02/05/2025

Régénérer les moulins à eau, un enjeu d'avenir pour les rivières (Grano 2025)

À travers une vaste enquête pluridisciplinaire et de nombreux cas italiens, la chercheuse Maria Carmela Grano montre que les moulins à eau peuvent redevenir des leviers de durabilité locale, en conjuguant patrimoine, énergie, écologie et engagement citoyen. Mais cette dynamique suppose de repenser certaines politiques fluviales trop indifférentes aux héritages culturels et paysagers, tout comme d’encourager les propriétaires à inscrire leur bien dans un projet d’avenir.


Extrait de Grano 2025 art. cit. 

L’article de Maria Carmela Grano part d’un constat double : d’une part, les moulins à eau sont devenus des vestiges sous-exploités du passé ; d’autre part, ils recèlent un potentiel insoupçonné pour répondre à des défis contemporains (transition écologique, gestion durable des paysages, revitalisation rurale). En raison de leur lien intime avec les systèmes hydrographiques, les dynamiques socio-territoriales, et les savoirs techniques anciens, les moulins sont à reconsidérer comme écosystèmes régénératifs, capables de conjuguer conservation patrimoniale, résilience environnementale et usages économiques durables. Cette recherche propose une lecture systémique et multidisciplinaire des moulins à eau, les envisageant comme carrefours de dynamiques culturelles, sociales, hydrogéomorphologiques, énergétiques et politiques.

La chercheuse montre comment les moulins historiques, loin d’être de simples infrastructures techniques, sont des systèmes autonomes d’utilisation des ressources naturelles, incarnant un patrimoine éco-culturel. Leur interaction avec le paysage (topographie, réseaux fluviaux), leur capacité à stocker et restituer l’eau, à transformer l’énergie de manière décentralisée, en font des éléments centraux dans la structuration historique des territoires. Cette approche rejoint les notions de paysage culturel et d’écosystème culturel, en ligne avec les définitions de l’UNESCO et de la Convention de Faro.

Maria Carmela Grano souligne l’ambiguïté des données archéologiques concernant la diffusion des moulins à eau en Europe. Alors que la vision traditionnelle plaçait leur développement au Moyen Âge, des recherches récentes plaident pour leur usage dès le Ier siècle. Par ailleurs, la diversité des formes technologiques (horizontal vs vertical) est revalorisée, les roues horizontales n’étant plus vues comme primitives mais comme adaptées à certains contextes.

L’article démontre que l’implantation historique des moulins était fortement corrélée à la morphologie fluviale et aux gradients d’altitude. Cette disposition optimale peut aujourd’hui être réinvestie via des projets de micro-hydroélectricité à faible impact, comme le montrent les projets européens Restor-Hydro et RENEWAT. Mais "le potentiel énergétique des moulins reste largement sous-exploité, faute d’intégration entre patrimoine et transition énergétique", observe la chercheuse. L’analyse géologique et sédimentologique des anciens sites permet de retracer les évolutions paysagères et d’estimer les risques liés aux crues, à l’enfouissement ou à l’érosion.

La chercheuse insiste sur l’importance des savoirs vernaculaires des meuniers, transmis par la pratique, en tant qu’éléments-clés du fonctionnement durable des moulins. Elle cite notamment les formations néerlandaises et les initiatives italiennes (AIAMS) pour réactiver cette mémoire technique. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique de gestion participative des ressources, où les habitants contribuaient à l’entretien des systèmes hydrauliques. Ce modèle communautaire, toujours vivant dans certains territoires, constitue un levier pour une gouvernance locale résiliente et durable. "Le savoir des meuniers, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, incarne une forme précieuse d’intelligence hydraulique", souligne MC Grano.

L’étude documente plusieurs exemples où les moulins sont devenus des vecteurs de tourisme culturel et durable. Ils sont restaurés comme musées, lieux de mémoire, ateliers pédagogiques ou gîtes ruraux. Cette valorisation, souvent soutenue par des bénévoles et des fondations (FAI, National Trust), contribue à lutter contre le surtourisme, revitaliser les zones rurales, et promouvoir des formes lentes et engagées de découverte.

Enfin, Maria Carmela Grano explore les difficultés de recensement et d’inventaire des moulins, en raison de la dispersion des sources et de l’absence de vérifications historiques. Elle mobilise plusieurs bases de données : cartes hydrauliques anciennes (carte de 1890), archives régionales, sites UNESCO, projet Restor Hydro, plateforme AIAMS. Ces travaux soulignent l’urgence d’un croisement de sources (cartographiques, archéologiques, techniques) pour établir une base de connaissance cohérente à l’échelle nationale.

Etudiant des cas en Italie, Maria Carmela Grano recense plus de vingt projets italiens de régénération de moulins, soutenus par des financements variés : privés, communautaires, ou publics (notamment le plan européen NextGenerationEU – PNRR italien). Quatre cas emblématiques sont approfondis :
  • Mulino Ra Pria (Ligurie) : restauration technique complexe d’un moulin horizontal à canal surélevé. Projet associatif orienté vers la valorisation patrimoniale et paysagère.
  • Mulino Scodellino (Émilie-Romagne) : moulin encore productif, devenu lieu culturel (festival inclusif, visites scolaires, production de biscuits), restauré après une inondation en 2023.
  • Mulino e Gualchiera Romano (Basilicate) : reconstruction à l’identique d’un moulin en ruine, avec étude géologique et usage de matériaux d’origine.
  • Mulino di Arignano (Piémont) : conversion en habitation privée, alliant conservation architecturale et usage domestique.
D’autres exemples sont cités pour illustrer la diversité des usages : tourisme, musées, éducation, production agricole ou énergétique (hydroscies, forges, micro-turbines).

La conclusion de l’article insiste sur trois orientations majeures.
  • Renforcer les connaissances et les politiques de conservation : malgré un regain d’intérêt local, la majorité des moulins restent hors des radars institutionnels, vulnérables face aux effets du changement climatique, de l’urbanisation ou de la désaffection rurale.
  • Mobiliser les technologies avancées : SIG, modélisation 3D, IA, photogrammétrie et analyses hydro-géomorphologiques sont appelées à jouer un rôle crucial dans la préservation et la valorisation des moulins, à condition de créer des plateformes partagées et interopérables.
  • Explorer les voies de reconversion productive : les moulins peuvent devenir des pôles multifonctionnels de la durabilité locale : éducation, artisanat, tourisme, micro-énergie, gestion de l’eau et de la biodiversité. L’autrice plaide pour des politiques intégrées entre patrimoine, énergie et aménagement rural.

Extrait de Grano 2025 art. cit.

Discussion
L’article de Maria Carmela Grano s’inscrit dans une dynamique salutaire de réhabilitation des moulins à eau comme ressources culturelles, paysagères et techniques. Pourtant, on peut regretter que la gestion contemporaine des rivières, largement dominée par une lecture strictement écologique, reste souvent aveugle aux usages historiques et aux formes d’adaptation humaine au milieu fluvial. Cette approche conduit fréquemment à la destruction de seuils de moulins considérés comme "obstacles à l'écoulement et au franchissement", alors même qu’ils pourraient, dans de nombreux cas, être aménagés pour faciliter la circulation piscicole ou sédimentaire tout en préservant la mémoire et la structure des lieux. Il y a là un manque de dialogue entre patrimoine et écologie, entre savoirs anciens et solutions d’ingénierie actuelles, qui mériterait d’être comblé.

Par ailleurs, l’article montre à juste titre le rôle des associations, des collectivités et des chercheurs dans la régénération des moulins, mais il pourrait souligner plus fermement que les propriétaires eux-mêmes ont une responsabilité centrale dans cette dynamique. Ceux qui se contentent de conserver à l’identique des bâtiments anciens sans projet d’usage limitent la portée de leur action. À l’inverse, ceux qui réintègrent le moulin dans des logiques d’usage productif, éducatif ou environnemental – même partiellement – contribuent à faire évoluer les politiques publiques et les représentations sociales. C’est de leur capacité à articuler héritage et innovation que dépendra en grande partie l’avenir des moulins dans les territoires ruraux. Comme le souligne la chercheuse, "les moulins à eau ne sont pas seulement des reliques du passé, mais des systèmes régénératifs capables de répondre aux défis de notre époque. (…) Leur restauration ne doit pas être une nostalgie, mais un processus dynamique qui intègre patrimoine, innovation et durabilité."

24/04/2025

Typologie des seuils et petits barrages en rivières : histoire, usages et formes

Partout en France et en Europe, les rivières portent les traces d’une longue cohabitation entre les sociétés humaines et les milieux aquatiques. Parmi ces traces, les seuils en rivières – ouvrages de faible hauteur construits en travers du lit – forment une catégorie aussi discrète qu’essentielle. Destinés à rehausser localement la ligne d’eau, ils ont servi au fil des siècles à faire tourner des moulins, irriguer des cultures, stabiliser des lits, protéger le génie civil, agrémenter le patrimoine ou encore créer des chutes pour l’hydroélectricité. Tour d'horizon de la diversité de ces ouvrages encore trop peu étudiés par la recherche scientifique.


L’aménagement des rivières par l’homme s’inscrit dans une histoire très ancienne. Dès que les sociétés humaines se sédentarisent, elles développent des techniques pour canaliser, détourner ou réguler l’eau, dans un objectif de subsistance ou de protection. C’est ce qu’on appelle l’hydraulique, c’est-à-dire l’ensemble des aménagements destinés à maîtriser les écoulements d’eau. Cette pratique émerge dès les premières implantations permanentes autour des villages et zones cultivées. Il est à noter qu’avant les humains, les castors (américains ou eurasiatiques) ont construit des petits barrages dans de très nombreux bassins versants de l’hémisphère nord, sur les ruisseaux, rivières et petits fleuves.

Usages historiques des seuils
Parmi les dispositifs hydrauliques les plus précoces (avec  les fossés, rigoles, gués et puits), on trouve des structures formant des seuils en rivière, c’est-à-dire petits barrages transversaux, plus ou moins perpendiculaires au courant. Les plus anciens documentés semblent  les « fishweirs » (seuils à poissons) : sortes de barrages rudimentaires en bois ou en pierre, souvent disposés en travers de petits fleuves dans la zone proche des estuaires, destinés à piéger ou canaliser les poissons. La littérature archéologique fait remonter ces installations à des périodes aussi anciennes que le Paléolithique, dans le cadre de la rationalisation de la pêche vivrière. L’agriculture va quant à elle s’accompagner de la création de rigoles de canalisation reliées à des bassines de retenues. 

À partir de l’invention des moulins dans l’Antiquité, les seuils en rivière se multiplient en lien avec le développement de cet usage énergétique. Leur essor est favorisé au Moyen Age par la colonisation humaine des bassins et la croissance démographique dans des territoires mêmes reculés. Elle est organisée par le système féodal et les banalités, qui imposent aux paysans d’utiliser le moulin du seigneur, ainsi que par les exemples réussis de l’hydraulique monastique, notamment cistercienne. Ces ouvrages deviennent omniprésents, et leur implantation donne souvent naissance à des biefs (canaux d’amenée, de fuite, de déversement du surplus), et è toute une infrastructure hydraulique locale, de villages en villages comme au sein des villes. À côté des moulins à grain, d’autres usages apparaissent : foulons, scieries, tanneries, forges, etc. 

La forte expansion du moulin tient à ce qu’il forme le premier automate mu par des forces uniquement mécaniques et capable de s’ajuster à toutes sortes de travaux – pas simplement la mouture et préparation des farines. Les ouvrages hydrauliques eux-mêmes reçoivent des noms divers : « seuil » est un nom moderne pour le petit barrage, les archives parlent de chaussée, déversoir, digue, barrage, écluse, pelle, etc. selon les types d’ouvrages et les usages locaux.

L’énergie n’est pas le seul motif de création de petits barrages en rivière. Les seuils sont également utilisés pour l’alimentation (étang piscicole sur lit mineur ou alimentés par lit mineur),  pour améliorer l’irrigation (par inondation contrôlée des prairies), pour alimenter les canaux de navigation, pour favoriser le flottage du bois (retenues de création de courant poussant les bûches) ou pour assurer un niveau d’eau constant dans les zones urbaines et les fortifications. La forme et la structure de ces seuils varient selon les périodes, les matériaux disponibles et les objectifs locaux. Dans les rivières à faible pente, ils sont souvent larges et inclinés ; dans les zones de montagne, ils peuvent être plus compacts et à pente abrupte.

Usages contemporains des seuils
Au fil du XXe siècle, certains  usages traditionnels déclinent (moulins, irrigation gravitaire, piscicultures), mais de nombreux seuils restent en place, parfois détournés de leur usage initial. Les 30 glorieuses, en démocratisant les travaux publics et l’usage du béton, favorisent des créations parfois anarchiques de petits seuils de confortement local de berge, ou la modernisation pas toujours heureuse de seuils anciens en enrochements. 

On observe aujourd’hui une diversité d’usages contemporains :
  • Hydroélectricité : certains anciens seuils sont réactivés ou équipés pour produire de l’énergie renouvelable à petite échelle ;
  • Pisciculture : l’alimentation des bassins se fait souvent par dérivation depuis un seuil ;
  • Maintien de la lame d’eau : dans les rivières recalibrées, les seuils permettent de conserver un niveau d’eau suffisant en période d’étiage, pour des raisons écologiques, paysagères ou récréatives ;
  • Stabilisation morphologique : les seuils peuvent freiner l’érosion du lit, stabiliser un profil en long ou empêcher une incision progressive du lit mineur ;
  • Soutien de nappe ou alimentation en eau potable par effet de surhausse localisée de la ligne d’eau ;
  • Loisirs : retenues aménagées pour la baignade, la pêche, ou la pratique du canoë ;
  • Patrimoines : héritage des seuils qui servent toujours à maintenir en eau des éléments paysagers, productifs ou défensifs associés à un patrimoine historique classé (châteaux, abbayes, jardins, etc.)
  • Protection d’ouvrages de génie civil : certains seuils sont placés en aval de ponts ou de bâtiments afin de maintenir un niveau d’eau minimal (éviter la rétractation d’argiles sensibles au dessèchement, ou la dégradation de pieux en bois dans les fondations anciennes).
  • Conservation écologique ; des seuils alimentant des systèmes hydrauliques anciens et s'étant "renaturés" au fil du temps sont parfois entretenus à fin de conservation de la biodiversité qui s'est installée.

Typologie des seuils : formes et principes techniques
La diversité des seuils s’explique par une combinaison de facteurs fonctionnels, morphologiques et historiques. On peut classer les seuils selon deux grands axes (voir les références Malavoi 2003, Degoutte 2002, 2012) :
  • d’une part, leur inscription dans un système hydraulique (avec ou sans dérivation, usage énergétique ou non) ;
  • d’autre part, leur structure physique et leur mode de fonctionnement (fixe, mobile, mixte, en enrochements, etc.).
Typologie selon le système hydraulique

• Seuils au fil de l’eau
Le seuil est directement implanté dans le lit mineur, sans dérivation latérale. Il est accolé à un moulin, à une prise d’eau ou à un point de mesure, et modifie localement la ligne d’eau sans altérer le tracé du cours d’eau et la répartition de son débit.

• Seuils avec dérivation courte
Ces seuils sont associés à un canal ou bief de faible longueur, souvent quelques dizaines à quelques centaines de mètres. L’eau est captée par une prise latérale juste en amont du seuil. L’impact sur le débit du cours d’eau reste limité et l’usage visé peut être agricole, industriel ou énergétique.

• Seuils avec dérivation longue
Ces seuils permettent de créer une chute importante en éloignant l’ouvrage principal (usine, moulin) du seuil d’alimentation. Le bief ou canal de dérivation peut mesurer plusieurs kilomètres. Il est parfois remplacé par une conduite forcée en région montagneuse peu propices au terrassement des canaux (contrairement aux plaines). Ce système est particulièrement adapté à la production d’hydroélectricité. Certains seuils servent à organiser la répartition d’un débit venant de rivière en plusieurs bras servant des usages divers : par exemple, réseaux de canaux d’irrigation (béalières), alimentation des douves, étangs et perspectives des châteaux, systèmes hydrauliques monastiques, etc.


Typologie selon la nature et la structure du seuil

• Seuils fixes
Ce sont les formes les plus courantes historiquement. Construits en maçonnerie, béton, enrochements ou gabions, ces seuils sont conçus pour être stables dans le temps, avec peu ou pas de réglage possible. Leur profil peut être plus ou moins incliné, ou parfois en gradins pour faciliter la dissipation d’énergie. Ils sont adaptés aux milieux à forte énergie ou à fort transport solide, et leur conception dépend fortement des savoir-faire locaux (fondations, ancrages, revêtement de parement). Les ouvrage anciens ayant le mieux résisté au temps sont souvent formés de ces enrochements avec faible pente (tangente au courant) et souvent un abaissement de la ligne de crête vers une berge (favorisant le transport solide en surface ou le passage de certaines espèces).

Il faut aussi signaler des seuils venant du génie écologique :
  • les  rampes rustiques, structures souvent aménagées dans une logique de renaturation ou de franchissement piscicole. Constitués de blocs de pierre disposés en pente douce, parfois avec paliers ou micro-cascades, ils s’intègrent bien dans les milieux naturels. Leur forme plus diffuse favorise le passage de la faune aquatique, mais leur stabilité dépend de la granulométrie, du verrouillage des blocs et du débit de crue ;
  • les analogues de barrage de castor, en bois, visant à copier ce que font les rongeurs aquatiques afin d’obtenir des rehausses locales de niveaux, des inondations de berges et une biodiversité tenant à des types morphologiques alternant zone lentique et zone lotique.
• Seuils mobiles
Ces seuils permettent de moduler la lame d’eau grâce à des dispositifs mécaniques ou hydrauliques de vannes. Ils offrent une souplesse d’usage mais exigent plus d’entretien. Plusieurs systèmes existent :
  • Vannes : plaques verticales ou inclinées, levées ou abaissées manuellement ou mécaniquement ;
  • Clapets : dispositifs basculants sur un axe, souvent motorisés, qui permettent un réglage fin du débit ;
  • Aiguilles : planches de bois étroites placées à la main entre deux glissières ou crémaillères, typiques des anciens barrages de navigation ou d’irrigation ;
  • Boudins gonflables : structures souples en caoutchouc ou PVC, gonflées à l’air ou à l’eau, commandées à distance.
• Seuils mixtes
De nombreux seuils associent une partie fixe (seuil de base) à un ou plusieurs organes mobiles de régulation. Ces combinaisons permettent de répartir les fonctions : garantir la stabilité du lit tout en permettant l’évacuation des crues ou le réglage fin du débit.

Une histoire technique encore peu étudiée
La conception technique des seuils a également évolué au fil des siècles, selon les matériaux disponibles, les savoir-faire locaux, les contraintes de site, et les fonctions attendues de l’ouvrage. Les seuils les plus anciens ont probablement été réalisés en bois, sous forme de pieux ou de branches entrelacées, ou bien par simple amas de pierres stabilisant localement la ligne d’eau. Progressivement, la maîtrise des fondations s’est améliorée, avec l’apparition de seuils maçonnés en pierre ou en béton, puis, plus tardivement, de dispositifs mobiles tels que les vannes, les aiguilles, les clapets...

Cette évolution n’est pas uniforme : elle dépend des dimensions du cours d’eau, mais aussi du contexte régional, de la nature des sols et des berges, des matériaux disponibles (type de pierre, résistance au gel, accessibilité des ressources) ou des traditions de construction locale. Aussi des conditions économiques, car seules les activités et les zones les plus prospères pouvaient moderniser les ouvrages, dans le cas notamment des moulins et forges au 19e siècle. 

Malgré l’ancienneté, la diversité et la persistance de ces ouvrages, le domaine reste peu exploré par la recherche scientifique. Les seuils sont souvent abordés uniquement comme obstacles à l’écoulement, caractérisés sommairement (au mieux) par leur hauteur, largeur et longueur de remous (retenue), sans prise en compte de leur fonction historique, de leur intégration au système hydraulique local, ni même de leur effet réel sur la dynamique fluviale et le biotope.

Plusieurs dimensions restent ainsi peu connues :
  • Temporalité : à quelle période ont été construits les seuils encore visibles aujourd’hui ? combien ont disparu ? quelles étaient les densités de seuils jadis ?
  • Eco-hydraulique : comment les différents types de seuils influencent-ils la ligne d’eau, les vitesses d’écoulement, la température, le transfert de sédiments, la circulation piscicole, la faune et la flore de l’eau et des rives, la recharge des aquifères et nappes ?
  • Typologie patrimoniale : quels matériaux, quels agencements, quels dispositifs spécifiques selon les contextes géographiques ?
Ces lacunes sont d’autant plus problématiques que ces ouvrages restent très présents dans le paysage fluvial français, qu’ils soient encore en service, en maintien sans usage productif ou parfois en voie vers la ruine. 

Mieux les connaître, c’est mieux décider de leur gestion future, entre valorisation patrimoniale, réaffectation, entretien – ou démantèlement raisonné, en cas de nuisance riveraine par exemple. C’est aussi éviter des généralités abusives voire trompeuses : la typologie précise des ouvrages hydrauliques rapportée à leur usage et à leur contexte hydro-écologique est nécessaire pour une gestion informée des bassins versants. 

Références citées
Degoutte, G. ed (2002). Petits barrages. 2e édition. Lyon : Cemagref.
Malavoi, J.-R. (2003). Stratégie d’intervention de l’Agence de l’Eau sur les seuils en rivière. Lyon : Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée & Corse.
Degoutte, G. (2012). Diagnostic, aménagement et gestion des rivières. 2e édition. Paris : Éditions Eyrolles.

21/04/2025

Le petit patrimoine hydraulique au service de la biodiversité (Romano et al 2023)

Une étude scientifique évalue le rôle écologique de sites aquatiques artificiels issus d'un petit patrimoine hydraulique — tels que citernes, réservoirs ou abreuvoirs — dans la conservation des amphibiens en Méditerranée. En s’appuyant sur un vaste jeu de données, les auteurs montrent que ces structures, bien qu’issues d’usages humains, peuvent constituer des habitats précieux pour les espèces menacées, notamment dans le contexte du changement climatique.


Les zones humides méditerranéennes subissent une forte régression, sous l’effet combiné de l’usage des sols, des sécheresses accrues et du changement climatique. Les amphibiens, qui dépendent étroitement de ces milieux pour leur reproduction, sont particulièrement exposés. L’étude menée par Antonio Romano et ses collègues s’interroge sur le rôle que peuvent jouer des sites artificiels non conçus à l’origine pour la biodiversité — tels que des abreuvoirs ou des réservoirs — dans la conservation des populations d’amphibiens.

La recherche repose sur une base de 1570 sites de reproduction d’amphibiens répartis dans le centre et le sud de l’Italie, le long des Apennins tyrrhéniens, sur environ 600 km. Les sites ont été catégorisés en sites naturels (NWS) avec 1006 occurrences et en sites artificiels (AWS) avec 564 occurrences. L’analyse de connectivité a été approfondie dans six sous-régions représentatives : Lucretili, Volsci, Cilento, Apennin lucanien, massif du Pollino et plateau de Sila.

Les auteurs testent trois hypothèses :
  • Les sites artificiels sont-ils connectés écologiquement aux sites naturels ?
  • Ont-ils une efficacité comparable dans la structure des réseaux de dispersion ?
  • Permettent-ils aux amphibiens de persister dans des conditions climatiques plus extrêmes ?
Les auteurs mobilisent une combinaison de modélisation de niche climatique,d'analyse de connectivité et de comparaison des niches climatiques. Concernant la connectivité , les résutats ontrent que les sites artificiels sont intégrés au réseau écologique. Dans certains cas (ex. Cilento, Apennin lucanien), leur rôle est même plus structurant que celui des sites naturels. En terme d'équivalence fonctionnelle, dans plusieurs sous-régions, les sites artificiels affichent une importance similaire voire supérieure à celle des NWS en matière de connectivité paysagère. Enfin pour le rôle de niche climatique, les sites artificiels permettent une expansion significative vers des conditions plus chaudes ou plus sèches chez certaines espèces (ex. Triturus carnifex, Bombina variegata).

Les auteurs en concluent : "Les sites artificiels méditerranéens sont bénéfiques pour les métapopulations d’amphibiens et jouent un rôle clé dans le maintien de la connectivité écologique à l’échelle du paysage. (…) Dans les paysages agricoles, construire ou restaurer des sites artificiels dotés de simples “rampes d’échappement” (…)  augmentera la disponibilité de points d’eau pour le bétail tout en profitant aux populations d’amphibiens dans des conditions stressantes".

Discussion
Cette étude démontre que des structures hydrauliques simples, souvent issues de pratiques agricoles ou pastorales, peuvent contribuer à maintenir — voire renforcer — la connectivité écologique des amphibiens à l’échelle régionale. Leur capacité à offrir une niche climatique plus large constitue un atout supplémentaire dans un contexte de changement global. Ces résultats invitent à ne pas négliger les infrastructures modestes dans les politiques de conservation, notamment dans les paysages agricoles où les habitats naturels sont anthropisés de longue date, et parfois dégradés.

Référence ; Romano A et al ((2023), Artificial paradises: Man-made sites for the conservation of amphibians in a changing climate, Biological Conservation, 286, 110309. 

11/04/2025

Entre promesses politiques et réalités de terrain, le grand écart des choix publics sur l'hydro-électricité

L'État français veut officiellement relancer l'hydroélectricité dans sa programmation pluriannuelle de l'énergie 2025-2035, socle de la stratégie climat et énergie du pays. Mais sur le terrain, la lourdeur réglementaire et l'attitude des administrations chargées de l'eau et de la biodiversité entravent les projets. Un double langage qui met en doute la cohérence intellectuelle et la sincérité politique de la parole publique sur cet enjeu hydro-électrique. 


Prise d'eau d'une petite centrale hydro-électrique (source Guilhem Vellut CC)

La Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour 2025-2035 affiche clairement son soutien à l'hydroélectricité, avec l'objectif ambitieux d'accroître les capacités de production de près de 2,8 GW d'ici 2035, principalement par l'optimisation des installations existantes, notamment celles de petite et moyenne puissance. Le texte officiel de la PPE insiste même sur la nécessité de privilégier des projets à faible impact environnemental et souligne l'importance stratégique des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) pour la flexibilité et la résilience énergétique du pays. Vous pouvez lire en fin d'article l'extrait concerné. 

Toutefois, sur le terrain, la réalité est bien différente. 

Alors que l'État français affirme vouloir relancer l'hydroélectricité, en particulier les petites installations issues de barrages historiques, d'anciens moulins et petites usines hydrauliques, l'administration concrète de ces projets rencontre de sérieuses difficultés. En effet, l'instruction des dossiers hydroélectriques ne relève plus, comme auparavant, des services spécialisés du ministère de l'Industrie, mais dépend désormais des services eau et biodiversité du ministère de l'Écologie, principalement les directions départementales des territoires et de la mer (DDT-M), l'Office français de la biodiversité (OFB) ainsi que les Agences de l'eau.

Ces administrations, dont les agents ne sont souvent pas formés aux enjeux spécifiques de l'hydroélectricité, manifestent en général un certain désintérêt envers les petits ouvrages hydroélectriques. Quand ce n'est pas une franche hostilité, car tout barrage est lu comme "obstacle à l'écoulement" avant d'être analysé pour son usage. Trop influencés par leur spécialisation sur les questions écologiques, hydrologiques et biologiques, ces services adoptent fréquemment une attitude restrictive, multipliant les demandes réglementaires complexes, les contrôles excessifs, les exigences dénuées de réalisme économique et les procédures chronophages. 

Résultat : des projets pourtant essentiels à la transition énergétique et au respect des objectifs climatiques fixés par l'État sont systématiquement ralentis ou entravés.

Pour que l'ambition affichée par la PPE se traduise concrètement sur le terrain, il est indispensable de restaurer une cohérence administrative forte. Les services instructeurs de l'eau doivent désormais adopter une posture de soutien actif, simplifier les procédures réglementaires, former leurs agents spécifiquement aux enjeux techniques et économiques liés à l'hydroélectricité. Les schémas d'aménagement de l'eau (SDAGE pour les grands bassins et SAGE pour les petits) ont vocation à refléter un soutien actif à cette filière, qui est un usage légitime de l'eau, reconnu par la loi comme d'intérêt public et écologique. Avec un réel potentiel de développement, contrairement à ce que dit une légende forgée dans le années 1980 par des lobbies hostiles

À défaut d'une telle réorientation, le soutien officiel du gouvernement restera lettre morte, mettant en péril non seulement la réussite des objectifs énergétiques nationaux, mais aussi la crédibilité des politiques publiques françaises en matière de transition écologique.

Extrait du texte de la PPE 2025-2035 soumis à consultation publique

"L’hydroélectricité constitue aujourd’hui la première source d’électricité renouvelable de l’Hexagone  (plus de 40 % de la production électrique renouvelable et une puissance totale de 25,9 GW en 2023), l’objectif sera d’augmenter les capacités installées de 2,8 GW à horizon 2035, en grande partie sur des installations existantes. Ces 2,8 GW incluront environ 1 700 MW de stations de transfert d’énergie par pompage - essentielles pour accroître notre capacité de stockage d'électricité - et à titre indicatif, de l’ordre de 610 MW sur des installations de plus de 4,5 MW et 440 MW sur des installations de moins de 4,5 MW.

Le troisième plan national d’adaptation au changement climatique prévoit plusieurs actions permettant d’assurer la résilience des installations de production d’hydroélectricité tout en maintenant un haut niveau de production sont envisagées dans le cadre d’une gestion du parc rassemblant des ouvrages d’âges variés : 
i. Poursuivre l’intégration par les exploitants des études pour estimer les conséquences du changement climatique sur l’hydrologie (Explore2 et ses dérivées). 
ii. Poursuivre la prise en compte des effets du changement climatique, au titre de la sureté des ouvrages, notamment au travers des mises à jour régulières des études de dangers et de la mise en conformité des ouvrages hydrauliques. 
iii. Intégrer les autres enjeux autour de la ressource en eau au sein des retenues hydroélectriques, avec des études sur le sujet des STEP à vocation multi-usage.

AUGMENTER LES CAPACITES HYDROELECTRIQUES ET LA FLEXIBILITE DU PARC CONCEDE (Y COMPRIS STEP)

Augmenter les capacités de grande hydroélectricité (au-delà de 4.5 MW – et incluant le développement des STEP) de près de 2 300 MW d’ici 2035, notamment par l’optimisation et le suréquipement d’aménagements existants à travers, par exemple, l’adaptation du cadre règlementaire et économique existant et la résolution des précontentieux autour du renouvellement des concessions hydroélectriques.

Poursuivre les appels d’offres ou les arrêtés tarifaires pour accompagner le développement de la petite hydroélectricité et mettre en place un dispositif de soutien à la rénovation des installations hydroélectriques autorisées en fonctionnement, pour augmenter les capacités de près de 440 MW d’ici 2035, en maintenant un haut niveau de protection de la biodiversité et de fonctionnalités naturelles des cours d’eau, en privilégiant les projets avec le moins d’impacts sur les milieux aquatiques et la qualité des eaux, en cohérence avec les engagements européens de la France." 

08/04/2025

Le harcèlement administratif des ouvrages hydrauliques persiste : comment y mettre fin?

Alors que la relance des ouvrages hydrauliques anciens pourrait contribuer à la transition écologique, à la résilience des territoires et à la souveraineté énergétique, ces projets se heurtent encore et toujours à une multitude de blocages administratifs. L’association Hydrauxois dénonce un excès de complexité, une culture du soupçon, un antagonisme organisé entre protection de la nature et usages de l’eau. Le gouvernement comme le législateur doivent faire cesser ces troubles qui viennent au premier chef des dérives des services publics concernés. 


En France, de nombreux ouvrages hydrauliques anciens — moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau, petits barrages, usines hydroélectriques — ont été construits bien avant la loi sur l’eau de 1992. pour beaucoup avant le 20e siècle et même avant la Révolution. Ces ouvrages, déjà autorisés, sont souvent fondés en titre ou disposent d’une reconnaissance antérieure de leur existence et de leur usage. Pourtant, leur relance, notamment à des fins de production hydroélectrique, piscicole ou d’agrément, est aujourd’hui entravée par une multitude de contraintes administratives.

Le harcèlement réglementaire des ouvrages hydrauliques déjà autorisés
Les services de l’État en charge de l’eau et de la biodiversité — DREAL, DDT-M, Office français de la biodiversité (OFB), Agences de l’eau — comme souvent ceux des syndicats de rivière multiplient les obstacles qui rendent les démarches longues, coûteuses et incertaines. Alors même que ces ouvrages sont en place, légalement fondés et potentiellement utiles dans le contexte de la transition énergétique, de l'adaptation au changement climatique ou de la préservation des usages ruraux, les procédures deviennent un véritable parcours du combattant.

Parmi les problèmes fréquemment rencontrés :
  • des contestations sur la reconnaissance du droit fondé en titre ;
  • des remises en question de la consistance légale de l’ouvrage (hauteur, débit dérivé, puissance exploitable) ;
  • des exigences exagérées sur les débits réservés, souvent supérieurs au seuil de 10 % prévu par la loi ;
  • des demandes de justification disproportionnées, parfois sur des données anciennes ou impossibles à reconstituer ;
  • des délais d’instruction excessifs, souvent suivis de demandes de compléments sans fin ;
  • des avis techniques défavorables sans prise en compte des réalités historiques, juridiques et locales ;
  • des objectifs maximalistes d'absence d'impact impossibles à tenir car ils signifieraient l'absence d'ouvrage ;
  • des qualifications de certaines rivières comme "réservoirs biologiques" sans preuve et sans démonstration que l'ouvrage aurait mis en péril cette fonction de réservoir ; 
  • un manque de coordination entre services, chacun pouvant bloquer à son niveau la relance d’un ouvrage.
La situation n'est pas la même partout. Parfois, des services administratifs font preuve de bon sens et de rapidité dans la relance de sites anciens. Mais cette disparité est encore plus pénible à vivre car cela signifie que l'arbitraire d'un service instructeur local peut rendre une situation invivable alors qu'elle est tout à fait paisible ailleurs. L'égalité devant la loi et les charges publiques est pourtant inscrite dans la mentalité française de longue date... L'attitude négative de certains agents publics s'apparente davantage à un militantisme au service d'une vision radicale de l'écologie qu'à la gestion "durable et équilibrée" de l'eau telle que la loi l'avait prévue. Cela décrédibilise l'action publique, déjà perçue comme coupée des réalités vécues. 

Cette situation engendre une insécurité juridique permanente pour les maîtres d'ouvrage (particuliers, entreprises ou communes), avec une accumulation de coûts et de procédures rendant quasi-impossible la relance de nombreux sites. Elle contribue à décourager les porteurs de projets, à freiner des initiatives locales vertueuses, à entretenir une forme de harcèlement administratif vis-à-vis d’ouvrages pourtant inscrits de longue date dans le paysage urbain comme rural.

Pour une réforme législative et administrative des usages hydrauliques
Face aux blocages répétés auxquels sont confrontés les porteurs de projets de relance d’ouvrages hydrauliques déjà autorisés, il devient indispensable d’engager une double réforme : au niveau législatif d’une part, au niveau réglementaire et administratif d’autre part. Le retour d’expérience des dernières décennies montre que la complexité actuelle n’est plus tenable et que, malgré les efforts affichés d'apaisement, le gouvernement n'est pas capable d'une direction politique de son administration eau & biodiversité.

1. Réviser les lois sur l’eau en renouant avec la culture des usages hydrauliques
Le cadre législatif européen (Directive cadre sur l’eau,  règlement sur la restauration de la nature) comme le cadre national (loi sur l’eau de 1992, loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, etc.) ont accumulé, au fil des années, une série de dispositions protectrices de l’environnement qui, bien que justifiées par leur intention, ont fini par engendrer une overdose normative difficilement applicable sur le terrain. Elles ont aussi multiplié des couches administratives complexes, avec découragement des acteurs locaux à participer tant les normes et les financements sont enchevêtrés.

Il est temps de réinterroger cette législation à la lumière des enjeux contemporains : souveraineté énergétique, relocalisation alimentaire, gestion durable des ressources. Une meilleure hiérarchisation des objectifs est nécessaire : la protection de la biodiversité est légitime mais ne peut se faire au détriment systématique de tout usage humain de l’eau, notamment lorsqu’il s’agit de relancer des ouvrages existants, sans artificialisation nouvelle ni destruction d’habitat. La loi devrait consacrer cette hiérarchie et reconnaître explicitement la valeur patrimoniale, énergétique, agricole ou paysagère de ces infrastructures anciennes. Les normes doivent être hiérarchisées dans le code de l'environnement, et les priorités doivent être opposables à l'administration sans contradiction possible. Le flou de la loi est la première cause de l'arbitraire règlementaire. 

2. Simplifier les procédures administratives de relance
Au-delà de la loi, c’est dans la pratique administrative que s’exerce le plus souvent le blocage. Les services déconcentrés de l’État (DDT-M, DREAL), l’OFB, les agences de l’eau imposent des procédures longues, complexes et souvent disproportionnées par rapport aux enjeux réels des projets et aux capacités des maîtres d'ouvrage. Chacun appuie sur un bouton pour exiger des études innombrables autour de chaque projet, comme si un site déjà en place avait des impacts nouveaux conséquents et comme si l'argent magique pouvait payer ces exigences non fondées sur des enjeux écologiques de première importance. Il est urgent de rétablir un cadre plus fluide, plus cohérent, et plus réaliste.

Cela passe d’abord par la fixation de délais stricts et contraignants pour l’instruction des demandes. Un projet de relance d’un ouvrage déjà autorisé ne devrait pas faire l’objet de procédures étalées sur plusieurs années : l'absence de réponse au bout de deux mois doit valoir approbation et la préfecture doit s'engager à une liste initiale réduite de demandes, qui n'évolue plus de manière arbitraire au fil des échanges. 

Ensuite, les agents en charge de ces dossiers doivent être formés à une lecture réaliste des territoires : il ne s’agit pas ici de restaurer des cours d’eau sauvages, mais de gérer intelligemment des milieux anthropisés de longue date, où coexistent des enjeux multiples. Les agents de l'OFB en particulier vivent trop souvent dans une tour d'ivoire naturaliste où l'histoire, la société, la culture, le paysage, l'économie ne sont pas des réalités au même titre que la faune et la flore. 

Enfin, une culture du bon sens doit être restaurée au sein des services, là aussi par des instructions claires du gouvernement et par des formations des agents : ne pas exiger des études interminables pour des installations modestes, ne pas multiplier les demandes de compléments absurdes, reconnaître les spécificités des ouvrages anciens sans chercher à les faire entrer de force dans des cadres conçus pour des projets neufs, associer toute exigence de charge d'intérêt général à un financement prévu pour cela dans les contrats de rivière, les SAGE, les SDAGE. 

Il y a, dans l’administration actuelle eau & biodiversité, une difficulté d’acceptation de la réalité des rivières transformées par l’histoire humaine : cette posture doit évoluer car l'expérience montre qu'elle est incapable de garantir une gestion inclusive et apaisée des ouvrages des rivières.


Un appel à la mobilisation des acteurs de terrain
L’association Hydrauxois souhaite lancer un appel à l’ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques : moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau d’agrément, canaux d’irrigation, petits barrages, et autres dispositifs traditionnels ou récents qui structurent encore nos vallées et nos territoires. Tous ces ouvrages sont aujourd’hui concernés par des pratiques administratives qui freinent, voire empêchent, leur relance, leur entretien ou leur modernisation.

Il est impératif que ce réseau d’acteurs se mobilise pour faire remonter, sans relâche, les réalités du terrain auprès des députés et sénateurs, afin qu’ils prennent pleinement conscience de l’ampleur des blocages, de leur caractère systémique et de leur coût humain, écologique et économique. Chaque situation concrète — chaque dossier ralenti, chaque projet abandonné, chaque propriétaire découragé — doit devenir un levier d’alerte.

Par ailleurs, les préfets doivent être saisis systématiquement lorsque les services placés sous leur autorité persévèrent dans une logique de blocage. Il en va de la crédibilité de l’État et de la confiance que peuvent accorder les citoyens aux institutions : le cadre réglementaire, même lorsqu’il est imparfait, doit être appliqué avec discernement, et non instrumentalisé pour freiner des projets légitimes.

La gestion de l’eau et des rivières ne peut rester un champ de conflits permanents. Elle doit redevenir un sujet de coopération intelligente, fondée sur la reconnaissance des usages anciens, la prise en compte des enjeux contemporains, le respect mutuel entre administrations, citoyens et territoires.