avantages et des coûts dans cette figure soient qualitatives, elles sont informées par les connaissances disponibles telles que reflétées dans les articles évalués par des pairs résumés ici. Ces évaluations nous amènent à classer les petits barrages du généralement plus bénéfique (prairies de castors avec plusieurs barrages) au moins bénéfique (barrages de moulins), reconnaissant que les prairies de castors peuvent ne pas être bénéfiques sur certains sites pour les infrastructures et les propriétés humaines dans le corridor fluvial, et que les barrages de moulins peuvent être bénéfiques sur certains sites où ils entravent la migration amont des espèces envahissantes ou fournissent un habitat lentique dans le corridor fluvial."




Discussion
Ce travail montre qu'il reste très difficile de faire des comparaisons informées sur les effets des ouvrages hydrauliques. Par exemple, les auteurs disent qu'une différence majeure entre barrage de castor et barrage d'humain est que le second est perpendiculaire au flot alors que le premier a une orientation variable. Mais en réalité, les chaussées de moulin sont loin d'être toutes perpendiculaires au lit qu'elles barrent. De même, leur caractère non franchissable par des espèces migratrices est discutable, il dépend de la dimension, de la forme et de l'ennoiement relatif de l'ouvrage en période de hautes eaux. En outre, il est dommage de ne pas avoir étudié les étangs piscicoles de lit mineur, qui sont aussi un usage très répandu.  Les auteurs soulignent eux-mêmes d'importantes lacunes dans la recherche:
  • Le manque d'études sur les effets des retenues sur les cycles du carbone et des nutriments.
  • La nécessité de bilans hydriques et de carbone complets à l'échelle des tronçons de rivière affectés par ces barrages.
  • Une meilleure compréhension des effets des barrages de moulins sur l'hydrologie souterraine.
  • L'évaluation des effets cumulatifs de multiples petits barrages à l'échelle du bassin versant.
  • Le besoin de comparaisons plus directes entre les barrages humains et les barrages de castors concernant l'habitat et le biote.
Nous pourrions ajouter que, dans une logique non-naturaliste, les services écosystémiques ne se limitent pas aux effets sur les cycles naturels : les barrages humains ont évidemment l'avantage pour toutes les fonctions spécifiques qu'ils remplissent (fourniture d'énergie et d'eau, agrément culturel et paysager, usages ludiques et autres). 

On retiendra finalement de ce passage en revue par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar que les ouvrages de moulins ont bel et bien certains avantages écosystémiques comparables à d'autres barrages naturels. Le principal défaut avancé est la rupture de continuité écologique longitudinale.

Référence : Wohl E, Inamdar S (2025), Beaver versus Human: The big differences in small dams, Wiley Interdisciplinary Reviews: Water, 12, e70019.

02/05/2025

Régénérer les moulins à eau, un enjeu d'avenir pour les rivières (Grano 2025)

À travers une vaste enquête pluridisciplinaire et de nombreux cas italiens, la chercheuse Maria Carmela Grano montre que les moulins à eau peuvent redevenir des leviers de durabilité locale, en conjuguant patrimoine, énergie, écologie et engagement citoyen. Mais cette dynamique suppose de repenser certaines politiques fluviales trop indifférentes aux héritages culturels et paysagers, tout comme d’encourager les propriétaires à inscrire leur bien dans un projet d’avenir.


Extrait de Grano 2025 art. cit. 

L’article de Maria Carmela Grano part d’un constat double : d’une part, les moulins à eau sont devenus des vestiges sous-exploités du passé ; d’autre part, ils recèlent un potentiel insoupçonné pour répondre à des défis contemporains (transition écologique, gestion durable des paysages, revitalisation rurale). En raison de leur lien intime avec les systèmes hydrographiques, les dynamiques socio-territoriales, et les savoirs techniques anciens, les moulins sont à reconsidérer comme écosystèmes régénératifs, capables de conjuguer conservation patrimoniale, résilience environnementale et usages économiques durables. Cette recherche propose une lecture systémique et multidisciplinaire des moulins à eau, les envisageant comme carrefours de dynamiques culturelles, sociales, hydrogéomorphologiques, énergétiques et politiques.

La chercheuse montre comment les moulins historiques, loin d’être de simples infrastructures techniques, sont des systèmes autonomes d’utilisation des ressources naturelles, incarnant un patrimoine éco-culturel. Leur interaction avec le paysage (topographie, réseaux fluviaux), leur capacité à stocker et restituer l’eau, à transformer l’énergie de manière décentralisée, en font des éléments centraux dans la structuration historique des territoires. Cette approche rejoint les notions de paysage culturel et d’écosystème culturel, en ligne avec les définitions de l’UNESCO et de la Convention de Faro.

Maria Carmela Grano souligne l’ambiguïté des données archéologiques concernant la diffusion des moulins à eau en Europe. Alors que la vision traditionnelle plaçait leur développement au Moyen Âge, des recherches récentes plaident pour leur usage dès le Ier siècle. Par ailleurs, la diversité des formes technologiques (horizontal vs vertical) est revalorisée, les roues horizontales n’étant plus vues comme primitives mais comme adaptées à certains contextes.

L’article démontre que l’implantation historique des moulins était fortement corrélée à la morphologie fluviale et aux gradients d’altitude. Cette disposition optimale peut aujourd’hui être réinvestie via des projets de micro-hydroélectricité à faible impact, comme le montrent les projets européens Restor-Hydro et RENEWAT. Mais "le potentiel énergétique des moulins reste largement sous-exploité, faute d’intégration entre patrimoine et transition énergétique", observe la chercheuse. L’analyse géologique et sédimentologique des anciens sites permet de retracer les évolutions paysagères et d’estimer les risques liés aux crues, à l’enfouissement ou à l’érosion.

La chercheuse insiste sur l’importance des savoirs vernaculaires des meuniers, transmis par la pratique, en tant qu’éléments-clés du fonctionnement durable des moulins. Elle cite notamment les formations néerlandaises et les initiatives italiennes (AIAMS) pour réactiver cette mémoire technique. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique de gestion participative des ressources, où les habitants contribuaient à l’entretien des systèmes hydrauliques. Ce modèle communautaire, toujours vivant dans certains territoires, constitue un levier pour une gouvernance locale résiliente et durable. "Le savoir des meuniers, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, incarne une forme précieuse d’intelligence hydraulique", souligne MC Grano.

L’étude documente plusieurs exemples où les moulins sont devenus des vecteurs de tourisme culturel et durable. Ils sont restaurés comme musées, lieux de mémoire, ateliers pédagogiques ou gîtes ruraux. Cette valorisation, souvent soutenue par des bénévoles et des fondations (FAI, National Trust), contribue à lutter contre le surtourisme, revitaliser les zones rurales, et promouvoir des formes lentes et engagées de découverte.

Enfin, Maria Carmela Grano explore les difficultés de recensement et d’inventaire des moulins, en raison de la dispersion des sources et de l’absence de vérifications historiques. Elle mobilise plusieurs bases de données : cartes hydrauliques anciennes (carte de 1890), archives régionales, sites UNESCO, projet Restor Hydro, plateforme AIAMS. Ces travaux soulignent l’urgence d’un croisement de sources (cartographiques, archéologiques, techniques) pour établir une base de connaissance cohérente à l’échelle nationale.

Etudiant des cas en Italie, Maria Carmela Grano recense plus de vingt projets italiens de régénération de moulins, soutenus par des financements variés : privés, communautaires, ou publics (notamment le plan européen NextGenerationEU – PNRR italien). Quatre cas emblématiques sont approfondis :
  • Mulino Ra Pria (Ligurie) : restauration technique complexe d’un moulin horizontal à canal surélevé. Projet associatif orienté vers la valorisation patrimoniale et paysagère.
  • Mulino Scodellino (Émilie-Romagne) : moulin encore productif, devenu lieu culturel (festival inclusif, visites scolaires, production de biscuits), restauré après une inondation en 2023.
  • Mulino e Gualchiera Romano (Basilicate) : reconstruction à l’identique d’un moulin en ruine, avec étude géologique et usage de matériaux d’origine.
  • Mulino di Arignano (Piémont) : conversion en habitation privée, alliant conservation architecturale et usage domestique.
D’autres exemples sont cités pour illustrer la diversité des usages : tourisme, musées, éducation, production agricole ou énergétique (hydroscies, forges, micro-turbines).

La conclusion de l’article insiste sur trois orientations majeures.
  • Renforcer les connaissances et les politiques de conservation : malgré un regain d’intérêt local, la majorité des moulins restent hors des radars institutionnels, vulnérables face aux effets du changement climatique, de l’urbanisation ou de la désaffection rurale.
  • Mobiliser les technologies avancées : SIG, modélisation 3D, IA, photogrammétrie et analyses hydro-géomorphologiques sont appelées à jouer un rôle crucial dans la préservation et la valorisation des moulins, à condition de créer des plateformes partagées et interopérables.
  • Explorer les voies de reconversion productive : les moulins peuvent devenir des pôles multifonctionnels de la durabilité locale : éducation, artisanat, tourisme, micro-énergie, gestion de l’eau et de la biodiversité. L’autrice plaide pour des politiques intégrées entre patrimoine, énergie et aménagement rural.

Extrait de Grano 2025 art. cit.

Discussion
L’article de Maria Carmela Grano s’inscrit dans une dynamique salutaire de réhabilitation des moulins à eau comme ressources culturelles, paysagères et techniques. Pourtant, on peut regretter que la gestion contemporaine des rivières, largement dominée par une lecture strictement écologique, reste souvent aveugle aux usages historiques et aux formes d’adaptation humaine au milieu fluvial. Cette approche conduit fréquemment à la destruction de seuils de moulins considérés comme "obstacles à l'écoulement et au franchissement", alors même qu’ils pourraient, dans de nombreux cas, être aménagés pour faciliter la circulation piscicole ou sédimentaire tout en préservant la mémoire et la structure des lieux. Il y a là un manque de dialogue entre patrimoine et écologie, entre savoirs anciens et solutions d’ingénierie actuelles, qui mériterait d’être comblé.

Par ailleurs, l’article montre à juste titre le rôle des associations, des collectivités et des chercheurs dans la régénération des moulins, mais il pourrait souligner plus fermement que les propriétaires eux-mêmes ont une responsabilité centrale dans cette dynamique. Ceux qui se contentent de conserver à l’identique des bâtiments anciens sans projet d’usage limitent la portée de leur action. À l’inverse, ceux qui réintègrent le moulin dans des logiques d’usage productif, éducatif ou environnemental – même partiellement – contribuent à faire évoluer les politiques publiques et les représentations sociales. C’est de leur capacité à articuler héritage et innovation que dépendra en grande partie l’avenir des moulins dans les territoires ruraux. Comme le souligne la chercheuse, "les moulins à eau ne sont pas seulement des reliques du passé, mais des systèmes régénératifs capables de répondre aux défis de notre époque. (…) Leur restauration ne doit pas être une nostalgie, mais un processus dynamique qui intègre patrimoine, innovation et durabilité."

21/04/2025

Le petit patrimoine hydraulique au service de la biodiversité (Romano et al 2023)

Une étude scientifique évalue le rôle écologique de sites aquatiques artificiels issus d'un petit patrimoine hydraulique — tels que citernes, réservoirs ou abreuvoirs — dans la conservation des amphibiens en Méditerranée. En s’appuyant sur un vaste jeu de données, les auteurs montrent que ces structures, bien qu’issues d’usages humains, peuvent constituer des habitats précieux pour les espèces menacées, notamment dans le contexte du changement climatique.


Les zones humides méditerranéennes subissent une forte régression, sous l’effet combiné de l’usage des sols, des sécheresses accrues et du changement climatique. Les amphibiens, qui dépendent étroitement de ces milieux pour leur reproduction, sont particulièrement exposés. L’étude menée par Antonio Romano et ses collègues s’interroge sur le rôle que peuvent jouer des sites artificiels non conçus à l’origine pour la biodiversité — tels que des abreuvoirs ou des réservoirs — dans la conservation des populations d’amphibiens.

La recherche repose sur une base de 1570 sites de reproduction d’amphibiens répartis dans le centre et le sud de l’Italie, le long des Apennins tyrrhéniens, sur environ 600 km. Les sites ont été catégorisés en sites naturels (NWS) avec 1006 occurrences et en sites artificiels (AWS) avec 564 occurrences. L’analyse de connectivité a été approfondie dans six sous-régions représentatives : Lucretili, Volsci, Cilento, Apennin lucanien, massif du Pollino et plateau de Sila.

Les auteurs testent trois hypothèses :
  • Les sites artificiels sont-ils connectés écologiquement aux sites naturels ?
  • Ont-ils une efficacité comparable dans la structure des réseaux de dispersion ?
  • Permettent-ils aux amphibiens de persister dans des conditions climatiques plus extrêmes ?
Les auteurs mobilisent une combinaison de modélisation de niche climatique,d'analyse de connectivité et de comparaison des niches climatiques. Concernant la connectivité , les résutats ontrent que les sites artificiels sont intégrés au réseau écologique. Dans certains cas (ex. Cilento, Apennin lucanien), leur rôle est même plus structurant que celui des sites naturels. En terme d'équivalence fonctionnelle, dans plusieurs sous-régions, les sites artificiels affichent une importance similaire voire supérieure à celle des NWS en matière de connectivité paysagère. Enfin pour le rôle de niche climatique, les sites artificiels permettent une expansion significative vers des conditions plus chaudes ou plus sèches chez certaines espèces (ex. Triturus carnifex, Bombina variegata).

Les auteurs en concluent : "Les sites artificiels méditerranéens sont bénéfiques pour les métapopulations d’amphibiens et jouent un rôle clé dans le maintien de la connectivité écologique à l’échelle du paysage. (…) Dans les paysages agricoles, construire ou restaurer des sites artificiels dotés de simples “rampes d’échappement” (…)  augmentera la disponibilité de points d’eau pour le bétail tout en profitant aux populations d’amphibiens dans des conditions stressantes".

Discussion
Cette étude démontre que des structures hydrauliques simples, souvent issues de pratiques agricoles ou pastorales, peuvent contribuer à maintenir — voire renforcer — la connectivité écologique des amphibiens à l’échelle régionale. Leur capacité à offrir une niche climatique plus large constitue un atout supplémentaire dans un contexte de changement global. Ces résultats invitent à ne pas négliger les infrastructures modestes dans les politiques de conservation, notamment dans les paysages agricoles où les habitats naturels sont anthropisés de longue date, et parfois dégradés.

Référence ; Romano A et al ((2023), Artificial paradises: Man-made sites for the conservation of amphibians in a changing climate, Biological Conservation, 286, 110309. 

04/04/2025

Réservoirs artificiels et zones humides ont un rôle clé dans le bilan carbone (Bar-On et al 2025)

Depuis des décennies, la planète absorbe une partie du carbone que nous rejetons dans l’atmosphère. Mais où va-t-il, exactement ? Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Yinon M. Bar-On, propose une réponse inattendue : la majeure partie du carbone stocké récemment sur les terres ne l’est pas dans les forêts vivantes, mais dans des réservoirs non vivants, souvent liés à l’activité humaine. Et en particulier dans les milieux en eau.



Les auteurs ont compilé et croisé des dizaines de jeux de données mondiaux sur les stocks de carbone, en distinguant soigneusement le carbone vivant (comme la biomasse végétale) du carbone non vivant (comme la matière organique enfouie dans les sols, les sédiments, les décharges ou les réservoirs aquatiques). À l’aide de modèles, de mesures satellitaires et de bases de données d'inventaires forestiers, ils ont reconstitué les évolutions des stocks de carbone entre 1990 et 2019.

Leur démarche originale a été de réconcilier les flux de carbone observés à grande échelle (par exemple, la différence entre les émissions humaines et l’augmentation du CO₂ atmosphérique) avec les lieux réels de stockage sur Terre. Ils ont porté une attention particulière à des compartiments souvent négligés, comme les zones humides, les lacs ou les réservoirs artificiels.

L’enjeu de cette étude tient à un déficit de comptabilité dans la science du climat : le « puits de carbone terrestre » absorbait bien plus de CO₂ que ce qu’on pouvait expliquer par la seule croissance des forêts. Or, cette surcapacité restait mystérieuse. Était-ce une erreur de mesure ? Ou bien existait-il d’autres réservoirs discrets mais efficaces, que la science ignorait jusqu’alors ?

La littérature laissait entendre que les compartiments non vivants du carbone (comme les sols ou les sédiments) pouvaient jouer un rôle plus important qu'on ne le pensait. Mais personne n’avait jusqu’ici quantifié leur poids réel à l’échelle globale, ni relié cela aux activités humaines contemporaines.


Le modèle des auteurs suggère que le plus gros du carbone (courbe grise) est stocké ailleurs que dans la biomasse vivante, en particulier celle des forêts (courbe verte).

Résultat marquant : près de 70 % des gains récents de carbone sur les terres sont stockés dans des formes non vivantes, et non dans les arbres ou les plantes. En particulier :
  • Le carbone est enfoui dans les sols, les décharges, les réservoirs, les lacs ou les zones humides.
  • Une grande part de ces puits est liée à des processus anthropiques : barrages, agriculture, exploitation forestière, mise en décharge.
  • Le rôle des forêts reste important mais moins central qu’attendu : les hausses de biomasse vivante expliquent moins de la moitié du puits terrestre global.
Ce stockage non vivant s’explique par des mécanismes lents mais puissants d’enfouissement : matière organique piégée dans des sédiments, débris végétaux décomposés dans des sols pauvres en oxygène, déchets organiques enterrés. Ces milieux ralentissent fortement la dégradation du carbone, prolongeant sa rétention sur des décennies, voire des siècles.

Certains de ces processus sont naturels (ex. : les zones humides ou les lacs), d’autres induits par l’homme, notamment via les infrastructures hydrauliques.

Les auteurs identifient clairement les milieux aquatiques stagnants comme des acteurs majeurs du puits de carbone non vivant :
  • Les lacs : ils piègent des matières organiques dans leurs sédiments, surtout en zones froides et peu oxygénées. Les études récentes montrent un accroissement de ces enfouissements au cours du XXe siècle.
  • Les zones humides, notamment les tourbières et les marais côtiers, enfouissent environ 0,2 GtC/an, grâce à leurs sols saturés d’eau.
  • Les eaux intérieures en général (lacs, rivières lentes, étangs) contribuent à hauteur de ≈0,1 GtC/an d’enfouissement net.
Ces milieux transforment la matière organique mobile en carbone fixé, jouant ainsi un rôle écologique majeur dans le cycle du carbone. Parmi tous ces réservoirs, les réservoirs artificiels créés par des barrages jouent un rôle bien documenté :
  • Leur surface mondiale est immense, notamment à travers les grands barrages (plus de 470 000 km² selon la base GRanD).
  • Les conditions anoxiques au fond des réservoirs favorisent la préservation de la matière organique.
  • Les barrages perturbent le transport naturel des sédiments, concentrant le carbone en amont plutôt qu’en mer.
Les auteurs estiment que ces réservoirs enfouissent ≈0,1 ± 0,1 GtC/an, un chiffre comparable aux zones humides. Et ce chiffre monte encore si l’on inclut les petites retenues (étangs agricoles, mares) : on peut y ajouter ≈0,1 GtC/an supplémentaires.

Autrement dit, les réservoirs artificiels (grands ou petits) sont devenus, par effet collatéral de l’ingénierie humaine, des puits de carbone comparables à ceux de la nature. Mais attention : les auteurs rappellent que ces puits ne sont ni éternels, ni sans risque. Un changement d’usage des sols, la destruction de barrages ou une gestion inappropriée des déchets pourrait réactiver une partie du carbone enfoui. 

Discussion
Alors que certaines politiques de continuité écologique visent à effacer des plans d’eau artificiels — comme des étangs, des petites retenues ou des réservoirs issus de barrages — au nom de la restauration des cours d’eau, il est important de reconnaître leur rôle dans le cycle du carbone. 

L’étude de Bar-On et de ses collègues montre que ces eaux stagnantes contribuent significativement à l’enfouissement du carbone organique. Les supprimer sans discernement et sans compensation systématique par créations de zones humides à surface et fonctionnalité équivalentes pourrait donc réduire la capacité des milieux à stocker durablement du carbone, malgré des bénéfices écologiques ponctuels sur la biodiversité ou l’hydrologie. En outre, les ouvrages concernés ont souvent une capacité hydro-électrique bas-carbone : il y a un coût d'opportunité supplémentaire à les détruire plutôt que les équiper et décarboner ainsi l'énergie. 

Une évaluation fine et intégrée des services écosystémiques rendus par ces milieux ainsi qu'un bilan carbone de la continuité écologique à échelle des bassins sont donc indispensables pour mesurer le réel bilan coût-bénéfice.

Référence :Bar-On YM et al (2025), Recent gains in global terrestrial carbon stocks are mostly stored in nonliving pools,  Science,  387,   6740, 1291–1295. DOI: 10.1126/science.adk1637.

13/12/2024

Zones d’ombre dans la cartographie des rivières françaises (Messager et al 2024)

En France, des milliers de rivières et de ruisseaux échappent à la protection environnementale de la loi en raison d'une cartographie réglementaire lacunaire. Cette situation, révélée par Mathis Loïc Messager, Hervé Pella et Thibault Datry dans leur publication récente, met en lumière les incohérences administratives et territoriales ainsi que leurs conséquences écologiques. Elle montre aussi qu'il existe une construction sociale et politique permanente des paysages et des usages de l'eau, les divergences sur les définitions n'étant que le cas particulier d'une diversité plus générale des préférences et des attentes à l'œuvre dans la société. 


Etat actuel de la cartographie des cours d'eau en France métropolitaine, extrait de Messager et al , art cit.

L’article de Mathis Loïc Messager, Hervé Pella et Thibault Datry explore l’impact des cartographies réglementaires incohérentes sur la protection des rivières et des cours d’eau. Prenant la France comme étude de cas, les auteurs montrent comment l’application variable de la définition légale des cours d’eau peut menacer les écosystèmes aquatiques et les services qu’ils fournissent. Ils expliquent que la protection des cours d'eau repose sur des critères juridiques définis nationalement mais appliqués de manière décentralisée, entraînant une protection inégale.

La protection des cours d’eau en France dépend de leur reconnaissance légale, qui repose sur trois critères majeurs selon le code de l'environnement (article L215-7-1) :
  • Présence d’un lit d'origine naturelle : un cours d’eau doit avoir un lit visible, même s'il a été modifié par l'homme.
  • Alimentation par une source autre que les précipitations : les cours d’eau doivent être alimentés par des sources permanentes, comme des sources souterraines ou des ruisseaux voisins.
  • Débit suffisant la majeure partie de l’année : le débit peut être intermittent, mais doit être à cycle assez régulier selon les conditions locales (à la différence d'un débit éphémère n'apparaissant qu'aléatoirement, par exemple).
La décision de cartographier les cours d’eau repose sur une directive nationale de 2015, qui impose aux départements français de créer des cartes détaillées en collaboration avec des parties prenantes locales, notamment les agriculteurs, les associations environnementales et les collectivités. Chaque département devait appliquer les critères juridiques pour différencier les cours d'eau des fossés ou canaux. Cependant, le manque de normes uniformes a entraîné des interprétations divergentes selon les ressources et les priorités locales.

Les chercheurs ont compilé et harmonisé les cartes réglementaires fournies par 91 départements français. Ils ont utilisé les bases de données hydrographiques nationales (BD TOPO et BD Carthage) pour comparer les segments protégés, observant qu'aucune base de données actuelle n'est complète. Ils ont consolidé 139 catégories administratives initiales en cinq classes standardisées : cours d'eau, non-cours d'eau, non catégorisé, inexistant et hors du département. Cette harmonisation a permis de créer une carte nationale uniforme. Chaque segment a été classé selon son statut légal et son type (cours d'eau ou non-cours d'eau). Les chercheurs ont calculé le ratio de densité de drainage (RDD), représentant la longueur totale des cours d'eau classés rapportée à la longueur totale des segments potentiellement classables selon la BD TOPO.

Les modèles statistiques ont été utilisés pour examiner les corrélations entre le RDD et des variables socio-environnementales telles que la couverture agricole, l’aridité estivale et la densité de population. Une analyse comparative inter-départements a permis de mieux comprendre les disparités.


Disparité départementale des choix de classement, extrait de Messager et al, art cit. 

Voici les principaux résultats :
  • Environ 680 000 km de segments hydrographiques ont été évalués (93 % de la France métropolitaine, 2,2 millions de segments).
  • 25 % des segments ont été exclus de la protection selon les cartes départementales, soit environ 170 000 km de cours d'eau potentiellement non protégés.
  • 59 % des segments exclus sont des cours d'eau intermittents, 42 % des cours d'eau de tête de bassin (premier ordre), représentent pourtant dans certains caq doubés d'une éude de terrain des écosystèmes utiles à la biodiversité, à la filtration de l'eau, à la réduction des crues et aux habitats aquatiques.
  • Les disparités sont importantes : certains départements protègent presque tout le réseau hydrographique et ont classé davantage que la BD TOPO, tandis que d'autres excluent plus de 50 % des segments potentiels.
  • Une corrélation négative existe entre le RDD et la couverture agricole intensive. Les départements dominés par l’agriculture montrent des cartes plus restrictives, mais avec de fortes disparités montrant surtout l'absence de cohérence nationale dans la démarche.
  • L’aridité estivale accentue cette tendance à la faible cartographie, en raison de la difficulté à observer des cours d'eau intermittents.
Les auteurs développent le concept du "cycle hydro-social", qui décrit l'interaction continue entre les sociétés humaines et les systèmes hydrologiques. Selon cette perspective, l’eau n’est pas seulement un élément naturel, mais un objet social façonné par des processus historiques, politiques et culturels. Les rivières et les cours d'eau sont modifiés au fil du temps par les activités humaines, comme le détournement des eaux, la construction de barrages ou l’intensification agricole.

La cartographie des cours d’eau est ainsi perçue comme un acte social et politique. Les cartes officielles cristallisent une certaine vision du paysage aquatique, qui peut refléter des rapports de pouvoir asymétriques. Les décisions sur ce qui est considéré comme un cours d’eau protégé sont influencées par des intérêts économiques, des pratiques culturelles et des politiques publiques. Par exemple, exclure un cours d’eau d'une carte réglementaire peut faciliter son exploitation, tout en masquant son existence écologique et son utilité sociale.

Les auteurs montrent que cette dynamique est particulièrement visible dans le processus de cartographie français, où les conflits d'intérêts entre agriculteurs, administrations et associations environnementales façonnent les résultats finaux. Cette interaction perpétuelle entre les représentations cartographiques et les réalités hydrologiques illustre  le concept du cycle hydro-social.


Le cycle hydro-social vu par les auteurs.

Discussion
Il nous semble important de distinguer deux aspects liés à la gestion des cours d'eau : s'accorder sur la typologie et s'accorder sur les conséquences normatives de cette typologie. S'accorder sur la typologie implique de définir clairement ce qui constitue un cours d'eau (et d'autres hydrosystèmes), selon des critères écologiques, hydrologiques, usagers et administratifs. Cette étape repose sur une base scientifique et technique permettant d'unifier les définitions. S'accorder sur les conséquences normatives signifie déterminer les droits, obligations et restrictions associés à chaque catégorie définie dans la typologie. Cela inclut les protections environnementales, les contraintes d'aménagement, les responsabilités légales et les capacités d'action.  

Car un aspect incontournable du sujet traité par Thibault Datry et ses collègues est la conflictualité sous-jacente  des normes écologiques, particulièrement marquée en milieu rural. Ce sujet a refait surface récemment dans l'actualité, mais il est récurrent dans l'histoire des politiques environnementales. A la différence d'un territoire urbain déjà quasi totalement artificialisé, les territoires ruraux disposent d'une richesse en milieux quasi-naturels et semi-naturels, mais subissent aussi une pression d’exploitation agricole, forestière, industrielle, récréative ou urbanistique de ces espaces. Cela crée des tensions entre conservation écologique et usages socio-économiques, cristallisées dans des régulations environnementales perçues comme contraignantes par une partie des locaux, nécessaires pour une autre partie. L’incapacité à s’accorder sur la typologie des cours d’eau découle le plus souvent d’un refus d’accepter les conséquences normatives liées à certaines classifications. Un cours d’eau classé comme tel entraîne des restrictions sur les pratiques agricoles, des limitations d’aménagement, des coûts supplémentaires d'entretien et de mise en conformité. Ces implications peuvent expliquer la résistance à intégrer certaines zones dans les catégories réglementées, même lorsqu’un consensus technique et scientifique existe sur la catégorisation.

Autre point  à souligner : l’acceptation d’une certaine complexité est nécessaire pour une gestion réaliste des cours d’eau et, plus généralement, des segments hydrographiques. Chercher à simplifier à outrance la typologie avec le choix cours d'eau / non cours d'eau comme seule information peut mener à des omissions importantes et à une perte de précision écologique. En outre, une gestion différencié peut alléger la complexité normative et procédurale dans certains cas, donc dépasser des résistances tenant à la crainte de créer des zones intouchables rendant l'exploitation ou l'entretien trop complexes. On peut imaginer qu'un cours d'eau intermittent et un cours d'eau permanent n'impliquent pas les mêmes obligations, par exemple. De plus, l’intégration des drains artificiels tels que les canaux, biefs, fossés et autres infrastructures hydrauliques serait nécessaire. Bien qu’ils soient souvent exclus des cartes réglementaires, ces structures jouent un rôle  dans la gestion des flux hydriques, la prévention des inondations, l'épuration de certains intrants et la régulation des niveaux d’eau. Ils participent également à la connectivité écologique, servant parfois de corridors pour la faune aquatique, et sont des ressources pour la faune / flore terrestre. 

Ainsi, une approche globale nécessiterait de considérer à la fois les systèmes naturels et artificiels, la complexité interne de chacun de ces systèmes, en reconnaissant leurs interconnexions et leurs contributions au réseau hydrographique. Cette approche globale devrait ensuite intégrer, au même niveau que les informations écologiques, les informations symboliques, sociales et économiques tenant aux perceptions et usages de l'eau dans le bassin versant. Ensuite seulement des débats politiques peuvent prioriser les enjeux dans des normes et des procédures, chaque partie prenante acceptant le même niveau d'information comme base de la discussion. 

Référence : Messager M L, Pella H, Datry T (2024), Inconsistent regulatory mapping quietly threatens rivers and streams, Environmental Science & Technology, 58, 17201-17214.

Version française sous forme de rapport rédigé par les auteurs : Messager, M. L., Pella, H., & Datry, T. (2024). Une cartographie réglementaire incohérente menace les rivières et les ruisseaux français. Environmental Science & Technology 

01/12/2024

La continuité écologique des rivières face à ses incertitudes et controverses (Alp et al 2024)

Fruit d’un travail interdisciplinaire mobilisant 19 universitaires, une nouvelle étude explore les défis scientifiques, sociaux et politiques de la restauration de la continuité écologique des cours d’eau en France, tout en proposant une démarche stratégique adaptée aux spécificités locales. Une synthèse très intéressante car elle ne contourne pas les problèmes réels et incertitudes fortes de la continuité écologique. Mais une synthèse  ne tirant pas selon nous toutes les conséquences des critiques qu'elle émet.


Les différentes dimensions de la continuité, image extraite de Alp 2024, art.cit.

La recherche de Maria Alp et de ses collègues rappelle que les projets de restauration de la continuité écologique des cours d’eau rencontrent de nombreux obstacles et attirent de nombreuses critiques. Ainsi, les conflits d’usages et de valeurs émergent fréquemment, notamment autour de la suppression d’ouvrages tels que moulins ou étangs, qui possèdent une forte valeur patrimoniale ou jouent un rôle dans la création de nouveaux écosystèmes locaux. Les riverains ont en ce cas des préférences et priorités alternatives à celles des gestionnaires de l'écologie : "Certains acteurs questionnent la pertinence de la politique publique visant à effacer les ouvrages qui contribuent à l’interruption de la continuité des cours d’eau." Ces tensions sont renforcées par un cadre réglementaire complexe et parfois contradictoire. Par exemple, "la réglementation encourage à la fois la restauration de la continuité écologique et la production d’une énergie hydroélectrique renouvelable". En parallèle, l’approche descendante et technocratique des projets, souvent imposés sans réelle concertation locale (et surtout sans donner la prime à l'initiative locale vraiment portée par des acteurs, comme le préfèrent certains pays, dont les Etats-Unis), suscite des résistances et des incompréhensions : "la politique de restauration de la continuité écologique appliquée en France depuis les années 2000 s'est construite selon une approche majoritairement descendante (top-down en anglais). La restauration est prise en charge par l'État, qui fixe les objectifs et les modes d'action au titre de l'intérêt général (le « paradigme du gouvernement » ; Mermet, 2020)." La disproportion des ambitions et des moyens conduit aussi à des choix bâclés : les défis de financement, les contraintes de calendrier et le manque de communication constante entre les parties prenantes compliquent davantage la situation.

En outre, la rupture de continuité écologique est une pression parmi d'autres (prélèvements, pollutions, réchauffement, espèces exotiques, etc.), dont la part relative dans la baisse de biodiversité ou dans l'altération de fonctions écosystémiques est difficile à quantifier. Et les effets des ouvrages concernés sont parfois ambivalents. Par exemple, un plan d'eau peut être une zone favorable au développement d'espèces invasives mais un obstacle peut aussi être un frein à la colonisation du bassin par ces espèces. De même, les écosystèmes artificiels des plans d'eau ou des canaux n'atteignent pas le niveau de biodiversité d'un milieu non humanisé, mais dans un contexte globalement dégradé et simplifié propre à l'Anthropocène, ils peuvent néanmoins avoir des intérêts de conservation écologique. 

A la différence de certains gestionnaires tenant parfois un discours de certitude, les chercheurs sont donc obligés d'admettre que les connaissances restent lacunaires, ce qui implique toute une chaîne d'incertitudes : 
"- Les incertitudes scientifiques relevant des connaissances fondamentales encore incomplètes sur les processus biophysiques et sociaux ;
- Les incertitudes techniques liées aux limites des mesures possibles techniquement pour quantifier les réponses physiques et biologiques (avec un cumul d’incertitudes associées aux données provenant de différentes disciplines et intégrées dans les modèles) ;
- Les incertitudes associées aux processus stochastiques que nous ne pouvons ni prédire avec exactitude ni contrôler, mais dont nous pouvons parfois estimer la probabilité d'occurrence, comme la variabilité hydro-climatique au niveau local ou à plus large échelle ;
- Les incertitudes liées aux modalités de réaction des socio-écosystèmes impactés puis restaurés."

Les auteurs pointent également que la recherche travaille peu sur les cas négatifs, c'est-à-dire les échecs: "Un autre défi pour la communauté scientifique serait de mieux documenter les échecs des projets de restauration qui sont nombreux mais beaucoup moins visibles dans la littérature scientifique." Or, cette absence de retour sur les échecs nuit à l'amélioration des pratiques de restauration et à la compréhension du fonctionnement des bassins versants. Il nuit aussi à l'image de la recherche scientifique, qui est censée être indépendante des choix de politiques publiques, donc critiquer librement ces choix quand les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Dix points de vigilance sont finalement identifiés par les chercheurs pour assurer une bonne restauration de la continuité écologique des cours d'eau:
  • Trajectoire historique (PV1) : intégrer les connaissances historiques sur les usages, métamorphoses fluviales, et trajectoire politique pour comprendre les causes des changements.
  • Périmètre et priorités (PV2) : délimiter le périmètre territorial et hiérarchiser les sites d'action en fonction des enjeux prioritaires​.
  • Co-construction (PV3) : impliquer les acteurs locaux dès le début pour assurer une prise de décision concertée et partagée​.
  • Objectifs clairs (PV4) : définir des objectifs précis, mesurables et adaptés au contexte local pour guider les actions de restauration​.
  • Diagnostic systémique (PV5) : réaliser un diagnostic global des dimensions biophysiques, sociales, politiques et économiques à des échelles spatiales et temporelles appropriées​.
  • Incertitudes et risques (PV6) : reconnaître et intégrer les incertitudes et risques dans le processus de décision​.
  • Suivi à long terme (PV7) : assurer des suivis avant et après les travaux pour évaluer les effets en fonction des objectifs.
  • Standardisation des méthodes (PV8) : utiliser des protocoles standardisés pour les suivis afin de garantir la comparabilité des résultats​.
  • Calendrier adapté (PV9) : planifier les travaux en tenant compte de la saisonnalité écologique et des contextes socio-politiques​.
  • Communication continue (PV10) : maintenir un dialogue clair et régulier avec les parties prenantes et le public tout au long du projet​.

Discussion
Il s'est écoulé un quart de siècle depuis l'introduction du concept de "continuité hydrographique" dans une annexe de la directive cadre européenne sur l'eau (2000), près de 20 ans depuis la mise en avant de ce choix dans le concept de "continuité écologique" glissé dans la loi française sur l'eau et les milieux aquatiques (2006). Cette idée de continuité avait déjà une histoire plus ancienne en recherche (voir cet article). La synthèse de Maria Alp et de ses collègues met en lumière la difficulté de mise en œuvre de cette politique, dont la France a été sinon la pionnière en Europe, du moins le pays où l'ensemble de la puissance publique a mis le maximum d'efforts pour imposer un agenda de restauration de continuité. Les nombreux problèmes rencontrés en France n'ont pas empêché l'Union européenne d'adopter en 2024 (avec quelques difficultés) une règlementation de "restauration de la nature" qui s'inspire de l'objectif de démantèlement d'ouvrages, même si le périmètre de ce texte européen est finalement peu ambitieux (ou plus réaliste) par rapport aux choix français (25 000 km de rivières à restaurer dans toute l'Union versus le même linéaire classé dans notre seul pays).  

Si cet article de recherche a le mérite de faire l'état des lieux et de pointer les carences de la restauration de continuité écologique en France, tout en suggérant des pistes de changement ayant tout à fait notre soutien, il n'en présente pas moins diverses limites.

Dans la manière de présenter la question des ouvrages, les auteurs nous semblent minorer l'importance de certains travaux sur la biodiversité des milieux artificiels ou semi-naturels ainsi que  sur les services écosystémiques associés à ces milieux (dont la dépollution, assez bien documentée mais à peine survolée dans l'article, ou encore la régulation des crues et sécheresses, un des motifs d'existence des ouvrages). La qualification de l'effet d'un ouvrage transversal comme apparition d'un tronçon "lentique" semble aussi décalée des connaissances sur les dynamiques plus complexes à l'oeuvre quand le régime d'écoulement change (vers un style davantage semi-lotique, ou de transition). On pourrait également regretter que la continuité temporelle de l'écoulement, 4e dimension du concept, ne soit pas vraiment traitée, alors que le sujet a une certaine importance dans le double contexte d'une pression sur les demandes de prélèvement et de forts changements attendus du fait du réchauffement climatique. 

De même, il y a bel et bien depuis 15 ans des travaux d'hydro-écologie quantitative qui essaient de pondérer l'importance des impacts sur les milieux selon les indicateurs biologiques retenus par la règlementation : la plupart sinon la totalité de ces travaux concluent que les changements d'usages des sols du lit majeur et les pollutions sont un facteur bien plus important que la fragmentation, en particulier longitudinale. Celle-ci affecte assurément des espèces spécialisées et ayant besoin de migration à longue distance, mais le tableau est nettement moins clair pour la grande majorité des espèces aquatiques, amphibies et rivulaires n'ayant pas ce besoin particulier dans leur cycle de vie. En outre, il n'y a pas de hiérarchisation entre des analyses sur l'effet local des obstacles à l'écoulement (qui créent un habitat différent, donc avec des variations observées dans de nombreuses monographies) et des analyses en terme d'équilibre physique, chimique, biologique du bassin versant (permettant de dire si ces variations locales liées aux ouvrages sont importantes ou négligeables, notamment en impact sur la diversité biologique de type bêta et gamma d'un bassin versant). Trouver une différence locale avant / après une construction ou un effacement d'ouvrage est presque un truisme : mais évaluer si cela fait la différence par rapport à la diversité biologique (ou à la dynamique sédimentaire) déjà présente dans un bassin est censé être l'objectif réel des politiques publiques concernées. Or ce point est généralement inconnu, ce qui est ennuyeux pour une politique se disant fondée sur la science et sur la preuve. 

Enfin, et plus essentiellement peut-être, l'article de Maria Alp et de ses collègues évite ce qui devrait être selon nous le premier point de vigilance : assumer pleinement et non superficiellement les conséquences d'une définition de la nature comme construction sociale et politique. Ou d'une définition du milieu comme "hybride" social et écologique. En tant qu'acteur associatif, nous anticipons que les points de vigilance des auteurs risquent (en France) d'être interprétés par l'acteur public en charge de la restauration écologique comme un simple besoin d'accompagnent et de pédagogie d'une politique toujours posée comme indiscutable dans ses finalités comme indiscutée dans ses fondements. On fera peut-être l'effort de dire qu'il y a des patrimoines et des usages de l'eau, mais sans voir ces patrimoines et usages comme des forces actives du bassin versant au même titre que d'autres – juste des "impacts" à minimiser ou supprimer. 

Or, si la recherche met en évidence que les milieux de l'Anthropocène sont composés de "socio-écosystèmes" où l'influence humaine a été et sera toujours inextricablement combinée à des facteurs non-humains, alors il ne s'agit plus de "restaurer" un état ancien et perdu des rivières et de leurs lits majeurs, mais d'"instaurer" des états futurs en fonction des réalités et des attentes propres à chaque bassin. Ces états futurs auront peut-être (sans doute) une dimension importante de continuité hydrographique... mais peut-être pas : il n'existe plus une vision préconçue et valable pour tout territoire de ce que doit être la "nature" si celle-ci co-évolue selon nos choix hier, aujourd'hui et demain. La continuité ne peut pas se justifier par une tautologie où le simple écart d'une nature théorique sans humain et d'une nature effective avec humain deviendrait un motif suffisant pour supprimer cet écart. Encore faut-il que la société y trouve du sens, de la valeur et de l'intérêt. Car c'est bien ainsi que les eaux et les hommes évoluent ensemble depuis quelques milliers de générations.

Référence : Alp M et al (2024). Restaurer la continuité écologique des cours d’eau : que sait-on et comment passer collectivement à l’action ? VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, 24(2). 

02/11/2024

Démantèlement d’un barrage en Pologne : les choix des autorités environnementales face aux attentes de la population (Habel et al 2024)

Lorsque les autorités polonaises ont décidé de démanteler le barrage de Wilkówka, la population locale s’est sentie exclue du processus. Attachés aux services que l’infrastructure aurait pu offrir, les habitants expriment leur frustration. Une étude universitaire offre un éclairage sur ce choc entre vision environnementale des autorités gestionnaires et aspirations communautaires des populations locales.


Photo de la démolition du barrage, droits réservés, source

L’étude de Michał Habel et de ses collègues explore les perspectives communautaires sur les impacts environnementaux et sociaux liés au premier démantèlement d'un barrage en Pologne, le barrage de Wilkówka. Cet article repose sur des enquêtes auprès de la population locale et des parties prenantes pour analyser les changements perçus des services écosystémiques et la dynamique sociale autour de cette décision controversée. 

Le barrage de Wilkówka était situé dans les Carpates occidentales polonaises, précisément sur le ruisseau Wilkówka, un affluent de la rivière Biała qui se jette dans la Vistule. Construit entre 2009 et 2012, ce barrage en remblai mesurait 10,2 mètres de haut et 106 mètres de long. Son réservoir avait une capacité de 26 500 m³ et avait pour but principal de fournir une régulation des crues et un approvisionnement en eau à la communauté locale. Cependant, dès sa mise en service, de multiples défauts techniques ont empêché son fonctionnement optimal, notamment une instabilité causée par des problèmes de drainage qui ont empêché le remplissage complet du réservoir. Après plusieurs tentatives infructueuses de réparation, les autorités ont décidé de démanteler le barrage, une opération qui s'est déroulée de novembre 2021 à mars 2022.

Dans un premier temps, l’étude souligne que la décision de démanteler le barrage de Wilkówka a suscité un mécontentement général parmi les habitants locaux. En effet, 92 % des répondants ont estimé que cette décision avait été prise sans consultation suffisante, tandis que 62 % ont exprimé leur opposition au démantèlement. Bien que le barrage n’ait jamais pleinement fonctionné en raison de défauts techniques découverts peu après sa construction, les résidents ont développé un attachement rapide à ses services perçus, tels que l’approvisionnement en eau, la régulation des crues et sa valeur symbolique en tant qu’investissement dans la communauté.

L’analyse quantitative montre que 48 % des habitants considéraient l'approvisionnement en eau comme le service le plus important offert par le barrage, tandis que 31 % l'associaient à la protection contre les inondations. De plus, les activités de loisirs autour du réservoir, bien que limitées par l’état partiel de remplissage du réservoir, ont également été perçues comme un atout. Toutefois, la défaillance technique du barrage et le risque d’une catastrophe environnementale étaient des préoccupations majeures pour les autorités nationales et régionales, qui ont jugé nécessaire son démantèlement.

Malgré ces justifications techniques, la communauté locale a exprimé des attentes élevées quant aux services hydrologiques que le barrage aurait pu fournir. Ainsi, l’étude révèle un écart entre les perceptions locales et les décisions administratives : les résidents espéraient que le barrage pourrait être réparé ou reconstruit pour répondre aux besoins en eau et en protection contre les crues, même en dépit des risques environnementaux potentiels. 

Un défaut de gouvernance a aussi été manifeste : "La décision de démanteler le barrage n'a pas fait l'objet de consultation publique. Aucune solution alternative n'a été présentée au public, et toutes les parties prenantes impliquées dans le processus de démantèlement étaient exclusivement des agences au niveau national."

Un autre point crucial de cette étude est la mise en lumière des conséquences anticipées du démantèlement du barrage sur les services écosystémiques. La majorité des répondants (69,3 %) craignaient une diminution de la capacité d'approvisionnement en eau après le démantèlement, tandis que 64,5 % redoutaient une dégradation des services de régulation, notamment la protection contre les crues. De même, plus de 60 % des répondants estimaient que l’esthétique du paysage et le potentiel récréatif de la région en pâtiraient.

En termes d'impact environnemental, les résultats révèlent que la communauté locale ne possédait pas une conscience écologique élevée, les services de soutien tels que la biodiversité et les habitats naturels étant considérés comme moins importants. Les services de régulation, tels que la qualité de l'eau et la régulation du microclimat, n'étaient également pas perçus comme significativement affectés par la construction ou la démolition du barrage.

Discussion
Cette étude illustre les tensions entre les objectifs techniques et environnementaux d’un projet de démantèlement de barrage et les perceptions sociales locales. Les résultats mettent en avant la nécessité d’inclure plus activement les communautés locales dans les processus décisionnels pour des projets similaires, afin de mieux concilier les attentes sociales et les impératifs écologiques ou sécuritiares. Le cas du barrage de Wilkówka démontre comment une infrastructure, même imparfaite, peut rapidement s’insérer dans le tissu socio-économique local, créant des attentes et des résistances face au changement. Nous avons ici le cas extrême d'un barrage récent et ayant un défaut technique de conception, mais il est évident que l'attachement social, usager et paysager est plus fort avec des infrastructures en place depuis des décennies, voire des siècles. 

Au-delà d'une meilleure prise en compte des populations, il s'agit aussi de diversifier l'expertise scientifique qui inspire les décideurs : les facteurs sociaux, culturels et économiques sont partie intégrante de la vision démocratique de l'eau, au même titre que les facteurs biologiques, physiques ou chimiques. Seule une approche multidimensionnelle permet d'exprimer tout ce que des citoyens attendent, et d'opter pour la décision la plus approchante d'un intérêt général au niveau du bassin versant. 

Référence  : Habel M et al(2024), Dammed context: Community perspectives on ecosystem service changes following Poland's first dam removal, Land Degradation & Development, 35(6), 2184–2200. 

24/10/2024

Repenser l'effet environnemental des étangs par une approche géographique intégrée (Touchart et Bartout 2024)

Parfois perçus comme perturbateurs des écosystèmes fluviaux, les étangs sont aujourd'hui réévalués sous un nouveau prisme. Dans leur étude du Grand Étang de Cieux, Laurent Touchart et Pascal Bartout proposent de dépasser l'approche classique de l'impact thermique pour analyser ces plans d'eau comme des réalités à part entière, intégrées aux réseaux hydrographiques. En introduisant des méthodes novatrices, ils offrent une vision plus nuancée et complète des interactions entre étangs et cours d'eau.

Les auteurs de cet article, Laurent Touchart et Pascal Bartout, sont affiliés au laboratoire CEDETE, département de géographie à l'Université d'Orléans. Ils proposent une approche géographique innovante pour évaluer l'impact thermique des plans d'eau, en prenant comme terrain d'étude le Grand Étang de Cieux, situé en Haute-Vienne (France). Cet étang de grande taille (40 hectares) se situe dans la région du Limousin, une zone particulièrement riche en plans d'eau artificiels, avec plus de 14 677 étangs dans les trois départements de la Haute-Vienne, Corrèze et Creuse. Le plan d'eau est alimenté par quatre tributaires qui se déversent ensuite dans la rivière Vergogne. Les auteurs soulignent l'importance de comprendre les interactions complexes entre les étangs et leur environnement.


L'hydrosystème étudié par les auteurs, extrait de l'article.

Pour analyser les effets thermiques de l’étang, les chercheurs ont utilisé un vaste réseau de thermomètres, installés sur les tributaires, à l'intérieur du plan d'eau et à sa sortie. Ces thermomètres ont collecté un total de 536 552 mesures de température, prises sur une période de plusieurs années, ce qui a permis de créer une base de données unique en son genre pour suivre l’évolution thermique à l’intérieur et à l’extérieur de l’étang. Ils ont appliqué deux nouvelles méthodes pour mesurer l'impact : la pondération des températures des affluents et l'utilisation d'un gradient thermique pour modéliser l'évolution de la température du cours d'eau en l'absence de l’étang.

Les résultats montrent que l’étang réchauffe les eaux en aval, mais de manière plus nuancée que les évaluations classiques. Selon la première méthode, le Grand Étang augmente la température moyenne annuelle de 1,8°C, avec un pic de plus de 4°C pendant l’été. Les auteurs soulignent que ces augmentations sont dues à une modification du régime thermique, en particulier par la réduction de l'amplitude diurne des températures, un effet typique des grands plans d’eau. En revanche, la méthode du gradient thermique montre que jusqu'à un tiers de ce réchauffement serait dû à des facteurs naturels, comme l'évolution spontanée du gradient des cours d'eau d'amont vers l'aval, indépendamment de la présence de l’étang.

Une partie essentielle de la réflexion des auteurs repose sur l’analyse critique du concept d'impact environnemental. Ils argumentent que les étangs sont souvent perçus comme des perturbateurs de l’écosystème naturel, et donc évalués de manière biaisée. En réintroduisant une approche géographique qui prend en compte non seulement l’impact direct des étangs, mais aussi leur rôle dans la dynamique des paysages et des systèmes hydrologiques, ils invitent à repenser ces écosystèmes comme des réalités autonomes et non comme des anomalies à corriger. Ainsi notent-ils : «il s'agirait de penser différemment les problèmes d'impact environnemental, non seulement en prenant plus en compte la question spatiale, mais aussi en ne la compartimentant pas, en n'opposant pas les eaux courantes et dormantes. Cela demanderait de ne plus considérer le plan d'eau comme exclusivement une rupture de cours d'eau, mais comme un limnosystème intégré à l'ensemble du réseau hydrographique.»

Cette étude conclut en proposant que, plutôt que d'être simplement considérés comme des sources d'impact négatif, les étangs devraient être étudiés comme des éléments intégrés et parfois bénéfiques des paysages hydrologiques. Ils démontrent qu’une partie du réchauffement des eaux est en réalité naturelle et qu’il est nécessaire de mieux comprendre les interactions multiples qui régissent ces systèmes complexes.

10/10/2024

L'Indice Planète Vivante surestime-t-il l'effondrement des vertébrés ? (Toszogyova et al 2024)

Tous les médias reprennent en ce moment le nouveau chiffre de l'Indice Planète Vivante (LPI pour Living Planet Index), du WWF, devenu un indicateur phare de l'état de la biodiversité mondiale : un déclin de 73 % de l’abondance des populations de vertébrés sauvages en 50 ans. Mais ce chiffre simple serait-il en réalité trompeur ? Dans un article de recherche, Anna Toszogyova et ses collègues dénoncent les biais méthodologiques qui faussent les résultats de cet indice en surestimant les déclins de population de vertébrés. En analysant chaque étape du calcul, ils démontrent que les tendances globales de biodiversité pourraient être bien moins dramatiques qu'annoncé. Ce travail fait suite à d’autres recherches ayant déjà pointé les faiblesses de l’Indice Planète Vivante. Quelques réflexions à ce sujet.


Dans leur recherche,  Anna Toszogyova, Jan Smyčka, et David Storch, publié dans Nature Communications, examine les biais mathématiques dans le calcul de l'Indice Planète Vivante (LPI). Les auteurs y argumentent que certaines méthodologies utilisées pour calculer le LPI provoquent une surestimation des déclins des populations de vertébrés. Voici un résumé des principaux arguments développés dans l'article.

L'Indice Planète Vivante (LPI) est largement utilisé pour estimer les tendances des populations de vertébrés à travers le monde. Il a notamment été adopté par la Convention sur la diversité biologique et par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) pour suivre l'évolution de la biodiversité mondiale. L'indice, publié tous les deux ans, indique que les populations de vertébrés ont diminué de 69 % en moyenne au cours des 50 dernières années dans sa version de 2022 (et de 73% dans sa version de 2024). Cependant, les auteurs soulignent que cette estimation contraste fortement avec d'autres études basées sur les mêmes données, lesquelles montrent une stabilité des populations, avec des augmentations et des déclins qui s'équilibrent. Cela suggère que le LPI pourrait être biaisé et ne pas représenter fidèlement l'état actuel de la biodiversité.

Les auteurs identifient plusieurs biais méthodologiques susceptibles d'induire en erreur. L'un des principaux biais concerne la procédure de pondération des tendances de population par la richesse spécifique des groupes taxonomiques et des régions géographiques. Cette pondération, destinée à ajuster la représentation des espèces, entraîne une surestimation du déclin global. Par exemple, l'indice pondéré par la richesse spécifique montre un déclin 38 % plus important que la version non pondérée. De plus, l'inclusion de séries temporelles très courtes ou de populations qui ne représentent qu'un seul individu dans une région ou un groupe taxonomique accentue cette tendance au déclin apparent.

L'article démontre que le LPI est particulièrement sensible à la présence de quelques populations en déclin extrême. La suppression de moins de 3 % des populations les plus déclinantes inverserait la tendance globale de l'indice, passant d'un déclin à une augmentation globale. Par exemple, «  une seule population de vipère Vipera berus, représentant tout le taxon des herptiles dans le Paléarctique pour la période 1974-1977, a provoqué une diminution de 89,5 % de l'indice pour cette région. » Cela illustre la vulnérabilité de l’indice à de telles fluctuations extrêmes.

Les séries temporelles comportant peu de points de mesure sont plus susceptibles de contenir des erreurs de mesure, ce qui biaise les résultats. Le LPI utilise des séries avec seulement deux points de données par population, ce qui réduit l’exactitude de l'indice et peut provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances. Les séries temporelles courtes ne peuvent pas capturer fidèlement les fluctuations des populations, et leur inclusion fausse l’indice : « Les séries temporelles comprenant moins de cinq enregistrements conduisent à une diminution de l’indice de 14,3 %, suggérant que l’utilisation de séries temporelles courtes est un facteur clé de la surestimation du déclin »

Un autre biais significatif identifié concerne la gestion des valeurs nulles (zéros) dans les séries temporelles de populations. Pour contourner le problème de division par zéro, le LPI remplace ces valeurs par un très petit nombre, ce qui altère les ratios de croissance interannuelle calculés. La suppression des zéros dans les séries temporelles réduit le déclin apparent de l’indice global de 19,2 %. L’article argue que le traitement des zéros nécessite une approche distincte, car leur inclusion dans le calcul de l’indice fausse les conclusions concernant la stabilité des populations.

Les auteurs proposent des modifications pour améliorer la fiabilité de l'indice, telles que l'exclusion des séries temporelles courtes ou celles contenant des zéros, et la suppression des pondérations. Ils recommandent également d'accompagner le LPI d'une analyse séparée des dynamiques de colonisation et d'extinction des populations pour obtenir un tableau plus équilibré de la biodiversité.

En conclusion, les auteurs montrent que le LPI actuel surestime le déclin des populations de vertébrés en raison de biais méthodologiques et de données incomplètes. Bien qu'ils ne remettent pas en question l'importance du suivi de la biodiversité ni l'existence de son déclin, ils insistent sur la nécessité de revoir les calculs du LPI pour éviter de tirer des conclusions erronées sur l'état de la nature. Ils suggèrent que des ajustements méthodologiques pourraient conduire à un LPI plus fiable, révélant des tendances moins alarmistes mais plus précises des populations vertébrées mondiales.

Discussion
Si le déclin de la biodiversité globale en raison de l’expansion des activités humaines ne fait guère débat, la bonne représentation de ce phénomène dans le débat public est nécessaire. Un chiffre trompeur peut être de nature à démobiliser. Or il existe aussi des critiques antérieures adressées à l'Indice Planète Vivante, avec plusieurs travaux qui ont mis en évidence des problèmes méthodologiques et de biais dans son calcul. Ces critiques antérieures fournissent un cadre important pour comprendre les points faibles de l'indice et la révision méthodologique proposée par Toszogyova et ses collègues dans leur  article.

Buschke et al. (2021) ont montré que le LPI est biaisé par une asymétrie fondamentale dans son calcul. Dans leurs simulations, ils ont constaté que des populations fluctuantes de manière aléatoire, mais symétrique par rapport à leur point de départ, généraient un LPI en déclin. Cela indique que même en l'absence de changement de population, le LPI tend à diminuer. Ce biais résulterait de la méthode de calcul des tendances de population.

Puurtinen et al. (2022) ont critiqué l'utilisation de la moyenne géométrique pour l’agrégation des tendances des populations. Ils ont argué que l’utilisation de cette moyenne conduit à un déclin systématique de l'indice, car les augmentations et les diminutions de population ne sont pas équilibrées sur une échelle arithmétique.

Wauchope et al. (2019) et Hébert et Gravel (2023) ont montré que l’erreur d’échantillonnage dans les séries temporelles courtes et la variabilité due à des facteurs environnementaux peuvent provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances de population. Ces erreurs d’échantillonnage ont tendance à biaiser l’indice vers un déclin même lorsque les populations sont stables.

Fournier et al. (2019) ont mis en lumière un biais de sélection des populations étudiées dans le LPI. Ils ont constaté que les populations stables ou croissantes sont souvent sous-représentées dans les bases de données, ce qui peut entraîner une surestimation des déclins globaux.

Leung et al. (2020) ont montré que la pondération des régions géographiques et des taxons dans le calcul du LPI peut engendrer une surestimation des déclins, car certaines régions riches en espèces, comme les tropiques, exercent une influence disproportionnée sur l'indice global.
 
Si des manières alarmistes de vulgariser l'érosion de la biodiversité ont le mérite d'éveiller l'attention de certaines franges du public, elles ont aussi des défauts : développement d'un scepticisme sur la science en général et sur les sujets écologiques en particulier, risque de découragement si les efforts pour la biodiversité ne reconnaissent pas la hausse de certaines populations et la renaissance de certaines espèces. Il faudrait donc trouver des manières plus équilibrées de présenter les tendances des populations et les difficultés méthodologiques d'estimation de ces tendances.

Référence
Toszogyova A et al (2024), Mathematical biases in the calculation of the Living Planet Index lead to overestimation of vertebrate population decline, Nature Communications, 15(5295). doi: 10.1038/s41467-024-49070-x.

Références antérieures citées
Buschke, F. T., Hagan, J. G., Santini, L., & Coetzee, B. W. T. (2021). Random population fluctuations bias the Living Planet Index. Nature Ecology & Evolution, 5, 1145-1152.
Fournier, A. M. V., White, E. R., & Heard, S. B. (2019). Site-selection bias and apparent population declines in long-term studies. Conservation Biology, 33, 1370-1379.
Hébert, K., & Gravel, D. (2023). The Living Planet Index’s ability to capture biodiversity change from uncertain data. Ecology, 104, e4044.
Leung, B. et al. (2020). Clustered versus catastrophic global vertebrate declines. Nature, 588, 267-271.
Puurtinen, M., Elo, M., & Kotiaho, J. S. (2022). The Living Planet Index does not measure abundance. Nature, 601, E14-E15.
Wauchope, H. S., Amano, T., Sutherland, W. J., & Johnston, A. (2019). When can we trust population trends? A method for quantifying the effects of sampling interval and duration. Methods in Ecology and Evolution, 10, 2067-2078.