Affichage des articles dont le libellé est Auto-épuration. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Auto-épuration. Afficher tous les articles

13/01/2023

Etangs, pesticides et effets épurateurs des retenues (Le Cor 2021)

La très intéressante thèse de François Le Cor, consacrée à l'étude des pesticides et de leurs produits de transformation dans l'eau des têtes de bassin versant, particulièrement dans les systèmes d'étangs, a été publiée en ligne. Ce travail confirme que les retenues d'eau ont un pouvoir épurateur vis-à-vis des intrants chimiques indésirables. Tout le contraire de ce qui avait été affirmé par certains acteurs publics (agences de l'eau, OFB, syndicat de rivières) sur la soi-disant capacité d'auto-épuration de la rivière par destruction de ses ouvrages hydrauliques et de ses retenues. Cette manipulation flagrante de l'opinion dans les années 2010 avait contribué à miner la crédibilité des politiques de continuité écologique, fondées sur la négation de tout intérêt des ouvrages et sur la survalorisation des effets positifs de leur disparition.  


Résumé de la thèse
"L’utilisation des produits de protection des plantes (PPP) dans les systèmes agricoles conventionnels depuis les années 1960 a conduit à une large contamination des écosystèmes aquatiques. Des travaux récents ont mis en évidence un transfert de PPP depuis les parcelles agricoles vers les cours d’eau de tête de bassin versant (BV) ainsi que vers les plans d’eau qui ponctuent ces réseaux hydrographiques: les étangs. En aval de ces derniers, les concentrations en PPP dissous mesurées étaient significativement plus basses qu’en amont, traduisant un effet tampon de ces systèmes lentiques.

Dans le cadre des travaux de thèse présentés, nous nous sommes fixés pour objectif d’apprécier, d’une part, l’occurrence des PPP au sein de ces masses d’eau de tête de BV, et, d’autre part, de leurs produits de transformation (TP). Ensuite, nous nous sommes attachés à déterminer l’abattement des PPP et TP par l’étang dans les fractions dissoutes et particulaires. En complément, le suivi de la contamination de différentes matrices environnementales (i.e. eau, sédiments, ichtyofaune) au sein de l’étang a été entrepris dans l’objectif d’apporter des éléments d’appréciation des processus susceptibles d’intervenir dans cet abattement. La mise en place de stations de prélèvement asservies au volume en entrée et en sortie d’étang de barrage a permis un échantillonnage exhaustif des masses d’eau de tête de BV durant un cycle piscicole complet. Ensuite, le suivi mensuel des compartiments sédimentaires et aquatiques, ainsi que l’échantillonnage en début et fin de cycle piscicole des poissons produits, ont permis d’apprécier les contaminations des différentes matrices sélectionnées. La méthodologie analytique mise en œuvre, basée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem a permis la recherche de composés d’intérêts, en lien avec les traitements réalisés sur le bassin versant, dans les différentes matrices échantillonnées.

Ces travaux de thèse mettent en évidence l’occurrence des PPP et de certains TP dès la base du réseau hydrographique. Les échantillons d’eau récoltés attestent de la présence a minima de cinq composés différents par échantillon, à des concentrations maximales cumulées pouvant atteindre 27 µg/L en amont. Les TP représentent plus de 50 % des composés détectés. En aval de l’étang, les concentrations maximales (2,2 µg/L) ainsi que le nombre de composés détectés sont atténués. Le suivi annuel des volumes d’eau ainsi que des quantités de matières en suspension a permis de réaliser un bilan des flux amont/aval des contaminants, mettant en avant l’abattement de 74,2 % des quantités globales en PPP et TP. L’exploration des compartiments intra-étang met en évidence la présence majoritaire des TP dans la colonne d’eau et, selon les molécules, la diminution de leur concentration moyenne au cours du cycle piscicole avec des maximums observés lors des premières précipitations qui font suite aux périodes d’épandage sur les parcelles agricoles. De même, dans les sédiments, certains PPP et TP présentent des diminutions significatives de leurs concentrations moyennes au cours de ce cycle. Enfin, nous avons mis en évidence l’accumulation de prosulfocarbe chez trois espèces de poisson d’étang (C. carpio, S. erythrophthalmus et T. tinca) pendant le cycle piscicole, en lien avec la contamination constatée dans les sédiments de l’étang au cours de l’année.

Les résultats obtenus fournissent des données de référence sur l’occurrence des PPP/TP dans différentes matrices environnementales en tête de BV. Une réduction des concentrations en PPP an aval de l’étang a été confirmée. Ce travail de thèse a permis de mettre en évidence que cet abattement est observable aussi bien pour les formes dissoutes que particulaires des PPP étudiés mais également pour leurs TP dont l’occurrence s’est avérée déjà conséquente en amont de l’étang."

Référence : Le Cor François (2021), Etangs et qualité des cours d’eau de têtes de bassins versants agricoles : impact sur le devenir des pesticides et leurs produits de transformation, thèse doctorale, Université de Lorraine, École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

06/10/2022

Les seuils contribuent à dépolluer les rivières, leur suppression élimine cet effet bénéfique (Teran-Velasquez et al 2022)

Des chercheurs ont utilisé un modèle à haute résolution spatiale pour vérifier le bilan nitrate d’une rivière avec retenues d’eau créées par des seuils. Leur travail confirme que les ouvrages hydrauliques tendent à améliorer la qualité de l’eau à l’aval de manière significative, en comparaison d'un tronçon sans seuil ou à seuil supprimé. Ils soulignent que la politique de destruction des ouvrages devrait exiger de meilleures informations sur leurs avantages et inconvénients, au lieu de l’actuel procès à charge par nombre de gestionnaires publics. 

Les pollutions des rivières comprennent les émissions de nutriments, de matières organiques et de produits chimiques toxiques provenant de sources diffuses et ponctuelles comme les rejets agricoles, industriels ou ceux des systèmes d'épuration mal conçus. L'azote est considéré comme le principal polluant des écosystèmes aquatiques et terrestres car  les activités anthropiques ont considérablement modifié et intensifié son cycle naturel. L'excès continu d’azote dans le sol et l'eau entraîne acidification et eutrophisation. 

Dans les systèmes aquatiques, la présence d'azote dépend de plusieurs facteurs : les réactions de minéralisation et d'hydrolyse de la matière organique selon la libération d'ammoniac, l'oxydation de l'ammoniac en nitrite et en nitrate (nitrification),  la réduction du nitrate en azote gazeux dans des conditions anaérobies (dénitrification) ainsi que l'absorption de nitrate par les algues fixatrices.

La fonction de dénitrification des eaux plus lentes est connue, mais mal quantifiée. Geovanni Teran-Velasquez et deux collègues de la faculté des sciences environnementales de Dresde ont étudié le phénomène avec un modèle haute résolution sur un tronçon du Freiberger Mulde (land de Saxe). La section étudiée contient des linéaires avec seuils et d’autres en libre écoulement.

Voici le résumé de leur étude :

«La dynamique fluviale de l'azote aux abords des seuils est encore rarement étudiée en détail. Les données eulériennes, souvent utilisées par les approches conventionnelles de surveillance et de modélisation des rivières, manquent de résolution spatiale pour une représentation sans ambiguïté. Dans le but de combler cette lacune dans les connaissances, la présente étude applique un modèle couplé hydrodynamique-qualité de l'eau 1D à un tronçon de 26,9 km d'une rivière en amont. 

Des simulations sur mesure ont été réalisées pour les tronçons de rivière avec rétention d'eau et conditions d'écoulement libre afin de quantifier les influences des déversoirs sur la dynamique de l'azote. Les données sur la qualité de l'eau ont été échantillonnées avec des stratégies eulériennes et lagrangiennes. Malgré les limitations en termes de discrétisation spatiale requise et de temps de simulation, des calibrages de modèles affinés à haute résolution spatio-temporelle ont corroboré les taux d'ammonification élevés (0,015 j−1) sur les tronçons de rivière sans déversoirs et les taux de nitrification élevés (0,17 j−1 ammonium en nitrate, 0,78 d−1 nitrate à nitrite) sur les tronçons de rivière avec déversoirs. 

De plus, en utilisant des estimations de la dénitrification basées sur des valeurs typiques pour les sédiments du lit de la rivière comme référence, nous avons pu démontrer que dans notre étude de cas, les déversoirs peuvent améliorer considérablement la dénitrification. Les longueurs de remous produites peuvent induire un moyen d'élimination supplémentaire de l'azote de 0,2 tonne j−1 (10,9 %) pendant les périodes chaudes et d'étiage.»

Ce graphique montre la différence en hypothèse «seuil présent» et «seuil supprimé» dans la réduction de l’azote :

Les auteurs prennent soin de préciser :

« Bien que la suppression des seuils soit la mesure la plus répandue pour la restauration des rivières, dans la pratique, il ne s'agit pas d'un processus décisionnel simple pour sa mise en œuvre. L'impact de l'enlèvement des déversoirs peut ne pas bénéficier à tous les services écosystémiques connexes, comme également discuté dans Cisowska et Hutchins 2016. Bien que cela permettrait principalement une connectivité fluviale quasi naturelle, améliorant la migration des poissons et les habitats écologiques, cela pourrait également entraîner une exportation plus élevée de nutriments (par exemple, les formes N) vers les sections fluviales en aval et la perte de certains autres services historiques intrinsèques tels que les loisirs, la pêche, la navigation et la protection contre les crues. Par conséquent, d'autres études et évaluations des coûts pour les différents échanges entre les services écologiques sont nécessaires. »

Discussion
Au début des années 2010, dans le but de « vendre » la politique de continuité écologique par destruction d’ouvrages aux élus et aux populations, les autorités publiques françaises avaient prétendu que ce choix permettrait de retrouver «l’auto-épuration» de la rivière et d’atteindre plus facilement les objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau. Merveilleux : on détruisait moulins et étangs, la pollution disparaissait.

Non seulement cette assertion divertissait les esprits de la nécessité de lutter contre les pollutions à la source, mais elle était fausse : d’innombrables travaux sur les ouvrages des humains comme des castors ont montré que des successions de retenues permettent plutôt d’épurer l’eau des intrants indésirables. 

Les choix d’effacer les seuils contredisent les obligations légales d’une gestion durable et équilibrée de l’eau quand ils abaissent les capacités d’épuration du milieu en place et contribuent à détériorer la qualité physico-chimique de la masse d’eau au sens de la directive cadre sur l’eau. La non-prise en compte de cet élément dans les dossiers déposés en préfecture figure parmi les nombreux problèmes que pose cette politique de destruction des ouvrages. 

L’incapacité à réduire à la source les nombreux polluants de l’eau couplée à la suppression des ouvrages nuit à la qualité des milieux aquatiques.

Référence : Teran-Velasquez, G et al  (2022), Longitudinal river monitoring and modelling substantiate the impact of weirs on nitrogen dynamics, Water, 14, 2, 189.

10/07/2021

Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)

Des chercheurs français montrent qu'une retenue d'eau sur une rivière joue un rôle bénéfique dans une tête de bassin agricole, en ayant tendance à éliminer les résidus de pesticides et à délivrer une eau moins polluée à l'aval. Cette recherche, qui s'ajoute à de nombreuses autres, permet de constater à nouveau le flagrant délit de mensonge du ministère de l'écologie et des agences de l'eau. Ces autorités publiques ont vendu la continuité écologique par destruction d'ouvrages et de retenues en prétendant que cela favorisait l'auto-épuration de l'eau. C'est totalement faux et c'est d'autant plus grave que ces mêmes autorités sont incapables de réduire les pollutions à la source. On préfère casser du moulin et de l'étang que traiter les vrais problèmes de l'eau. 


La pollution diffuse et aiguë de l'eau par les pesticides est aujourd'hui une préoccupation mondiale majeure pour la santé et l'environnement. En Europe, la quantité totale de pesticides utilisés annuellement est passée de 440000 tonnes à plus de 475000 tonnes entre 2000 et 2017 (FAO, 2020). La France (16 % de toutes les terres agricoles de l'Union européenne) se classe parmi les pays ayant la plus forte consommation de pesticides, avec plus de 69600 tonnes utilisées pour l'agriculture.

Outre la réduction des pesticides à la source et l'interdiction des plus dangereux se pose la question des meilleurs moyens de réduire et éliminer les charges toxiques dans les milieux. 

Comme le notent François Le Cor et ses collègues dans une recherche venant de paraître, "les petits plans d'eau (c'est-à-dire de 0,1 à 100 ha) semblent également jouer un rôle important dans la préservation des cours d'eau d'amont. Les étangs semblent avoir des capacités d'atténuation des pesticides importantes, mais sous-estimées (Gaillard et al., 2015, 2016 ; Grégoire et al., 2009). Bien que de petite taille, ces plans d'eau, additionnés, couvrent une superficie trois fois plus grande que celle couverte par les grands lacs naturels et artificiels en France. A l'échelle européenne, elles couvrent près de 270 000 km2 (Bartout et Touchart, 2018). Habituellement, une forte densité de petits plans d'eau se produit en tête des bassins versants agricoles (Drożdżyński, 2008 ; Lazartigues et al., 2012) ; ils sont donc, dès l'origine des réseaux hydrographiques, sur le chemin de la contamination par les pesticides. De plus, ils peuvent aussi être particulièrement sujets à des transferts de produits de transformation (TP) (Ulrich et al., 2018), ce qui les rend encore plus pertinents dans la compréhension des deux niveaux de contamination (c'est-à-dire avec les composés parents et le TP). Les données de terrain concernant la contamination des étangs par les pesticides sont rares et, même si certaines existent (Gaillard et al., 2016 ; Lazartigues et al., 2013 ; Ulrich et al., 2018), elles prennent rarement en compte la TP. La collecte de données environnementales sur les pesticides et les TP semble donc nécessaire pour prédire les effets écotoxicologiques qui peuvent survenir."

Les chercheurs ont donc examiné les concentrations en pesticides et en transfert de leurs produits transformés en amont et en aval d'un étang de Lorraine, situé sur la rivière Seille.


Voici le résumé de leur recherche :

"En France, plus de 90 % des cours d'eau surveillés sont contaminés par des pesticides. Ce niveau de contamination élevé augmente en tête des bassins versants agricoles, où les capacités de dilution sont faibles et le transport depuis les terres traitées est direct. Les étangs, nombreux autour des cours d'eau d'amont, pourraient offrir une protection supplémentaire contre la pollution par les pesticides. En raison de leur long temps de séjour hydraulique et de leurs grands volumes d'eau, ils atténuent les concentrations de pesticides entre amont et aval des rivières. Cependant, les produits de transformation des pesticides peuvent également être responsables de la dégradation des milieux, du fait de leur présence à des concentrations élevées et de leur persistance, mais les données associées sont rares, notamment en raison de leur niveau élevé de diversité moléculaire. 

Nous avons d'abord rendu compte de l'état de contamination de l'eau dans les cours d'eau de tête de bassin agricole, sur la base d'échantillonnages d'eau à haute fréquence. L'analyse de 67 molécules (HPLC-ESI-MS/MS) a montré des mélanges de pesticides et de produits de transformation de pesticides contenant jusqu'à 29 composés différents dans un échantillon. Quel que soit le lieu d'échantillonnage, les produits de transformation représentaient au moins 50 % des composés détectés. 

Ensuite, nous avons démontré la capacité d'un étang à réduire les concentrations de contaminants dans les rivières en aval pour 90 % des composés détectés. En amont de ce bassin, les normes de qualité environnementale ou écotoxicologiques ont été dépassées lors des prélèvements, avec des concentrations cumulées de pesticides et de produits de transformation pouvant atteindre 27 27g/L. En aval du bassin d'étude, peu de dépassements ont été observés, avec une concentration totale maximale de 2,2 μg/L, traduisant une amélioration significative de la qualité de l'eau."

Discussion
Notre association a documenté depuis 10 ans que les retenues et plans d'eau ont des effets plutôt bénéfiques sur l'épuration de l'eau, pour les nutriments comme pour certains polluants. Cela fait partie des services écosystémiques reconnus de ces milieux, qui sont souvent d'origine humaine. Cette nouvelle recherche ajoute donc une pièce à un dossier déjà bien rempli. Elle nourrit une réflexion nécessaire sur des paiements pour services écosystémiques qui pourraient être associés à la bonne gestion des retenues et plans d'eau. 

Bien entendu, l'objectif n'est pas de se satisfaire des pollutions à la source. Mais à pollution donnée, il est préférable de conserver les nombreuses retenues qui agrémentent les rivières françaises et qui agissent comme des filtres évitant l'excès de pollution de l'aval et des estuaires. 

Le point scandaleux dans le cas français est que les autorités en charge de l'eau (ministère de l'écologie, agences de l'eau, syndicats de rivières) ont diffusé et diffusent parfois encore des informations fausses et trompeuses à ce sujet. Il a en effet été prétendu aux décideurs et aux citoyens que la destruction des ouvrages et de leurs retenues aurait un effet bénéfique sur "l'auto-épuration", c'est-à-dire la capacité de la rivière à éliminer elle-même des polluants. C'est inexact et cette doctrine n'a encouragé que la libre-circulation des toxiques dans les eaux de surface et dans les nappes. Il est vrai que casser du moulin et de l'étang, c'est plus facile que s'attaquer aux sources des pollutions... 

14/02/2020

Le bilan biogéochimique des barrages, au-delà des idées reçues (Maavara et al 2020)

Sept chercheurs publient dans une revue de référence une synthèse des connaissances sur les effets biogéochimiques des barrages. Ils soulignent notamment que les ouvrages ont tendance à éliminer les excès de nutriments (azote, phosphore), parfois au détriment de leur réservoir qui devient eutrophe, mais au bénéfice du bassin versant et des estuaires. Le bilan carbone est complexe, dépendant de la superficie, de la latitude et de la température, les tropiques étant défavorables par rapport aux zones tempérées et boréales. Les successions de petits barrages peuvent avoir des effets plus intéressants qu'un grand barrage selon les paramètres que l'on veut améliorer dans un bassin versant. Ces chercheurs soulignent aussi que la destruction des barrages est susceptible d'avoir des effets négatifs, attestés par des retours d'expérience : excès de nutriments, de polluants et d'émission carbone. Ces points sont totalement absents dans la planification et le suivi de la politique française de continuité écologique, qui a au contraire mis en avant des arguments fantaisistes et trompeurs, comme la soi-disant "auto-épuration" des cours d'eau par destruction d'ouvrages. Nous devons cesser d'agir sans savoir, exiger une politique des rivières informée par des données et des preuves.

Taylor Maavara et ses six collègues proposent dans la revue Nature reviews, Earth & Environment une synthèse des connaissances sur les impacts biogéochimiques des barrages. Leur travail est notamment motivé par la forte croissance de la construction de barrages dans le monde, en raison de la transition énergétique bas-carbone pour prévenir le changement climatique. Le barrage fluvial est pratiqué depuis des millénaires, les premiers ouvrages ayant été construits en 2000 avant notre ère dans l'empire égyptien. Le nombre de barrages a augmenté régulièrement avant la Seconde Guerre mondiale, rapidement par la suite, atteignant un pic dans les années 1960 et 1970 en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Une deuxième vague de construction de barrages a commencé au début des années 2000, avec plus de 3 700 barrages hydroélectriques planifiés ou en construction dans le monde, pour ceux qui ont une capacité de production supérieure à 1 mégawatt (MW).


Le cycle des nutriments dans une retenue évoluant dans le temps, source Maavara et al 2020, art cit.


Voici d'abord le résumé des points essentiels que mettent en avant les chercheurs :
"- L'élimination des nutriments dans les réservoirs de barrage modifie les cycles biogéochimiques globaux, avec des conséquences sur la structure et le fonctionnement de l'écosystème le long des réseaux fluviaux.
- L'importance globale des réservoirs en tant que sources et/ou puits de gaz à effet de serre reste fortement débattue.
- Le temps de résidence hydraulique du réservoir peut être utilisé pour développer des relations simples et prédire les éliminations des nutriments, bien que les petits réservoirs puissent avoir de grandes efficacités d'élimination.
- Les stratégies de gestion des barrages ont un impact sur le cycle des nutriments à toutes les phases du cycle de vie d'un barrage, y compris son effacement."

Dans le détail, cette publication comporte de nombreux point intéressants.

Les nutriments, tels que le carbone (C), l'azote (N), le phosphore (P) et le silicium (Si), sont transportés et transformés le long de ce que Maavara et ses collègues nomment le "continuum aquatique terre-océan" (LOAC), formant la base des réseaux alimentaires en eau douce et marine. Les réservoirs de barrage agissent comme des réacteurs "au sein du flux", augmentant le temps de séjour le long du continuum.

Les auteurs remarquent : "Ces augmentations du temps de séjour des nutriments améliorent leurs transformations des formes dissoutes aux formes particulaires à travers la productivité primaire ou l'adsorption, la sédimentation et la rétention, et l'élimination gazeuse et/ou la fixation atmosphérique des nutriments dans les réservoirs. Selon les objectifs locaux ou régionaux de gestion des nutriments, le renforcement du cycle biogéochimique et l'élimination dans les réservoirs peuvent être considérés soit comme un avantage (par exemple, le réservoir réduit le flux de nutriments en aval vers les masses d'eau eutrophiques) ou comme un problème (si le réservoir lui-même souffre de eutrophisation ou si elle altère la stœchiométrie des nutriments de telle sorte qu'elle favorise l'eutrophisation en aval)."

Une précision est apportée sur les petits barrages, qui contribuent eux aussi à cette auto-épuration des nutriments:

"Bien qu'il existe généralement une relation positive entre l'ampleur de l'élimination des nutriments et le temps de résidence d'un réservoir, les petits réservoirs peuvent avoir une réactivité biogéochimique disproportionnellement élevée par unité de surface ou de temps. Par exemple, la constante de vitesse de décomposition OC (kOC) du premier ordre, qui décrit la réactivité par unité de temps, augmente à mesure que le temps de résidence diminue. Lorsqu'elle est mise à l'échelle, cette relation entraîne une diminution des constantes de vitesse de minéralisation du carbone organique avec la distance le long du continuum terre-océan; cette diminution est due à la décomposition de matériaux hautement réactifs dans les cours d'eau d'amont à faibles temps de résidence et au transport subséquent en aval des matériaux moins labiles vers des plans d'eau plus grands avec des temps de résidence plus élevés. Par exemple, dans une analyse de plus de 200 lacs et réservoirs, des relations inverses entre le temps de résidence et les constantes de vitesse d'élimination pour le phosphore total, l'azote total, le nitrate et le phosphate ont été identifiées. Étant donné que les petits plans d'eau ont de très faibles débits, les flux absolus de nutriments ont toujours tendance à être faibles, mais lorsque de nombreux petits réservoirs sont reliés le long du continuum terre-océan, leur capacité d'élimination des nutriments peut être élevée. Le mécanisme responsable d'une plus grande réactivité des nutriments dans les petits plans d'eau a été attribué à l'augmentation du rapport surface de contact interface sédiment-eau par rapport au volume à mesure que la taille du plan d'eau diminue"

Faut-il préférer une succession de petits barrages à un grand barrage? Les scientifiques n'excluent pas l'option :

"Une question clé en suspens est de savoir si la construction d'une série de petits barrages en cascade au lieu d'un seul grand barrage est préférable pour l'environnement. Les preuves suggèrent que plusieurs petits réservoirs avec des temps de résidence hydraulique qui correspondent au même temps qu'un seul grand réservoir élimineront les nutriments et réduiront les charges de nutriments en aval plus efficacement qu'un seul grand réservoir. Des «pré-barrages» (petits barrages en amont) qui réduisent les charges de nutriments dans les réservoirs en aval ont parfois été construits pour atténuer les problèmes d'eutrophisation en aval. Il est possible d'utiliser davantage des barrages ou des pré-barrages pour atténuer les problèmes d'eutrophisation côtière, en particulier s'il est fortement nécessaire de réduire les charges de P. L'incertitude avec cette approche est que les pré-barrages peuvent simplement servir à aggraver les problèmes d'eutrophisation plus en amont, tout en amplifiant davantage les autres changements écosystémiques associés à la régulation des cours d'eau. Les preuves de l'efficacité du pré-barrage sont également mitigées - même avec une conception soignée axée sur la maximisation de la rétention de P et de N dans les pré-barrages en amont des réservoirs d'eau potable allemands, il a été recommandé que les pré-barrages soient vidés et dragués tous les 5 à 10 jours afin de rester efficace. Enfin, il existe peu d'informations disponibles sur l'élimination de chaque élément nutritif les uns par rapport aux autres dans les petits systèmes."

Concernant les gaz à effet de serre, le bilan des barrages est complexe.

Les estimations mondiales des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) des surfaces des réservoirs varient considérablement car les chercheurs n'ont pas les mêmes bases de superficie des réservoirs, ni les mêmes modèles.

"Sur la base d'une surface mondiale de réservoir de 1,5 × 106 km2, on a estimé que 273 Tg C CO2/an et 52 Tg C CH4/an sont émis par les réservoirs chaque année. En utilisant une zone de réservoir mondiale de 3,05 × 105 km2, les émissions ont été estimées à 36,8 Tg C CO2 an − 1 et 13,3 Tg C CH4 an − 1. Pour les réservoirs mondiaux d'hydroélectricité (superficie = 3,4 × 105 km2), les émissions annuelles sont estimées à 48 Tg C sous forme de CO2 et 3 Tg C sous forme de CH4. Cependant, tout le carbone éliminé dans les réservoirs n'est pas converti en gaz à effet de serre, car l'enfouissement du carbone organique (OC) dans les réservoirs mondiaux a été estimé à 26 Tg C /an (superficie = 3,05 × 105 km2), 60 Tg C /an (superficie = 3,5 × 105 km2), 160–200 Tg C/an (superficie = 4,0 × 105 km2) et 290 Tg /an (superficie = 6,6 × 105 km2). Par unité de surface, ces flux d'émissions mondiaux se situent dans une marge plus petite, avec des émissions mondiales allant de 120 à 181 g C CO2/m2/an et des émissions allant de 35 à 44 g C CH4/m2/an. A l'inverse, les flux d'enfouissement surfaciques varient considérablement, de 85 à 500 g C/m2/an"

Au sein de ces estimations mondiales, des différences notables dans les émissions de gaz à effet de serre des réservoirs sont observées au niveau régional. "Les émissions de carbone gazeux des réservoirs des régions tropicales sont généralement plus élevées que les émissions des réservoirs boréaux et tempérés, en partie en raison de leurs grandes surfaces, des volumes élevés de biomasse et de CO du sol inondées et des températures de l'eau plus chaudes", soulignent les chercheurs.

Les scientifiques soulignent également divers problèmes liés aux effacements de barrage.

L'effacement des barrages peut relarguer des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES): "les zones d'inondation nouvellement créées (ou recréées), avec des sédiments riches en matières organiques et des variations fréquentes des niveaux d'eau, pourraient également devenir des points chauds pour les émissions de GES après la suppression d'un barrage. Cette idée est attestée par l’ampleur des émissions hypothétiques d’équivalent CO2 des dix plus grands réservoirs des États-Unis une fois qu’ils sont effacés: après 100 ans de barrage, les émissions post-démantèlement dépasseraient de neuf fois celles des émissions du réservoir sur sa durée de vie. À l'heure actuelle, aucune stratégie pour éviter cette conséquence de l'enlèvement du barrage n'a été élaborée."

Autre risque, la remobilisation des nutriments et contaminants, y compris des polluants persistants comme le PCB. "L'héritage des éléments nutritifs et contaminants, généralement défini comme les éléments ou les composés qui restent dans le paysage ou le système au-delà d'un an après leur application, s'accumulent dans les sédiments du réservoir au cours de la durée de vie d'un barrage, puis sont érodés en aval en raison de l'augmentation des débits lors de la suppression des barrages. La remobilisation et les impacts en aval de la remobilisation des éléments nutritifs et des contaminants hérités sont de plus en plus reconnus et discutés dans le contexte de la construction et de l'élimination des barrages. Par exemple, les effets des contaminants hérités ont été observés à New York, aux États-Unis, où l'utilisation industrielle de biphényles polychlorés (PCB) à Fort Edward et à Hudson Falls a entraîné une accumulation de PCB dans les sédiments du réservoir au-dessus du barrage hydroélectrique de Fort Edward. Ces contaminants hérités ont été mobilisés et libérés en aval après le retrait du barrage en 1973, et le transport des PCB continue d'être documenté aujourd'hui, malgré des efforts massifs de restauration"

Au final, les chercheurs plaident pour une approche équilibrée des coûts et bénéfices au plan biogéochimique :

"Les discussions qui présentent tous les barrages comme problématiques ne sont pas productives, tout comme les discussions qui louent les barrages en tant que source d'énergie durable la plus viable à l'ère du changement climatique sont trompeuses. Il est peu probable que le barrage des rivières pour produire de l'énergie, contrôler les inondations et équilibrer la distribution inégale de l'eau au fil du temps ne s'arrête pas. Si des barrages sont construits sans tenir compte de leurs impacts sur le cycle des éléments nutritifs, les modifications des ratios d'éléments nutritifs côtiers, l'augmentation de la prévalence des efflorescences d'algues, les émissions de GES inutilement importante, le remplissage et l'eutrophisation des réservoirs continueront probablement. Cependant, la construction et la gestion responsables des barrages - de la conception à la déconstruction, et dans le contexte de l'ensemble du bassin versant - peuvent être réalisables en équilibrant les impacts environnementaux des barrages avec les services qu'ils fournissent. Sur la base des impacts biogéochimiques du barrage discutés dans cette revue, nous postulons que la biogéochimie du continuum terre-océan devrait être considérée à chaque étape du cycle de vie d'un barrage, et idéalement pendant sa conception et sa planification".

Discussion
Ces travaux mettent de nouveau en lumière des éléments qui sont systématiquement gommés en France dans la gestion des ouvrages hydrauliques, au profit d'une "novlangue" administrative simpliste:
  • les travaux de recherche (nombreux) sur les grands barrages et ceux (rares) sur les petits barrages ne donnent pas toujours les mêmes résultats, ils sont contexte-dépendants, ce qui interdit des généralisations comme on en lit bien trop dans le discours public;
  • certaines assertions qui ont été avancées, comme l'auto-épuration des rivières par suppression de barrages, se confirment être erronées voire manipulatrices. Les nutriments en excès sont un problème de source des pollutions dans les bassins et à tout prendre, les barrages en permettent la gestion plus fine, avec un rôle plus positif que négatif de dépollution des eaux;
  • le bilan carbone et donc d'effet de serre est tout aussi complexe, il va dépendre des paramètres locaux (latitude, végétation, température), et le fait que des réservoirs puissent avoir des bilans négatifs suggèrent qu'il faut les rentabiliser au maximum (principe du multi-usage pour l'eau potable, l'irrigation, l'énergie, le soutien d'étiage) et réfléchir avant leur construction (même si le problème est surtout aigu en zone tropicale et en réservoir à végétation noyée);
  • l'effacement des barrages est loin d'être anodin, il peut avoir des effets négatifs sur les excès de nutriments, sur les polluants et sur l'effet de serre.

Un incroyable amateurisme a entouré depuis 10 ans la réforme de continuité écologique en France. Nous devons en sortir, exiger une planification publique à bases scientifiques sérieuses, et non à propos militants sur des idéaux de "nature sauvage". Il faut déjà des mesures physiques, chimiques et biologiques bien plus nombreuses, mais aussi de vrais modèles d'interprétation de ces données par bassin, avec des réflexions collectives qui ne soient pas une simple langue de bois fondée sur la répétition de préjugés, d'approximations et d'imprécisions.

Référence : Maavara T et al (2020), River dam impacts on biogeochemical cycling, Nature reviews, Earth & Environment, 1, 103–116

22/02/2018

L'épuration des polluants par les retenues, reconnue à contre-coeur

L'Agence de l'eau Seine-Normandie commence à reconnaître que les ouvrages hydrauliques ne suppriment pas l'auto-épuration des nutriments, mais peuvent au contraire la favoriser dans certains cas. Toutefois, elle le fait en caricaturant le débat et en inventant un épouvantail (une hypothétique reconstruction de tous les ouvrages présents sur Cassini). Réponse.


Dans le n°66 du magazine Confluence, l'AESN revient sur le bilan de la continuité écologique. Nous ferons un commentaire critique des assertions contenues dans ce dossier. Voici déjà la réponse à cet encadré sur l'auto-épuration :

"Et si les obstacles, en créant des bassins de décantation, contribuaient à la qualité de l’eau ? Cette idée est née d’une lecture un peu hâtive de publications scientifiques, dont une étude réalisée par l’équipe de Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS et bio-géochimiste spécialiste du fonctionnement des systèmes hydriques continentaux. Mise au point. «Lorsqu’on regarde la carte de Cassini dressée au XVIIIe siècle, le bassin de la Seine est constellé d’étangs, de petites mares, de seuils et de vannages. Dans une étude publiée en 2012 dans le magazine scientifique Science of the Total Environment, nous avions essayé de voir si ces zones stagnantes avaient un impact sur la qualité de l’eau. Or nos résultats montrent que si on remettait des petites retenues et des mares sur les deux tiers de la surface du bassin, on n’abattrait au mieux, par auto-épuration dans les sédiments, que 20 à 30 % de la pollution par les nitrates sur les sites les plus favorables. À l’échelle de l’ensemble du bassin de la Seine, la réduction ne serait que de l’ordre de 3 % : un bien piètre résultat pour un tel bouleversement du paysage. Un cours d’eau n’est pas une station d’épuration ! Il est dangereux d’imaginer l’aménagement des rivières en fonction d’un objectif de traitement des pollutions diffuses qui doivent et peuvent être évitées à la source, en particulier par une agriculture plus respectueuse de l’environnement», souligne Gilles Billen."

Commentaires :

  • après l'avoir farouchement nié comme ses consoeurs (ou l'Onema) dans les années 2000, l'Agence de l'eau Seine-Normandie reconnaît donc que les plans d'eau jouent un rôle d'épuration,
  • il n'a jamais été question de transformer la rivière en "station d'épuration", la caricature n'est pas une bonne pratique de discussion. Il s'agit non de reconstruire des ouvrages partout, mais d'évaluer le bilan chimique, biologique et physique réel des ouvrages existants,
  • une partie des ouvrages signalés sur la carte de Cassini est encore présente sur les rivières, et quand Gilles Billen parle d'un "bouleversement du paysage", il ne saurait ignorer le vrai bouleversement en cours, à savoir le financement de la destruction systématique de la plupart de ces ouvrages par l'AESN (75% de choix de destruction dans le rapport CGED 2016). La question est de savoir si l'argent public doit servir à détruire des plans d'eau, étangs, retenues, réservoirs, etc., si cela représente un intérêt écologique et un intérêt général,
  • on peut certainement éviter les pollutions à la source (l'action stagne désormais en ce domaine, après des baisses dans les années 1980-1990), la question est cependant de savoir si, à pression égale sur le bassin, une retenue va plutôt éliminer des excès d'azote, phosphore ou pesticides (sachant que l'usage agricole des sols reste un premier prédicteur de la dégradation écologique),
  • le passage à l'agriculture biologique (6% seulement des parcelles aujourd'hui) n'évitera pas à lui seul le problème des nutriments, car tout système agricole utilise des intrants (organiques ou synthétiques), la diffusion de bonnes pratiques sera donc lente et complexe, 
  • l'AFB vient de lancer un appel à projets sur les impacts cumulés des retenues d'eau sur les bassins versants. Nous souhaitons que ce travail mesure systématiquement les différences de concentrations en nutriments et micropolluants à l'exutoire des bassins à occupation des sols similaires et selon leur densité d'ouvrages. Nous attendons désormais des faits et des preuves, pas des généralités ni des promesses. 

A lire sur le même thème

29/09/2017

Un siècle d'eutrophisation en héritage

Prolifération des algues vertes sur des plages bretonnes, bloom d'algues toxiques dans les fleuves et les lacs en été, excès de végétation atteignant parfois les têtes de bassin: l’eutrophisation, ou fertilisation subie des eaux courantes, est toujours un problème aujourd'hui. Depuis un siècle, ce phénomène a modifié la chimie et le peuplement des rivières, avec des effets sensibles dès que l'on dépasse les concentrations naturellement observées. Les littoraux et les océans sont l'objet de préoccupation croissante, d'autant que les effets continuent plusieurs décennies après la fin de la pression et que le changement climatique pourrait accentuer la production de biomasse végétale. Une expertise scientifique venant de paraître fait la lumière sur les origines et les conséquences de l'eutrophisation. Elle a été menée par 45 chercheurs CNRS, Inra, Ifremer Irstea et s’appuie sur l’analyse de plus de 4000 publications scientifiques en écologie, hydrologie, biogéochimie et sciences sociales. Nous en publions ci-dessous une introduction reprenant les principaux enseignements, suivi d'un extrait sur l'auto-épuration des cours d'eau. Les chercheurs y rappellent que tout ralentissement de l'eau favorise l'épuration de l'azote – cas des lacs, étangs, retenues que l'on détruit aujourd'hui au risque d'aggraver les pollutions à l'aval, en littoral et en mer. 



L’eutrophisation anthropique désigne la perturbation d'un écosystème aquatique par un apport excessif de nutriments (azote, phosphore). «Ce syndrome peut être assimilé à l’indigestion d’un écosystème ayant emmagasiné tellement de nutriments qu’il n’est plus en mesure de les décomposer par lui-même», résume Gilles Pinay, directeur de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes1 (OSUR)  et rapporteur CNRS de l’expertise scientifique collective Eutrophisation.

Proliférations végétales (parfois toxiques), changement de composition des espèces, perte de biodiversité, diminution de la concentration d’oxygène engendrant parfois des mortalités massives sont les symptômes les plus fréquents de cette fertilisation diffuse et excessive des milieux aquatiques. En France, les proliférations d'algues vertes dans certaines baies de Bretagne sont récurrentes depuis les années 1970/1980, les efflorescences algales (bloom) frappent régulièrement les lacs et autres zones de retenue.

L'eutrophisation massive a débuté à la fin du XIXe siècle, avec les grandes agglomérations, leurs industries et leurs rejets des eaux usées. Cette pollution a diminué quand les villes se sont équipées de stations d’épuration. Des mesures comme l’interdiction des phosphates dans les lessives ont également donné un coup d'arrêt aux formes les plus aigües d'eutrophisation. L'usage des engrais agricoles (naturels ou de synthèse) est alors devenu la première source d'eutrophisation des milieux. Plusieurs mesures ont été engagées à compter des années 2000 :  limitation des épandages de lisier en plein champ, réduction de l’érosion grâce à la plantation de cultures hivernales, promotion de pratiques agricoles à moindre usage d'engrais chimiques.

L'eutrophisation ne cesse toutefois pas quand cessent les émissions de substances qui la causent : il existe un héritage d’un siècle de relargage d’azote et de phosphore vis-à-vis duquel les eaux et les sols ne sont pas à l'équilibre. Il est aujourd'hui démontré que le temps de résidence de l'azote dans certains milieux comme les petits cours d’eau n'est pas de trois ou quatre années après l'apport, comme on le supposait jusqu’ici, mais plutôt de plusieurs décennies.

Les écosystèmes ont une sensibilité variable à l'eutrophisation. La structure des sols et la nature de leurs usages, l'hydrogéologie du bassin-versant, la vitesse d'écoulement de l'eau, la forme des courants et tourbillons en zone côtière ou marine, l'exposition à la lumière, la sensibilité des peuplements à l'oxygène font varier les effets de l'eutrophisation et leurs impacts sur le vivant. Les doses retenues pour l'eau potable (50 mg/litre pour l'azote et 5 mg/litre pour le phosphore) ne reflètent pas les doses ayant des effets sur les assemblages d'espèces des cours d'eau. La concentration normale d'azote est de quelques mg par litre, et la chaîne floristique et faunistique du vivant se modifie lorsque ce seuil est dépassé. L'étude de chaque milieu est donc indispensable.

Les zones littorales et marines sont de plus en plus concernées par ce phénomène en raison de l'apport venant des continents. Des modélisations des flux de nutriments montrent que les quantités arrivant aux estuaires sont passées de 34 à 64 millions de tonnes par an pour l’azote et de 5 à 9 millions de tonnes par an pour le phosphore au cours du XXe siècle (chiffres à échelle mondiale), l’agriculture contribuant à plus de la moitié des flux. En France, les côtes bretonnes ou les lagunes méditerranéennes sont des écosystèmes où s'expriment des préoccupations environnementales, outre l'effet négatifs sur le tourisme et certaines professions.

L’eutrophisation des milieux aquatiques est également sensible aux évolutions du climat. Le changement climatique devrait stimuler la biomasse végétale et diminuer la concentration d’oxygène dissous dans l’eau par élévation progressive des températures. Les épisodes pluvieux intenses tendent à mobiliser l'azote et le phosphore stockés dans les sols. La délimitation des écosystèmes les plus sensibles est donc nécessaire pour y concentrer les efforts de prévention.

Extrait de la synthèse sur l'épuration des nitrates et phosphates

Les cours d’eau : des systèmes de stockages transitoires du phosphore
Les cours d’eau peuvent retenir et utiliser le phosphore dans leurs sédiments grâce aux activités des microorganismes et des algues. Cette capacité de rétention dépend également de la concentration en phosphore des eaux et des sédiments, mais aussi de la complexité de la structure géomorphologique du cours d’eau. En effet, l’augmentation du temps de résidence de l’eau dans un tronçon, causée par le ralentissement du courant, permet le dépôt des matières en suspension minérales et organiques phosphorées. Cette augmentation du temps de résidence augmente également le temps de contact du phosphore associé avec les sédiments et les organismes biologiques, favorisant son adsorption ou absorption. D’une manière générale, tout ce qui permet de ralentir l’écoulement de l’eau dans la rivière et de favoriser les échanges entre le cours d’eau et les sédiments, que ce soit la présence de seuil et de mouille, de méandres, de chenaux secondaires, d’embâcles, favorise aussi l’épuration de l’azote par dénitrification. A l’échelle des réseaux hydrographiques, le taux de dénitrification est plus élevé dans les petits cours d’eau peu profonds que dans les grands fleuves. De plus, la longueur cumulée relative de petits cours d’eau (70 à 80 % des linéaires totaux des réseaux hydrographiques) augmente encore l’importance de la dénitrification dans les sédiments des rivières de têtes de bassins. Il faut cependant souligner que la rétention de l’eau dans les cours d’eau peut entraîner un risque d’eutrophisation des tronçons concernés si les apports en nutriments sont en excès.

Lacs et barrages : pièges à phosphore et système d’épuration de l’azote
Les sédiments des lacs ou des barrages sont des environnements qui possèdent une zone anoxique plus ou moins profonde où l’épuration de l’azote par dénitrification peut être active. La capacité de dénitrification est là aussi fonction du temps de résidence de l’eau et du rapport entre surface de sédiment et volume d’eau.
Les lacs, les étangs et les retenues artificielles constituent des zones importantes de stockage de phosphore. Il faut souligner que le phosphore reste le plus souvent piégé dans les sédiments pendant des décennies voire des siècles ; il peut être relargué en fonction des conditions d’aération des sédiments et des équilibres de concentration entre l’eau et le sédiment. Ce relargage de phosphore alimente le processus d’eutrophisation et permet d’expliquer les résultats souvent mitigés de restauration de qualité d’eau dans les lacs même après une limitation significative des apports.
Les lacs naturels et de barrages sont aussi des systèmes de rétention de silicium qui est un nutriment indispensable pour les diatomées. La présence de nombreux lacs et ou barrages en zone agricole peut renforcer le déséquilibre des rapports naturels entre N, P et Si déjà provoqué par les apports d’engrais, en diminuant les rapports N/Si et P/Si. Cela a pour conséquences de limiter le développement de diatomées dans les écosystèmes aquatiques d’eau douce ou marine situés en aval.

Référence : Pinay G et al (2017), L'eutrophisation : manifestations, causes, conséquences et prédictibilité, Synthèse de l'Expertise scientifique collective CNRS-Ifremer-INRA-Irstea (France), 148 p.

Image : Wikimedia CC by 2.5, Cruccone.

21/03/2017

Auto-épuration par destruction d'ouvrage: une note technique admet l'inanité de cet argument

La plupart des effacements d'ouvrages hydrauliques en rivière amènent des gains modestes sur certaines populations de poissons, sans que l'effet sur l'ensemble de la biodiversité aquatique et riveraine ne soit démontré. Aussi les gestionnaires tentent-ils de mettre en avant d'autres thématiques pour justifier leur politique par ailleurs réprouvée de casse des retenues, comme par exemple le réchauffement de l'eau ou l'auto-épuration chimique. Sur ce dernier point, une note technique rédigée à l'intention de l'Agence de l'eau Seine-Normandie souligne que cet argument du caractère auto-épurateur de la rivière défragmentée ne saurait être sérieusement mis en avant. Ce que notre association réclamait depuis plusieurs années déjà, car la littérature scientifique n'a jamais fait de la continuité longitudinale un enjeu d'épuration, les retenues ayant au contraire des effets bénéfiques pour éliminer certaines substances chimiques. Voilà donc encore une assertion fantaisiste qui finit au cimetière des arguments spécieux et invérifiés ayant été avancés pour justifier à tout prix le dogme administratif de la destruction du patrimoine hydraulique… 


Une note technique a été rédigée à l'intention de l'Agence de l'eau sur le rapport entre continuité écologique et qualité de l'eau. On peut la télécharger à ce lien.

Les auteurs admettent que :
  • les retenues et zones lentiques ont un pouvoir dénitrificateur, mais il est faible,
  • les retenues tendent à accumuler du phosphore (ainsi que des polluants), ce qui implique la prudence dans leur gestion ou leur effacement, la question étant "peu étudiée",
  • le caractère "auto-épurateur" de la rivière défragmentée n'est pas un argument à mettre en avant (connaissance trop incertaine, caractère de toute façon marginal de l'épuration par la rivière face à l'importance des flux entrants, risque de présenter aux citoyens leur cours d'eau comme une station d'épuration),
  • la continuité latérale (zones humides, champs d'expansion de crue) est une stratégie plus intéressante à explorer,
  • il faut agir sur les pollutions à la source.
Leur recommandation finale :

"Il est peu efficace (dans les faits et dans l’argumentation) de vouloir développer un prétendu pouvoir épurateur des rivières. Il faut plutôt agir sur l'aménagement des bassins versants (modification des pratiques agricoles et hydraulique douce) et ses zones d’interfaces (zones humides): c'est là que se trouvent les leviers d'action les plus efficaces."

Dont acte : la principale conclusion de cette note sur l'auto-épuration rejoint la position défendue par notre association depuis plusieurs années. Nous écrivions ainsi :

"Prétendre que la suppression d'un ouvrage supprimera les causes ou les effets des pollutions chimiques n'a donc guère de sens. Cela revient à promouvoir la libre-circulation des polluants! On entretient volontairement ou involontairement la confusion entre l'eutrophisation locale d'une retenue (le fait qu'elle accumule des sédiments organiques donc des nutriments, étant une zone de dépôt) et l'eutrophisation artificielle massive des cours d'eau due à nos rejets."

Nous attendons en conséquence que cette recommandation des auteurs de la note soit suivie d'effets.

Régulièrement (et encore récemment dans des réunions publiques sur l'Armançon), des chargés de mission, techniciens ou ingénieurs (syndicats, parcs, fédérations de pêche, bureaux d'études) mettent en avant l'auto-épuration de l'eau comme élément de communication en vue de justifier la casse des ouvrages. Ils le font sans aucune donnée empirique pour appuyer leurs dires. Cette pratique est trompeuse et révélatrice de la précipitation actuelle à justifier par n'importe quel argument non vérifié des choix décidés à l'avance. De telles méthodes de communication doivent être abandonnées si les gestionnaires de rivière veulent conserver un minimum d'objectivité, et donc de crédibilité dans les mesures qu'ils proposent.

Après bien d'autres chercheurs, les auteurs de la note soulignent la complexité et le trop faible niveau de connaissance sur la question de l'auto-épuration (voir l'avis de la récente expertise collective sur les retenues sur ce sujet précis). Les études qui suggèrent un effet épuratoire des retenues sont nombreuses (voir cette synthèse), y compris les petites retenues (voir Gaillard et al 2016, Cisowska et Hutchins 2016), et plusieurs pays considèrent cette option comme une bonne pratique environnementale en bassin versant à impact agricole (voir encore Gooding et Baulch 2017 venant de paraître)

On ne peut pas faire une bonne gestion écologique sans disposer préalablement de bonnes données sur les rivières et les milieux aquatiques.

Nous souhaitons en conséquence que des mesures de contrôle soient effectuées lors des projets de restauration de continuité longitudinale, afin de produire des données exploitables et de vérifier la dynamique des intrants/contaminants en lien avec la fragmentation / défragmentation. C'est tout particulièrement nécessaire pour des projets de suppression de retenues importantes (à long temps de résidence hydraulique) et en présence de pressions de pollutions connues à l'amont. Nous souhaitons enfin que tout projet d'effacement d'ouvrage soit accompagné d'une mesure de qualité des sédiments risquant d'être remobilisés et d'un plan de gestion adapté, procédure qui est encore très loin d'être la routine sur les chantiers que nous analysons. Rappelons que le refus de procéder à ces mesures de précaution et de sauvegarde, dont la nécessité est déjà clairement indiquée dans une précédente note technique (Malavoi et Salgues 2011) sur les bonnes pratiques en matière d'arasement, peut entraîner un contentieux.

Référence : Billen G et al (2017), Note sur la continuité des cours d'eau et la qualité de l'eau, 4 p.

Illustration : zone lentique en amont d'un seuil du Cousin. L'affirmation selon laquelle ce type de faciès nuirait à l'auto-épuration de la rivière n'a aucune base scientifique sérieuse. Au contraire, l'augmentation du temps de résidence hydraulique est plutôt corrélée à l'élimination physico-chimique de certains contaminants ou nutriments, de même que la présence de limons. Restons confiant: les erreurs, exagérations, imprécisions et biais ayant présidé à la promotion de la continuité longitudinale depuis 10 ans finiront par être reconnus et corrigés. On arrivera alors à une forme plus intelligente et plus concertée de mise en oeuvre de cette continuité.

28/07/2016

Auto-épuration des rivières par suppression des barrages: tromperie en bande organisée

A la demande du Ministère de l'Environnement, une expertise collective a été menée par des scientifiques d’Irstea, en partenariat avec l’Inra et l'Onema, concernant l’impact cumulé des retenues sur le milieu aquatique. Quand on lit son chapitre sur le bilan physico-chimique, un point est marquant : l'absence complète du concept d'auto-épuration, pourtant mis en avant depuis 6 ans par les autorités et gestionnaires en charge de l'eau. Non seulement il n'existe aucune preuve scientifique qu'une suppression des seuils et barrages pourrait être favorable au bilan des nutriments (azote, phosphore) et polluants (comme les pesticides) déversés dans les milieux, mais de nombreux travaux de recherche concluent en sens opposé. En tout état de cause, les chercheurs soulignent la complexité du phénomène et appellent avant tout à procéder à des mesures pour construire des modèles. En lieu et place de cette démarche prudente et rationnelle, nos agences de l'eau et nos syndicats de rivière envoient des pelleteuses pour casser les ouvrages tout en répétant des croyances présentées comme des certitudes et destinées à tromper les citoyens. Cette caricature d'écologie est indigne d'une politique publique: elle doit cesser. 

Nous publions ci-dessous un extrait de synthèse de l'expertise collective Irstea-Inra-Onema sur le rôle physico-chimique des retenues. Les données complètes sont disponibles dans le lien de référence en bas de cet article.

"Une retenue est le lieu de nombreux processus qui font évoluer la qualité physico-chimique de l’eau qui l’alimente. Selon son usage, il peut être aussi important de se focaliser sur cette évolution dans la retenue elle-même que sur les conséquences sur le cours d’eau en aval lorsque l’eau y est restituée.

L’effet d’une retenue sur la qualité de l’eau est d’abord lié à des processus physiques qui caractérisent le passage de conditions d’écoulements rapides (conditions lotiques ; alimentation par le cours d’eau ou par ruissellement de surface) à des conditions lentiques dans la retenue puis éventuellement de nouveau lotiques dans le cours d’eau aval.

Les principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P sont résumés sur la Figure 17, en lien avec les conditions lentiques qui s’établissent au sein de la retenue et qui entraînent :

1. La sédimentation des particules solides, minérales ou organiques, contenues dans l’eau d’alimentation. Le phosphore, les éléments traces métalliques (ETM), des cations, certains pesticides peuvent être partiellement associés à ces particules et se déposent dans le même temps. Les particules organiques, quoique généralement plutôt légères, peuvent se déposer en partie, participant à la séquestration du carbone et apportant des nutriments sous forme organique. A cette MO allochtone s’ajoutent généralement de la MO autochtone issue de la production primaire, et de la MO du sol et de la végétation submergés. Toutes ces substances chimiques sont alors stockées dans la retenue sur un plus ou moins long terme. Cependant, si les conditions deviennent anoxiques à la base de la colonne d’eau, les, les transformations biogéochimiques en milieu réducteur peuvent entraîner leur mobilisation sous forme gazeuse ou dissoute dans la colonne d’eau (CH , NH +, PO 3- ...) ;

2. Une possible stratification thermique de la colonne d’eau, dans les retenues profondes, du fait du rééquilibrage de la température de l’eau avec la température de l’air (réchauffement) dans les couches de surface en été. Dans les retenues peu profondes, toujours en été, la température de l’eau stockée dans la retenue et non renouvelée a tendance à augmenter, ce qui diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau. Outre l’apparition de conditions réductrices dans le fond de la retenue et ses conséquences citées ci- dessus, l’anoxie favorise la dénitrification, c’est-à-dire la transformation du nitrate en gaz, inerte comme N2 ou à effet de serre comme N2O. La stratification contrôle les gradients d’oxygène, mais aussi les phénomènes de diffusion, mélange et sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre ainsi que la production primaire et la minéralisation de MO dans la colonne d’eau (Figure 33 en annexe III) ; on observe ainsi une zonation verticale des éléments dissous, fortement liée aux phénomènes de stratification thermique et de gradient d’oxygène. Deux types de structures trophiques se construisent sur ces bases, à partir des décomposeurs bactériens ou fongiques, ou à partir des producteurs primaires. Les éléments nutritifs tels que N et P et les contaminants suivent les phénomènes de diffusion (fraction dissoute) ou de sédimentation (fraction particulaire).

3. Un développement éventuel de la production primaire (phytoplancton, végétation). Il se produit surtout au printemps et en été, lorsque les nutriments sont abondants et dans les couches superficielles de la colonne d’eau où les conditions de température et de lumière lui sont favorables. Si PO 3- est abondant, cela peut conduire à une eutrophisation. En consommant ces nutriments, la production primaire entraîne une diminution des concentrations de NO - et PO 3-. L’eutrophisation entraîne une augmentation de biomasse et donc de MO à l’automne, dont la minéralisation va accentuer la consommation d’oxygène et les conditions réductrices dans la zone benthique. Les ions PO 3- ainsi libérés vont à leur tour entretenir l’eutrophisation. Le déficit de NO- peut être pallié par la fixation de N. Cette situation favorise les Cyanobactéries ayant cette possibilité.



Principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P à l’intérieur de la retenue. Les couleurs utilisées distinguent les compartiments, flux et processus concernant la phase dissoute dans la colonne d’eau (en bleu), la phase solide sédimentaire (en marron), la phase gazeuse (en rouge) et la biomasse (en vert). Ces effets potentiels sont associés aux conditions lentiques et n’intègrent pas les effets lors de changement de régime hydraulique (crue, brassage lié au vent, curage, vidange...).

L’établissement des conditions lentiques dans la retenue, ou de façon générale les conditions hydrodynamiques dans la retenue, constitue(nt) l’une des clés de fonctionnement des retenues vis-à-vis de la qualité de l’eau. Un faible renouvellement de l’eau augmente le temps de résidence, ce qui peut favoriser la sédimentation et le stockage de certains éléments, la stratification thermique et l’anoxie, et donc certaines transformations biogéochimiques dans la colonne d’eau. En retour, en cas de flux entrants importants et rapides, ou sous l’effet du vent, le brassage de la colonne d’eau et la remise en suspension des particules sédimentées peut entraîner un renouveau de mobilité des espèces chimiques associées aux particules ou un relargage de certains composés initialement concentrés dans le milieu interstitiel benthique. Le brassage peut aussi avoir un effet sur l’homogénéisation de la colonne d’eau réduisant la stratification thermique et les gradients d’oxygène, ainsi que sur la diffusion des éléments dans la colonne d’eau et à l’interface avec l’atmosphère. Enfin le phénomène de marnage, par définition très accentué dans les retenues, induisant des alternances de conditions anoxiques et oxiques en bordure de retenue, favorise encore plus la mobilisation des espèces chimiques associées aux sédiments (P, ETM, pesticides...).

Si l’établissement de conditions lentiques conditionne l’essentiel des processus d’évolution de la qualité physico- chimique de l’eau dans la retenue, l’expression de ces processus et leur intensité vont dépendre aussi de nombreux déterminants : à la fois les caractéristiques morphologiques propres de la retenue (taille, forme, profondeur), son environnement (occupation du sol, hydrologie) dans le bassin versant et son alimentation qui déterminent les flux entrants, sa gestion qui détermine les flux sortants, le climat régional et local et sa variabilité temporelle, sans oublier l’occupation du sol ennoyé et le temps écoulé depuis la submersion. Tous ces déterminants jouent à des degrés divers selon les variables physico-chimiques et les processus de transfert et de transformation associés.

Les conditions hydrodynamiques peuvent présenter une forte variabilité à toutes les échelles de temps, en particulier de la saison. Les inversions de température d’une saison à l’autre peuvent entraîner la stratification de la colonne d’eau, notamment dans les retenues profondes. La saison est aussi déterminante dans le développement cyclique de la production primaire (effet température, lumière) consommant des nutriments au printemps et en été, sénescente en automne, stockée sous forme de MO ou éventuellement décomposée, permettant le relargage de nutriments. L’oxygène dissous peut être affecté à la fois par la respiration, la photosynthèse et la décomposition de cette production primaire. Les phénomènes de diffusion, mélange et de sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre dans la colonne d’eau dépendent des phénomènes de stratification thermique et donc de l’emplacement de la thermocline et du métalimnion qui varient saisonnièrement.

Un déterminant de l’évolution de plusieurs des variables physico-chimiques évoqués ci dessus, largement cité dans la bibliographie, est le temps de résidence de l’eau dans la retenue. Celui-ci varie toutefois d’une façon complexe, tant dans le temps que spatialement dans la retenue, et les indicateurs habituellement utilisés (rapport du volume de la retenue sur le flux d’eau entrant, ou rapport de l’aire de la retenue sur l’aire du bassin versant drainé), s’ils donnent un ordre de grandeur utile, ne peuvent rendre compte de cette variabilité. Tous ces effets qui se manifestent dans la retenue ont aussi des conséquences sur la qualité de l’eau dans le réseau hydrographique aval, dans le cas où la retenue est située sur un cours d’eau ou y est connectée temporairement ou de façon permanente. Les conséquences dans le cours d’eau récepteur sont fonction de l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau, et restent plus ou moins visibles de manière significative vers l’aval en fonction des nouveaux flux entrants. Pour certaines variables (température, oxygène dissous) l’effet de la retenue peut s’annuler au-delà d’une certaine distance dans le cours d’eau, en lien notamment avec les turbulences engendrées par le retour aux conditions lotiques, et au fur et à mesure que les nouveaux apports au cours d’eau se mélangent aux flux sortants. Pour d’autres éléments (N, P...) l’effet de la retenue reste plus ou moins visible selon l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau et à la présence d’affluents.

(…)

Besoins et lacunes de recherches
Au niveau scientifique, les verrous identifiés concernent d’abord l’échelle d’une retenue, avec la quantification des nombreux processus actifs dans cette retenue. Des observations et des données à l’échelle locale sont encore nécessaires, avec des suivis suffisamment denses aux niveaux spatial et temporel. Leur objectif doit être clairement d’alimenter des modèles biogéochimiques adaptés aux retenues, dont le développement doit se poursuivre. Certains phénomènes spécifiquement développés dans les retenues ont besoin d’être quantifiés et mieux compris : l’effet initial dû à l’inondation de matières organiques et sa durabilité, l’effet du marnage.Par ailleurs les données existantes ou à acquérir à l’échelle d’une retenue pourraient être mobilisées dans une méta-analyse pour bien identifier les nombreux facteurs d’influence et permettre d’envisager une transposition des résultats acquis.

A l’échelle globale du bassin versant, d’autres modèles doivent être développés, permettant de traiter l’effet cumulé. La position des retenues dans le bassin jouant un rôle important (apports différents par l’aire drainée et interactions entre retenues liées à leur position relative sur les chemins hydrologiques), les modèles devront soit être distribués spatialement, soit faire ressortir une typologie [patterns spatiaux – effets physico-chimiques], qui reste à élaborer. Les possibilités de tracer des effets globaux de retenues grâce aux traçages isotopique de C et N mais peut être aussi de PO4 (développement en cours) mériteraient d’être évalués."

Ministère, Agences de l'eau, syndicats, bureaux d'étude : flagrant délit de généralisation abusive et tromperie du public
Le principal enseignement de cette étude est que l'effet d'une retenue créée par un seuil ou un barrage, a fortiori d'un cumul de retenues, est un processus complexe vis-à-vis duquel la connaissance est encore lacunaire. Beaucoup d'études montrent par exemple une réduction de l'azote et du phosphore à l'aval des retenues, mais le bilan dépend de diverses conditions physiques et chimiques. Le premier besoin du gestionnaire, c'est donc de faire des mesures et de construire des modèles afin de vérifier dans quelle proportion une retenue ou une succession de retenues d'eau va contribuer ou non à épurer la rivière concernée par un programme de gestion. Il se peut très bien que sur un bassin soumis à des pollutions agricoles, industrielles ou domestiques, la capacité de rétention, sédimentation et élimination des plans d'eau créés par les seuils et barrages joue un rôle globalement bénéfique aux milieux amont et aval de chaque site. Pour le savoir, il faut l'étudier.

Or, voici ce qu'ont écrit depuis quelques années les autorités en charge de l'eau (avec un focus sur un syndicat et un bureau d'études de notre région) :

Direction de l'eau et de la biodiversité, Ministère de l'environnement, Circulaire de 2013: "La transformation des anciens moulins à roue fonctionnant selon le besoin, et parfois avec des seuils sommaires en fascines peu étanches, en usines de production continue d’électricité avec turbines a également aggravé fortement les impacts de ces ouvrages en impliquant une dérivation constante de l’eau, des mortalités dans les turbines, une réduction des possibilités de transit par les seuils de prise d’eau et les organes d’évacuation et une étanchéité plus grande des ouvrages. Ces évolutions ont aggravé l’accumulation des sédiments fins qui jouent un rôle négatif en matière d’auto-épuration."

Onema et France nature environnement, Restauration de la continuité écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques. Idées reçues et préjugés (sic), 2014 : "Un seuil engendre la présence d’un plan d’eau en amont de l’ouvrage provoquant de ce fait un écoulement plus lent, une augmentation de la profondeur et un faible renouvellement des eaux. Le phénomène d’auto-épuration, qui désigne la capacité d’un cours d’eau à éliminer les substances nocives pour la vie aquatique, ne pourra plus se faire naturellement comme c’est le cas sur un cours d’eau non entravé."

Agence de l'eauSDAGE Seine-Normandie 2016-2021, Orientation 19 : "La continuité écologique pour les milieux aquatiques se définit par la circulation des espèces et le bon déroulement du transport des sédiments. Elle a une dimension amont-aval, impactée par les ouvrages transversaux comme les seuils et barrages, et une dimension latérale, impactée par les ouvrages longitudinaux comme les digues et les protections de berges. Elle permet (…) 5° l'auto-épuration"

Sirtava - Syndicat de l'ArmançonSAGE de l'Armançon, 2013 : "20% des cours d’eau du bassin possèdent une forte capacité d’auto-épuration (en Côte d’Or comme dans l’Yonne). Ceux-ci bénéficient de débits permanents et sont en bon état physique et écologique (ripisylve continue et diversifiée, dynamique fluviale et continuité écologique préservées, faciès d’écoulement diversifiés…). En Côte d’Or, l’auto-épuration des cours d’eau est majoritairement (à 57%) moyenne. Dans l’Yonne, 43% des cours d’eau (une majorité d’affluents) ont une mauvaise capacité d’auto-épuration. La faiblesse des débits, la rupture de la continuité écologique, les recalibrages, les mises en biefs, la ripisylve peu diversifiée voire quasi-absente sont en cause." (Nota : de manière assez extraordinaire, aucun bilan physico-chimique n'a permis d'asseoir ces chiffres. On évalue au doigt mouillé, pas par des mesures in situ.)

SEGI, rapport de projet 2015 sur l'effacement de l'ouvrage de Perrigny-sur-Armançon : "l’effacement sera favorable à la diversification de faciès d’écoulement, au développement de nouveaux cortèges floristiques en marge du lit mineur. De nouveaux habitats se créeront naturellement, qui en association avec des vitesses d’écoulement plus importantes, participeront dans leur ensemble à améliorer les processus d’auto-épuration, l’oxygénation, et potentiellement la régulation thermique de l’eau."

Le contraste est saisissant :

  • d'un côté, des chercheurs soulignent la faiblesse scientifique des connaissances, la complexité des phénomènes concernés, le rôle favorable à certaines échelles de temps et espace pour certains types de contaminants des milieux aquatiques, la nécessité de mener des campagnes de mesures ; 
  • d'un autre côté, des autorités et des gestionnaires assènent comme une évidence acquise le rôle négatif de seuils et barrages dans l'élimination des nutriments ou des polluants, sortant le concept d'auto-épuration de leur chapeau et estimant tout à fait normal de produire des assertions sans preuve dans une communication publique ;
  • le même jargon relevant d'une idéologie administrative et non de la connaissance scientifique, destiné à impressionner le citoyen ou l'élu peu informé de ces questions, se répète du sommet à la base, c'est-à-dire du bureau des milieux aquatiques (DEB) du Ministère de l'Environnement jusqu'aux rapports des bureaux d'études mandatés par les syndicats avec l'argent des Agences de l'eau. 

Tant que nous ne sortirons pas de ce régime dogmatique de croyance et de ces pratiques manipulatrices de communication, les institutions concernée n'auront aucune légitimité dans la mise en oeuvre de la réforme de continuité écologique. Et tant que les effacements d'ouvrages ne seront pas précédés par un diagnostic complet et non biaisé, ils devront être combattus.

Référence : Carluer N. et al, Irstea-Inra-Onema (2016), Expertise scientifique collective sur l’impact cumulé des retenues, rapport 325 pp + annexes, voir chapitre V Physico-chimie.

17/04/2016

Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)

On savait déjà que les retenues d'eau contribuent à épurer les rivières en éliminant des nutriments, évitant ainsi en partie l'eutrophisation des zones aval, littoraux et estuaires. Une équipe de chercheurs lorrains vient de montrer que les étangs construits par barrage sur un cours d'eau sont aussi efficaces pour éliminer des pesticides, avec des taux pouvant atteindre 100% sur certaines molécules. Cette efficacité pourrait être supérieure à celle des zones humides reconstruites, en raison d'un temps de résidence hydraulique plus long. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire", écrivent les scientifiques. Mais ce message parviendra-t-il aux décideurs qui, déjà très en retard sur la pollution de l'eau par les nutriments et plus encore par les micropolluants émergents, ont souvent promu la continuité écologique comme alibi de leur impuissance et détournement de l'attention citoyenne sur des impacts secondaires? Il faut protéger nos étangs, biefs, retenues et réservoirs au lieu de les détruire. Et faire de la lutte contre les pollutions une priorité de nos politiques publiques de l'eau, à hauteur de la menace représentée par les centaines de contaminants qui détériorent les nappes, les rivières, les plans d'eau et leurs milieux. 



Juliette Gaillard et ses collègues (Université de Lorraine, Université du Québec, Inra, Anses Nancy) ont examiné la capacité d'un étang piscicole à éliminer la charge en pesticides de son bassin versant. Les auteurs prennent d'abord soin d'exposer les motivations de leur travail.

Pesticides, étangs et précipitation à effacer les barrages
Les herbicides, fongicides et insecticides représentent chaque année une charge de 210.000 tonnes d'ingrédients actifs (ai) appliquée à 178,8 millions d'hectares de surfaces cultivées dans l'Europe des 25. La dose moyenne est de 1,2 kg ai/ha en Europe, mais de 2,3 kg ai/ha en France, marché qui représente à lui seul 28% des phytosanitaires sur le continent. La littérature scientifique estime que 0,1 à 10% des quantités de pesticides appliqués sur les bassins versants finissent dans les masses d'eau superficielles. La directive-cadre européenne (DCE) 2000 impose l'atteinte du bon état chimique des masses d'eau, sur la base d'un échantillon de ces pesticides.

Outre la limitation à la source, une des mesures de compensation envisagées est le développement de zones humides agissant comme des tampons par sorption-desorption (fixation de la molécule) et biodégradation. Les auteurs observent que les caractéristiques favorables des zones humides (augmentation du temps de résidence hydraulique, croissance biologique et sédimentation) se retrouvent aussi bien dans les étangs piscicoles à barrage. Ces étangs sont souvent associés aux petits cours d'eau de tête de bassin versant, dans des zone agricoles ou forestières. On estime qu'ils occupent aujourd'hui une surface de 112.000 ha. Leur développement est très ancien puisque les moines ont généralisé ces viviers en pisciculture extensive dès le Moyen Âge, notamment pour l'élevage de la carpe. Lorraine, Dombes, Brenne, Forez, Bresse, Jura et Franche-Comté sont quelques-unes des régions françaises présentant les plus fortes densités d'étangs piscicoles à barrage.

Les chercheurs observent notamment : "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource en eau, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire". On ne saurait mieux dire: une politique massive d'effacement des ouvrages décidée avant une analyse scientifique approfondie de l'ensemble de leurs effets sur le milieu relève de la croyance idéologique, indigne d'inspirer une politique publique!

Résultat sur un étang lorrain: de 0-8% à 100% d'élimination des pesticides
Juliette Gaillard et ses collègues ont analysé un étang lorrain dans le Saulnois ("pays du sel") au Sud de la Moselle. La surface de l'étang est de 4,4 ha pour un bassin versant de 86,2 ha. Sa profondeur moyenne est de 0,9 m, avec un maximum de 2,2 m au pied du barrage. Les apports d'eau dans le barrage viennent du cours d'eau (seul tributaire permanent), des précipitations, du ruissellement et des échanges avec la nappe. Le temps de résidence hydraulique moyen (volume total de la retenue divisé par le flux de sortie annuel) est de 97 jours, avec des variations selon les saisons. Les chercheurs font observer que ce temps de résidence varie de 0,04 à 27 jours pour une zone humide reconstruite, donc que les étangs comparent avantageusement sur ce critère.

Au total, 42 substances actives sont utilisées dans ce bassin versant : herbicides (n = 26), fongicides (n = 11), insecticides (n = 4) et molluscicide (n = 1). Le taux d'usage par hectare de terre arable est de 2,1 kg ai pour les herbicides, 0,3 kg ai pour les fongicides, 0,02 kg ai pour les insecticides et 0,06 kg ai pour les molluscicides. Pour des raisons de cohérence méthodologique et de représentativité, les chercheurs ont étudié une sélection de 7 d'entre eux, 5 herbicides (clethodim, clopyralid, fluroxypyr, MCPA, prosulfocarb) et 2 fongicides (boscalid, propiconazole). La campagne d'échantillonnage des eaux à l'amont et à l'aval de l'étang a durée un an de mars 2013 à mars 2014, avec au total 52 échantillons. Seule la phase dissoute aqueuse a été examinée, par spectrométrie de masse tandem (LC-ESI-MS/MS).

La figure ci-dessous indiquent le calcul des charges entrantes, sortantes et l'efficacité de la suppression à l'exutoire (cliquer pour agrandir).

Illustration extraite de Gaillard et al 2016, art. cit., droit de courte citation.

On voit (colonne de droite) que le taux d'élimination dans l'eau à l'exutoire varie de 0-8% pour le prosulfocarb à 100% pour le clopyralid. L'efficacité relative de l'étang dans la réduction de charge en pesticides du flux dépend de multiples facteurs, temps de résidence pour l'hydrolyse, exposition au rayonnement pour la photolyse, etc. Par exemple, les composés basiques comme le prosulfocarb sont peu sensibles à la dégradation physique ou chimique, et dépendent donc surtout de la voie biologique (bio-assimilation). Le composé étant utilisé en octobre, ce n'est pas une période favorable pour ce mode de dégradation, d'où probablement un faible résultat. Les auteurs soulignent que leur étude n'a pas réalisé un bilan de masse total des pesticides dans l'eau, les sédiments, les poissons et les macrophytes, ce qui serait nécessaire pour une analyse plus fine des voies de sédimentation et dégradation, mais aussi pour une évaluation de l'écotoxicité de la charge en polluants du bassin.

Les chercheurs concluent : "la culture en étang piscicole de barrage est une pratique ancienne de production de poisson, et notre recherche montre que, bien que non conçus pour traiter des sources diffuses de polluants, les étangs piscicoles ont un potentiel pour le faire et devraient être intégrés dans les plans régionaux de gestion de qualité de l'eau". Nous ne pouvons que souscrire à cette conclusion. Mais la politique actuelle des Agences de l'eau n'obéit pas vraiment à cette orientation...

Discussion
Il existe déjà une abondante recherche scientifique montrant le rôle positif des retenues et réservoirs sur le cycle du carbone, de l'azote et du phosphore (voir notre rubrique auto-épuration). Ce travail des chercheurs lorrains a pour mérite d'explorer le champ encore peu connu de leur influence sur les micropolluants, en particulier les pesticides.

Le résultat nous rappelle la double faute des choix politiques français et européens en matière de qualité de l'eau.

Première faute : la pollution chimique des milieux aquatiques fait l'objet d'une complaisance manifeste. Il n'existe par exemple que 41 substances surveillées dans l'état chimique au sens de la directive-cadre européenne sur l'eau, alors que des dizaines de milliers de composés d'origine humaine circulent dans les eaux et que plusieurs centaines sont connus pour avoir des effets toxiques. Les pesticides ne sont qu'une famille (certes importante) de polluants, avec les métaux surveillés dans l'état physico-chimique : ils ne doivent pas faire oublier les HAP, les produits pharmaceutiques humains et vétérinaires, les retardateurs de flammes, les micro- et nano-plastiques, et tant d'autres substances que nos stations d'épuration ne sont pas conçues pour éliminer et que nos réseaux de surveillance sont très loin de contrôler en routine. Cette mansuétude des outils de contrôle et des normes de qualité européennes (dénoncée par certains chercheurs voir Stehle et Schulz 2015) est aggravée par un certain laxisme dans la surveillance. Notre plus grande agence de l'eau en terme de linéaire de bassin (Loire-Bretagne) est ainsi incapable de présenter aux citoyens un état chimique DCE en 2016, ce qui montre la faillite des systèmes de contrôle au regard du programme minimaliste de la DCE, a fortiori leur incapacité à analyser les centaines de molécules qui devraient être suivies. L'Union européenne a déjà sévèrement critiqué le rapportage français de la DCE. Même sur des pollutions classiques et anciennes comme les nitrates, la France fait le service minimum alors que sur certains bassins, les progrès ont cessé depuis une quinzaine d'années (voir encore l'exemple de Loire-Bretagne).

Seconde faute : corrélativement à son impuissance historique sur l'analyse et la gestion efficaces de la pollution chimique, et peut-être par un rapport de cause à effet, la France a fait le choix profondément absurde de promouvoir la destruction des chaussées, seuils et barrages qui, alimentant des étangs, des moulins, des usines hydroélectriques, des captages ou des zones récréatives, contribuent à épurer les eaux chargées de contaminants. Au nom d'une "continuité écologique" dont les bénéfices sur les milieux restent bien souvent à démontrer, particulièrement en tête de bassin, et dont les services rendus sont défavorables, on promeut ainsi la diffusion des polluants dans les milieux. Cette dérive tenant à la porosité politico-administrative au marketing des lobbys davantage qu'à l'argumentation scientifique et au principe de précaution doit cesser.

Référence : Gaillard J et al (2016), Potential of barrage fish ponds for the mitigation of pesticide pollution in streams, Environmental Science and Pollution Research, 23, 1, 23-35

Complément : On lira avec profit la thèse de Juliette Gaillard (lien pdf) : Gaillard J (2014), Rôle des étangs de barrage à vocation piscicole dans la dynamique des micropolluants en têtes de bassins versants, Université de Lorraine

Illustration (en haut) : étang de Bussières sur la Romanée, en Morvan.