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15/08/2023

Définir scientifiquement les plans d’eau pour les intégrer dans les politiques publiques (Richardson et al 2022)

C'est un paradoxe : les mares, étangs, bassins, retenues et autres petits plans d'eau sont largement reconnus par la science comme ayant des fonctions écologiques et rendant des services écosystémiques importants, mais ils sont quasiment absents des législations de l'environnement. Ces dernières reconnaissent des rivières, des lacs ou des zones humides, mais sans identifier clairement la place du petit plan d'eau, bien qu'il forme 90% des systèmes lentiques (eau calme ou stagnante). Une équipe de chercheurs a passé en revue la littérature scientifique pour proposer une définition fonctionnelle du plan d'eau, notamment dans l'espoir que les gestionnaires de l'eau l'intègrent pleinement dans leurs analyses et préconisations. Ce sera un enjeu pour les prochaines révisions de la directive européenne sur l'eau en Europe et de la loi sur l'eau en France. 


Les Anglo-Saxons utilisent le mot "pond" pour désigner indifféremment la mare, l'étang, le petit plan d'eau, que son origine soit naturelle ou artificielle, connectée ou non à l'écoulement d'une rivière. Nous conserverons ici l'idée de plan d'eau pour restituer la diversité des sens de "pond". Dans une publication de la revue Scientific Reports, David C. Richardson et ses collègues observent qu’il n’existe pas de définition claire du plan d’eau. Le mot est utilisé de manière intuitive mais variable dans la littérature scientifique en hydrologie, limnologie et écologie pour désigner des milieux lentiques distincts des lacs (lakes) et des zones humides (wetlands). Dans les choix administratifs, cette difficulté se traduit par des délimitations très diverses. Eventuellement, la notion de lac est étendue : par exemple le Wisconsin définit comme « lac » des plans d’eau de moins de 0,1 ha, et au Danemark c’est même à partir de 100 m2 que commence un lac. Parfois, comme dans le Minnesota, tout petit plan d’eau est assimilé à une zone humide. Mais souvent, ce plan d’eau est purement et simplement absent de la nomenclature officielle, ne faisant donc pas l’objet d’une réflexion et d’un examen propres par les politiques publiques. 

Voici comment les chercheurs résument leur démarche et leur proposition de définition du plan d'eau en vue de l'intégrer plus systématiquement dans les nomenclatures :
« Les plans d'eau (ponds) sont souvent identifiés par leur petite taille et leur faible profondeur, mais l'absence d'une définition universelle fondée sur des preuves entrave la science et affaiblit la protection juridique. Ici, nous compilons les définitions existantes des plans d'eau, comparons les paramètres de l'écosystème (par exemple, le métabolisme, les concentrations de nutriments et les flux de gaz) entre les plans d'eau, les zones humides et les lacs, et proposons une définition du plan d'eau fondée sur des preuves. Les définitions compilées mentionnaient souvent la superficie et la profondeur, mais étaient largement qualitatives et variables. La législation gouvernementale définit rarement les plans d'eau, malgré l'utilisation courante du terme. 

Les plans d'eau, tels que définis dans les études publiées, variaient en origine et en hydropériode et étaient souvent distincts des lacs et des zones humides dans la chimie de l'eau. Nous avons également comparé la relation entre les paramètres de l'écosystème et trois variables souvent observées dans les définitions des plans d'eau : la taille du plan d'eau, la profondeur maximale et la couverture végétale émergente. La plupart des paramètres de l'écosystème (par exemple, la chimie de l'eau, les flux de gaz et le métabolisme) présentaient des relations non linéaires avec ces variables, avec des changements de seuil moyens à 3,7 ± 1,8 ha (médiane : 1,5 ha) en surface, 5,8 ± 2,5 m (médiane : 5,2 m) en profondeur, et 13,4 ± 6,3 % (médiane : 8,2 %) de couverture végétale émergente. 

Nous utilisons ces preuves et les définitions antérieures pour définir les petits plans d'eau comme des masses d'eau modestes (< 5 ha), peu profondes (< 5 m), avec < 30 % de végétation émergente et nous mettons en évidence les zones à étudier à proximité de ces limites. Cette définition éclairera la science, la politique et la gestion des écosystèmes de plans d'eau mondialement abondants et écologiquement importants. »
Cette infographie illustre les critères de décision en trois dimensions :



Ces graphiques montrent les relations entre la taille des masses d'eau lentiques (à l'exclusion des zones humides) et la structure et les fonctions de l'écosystème : (a) production primaire brute (GPP), (b) concentrations totales de phosphore (TP), (c) production nette de l'écosystème (NEP), (d) méthane (flux de CH4), (e) respiration (R), (f) concentrations de chlorophylle a (Chl a), (g) concentrations totales d'azote (TN), (h) plages de températures journalières (DTR) et (i) vitesse de transfert gazeux (k600). Les traits indiquent les zones de rupture de linéarité entre les propriétés des plans d’eau et des lacs :




Discussion
L’absence des plans d’eau dans les nomenclatures administratives et les politiques publiques a aussi été observée par des chercheurs français spécialistes des limnosystèmes (cf Touchart et Bartout 2020). C’est peu compréhensible au regard des enjeux attachés à ces milieux, et de leur nombre important. On peut faire plusieurs conjectures à ce sujet : caractère privé, abondant et dispersé de plans d’eau qui décourage l’intervention publique (mais beaucoup de zones humides sont aussi en propriété privée) ;  faible appétence de gestionnaires de plans d’eau privés (agriculteurs, pisciculteurs, forestiers) pour des politiques écologiques ayant tendance à ajouter des coûts sans soutien public à hauteur des demandes et sans paiement des services écosystémiques ; acteurs publics dans le domaine de la connaissance (par exemple Onema-OFB en France) ayant davantage une culture de la rivière et des systèmes lotiques ; vieille méfiance vis-à-vis des eaux stagnantes qui ont davantage été incitées au drainage qu’à la valorisation dans l’histoire politique moderne ; préjugés naturalistes sur le fait que des milieux souvent d’origine artificielle ne pourraient pas avoir un intérêt significatif en écologie.

Quoiqu’il en soit, une littérature scientifique désormais très abondante souligne que les plans d’eau sont une composante à part entière des hydrosystèmes et que leur gestion éclairée pourrait avoir des conséquences très appréciables sur la conservation de la biodiversité, la régulation et la stockage de l’eau, la dépollution et la décarbonation, les usages et aménités. Il est donc impératif de faire connaitre ces travaux scientifiques aux décideurs et aux administrations afin que les lois évoluent et que ces systèmes aquatiques soient reconnus comme tels.

Référence : Richardson DC et al (2022), A functional definition to distinguish ponds from lakes and wetlands, Sci Rep, 12, 10472

10/12/2022

Pas de politique de stockage et de gestion de l’eau sans progrès des connaissances et sans intégration de tous les acteurs concernés

Alors que le Sénat publie un rapport sur la question du stockage de l'eau, notre association constate deux problèmes de gouvernance. D'une part, il existe entre 500 000 et 1 million de plans d'eau d'origine humaine qui sont très mal connus aujourd'hui, peu étudiés au plan scientifique et pluridisciplinaire, négligés par l'administration de l'écologie car leur origine artificielle fait présumer qu'ils seraient sans intérêt, voire qu'ils devraient être détruits et asséchés. D'autre part, les propriétaires et gestionnaires des ouvrages et sites concernés ne sont pas associés de manière permanente aux politiques publiques et aux instances de réflexion, ce qui a conduit à des échecs de certaines de ces politiques, comme dans le cas de la continuité écologique. Le problème sera le même demain sur la gestion quantitative et qualitative des plans d'eau pour la société et le vivant. Nous appelons les représentants politiques et administratifs à changer de vision et à admettre que la gestion future de l'eau pour de multiples usages doit intégrer cette réalité aussi massive que niée.


Notre association salue le rapport sénatorial de prospective Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France, rendu public ce jour. 

Parmi les nombreux points soulevés dans ce travail, on trouve la question des outils actuels de stockage et régulation de l’eau. En particulier les petits ouvrages hydrauliques, bien moins connus que les grands réservoirs dont la gestion est souvent publique.
 
Il existe aujourd’hui 50 000 à 70 000 moulins à eau en lit mineur, 200 000 à 250 000 étangs en lit mineur ou majeur, 500 000 à 700 000 plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur.

Ces réalités sont très anciennes puisque le stockage et usage d’eau a commencé dès l’Antiquité et s’est accéléré à partir du Moyen Âge. D’autres ouvrages ont été bâtis au 20e siècle, en particulier avant la loi de 1992 qui a davantage réglementé la création de plans d’eau.

Même si ces plans d’eau (et canaux) sont de petites dimensions, leur grand nombre fait qu’ils représentent un volume d’eau considérable pour la société, l’économie et le vivant.

Problème n°1 : défaut de connaissance
Hélas, cette réalité est encore peu traitée du point de vue de la connaissance. Un inventaire national des plans d’eau est en cours de constitution et sa première version sera rendue publique en 2023. Il existe un référentiel des obstacles à l’écoulement (ROE) pour les ouvrages en lit mineur, avec déjà plus de 100 000 entrées. 

Cependant, la réalité derrière les nomenclatures administratives n’est pas analysée sérieusement. L’objectif quasi unique du gestionnaire public a été la continuité écologique en long sur les ouvrages en lit mineur, alors que la science a démontré que des dizaines de services écosystémiques sont associés aux plans d’eau (et aux canaux parfois annexes des plans d’eau), en particulier : 
  • Régulation des crues et sécheresses
  • Biodiversité de milieux lentiques et humides
  • Zone refuge en étiage
  • Dépollution des intrants et auto-épuration
  • Production d’énergie, pisciculture
  • Adaptation au changement climatique par îlot de fraîcheur
  • Réserves incendie très réparties
  • Agréments culturels, paysagers et de loisirs

Problème n°2 : défaut de représentation et concertation
A la carence de connaissances s’ajoute le problème du défaut de représentation institutionnelle.

Aujourd’hui, ces ouvrages ne sont pas représentés de manière permanente au comité national de l’eau, aux comités de bassin des agences de l’eau, ni parfois dans les enquêtes parlementaires sur les thèmes les concernant. 

C’est la raison pour laquelle la réforme de continuité écologique en long s’est très mal passée, ayant été conçue sans travail sérieux avec les premiers concernés pour envisager sa faisabilité et son acceptabilité. Le problème sera le même pour la politique de gestion quantitative et qualitative de l’eau. 

Nous demandons en conséquence une double évolution des pratiques :
  • Une politique d’acquisition de connaissances sur la diversité des plans d’eau, leurs services écosystémiques et leurs dimensions d’intérêt pour les politiques de l’eau, en vue non de les faire disparaître au nom de la « renaturation » ou de la « continuité », mais de les valoriser et de les associer aux objectifs d’intérêt général,
  • Un élargissement des instances de réflexion et concertation de l’eau aux acteurs représentant les ouvrages hydrauliques concernés (moulins, étangs, canaux,  plans d’eau).
A lire sur ce thème

09/12/2022

"Disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement"

Cécile Cukierman, Alain Richard, Catherine Belrhiti et Jean Sol ont présenté hier les conclusions de leur rapport "Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France", fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Nous proposons ici un extrait du rapport sur le stockage de l’eau, dont l’une des conclusions est qu'il n'y a pas de base scientifique au refus de principe du stockage. 


Le stockage de l'eau : un sujet sensible

Dès lors que les précipitations sont abondantes en hiver et réduites en été, la constitution de réserves d'eau jouant un rôle d'amortisseur inter-saisonnier apparaît comme une solution de bon sens. La pratique est d'ailleurs déjà mise en oeuvre à travers de nombreux barrages et lacs de retenue, qui servent au soutien d'étiage et contribuent au développement des activités humaines.

La France ne retient qu'assez peu l'eau qu'elle reçoit : seulement 4,7 % du flux annuel d'eau est stocké en France (nos barrages ont une capacité de 12 milliards de m3 pour une pluie efficace de 190 à 210 milliards de m3), alors que l'on atteint presque 50 % en Espagne (54 milliards de m3 sur 114 milliards de m3 de pluies efficaces)70(*). Mais la politique de stockage de l'eau est très critiquée et n'est pas considérée de manière consensuelle comme une solution durable. Elle est pourtant un enjeu pour toute société humaine sédentarisée.

a) L'amélioration des capacités de stockage existantes
Il existe une multitude de retenues permettant de stocker l'eau, très variables selon leur taille, leur mode d'alimentation - retenue collinaire alimentée par ruissellement et retenue de substitution alimentée par pompage - ou encore leur mode de gestion, individuelle ou collective. Les finalités des retenues peuvent être aussi variées : production hydroélectrique, soutien d'étiage, irrigation, pisciculture ou pêche de loisir, tourisme, sports d'eau, neige de culture, réservoir pour lutter contre les incendies ...

Dans une publication de 2017 consacrée à l'impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique, un collectif d'experts indiquait que jusque dans les années 1990, la France avait vu les retenues d'eau se multiplier pour répondre notamment aux besoins d'irrigation agricole71(*). Mais la même publication soulignait qu'on ne disposait pas aujourd'hui de recensement précis de ces retenues, en particulier des petites retenues. S'appuyant sur des travaux du début des années 2000, cette publication estimait qu'il existait « environ 125 000 ouvrages de stockage pour une surface de 200 à 300 000 ha et un volume total d'environ 3,8 milliards de m3 stockables. Près de 50 % des retenues recensées avaient une superficie inférieure à un hectare, pour un volume inférieur dans 90 % des cas à 100 000 m3 et une profondeur inférieure à 3 m dans 50 % des cas et 5 m dans 90 % des cas ». Le volume moyen des ouvrages destinés à l'irrigation agricole était estimé autour de 30 000 m3, soit l'équivalent d'une dizaine de piscines olympiques.

Or, une partie de ces retenues est mal utilisée et connaît d'importants taux de fuite. Une stratégie de remobilisation et de modernisation de ces retenues pourrait déjà être entreprise mais elle se heurte à des difficultés de financement, la mise aux normes n'entrant pas dans le périmètre des opérations subventionnables lorsqu'il n'y a aucune économie d'eau à la clef. Une autre possibilité consiste à augmenter la capacité de retenues existantes en les rehaussant. La remobilisation des réserves est parfois difficile lorsque la propriété des terrains a évolué et, en pratique, peu de propriétaires sont ouverts à la réutilisation de leurs plans d'eau par des tiers.

b) La création de retenues supplémentaires
L'ensemble des représentants du monde agricole auditionnés a insisté sur la nécessité d'aller vers la constitution de retenues nouvelles. Il s'agirait de retenues de substitution, en cela qu'elles viseraient à davantage stocker pendant les périodes de hautes eaux pour moins puiser l'été dans les cours d'eau ou les nappes phréatiques.

L'objectif consiste à sécuriser la disponibilité de la ressource en eau et donc la production agricole. Les retenues peuvent aussi être utiles pour lutter contre les incendies dont l'année 2022 a montré qu'ils pouvaient se déclencher partout en cas de fortes chaleurs, y compris en Bretagne ou en Anjou.

Les Agences de l'eau ne peuvent d'ailleurs pas subventionner de projets de stockages d'eau supplémentaires qui ne viseraient pas, d'abord, à effectuer des économies durant la période d'étiage. Seule la partie de l'ouvrage correspondant au volume de substitution est éligible au soutien des Agences de l'eau jusqu'à 70 % du coût du projet.

Si les retenues collinaires sont globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de « bassines », dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage, les deux modalités, parfois confondues dans le langage courant, se heurtent à des oppositions de principe exprimées fortement par les associations environnementales, notamment en réaction aux conclusions du Varenne de l'eau début 2022. Ainsi, France Nature Environnement (FNE) a estimé que les impacts hydrologiques (interception des flux d'eau, moindre débit en aval, étiage accentué, blocage du transit sédimentaire), physico-chimiques (eutrophisation d'une eau stagnante) et biologiques (perte d'habitat en cas d'assèchement des zones humides avoisinantes, atteintes à la continuité écologique) des retenues étaient globalement négatifs.

Les opposants au développement des retenues soulignent en outre qu'une stratégie fondée sur les retenues d'eau inciterait à ne pas réfléchir à une agriculture moins consommatrice d'eau et créerait un faux sentiment de sécurité, alors même que l'accélération du réchauffement climatique pourrait conduire ces retenues à être à sec même si les règles initiales de prélèvement étaient respectées, en cas de déficit prolongé de pluviométrie ou de ralentissement structurel du rythme de recharge des nappes.

Au final, les opposants aux retenues contestent l'utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu'à quelques agriculteurs utilisateurs de l'eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l'eau.

À l'inverse, les agriculteurs insistent sur la nécessité de faciliter les procédures extrêmement lourdes et coûteuses qui forment des obstacles quasi-infranchissables sur le chemin de la création d'une nouvelle retenue. Dans l'Ardèche, il a été indiqué que l'état actuel de la réglementation empêchait concrètement tout nouvel ouvrage en zone humide. Il a été souligné que le coût des études d'impact était parfois supérieur au coût des travaux, conduisant les porteurs de projets à y renoncer. Il est significatif de constater que si, dans les Pyrénées-Orientales, la chambre d'agriculture a identifié 20 sites permettant de réaliser des retenues d'eau, aucun projet n'a pu se concrétiser depuis plus d'une décennie.

Faut-il rejeter par principe le stockage de l'eau, alors qu'une partie du développement agricole avait reposé jusqu'à présent sur la mise en place d'ouvrages et d'équipements d'irrigation ? La réponse est négative. Le rapport de la délégation à la prospective de 2016, déjà, insistait sur la nécessité de mettre en place une stratégie de stockage d'eau. La réglementation est très stricte et ne permet pas de faire des stockages de confort. Les études d'impact demandées sont très détaillées et les autorisations ne sont délivrées que lorsqu'il n'y a pas d'effets négatifs sur l'environnement. Il convient naturellement de contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves, une fois celles-ci construites et de surveiller les effets sur la ressource en eau des nouveaux ouvrages. Mais disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement. C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves.

Source : Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, Rapport d'information n° 142 (2022-2023) de Mmes Catherine BELRHITI, Cécile CUKIERMAN, MM. Alain RICHARD et Jean SOL, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 24 novembre 2022

19/10/2022

Ne commettons sur les retenues d'eau les mêmes erreurs que sur la continuité écologique

L'Office français de la biodiversité a organisé avec des syndicats de rivière une analyse de l'effet cumulé des retenues d'eau. Un colloque de restitution vient d'en rapporter les principales conclusions. Si des données intéressantes ont été récoltées, le colloque nous a aussi permis de constater le fossé béant entre la représentation de la nature de certains gestionnaires publics et la diversité des réalités de l'eau dans la société. Il existe en France 300 000 plans d'eau de plus de 100 m2 et probablement près d'un million au total. Envisager ce fait massif sous le seul angle d'une "dégradation de la nature" à corriger nous mène dans le mur. Ne commettons pas l'erreur déjà faite sur les ouvrages en lit mineur à l'occasion de la réforme ratée de continuité écologique. 


Une expertise collective Inrae-OFB avait été menée entre 2014 et 2016 sur les effets cumulés des retenues d'eau, sous la forme d'un passage en revue de la littérature scientifique. Pour les suites de cette expertise, une démarche a été lancée par l'Office français de la biodiversité (OFB), avec un appel à projets pour étudier les retenues sur des bassins versants. Six projets ont été sélectionnés, portés par des syndicats de rivière ou un parc naturel régional. En début de semaine se tenait le colloque de restitution de cette étude ICRA (Impact cumulé des retenues sur les milieux aquatiques). Nous y avons assisté en distanciel et voici nos observations. 

Quantification et qualification des retenues d'eau : un inventaire bienvenu
Le premier enjeu est déjà de qualifier et quantifier ce dont on parle. Il y a des plans d'eau en travers du lit mineur et d'autres en dérivation. Il y a des plans d'eau déconnectés du lit mineur, à une plus ou moins grande distance des cours d'eau. Il y a aussi des plans d'eau au niveau des sources, plus durs à qualifier puisqu'ils forment en quelque sorte la naissance du cours d'eau par ses sources qu'ils drainent en alimentation de la retenue. En outre, les propriétés physiques et fonctionnelles du plan d'eau sont importantes : superficie, profondeur, temps de résidence hydraulique, forme des berges, marnage saisonnier. Également d'intérêt : la date de construction, l'usage connu. Le CGEDD travaille à un inventaire national des plans d'eau (INPE) avec une quarantaine de descripteurs. L'outil devrait être rendu public dans sa première version en 2023. C'est appréciable, d'autant que les travaux présentés par les syndicats de rivière montre la diversité des plans d'eau et la difficulté de les répertorier. Selon les premières données, il y aurait environ 300 000 plans d'eau de plus de 100 m2 et n'étant pas des zones humides naturelles, environ 800 000 en incluant les moins de 100 m2. Mais c'est une estimation conservatrice, car les techniques altimétriques de détection (images aériennes et satellites) peuvent manquer les sites sous couverts forestiers ou à interprétation ambiguë sur les images. Selon des analyses faites sur un bassin versant, près de la moitié des retenues seraient apparues après les années 1950. Cet inventaire confirme selon nous ce que les universitaires Pascal Bartout et Laurent Touchart avaient pointé, il existe un limnosystème (réseau des points d'eaux lentes, calmes) et il est totalement négligé par l'interprétation administrative de la DCE, voire par la DCE elle-même qui a centré l'essentiel sur la réalité "rivière" ou très grand plan d'eau.

Quantité d'eau : modèles hydrologiques à revoir
Un modèle hydrologique vise à estimer comment évolue la quantité d'eau en surface et en nappe à différentes hypothèses. Les travaux présentés au colloque sont de ce point de vue très insuffisants, ce qui a été reconnu dans la communication de F. Habets. Un modèle doit en effet avoir les données d’entrée (pluviométrie, nappes) et d’usages (tous les prélèvements). Ce n'est pas forcément la retenue en elle-même qui prive le milieu ou l'aval d'eau, c'est d'abord l'usage qui en est fait, en particulier le pompage et la réalimentation de la retenue en période sèche. Un modèle prédictif (pour accompagner l'action et certifier des résultats futurs) doit aussi être couplé à un modèle hydroclimatique, pour savoir comment un milieu réagit demain à des manques ou excès d'eau d'origine météorologique, avec ou sans retenues. Ce point hydrologique est le plus important et le plus légitime : il y a pression quantitative sur l'eau dans certains bassins, mais l'eau est un bien commun, donc on doit veiller à ce que les usages n'affectent pas la ressource de manière immodérée ou injuste (que l’amont ne prive pas l’aval, que certains usages ne privent pas les autres). On doit aussi, ce qui n'était pas vraiment l'esprit du colloque, veiller au stockage de l'eau dont la nécessité sera plus forte. Mais pour le moment, le poids du facteur retenue n'est pas correctement isolé par le modèles, qui doivent s'améliorer. L'enjeu n'est pas simple, car la modélisation est contexte-dépendante (par exemple, un bassin cristallin n'est pas un bassin karstique, un bassin à forte demande d'irrigation n'est pas un bassin à faible usage agricole, etc.).

Température de l'eau : un impact sensible sur la thermie
Les mesures et les modèles sont plus simples à concevoir pour la température, encore qu'il existe des facteurs physiques de pondération à prendre en compte (débit, pente). Les travaux présentés confirment d'autres données déjà connues dans la littérature scientifique, les retenues modestes n'ayant pas de stratification thermique (eau froide en profondeur) et ne rejetant pas l'eau par le fond ont tendance à réchauffer l'eau. L'effet se fait sentir sur 500-1000 m à l'aval en général. Cet effet est lié à des facteurs aggravants (par exemple grande superficie, faible profondeur, fort temps de résidence hydraulique, construction en lit, relargage en surverse) ou atténuants (retenue en dérivation, ombrage des berges, relargage par le fond). La température peut poser des problèmes en tête de bassin à des espèces thermosensibles. Elle augmente aussi le risque de blooms de cyanobactéries, en lien à l'excès de nutriments (pollution ou défaut de curage régulier). La température est aussi liée à l'évaporation, mais le bilan d'évaporation n'a pas été fait dans ces travaux. 

Chimie de l'eau : des effets plutôt épurateurs
Les techniciens ayant fait des mesures chimiques ont confirmé ce que l'on savait déjà : les plans d'eau contribuent à épurer la rivière des nitrates et phosphates. Un travail mené dans une région minière a montré que les plans d'eau stockent aussi des produits dérivés de l'exploitation (arsenic, cadmium), ce qui pose problème pour le devenir de leurs sédiments (épandage interdit) et pour leurs choix de gestion (la suppression ou la destruction accidentelle de plans d'eau aboutirait à polluer le milieu de manière plus diffuse).

Biologie de l'eau : carences et biais d'analyse
Sans grande surprise, la présence de retenues d'eau va modifier les peuplements de la rivière en comparaison d'une autre qui en serait dénuée. Les indicateurs de la DCE ne sont pas les plus utiles si l'on veut une analyse fine de ce facteur biologique, car ils ont été conçus pour un score moyenné et à but réglementaire. Mais les intervenants n'ont pas été clairs sur les indicateurs alternatifs : chacun proposait les siens, sans rationnel convaincant sur ce qu'ils représentaient par rapport à la réalité biologique globale du système rivière-retenue. Au-delà, ce point de la biologie est l'un des plus insatisfaisants de notre point de vue. Toutes les présentations ont été faites selon le même angle : la biologie d'une rivière anthropisée s'apprécie par écart avec une rivière naturelle, l’objet rivière doit être le référentiel permettant de juger tout  le reste. Ce n'est pas notre analyse : une rivière anthropisée est à accepter comme telle, c'est la réalité dont on part et dont on parle, le processus d’anthropisation dure depuis des millénaires, avec des accélérations par époque. Par ailleurs, aucun syndicat n'a envisagé la retenue comme milieu à part entière et donc comme objet d'étude biologique, aucun n'a analysé la biodiversité de la retenue vue comme biotope et non vue comme impact. Or la retenue est aussi un "milieu aquatique" et l’OFB parlait bien d’un "effet sur les milieux aquatiques" comme objectif de l’étude. Ce dédain est en net décalage avec la recherche scientifique européenne de plus en plus fournie sur les écosystèmes d'origine artificielle de type mares, étangs, plans d’eau, lacs peu profonds. Et ce sera forcément un point contentieux si ce déni persiste : l'OFB doit impérativement commanditer des campagnes d'observation sur les écosystèmes anthropiques. Les retenues ont aussi des faunes et flores inféodées, il faut voir comment les plantes, les invertébrés, les poissons, les mammifères, les oiseaux, les amphibiens, les reptiles etc. y vivent, en eau ou sur berge. En particulier quand l’idéologie dominante de gestion exprimée lors du colloque semble de détruire et assécher ces retenues : cela ne doit pas être possible sans étude d’impact à échelle du site et du bassin, sans connaissance des peuplements des retenues et des effets de leurs éventuelles disparitions, sans création a minima d’une autre zone humide présentant la même superficie, etc. Besoin de connaissance mais également obligation juridique : le droit permet déjà d'engager un contentieux pour la destruction d'un milieu aquatique et humide sans étude ni compensation, cela sans faire la distinction entre milieu d'origine naturelle ou d'origine anthropique. C'est la méconnaissance du droit par les propriétaires de plans d'eau qui les mène à engager des destructions sans précaution ni compensation, ainsi que le manque de vigilance des protecteurs de l'environnement sur ces milieux-là, hélas.  

Droit des retenues : la confusion
La dimension juridique ne faisait pas partie de la recherche demandée, pourtant elle a été souvent évoquée dans les comptes-rendus. Il a existé une période un peu laxiste dans la gestion de l'eau, en gros les trente glorieuses avant la loi sur l’eau de 1992. Des travaux ont été menés sans base juridique claire. Certains affirment qu'ils sont "illégaux" mais si aucune déclaration ni autorisation n'était nécessaire à l'époque, le point est discutable (la loi n'est pas rétroactive). En revanche, la règlementation s'applique et il a été suggéré (sans quantification) que le débit réservé de certaines retenues reliées au lit mineur n'est pas respecté. C’est évidemment anormal quand c’est le cas. Nous avons besoin de transparence et de débat sur ce sujet juridique, c'est essentiel dans un état de droit. Il faut que les citoyens mais aussi le personnel public de l'eau y soient sensibilisés : on voit certes des ignorances, des négligences et des abus de propriétaires privés, mais on voit aussi des gestionnaires publics pensant que des approximations juridiques sont tolérables, ce qui ne passe pas en contentieux. (A cet égard, nous avons été quelque peu inquiet d'entendre un chargé de rivière qui se vantait de faire pression pour détruire des retenues de particulier au motif qu’elles seraient "sans usage", et cela sans tenir compte des usages familiaux...) 

Histoire, géographie, sociologie, économie et services écosystémiques de la retenue : le grand vide
Ce point nous a le plus désolé  : le cahier des charges de l'OFB n'a pas intégré la nécessité de comprendre l'histoire, les représentations et les usages des retenues. L'usage le plus cité est l'agriculture, mais en fait les discussions révèlent qu'il y a beaucoup de types de propriétaires et que beaucoup de retenues sont sans usage agricole. La notion de "sans usage" est problématique, puisque l'usage familial et affectif d'une retenue est un cas observé, de même qu'un usage collectif d'agrément dans un village, un usage d’association de pêche, etc. On a observé un angle utilitariste dans les discussions du colloque: l'usage devrait être directement économique ou d'eau potable, les usages sociaux sont négligés ou perçus comme non légitimes. Pourquoi cette indifférence aux sciences sociales et humanités de l’eau? Pourquoi ne pas chercher à mesurer les services écosystémiques, attestés par la recherche? Les acteurs présents (syndicats de rivière, fonctionnaires eau et biodiversité, techniciens fédés pêche, etc.) et prenant la parole semblent tous partager une idéologie naturaliste, un angle de vision posant une nature idéale et référentielle sans humain ou avec très peu d’humains, une analyse des écarts à cet idéal définissant autant de problèmes à résoudre. Nulle part il n'y a une vision de la rivière et du bassin versant comme co-construction de la nature et de la culture, nulle part il n'y a une sensibilité au facteur humain alors que l'humain est la force directrice à l'Anthropocène (ces centaines de milliers de retenues ont bien l'humain comme origine). Nous pensons d'une part que cette posture "hémiplégique" est intenable, elle ne correspond pas à la réalité ; d'autre part que la tentative d'intervention réglementaire et gestionnaire sur des bases aussi fragiles ne ferait que multiplier les contentieux juridiques et conflits sociaux qui accompagnent déjà aujourd'hui les "renaturations". Il est important que le personnel en charge de l'écologie pense à l'économie et à la société, tout comme le personnel en charge de l'économie et de la société doit de son côté penser à l'écologie. L'eau, ce n'est pas juste une question naturelle et il faut assez urgemment faire évoluer cette vision chez le gestionnaire en assurant des formations plus diversifiées. 

Conclusion : ne répétons pas les mêmes erreurs que la continuité écologique
Au final, cette démarche ICRA et le colloque de restitution nous ont laissé un sentiment mitigé. D'un côté, un gros travail a été mené, la compréhension de la réalité des retenues a progressé, le sujet est reconnu comme d'importance. Il est clair que les pressions sur la ressource en eau et les risques accrus apportés par le changement climatique doivent mener à une gestion attentive et raisonnable, ce qui ne fut pas toujours le cas au 20e siècle et ne l’est toujours pas sur nombre de bassins. Il existe aussi un enjeu de bonne gestion écologique de la retenue (au lieu de n'envisager que sa disparition), car les traits fonctionnels des ouvrages comptent pour les rendre plus ou moins accueillants à la biodiversité, plus ou moins impactants sur la thermie, etc. D'un autre côté, les résultats ne sont pas assez fouillés et complets pour être opérationnels, les observables recherchés ont des biais manifestes, le mépris de principe pour un plan d'eau artificiel est intenable pour les futurs rapports sociaux au bord de l'eau (et pour la biodiversité elle-même, répétons-le). Les acteurs qui procèdent à ce travail montrent une vision trop homogène et une idéologie trop décalée de celles présentes dans la société. Nous risquons de reproduire les mêmes erreurs que sur la continuité écologique : une sous-estimation de l'ampleur des modifications humaines du bassin versant et de leur caractère souvent non réversible, une indifférence aux habitats semi-naturels d'origine anthropique, une ignorance voire une hostilité aux usages que les gens ont des retenues ou aux agréments qu'ils en tirent, une précipitation à vouloir faire des règles alors qu'on comprend mal la réalité concernée par ces règles. 

Il est vraiment nécessaire que l'eau soit gérée de manière plus ouverte et plus inclusive au niveau de sa réflexion publique, avec bien sûr la présence forte d'enjeux hydrologiques et écologiques, mais en évitant la cécité aux enjeux sociaux et économiques, à la diversité des rapports entre les humains et les non-humains autour de l'eau. En évitant aussi l'illusion que l'on pourrait restaurer partout une nature sauvage ou une nature antérieure à l'Anthropocène. Les humains seront toujours sur les bassins versants en 2050 et en 2100, il est même probable que l'obligation de relocaliser des activités productives et récréatives va renforcer cette présence. Aucune gestion apaisée et efficace de l'eau n'est possible sans intégrer cela, y compris dans les métriques et les indicateurs que la société (pas seulement ses experts) se donne.

28/08/2022

Les plans d'eau d'origine humaine appréciés par les libellules et demoiselles (Kolar et al 2021)

Une recherche menée en république tchèque sur des étangs piscicoles et plans d'eau de carrière montre que ceux-ci abritent près de la moitié de la diversité totale des odonates locales, y compris des espèces en liste rouge nationale. Les chercheurs rappellent que l'origine artificielle d'un milieu aquatique ne l'empêche pas de former un habitat et de contribuer à la gestion de la biodiversité. Ils appellent à préserver la mosaïque locale de ces plans d'eau, voire à l'enrichir de nouveaux sites. On attend toujours que le gestionnaire public de l'eau en France intègre les nombreux travaux de recherche qui attestent des services rendus par les plans d'eau, retenues et autres milieux aquatiques d'origine humaine. 


Lester sponsa femelle, photo par Charles J. Sharp CC BY-SA 4.0

Dans de nombreuses régions du monde, les habitats naturels ont été altérés par les activités humaines, avec déclins des communautés d'espèces locales, dont les insectes. Le milieu des eaux douces stagnantes est particulièrement vulnérable car ces habitats sont affectés par l’aménagement des terres, l’eutrophisation, la pollution agricole, industrielle et domestique, les changements climatiques et l’assèchement tendanciel, ainsi que la  propagation des espèces invasives. Mais les activités humaines créent également de nouveaux habitats qui peuvent fournir un filet de sécurité contre les perturbations en cours. 

Ces habitats artificiels pouvant compenser les tendances négatives pour les petites eaux stagnantes comprennent notamment les plans d'eau créés après l’exploitation minière et les étangs piscicoles, les seconds étant souvent plus anciens. "Certains de ces habitats artificiels peuvent accueillir diverses communautés et espèces rares, y compris, par exemple, des amphibiens ou les insectes terrestres et aquatiques. Les habitats artificiels peuvent également accueillir des communautés différentes par rapport aux sites naturels", rappellent Vojtech Kolar et ses collègues.

Ces chercheurs tchèques ont analysé des plans d'au d'origine humaine à différents stades de leur développement, depuis des étangs anciens jusqu'à des plans d'eau de carrière créés plus récemment. Voici la synthèse de leur résultat : 

"Les habitats d'eau douce créés par l'homme constituent une partie importante du paysage européen, en particulier dans les zones où les habitats naturels sont pour la plupart absents ou dégradés. Pour évaluer le rôle des différentes eaux stagnantes artificielles dans les paysages anthropiques, nous avons étudié les communautés d'odonates adultes dans un groupe de 20 plans d'eau, y compris des étangs piscicoles et des plans d'eau de carrière aux stades de succession précoce et en cours. 

Nous avons trouvé 35 espèces d'odonates (c'est-à-dire 47% de la faune de la République tchèque), mais leur présence différait significativement entre les trois types d'habitats. La plus grande diversité d'espèces, due principalement à la présence de généralistes, a été trouvée dans les étangs piscicoles. Les plans d'eau de carrière à un stade précoce de succession abritaient les communautés les moins diversifiées dominées par des espèces pionnières et vagabondes. Les espèces spécialisées sont présentes dans les deux types d'habitat de carrière, en particulier ceux qui sont en phase de succession continue, plus que dans les étangs piscicoles. Bien que l'indice biotique de la libellule ne diffère pas entre les trois types de localités, les quatre espèces de la liste rouge nationale enregistrées au cours de l'étude ne sont présentes que dans les carrière. Les principaux facteurs environnementaux des communautés locales d'odonates comprenaient la couverture du rivage par la végétation émergente, la profondeur de l'eau et le substrat du fond ; ces deux dernières caractéristiques correspondaient largement à la distinction entre plans d'eau de carrière et étangs piscicoles. 

Nous concluons que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversité d'eau douce qui nécessite une mosaïque d'habitats à différents stades de succession."

Les chercheurs concluent : "Nos résultats mettent en évidence le potentiel des habitats artificiels tels que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles pour soutenir diverses communautés de libellules et de  demoiselles, et assurer une valeur biotique  élevée  à l’échelle locale. Nous montrons que diverses  communautés d’odonates ont besoin d’une mosaïque d’habitats allant d’étangs peu profonds, éventuellement temporaires, à des plans d'eau permanents avec des eaux plus profondes, avec différents types de substrats, allant de plans d’eau complètement ouverts sans végétation à des étangs envahis par une végétation riveraine hétérogène. Comme chacun de ces types de masse d'eau peut abriter une communauté différente, il est important de créer de nouveaux plans d'eau et de restaurer certains anciens pour accroître la biodiversité locale et maximiser le potentiel de conservation de ces habitats d’eau douce".

Discussion
La recherche en écologie montre que des habitats aquatiques et humides d'origine humaine ont eux aussi une capacité à héberger de la biodiversité et à pallier l'altération de milieux d'eau douce par certaines activités à effets très négatifs sur le vivant. Ce constat répété dans de nombreuses études sur ces milieux artificiels est très éloigné des obsessions qui animent la politique des rivières en France, comme la prime à la destruction des habitats de retenues, plans d'eau, étangs ou lacs. Il est nécessaire que les gestionnaires publics intègrent ces connaissances et développent une vision plus positive sur les plans d'eau, par des conseils de bonne gestion aux propriétaires assorti d'un travail prioritaire sur les excès de pollutions et de prélèvements de l'eau.

Référence : Kolar V et al (2021), The influence of successional stage on local odonate communities in man-made standing waters, Ecological Engineering, 173, 106440 

10/07/2021

Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)

Des chercheurs français montrent qu'une retenue d'eau sur une rivière joue un rôle bénéfique dans une tête de bassin agricole, en ayant tendance à éliminer les résidus de pesticides et à délivrer une eau moins polluée à l'aval. Cette recherche, qui s'ajoute à de nombreuses autres, permet de constater à nouveau le flagrant délit de mensonge du ministère de l'écologie et des agences de l'eau. Ces autorités publiques ont vendu la continuité écologique par destruction d'ouvrages et de retenues en prétendant que cela favorisait l'auto-épuration de l'eau. C'est totalement faux et c'est d'autant plus grave que ces mêmes autorités sont incapables de réduire les pollutions à la source. On préfère casser du moulin et de l'étang que traiter les vrais problèmes de l'eau. 


La pollution diffuse et aiguë de l'eau par les pesticides est aujourd'hui une préoccupation mondiale majeure pour la santé et l'environnement. En Europe, la quantité totale de pesticides utilisés annuellement est passée de 440000 tonnes à plus de 475000 tonnes entre 2000 et 2017 (FAO, 2020). La France (16 % de toutes les terres agricoles de l'Union européenne) se classe parmi les pays ayant la plus forte consommation de pesticides, avec plus de 69600 tonnes utilisées pour l'agriculture.

Outre la réduction des pesticides à la source et l'interdiction des plus dangereux se pose la question des meilleurs moyens de réduire et éliminer les charges toxiques dans les milieux. 

Comme le notent François Le Cor et ses collègues dans une recherche venant de paraître, "les petits plans d'eau (c'est-à-dire de 0,1 à 100 ha) semblent également jouer un rôle important dans la préservation des cours d'eau d'amont. Les étangs semblent avoir des capacités d'atténuation des pesticides importantes, mais sous-estimées (Gaillard et al., 2015, 2016 ; Grégoire et al., 2009). Bien que de petite taille, ces plans d'eau, additionnés, couvrent une superficie trois fois plus grande que celle couverte par les grands lacs naturels et artificiels en France. A l'échelle européenne, elles couvrent près de 270 000 km2 (Bartout et Touchart, 2018). Habituellement, une forte densité de petits plans d'eau se produit en tête des bassins versants agricoles (Drożdżyński, 2008 ; Lazartigues et al., 2012) ; ils sont donc, dès l'origine des réseaux hydrographiques, sur le chemin de la contamination par les pesticides. De plus, ils peuvent aussi être particulièrement sujets à des transferts de produits de transformation (TP) (Ulrich et al., 2018), ce qui les rend encore plus pertinents dans la compréhension des deux niveaux de contamination (c'est-à-dire avec les composés parents et le TP). Les données de terrain concernant la contamination des étangs par les pesticides sont rares et, même si certaines existent (Gaillard et al., 2016 ; Lazartigues et al., 2013 ; Ulrich et al., 2018), elles prennent rarement en compte la TP. La collecte de données environnementales sur les pesticides et les TP semble donc nécessaire pour prédire les effets écotoxicologiques qui peuvent survenir."

Les chercheurs ont donc examiné les concentrations en pesticides et en transfert de leurs produits transformés en amont et en aval d'un étang de Lorraine, situé sur la rivière Seille.


Voici le résumé de leur recherche :

"En France, plus de 90 % des cours d'eau surveillés sont contaminés par des pesticides. Ce niveau de contamination élevé augmente en tête des bassins versants agricoles, où les capacités de dilution sont faibles et le transport depuis les terres traitées est direct. Les étangs, nombreux autour des cours d'eau d'amont, pourraient offrir une protection supplémentaire contre la pollution par les pesticides. En raison de leur long temps de séjour hydraulique et de leurs grands volumes d'eau, ils atténuent les concentrations de pesticides entre amont et aval des rivières. Cependant, les produits de transformation des pesticides peuvent également être responsables de la dégradation des milieux, du fait de leur présence à des concentrations élevées et de leur persistance, mais les données associées sont rares, notamment en raison de leur niveau élevé de diversité moléculaire. 

Nous avons d'abord rendu compte de l'état de contamination de l'eau dans les cours d'eau de tête de bassin agricole, sur la base d'échantillonnages d'eau à haute fréquence. L'analyse de 67 molécules (HPLC-ESI-MS/MS) a montré des mélanges de pesticides et de produits de transformation de pesticides contenant jusqu'à 29 composés différents dans un échantillon. Quel que soit le lieu d'échantillonnage, les produits de transformation représentaient au moins 50 % des composés détectés. 

Ensuite, nous avons démontré la capacité d'un étang à réduire les concentrations de contaminants dans les rivières en aval pour 90 % des composés détectés. En amont de ce bassin, les normes de qualité environnementale ou écotoxicologiques ont été dépassées lors des prélèvements, avec des concentrations cumulées de pesticides et de produits de transformation pouvant atteindre 27 27g/L. En aval du bassin d'étude, peu de dépassements ont été observés, avec une concentration totale maximale de 2,2 μg/L, traduisant une amélioration significative de la qualité de l'eau."

Discussion
Notre association a documenté depuis 10 ans que les retenues et plans d'eau ont des effets plutôt bénéfiques sur l'épuration de l'eau, pour les nutriments comme pour certains polluants. Cela fait partie des services écosystémiques reconnus de ces milieux, qui sont souvent d'origine humaine. Cette nouvelle recherche ajoute donc une pièce à un dossier déjà bien rempli. Elle nourrit une réflexion nécessaire sur des paiements pour services écosystémiques qui pourraient être associés à la bonne gestion des retenues et plans d'eau. 

Bien entendu, l'objectif n'est pas de se satisfaire des pollutions à la source. Mais à pollution donnée, il est préférable de conserver les nombreuses retenues qui agrémentent les rivières françaises et qui agissent comme des filtres évitant l'excès de pollution de l'aval et des estuaires. 

Le point scandaleux dans le cas français est que les autorités en charge de l'eau (ministère de l'écologie, agences de l'eau, syndicats de rivières) ont diffusé et diffusent parfois encore des informations fausses et trompeuses à ce sujet. Il a en effet été prétendu aux décideurs et aux citoyens que la destruction des ouvrages et de leurs retenues aurait un effet bénéfique sur "l'auto-épuration", c'est-à-dire la capacité de la rivière à éliminer elle-même des polluants. C'est inexact et cette doctrine n'a encouragé que la libre-circulation des toxiques dans les eaux de surface et dans les nappes. Il est vrai que casser du moulin et de l'étang, c'est plus facile que s'attaquer aux sources des pollutions... 

14/06/2021

Les plans d'eau d'origine humaine, un outil de conservation de la biodiversité (Zamora-Marin et al 2021)

Des chercheurs ont étudié la faune de divers plans d'eau d'origine humaine en France, en Suisse et en Espagne, incluant des étangs et retenues piscicoles. Ils observent que ces écosystèmes anthropiques n'atteignent pas la biodiversité de leurs équivalents naturels encore présents, mais qu'on y trouve de 42 à 65% des pools régionaux de coléoptères, d'escargots et d'amphibiens. Les types de plans d'eau sont complémentaires, et leur nombre cumulé est un facteur de conservation biologique des espèces. Les chercheurs concluent que ces systèmes aujourd'hui négligés méritent l'attention des gestionnaires car ils peuvent apporter une contribution substantielle à la préservation des espèces de milieux aquatiques et humides. Il est déplorable qu'au lieu d'encourager à cette gestion écologique intelligente, la destruction et assèchement d'étangs et plans d'eau figurent encore dans la politique de certains bassins versants, au nom d'une vision trop étriquée de la biodiversité comme des services écosystémiques.


Les milieux d'eau douce sont considérés comme les écosystèmes les plus menacés dans le monde, malgré le niveau important de biodiversité qu'ils abritent et de services écosystémiques qu'ils apportent. Comme le remarquent Jose Manuel Zamora-Marín et ses collègues dans ce nouveau travail, "les préoccupations concernant la conservation et la gestion des écosystèmes d'eau douce se sont concentrées sur les eaux courantes, telles que les rivières et les ruisseaux, ou les grands lacs. Cependant, des plans d'eau plus petits tels que des mares ont été signalés comme représentant une proportion importante de la surface totale d'eau douce sur Terre, en raison de leurs densités élevées dans la plupart des paysages (Downing et al., 2006). Au cours des deux dernières décennies, un corpus croissant de littérature a démontré le potentiel élevé des plans d'eau à accroître la biodiversité d'eau douce et à agir comme habitats critiques pour la faune (Oertli et al., 2010 ; Céréghino et al., 2014 ; Biggs et al., 2016), en particulier pour les amphibiens (Gómez-Rodríguez et al., 2009 ; Arntzen et al., 2017), les macroinvertébrés (Florencio et al., 2014 ; Hill et al., 2016a, 2019 ; Wissinger et al., 2016) et macrophytes d'eau douce (Nicolet et al., 2004 ; Della Bella et al., 2008 ; Akasaka et Takamura, 2012).

Malgré leurs hautes valeurs écologiques et culturelles pour la société, les plans d'eau de diverse nature ont été pour la plupart négligés par les gestionnaires de l'eau et de la biodiversité, aucun cadre législatif n'existant pour les protéger.

Les chercheurs ont analysé la biodiversité de cinq types de plans d'eau artificiels (étang piscicole, gravière, réserve d'eau en montagne, réserve d'eau en milieu semi-aride, mares urbaines) dans trois zones en France, Suisse et Espagne. La carte ci-dessous montre les zones d'étude.


Extrait de Zamora-Marin et al 2021, art cit. 

Voici le résumé de leurs travaux :

"De plus en plus de plans d'eau artificiels sont créés pour les services qu'ils rendent à l'Homme. S'ils ont le potentiel d'offrir des habitats pour la biodiversité d'eau douce, leur contribution à la diversité régionale est peu quantifiée. Dans cette étude, nous évaluons la contribution relative de cinq types de plans d'eau artificiels à la biodiversité régionale de cinq régions différentes, en étudiant les amphibiens, les coléoptères d'eau et les escargots d'eau douce. Cette biodiversité est également comparée à celle observée dans les plans d'eau naturels de trois des régions étudiées. 

Nos résultats indiquent que plans d'eau artificiels abritent, en moyenne, environ 50 % du pool régional des espèces lentiques. Par rapport aux plans d'eau naturels, les plans d'eau artificiels ont toujours supporté une richesse alpha nettement inférieure (54 % de la richesse naturelle). Les communautés d'invertébrés présentaient des valeurs élevées de diversité bêta et étaient représentées par un ensemble restreint d'espèces largement distribuées et par de nombreuses espèces rares. Il y avait des écarts entre les groupes taxonomiques : dans l'ensemble, les amphibiens ont le plus bénéficié de la présence de plans d'eau artificiels, puisque 65% des pools régionaux d'espèces lentiques pour ce groupe s'y trouvaient, alors que 43% et 42% étaient observés dans le cas des coléoptères et des escargots, respectivement. Cependant, chaque groupe d'invertébrés tendait à être le groupe ayant le plus bénéficié d'un seul type de plans d'eau. Par conséquent, les types de plans d'eau artificiels étaient complémentaires entre eux en termes de contribution à la diversité régionale des trois groupes d'animaux. 

Sur la base de ces résultats, nous prévoyons que les futurs paysages dominés par l'Homme et dans lesquels la plupart des plans d'eau sont artificiels seront particulièrement appauvris en termes de biodiversité d'eau douce, soulignant la nécessité de conserver les plans d'eau naturels existants et de créer de plans d'eau «quasi naturels». Cependant, s'ils sont correctement conçus et gérés, les plans d'eau artificiels pourraient apporter une contribution substantielle au soutien de la biodiversité des eaux douces à l'échelle régionale. De plus, le nombre et la diversité des plans d'eau artificiels doivent être élevés dans chaque paysage considéré."

Ce tableau montre la contribution de chaque type de plans d'eau artificiels (FP: fish ponds; GP: gravel pit ponds; MWP: mountain watering ponds; SWP: semiarid watering ponds; and UP: urban ponds).


Extrait de Zamora-Marin et al 2021, art cit. 

On remarque que les mares urbaines (67%) et les étangs piscicoles (60%) ont tendance à abriter davantage de biodiversité régionale.

Discussion
Cette nouvelle recherche confirme de nombreux travaux antérieurs déjà recensés sur ce site : les plans d'eau d'origine humaine sont loin d'être des déserts biologiques! Ils n'atteignent pas la biodiversité des plans d'eau naturels, ce qui confirme la nécessité de protéger ces derniers de risques d'artificialisation ou d'assèchement. Cela d'autant que les zones humides des lits majeurs ont été largement détruites depuis 3 siècles. Mais pris ensemble, les plans d'eau artificiels représentent  une forte contribution à la biodiversité locale et régionale. Le fait que chaque plan d'eau peut avoir des peuplements dominants qui sont différents des autres indique la nécessité de les considérer comme un ensemble et de les gérer avec une réflexion au niveau de chaque éco-région. D'autres chercheurs français avaient appelé "limnosystème" ce réseau des masses d'eau lentiques aux propriétés et fonctionnalités particulières (Touchart et Bartout 2018). Il est hélas largement orphelin d'attention et de réflexion en France chez les gestionnaires publics, qui se concentrent sur la rivière ou sur des sites isolés remarquables, mais n'ont pas de vision globale sur l'apport des plans d'eau. 

Référence : Zamora-Marín et al. (2021), Contribution of artificial waterbodies to biodiversity: A glass half empty or half full?, Science of the Total Environment, 753, 141987

29/03/2021

La diversité végétale des plans d'eau peu profonds (Labat et al 2021)

Des chercheurs ont étudié la biodiversité des plantes dans 89 plans d'eau peu profonds en France. Ils montrent que la géologie et la distance à la source sont prédicteurs des assemblages biologiques, le second trait indiquant un rôle de la connectivité des plans d'eau aux hydrosystèmes de fleuves et rivières. La superficie est le premier prédicteur de diversité locale alpha des macrophytes. 


Une équipe française de recherche (Université de Rennes, CNRS, Aquabio) a sélectionné 89 plans d'eau peu profonds situés de 3 à 3340 m au-dessus du niveau de la mer, différant par leur géologie (calcaire à siliceuse), leur substrat (sable, argile, roche), l'approvisionnement en eau (précipitations, eaux souterraines, débit de la rivière), leur surface (de 1 m2 à 41,4 ha). Ces sites comprenaient à la fois des eaux permanentes, semi-permanentes (sèches exceptionnellement) et temporaires (alternant régulièrement présence et absence d'eau). Ils ont été sélectionnés dans quatre régions biogéographiques différentes: alpine, méditerranéenne, continentale et atlantique. Ces plans d'eau pouvaient d'origine naturelle (glaciaire, alluviale) ou le résultat de l'activité humaine. Les plans d'eau caractérisés par un ombrage égal ou supérieur à 75% n'ont pas été inclus dans l'analyse, en raison de leur faible richesse floristique.

Le but de Frédéric Labat et de ses collègues était de comprendre la diversité floristique (macrophytes) de ces sites et ses déterminants. Voici le résumé de leurs travaux :

"Les plans d'eau peu profonds [small shallow lakes=SSL] soutiennent une biodiversité exceptionnellement élevée et originale, fournissant de nombreux services écosystémiques. Leur petite taille les rend particulièrement sensibles aux activités anthropiques, qui provoquent un passage à des états turbides dysfonctionnels et induisent une perte de services et de biodiversité. Dans cette étude, nous avons étudié les relations entre les facteurs environnementaux et les communautés macrophytes. Les macrophytes jouent un rôle crucial dans le maintien des états clairs fonctionnels. Une meilleure compréhension des facteurs déterminant la composition et la richesse des communautés végétales aquatiques dans les conditions les moins touchées peut être utile pour protéger ces lacs peu profonds. 

Nous avons inventorié les communautés de macrophytes et collecté les données chimiques, climatiques et morphologiques de 89 SSL les moins impactés et largement distribués en France. Les SSL ont été échantillonnés dans quatre écorégions climatiques, diverses géologies et altitudes. 

L'analyse des grappes hiérarchiques a montré une séparation claire de quatre assemblages de macrophytes fortement associés à la minéralisation. Les facteurs déterminants identifiés par l'analyse de redondance basée sur la distance (db-RDA) étaient, par ordre d'importance, la géologie, la distance par rapport à la source (DIS, un proxy de la connectivité avec les hydrosystèmes fluviaux), la superficie, le climat et l'hydropériode (permanence de l'eau). Étonnamment, à l'échelle nationale, le climat et l'hydropériode filtrent faiblement la composition des macrophytes. La géologie et la distance à la source sont les principaux déterminants de la composition de la communauté, tandis que la superficie détermine la richesse floristique. La distance a été identifié comme un déterminant dans les écosystèmes lentiques d'eau douce pour la première fois."

Lien entre superficie (en abscisses) et diversité (en ordonnées, indice de Shannon en haut, indice de Simpson en bas).

Discussion

Les chercheurs rappellent l'importance écologique, sociale et économique des petits plans d'eau : "Les plans d'eau peu profonds fournissent de nombreux services économiquement précieux et des avantages à long terme à la société, tels que l'approvisionnement en eau potable, l'irrigation et l'aquaculture, et ils sont souvent utilisés pour différents types de loisirs, tels que la pêche à la ligne, la navigation de plaisance et la baignade, ou sont construits pour la valeur d'agrément. Ils fournissent des habitats pour une faune et une flore aquatiques riches et distinctes et contribuent également à la préservation de la biodiversité terrestre, comme les oiseaux et les chauves-souris, en fournissant des habitats et de la nourriture. Les plans d'eau peu profonds jouent un rôle dans le traitement régional du carbone, avec enfouissement dans les sédiments et émission de gaz à effet de serre naturels, et sont utiles pour la séquestration du carbone. Ils retiennent une partie des éléments nutritifs et des contaminants des bassins versants, et influencent l'hydrologie et l'hydromorphologie des rivières."

Et ils précisent : "Malgré leur importance économique et leur valeur de conservation, les plans d'eau peu profonds sont largement négligés par la communauté scientifique. En particulier, ils restent peu étudiés dans de nombreux pays européens, dont la France, bien que la disparition des plans d'eau ait atteint 90% dans de nombreuses régions, en raison de l'intensification agricole, de l'urbanisation et, probablement, du réchauffement climatique."

Nous ne pouvons que souhaiter l'expansion de ces recherches et leur prise en compte par les décideurs, à l'heure où de nombreux plans d'eau et canaux sont menacés par des mauvais choix de gestion, voire par des politiques sous-informées de destruction et assèchement au nom de la continuité écologique.

Référence : Labat F et al (2021), Principal determinants of aquatic macrophyte communities in least-impacted small shallow lakes in France, Water, 13, 609

15/02/2021

Dans la Vienne, l'argent public sert à assécher les étangs et plans d'eau

Pour satisfaire le dogme de la continuité écologique, l'Établissement public territorial du bassin de la Vienne verse des subventions publiques aux propriétaires volontaires pour supprimer leurs étangs. Pourtant, la littérature scientifique montre que les réseaux de plans d'eau sont favorables à la biodiversité et rendent des dizaines de services écosystémiques. Pourquoi la gestion de l'eau et du vivant est-elle obsédée par la question de la continuité et du retour de l'écoulement rapide? Est-ce une démarche scientifique, un choix d'intérêt général, une mode intellectuelle ou une requête de certains lobbies? N'avons-nous pas mieux à faire de l'argent du contribuable qu'assécher des milieux aquatiques à l'heure du changement climatique, de la transition énergétique et de la nécessité de développer des circuits-courts en économie?


On dénombre 24.500 étangs sur le périmètre du bassin de la Vienne, dont 4.900 dans le département de la Vienne. L'EPTB Vienne propose, à partir de ce mois de février 2021, d'apporter une aide financière de 1.000 à 2.000 € aux propriétaires d'étangs de plus de 500 m2, souhaitant supprimer leur plan d'eau (voir cet article, voir la plaquette de l'EPTB).

Les citoyens l'ignorent souvent, mais cette stratégie d'assèchement des étangs et plans d'eau est une vieille obsession de la puissance publique en France. Voici plusieurs siècles, on nommait "dessicateurs" ceux qui souhaitaient voir disparaître marais et étangs, des zones humides suspectées d'être improductives et malsaines (voir Abad 2006Morera 2011, Derex 2017). On estime que 80 à 90% des zones humides naturelles ont ainsi été asséchées par des drainages et canalisations au fil des derniers siècles, avec le soutien de l'Etat ou de pouvoirs publics locaux. Les zones humides artificielles des étangs et plans d'eau créés par les humains vont-elles connaître à leur tour ce triste destin? Que restera-t-il comme milieu en eau sur les bassins si nous en éliminons les retenues, canaux et diversions? Quand la rivière exutoire "sans obstacle" se dépêchera d'emporter l'eau vers l'aval, sans que chaque bassin profite pleinement de cette eau, aurons-nous une meilleure situation pour la société et pour le vivant? 

Le problème, c'est qu'il existe désormais une littérature scientifique de plus en plus abondante démontrant que les plans d'eau, étangs et lacs peu profonds ont des effets positifs sur la biodiversité, sur la préservation de la ressource, sur l'épuration et de manière générale sur les services écosystémiques rendus à la société. Nous publions ci-dessous quelques exemples de publication de recherche de ces dix dernières années. 

La question est donc la suivante : l'EPTB de la Vienne a-t-il procédé à une étude scientifique sérieuse de ces milieux aquatiques avant de dépenser l'argent public à les détruire? A-t-on comparé sur le terrain la rétention d'eau d'un plan d'eau et de la même zone sans plan d'eau en situation de sécheresse météorologique? A-t-on mesuré la densité, la biomasse et la diversité locale (alpha), de bassin (bêta) et régionale (gamma) des végétaux, des insectes, des mammifères, des oiseaux, des amphibiens attachés aux plans d'eau, et pas seulement de certains poissons d'eau vive? 

La recherche affirme que les réseaux de plans d'eau ont aussi de nombreux effets bénéfiques pour le vivant et la société

Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)
Une recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. "Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13)".

Les réservoirs d'eau alpins, milieux artificiels aidant à conserver la biodiversité (Fait et al 2020)
Une équipe scientifique suisse montre que les réservoirs artificiels d'eau dans les montagnes alpines servent aussi de refuge à la biodiversité, en l'occurrence celle des libellules et des coléoptères aquatiques. Le changement climatique peut rendre ces équipements précieux pour le vivant. Loin d'opposer le naturel à l'artificiel, ces chercheurs soulignent que nous devons plutôt réfléchir à des règles de gestion écologique de plans d'eau d'origine humaine. "Ces plans d'eau peuvent être encore améliorés par certaines mesures respectueuses de la nature pour maximiser les avantages pour la biodiversité, notamment la revégétalisation des marges ou la création d'étangs adjacents. L'ingénierie écologique doit être innovante et promouvoir la biodiversité d'eau douce dans les réservoirs artificiels."

La valeur écologique des petits plans d'eau doit être reconnue et préservée (Bolpagni et al 2019)
Etangs, lacs, plans d'eau, canaux, tourbières, mares, marais... de nombreux petits systèmes d'eau lentiques et stagnants sont présents dans les bassins versants, nourris tantôt par les pluies, les nappes ou les cours d'eau. Ils attirent moins l'attention que les rivières et grands lacs : pourtant, leur apport en écologie est essentiel, notamment dans les bassins versants impactés par l'agriculture ou l'urbanisation. Ce passage en revue de la littérature scientifique récente (2004-2018) souligne le rôle de ces petits plans d'eau dans la biodiversité, l'épuration des polluants, le refuge face au changement climatique. Les chercheurs appellent à une évolution de la directive-cadre européenne sur l'eau pour intégrer cette réalité dans la gestion publique. "Il est maintenant généralement admis que l’échelle du bassin versant est l’échelle spatiale (unique) appropriée de l’intervention de restauration lorsqu’un rétablissement durable d’un écosystème dégradé est visé. À cette échelle, les petits plans d'eau apparaissent comme l'un des composants les plus importants de la régulation de l'équilibre de l'eau et des flux de matières, en particulier des cycles du carbone et des éléments nutritifs, ainsi que du contrôle des pesticides et des polluants par purification biologique".

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."

Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)
A partir de 100 points de mesure dans un bassin versant, concernant des milieux aquatiques naturels aussi bien qu'artificiels, deux chercheurs slovaques montrent que les plans d'eau et canaux hébergent une forte biodiversité végétale. "Le nombre le plus élevé d'espèces au niveau local et régional a été trouvé dans les plans d'eau et les canaux. Les petits cours d'eau sont les habitats ayant la plus faible diversité locale et régionale, et le plus petit nombre d'espèces uniques ou sur la liste rouge (..) aucune des mesures de diversité utilisées n'a montré de différence statistiquement significative entre les types d'habitats. Ainsi, nous pouvons affirmer que tous les types de plans d'eau contribuent à la diversité des macrophytes à un degré comparable à l'échelle générale dans le paysage d'Europe centrale."

Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)
Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. "La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013)"

Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)
Une équipe de chercheurs lorrains montre que les étangs construits par barrage sur un cours d'eau sont efficaces pour éliminer des pesticides, avec des taux pouvant atteindre 100% sur certaines molécules. Cette efficacité pourrait être supérieure à celle des zones humides reconstruites, en raison d'un temps de résidence hydraulique plus long. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire"

Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
Les eaux lentes ou stagnantes sont-elles si défavorables au vivant? Pas dans le cas des étangs piscicoles de la Dombes, dont les chercheurs ont montré l'existence d'une biodiversité d'intérêt à l'échelle régionale, avec parfois la présence d'espèces menacées. Les libellules contribuent le plus fortement à la biodiversité régionale (41%), les amphibiens et macrophytes le moins (16 à 18%)."Dans l'ensemble, la richesse spécifique pour un seul étang ou au niveau de la région (alpha et gamma respectivement) semble être relativement élevée pour l'ensemble des groupes étudiés, bien que l'on ait une situation de masses d'eau riches en nutriments (...) Certains étangs abritent un grand nombre d'espèces peu fréquentes et quelques espèces en danger, indiquant que la conservation de la biodiversité des étangs piscicoles doit être définie à échelle régionale".

Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Deux chercheurs ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles, en milieu rural comme urbain. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes issus de l'action humaine ne les empêche pas d'héberger de la biodiversité, en particulier de servir parfois de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. "Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau."

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

25/10/2020

4400 ouvrages en rivière classés prioritaires, 4400 sites à défendre pour les associations et les collectifs

Le classement administratif des rivières et ouvrages prioritaires au titre de la continuité écologique aboutit à quelques milliers de moulins, forges, étangs, canaux et plans d'eau qui vont être l'objet de pression pour la mise en conformité dans les mois à venir. Les listes de ces ouvrages sont en train d'être publiées. Il est impératif que les associations de sauvegarde du patrimoine, des moulins, des rivières et des zones humides se mobilisent pour rendre visite à chacun de ces sites et pour informer leurs propriétaires du droit de préserver le patrimoine et le milieu local, donc de refuser l'arasement, dérasement et autres formes de destruction. Toute pression à détruire de la DDT-M, de l'agence de l'eau ou du syndicat doit désormais faire l'objet d'un signalement au préfet et aux parlementaires, le cas échéant de l'ouverture par les associations de contentieux pour excès de pouvoir. Cette pression inclut le refus d'indemniser les passes à poissons et rivières de contournement, alors que de nombreux sites ont déjà profité de ce financement public et que celui-ci est prévu expressément par la loi de 2006.

Selon les estimations données en mars dernier au comité national de l'eau, 4400 ouvrages ont été classés comme "prioritaires" au titre de la continuité écologique. La plupart de ces ouvrages sont des moulins à eau, d'autres sont des étangs, des plans d'eau, des forges, des ouvrages répartiteurs ou régulateurs à vocation diverse. 

Les associations peuvent requérir auprès du préfet de leur département — ou, mieux, du préfet de bassin — la liste de ces ouvrages. Sa transmission est obligatoire en vertu du droit d'accès aux documents administratifs. Dans certains cas, les documents sont disponibles en ligne. 

En bassin Seine-Normandie, la liste des 767 ouvrages est disponible à ce lien.

En bassin Rhône-Méditerranée, tous les ouvrages en liste 2 (moins nombreux qu'ailleurs) sont jugés prioritaires, donc la liste est celle de l'arrêté de classement liste 2 de 2013.

Sur les autres bassins (Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Adour-Garonne), nous n'avons pas trouvé de liste complète en ligne. Nous demandons à nos associations partenaires de les requérir et les diffuser. L'information doit circuler rapidement.

La priorisation des rivières et des ouvrages signifie que l'action publique (DDT-M, agence de l'eau, OFB, syndicats) va concentrer ses moyens sur ces sites. Il est à noter que l'association Hydrauxois a requis au conseil d'Etat l'annulation de cette disposition prévue dans une circulaire de 2019, car elle crée in fine une inégalité des citoyens devant les charges publiques et, surtout, une dérogation arbitraire à la loi (qui ne prévoit nulle priorité, mais impose un délai de 5 ans prorogé une fois). Nous estimons que la priorisation doit se faire par le déclassement de certaines rivières de la liste 2, ce qui est prévu par la loi et tout à fait justifiable au vu de l'évolution des connaissances. Nous avons eu un classement irréaliste en 2012 et 2013, par la faute de l'administration qui en était responsable, c'est donc cette erreur qu'il faut corriger pour que la loi de 2006 soit applicable dans les délais prévus. 

En attendant l'avis des conseillers d'Etat, il faut néanmoins prendre la priorisation comme le cadre d'action des associations, puisque ce sera le cadre d'intervention des syndicats de rivière et des administrations. 

Quatre règles de base à connaître et rappeler

Il n'y a que quatre règles essentielles à connaître et à rappeler à chaque maître d'ouvrage:

  • la loi ne fait nulle obligation de détruire (effacer, araser, déraser) un ouvrage et elle ne prévoit même pas cette issue,
  • la loi demande à l'administration de préconiser (et donc de justifier) des règles de gestion, équipement ou entretien,
  • le loi oblige à indemniser toute préconisation de l'administration qui formerait une charge exorbitante pour le maître d'ouvrage (par exemple, une passe à poissons très coûteuse),
  • la loi exempte d'obligation de continuité au titre du L 214_17 CE les moulins équipés pour produire de l'hydro-électricité.

Tout interlocuteur qui prétend le contraire commet un abus de pouvoir, le cas échéant un dol qui forme un vice du consentement et rend caduc tout accord ou contrat signé par un propriétaire mal informé. 

Le plan de continuité apaisée dit clairement qu'aucun ouvrage ne peut être détruit sans l'accord du propriétaire. Il ne faut désormais montrer aucune tolérance quand un représentant de syndicat ou d'administration tente un chantage en prétendant que seule la casse est envisageable et/ou que le propriétaire devra assumer les coûts sauf s'il casse son ouvrage. 

Partout où des fonctionnaires centraux (administrations) et territoriaux (syndicats de rivière) essaient de pousser à l'effacement contre le désir du maître d'ouvrage, ils doivent être dénoncés par courrier au préfet et aux parlementaires, le cas échéant faire l'objet de plainte pour excès de pouvoir. Partout où la préfecture tente une mise en demeure de mise en conformité sans avoir respecté son obligation de préconiser une solution justifiée et indemnisée, elle doit faire l'objet d'un recours gracieux, puis contentieux. Seule la fermeté permettra de chasser définitivement les mauvaises pratiques qui ont fait dérailler la réforme et ont déjà obligé les parlementaires à l'amender à de nombreuses reprises pour corriger des excès et dérives. 

Si les administrations avaient respecté la lettre et l'esprit de la loi depuis 2006 — à savoir proposer des dispositifs de franchissement et les payer comme dépense écologique d'intérêt général —, la réforme de continuité écologique serait bien avancée et non problématique. Le problème vient de la dérive de fonctionnaires militants mal contrôlés par les parlementaires et par les juges, qui ont décidé d'aller au-delà de la loi, de prétendre que la loi exige la "renaturation" des sites, de harceler les propriétaires et de détruire leurs ouvrages au lieu de les aménager. Ce sont ces dérives qui doivent maintenant cesser sur les 4400 ouvrages prioritaires.

Que doivent faire les associations et collectifs de défense des ouvrages et des rivières?

Le premier enjeu, impératif, est d'aller visiter chaque ouvrage de son bassin versant inscrit sur la liste prioritaire. Depuis 10 ans, nous avons observé comment les choses se passent: l'administration et le syndicat visent un tête à tête avec chaque propriétaire isolé, mal informé du droit, sans soutien associatif, afin d'exercer la pression maximale en faveur du choix de la destruction. Inversement, sur les rivières où des associations actives possèdent de nombreux adhérents informés, cette stratégie échoue car la pression à la casse se voit opposer des arguments juridiques et, surtout, une position unitaire des ouvrages et riverains du bassin. Informer et rassembler les maîtres d'ouvrage doit donc être l'objectif n°1 sur les 4400 sites prioritaires. Ce chiffre peut paraître important, mais cela fait en général moins d'une centaine de sites par département, avec des sites qui sont cohérents par rivière, donc plus faciles à visiter lors de journées consacrées à cela : en formant des équipes de volontaires, il est tout à fait possible de les rencontrer un par an en quelques mois.

Vous pouvez vous inspirer du tract réalisé par les associations Hydrauxois et Arpohc (diffusé sur chaque site des bassins Yonne-Cure-Cousin, Seine-Ource, Armançon-Brenne), à reprendre et à diffuser aux maîtres d'ouvrage de chaque rivière prioritaire : télécharger le document en format doc, en format pdf.

Outre l'information site par site, nous vous conseillons d'organiser des réunions par rivière ou par groupe de rivières proches, afin de rassembler toutes les personnes ayant la même problématique, de leur garantir le même niveau d'information et de préparer les mêmes réponses au syndicat et à l'administration. 

Le deuxième enjeu est d'exiger des études des ouvrages et des rivières qui tiennent réellement compte de l'ensemble des paramètres pertinents. Là encore, nous parlons d'expérience. Les syndicats et les bureaux d'études font trop souvent des copier-coller de dossiers à charge où il manque des éléments essentiels : la biodiversité faune-flore du site, l'effet du site en crue et en étiage, la valeur du droit d'eau et la valeur foncière à diverses hypothèses, le potentiel énergétique, etc. Ces pratiques s'assimilent à de la désinformation et de la manipulation si elles persistent, car les gestionnaires publics de l'eau ignorent volontairement tous les services écosystémiques et tous les atouts des ouvrages, pour seulement retenir quelques métriques lacunaires qui poussent à valoriser la destruction. Ces pratiques doivent donc cesser. Pour y pallier, la CNERH a diffusé un guide qui permet de retrouver l'ensemble des critères à analyser (par ouvrage et par rivière) afin d'avoir une vraie évaluation des enjeux donc un vrai choix de dépense d'argent public conforme au meilleur intérêt de tous. Les associations doivent donner ce guide à chaque propriétaire d'ouvrage, l'envoyer au préfet en copie aux parlementaires en demandant que les politiques publiques aient un minimum de sérieux sur la question des ouvrages hydrauliques, au lieu du discours simpliste et dogmatique qui a été servi depuis 10 ans. En complément, vous pouvez envoyer le dossier CNERH de 100 références scientifiques montrant que la destruction des ouvrages peut nuire à l'intérêt général et écologique, mais aussi que l'objectif d'une rivière "renaturée" ou "sauvage" ne fait nullement l'objet d'un consensus chez les chercheurs . 

Guide d'analyse multi-critère des ouvrages à échelle site et rivière, pour une continuité apaisée et informée : télécharger le pdf

Le troisième enjeu est celui du financement. Partout où les agences de l'eau acceptent de financer au taux maximal les solutions non destructrices de franchissement (90%, voire 100% en cas dérogatoire), il n'y a pas de problème. Partout où les agences de l'eau bloquent ce financement, il y a blocage. La loi de 2006 prévoit expressément que les charges exorbitantes seront indemnisées. Il appartient donc à l'administration de flécher un financement public des solutions qu'elle préconise, ou alors de préconiser des solutions ne présentant pas de telles charges et respectant le droit d'eau (comme l'ouverture des vannes en crue ainsi que sur la période limitée des migrations de poissons réellement migrateurs, et non simplement mobiles). A partir du moment où certains moulins ou autres ouvrages ont obtenu  des financements intégraux de passes à poissons et rivières de contournement — ce que nous pouvons démontrer devant le juge —, tous les ouvrages doivent être dans ce cas dès lors qu'ils refusent la destruction. L'administration de l'eau ne peut pas décréter arbitrairement une inégalité des citoyens devant la loi et les charges publiques.

Le quatrième enjeu est celui-ci de la protection des sites d'intérêt en cas de tentative de destruction, notamment des patrimoines naturels en lien aux ouvrages. Le décret scélérat du 30 juin 2020 — attaqué au conseil d'Etat lui aussi par Hydrauxois et par tous les acteurs des ouvrages — a supprimé l'enquête publique et l'étude d'impact environnemental, conduisant à simplifier les destructions de canaux, de plans d'eau et d'étangs, alors même que la recherche scientifique a montré leur intérêt hydrologique et écologique. Si vous êtes mis au courant ou si vous constatez des travaux qui aboutissent à la destruction de milieux aquatiques et humides, vous pouvez néanmoins porter plainte (comme particulier témoin des faits ou comme association) puisque la loi les protège ces milieux, sans spécifier s'ils sont d'origine naturelle ou artificielle. Il est conseillé aux associations d'intégrer dans leur objet si ce n'est fait la protection explicite de l'environnement aquatique incluant l'ensemble des patrimoines historiques, culturels et naturels de l'eau

Ces enjeux demandent une mobilisation militante. En particulier du monde des moulins, premier concerné par les ouvrages classés prioritaires.

Nous l'avions indiqué dans un précédent article, le temps où certaines associations de moulins se percevaient seulement comme amicales de propriétaires partageant un même goût du patrimoine doit changer : il est nécessaire de devenir des acteurs de la rivière, donc de s'intéresser à tous les ouvrages, pas seulement à ceux des adhérents spontanés, et en particulier aux ouvrages risquant de disparaître irrémédiablement dans la liste des 4400 sites prioritaires. Nous avons eu face à nous dans les années 2010 une machine à désinformer et à détruire, ce qui a conduit à une controverse nationale avec un échec de la réforme en raison de pratiques brutales : pour que cela cesse réellement, et non verbalement, les citoyens doivent s'engager.

Lorsque la continuité écologique sera menée dans le respect de la loi, des ouvrages, des usages et des milieux, elle sera sans aucun doute apaisée. La vigilance des associations et des collectifs riverains en sera le garant. 

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