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28/09/2025

Quand la rivière tue, priorité doit être donnée à la sécurité des citoyens

Le 22 septembre 2025, une femme de 55 ans perdait la vie à Guingamp, emportée par une crue soudaine. Un drame terrible, rendu encore plus insupportable par le lieu de l'accident : la vallée de Cadolan, qui venait de faire l'objet d'un chantier de "renaturation" à près d'un million d'euros, censé lutter contre les inondations. Cet événement tragique rappelle que la rivière tue : le risque zéro est impossible, mais le devoir du gestionnaire public de l'eau est de protéger les citoyens. Or la politique de l'eau a fait depuis des décennies le choix idéologique de la "restauration écologique des rivières" au détriment du génie hydraulique et de la protection des populations, qui se retrouvent sous-financés. Face à l'urgence climatique, il est temps de replacer la sécurité des personnes et la maîtrise de l'eau au cœur d'une véritable politique de gestion des bassins versants.


(DR, actu.fr)

Le lundi 22 septembre 2025, à 7h15 du matin, une agente du lycée Pavie s'engage sur la route du lieu-dit Cadolan. Le département est en proie à ce que Météo France qualifie d'"épisode pluvieux remarquable", avec des cumuls atteignant plus de 150 mm dans le secteur de Plouha entre le dimanche midi et le lundi matin. Alors qu'il fait encore nuit, sa voiture est surprise par une montée des eaux fulgurante. L'issue sera fatale.

Ce drame exprime aussi un échec. Car la vallée de Cadolan n'est pas un lieu anodin. C'est le site d'un projet phare de l'agglomération Guingamp-Paimpol, une opération de réhabilitation écologique à 840 000 euros. L'aménageur lui-même expliquait que l'idée initiale était de créer cet espace "pour éviter la construction d'un nouveau barrage qui permettait de lutter contre les inondations". 

Le résultat ? Face à une crue réelle, le secteur engorgé s'est transformé en piège mortel.

La politique de l'eau : tout pour l'écologie, plus grand chose pour l'hydraulique
Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il faut se plonger dans les documents qui orientent la politique de l'eau sur chaque territoire, comme le SAGE voisin de la Baie de Lanion ou les documents de l'Agglomération de Guingamp-Paimpol. On y parle de préserver les "zones d'expansion des crues" ou de "sensibiliser à la culture du risque". On y évoque des "solutions fondées sur la nature" et des "restaurations écologiques". Pas un mot sur les solutions de génie hydraulique qui ont fait leurs preuves depuis des décennies. Pas un mot sur des barrages de retenue en amont, des digues de protection ou des canaux de contournement pour dévier les crues des zones habitées. La doctrine publique de gestion de l'eau est devenue : on ne s'oppose plus à l'eau, on lui laisse de la place. C'est un choix politique qui, au nom de la nature, abandonne des décennies de savoir-faire en matière de sécurité hydraulique.

Pire, cette doctrine publique a conduit à se priver des outils de régulations de l'eau, en particulier les barrages et canaux qui soit sont découragés et sous-financés, soit carrément détruits volontairement quand ils existent. 

Dans cette région de Guingamp-Paimpol-Lannion, l'idéologie de la destruction des barrages et la vénération des rivières "sauvages" n'est pas nouvelle. On peut remonter à 1996. Cette année-là, le barrage de Kernansquillec sur le Léguer, un ouvrage de 15 mètres de haut, fut entièrement démoli. Bien que situé sur un bassin versant voisin du Trieux (donc sans impact sur le cas de Guingamp), son démantèlement fut érigé en exemple régionale et national ; il a servi de déclencheur politique et idéologique à la doctrine de "l'effacement" systématique des ouvrages hydrauliques, qui fut ensuite le dogme appliqué partout, en Bretagne et en France.

La circulation de la truite ou du saumon passe après les vies humaines
Face à la tragédie de Guingamp, les citoyens sont en droit de demander des comptes à l'agence de l'eau, à l'agglomération Guingamp-Paimpol et aux acteurs à compétence Gemapi, qui appliquent ces orientations.

Comment peut-on justifier de dépenser des millions d'euros d'argent public dans une politique qui fait de la circulation de la truite ou du saumon une priorité, tout en ignorant les outils les plus efficaces pour protéger les vies humaines ? Comment peut-on se contenter de brandir des "solutions fondées sur la nature" sans garantir qu'elles seront efficaces en crue, sans évaluer l'eau stockée par ce biais, sans alerter les citoyens du nouveau régime d'écoulement que cela implique ? 

La priorité absolue doit être la sécurité et la santé des personnes. L'écologie de la "restauration", aussi louable soit-elle, ne peut primer sur cet impératif. Que l'on investisse dans des solutions fondées sur la nature, comme de véritables zones humides d'expansion de crues, pourquoi pas. Mais d'abord à condition que l'efficacité soit démontrée. Ensuite en complément, et non en remplacement, des ouvrages de protection active ainsi que de la gestion technique des ruissellements en zone urbaine.

L'aménagement de la vallée de Cadolan a montré les limites de la seule renaturation, et cela de la plus tragique des manières.

Pour un changement de cap : la sécurité d'abord
L'heure est à l'action. Il faut un moratoire immédiat sur toute destruction de barrages et de seuils qui participent, même modestement, à la régulation des eaux. Il est vital de réinvestir dans une approche hydraulique robuste, et même de reprendre la construction d'ouvrages de protection là où c'est nécessaire. Cela implique également de financer en priorité des systèmes d'alerte météo et de crues plus réactifs et plus localisés, pour que ni les citoyens, ni même les élus, ne soient surpris par une montée des eaux fulgurante en pleine nuit.

Cela passe aussi par un changement dans les mentalités et les compétences. Les agents publics qui gèrent nos rivières doivent être formés au génie hydraulique et à la gestion des risques, pas seulement à la biologie et à la morphologie des cours d'eau.

Cet impératif est rendu encore plus criant par le réchauffement climatique. Les experts nous alertent depuis plus de 20 ans : les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus intenses. Pourquoi, dans ce cas, nos aménageurs n'ont-ils pas réfléchi plus tôt au dimensionnement des projets ? Pourquoi ne pas avoir compris le coût énorme que représente une maîtrise correcte des écoulement en zone agricole et urbaine, donc la nécessité de concentrer et non disperser l'effort public en subventions et en personnels ?  

Continuer sur la voie actuelle, c'est faire le choix de l'impréparation. Un choix inacceptable. Un choix qui doit disparaître des SDAGE et des SAGE. 

Protéger la biodiversité est nécessaire, restaurer des naturalités peut être utile. Mais garantir la sécurité et la santé des habitants est le premier devoir du gestionnaire public. Il est temps de remettre l'ingénierie, la prudence et le bon sens au cœur de la gestion de nos rivières. Avant qu'une autre crue ne vienne nous rappeler, de la plus brutale des manières, le coût de nos égarements par rapport à la hiérarchisation et la priorisation des actions. 

30/06/2025

Objectif 10 milliards de m³ de stockage d'eau

Sécheresses, conflits d’usage, crues brutales : la France subit un cycle de l’eau déstabilisé. Pourtant, nous laissons partir vers la mer des dizaines de milliards de m³ d’eau sans en maîtriser les flux. Et si l’on changeait d’échelle ? Pour un plan national de stockage et régulation de l’eau


Chaque année, 503 milliards de m³ d’eau tombent sur le territoire de la France métropolitaine sous forme de pluie ou de neige. Pourtant, moins de 1 % de cette ressource est réellement utilisée par la société : seulement 4,2 milliards de m³ sont captés de manière nette pour l’eau potable, l’agriculture ou l’industrie. Le reste s’évapore (314 milliards), s’infiltre dans les sols (120 milliards) et surtout repart vers la mer (176 milliards), souvent sans profiter aux milieux ni aux humains (source).

Dans un contexte de dérèglement climatique, où les sécheresses s’intensifient et les conflits d’usage se multiplient, cette situation n’est plus tenable. Il devient urgent de reprendre la main sur le cycle de l’eau, en favorisant sa rétention, sa régulation et son partage intelligent dans le temps.

C’est tout le sens de l’objectif que nous proposons : créer, restaurer ou sécuriser 10 milliards de m³ de stockage d’eau en France. Ce volume peut paraître impressionnant, mais il représente à peine 2 % des précipitations annuelles, ou environ 6 % de l’eau qui s’écoule chaque année vers la mer. C’est un objectif à la fois ambitieux et atteignable, à condition de mobiliser toutes les solutions disponibles — hydrauliques et naturelles — de manière complémentaire.

Retrouver le sens d’une hydraulique maîtrisée
Longtemps, la France a su s’équiper d’ouvrages hydrauliques pour sécuriser ses ressources, irriguer ses terres, soutenir ses étiages. Mais depuis deux décennies, la dynamique s’est inversée. Le démantèlement d’étangs, de seuils, de canaux s’est accéléré, au nom d'idées parfois légitimes (réduction de certains impacts), mais appliqués de manière systématique voire dogmatique, et sans stratégie de substitution.

Il faut sortir de cette logique de disparition des retenues et diversions d'eau. Une hydraulique moderne, raisonnée et multi-usages est aujourd’hui indispensable pour amortir les effets du changement climatique. Cela implique :
  • de revaloriser les grands barrages existants, et d’en créer de nouveaux là où les besoins sont criants (soutien d’étiage, réserve incendie, agriculture, hydroélectricité souple) ;
  • de réhabiliter les petits plans d’eau, étangs, réservoirs collinaires, canaux, biefs souvent détruits alors qu’ils jouaient un rôle local essentiel de régulation ;
  • de remettre en fonction ou créer certains canaux en tant que vecteurs de redistribution locale et territoriale de la ressource ;
  • de déployer des bassins de retenue temporaire, qui stockent l’eau excédentaire en hiver pour la restituer en été ;
  • de développer la récupération et la réutilisation de l’eau, y compris les eaux usées traitées, pour des usages non domestiques.
Cette hydraulique ne doit pas être opposée à l’écologie : elle doit au contraire devenir un outil au service des milieux — à condition d’être pensée dans une logique intégrée et multi-usage.

Renforcer les capacités naturelles de stockage
L’autre levier fondamental, complémentaire du précédent, réside dans les solutions fondées sur la nature. L’enjeu ici n’est pas de stocker l’eau dans des ouvrages dédiées, mais dans les sols, les nappes, les zones humides, en profitant de certaines dynamiques physiques (comme les crues) ou biologiques (comme la végétation). Ces capacités naturelles de rétention ont été gravement amoindries au fil des décennies par l’urbanisation, la suppression des haies, la destruction des marais ou la compaction des sols.

Il est temps d’inverser la tendance. Un plan national de stockage doit aussi viser à :
  • restaurer et reconnecter les zones humides, qui fonctionnent comme des éponges naturelles capables de retenir de grandes quantités d'eau par hectare ;
  • désimperméabiliser les sols urbains, en supprimant le bitume inutile, en réintroduisant des noues, des trames vertes, des zones végétalisées ;
  • favoriser l’infiltration lente en milieu agricole, par la couverture permanente des sols, le maintien des prairies, l’agroforesterie, la restauration des ripisylves ;
  • rendre de l’espace aux rivières, en rouvrant des zones d’expansion de crue là où cela est possible, notamment dans les plaines alluviales.
Ces solutions dites “naturelles” ne sont pas moins techniques que les infrastructures classiques. Elles demandent des compétences, des financements, du foncier, une gouvernance locale forte, une écoute (et non un mépris) de certaines professions impactées dans leurs pratiques actuelles. Mais elles ont l’avantage de combiner régulation hydrologique, résilience écologique et co-bénéfices multiples (sols vivants, biodiversité, microclimat…).

Pour une stratégie de régulation de l’eau à long terme
L’objectif de 10 milliards de m³ de stockage ne se résume pas à un chiffre. Il trace une vision d’aménagement du territoire, fondée sur la répartition équilibrée de la ressource, la préservation des milieux et la sécurité des usages. C’est un projet qui suppose une mobilisation de l’État, des collectivités, des agences de l’eau, du monde agricole et des citoyens. Une révision des lois sur l'eau de 1992 et 2006 sera nécessaire, car l'approche hydraulique y avait été complètement sacrifiée et elle a quasi-disparu de la culture des gestionnaires publics de l'eau. C'est évidemment intenable.

Il est temps de sortir du l'attitude de court terme, qui alterne sécheresses et arrêtés de crise, inondations et plan de catastrophes naturelles. Il faut redonner à la France une capacité structurelle de stockage et de régulation, en conformité avec son histoire multiséculaire de maîtrise de l'eau. Non pour consommer plus, mais pour subir moins. Non pour figer l’eau, mais pour mieux la faire circuler, au bon moment, au bon endroit.

Objectif 10 milliards de m3 d'eau : une ambition nécessaire pour un pays qui veut rester maître de son avenir hydrique !

12/06/2025

Appel d'une sénatrice à la prudence scientifique sur la continuité écologique

Dans une question écrite adressée à la ministre de la transition écologique, la sénatrice Nadia Sollogoub alerte sur les fondements scientifiques fragiles de la politique de continuité écologique. S’appuyant sur une expertise coordonnée par l’INRAE et l’OFB, elle souligne les nombreuses incertitudes entourant les effets réels des effacements d’ouvrages. Face aux échecs mal documentés, aux contestations riveraines et à l'absence de cadre expérimental rigoureux, elle plaide pour une révision en profondeur des méthodes et des normes, avant toute généralisation des interventions. Une prudence salutaire que la ministre de la transition écologique serait avisée de respecter...


Dans une question écrite adressée à la ministre de la transition écologique le 15 mai 2025, la sénatrice de la Nièvre Nadia Sollogoub alerte sur les lacunes scientifiques entourant les opérations de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle s’appuie sur une synthèse récente du Réseau des zones ateliers françaises, coordonnée par l’INRAE et soutenue par l’OFB, qui souligne les incertitudes persistantes quant aux effets réels de la fragmentation des cours d’eau et à l’efficacité des opérations de restauration. Nous avions recensé cette publication de Maria Alp et al 2024

Nous remercions la sénatrice de sa vigilance pour tous les sujets liés à l'eau, et en particulier à la gestion des ouvrages hydrauliques. Hélas, la politique de continuité écologique a été adoptée sur la base fragile des vues particulières d'une fraction de l'administration, de la recherche, des ONG et de certains usagers (pêcheurs de salmonidés). Elle a pourtant donné lieu à un classement massif des cours d'eau et à des campagnes systématiques de destruction d'ouvrages anciens, sans l'élémentaire prudence de faire des tests plus limités et d'analyser les résultats. Nous payons le prix de cette manière délétère de construire des politiques publiques.

La prochaine loi sur l'eau en France comme la révision de la directive cadre sur l'eau en Europe doivent être impérativement les occasions de revoir les normes et procédures en tenant compte des échecs, des lacunes et des incertitudes. Les politiques environnementales, comme toutes les autres, doivent intégrer les retours d'expérience et s'amender quand elles ne donnent pas satisfaction.

Texte de la question :
"Mme Nadia Sollogoub attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur la nécessité d'encadrer scientifiquement les opérations de restauration de la continuité écologique des cours d'eau.
En fin d'année 2024, un groupe d'experts du Réseau des zones ateliers françaises coordonné par l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRAE) et soutenu par l'Office français de la biodiversité (OFB) a fait le point de l'état des connaissances scientifiques relatives à la restauration de la continuité écologique des cours d'eau. Le constat est clair. Le poids relatif de l'interruption de la continuité, par rapport aux autres pressions anthropiques qui pèsent sur les hydrosystèmes, reste difficile à quantifier. Une estimation des effets de la fragmentation (interruption anthropique de la continuité dans sa dimension longitudinale) reste complexe à réaliser pour de nombreuses variables biologiques. Cette synthèse fait le constat que la restauration de la continuité écologique des cours d'eau est soumise à des sources d'incertitudes techniques, scientifiques et sociales. Il est indispensable que se développent des études scientifiques qui croisent les perspectives biophysiques et socio-économiques. Parallèlement, la communauté scientifique doit pouvoir mieux documenter les échecs de restauration de la continuité écologique. Par ailleurs, il est indiqué que l'équivalence écologique de nouveaux milieux et fonctionnements semi-naturels, voire complétement artificiels par rapport aux milieux naturels ainsi que la valeur patrimoniale de la biodiversité qu'ils abritent, n'est pas tranchée. Enfin, les études scientifiques soulignent l'importance de collecter des données de suivi sur plusieurs années, avant et après les opérations. En conclusion, la production de ce groupe d'experts met indirectement en exergue une insuffisance d'évaluation scientifique. Face à un tel constat, elle lui demande si le Gouvernement envisage, désormais, que toute opération de restauration de la continuité écologique d'un cours d'eau ne se conduise que dans un cadre expérimental soumis à un encadrement et une évaluation scientifique pluridisciplinaire de longue haleine."

Référence : Sénat 2025, Question écrite n°04649, Restauration de la continuité écologique des cours d'eau et exigence d'une approche scientifique experte et globale

09/06/2025

Adresse aux députés sur le bon état écologique des cours d'eau

Notre association a adressé la mise au point suivante aux députés en charge de la mission d'information sur l'état des cours d'eau. Un quart de siècle après l’adoption de la directive-cadre sur l’eau (DCE) en 2000, et plus de cinquante ans après les premières grandes lois sur l’eau, la France constate des progrès très limités dans l’amélioration de l’état écologique et chimique de ses cours d’eau. Malgré des moyens considérables – plus de 2 milliards d’euros par an mobilisés par les agences de l’eau – la majorité des masses d’eau restent classées en état mauvais ou moyen quand on additionne les exigences écologiques et chimiques. Cette stagnation interroge non seulement l’efficacité des politiques menées, mais aussi et surtout les fondements mêmes du cadre réglementaire européen, reposant sur une vision théorique déconnectée des réalités hydrologiques, écologiques et humaines des bassins versants. 


Pourquoi la directive européenne sur l’eau repose sur une impasse intellectuelle et opérationnelle


1. Une directive née dans un entre-soi technocratique et sans débat démocratique. La directive-cadre sur l’eau (DCE), entrée en vigueur en 2000, a été conçue par un cercle restreint d’experts, principalement hydrobiologistes, au sein de la Commission européenne, avec peu de débat politique ou de confrontation disciplinaire. Acceptée sans véritable esprit critique par les élus, elle repose sur des présupposés scientifiques discutables dès l’origine. Ce déficit de débat initial a figé des choix théoriques inadaptés aux réalités de terrain, mais portés par le prestige des indicateurs chiffrés et d’une gouvernance technocratique.

2. Une fiction fondatrice : la rivière sans humain comme norme écologique. Le cœur idéologique de la DCE repose sur une double illusion : la fiction d’un cours d’eau « normal » sans influence humaine, et l’utopie de pouvoir retrouver ou créer de tels états à l’époque de l’anthropocène. Cette vision ignore la profonde transformation historique des bassins versants par les sociétés humaines et les effets désormais structurels de cette transformation sur les cycles de l’eau, du carbone ou des nutriments. Il s’agit donc d’un cadre théorique déconnecté du réel.

3. La « condition de référence », une construction normative hors sol. La directive impose de juger l’état écologique d’une masse d’eau par comparaison avec une « condition de référence » définie comme peu ou pas perturbée par l’homme. Dans les faits, cela signifie évaluer des rivières de zones agricoles, industrielles ou urbaines à l’aune de rivières relictuelles peu anthropisées, souvent situées en zones de montagne ou dans des « déserts ruraux » en tête de bassin. Cette méthode revient à imposer un modèle unique de « naturalité », sans prise en compte des usages humains actuels ou des dynamiques sociales, économiques et climatiques.

4. Des classements biaisés, une France qui surtranspose. Bien que la DCE prévoie des catégories comme « fortement modifiée » ou « artificielle », la plupart des États ont surclassé leurs masses d’eau en « naturelles », contraignant de fait à viser la condition de référence la plus exigeante. La France s’est distinguée par son extrémisme normatif : 95 % de ses masses d’eau superficielles ont été classées comme « naturelles », malgré les transformations évidentes de leurs bassins par l’action humaine. Ce choix entraîne une obligation irréaliste de résultats, menant à des impasses techniques, écologiques et sociales.

5. Des critiques scientifiques bien établies. Depuis la création de la DCE, diverses publications ont remis en cause ses fondements. Elles pointent notamment : l’anthropisation ancienne et irréversible des bassins ; l’impossibilité de restaurer les conditions passées dans un contexte de changement climatique et de diffusion d’espèces exotiques ; l’artificialité d’indicateurs biologiques utilisés comme finalités normatives ; l’erreur intellectuelle d’opposer société et nature dans des systèmes hybrides où l’humain est, qu’on le veuille ou non, une part de la nature. Ces critiques ont été ignorées dans les évolutions réglementaires.

6. Le cas des ouvrages hydrauliques, révélateurs de l’impasse actuelle. En France, les destructions d’ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages) ont incarné concrètement l’idéologie DCE. Présentés comme des « obstacles à la continuité écologique », ces patrimoines ont été ciblés au nom de la « renaturation ». Or, ils sont aussi les témoins d’une histoire millénaire des usages de l’eau, utiles pour l’énergie, l’irrigation, la régulation crue-sécheresse, la prévention incendie ou une partie de la biodiversité. Leur disparition provoque une perte de fonctions, de mémoire et de paysages, mais aussi une fracture sociale avec les riverains. Ces choix tendent à déconnecter la rivière de sa nappe alluviale (ou nappe d'accompagnement) qui doit soutenir son débit en période d'étiage et demande donc à être rechargée correctement au sortir de chaque hiver

7. Une mobilisation sociale et intellectuelle en cours. La destruction de ces ouvrages a suscité une prise de conscience citoyenne : Quelle rivière voulons-nous ? Qui décide au juste de son avenir ? Pourquoi les décisions arrivant sur le terrain sont-elles déjà sur-cadrées dans leurs normes et leurs financements, avant même que les riverains aient pu débattre de choix sur leur cadre de vie ? Ces conflits ont fait émerger une critique structurée des présupposés de la DCE. La révision de la directive en 2027 est une opportunité pour porter cette critique au niveau européen. Nous souhaitons que la France adopte une vision réaliste dans les négociations européennes et demande dans ce nouveau cycle des révisions substantielles de la DCE.

8. Sortir de l’expertise fermée et assumer la pluralité des visons de l’eau. L’expertise actuelle, trop souvent opaque, fermée et techniciste, réduit la rivière à une entité biologique et économique, au détriment des dimensions sociales, culturelles et historiques qui ne sont pas prises en compte dans les cadres de réflexion. Il faut ouvrir ces processus, intégrer d’autres disciplines que les seules écologie et économie (en dialogue de sourds de surcroît), reconnaître que toute norme environnementale engage des choix de société. Il faut aussi admettre et non nier la dimension politique de l’expertise, reconnaître que plusieurs visions de la nature existent, y compris au sein des sciences qui conseillent les décideurs.

9. Reconnaitre l’eau comme fait hybride, et non comme pure nature. Le postulat fondamental à renverser par le législateur est celui qui considère l’humain comme perturbateur de la « vraie » nature, comme un « impact » à dénoncer et à réduire : quelle politique pourrait avoir du succès sur une telle base ? L’eau n’est pas un phénomène naturel pur, c’est un bien hybride façonné par les usages, les techniques, les perceptions, les savoirs. Les options de gestion (conserver, restaurer, adapter) doivent être pensées comme des choix collectifs, contextualisés, et non comme des prescriptions impératives au nom d’une nature devenant une injonction indiscutable.

10. Affirmer le principe de subsidiarité et relocaliser les choix d’action. La gouvernance actuelle est marquée par une centralisation normative excessive, qui édicte depuis Bruxelles ou Paris des règles très précises, souvent déconnectées de la réalité des territoires. Les agences de bassins et les commissions locales de l’eau sont des chambres d’enregistrement à faible vigueur démocratique. Pourtant, les réalités hydrologiques, écologiques, sociales et patrimoniales varient fortement selon les bassins versants. Il est temps d’appliquer pleinement le principe de subsidiarité, déjà inscrit dans les traités européens, en redonnant une réelle capacité d’initiative aux territoires. Cela suppose de faire confiance aux acteurs locaux – élus, riverains, gestionnaires – pour définir des trajectoires adaptées, co-construites et différenciées de gestion de l’eau. 

11. Prioriser les vrais enjeux : disponibilité, souveraineté, sécurité, pollution. La politique de l’eau doit donc cesser de poursuivre un idéal de « nature intacte » inatteignable et contre-productif. Les priorités doivent être clarifiées. D’abord, assurer la disponibilité de la ressource dans un contexte de changement hydro-climatique, afin de garantir les usages essentiels (eau potable, agriculture, énergie, milieux, indépendance nationale et européenne en cas de conflit). Ensuite, renforcer la sécurité face aux extrêmes hydrologiques (crues, sécheresses, incendies), dans un contexte d’exposition croissante. Enfin, concentrer les efforts sur la lutte à la source contre les pollutions diffuses – qu’elles affectent la santé humaine ou les écosystèmes – en renforçant la connaissance, le contrôle et la réduction des contaminants. Ces objectifs concrets peuvent rassembler, s’évaluer, s’ajuster : ils ne nécessitent pas de viser un hypothétique retour à une nature vierge, mais de construire une gestion résiliente, raisonnée et partagée des socio-écosystèmes aquatiques.

02/06/2025

La politique des rivières doit comprendre leur histoire

Loin d’être des milieux "naturels" au sens strict, les rivières françaises et européennes sont le fruit d’une histoire longue, marquée par des millénaires d’usages et d’aménagements, de conflits et de savoir-faire. Histoire, géographie, archéologie et sciences du paysage obligent aujourd’hui à changer notre regard sur les cours d’eau. Mais aussi à repenser nos politiques publiques de l'eau, qui se sont égarées depuis trois décennies dans l'utopie coûteuse et contradictoire de la reconstruction d'une nature sauvage. 


(Photographie de Wolfgang Staudt)

Pendant longtemps, les politiques publiques de l’eau ont été guidées par une représentation implicite de la rivière comme une entité naturelle, un flux spontané, que l’action humaine aurait uniquement détériorée ou altérée. Dans cette vision, "restaurer" une rivière revenait à la "renaturer", c’est-à-dire à la libérer de ses usages historiques, de ses équipements, de ses aménagements. Mais depuis une vingtaine d’années, les travaux issus de l’histoire environnementale, de l’archéologie fluviale, de la géographie historique et des sciences du paysage ont radicalement changé cette perspective. Nos connaissances ont évolué.

Loin d’être un simple cours d’eau façonné par les seuls processus géomorphologiques, la rivière apparaît désormais comme un objet hybride, à la fois naturel et culturel, marqué par une histoire très longue d’interventions humaines. Cela dès le paléolithique, puis de manière accélérée avec le néolithique. Ce tournant historique et archéologique a des conséquences profondes : il oblige à reconsidérer la manière dont on lit un paysage fluvial, dont on évalue sa biodiversité, dont on élabore les diagnostics écologiques, et dont on pense les choix d’aménagement.

Une anthropisation ancienne, profonde et continue
L’archéologie préventive a multiplié ces dernières années les fouilles de fonds de vallée, révélant des traces parfois très anciennes d’aménagements liés à l’eau : petits barrages, digues, canaux, drains, chaussées, retenues, fontaines, douves... Ces structures, loin d’être marginales, sont présentes sur l’ensemble du territoire, depuis l'Antiquité jusqu’à l’époque moderne. Leur densité et leur ancienneté témoignent d’un fait majeur : les rivières françaises ont été intensément travaillées par les sociétés humaines.

Loin d’avoir dégradé une nature jusque-là intacte, ces interventions ont au contraire contribué à structurer les milieux aquatiques : stabilisation des lits, création d’habitats lentiques, alimentation d’étangs ou de zones humides annexes, diversification des écoulements. Elles sont inséparables des régimes agraires et techniques qui se sont succédé dans les bassins versants.


Un paysage fluvial hérité
Les recherches historiques montrent que le lit d’une rivière, sa largeur, sa sinuosité, son enfoncement ou au contraire son élargissement sont souvent le résultat de siècles de travaux : curages, rectifications, mises en culture des marais, creusement de fossés, constructions hydrauliques. Les formes actuelles du paysage fluvial sont des héritages, des palimpsestes, où chaque génération a laissé sa marque.

Il n’existe donc pas de "nature originelle" vers laquelle il serait possible de revenir. Toute rivière est déjà une production sociale et historique. L’idée de « restaurer » une rivière pose alors problème : quel état choisir ? Celui de l’époque préindustrielle ? Du Moyen Âge ? De l’après-guerre ? Les choix de référence ne sont jamais neutres : ils traduisent des arbitrages, des représentations, des valeurs.

Des biodiversités comme constructions historiques
Cette relecture historique a aussi des conséquences sur la manière dont on pense la biodiversité. Les peuplements piscicoles, par exemple, ne sont pas stables dans le temps. Ils ont été profondément modifiés par les changements d’usage, les pollutions, les introductions d’espèces, les modifications d’habitats, les pratiques alimentaires. L’histoire des pêches montre que les poissons consommés par les populations ont évolué bien avant l’ère industrielle.

Dans de nombreuses régions, les ouvrages hydrauliques ont créé des milieux favorables à des espèces inféodées aux eaux calmes, aux herbiers, aux zones de rétention. Leur suppression brutale au nom d’un idéal de libre circulation peut alors produire des effets pervers : disparition d’habitats secondaires, appauvrissement de la diversité locale, déséquilibre entre espèces dominantes et espèces rares.

Redécouvrir la rivière à travers ses patrimoines multiples
Ce changement de regard réhabilite aussi tout un pan de notre patrimoine : moulins, biefs, étangs, canaux, chaussées, forges, anciens réservoirs, fontaines, etc. Ces éléments ne sont pas de simples ruines techniques ou des obstacles à la continuité écologique. Ils racontent une histoire collective, celle des usages de l’eau, de l’énergie hydraulique, de l’économie rurale, des savoir-faire locaux. Ils participent à l’identité des lieux, à leur mémoire, à leur attractivité.

Reconnaître leur valeur, ce n’est pas nier les enjeux écologiques : c’est au contraire les replacer dans un cadre plus juste, plus complet, plus durable. Le patrimoine hydraulique est aussi un patrimoine écologique, dès lors qu’il est bien géré, entretenu, et intégré dans des dynamiques locales.


Vers une écologie de l’Anthropocène
Ces avancées scientifiques s’inscrivent dans une évolution plus large : celle des sciences de l’Anthropocène. Dans ce cadre, on cesse d’opposer nature et culture. On comprend que les milieux vivants sont co-produits par les sociétés humaines et les dynamiques naturelles. Les rivières n’échappent pas à cette logique. Elles sont le reflet de décisions passées, d’usages, de conflits, d’innovations.

Penser leur avenir suppose donc de ne pas les « effacer » pour retrouver un état supposé vierge, mais au contraire de comprendre leur trajectoire, leur complexité, et d’accepter qu’il n’existe pas d’état zéro de la nature. La gestion écologique ne peut être déconnectée de l’histoire, du droit, des usages, des mémoires et des attachements.

Une invitation à réviser nos politiques
Ce changement de regard invite à revoir en profondeur certaines orientations publiques. Il ne s’agit plus simplement de choisir de manière binaire entre conservation et exploitation, entre libre circulation ou fragmentation, entre nature ou culture. Il s’agit de développer des politiques sensibles à la pluralité des enjeux, à la richesse des héritages, à la complexité des équilibres, à la diversité des formes de vie humaine et non humaine autour de l’eau.

C’est cette voie qu’ouvrent les recherches en histoire et archéologie de l’environnement. En croisant sciences humaines et écologie, savoirs scientifiques et expériences locales, passé et futur, nous pouvons élaborer une gestion plus juste, plus intelligible et plus soutenable de nos milieux aquatiques.

A lire sur Hydrauxois : nos rubriques Anthropocène, Archéologie, Histoire recensent des travaux et apportent des informations sur ces sujets. Explorez-les!

08/04/2025

Le harcèlement administratif des ouvrages hydrauliques persiste : comment y mettre fin?

Alors que la relance des ouvrages hydrauliques anciens pourrait contribuer à la transition écologique, à la résilience des territoires et à la souveraineté énergétique, ces projets se heurtent encore et toujours à une multitude de blocages administratifs. L’association Hydrauxois dénonce un excès de complexité, une culture du soupçon, un antagonisme organisé entre protection de la nature et usages de l’eau. Le gouvernement comme le législateur doivent faire cesser ces troubles qui viennent au premier chef des dérives des services publics concernés. 


En France, de nombreux ouvrages hydrauliques anciens — moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau, petits barrages, usines hydroélectriques — ont été construits bien avant la loi sur l’eau de 1992. pour beaucoup avant le 20e siècle et même avant la Révolution. Ces ouvrages, déjà autorisés, sont souvent fondés en titre ou disposent d’une reconnaissance antérieure de leur existence et de leur usage. Pourtant, leur relance, notamment à des fins de production hydroélectrique, piscicole ou d’agrément, est aujourd’hui entravée par une multitude de contraintes administratives.

Le harcèlement réglementaire des ouvrages hydrauliques déjà autorisés
Les services de l’État en charge de l’eau et de la biodiversité — DREAL, DDT-M, Office français de la biodiversité (OFB), Agences de l’eau — comme souvent ceux des syndicats de rivière multiplient les obstacles qui rendent les démarches longues, coûteuses et incertaines. Alors même que ces ouvrages sont en place, légalement fondés et potentiellement utiles dans le contexte de la transition énergétique, de l'adaptation au changement climatique ou de la préservation des usages ruraux, les procédures deviennent un véritable parcours du combattant.

Parmi les problèmes fréquemment rencontrés :
  • des contestations sur la reconnaissance du droit fondé en titre ;
  • des remises en question de la consistance légale de l’ouvrage (hauteur, débit dérivé, puissance exploitable) ;
  • des exigences exagérées sur les débits réservés, souvent supérieurs au seuil de 10 % prévu par la loi ;
  • des demandes de justification disproportionnées, parfois sur des données anciennes ou impossibles à reconstituer ;
  • des délais d’instruction excessifs, souvent suivis de demandes de compléments sans fin ;
  • des avis techniques défavorables sans prise en compte des réalités historiques, juridiques et locales ;
  • des objectifs maximalistes d'absence d'impact impossibles à tenir car ils signifieraient l'absence d'ouvrage ;
  • des qualifications de certaines rivières comme "réservoirs biologiques" sans preuve et sans démonstration que l'ouvrage aurait mis en péril cette fonction de réservoir ; 
  • un manque de coordination entre services, chacun pouvant bloquer à son niveau la relance d’un ouvrage.
La situation n'est pas la même partout. Parfois, des services administratifs font preuve de bon sens et de rapidité dans la relance de sites anciens. Mais cette disparité est encore plus pénible à vivre car cela signifie que l'arbitraire d'un service instructeur local peut rendre une situation invivable alors qu'elle est tout à fait paisible ailleurs. L'égalité devant la loi et les charges publiques est pourtant inscrite dans la mentalité française de longue date... L'attitude négative de certains agents publics s'apparente davantage à un militantisme au service d'une vision radicale de l'écologie qu'à la gestion "durable et équilibrée" de l'eau telle que la loi l'avait prévue. Cela décrédibilise l'action publique, déjà perçue comme coupée des réalités vécues. 

Cette situation engendre une insécurité juridique permanente pour les maîtres d'ouvrage (particuliers, entreprises ou communes), avec une accumulation de coûts et de procédures rendant quasi-impossible la relance de nombreux sites. Elle contribue à décourager les porteurs de projets, à freiner des initiatives locales vertueuses, à entretenir une forme de harcèlement administratif vis-à-vis d’ouvrages pourtant inscrits de longue date dans le paysage urbain comme rural.

Pour une réforme législative et administrative des usages hydrauliques
Face aux blocages répétés auxquels sont confrontés les porteurs de projets de relance d’ouvrages hydrauliques déjà autorisés, il devient indispensable d’engager une double réforme : au niveau législatif d’une part, au niveau réglementaire et administratif d’autre part. Le retour d’expérience des dernières décennies montre que la complexité actuelle n’est plus tenable et que, malgré les efforts affichés d'apaisement, le gouvernement n'est pas capable d'une direction politique de son administration eau & biodiversité.

1. Réviser les lois sur l’eau en renouant avec la culture des usages hydrauliques
Le cadre législatif européen (Directive cadre sur l’eau,  règlement sur la restauration de la nature) comme le cadre national (loi sur l’eau de 1992, loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, etc.) ont accumulé, au fil des années, une série de dispositions protectrices de l’environnement qui, bien que justifiées par leur intention, ont fini par engendrer une overdose normative difficilement applicable sur le terrain. Elles ont aussi multiplié des couches administratives complexes, avec découragement des acteurs locaux à participer tant les normes et les financements sont enchevêtrés.

Il est temps de réinterroger cette législation à la lumière des enjeux contemporains : souveraineté énergétique, relocalisation alimentaire, gestion durable des ressources. Une meilleure hiérarchisation des objectifs est nécessaire : la protection de la biodiversité est légitime mais ne peut se faire au détriment systématique de tout usage humain de l’eau, notamment lorsqu’il s’agit de relancer des ouvrages existants, sans artificialisation nouvelle ni destruction d’habitat. La loi devrait consacrer cette hiérarchie et reconnaître explicitement la valeur patrimoniale, énergétique, agricole ou paysagère de ces infrastructures anciennes. Les normes doivent être hiérarchisées dans le code de l'environnement, et les priorités doivent être opposables à l'administration sans contradiction possible. Le flou de la loi est la première cause de l'arbitraire règlementaire. 

2. Simplifier les procédures administratives de relance
Au-delà de la loi, c’est dans la pratique administrative que s’exerce le plus souvent le blocage. Les services déconcentrés de l’État (DDT-M, DREAL), l’OFB, les agences de l’eau imposent des procédures longues, complexes et souvent disproportionnées par rapport aux enjeux réels des projets et aux capacités des maîtres d'ouvrage. Chacun appuie sur un bouton pour exiger des études innombrables autour de chaque projet, comme si un site déjà en place avait des impacts nouveaux conséquents et comme si l'argent magique pouvait payer ces exigences non fondées sur des enjeux écologiques de première importance. Il est urgent de rétablir un cadre plus fluide, plus cohérent, et plus réaliste.

Cela passe d’abord par la fixation de délais stricts et contraignants pour l’instruction des demandes. Un projet de relance d’un ouvrage déjà autorisé ne devrait pas faire l’objet de procédures étalées sur plusieurs années : l'absence de réponse au bout de deux mois doit valoir approbation et la préfecture doit s'engager à une liste initiale réduite de demandes, qui n'évolue plus de manière arbitraire au fil des échanges. 

Ensuite, les agents en charge de ces dossiers doivent être formés à une lecture réaliste des territoires : il ne s’agit pas ici de restaurer des cours d’eau sauvages, mais de gérer intelligemment des milieux anthropisés de longue date, où coexistent des enjeux multiples. Les agents de l'OFB en particulier vivent trop souvent dans une tour d'ivoire naturaliste où l'histoire, la société, la culture, le paysage, l'économie ne sont pas des réalités au même titre que la faune et la flore. 

Enfin, une culture du bon sens doit être restaurée au sein des services, là aussi par des instructions claires du gouvernement et par des formations des agents : ne pas exiger des études interminables pour des installations modestes, ne pas multiplier les demandes de compléments absurdes, reconnaître les spécificités des ouvrages anciens sans chercher à les faire entrer de force dans des cadres conçus pour des projets neufs, associer toute exigence de charge d'intérêt général à un financement prévu pour cela dans les contrats de rivière, les SAGE, les SDAGE. 

Il y a, dans l’administration actuelle eau & biodiversité, une difficulté d’acceptation de la réalité des rivières transformées par l’histoire humaine : cette posture doit évoluer car l'expérience montre qu'elle est incapable de garantir une gestion inclusive et apaisée des ouvrages des rivières.


Un appel à la mobilisation des acteurs de terrain
L’association Hydrauxois souhaite lancer un appel à l’ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques : moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau d’agrément, canaux d’irrigation, petits barrages, et autres dispositifs traditionnels ou récents qui structurent encore nos vallées et nos territoires. Tous ces ouvrages sont aujourd’hui concernés par des pratiques administratives qui freinent, voire empêchent, leur relance, leur entretien ou leur modernisation.

Il est impératif que ce réseau d’acteurs se mobilise pour faire remonter, sans relâche, les réalités du terrain auprès des députés et sénateurs, afin qu’ils prennent pleinement conscience de l’ampleur des blocages, de leur caractère systémique et de leur coût humain, écologique et économique. Chaque situation concrète — chaque dossier ralenti, chaque projet abandonné, chaque propriétaire découragé — doit devenir un levier d’alerte.

Par ailleurs, les préfets doivent être saisis systématiquement lorsque les services placés sous leur autorité persévèrent dans une logique de blocage. Il en va de la crédibilité de l’État et de la confiance que peuvent accorder les citoyens aux institutions : le cadre réglementaire, même lorsqu’il est imparfait, doit être appliqué avec discernement, et non instrumentalisé pour freiner des projets légitimes.

La gestion de l’eau et des rivières ne peut rester un champ de conflits permanents. Elle doit redevenir un sujet de coopération intelligente, fondée sur la reconnaissance des usages anciens, la prise en compte des enjeux contemporains, le respect mutuel entre administrations, citoyens et territoires.

22/03/2025

Des députés de tous bords interpellent le gouvernement sur la destruction des ouvrages hydrauliques en rivière

En ce moment, les politiques environnementales sont sous pression en raison de leurs contraintes et coûts mal acceptés pour des résultats incertains. Ce sont logiquement les choix les plus contestables et contestés de ces politiques qui refont surface dans le débat public. En particulier la fameuse "continuité écologique et renaturation des rivières" : cette politique incompréhensible a conduit l'administration française à privilégier la destruction du patrimoine des seuils et barrages desservant des moulins, étangs, petites usines à eau partout dans les territoires. Comme le soulignent les parlementaires, les aspects négatifs de ce choix sont patents : perte de la capacité de réguler les eaux pour atténuer crue et sécheresse, d'un productible hydro-électrique très bas carbone, d'un agrément culturel, d'un paysage aquatique et d'un patrimoine historique. Le pire est que la principale promesse de cette politique n'a nullement été tenue : malgré des milliers de chantiers ayant engagé des centaines de millions d'euros d'argent public, les poissons grands migrateurs ont vu leur situation se dégrader sur la plupart des bassins depuis 20 ans ! Il est temps d'arrêter les frais en révisant la loi sur l'eau. 


Barrage des Pipes en cours de destruction, source l'Est Républicain, Esteban Grepinet DR

Des parlementaires de tous bords s'interrogent sur le sujet de la destruction des seuils en rivière, dans le cadre des politiques de restauration de la continuité écologique. Ils soulignent toutes les conséquences négatives potentielles de cette politique, notamment en matière de gestion de l'eau et d'atténuation des effets du changement climatique.

Impacts hydrologiques et climatiques : les parlementaires mettent en avant le rôle historique des seuils et chaussées de moulins dans la régulation des cours d'eau. Ils estiment que leur suppression aggrave les sécheresses estivales, réduit la recharge des nappes phréatiques et intensifie les crues et inondations en aval. Des exemples récents de catastrophes climatiques (notamment dans le Pas-de-Calais et en Bretagne) sont cités pour appuyer ces inquiétudes.

Patrimoine et énergie renouvelable : ces ouvrages sont également considérés comme faisant partie du patrimoine historique et culturel français. Certains députés insistent sur leur potentiel en matière de production d’hydroélectricité décentralisée et décarbonée, qui pourrait être une alternative aux destructions systématiques.

Efficacité et justification des politiques de continuité écologique : si la nécessité de préserver la biodiversité est reconnue, plusieurs députés critiquent la pertinence de la destruction des moulins. Ils soulignent que les attentes liées au retour des poissons migrateurs ne se sont pas concrétisées, et que ces mesures pourraient être contre-productives en termes de préservation des écosystèmes aquatiques.

Demande de réévaluation des politiques publiques : les parlementaires interrogent le gouvernement sur les mesures envisagées pour concilier restauration écologique et préservation des ouvrages hydrauliques encore en usage. Certains demandent une application stricte de l’article 49 de la loi « climat et résilience », qui interdit la destruction des moulins, et suggèrent une modification des schémas d’aménagement de l’eau pour inclure les défenseurs des moulins dans la gouvernance.

Mme Marie Pochon - Drôme (3e circonscription) - Écologiste et Social
Mme Marie Pochon alerte Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur le sujet de l'effacement des moulins et des seuils de rivières. Du fait des changements climatiques, l'ensemble du pays est confronté à des sécheresses dramatiques transformant des cours d'eau en chemins de randonnée, condamnant les espèces aquatiques et la flore endémique de ces biotopes. Aux intersaisons, les épisodes de crues frappent durement plusieurs régions du pays. En 2024 le Pas-de-Calais, puis en 2025 l'Ile-et-Vilaine, ont fait les frais de ces catastrophes dramatiques. Dans ces deux départements, ce sont près de 400 seuils et ouvrages qui auraient été détruits sur les quinze dernières années. De quoi interroger le rôle de ces seuils dans la limitation du pic de crue et des inondations en amont. En tant qu'écologiste, Mme la députée tout à fait favorable aux mesures de restauration de la continuité écologique dans les rivières. Elle est sensible à la diminution inquiétante des populations de poissons, de batraciens et de l'ensemble des espèces qui peuplent les cours d'eau. Il est primordial de poursuivre ces démarches de renaturation de rivières et de restauration de la continuité écologique. Le contournement des seuils ou encore l'installation de passes à poissons doivent être soutenues par les agences de l'eau et sur ce point le plan national d'adaptation au changement climatique annoncé le 10 mars 2025 peut rassurer. Pour autant, Mme la députée a été alertée par certains des citoyens défenseurs des moulins qui s'inquiètent de voir disparaître ces ouvrages. On estime aujourd'hui que 10 000 moulins ont été détruits sur les 60 000 que comptait la France. Au-delà d'un rôle de régulateur des niveaux des cours d'eau, ces bâtiments font partie du patrimoine et peuvent également être des sources d'énergie renouvelable et décarbonée. La politique des agences de l'eau soutient l'effacement de ces ouvrages. Si on peut en comprendre la pertinence lorsqu'ils touchent des ouvrages abandonnés et dangereux, Mme la députée souhaiterait connaître les actions envisagées pour associer à la fois la restauration de la continuité écologique et le maintien de ces ouvrages utilisés à des fins de micro-hydroélectricité et qui font partie du patrimoine. Elle souhaiterait donc connaître les actions envisagées pour associer à la fois la restauration de la continuité écologique et le maintien de ces ouvrages.

M. Loïc Kervran - Cher (3e circonscription) - Horizons & Indépendants
M. Loïc Kervran appelle l'attention de M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation sur la politique engagée depuis la circulaire du 25 janvier 2010 ayant entraîné la destruction de près de 10 000 ouvrages hydrauliques ( principalement des chaussées de moulins à eau ) sur un total de 60 000 ouvrages recensés en 2010 par l'office français de la biodiversité (OFB). Ces ouvrages, qui constituent un patrimoine hydraulique millénaire, ont été réalisés et entretenus pendant des siècles pour réguler les cours d'eau, préserver les nappes phréatiques et limiter les inondations en agissant comme de véritables régulateurs naturels des débits. En éliminant ces structures essentielles, la politique mise en œuvre risque d'aggraver significativement les phénomènes climatiques. En effet, en supprimant les retenues naturelles qui ralentissent les écoulements et favorisent la recharge des nappes, on observe une intensification des sécheresses estivales ainsi qu'un accroissement de la fréquence et de la gravité des inondations lors des épisodes de fortes pluies. Ces constats, étayés par plusieurs études et avis d'experts en hydrologie et en environnement, invitent à une reconsidération urgente de cette politique. Ils soulignent la nécessité d'un équilibre entre la modernisation des infrastructures de gestion de l'eau et la préservation d'un patrimoine historique qui a toujours joué un rôle crucial dans la régulation naturelle des écosystèmes fluviaux. Dans ce contexte, il souhaite savoir quelles mesures il envisage pour réévaluer et, le cas échéant, inverser, cette politique qui détruit massivement des ouvrages essentiels à la régulation naturelle des cours d'eau et à la prévention des crues. Il demande également s'il prévoit de modifier les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ainsi que les programmes d'aides des agences de l'eau, notamment en intégrant les représentants des moulins à eau dans les instances de gouvernance, afin d'assurer une gestion équilibrée de la ressource hydrique.

M. Roger Chudeau, Loir-et-Cher (2e circonscription) - Rassemblement National
M. Roger Chudeau interroge Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à la demande de la FFAM (Fédération française des associations de sauvegarde des moulins), sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite loi « climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. En l'espace de 15 ans, sur un total de 60 000 ouvrages en rivière recensés en 2010 par l'OFB, 12 000 ont été « partiellement » ou « totalement » détruits dans le cadre du « plan de restauration de la continuité écologique » mis en œuvre par la circulaire du 25 janvier 2010. Sur ces 12 000 ouvrages détruits, 10 000 environ sont des chaussées de moulins à eau ou leurs vannages. Ces destructions massives d'un patrimoine installé depuis des siècles sur les rivières françaises se sont accompagnées d'une explosion du coût de la sinistralité climatique en France (inondations, sècheresses), passé de moins de 3 milliards d'euros en moyenne au début des années 2010, à 6 milliards actuellement. En effet, en relevant le niveau des eaux des rivières et en ralentissant les écoulements sur l'ensemble du réseau hydrographique français, les dizaines de milliers de petites retenues de moulins à eau ont pour vertu à la fois de préserver les eaux et la vie aquatique lors des sècheresses estivales, de nourrir les nappes tout au long de l'année ; mais également, lors des fortes pluies, de faciliter les débordements précoces dans les plaines alluviales permettant de limiter le pic de crue et les inondations à l'aval des bassins versants. Dans le Pas-de-Calais par exemple, qui a subi de graves inondations en novembre 2023, 320 ouvrages ont été partiellement ou totalement détruits. Sur le seul bassin de la Vilaine, 100 ouvrages ont été détruits. Les eaux ne sont plus préservées, leur flux n'est plus régulé, ce pour quoi ces ouvrages avaient été aménagés et entretenus durant des siècles. En outre, alors que ces destructions devaient favoriser le retour des poissons migrateurs sur les rivières, ces espèces n'ont jamais été aussi peu nombreuses qu'en 2023. Ce résultat était prévisible, comme la FFAM l'a déjà fait connaître. À l'instar des barrages de castors de hauteur équivalente et modeste auxquels les chaussées de moulins n'ont fait que succéder : en conservant d'importants volumes d'eau dans les rivières lors des sècheresses estivales, ils préservent la vie et permettent le développement des alevins et juvéniles de saumons ou de truites. En conclusion, assise non sur la connaissance, mais sur une dangereuse dialectique d'opposition entre l'homme et la nature, cette politique de destruction est fille de l'ignorance et du dévoiement des lois. Elle aura déjà coûté plusieurs milliards d'euros à la France et ses conséquences sur la sinistralité climatique se fera de plus en plus durement sentir à mesure que les destructions s'accumulent. C'est pourquoi il lui demande si l'article 49 de la loi n° 2021-1104, qui interdit de détruire ces ouvrages anciens, sera enfin appliqué par les administrations de l'eau et si seront rénovés et remontés certains ouvrages détruits afin de rétablir les équilibres d'autrefois et juguler ces phénomènes.

16/04/2024

La règlementation européenne "Restaurer la nature" est bloquée par le conseil des Etats

Plusieurs États membres de l'Union européenne ont retiré leur soutien à une règlementation phare dite de restauration de la nature, bloquant ainsi son adoption. Cette décision survient dans un contexte de défis accrus pour le secteur agricole européen, exacerbés par des tensions géopolitiques et des changements climatiques. Mais au-delà de cette conjoncture, la difficulté à faire passer des lois imposant "par en haut" la manière dont les citoyens devraient ou ne devraient pas gérer leurs cadre de vie est un signe des temps. L'écologie elle aussi aura l'obligation d'être plus ouverte à la diversité des attentes sociales et à la complexité des représentations de la nature. 


La Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède ont manifesté leur refus de signer la règlementation Restore Nature (Restaurer la nature), tandis que la Pologne, l'Autriche,  la Finlande et la Belgique ont signifié leur abstention. 

Ce retrait du soutien à une règlementation écologique par plusieurs États membres de l'Union européenne marque un nouveau coup dur pour ce projet de législation, élaboré pendant deux ans. Initialement, cette règle visait à restaurer les habitats et écosystèmes dégradés de l'UE, dans le cadre du Pacte vert. Elle représente l'une des plus grandes politiques environnementales jamais proposées par l'UE, après la directive Habitat, faune flore de 1992.

Pour atteindre l'objectif fixé de restaurer au moins 20% des terres et mers de l'UE d'ici la fin de la décennie, les États membres devraient restaurer 30% de leurs habitats terrestres et marins d'ici 2030, y compris les forêts, prairies, zones humides, mais aussi les rivières, lacs, estuaires et fonds coralliens, avec des augmentations prévues à 60% en 2040, puis 90% en 2050. Ils devraient également adopter des plans nationaux de restauration détaillant les moyens d'atteindre ces objectifs.

La règlementation "Restaurer la nature" avait déjà été sérieusement remaniée après les oppositions parlementaires au projet de la Commission, puis les protestations des agriculteurs européens. Des événements climatiques extrêmes et les tensions géopolitiques récentes ont exacerbé les défis agricoles, affectant les prix et les revenus.

Ces événements récents représentent un nouveau revers pour la politique environnementale controversée de l'Union européenne, montrant la complexité des politiques écologiques dans un contexte de crises multiples. Au-delà du cas particulier des agriculteurs, beaucoup craignent que la décision d'aménagement des cadres environnementaux ne soit confisquée par des technocraties très éloignées du terrain et des pratiques, avec des incitations devenant parfois des dogmes. 

L'association Hydrauxois avait alerté précocement les élus et les administratifs européens sur les nombreuses dérives déjà observées dans le cadre de la restauration des rivières, marquée en France par des destruction massives de patrimoines et par des oppositions riveraines multiples. 

Autant les citoyens sont intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la réduction des polluants toxiques, la préservation de paysages d'intérêt, la protection raisonnée de la faune et de la flore, autant ce processus ne peut se réduire à l'imposition d'une écologie théorique dont le mot d'ordre serait finalement de chasser les humains des milieux naturels ou de revenir à une hypothétique nature du passé. 

Restaurer des habitats diversifiés, pourquoi pas. Mais punir les humains et détruire leurs patrimoines, cela ne passe plus. Les pratiques de restauration écologique doivent acter ce blocage pour évoluer dans leurs méthodes et objectifs. 

03/04/2024

Les riverains, moulins, étangs, protecteurs du patrimoine seront toujours exclus des instances des SAGE


Un  projet de décret  soumis à consultation a pour objet de modifier les dispositions du code de l’environnement relatives aux schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Rappelons que les SAGE participent à la gestion publique de  l’eau à échelle d’un bassin versant. 

Parmi les évolutions à noter :
  • La capacité pour le préfet de faire évoluer le périmètre d’un SAGE
  • L’autorisation de travailler en visioconférence pour les commissions locales de l’eau
  • La possibilité simplifiée de réviser totalement ou partiellement le contenu d’un SAGE selon l’évolution des autres textes normatifs ou l’observation d’effets non désirés
  • L’obligation d’identifier les zones humides sur le territoire du SAGE 
Nous constatons que malgré les demandes répétées faites en ce sens, de nombreux acteurs restent exclus des commissions locales de l'eau, à savoir :
  • les riverains
  • les protecteurs du patrimoine
  • les propriétaires de moulins, étangs, plans d'eau
En revanche, d'autres acteurs déjà très représentés dans toutes les instances de l’eau voient encore leurs prérogatives augmenter, comme par exemple le comité de gestion des poissons migrateurs qui acquiert le droit d'évaluer les projets de SAGE.

La démocratie riveraine défaillante n'est donc nullement renforcée par ce projet de décret. 

Il en va de même pour la gestion politique des SAGE, puisque le collège des représentants élus des collectivités territoriales ne voit pas ses prérogatives évoluer. L’un des reproches pourtant fait aux SDAGE comme aux SAGE est d’être devenus des chambres d’enregistrement d’évolutions technocratiques décidées à Paris ou à Bruxelles, avec très peu de latitude de choix de leur environnement pour les élus et les citoyens. 

Pour participer à la consultation : Projet de décret relatif aux schémas d’aménagement et de gestion des eaux, Consultation du 28/03/2024 au 21/04/2024 

19/01/2024

Un rapport parlementaire acte la nécessité du stockage de l’eau, parmi un bouquet de solutions

L’évolution du cycle de l’eau liée au changement climatique et aux usages humains va induire un risque accru de manque (sécheresse) et d’excès (crue) à l’avenir. La France en fait déjà l'expérience, or ces phénomènes devraient s'accentuer. Face à cette situation, les parlementaires de la commission développement durable de l’Assemblée nationale viennent de publier un rapport d’information proposant un «bouquet de solutions». Parmi ces solutions, le stockage de l’eau, sujet sur lequel nous nous attardons ici. Nous soulignons aussi quelques carences dans la démarche parlementaire.

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Comment faire évoluer la politique de l’eau en période d’adaptation au changement hydrique et climatique? Comment conjurer le double risque liés aux situations extrêmes de l'eau, la sécheresse ou la crue? Au terme des travaux parlementaires, voici les orientations-clés qui ont été identifiées par les rapporteurs :
« Les travaux de la mission d’information montrent qu’il n’existe pas de solution unique dans ce domaine, mais qu’il faut agir simultanément sur différents fronts. Dans ce « bouquet de solutions », on peut identifier plusieurs leviers d’amélioration qui s’articulent autour des exigences suivantes : 
– Mieux connaître la disponibilité de la ressource et les effets du changement climatique sur celle-ci ; 
– Disposer d’informations précises et régulières, si possible en temps réel, sur les prélèvements opérés en faveur des activités humaines ; 
– Protéger l’eau et les milieux aquatiques en se fondant autant que possible sur des solutions naturelles, comme favoriser l’infiltration de l’eau dans le sol et ralentir le cycle de l’eau ; 
– Encourager la sobriété et les économies d’eau pour tous les usages, notamment en accompagnant le monde agricole ; 
– Développer le stockage de l’eau sous des formes qui ne nuisent pas aux espaces de stockage naturels que sont les nappes phréatiques ; 
– Réutiliser les eaux non conventionnelles et les eaux usées chaque fois que cela est possible ; 
– Développer des mécanismes de gouvernance collectifs efficaces et réellement appliqués pour définir le partage de l’eau et penser l’aménagement du territoire en fonction de la ressource ; 
– S’interroger sur les moyens budgétaires et sur les outils fiscaux permettant une protection maximale de la ressource tout en responsabilisant les différents acteurs. »
On observe que le stockage de l’eau fait partie des orientations fortes souhaitées pour la politique publique, les parlementaires rappelant d’ailleurs que cet objectif a été inscrit par la loi dans le code de l’environnement (article L 211-1). Encore faut-il que les administrations mettent en œuvre les choix législatifs, ce qui n’est pas toujours automatique, notamment dans le domaine de l’eau. La loi  a aussi interdit en 2021 la destruction de l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique (article L 214-17 code environnement), mais des préfectures persistent à valider ces destructions d’ouvrages et assèchements de milieux.

Concernant ce stockage d’eau, le rapport parlementaire énumère les formes possibles :
« Il existe différentes méthodes pour retenir de l’eau et l’utiliser en fonction des besoins, et ainsi plusieurs types de retenues d’eau. Les différentes catégories dépendent notamment du mode d’extraction de l’eau et de son origine (rivière ou nappe) : 
– retenues collinaires, alimentées principalement par les eaux pluviales et de ruissellement (citerne, plan d’eau, étang, bassins divers) ; 
– retenues en barrage sur les cours d’eau (lac de barrage, plan d’eau) ; 
– retenues alimentées par un canal en dérivation d’un cours d’eau (étang) ; 
–  réserves alimentées par pompage dans la nappe ou dans la rivière, aussi appelée « réserves de substitution ». 
Au début des années 2000, on comptait environ 125 000 retenues de petite taille sur le territoire national, assurant la collecte et le stockage de l’eau pour des besoins variés : alimentation des villes en eau potable, mais aussi usages agricoles, industriels, piscicoles, de loisir ou de soutien d’étiage. Depuis, la création de nouvelles retenues se poursuit. Aujourd’hui, le nombre exact de retenues d’eau sur le territoire est mal connu, mais se situerait, y compris avec les retenues de petite taille et pour des besoins variés, entre 600 000 et 800 000. » 
Relativement aux "continuités écologiques", le rapport est d’une prudente sobriété, évoquant pour l’essentiel la question des reméandrages avec débordement en lit majeur :
« Il existe un panel de solutions permettant d’améliorer l’infiltration de l’eau dans les sols. Ces adaptations doivent toutefois également prendre en compte les risques associés, comme le risque de remontées de nappe ou de retrait-gonflement argileux par exemple. Le meilleur stockage possible pour l’eau est dans les nappes phréatiques, car elle est ainsi protégée de l’évaporation et des pollutions présentes en surface. L’objectif est donc de favoriser l’infiltration des eaux pluviales directement dans les sols, et de ré-humidifier les territoires. De plus, l’eau qui ruisselle se pollue par la même occasion, via le lessivage du sol. Aussi, permettre une meilleure infiltration de l’eau pluviale à la parcelle a aussi pour effet d’améliorer la qualité de l’eau. Cela peut passer par divers aménagements urbains comme ruraux. 
Au cours du temps, les rivières ont été approfondies et redressées par l’homme, ce qui a accéléré le cycle de l’eau. Pour y remédier, il est possible de procéder au reméandrage des cours d’eau, qui consiste à remettre le cours d’eau dans ses anciens méandres ou à créer un nouveau tracé, pour lui redonner une morphologie sinueuse, se rapprochant de son style fluvial naturel. Il s’agit de ralentir les vitesses d’écoulement, en période de crue notamment. Cela permet également d’améliorer la diversification des habitats du cours d’eau et de limiter l’eutrophisation. 
Le reméandrage tend aussi à réduire le risque d’inondation, grâce à une meilleure capacité de rétention. L’eau déborde plus facilement en amont, et recharge ainsi les nappes situées à proximité, permettant un rechargement « passif », sans surcoût énergétique, contrairement à un rechargement artificiel. La restauration peut prendre quelques mois pour une rivière à forte énergie, à quelques décennies pour un cours d’eau peu puissant. 
L’objectif est la gestion de l’eau « à la parcelle», c’est-à-dire d’infiltrer la goutte d’eau au plus près de l’endroit où elle tombe. Cela revient à« déconnecter » une partie de l’eau pluviale du réseau d’eau et d’assainissement classique, puisqu’elle n’est plus acheminée dans les canalisations, mais bien infiltrée directement dans le sol. L’objectif est de créer des aménagements permettant de recueillir une partie importante de l’eau pluviale, stockée naturellement et restituée progressivement au milieu. Cette méthode permet aussi de soulager les réseaux d’eaux usées et d’éviter leur éventuel débordement en période d’inondation, qui conduit à une pollution de l’eau et des milieux. »
Quelques réserves et critiques
Le rapport est associé à 81 propositions de mesures. La plupart sont de bon sens et ont notre soutien. Mais nous souhaitons émettre ici quelques réserves et critiques :
  • Comme d’habitude, les usagers et la société civile sont mal représentés dans les auditions, beaucoup restent des invisibles de l’eau. Nous retrouvons les abonnés de longue date à ces exercices (France Nature Environnement, Fédération de pêche, etc.), quelques chercheurs un peu engagés et médiatisés, mais par exemple nous ne voyons pas de représentants des secteurs directement associés au sujet, au premier chef les associations et fédérations de riverains, mais aussi les moulins, forges et autres patrimoines hydrauliques, les étangs et plans d’eau, les producteurs de petite hydro-électricité, les irrigants traditionnels en réseaux locaux de canaux et biefs. Le rapport note que l’on parle de plus de 500 000 petits systèmes hydrauliques sur la France métropolitaine mais cette réalité n’existe pas dans la représentation d’intérêt ni réellement dans la connaissance scientifique ou même la nomenclature administrative. Les experts en limnologie travaillant sur les lacs, réservoirs, retenues et divers plans d'eau n'ont pas non plus été auditionnés. 
  • Les excès et erreurs de la restauration de continuité écologique en long, ayant conduit à détruire et assécher un grand nombre de retenues et de diversions d’eau, sont totalement évacués du rapport. Pas de vague ! On s’aperçoit aujourd’hui que cette politique est nuisible à tous les niveaux : pour la production d’énergie décarbonée, pour le stockage de l'eau, pour la régulation de l’eau, pour les usages et aménités qui peuvent en découler. La moindre des choses quand une politique publique s’égare ainsi, c’est de le reconnaître et d’en faire un retour d’expérience, afin de ne pas commettre le même genre d’erreurs à l’avenir. Or rien ici. C'est bien dommage, d'autant que la prochaine révision de la loi sur l'eau comme de la directive cadre européenne sur l'eau devra impérativement recadrer cette continuité écologique en long en la soumettant à davantage de respect des autres dimensions des rivières et plans d'eau. 
  • Les parlementaires et de manière générale les acteurs de l’eau doivent être désormais plus précis en ce qui concerne les solutions fondées sur la nature. En effet, si ces orientations vont dans la bonne direction, il ne faut pas pour autant en surestimer le potentiel ni en minimiser le coût. C'est justement une erreur usuelle des politiques publiques, qui entraîne ensuite déception et démobilisation. Le seul exemple associé à l’idée de continuité écologique latérale (reméandrage) fait l’objet de retours critiques en science, et il faut les examiner. Si l’on se contente de creuser un lit en sinusoïde sur une rivière à faible puissance et sans prévoir des capacités de débordement (donc éviter le lit incisé), on ne change quasiment rien aux capacités de prévention des inondations et assecs tout en dépensant sans grande raison une certaine somme d’argent public. Si l’on prévoit à l’inverse des chantiers associés à des capacités décisives de stockage par débordement latéral, le coût va être conséquent car il concernera des grandes surfaces et des changements substantiels du régime d’écoulement. Tout cela doit désormais dépasser la déclaration d’intention pour être évalué et chiffré afin de conjurer le risque de petites opérations n’ayant pas réellement l’effet visé mais dilapidant les fonds publics des agences de l’eau. Fonds qui ne sont pas inépuisables, ce problème étant aussi abordé dans le rapport.
  • Enfin, rejoignant la question budgétaire du rapport coût-efficacité réel des chantiers en terme de ressource en eau (et de ressource utile à la société), le sujet de la tarification progressive de l’eau est à discuter avec précaution. On a compris que la transition écologique représente des surcoûts et des inflations, car on réintroduit dans la réflexion et dans le prix des externalités négatives qui étaient auparavant négligées. Mais on a aussi compris, sur le sujet proche de l’énergie, que la sous-estimation de la question sociale peut conduire à des troubles notables. Le signal prix est connu pour induire de la sobriété, et il est légitime de l’envisager pour modérer des usages. Mais si ce signal est perçu comme une « punition » injuste, on risque d’aboutir au contraire de l’effet escompté, une remise en question des politiques environnementales. 
Source : Rapport d’information n° 2069 sur l’adaptation de la politique de l’eau au défi climatique, au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, présenté par MM. Yannick Haury et Vincent Descoeur, 17 janvier 2024.

11/12/2023

Les biais des hauts fonctionnaires de l’eau et de la biodiversité

Responsable ressources en eau, milieux aquatiques et pêche en eau douce au ministère de l’écologie, Claire-Cécile Garnier est depuis 15 ans une des pilotes de la politique de continuité écologique en France. Cette politique s’est focalisée sur la volonté de détruire des ouvrages hydrauliques (barrages, seuils, digues) et leurs milieux (retenues, étangs, biefs et canaux). Dans une vidéo récente, la haute fonctionnaire expose les raisons justifiant ces choix. Une bonne occasion d’explorer les biais cognitifs à l’œuvre même dans les têtes de la technocratie publique. Et de comprendre pourquoi la continuité écologique est devenue l’une des politiques environnementales les plus contestées sur le terrain.




Ce qui n'est pas dit dans la vidéo (et cette omission est le premier problème)
Biais de cadrage n°1 : ignorance de la dimension sociale et historique de l’eau
Le biais de cadrage consiste à parler d’un phénomène de manière partielle ou partiale car on prend soin d’évacuer les dimensions qui gênent dans le phénomène en question. Ici, la vidéo adopte une approche naturaliste : l’ouvrage hydraulique ne devrait être envisagé que par rapport à des questions écologiques, en particulier par rapport à la naturalité vue comme fonctionnement physique et biologique d’un cours d’eau sans influence humaine. Or, les cours d’eau sont aussi de constructions sociales, historiques, usagères et paysagères, les ouvrages hydrauliques en sont précisément un témoignage (voir Edgeworth 2011, Linton et Krueger 2020). Plusieurs livres universitaires ont constaté la négligence de la diversité des enjeux et de l'écoute des riverains (Barraud et Germaine 2017, Bravard et Lévêque 2020). En évacuant ce sujet, et en évacuant du même coup tout ce que les riverains pensent des rivières aménagées où ils vivent, on rend invisible un pan entier de la réalité. Ce qui n’existe pas dans l’esprit du haut fonctionnaire et des clientèles qui accomplissent sa politique ne mérite finalement pas d’exister dans la réalité. Du coup évidement, on prive le citoyen de divers apports de l’archéologie, de l’histoire, de la géographie, de sociologie, de la politologie, de l’économie, du droit ou de l’anthropologie. On prive aussi le citoyen de la possibilité de donner un avis sur les ouvrages qui ne soit pas dicté par l’obligation naturaliste de n’en parler qu’à travers des impacts sur ceci ou cela. 

Biais de cadrage n°2 : ignorance des aspects écologiques positifs des milieux, fonctions, services liés aux ouvrages hydrauliques
Autre biais de cadrage dans cette vidéo : ne surtout pas parler des travaux qui attestent que les milieux créés par les ouvrages hydrauliques (retenues, étangs, lacs, biefs, canaux, etc.) ont aussi des avantages selon des critères écologiques (ceux retenus comme seul prisme de l’explication). Pourtant, un passage en revue de la littérature scientifique  a par exemple montré que les petits plans d’eau assurent jusqu’à 39 services écosystémiques (Janssen et al 2020). Il est de tout même incroyable de parler du sujet aux citoyens sans être capable de citer un seul de ces services (épuration de l’eau, îlot de fraîcheur, havre de biodiversité, agréments divers en lien à la nature, etc.) ! En outre, les habitats aquatiques et humides d’origine anthropique accueillent aussi de la biodiversité, dont l’étude est très négligée : voir par exemple pour des analyses multi-sites Chester et Robson 2013  ou Zamora-Marin et al 2021, pour des compartiments particuliers de la faune  Sousa et al 2021  sur les moules d’eau douce, Kolar et al 2021 sur les libellules, Labat et al 2021 sur les végétaux. A nouveau, tout cela est nié, gommé, invisibilisé : quand on défend un dogme, on tait ce qui le contredit.

Biais de cadrage n°3 : ignorance du « schéma global » de l’Anthropocène
L’économie générale du discours sur les ouvrages hydrauliques consiste à focaliser l’attention sur des effets locaux (ils ralentissent et réchauffent un peu l’eau, ils modifient les assemblages du vivant, etc.) et à laisser entendre que ces altérations au sens propre (c’est-à-dire ces créations d’un autre état écologique local de la rivière) sont très importantes. Mais en fait, la recherche scientifique montre qu’à l’âge anthropocène (âge de l’influence humaine majeure sur l’environnement), tous les paramètres qualitatifs et quantitatifs de l’eau, des sédiments et des populations associées sont fortement modifiés.  On peut lire par exemple des études sur les poissons d’eau douce (Su et al 2021), sur le cycle des sédiments (Syvitski et al 2022) et les dynamiques sédimentaires (Verstraeten et al 2017), sur les zones humides (Fluet-Chouinard et al 2023), sur l’histoire longue des modification de rivières et fleuves à échelle millénaire (Brown et al 2018). Des chercheurs ont souligné que les plans d'eau sont absents de la nomenclature administrative alors qu'ils représentent sans doute en France un demi-million de biotopes, pour la plupart créés par les humains (Touchart et Bartout 2020). Les ouvrages hydrauliques anciens ne représentent qu’un élément dans ce flux continu de modification du fonctionnement des bassins versants. Ils sont sans commune mesure avec les effets très récents (à échelle historique et géologique) de la mécanisation et des travaux mécanisés en lit majeur / mineur, des pollutions par produits de synthèse, des hausses de prélèvements liées au boom démographique et à la croissance économique

Citation : « Les altérations physiques à cette continuité, obstacles à l'écoulement seuil, barrage endiguement les rectifications sont avec les pollutions diffuses, la pression principale responsable du mauvais état des cours d'eau. »
Biais de focale : ignorance du poids relatif des altérations de l’eau
Cette citation laisse penser que l’obstacle à l’écoulement est un facteur de dégradation de la qualité chimique et biologique de l’eau aussi important que la pollution. Il n’en est rien. Du propre aveu des indicateurs actuellement utilisés pour mesurer la qualité (de l’eau (dont il faudrait discuter par ailleurs la validité), les obstacles à l’écoulement ont un rôle très faible par rapport aux pollutions et aux occupations du sol des bassins versants. C’est ce qui ressort des études quantitatives ayant pris soin de comparer des rivières pour pondérer chaque impact : voir par exemple cette synthèse, ou encore Villeneuve et al 2015, Cooper 2016, Lemm et Feld 2017, Lemm et al 2021. On trompe le public et on détourne l'attention à laisser croire que l’eau s’est beaucoup dégradée à cause de ces obstacles. 

Citation: « Il est vrai que de nombreux ouvrages en rivière, comme les seuils de moulins à eau, ont été construits il y a plusieurs centaines d'années. En revanche, il est faux de dire qu'ils n'ont jamais eu d'impact sur la biodiversité. Selon une étude scientifique de 2016, la généralisation à partir du 11e siècle des Moulins à roues verticales en Europe a causé un premier effondrement des populations de saumon. »
Biais de halo : une étude devient une généralité
En science d’expérimentation et d’observation, une étude isolée n’a jamais fait une connaissance solide. Il faut que cette étude soit répliquée plusieurs fois. La publication citée a été commentée sur notre site (voir Lenders et al 2016), et nous avons formalisé des objections sur les sources françaises, où les auteurs ne distinguent pas le poids de la morphologie et le poids des pêcheries dans la raréfaction locale du saumon. Par ailleurs, une autre recherche en histoire environnementale ne valide pas l'idée d'un déclin des poissons d'eau douce comme cause de changement des régimes alimentaires, mais plutôt l'arrivée de produits des pêches océaniques (Orton et al 2017). D’autres travaux sur les migrateurs français ont montré que ceux-ci restaient globalement attestés jusqu’aux sources des grands bassins versant à la fin du 18e siècle, quand l’essentiel du patrimoine historique des moulins, forges, étangs était présent, voir Merg et al 2020. Cela étant dit, il est évident que la biodiversité d’un cours d’eau va évoluer selon que ce cours est barré ou non. Même des barrages (tout à fait naturels) de castors produisent une cascade d’effets physiques, chimiques, biologiques, ce qui conduit d'ailleurs des chercheurs à admettre qu'il faut repenser l'idée de continuum fluvial (Larsen et al 2021). La biodiversité évolue, avoir une approche fixiste ou espérer retrouver les mêmes profils du vivant que voici 5 siècles ou 5 millénaires n’a aucun sens. 

Citation : « [La continuité] C'est aussi ce qui permet des inondations dans le lit majeur qui vont recharger les zones humides, les sols et les nappes souterraines, qui vont éroder les terres et amener des matériaux à la rivière. » / « Au contraire, les seuils aggravent plutôt localement les inondations parce qu'ils rehaussent la ligne d'eau en permanence et facilitent ainsi les débordements en amont. »
Biais de contradiction : une qualité devient un défaut quand il faut justifier le dogme…
Quand il s’agit de vanter les bienfaits de la continuité écologique, Claire-Cécile Garnier explique que celle-ci se traduit par des inondations et débordements qui remplissent d’eau les nappes et les sols. Quand il s’agit de vanter la destruction des ouvrages en rivières, la même explique que ceux-ci tendent à provoquer des inondations et débordements en amont, ce qui cette fois devient un problème ! Ce raisonnement ad hoc où des acrobaties intellectuelles justifient une chose et son contraire est le signe assez fiable d’une idéologie sous-jacente qui fait feu de tout bois pour asséner ses croyances. 

En conclusion
Nous pourrions reprendre chaque phrase ou presque de la vidéo pour la nuancer, préciser ou parfois contredire. La lecture de notre rubrique idées reçues ou de notre rubrique science permettra aux lecteurs intéressés de comprendre pourquoi.  Ce n'est probablement pas très utile : le personnel public qui s'est engagé dans la mise en oeuvre de la continuité écologique sous sa dimension destructrice des ouvrages et milieux anthropisés connaît ces arguments, mais préfère les ignorer ou les nier. Pour que cette politique change vraiment, il faudra probablement attendre le poids des réalités (besoins de la transition énergétique, nécessités de l'adaptation climatique, réponses aux événements extrêmes sécheresses, feux de forêt et crues) ainsi que le renouvellement d'une génération de décideurs et experts qui a mal posé le problème, mais peine à la reconnaitre.