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19/09/2016

Sur la Cure, deux poids deux mesures

Les moulins des tronçons de la Cure classés au titre de la continuité écologique doivent affronter toute la rigueur des contrôles administratifs et des exigences de mise en conformité. Pendant ce temps-là, les grands barrages de la rivière continuent d'impacter le franchissement piscicole, le transit sédimentaire, le régime des débits et la température de l'eau. Les associations de pêche sont quant à elles autorisées à déverser des poissons qui ne sont pas autochtones au bassin de Seine, curieuse conception de la défense de "l'intégrité biotique" affichée avec tant de détermination quand il s'agit d'autres usagers de l'eau. Les gestionnaires actuels de rivière (DDT, Onema, Fédération de pêche, Agence de l'eau, Parc du Morvan) ne sauraient cautionner indéfiniment cette rigueur à géométrie variable. Soit on admet que le bassin de la Cure est un hydrosystème anthropisé, et l'on respecte l'ensemble de son patrimoine et de ses usages tout en cherchant des bonnes pratiques consensuelles pour ne pas dégrader son environnement. Soit on prétend "renaturer" le milieu, et on montre l'exemple sur les ouvrages gérés par les entreprises à capitaux publics comme dans les pratiques des associations ayant un agrément public. Les riverains et les propriétaires d'ouvrages refusent d'être plus longtemps les victimes expiatoires de choix aussi irrationnels qu'inéquitables.

Notre association est engagée sur plusieurs chantiers de défense des ouvrages de la Cure, notamment la suppression indue du droit d'eau du moulin de Chastellux-sur-Cure et la résistance aux fortes pressions administratives pour l'effacement du plan d'eau et du déversoir de Bessy-sur-Cure.

L'acharnement de certaines parties prenantes de la politique de l'eau sur les ouvrages de petite hydraulique a de quoi surprendre.

D'abord, nombre d'ouvrages de moulins ont aujourd'hui disparu de la Cure ou sont échancrés, de sorte que leur impact (s'il existe) est plutôt en baisse tendancielle. Cette influence n'empêche pas la rivière d'avoir d'excellents scores sur les composantes biologiques de son état écologique tel qu'il est défini par la directive cadre européenne européenne sur l'eau.

Ensuite, la problématique de continuité longitudinale de la Cure a été décidée "à la carte" par l'administration, et non pas en fonction d'une logique purement environnementale. Que nous dit en effet le classement de décembre 2012 sur le bassin Seine-Normandie ?  La Cure a été classée en liste 2 au titre du L 214-17 CE de la manière suivante (voir l'arrêté, pdf) :
  • De sa source à la limite aval de la masse d’eau: [FRHR. 49A] la Cure de sa source à l’amont du lac des Settons (exclu)
  • De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 49C] la Cure de l’aval du lac des Settons à l’amont de la retenue de Crescent (exclu) au point défini par les coordonnées L. 93 : X : 770998, Y : 6698207
  • Du point défini par les coordonnées L.93: X: 768404, Y : 6699076 à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0200] L’Yonne
Un image aide à comprendre ce très étrange découpage, qui n'a évidemment rien d'écologique (ni de très honnête intellectuellement) : il s'agit des équipements hydro-électriques EDF sur le bassin.


Aménagements EDF en Morvan, citation extraite de la brochure "Les aménagements hydro-électriques du groupement Bourgogne", EDF. Sur la Cure on voit ici les barrages de Crescent et de Malassis, ainsi que le débit dérivé qui est exploité à Bois-de-Cure. L'ouvrage de Chaumeçon est sur un affluent, le Chalaux. Le lac des Settons, plus à l'amont, n'est pas représenté. 

Outre le barrage des Settons, qui dès le XIXe siècle a empêché la remontée du saumon vers les sources, la Cure est massivement modifiée par des grands ouvrages qui changent son hydrologie, sa franchissabilité piscicole, son transit sédimentaire et sa température. Mais ces ouvrages n'ont pas fait l'objet d'obligation de continuité, alors que de tels impacts sont justement au coeur de l'exploration scientifique de la notion de discontinuité de la rivière.

Enfin, en examinant le dernier rapport annuel de l'association Avallon Morvan pour la pêche (lien pdf), nous avons la surprise de lire cette information :
"Pour la 9 ème année consécutive, nous avons réalisé un alevinage de 2000 ombrets sur la moyenne Cure, en participation avec la Fédération de l’Yonne qui nous apporte toujours son soutien. Des poissons, dont la taille varie de 20 à 38 cm, sont régulièrement capturés entre le lac de Malassis et le Chalet du Montal."
Nous sommes surpris parce que l'ombre commun (Thymallus thymallus), originaire du Danube, est autochtone en France dans le Nord-Est et le Massif central, mais n'est nullement attestée sur le bassin de Seine. Sa présence y résulte d'introductions volontaires afin de satisfaire les pêcheurs. Il est pour le moins étonnant que les services instructeurs de l'Onema ou les services techniques des fédérations de pêche (qui ont un agrément public), connus pour développer des grilles de lecture "biotypologique" où chaque déviation par rapport au peuplement supposé "naturel" d'une rivière est déplorée comme une preuve d'altération, ne trouvent par ailleurs rien à redire quand on déverse des poissons exogènes dans la rivière pour satisfaire un loisir.

A dire vrai, cette "naturalité idéale" du peuplement piscicole paraît assez fantaisiste puisque le tiers de la diversité spécifique des poissons du bassin de Seine est d'ores et déjà composé d'espèces importées (voir les travaux du Piren 2009), et les lacs du Morvan sont abondamment peuplés de certains de ces nouveaux-venus, y compris quand ils sont gérés par des associations de pêche (voir des données d'histoire chez Belliard et al 2016).

En revanche, la moindre des choses est de ne pas tenir des doubles discours ni d'adopter des doubles standards : tolérer qu'on modifie un peuplement quand on est pêcheur, mais ne pas le tolérer quand il s'agit de l'effet local d'un seuil de moulin ; accepter des barrages de dizaines de mètres de hauteur et barrant le lit majeur, mais exiger la destruction des chaussées de moins de 2 m noyées en crue.

Cette politique à géométrie variable n'est pas tolérable. Et les citoyens sont de plus en plus nombreux à ne plus la tolérer, dès lors qu'ils en sont informés.

Note sur l'étang de Bussières
Dans le même bilan de l'association Avallon Morvan pour la pêche, nous lisons : "A notre demande, la Fédération de pêche s'est portée acquéreur de l'étang de Bussières qui était à vendre. Cet étang, qui a des effets désastreux sur la rivière Romanée, devait être arasé dans le cadre de la continuité écologique. La vidange de l'étang est programmée sur plusieurs mois de sorte à permettre la végétalisation progressive des boues de sorte à ne pas envaser le lit de la Romanée." Notre association va bien entendu réclamer des explications à la Préfecture sur ce projet, et en particulier vérifier si un inventaire complet de biodiversité de l'étang a été réalisé. Des plans d'eau proches, comme par exemple l'étang de Marrault (co-géré par l'AAPPMA), sont en effet classés ZNIEFF en raison de leur intérêt pour la biodiversité, qui ne se résume nullement aux salmonidés si chers aux pêcheurs (les poissons en général représentent environ 2% de la biodiversité aquatique). Un projet d'aménagement doit prendre soin de vérifier qu'il n'entraîne pas de perte nette de cette biodiversité, et le fait que ce projet soit à prétention "écologique" ne signifie nullement qu'il respecte les bonnes pratiques (d'autant que certains confondent facilement enjeu écologique et enjeu halieutique).

Quant au Parc du Morvan, nous lui rappellerons les termes de sa charte : "Le Parc naturel régional véhicule une image forte, en tant que territoire reconnu pour ses qualités naturelles et paysagères. Le paysage est donc une des sources principales de l'image du Morvan pour la société actuelle (dans ses dimensions sociales et culturelles). Il est utilisé comme valeur de référence pour évoquer le Morvan et comme un atout économique pour l'attractivité du territoire (tourisme et nouveaux habitants)." Les plans d'eau font partie intégrante de ce paysage morvandiau, et l'on ne voit guère ce que leur destruction apporte aux riverains et aux visiteurs.


La chute après la digue de l'étang de Bussières.

19/06/2016

Bessy-sur-Cure : premiers arguments pour une sauvegarde du seuil et de son plan d'eau

L’association Hydrauxois a été saisie par ses adhérents de la commune de Bessy-sur-Cure afin de participer à la recherche d’une solution raisonnable et viable sur les aménagements des ouvrages hydrauliques formant le plan d’eau de la Commune. Il apparaît que les deux solutions actuellement avancées ne sont pas recevables : soit un effacement, qui soulève une vive opposition en raison du caractère structurant du plan d’eau ; soit un aménagement très lourd de franchissabilité, qui n’est pas solvabilisé en l’état des financements publics. Nous publions un extrait de notre premier rapport en défense des ouvrages de Bessy-sur-Cure, montrant notamment la force des enjeux patrimoniaux et sociaux du plan d'eau, en même temps que la faiblesse objective des enjeux écologiques sur la Cure aval. La destruction n'est pas une option, en particulier sur une rivière où les grands barrages (Crescent, Settons) sont sans projet de continuité piscicole et sédimentaire. 



Le caractère structurant de l’ouvrage et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure
Le seuil de Bessy-sur-Cure a été régulièrement entretenu depuis les années 1980, comme le montrent l’historique précis des chantiers de l’Association de sauvegarde et les dons faits par l’Association à la Commune. Cet ouvrage hydraulique et ses abords ne peuvent être désignés comme étant en état d’abandon. Au contraire, en raison du fort investissement local dans la préservation du site, la perspective de sa destruction totale ou partielle est très mal vécue.

Nous contestons fermement le propos tenu par M. le Préfet sur le supposé état de «délabrement avancé» de l’ouvrage avancé dans son courrier du 04/12/2015. Voici les éléments d’appréciation du génie civil tels qu’ils ressortent du diagnostic NCA 2014 :


Ces observations ne permettent pas de conclure à un état de «délabrement avancé» : les besoins de reprises sur l’ouvrage sont assez classiques pour ce type de construction, conçue en «seuil poids» triangulaire ou trapézoïdal avec des organes mobiles de petites dimensions, et ces besoins s’inscrivent dans la gestion normale d’un ouvrage subissant régulièrement l’assaut des crues. Un chiffrage réaliste du coût des reprises nécessaires sera recherché par l’association et les riverains.

Le seuil  a une dimension « structurante » pour le site et la population, ce dont témoignent de manière convergente les observations suivantes (pour la plupart présentes dans le diagnostic NCA 2014, avec certains compléments) :

  • Le relèvement artificiel de la ligne d’eau par le seuil de Bessy favorise l’alimentation et le soutien de la nappe d’accompagnement. Deux captages d’eau (sur trois) sont dans l’emprise du remous liquide de la retenue et bénéficient de son soutien de nappe.
  • Le plan d’eau est associé à de nombreux usages locaux : pêche, baignade, canotage, aires de détente. Il fait l’objet d’une signalétique dans le village indiquant son intérêt pour les habitants et les touristes. 
  • Le plan d’eau bénéficie d’un fort attachement de la population locale, incarné par la pétition pour sa sauvegarde (environ 1100 signatures), l’existence d’une association dédiée à son entretien, la vive émotion suscitée dès 2011-2012 par l’hypothèse d’une destruction du site, la mobilisation associative et citoyenne en faveur du maintien du paysage actuel de retenue.
  • Les ouvrages représentent un potentiel énergétique qui pourrait être mobilisé dans le cadre fixé par la loi de transition énergétique et par les dispositions aujourd’hui soutenues par le Ministère de l’Environnement (territoires à énergie positive, appels d’offres sur les énergies bas-carbone). 
  • Plusieurs riverains se situant dans l’abord direct du remous liquide de la retenue ou du bras de dérivation ont exprimé leur souhait de voir préservée la valeur foncière de leur propriété (valeur directement liée à cette riveraineté du plan d’eau ou du bief en eau, au paysage qu’elle offre ou aux usages qu’elle permet).
  • La propriétaire et le bailleur ont manifesté leur attachement à la valeur historique et patrimoniale de l’ouvrage hydraulique, témoignage vivant du rôle de l’hydraulique dans l’occupation humaine de la vallée de la Cure.


Des générations d'habitants se sont baignées dans le plan d'eau du village, qui a été régulièrement entretenu. Les riverains et habitués n'acceptent pas que cet espace de vie et de loisir soit rayé de la carte pour des motifs écologiques assez secondaires au regard du bon état de la masse d'eau et de l'absence d'impacts graves démontrés. Voir les crédits photos en bas de cet article.

En complément de ces éléments, il convient aussi de souligner que l’évaluation du coût d’un chantier d’effacement à 50 k€ HT (NCA, rapport de phase 2, 2015) n’est pas réaliste. Outre les fortes contraintes (analyse et gestion des sédiments, consolidation des berges et bâtis menacés, mise en place d’un suivi, etc.) et la probable complexité juridique (risque de contentieux), ce type de chantier implique d’accompagner la disparition du site par des restaurations paysagères ainsi que des compensations ou indemnisations pour les tiers lésés. Le coût d’un effacement non «bâclé» à Bessy-sur-Cure se situerait donc plutôt entre 500 k€ et 1 M€. A titre d’exemples en cours sur la région : coût estimé de 1,3 M€ pour effacer deux ouvrages (2 et 0,8 m) à Montbard, Artelia 2016 ; sur un petit site isolé avec 1 m de chute, 30 m de largeur en seuil mobile (moins complexe qu’un seuil fixe, vannes déjà déposées), pas d’enjeu de riveraineté ni d’usage, coût de 95 k€ d’un effacement à Belan-sur-Ource, Sicec 2016.

A retenir : L’ouvrage hydraulique et le plan d’eau de Bessy-sur-Cure ne sont pas en état de ruine, de délabrement ni d’abandon. Ils ont un caractère manifestement structurant en raison des usages et représentations associés. Ce constat paraît exclure l’hypothèse de leur effacement au titre de la continuité écologique. 

Les impacts écologiques de l’ouvrage de Bessy-sur-Cure dans leur contexte

Impact sur les flux liquides : quasi-nul - Ces impacts sont reconnus par NCA comme négligeables par rapport à l’influence des grands barrages modifiant de manière substantielle l’hydrologie du bassin de la Cure et de l’Yonne.

Impact sur le transit sédimentaire :  négligeable - Il est reconnu que «les ouvrages ne modifient (…) que très peu la nature du substrat présent de l’amont et à l’aval de la zone d’étude. Le substrat dominant est de type sablo-graveleux avec un pavage caillouteux voire pierreux. Une légère diminution de la granulométrie du pavage peut être observée entre l’amont et l’aval des ouvrages » (NCA 2014). L’étude a mis en évidence une sédimentation régressive habituelle avec la présence d’un ouvrage (la retenue tend naturellement à se remplir de sédiments), mais pas de déficit notable à l’aval (pas d’érosion progressive) : « Cela met en évidence un déficit de transport solide qui peut se traduire par une érosion progressive en aval du seuil. Ce phénomène n’a pu être mis en évidence lors des reconnaissances de terrain.» (ibid.) Rappelons qu’en vertu des lois de l’hydraulique, un ouvrage de petite dimension a rapidement une influence quasi-nulle sur le régime sédimentaire : passé une phase de dépôt amont et érosion aval consécutive à la construction, le système atteint un nouvel équilibre où les crues assurent le transport solide par charriage et suspension. Les impacts des seuils de moulin sont sans commune mesure avec ceux des grands barrages qui ont une capacité de stockage sédimentaire de l’ordre du million de m3.

Impact sur la continuité piscicole : franchissabilité partielle - Les ouvrages ne posent pas de problème à la dévalaison des espèces, la continuité vers l’aval étant assurée dans de bonnes conditions en surverse ou en sous-verse par les différents points de passage (vannes, déversoirs, seuil). Concernant la montaison, les truites, brochets et anguilles adultes peuvent franchir les ouvrages à certaines conditions de hautes eaux ou, au contraire, de basses eaux (diagnostic NCA 2014). La franchissabilité est donc partiellement assurée, mais elle est altérée pour les espèces de petite taille ou les juvéniles.

Impact sur la physicochimie de l’eau : quasi-nul - Il est reconnu que l’eau de la Cure au droit du site et sur les stations de contrôle est en classe physico-chimique bonne ou excellente pour les critères DCE (MES,  O2 diss., DBO, DCO, nitrates, phosphates, pH, conductivité) «Les mesures réalisées mettent en évidence une eau conforme aux normes de la DCE sur les 3 stations de la Cure. Ces mesures ne mettent pas en évidence d’impact significatif des ouvrages.» (NCA 2014)

Dimension négligeable du seuil par rapport aux grands barrages, IPR excellent de la masse d’eau, peuplement historique à l’époque des moulins
Une opération de restauration physique de rivière représente des coûts publics souvent importants. Elle est susceptible de nuire fortement aux usages existants,  au cadre de vie des habitants, au patrimoine historique et paysager. Il en résulte qu’une telle opération doit être motivée par des gains écologiques significatifs (ou par une urgence démontrée) et qu’elle doit être proportionnée aux enjeux avérés. Outre les éléments rassemblés par NCA et précédemment rappelés, notre association souligne les points suivants.

- Les principaux « points noirs » en continuité piscicole, morphologie et thermie de la rivière Cure sont bien sûr constitués par les grands barrages (Settons, Crescent, Chaumeçon) qui ne sont pas dans les tronçons classés de la masse d’eau et qui ne font pas l’objet de projets d’aménagement (hormis une amélioration dans la gestion du débit réservé et du débit d’étiage, à effet relativement marginal par rapport à l’impact).

- Nous regrettons que NCA n’ait pas procédé à une analyse complète de biodiversité de la retenue : les poissons migrateurs et rhéophiles ne représentent que 0,2% de la biodiversité aquatique totale, les alternances lentiques-lotiques peuvent produire des gains de richesse spécifique (poissons, invertébrés, macrophytes) sur une masse d’eau, les milieux de retenues ont des intérêts pour des espèces non-aquatiques (oiseaux, mammifères), etc.

- Il a été montré par la recherche scientifique en histoire de l’environnement que les travaux des premiers icthyologues sont des sources recevables pour évaluer les trajectoires historiques de peuplement (voir Beslagic 2013 et la base Chips). En particulier, la monographie d’Emile Moreau sur les peuplements du bassins de l’Yonne (Moreau 1897, 1898) est considérée comme source fiable pour évaluer des abondances passées, complémentant ainsi les archives des pêches CSP-Onema. Le tableau ci-dessous montre les abondances à la fin du XIXe siècle, quand il y avait davantage de moulins sur le lit (dont celui de Bessy) qu’aujourd’hui. Principal enseignement : les espèces d’intérêt sont pour beaucoup assez ou très communes à l’époque où les moulins et leurs seuils étaient présents.


- L’Indice poisson rivière (IPR puis IPR+) est un indice normalisé, échantillonné par hydro-éco-région, servant à mesurer la qualité piscicole des masses d’eau pour le rapportage français à la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Entre 2008 et 2013, il y a eu 7 relevés IPR sur la Cure aval (Accolay, Voutenay-sur-Cure, Asquins). L’intérêt est que ces relevés ont été réalisés à l’amont (1) et à l’aval (6) du seuil de Bessy, ce qui permet que vérifier s’il y a dégradation sur le continuum fluvial. Tous les relevés IPR de la Cure aval sont dans la classe « excellente », c’est-à-dire la meilleure classe de qualité.


Il serait utile que l’Onema et la Fédération de pêche 89 produisent le détail des relevés piscicoles amont / aval afin d’analyser les densités de chaque assemblage et les scores internes constitutifs de l’IPR (richesse spécifique biomasse, composante de rhéophilie etc.). A noter : notre association ne considère pas la biotypologie de Verneaux 1976-77 (parfois utilisée par la DR Onema BFC et les FDPPMA) comme outil pertinent d’analyse, en raison des critiques faites depuis longtemps déjà sur la robustesse de sa construction hors du domaine franc-comtois (par exemple Wasson 1989) et surtout en raison des travaux Onema-Irstea réalisés à partir des années 2000 sur la zonation par hydro-écorégion et sur le nouveau panel statistique de référence des populations piscicoles. Ces points seront si nécessaire développés en accompagnement d’une future proposition de gestion et équipement du site.

Rappelons enfin que l’étude de phase 2 NCA 2015 a établi la franchissabilité partielle du pertuis de la vanne de décharge du moulin : « L’ouverture saisonnière du pertuis du moulin pour le scénario B offre une voie de passage préférentielle et franchissable pour une grande partie des espèces repères sur le cours d’eau (truite et brochet). Elle ne peut suffire toutefois à rétablir à elle seule la continuité piscicole de façon totale et satisfaisante à l’échelle du site compte tenu des autres voies d’eaux concurrentes existantes et de la sélectivité piscicole de l’ouvrage en configuration ouverte (difficultés de franchissement pour les petites espèces). »

La loi française ne demande pas une continuité «totale», mais une continuité pour les espèces «migratrices» à supposer que l’on démontre au préalable un déficit de migration entre l’amont et l’aval. En l’état des travaux de NCA, cette démonstration n’est pas apportée faute d’une analyse piscicole longitudinale et historique. Les éléments de ce chapitre montrent que la continuité partielle est avérée sur la masse d’eau.

A retenir : Au regard des éléments rassemblés par NCA et des compléments apportés par notre association, il apparaît que la rivière Cure est principalement impactée par des grands barrages sans projet actuel de franchissabilité piscicole et de transparence sédimentaire. Malgré cela, l’indice de qualité piscicole de la basse vallée de la Cure est de qualité excellente à l’amont comme à l’aval de Bessy-sur-Cure. Les impacts écologiques du seuil et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure sont négligeables sur la granulométrie et la morphologie aval,  sur la physico-chimie, sur le flux liquide. Les seuls impacts notables concernent la franchissabilité des petites espèces rhéophiles et des juvéniles de truites ou de brochets, mais le bon IPR indique que cela ne nuit pas au compartiment piscicole du classement écologique DCE (dont la circulaire de 2013 rappelait l’objectif prioritaire d’atteinte). Ces données actuelles convergent avec les données historiques.  Ces éléments soulignent combien une solution radicale comme l’effacement ou une solution coûteuse comme des passes toutes espèces serait disproportionnée à l’enjeu réel du site de Bessy-sur-Cure. Au demeurant, aucun objectif tangible de gain écologique n’a été associé aux premières propositions NCA : or, c’est seulement sur la base d’indicateurs précis et garantis de résultats dans le compartiment biologique que l’on peut prendre des décisions.

Conclusion provisoire : et la suite ?
Ce premier rapport fait apparaître :
- un fort attachement des riverains et propriétaires à l’hydrosystème existant ;
- une dimension structurante de l’ouvrage et de son plan d’eau au regard des usages ;
- des enjeux écologiques très modestes ;
- une masse d’eau en bon état sur les compartiments de la DCE 2000 concernés par les impacts éventuels de l’ouvrage, en particulier sur l’état piscicole excellent (malgré la présence de grands barrages infranchissables et sans projet d’aménagement à l’amont).

L’association Hydrauxois souhaite que :
  • les parties prenantes s’accordent sur le caractère disproportionné et inadapté de l’effacement des ouvrages de Bessy-sur-Cure ;
  • le bureau d’étude NCA formalise un nouveau projet d’aménagement cohérent avec ces enjeux écologiques (très faibles) et patrimoniaux (très forts), par exemple une solution simple de franchissement (plan de gestion des vannages, avec option passe rustique sans dérasement à la condition suspensive d’un financement public).
Dans l’hypothèse où ce ne serait pas possible pour le BE NCA, l’association aidera les propriétaires et les riverains à formaliser une proposition en ce sens, qu’elle soumettra en leurs noms au service instructeur (et à l’Agence de l’eau). Il conviendra alors d’échanger sur la recevabilité de la proposition, dans le cadre habituel d’une procédure contradictoire.

Quoiqu’il en soit, nous suggérons de ne prendre aucune décision tant que le processus initié par Mme la Ministre de l’Environnement ne sera pas arrivé à son terme : examen des recommandations du CGEDD pour sortir des blocages de gouvernance et de financement de la continuité écologique, examen des choix éventuels du Ministère pour adapter la mise en oeuvre à ces recommandations.

Photos de Bessy dans cet article : Gérard Charpentier, Martine Poinsot, Michel Français, tous droits réservés.

Pétition : une pétition pour la sauvegarde du plan d'eau a été ouverte.  

02/08/2015

Contrat global Cure-Yonne: un bilan mitigé

Le Contrat global Yonne-Cure 2009-2014 a fait l'objet d'une évaluation qui vient d'être publiée en ligne. L'exercice est important puisque nous sommes en phase de mise en place du prochain Contrat pour les cinq années à venir. Notre association avait participé au printemps à une réunion d'information et proposition sur la rivière Cousin, incluse dans le périmètre. Rappelons que ce Contrat est animé par le Parc naturel régional du Morvan et notamment financé par l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il concerne un périmètre de 2073 km2 et 103 communes sur 3 départements, essentiellement Yonne et Nièvre.

Le rapport d'évaluation ne constate pas de dysfonctionnements majeurs dans la mise en oeuvre du Contrat. Voici cependant quelques points de vigilance qui ont retenu notre attention à la lecture de l'évaluation.

Méthodologie. La consultation en vue de l'évaluation a concerné pour l'essentiel les politiques et les financeurs, avec quelques professionnels. L'eau est l'affaire de tous, l'évaluation de sa qualité et des actions pour cette qualité aussi. On ne le répétera jamais assez, il faut impliquer davantage la société civile qui est aujourd'hui "sans voix" aux comités de bassin ou aux instances de pilotage des contrats locaux et SAGE. Ce type d'évaluation pourrait donc inclure un panel assez large de répondants représentant le territoire.

Pas assez d'efforts sur les pollutions diffuses. La lutte contre ces pollutions avait une dotation relativement faible (1,074 M€, 3,6% du budget) mais le problème est surtout que 18% seulement de ce budget ont été consommés. On a dépensé 3 fois moins sur ce poste que sur la communication-animation, et 17 fois moins que sur la restauration des milieux aquatiques. Certes, les bassins versants sont relativement épargnés du fait de la faible démographie, mais il est regrettable que la lutte contre les pollutions soient si souvent la dernière servie. On aurait aussi aimé un meilleur score pour l'assainissement (la première dépense budgétaire, certes, mais consommée à 66% seulement de sa dotation).

Milieux aquatiques, des dépenses déséquilibrées. Au sein du volet des milieux aquatiques – 3,3 M€ au départ, consommé à 106% c'est-à-dire dépassé –, on regrette la ventilation des actions engagées. Notre association considère la connaissance des milieux comme indispensable, et très en retard : or sur 9 études prévues, 3 seulement ont été engagées. A comparer avec les 127% d'analyse de la continuité écologique (14 études au lieu de 11). La lutte contre les piétinements de berge est pareillement désavantagées (18% et 30% de réalisation sur les deux postes concernés). On observe que le poste complémentaire "Suivi des milieux", consistant en analyses de qualité de l'eau et inventaires d'espèces, est lui aussi réalisé partiellement (85% et 31% de la dotation).

Aménagement des ouvrages, un bilan euphémisé… et trompeur pour la suite. Le rapport d'évaluation note : "Le travail d’animation important a permis de convaincre de nombreux propriétaires d’ouvrages de réaliser des travaux de franchissement ou d’effacement. Les ouvrages classés 'Grenelle', qui n’étaient pas prévus initialement dans le contrat, ont notamment fait l’objet d’une animation renforcée. Néanmoins, des difficultés persistent : sur les gros ouvrages, l’ampleur des travaux induits rend le travail d’animation pour convaincre les propriétaires particulièrement long. Par ailleurs, sur certains territoires, une opposition s’est cristallisée autour de ce type de travaux, de la part des propriétaires qui mettent en avant la dimension patrimoniale de leurs ouvrages. Ces oppositions persistent en particulier sur les territoires où des syndicats de rivière existent mais sont peu actifs sur ces thématiques. Le travail d’animation sur cette thématique, et de pédagogie pour désamorcer les conflits, est à poursuivre." La "réticence" vient essentiellement du coût important des travaux et du fait que la destruction des ouvrages est proposée en première intention aux propriétaires – voire qu'elle est la seule financée publiquement. Par ailleurs, ce n'est nullement un problème de "pédagogie", mais de valeurs, de convictions et de connaissances : la plupart des propriétaires et riverains préfèrent la rivière aménagée à la rivière renaturée, et n'entendent pas engager des actions radicales (destructions) pour des bénéfices écologiques non convaincants. Ce problème va devenir aigu sur toutes les rivières classées Liste 2 du Contrat, en raison du délai réglementaire de 2017 pour le choix d'aménagement.

Evolution de l'état des milieux, une stagnation qui pose question. On dépense de l'argent public pour améliorer la qualité chimique et écologique de l'eau et de ses milieux. Et l'on attend donc des résultats. La comparaison des analyses 2009 et 2013 est mitigée. L’état écologique des 14 masses d’eau "grands cours d’eau" du territoire ne s'est pas amélioré : 10 en état constant, 2 en dégradation, 2 en amélioration. Le résultat est meilleur sur les 43 masses d’eau "petits cours d’eau", avec 18 en amélioration, 6 en dégradation et 19 en état constant. Au plan chimique, 3 grands cours d’eau et 7 petits cours d’eau restent en mauvais état, à cause de la pollution diffuse des HAP. Comme certaines des données 2009 n'étaient pas robustes, le rapport conclut : "On peut estimer que l’état 2009 à la masse d’eau est plutôt comparable de manière fiable à l’état 2013". Certes, le Morvan a la chance d'avoir des cours d'eau relativement préservés, ce qui implique des marges de progression moindres par rapport à des rivières très dégradées. Mais ce bilan très modeste posera question pour la légitimité des mesures du futur Contrat 2015-2020.

Suivi physico-chimique et écologique, à améliorer nettement. Le Parc a un Observatoire de la qualité des eaux depuis 1993, élargi en 2009 à la totalité du territoire du Contrat. Or, le suivi n'est pas assez étendu ni rigoureux. Par exemple en 2011, sur les 16 stations, 10 n’avaient jamais été suivies, et 6 avaient déjà été suivies une fois auparavant en 1991, 1993, 2004 ou 2008. Concernant l'évaluation des actions menées dans le cadre du Contrat, les premiers points de mesure n'ont été mis en place que pour des actions 2013, au lieu de démarrer dès 2009. Cela rejoint le point ci-dessus sur le défaut de connaissance : nous ne pouvons pas accepter que l'argent public soit dépensé sans diagnostic préalable complet et non biaisé sur l'état des milieux et des impacts ; et sans non plus disposer de mesure précise de l'effet obtenu en comparaison avec l'effet prévu. Cela d'autant que les résultats sur la qualité écologique ne parlent pas d'eux-mêmes et que dans certains domaines, les mesures envisagées sont coûteuses et mal acceptées…

Conclusion : l'association Hydrauxois sera vigilante sur la mise en oeuvre du prochain Contrat global Cure-Yonne, en particulier sur son domaine de compétence, à savoir la bonne prise en compte des intérêts des ouvrages hydrauliques, le niveau de collecte, construction et diffusion des connaissances scientifiques sur les milieux, la transparence sur les objectifs, l'efficacité et le coût des opérations dites de restauration écologique.

Référence : Sepia Conseils (2014), Evaluation du Contrat Global Cure-Yonne, 72 pages (lien vers pdf). Illustrations : issues du rapport Sepia, DR.