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23/09/2022

Les rivières de contournement favorables aux insectes aquatiques (Nagel et al 2022)

Les rivières de contournement à style naturel sont des options de plus en plus utilisées pour restaurer la continuité en long au droit des seuils et barrages. Une recherche vient de montrer que ces systèmes ne servent pas seulement à la montaison et dévalaison des poissons, mais ont aussi des effets positifs sur la diversité et la disponibilité des insectes aquatiques. Ce qui en fait une solution de premier choix quand le foncier est disponible. 


La restauration des rivières vise souvent le rétablissement des voies de migration longitudinales pour les poissons, ce qui peut être réalisé en supprimant complètement les barrières à la circulation. Mais compte tenu des autres usages des seuils et barrages, la connectivité est plus souvent rétablie par des installations de contournement. Ces systèmes sont très divers, tantôt des options techniques telles que des ascenseurs à poissons ou des passes à bassins en béton, tantôt des schémas de rivières de contournement dont la conception est proche d'un style naturel d'écoulement. 

Les solutions techniques ciblent surtout la fonction migratoire de poissons, alors que les options de contournement en style naturel ont des fonctions plus larges. Ces types de passes fournissent aussi des habitats importants pour le frai et l'alimentation. La réponse d'autres biotes à ces aménagements, en particulier les communautés d'insectes aquatiques, reste mal comprise.

Christoffer Nagel et ses collègues ont examiné le cas de la centrale de Gars sur l'Inn, une rivière alpine. Ce barrage a été équipé d'une rivière de contournement de 650 m, avec un débit dérivé de 900 litres par seconde (plan ci-dessus, extrait de Nagel et al 2022, art cit). 

Voici le résumé de leur étude :

"Le déclin de la biodiversité des eaux douces affecte tous les niveaux trophiques, incitant à des efforts de restauration. Si la restauration de l'habitat des poissons est bien étudiée, la restauration de l'habitat au profit d'autres taxons sensibles tels que les éphéméroptères, les plécoptères et les trichoptères (EPT) reste médiocre. Par conséquent, cette étude a examiné la fonction d'habitat d'un système de contournement de style naturel pour les taxons EPT dans une rivière alpine fortement modifiée, avec plusieurs poissons se nourrissant de la dérive d'insectes. Des échantillons de dérive distribués spatialement et temporellement ont été utilisés pour tester les hypothèses selon lesquelles le contournement (a) augmente la densité des individus dérivants par rapport au cours d'eau principal et (b) diversifie les assemblages de dérive par rapport à ce cours principal. 

La densité de dérive moyenne des taxons EPT était la plus faible dans le bras principal de la rivière près de l'entrée de la dérivation (38,24 ind./100m3) et augmentait significativement vers l'aval de la dérivation, près de l'exutoire (61,49 ind./100m3) . De plus, les assemblages de dérive ont considérablement changé du cours principal à la dérivation et le nombre de taxons EPT détectés a plus que doublé (cours principal : 16 genres ; dernier site dans la dérivation : 33 genres), indiquant que la dérivation peut fournir une source de macroinvertébrés au cours d'eau principal. Les schémas de dérive saisonnière et journalière étaient similaires à ceux observés dans les cours d'eau naturels, étayant la découverte selon laquelle les systèmes de contournement de type naturel peuvent présenter une communauté EPT similaire aux rivières naturelles. 

Cette étude s'aligne sur un nombre croissant de preuves sur la fonction d'habitat des systèmes de contournement de type naturel pour les taxons aquatiques et souligne l'importance de cette mesure de restauration, au-delà de l'aspect de la seule restauration de la connectivité de l'habitat."

Les auteurs précisent aussi en conclusion : "la nature contrôlable de ces systèmes permet un entretien régulier (par exemple, dotation de gravier ou relocalisation) en fonction des caractéristiques spécifiques au site et des besoins en habitat des taxons ciblés. Par conséquent, les décisions stratégiques concernant la restauration de la connectivité longitudinale des cours d'eau devraient favoriser les systèmes de contournement naturel aux passes à poissons aménagées chaque fois qu'il y a suffisamment d'espace pour leur mise en œuvre."

28/08/2022

Les plans d'eau d'origine humaine appréciés par les libellules et demoiselles (Kolar et al 2021)

Une recherche menée en république tchèque sur des étangs piscicoles et plans d'eau de carrière montre que ceux-ci abritent près de la moitié de la diversité totale des odonates locales, y compris des espèces en liste rouge nationale. Les chercheurs rappellent que l'origine artificielle d'un milieu aquatique ne l'empêche pas de former un habitat et de contribuer à la gestion de la biodiversité. Ils appellent à préserver la mosaïque locale de ces plans d'eau, voire à l'enrichir de nouveaux sites. On attend toujours que le gestionnaire public de l'eau en France intègre les nombreux travaux de recherche qui attestent des services rendus par les plans d'eau, retenues et autres milieux aquatiques d'origine humaine. 


Lester sponsa femelle, photo par Charles J. Sharp CC BY-SA 4.0

Dans de nombreuses régions du monde, les habitats naturels ont été altérés par les activités humaines, avec déclins des communautés d'espèces locales, dont les insectes. Le milieu des eaux douces stagnantes est particulièrement vulnérable car ces habitats sont affectés par l’aménagement des terres, l’eutrophisation, la pollution agricole, industrielle et domestique, les changements climatiques et l’assèchement tendanciel, ainsi que la  propagation des espèces invasives. Mais les activités humaines créent également de nouveaux habitats qui peuvent fournir un filet de sécurité contre les perturbations en cours. 

Ces habitats artificiels pouvant compenser les tendances négatives pour les petites eaux stagnantes comprennent notamment les plans d'eau créés après l’exploitation minière et les étangs piscicoles, les seconds étant souvent plus anciens. "Certains de ces habitats artificiels peuvent accueillir diverses communautés et espèces rares, y compris, par exemple, des amphibiens ou les insectes terrestres et aquatiques. Les habitats artificiels peuvent également accueillir des communautés différentes par rapport aux sites naturels", rappellent Vojtech Kolar et ses collègues.

Ces chercheurs tchèques ont analysé des plans d'au d'origine humaine à différents stades de leur développement, depuis des étangs anciens jusqu'à des plans d'eau de carrière créés plus récemment. Voici la synthèse de leur résultat : 

"Les habitats d'eau douce créés par l'homme constituent une partie importante du paysage européen, en particulier dans les zones où les habitats naturels sont pour la plupart absents ou dégradés. Pour évaluer le rôle des différentes eaux stagnantes artificielles dans les paysages anthropiques, nous avons étudié les communautés d'odonates adultes dans un groupe de 20 plans d'eau, y compris des étangs piscicoles et des plans d'eau de carrière aux stades de succession précoce et en cours. 

Nous avons trouvé 35 espèces d'odonates (c'est-à-dire 47% de la faune de la République tchèque), mais leur présence différait significativement entre les trois types d'habitats. La plus grande diversité d'espèces, due principalement à la présence de généralistes, a été trouvée dans les étangs piscicoles. Les plans d'eau de carrière à un stade précoce de succession abritaient les communautés les moins diversifiées dominées par des espèces pionnières et vagabondes. Les espèces spécialisées sont présentes dans les deux types d'habitat de carrière, en particulier ceux qui sont en phase de succession continue, plus que dans les étangs piscicoles. Bien que l'indice biotique de la libellule ne diffère pas entre les trois types de localités, les quatre espèces de la liste rouge nationale enregistrées au cours de l'étude ne sont présentes que dans les carrière. Les principaux facteurs environnementaux des communautés locales d'odonates comprenaient la couverture du rivage par la végétation émergente, la profondeur de l'eau et le substrat du fond ; ces deux dernières caractéristiques correspondaient largement à la distinction entre plans d'eau de carrière et étangs piscicoles. 

Nous concluons que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversité d'eau douce qui nécessite une mosaïque d'habitats à différents stades de succession."

Les chercheurs concluent : "Nos résultats mettent en évidence le potentiel des habitats artificiels tels que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles pour soutenir diverses communautés de libellules et de  demoiselles, et assurer une valeur biotique  élevée  à l’échelle locale. Nous montrons que diverses  communautés d’odonates ont besoin d’une mosaïque d’habitats allant d’étangs peu profonds, éventuellement temporaires, à des plans d'eau permanents avec des eaux plus profondes, avec différents types de substrats, allant de plans d’eau complètement ouverts sans végétation à des étangs envahis par une végétation riveraine hétérogène. Comme chacun de ces types de masse d'eau peut abriter une communauté différente, il est important de créer de nouveaux plans d'eau et de restaurer certains anciens pour accroître la biodiversité locale et maximiser le potentiel de conservation de ces habitats d’eau douce".

Discussion
La recherche en écologie montre que des habitats aquatiques et humides d'origine humaine ont eux aussi une capacité à héberger de la biodiversité et à pallier l'altération de milieux d'eau douce par certaines activités à effets très négatifs sur le vivant. Ce constat répété dans de nombreuses études sur ces milieux artificiels est très éloigné des obsessions qui animent la politique des rivières en France, comme la prime à la destruction des habitats de retenues, plans d'eau, étangs ou lacs. Il est nécessaire que les gestionnaires publics intègrent ces connaissances et développent une vision plus positive sur les plans d'eau, par des conseils de bonne gestion aux propriétaires assorti d'un travail prioritaire sur les excès de pollutions et de prélèvements de l'eau.

Référence : Kolar V et al (2021), The influence of successional stage on local odonate communities in man-made standing waters, Ecological Engineering, 173, 106440 

07/02/2021

Des barrages en rivières alpines et pré-alpines ont des effets intéressants sur la température et les invertébrés (Petruzziello et al 2021)

Une équipe de chercheurs italiens a comparé des tronçons de rivières alpines et pré-alpines selon la présence ou l'absence de barrages. Contrairement aux idées reçues, les barrages réservoirs de tête de bassin ont montré des conditions favorables au maintien d'une température fraîche et à la diversité biologique des familles de macro-invertébrés. Cet effet ne se retrouve pas pour les barrages au fil de l'eau, dont l'impact est cependant faible car leur température reste proche de celle des tronçons naturels. Les ouvrages (réservoir ou fil de l'eau) tendent aussi à augmenter la productivité trophique et disponibilité des matériaux organiques. Etudier les milieux sans préjugé sur leur caractère "sauvage" ou "modifié" permet d'objectiver les réalités et de prendre les bonnes décisions à leur sujet. On espère que l'administration française de l'eau se convertira à cette démarche, au lieu d'instruire à charge le dossier des ouvrages hydrauliques... 



Les zones étudiées et comparées dans l'étude, sur les rivières Goglio et Sanguigno (Lombardie), de l'amont vers l'aval. Extrait de Petruziello et al 2021, art cit

L'étude d'Antonio Petruzziello et de ses collègues a été réalisée dans les vallées alpines du Goglio dans le nord de l'Italie. Le Sanguigno est le principal affluent gauche du Goglio. Les deux cours d'eau ont été sélectionnés car ils diffèrent principalement par la présence de réservoirs de haute altitude : le Goglio se caractérise par la présence de cinq réservoirs qui régulent le débit, tandis que le régime d'écoulement de Sanguigno est considéré comme "vierge" (il sert dans la recherche comme système de référence). Les réservoirs de haute altitude sont utilisés à des fins hydroélectriques et ne libèrent qu'un débit environnemental minimum dans le Goglio. En aval du confluent de Goglio et Sanguigno, les activités anthropiques dans le bassin versant deviennent plus importantes, avec la présence de peuplements urbains et de centrales hydroélectriques au fil de l'eau. La diversité des 7 sites étudiés de l'amont avers l'aval permet donc diverses comparaisons : zone vierge, zone à réservoir seul, zone à centrale au fil de l'eau et activités humaines, zone avec très peu de pollutions sur le versant (amont) et zone avec davantage de pollutions (aval). 

Nous traduisons ici la conclusion des chercheurs, qui ont étudié la température, l'hydrologie, les débris organiques et les macro-invertébrés des différentes zones : 

"La présence de centrales hydroélectriques (réservoirs de haute altitude ou centrales au fil de l'eau) modifie l'écosystème fluvial au regard de tous les aspects étudiés dans cette étude: composition des communautés de macroinvertébrés, dégradation de la matière organique et régime thermique.

Les communautés de macroinvertébrés qui habitent des sites vierges sont généralement moins diversifiées que dans d'autres sites et plus spécialisées pour les environnements hautement rhéophiles en raison de la forte influence des événements à haut débit. Dans notre étude de cas, le tronçon soumis à l'effet de barrage à haute altitude a montré les meilleures conditions pour la plupart des familles de macroinvertébrés en raison de l'abondance de nourriture (en particulier particules grossières de matière organique CPOM et bois mort) et la réduction du stress dû aux événements de débit élevé. Nous n'avons identifié aucune famille qui pourrait être considérée comme représentative de conditions non perturbées. Le manque observé de taxons représentatifs pour les sites non perturbés pourrait également être dû à la résolution taxonomique grossière (c'est-à-dire au niveau de la famille) et l'identification au niveau de la sous-famille pourrait avoir produit des réponses spécifiques différentes. Cela mettrait en évidence l'importance d'une résolution systématique et la nécessité de développer des mesures à échelle de communautés capables d'évaluer correctement ce type d'altérations.

Les communautés de macroinvertébrés dans le tronçon soumis à des altérations hydrologiques et chimiques ont été caractérisées par l'abondance de familles qui peuvent tolérer des conditions perturbées telles que les Leuctridae, Limoniidae et Simuliidae, soulignant que, comme souvent rapporté dans la littérature, les altérations dues aux charges polluantes anthropiques sont plus faciles à identifier que les altérations dues aux altérations hydrologiques.

La disponibilité de la matière organique est positivement affectée par les barrages à haute altitude. Dans les sites vierges, les sacs de feuilles étaient souvent retirés du lit de la rivière, ce qui réduisait la disponibilité de cette source de nourriture pour la communauté des macroinvertébrés. À l'inverse, les processus de dégradation ne semblaient être que légèrement modifiés par la présence du réservoir de haute altitude car les mailles et le temps de séjour étaient les deux seuls facteurs ayant un effet significatif sur les taux de rupture. De plus, nos résultats soulignent que l'apport estival de CPOM dans les cours d'eau de tête de bassin peut être une source alimentaire importante, comparable à l'apport hivernal de feuilles récemment tombées. Cela peut être d'une grande importance dans les sites vierges où les effets d'événements à haut débit raccourcissent le temps de séjour de la matière organique.

Le régime thermique est profondément modifié par les barrages à haute altitude et moins influencé par les conditions météorologiques. Les conséquences écologiques des altérations thermiques doivent être spécifiquement étudiées, en particulier avec des expériences de mésocosme ou des études de cas idéales qui permettent de démêler l'effet du régime thermique et du régime d'écoulement sur les populations biologiques. Ces altérations rendent les tronçons de cours d'eau moins soumis aux effets du changement climatique et surtout aux canicules qui deviennent de plus en plus fréquentes et intenses dans les milieux alpins et pré-alpins. Les réservoirs atténuent l'influence atmosphérique sur la température de l'eau des cours d'eau tandis que les sites au fil de l'eau la renforcent dans les tronçons détournés. Là où ces deux altérations étaient présentes, le régime thermique du cours d'eau était plus similaire à celui naturel que les tronçons soumis à un seul type d'altération et profondément influencés par les conditions météorologiques.

Cette recherche a fourni des éléments pour une meilleure compréhension de l'impact des retenues fluviales sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux. Ces éléments peuvent être d'une grande utilité dans la planification des stratégies de gestion visant à protéger la qualité environnementale des cours d'eau affectés par la présence de centrales hydroélectriques, avec une référence particulière à l'importance croissante du changement climatique."

Ce schéma montre les variations de température des tronçons. 


On observe que les tronçons de cours d'eau bénéficiant de lâcher d'eau des barrages ont des conditions plus fraîches en été (mais moins froides en hiver).

Ce schéma montre la répartition des familles d'invertébrés aquatiques selon les tronçons. 


Comme l'exposent les chercheurs dans l'abstract de leur travail, "les tronçons altérés par des réservoirs de haute altitude ont les meilleures conditions pour la plupart des familles de macro-invertébrés en raison de conditions de débit plus stables".

Discussion
Une rivière modifiée par des ouvrages hydrauliques ne montre pas les mêmes propriétés chimiques, physiques et biologiques qu'une rivière non modifiée. Mais au-delà de ce constat trivial, est-ce un problème pour le vivant ou pour la société? Peut-on se contenter de généralités en présumant que toute modification est mauvaise car s'écartant d'une référence naturelle? Quelles sont les conséquences de nos choix sur les ouvrages dans une période marquée par un changement thermique et hydrologique rapide en lien au réchauffement climatique? 

La réponse à ces questions n'est pas tranchée, contrairement à ce qu'affirment en France des administrations et des lobbies ayant décidé que les ouvrages hydrauliques représentaient un problème majeur et justifiaient une politique de destruction sur argent public, contrairement au choix pluriséculaire d'aménager les cours d'eau. La manière dont la société juge les ouvrages hydrauliques dépend étroitement des métriques que l'on choisit pour les étudier. Si ces métriques sont conçues dès le départ pour calculer une différence entre un milieu naturel et un milieu modifié, puis pour qualifier de "mauvaise" cette différence, alors de toute évidence, on conclura très souvent que l'ouvrage est "mauvais". Si ces métriques sont neutres de jugement, si elles actent que la nature est aussi bien formée de zones vierges que de zones modifiées par les humains, si elles intègrent tous les paramètres par lesquels une société évalue son environnement et des riverains leur cadre de vie (non seulement écologiques, mais aussi sociaux et économiques), alors on s'obligera à observer les différences sans préjugé et à débattre démocratiquement de leur intérêt.

Référence : Petruzziello A et al (2021), Effects of high-altitude reservoirs on the structure and function of lotic ecosystems: a case study in Italy, Hydrobiologia, epub, doi.org/10.1007/s10750-020-04510-9

19/01/2021

Controverse sur le déclin des insectes aquatiques

Une publication dans la revue Science analysant 166 travaux dans le monde trouve que les insectes aquatiques, loin de décliner, sont plutôt en augmentation. Mais cette méta-analyse est contestée dans sa méthode par d'autres chercheurs. En France, des travaux avaient aussi montré une hausse de la diversité des invertébrés des rivières depuis 25 ans. Ces querelles de chiffres montrent que les experts ne sont pas encore d'accord entre eux, donc que l'écologie comme science doit stabiliser certaines de ses méthodes et certains de ses résultats. Au-delà, il s'agit aussi de savoir ce que l'on mesure. Si l'on pose qu'il y a des bons et des mauvais milieux selon qu'ils sont naturels ou artificiels, qu'il y a de bonnes et mauvaises espèces selon qu'elles sont endémiques ou exotiques, alors on tend à mélanger un peu la science de la nature et l'opinion sur la nature, les jugements de fait et les jugements de valeur. Et on oublie que les citoyens sont attachés à des expériences personnelles et sociales de la nature qui ne sont pas forcément une "naturalité" idéale ou originelle telle qu'elle est vue par certains scientifiques.  

Ephémère Rhithrogena germanica, photographie par Richard Bartz, Creative Commons.

Le journal Le Monde (édition en ligne du 18/01/2021) signale une controverse entre chercheurs sur le taux de déclin des insectes. 

Dans une méta-analyse publiée dans la revue de référence Science, Roel van Klink et Jonathan Chase (Centre allemand pour la recherche intégrative sur la biodiversité, à Leipzig) ont repris 166 études sur l'évolution des invertébrés dans le monde, à travers 1676 sites (Van Klink et al 2020). Ils concluent qu'il existe un déclin d'environ 9% par décennie des insectes terrestres, mais une augmentation des insectes aquatiques d'environ 11% par décennie.

Ces chiffres sont très en deçà des baisses d'insectes terrestres de 80% rapportées dans les médias à l'occasion de certaines études locales. Mais surtout, ils surprennent pour les insectes aquatiques, montrant une hausse.

Dans l'article du Monde, d'autres chercheurs expriment leur scepticisme. Marion Desquilbet (Inrae) fait observer : "Un problème fondamental est qu’un tiers des 166 études vise en réalité à évaluer l’effet d’une perturbation spécifique sur un milieu donné. Par exemple, lorsque vous créez des mares artificielles et que vous observez leur colonisation par des libellules, vous obtenez mécaniquement une tendance à la hausse de leur abondance. C’est la même chose lorsque vous commencez à compter les insectes après un feu de forêt, vous allez observer leur retour, du fait de la fin d’une perturbation ponctuelle. Ou encore, si vous commencez à dénombrer des moustiques après la fin de l’utilisation d’insecticide… Tout cela ne dit rien de l’évolution de l’abondance générale des insectes dans l’environnement !".

Ce point nous paraît discutable, du moins tel qu'il est formulé dans la restitution du journaliste. Si les humains créent des milieux artificiels comme des mares, des réservoirs, des lacs, des canaux, et si les chercheurs observent que ces milieux font l'objet d'une colonisation par des invertébrés aquatiques, il n'y a aucune raison de considérer que ces réalités ne font pas partie de "l'abondance générale des insectes dans l'environnement". Sauf à redéfinir l'écologie comme science des écosystèmes non impactés par l'humain, et non pas science des écosystèmes tout court (allant de milieux très peu impactés par l'Homme à des milieux créés par l'Homme). 

En revanche, l'écologie étant par nature contingente (toujours liée à des milieux différents dans leurs propriétés et leurs histoires), on peut légitimement douter de la valeur très informative d'une synthèse par méta-analyse de lieux très différents. Cela signifie aussi qu'il ne faut pas faire de généralités, mais d'abord constituer de nombreuses bases de données sur les espèces et les milieux, ensuite observer au sein de ces bases ce qui baisse et ce qui augmente, en essayant de comprendre pourquoi, en agissant s'il y a une demande sociale pour agir. 

En France, les invertébrés aquatiques ont aussi fait l'objet d'une analyse à long terme menée par l'équipe de Yves Souchon, que nous avions recensée (Van Looy et al 2016). Les données d'entrée étaient de bonne qualité, avec des méthodologies constantes sur des points de mesure constants. Les scientifiques y montraient que la richesse taxonomique des macro-invertébrés (comme les insectes) a augmenté de 42% entre 1987 et 2012, sur 91 sites étudiés par des séries longues et homogènes. Une première tendance est liée à la hausse progressive des espèces polluosensibles, ce qui est encourageant. Mais un tournant a eu lieu dans la période 1997-2003, et cette seconde tendance superposée paraît d'origine climatique, avec une hausse de la productivité primaire des rivières et une intensification de la chaîne trophique. 

Pour conclure, ces controverses dans les milieux scientifiques indiquent le besoin de clarifier les attendus, les méthodes et les objectifs quand on analyse la biodiversité. C'est d'autant plus nécessaire que les décideurs entendent accélérer les politiques dédiées à cette biodiversité (cf One Planet Summit de janvier 2021), mais ils ne peuvent le faire que sur des connaissances assez robustes et des orientations dont l'issue est approuvée par les populations. Le cas des milieux aquatiques l'a montré depuis plus de 10 ans : si l'écologie consiste à promouvoir une rivière sauvage sans humain pour retrouver des espèces de jadis tout en niant la présence des espèces installées autour des ouvrages humains, elle rencontre vite l'hostilité des riverains et des usagers, qui ne partagent pas les présupposés sur ce que serait un "bon" milieu aquatique ni sur la hiérarchie des espèces qu'il s'agirait de valoriser ou de dévaloriser. 

06/01/2021

Les castors créent des habitats lentiques et modifient les peuplements de la rivière (Wojton et Kukuła 2020)

Deux chercheurs analysant sept retenues de barrages de castor sur des rivières de plaine montrent que les ouvrages des rongeurs modifient les peuplements d'insectes et autres invertébrés, grâce à la création de zones lentiques. C'est exactement ce qui est reproché en France aux ouvrages des humains. Comme si la rivière ne devait être qu'un écoulement rapide et sans obstacle de la source à la mer...


Andrzej Wojton et Krzysztof Kukuła (université de Rzeszów) ont étudié l'évolution des invertébrés sur des rivières de plaine peuplées par des castors européens (Castor fiber) y ayant construit des barrages.

Voici le résumé de leur étude :

"Les castors sont une exception parmi les animaux en termes d'ampleur des transformations environnementales qu'ils réalisent. Cette étude a examiné les principaux facteurs environnementaux influençant la présence d'invertébrés aquatiques dans les cours d'eau de plaines habités par le castor eurasien. 

L'étude a été menée dans deux ruisseaux forestiers habités par des castors et dans un ruisseau inhabité. Dans les ruisseaux habités par des castors, l'étude a couvert sept retenues. Des sections avec de l'eau courante ont également été analysées en aval et en amont des retenues. Des échantillons de benthos et d'eau ont été prélevés sur chaque site. La concentration et la saturation en oxygène dissous (OD) étaient les seuls paramètres physico-chimiques indiquant une diminution de la qualité de l'eau dans les retenues de castors. Les communautés benthiques des différentes retenues de castors étaient similaires. 

Les taxons qui ont exercé la plus grande influence sur la similitude de la faune d'invertébrés dans les retenues étaient les Oligochaeta et Chironomidae. Les ostracodes étaient également abondants dans les retenues, alors qu'ils étaient peu nombreux dans les sections courantes. Les éphémères (Cloeon) et les trichoptères appartenant à la famille des Phryganeidae étaient également étroitement associées aux retenues. Les trichoptère Plectrocnemiea et Sericostoma, les éphémères Baetis et les mouches des pierres Nemourella et Leuctra présentaient la corrélation la plus élevée avec les concentrations d'OD, ce qui est typique des sections courantes, et évitaient les fragments de cours d'eau endigués par les castors. Les bivalves (Pisidium) était également abondants dans chacun des cours d'eau le long des sections courantes. Le plus grand nombre de taxons et la plus grande diversité taxonomique ont été observés dans les sections s'écoulant sous les retenues de castors. 

L'activité d'ingénierie des castors a transformé les cours d'eau de plaine étudiés, entraînant le développement de communautés rhéophiles et stagnophiles d'invertébrés aquatiques, respectivement dans des sections à écoulement libre et endigué."

Discussion
Sans surprise, on observe que les barrages des castors créent des habitats lentiques avec une faune invertébrée s'adaptant à ces nouvelles conditions, tandis que les zones lotiques du bassin divergent dans leurs assemblages d'espèces. Il se passe exactement la même chose avec certains barrages des humains, en particulier les chaussées modestes et anciennes, qui ont de nombreux traits communs avec les ouvrages des rongeurs aquatiques. La soi-disant "dégradation" des milieux de la rivière au droit de ces ouvrages y est bien souvent une variation locale de peuplement en réponse à des variations d'écoulement, sédiment, hauteur et largeur de lit. Pourquoi se féliciter des effets des ouvrages de castors (qui étaient des dizaines de millions en Eurasie avant leur extermination, mais qui reviennent aujourd'hui du fait de leur protection) pour déplorer ceux des ouvrages humains? 

Référence : Wojton A et K Kukula (2020), Transformation of benthic communities in forest lowland streams colonised by Eurasian beaver Castor fiber (L.), Int Rev Hydrobiology, doi:10.1002/iroh.202002043

19/11/2020

Des insecticides antipuces surpuissants dans les rivières et plans d'eau (Perkins et al 2020)

Une recherche menée au Royaume-Uni a trouvé du fipronil dans 99% des échantillons de 20 rivières et le niveau moyen d'un produit de dégradation particulièrement toxique de ce pesticide était 38 fois supérieur à la limite de sécurité. Le fipronil et un autre agent neurotoxique appelé imidaclopride, lui aussi retrouvé dans les milieux aquatiques, ont été interdits d'utilisation en agriculture depuis quelques années. Principal suspect: les traitements antipuces des 21 millions de chiens et de chats du pays. Ces produits sont hautement toxiques pour les invertébrés — à titre d'exemple, une seule dose de traitement pour chien a un potentiel toxique suffisant pour tuer 60 millions d'abeilles. L'impact sur les insectes des rivières comme sur les poissons, amphibiens et oiseaux qui en dépendent est à explorer. Espérons que la France se penche aussi sur cette question, car l'analyse des pollutions chimiques et de leurs effets biologiques reste à ce jour très lacunaire au regard du nombre de substances circulant dans les eaux.


Voici le résumé de la recherche des quatre scientifiques anglais :

"On en sait peu sur le devenir environnemental ou l’impact des pesticides utilisés pour lutter contre les parasites des animaux de compagnie. À l'aide des données de l'Agence pour l'environnement, nous avons examiné l'occurrence du fipronil, des métabolites du fipronil et de l'imidaclopride dans 20 rivières anglaises de 2016 à 2018, comme indicateurs de la contamination potentielle des cours d'eau par leur utilisation comme ectoparasiticide sur les animaux de compagnie. Des échantillons d'eau ont été prélevés par l'Agence pour l'environnement dans le cadre de son programme de surveillance chimique et analysés à l'aide des méthodes de spectrométrie de masse par chromatographie liquide / spectrométrie de masse à temps de vol quadripolaire (LC / Q-TOF-MS). Au total, 3861 analyses chimiques ont été examinées et l'importance et les sources potentielles de cette contamination ont été évaluées. 

Le fipronil, le fipronil sulfone, le sulfure de fipronil (collectivement appelés fiproles) et l'imidaclopride ont été détectés dans 98,6%, 96,5%, 68,7% et 65,9% des échantillons, respectivement. Sur l'ensemble des sites fluviaux échantillonnés, les concentrations moyennes de fipronil (17 ng/l, fourchette <0,3–980 ng/l) et de fipronil sulfone (6,5 ng/l, fourchette <0,2–39 ng/l) étaient de 5,3 et 38,1 fois leurs limites de toxicité chronique de 3,2 et 0,17 ng/l, respectivement. L'imidaclopride avait une concentration moyenne de 31,7 ng/l (intervalle <1 à 360 ng/l), qui était inférieure à sa limite de toxicité chronique de 35 ng/l, mais 7 sites sur 20 dépassaient cette limite. Les quotients de risque chronique indiquent un risque environnemental élevé pour les écosystèmes aquatiques dû aux fiproles et un risque modéré à l'imidaclopride. 

Les sites immédiatement en aval des ouvrages de traitement des eaux usées présentaient les niveaux les plus élevés de fipronil et d'imidaclopride, ce qui étaye l'hypothèse selon laquelle des quantités potentiellement importantes de pesticides provenant de produits vétérinaires contre les puces pourraient pénétrer dans les cours d'eau par les égouts ménagers. Ces résultats suggèrent la nécessité d'une réévaluation des risques environnementaux associés à l'utilisation de produits antiparasitaires pour animaux de compagnie et des évaluations des risques que ces produits subissent avant l'approbation réglementaire."

Référence : Perkins R et al (2020), Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science of The Total Environment,, 143560

13/11/2020

Libellules et demoiselles apprécient les plans d'eau d'origine artificielle (Vilenica et al 2020)

Artificielle ou naturelle? Le vivant aquatique ou amphibie ne fait pas toujours de différence quand il cherche une masse d'eau pour accomplir son cycle de vie. Une équipe de chercheurs croates montre qu'une vingtaine d'espèces d'odonates fréquente les retenues d'eau artificielles de deux éco-régions balkaniques, dont une espèce protégée car menacée d'extinction. Les scientifiques soulignent que les masses d'eau d'origine humaine ou fortement anthropisées ne peuvent être négligées dans la gestion de la biodiversité des bassins versants.  La directive cadre européenne avait prévu de classer des masses d'eau selon leur niveau de modification par l'homme, mais les autorités administratives françaises n'y ont quasiment pas eu recours dans les années 2000. Résultat: nous n'étudions pas dans notre pays la biodiversité de ces milieux et nous menons à la place des politiques coûteuses de "renaturation" sans même faire l'inventaire sérieux des biodiversités et fonctionnalités en place. Cela doit évoluer, car un nombre croissant de travaux scientifiques raconte une autre histoire. 

Lindenia tetraphylla par Par Dûrzan Cîrano (CC BY-SA 3.0)

Les odonates (libellules et demoiselles) font partie des groupes d'invertébrés aquatiques les plus populaires chez les entomologistes professionnels comme pour le grand public en raison de leur grande taille, de leur coloration distinctive et de leur comportement remarquable de vol. Ces insectes sont aussi largement utilisés comme indicateurs écologiques de la qualité de l'habitat et de l'intégrité des écosystèmes d'eau douce du fait de leur diversité, de leur cycle biologique amphibie, de leur temps de génération relativement court, de leur position trophique élevée et de leur sensibilité aux changements anthropiques à petite échelle dans l'environnement.

Marina Vilenica et ses collègues de l'université de Zagreb (Croatie) ont analysé la présence des libellules et demoiselles dans les plans d'eau artificiels des Balkans, formant l'essentiel des lacs des régions étudiées : "Nous avons étudié 36 plans d'eau artificiels, dont 21 sont situés dans l'écorégion dinarique des Balkans occidentaux (ER 5) et 15 dans l'écorégion des basses terres pannoniennes (ER 11) en Croatie (Illies, 1978). La majorité de ces plans d'eau sont des réservoirs construits sur des rivières petites ou grandes utilisées pour l'approvisionnement en eau, l'irrigation ou la production d'électricité, tandis que plusieurs sont des plans d'eau naturels mais anthropisés (par exemple Prolosko Blato, Sakadas, Njivice) ou des plans d'eau artificiels et des gravières ( par exemple Ponikve, Šoderica Koprivnica, Rakitje, Novo Čiče), utilisés principalement pour les loisirs. "

Voici le résumé de leur recherche:

"Dans quelle mesure les lacs artificiels sont-ils adaptés à l’habitat d’Odonates ? De nombreuses études ont fait état d’un impact négatif des modifications des habitats d’eau douce sur leur biote. Néanmoins, certains lacs artificiels se sont révélés précieux pour la conservation de la biodiversité car ils peuvent abriter de nombreuses espèces. C’est pourquoi nous avons étudié 36 lacs artificiels afin de déterminer dans quelle mesure ils peuvent représenter des habitats appropriés pour les Odonates. Les larves ont été échantillonnées pendant les mois d’été 2016 et 2017. Sur chaque site d’échantillonnage, un total de dix échantillons a été collecté à l’aide d’un filet à main pour le benthos. Un total de 21 espèces d’Odonates a été enregistré. Les assemblages d’Odonates étaient principalement constitués d’espèces communes largement répandues. Cependant, sur le site de réservoir Vlačine, situé dans l’écorégion des Balkans occidentaux dinariques, nous avons également enregistré une des espèces méditerranéennes rares et menacées, Lindenia tetraphylla (Vander Linden, 1825). La végétation aquatique et rivulaire, la fluctuation du niveau d’eau et la concentration d’oxygène dissous ont eu la plus grande influence sur les Odonates, montrant que les lacs artificiels avec une végétation aquatique et une zone rivulaire bien développées, et avec de faibles fluctuations du niveau d’eau, peuvent fournir des habitats appropriés pour diverses espèces d’Odonates. Les Odonates font partie des insectes d’eau douce sensibles largement utilisés comme indicateurs écologiques et comme espèces parapluie. Nos résultats concernant leurs assemblages dans des habitats fortement modifiés et artificiels pourraient donc contribuer aux futures activités de conservation du biote et des habitats d’eau douce."

Les auteurs concluent : "bien que ces plans d'eau artificiels abritent pour la plupart des espèces répandues et communes, dans certains cas, ils fournissent également un habitat convenable à certaines espèces rares et menacées. Les résultats de cette étude pourraient contribuer au développement d'un système de surveillance des masses d'eau artificielles conformément aux exigences de la directive-cadre européenne sur l'eau."

Discussion
Ce travail rejoint des dizaines d'autres recherches en France et en Europe montrant que des habitats aquatiques artificiels — fossés, canaux, biefs, mares, étangs, plans d'eau, lacs — sont colonisés par le vivant et deviennent des enjeux pour préserver le faune et la flore, en particulier en période de changement hydrologique et climatique (voir la recension de 100 travaux récents in CNERH 2020, voir le livre de Lévêque et Bravard dir 2020 sur ce sujet).

Notre association a sollicité voici plus de 2 ans l'Office français de la biodiversité pour une prise en compte de ces enjeux et la mise au point de protocoles de diagnostic avant intervention sur ouvrages hydrauliques. Hélas, l'administration publique française est pour le moment acquise à l'angle fermé de la naturalité et de l'endémisme, ne montrant pas d'intérêt pour les nouveaux écosystèmes créés par l'humain ni pour l'évolution des assemblages du vivant à l'Anthropocène. Les associations de protection de ces sites doivent organiser eux-mêmes des premiers inventaires à fin de sauvegarde et insister auprès des autorités en charge de l'environnement pour que les diagnostics complets des écosystèmes aquatiques humains soient réalisés sans préjugé. 

Référence : Vilenica M et al (2020), How suitable are man-made water bodies as habitats for Odonata?, Knowl Manag Aquat Ecosyst, 421, 13

10/08/2020

Des drains et canaux aussi riches en biodiversité que les rivières en zone alluviale agricole (Gething et Little 2020)

Les Fenlands, dans l'est de l'Angleterre, sont une ancienne zone de marais drainés dès l'époque romaine, mais surtout à partir du 17e siècle. Deux chercheurs anglais montrent que le réseau de plus de 6000 km de canaux de drains y abrite une biodiversité en invertébrés comparable à celle des rivières de la région, malgré l'usage agricole des sols. Ils soulignent que ces milieux anthropisés sont encore trop peu étudiés, alors qu'ils présentent des potentiels de conservation écologique pour les espèces de milieux aquatiques et humides. L'expertise française et européenne doit intégrer dans sa réflexion tous les espaces créés par des usages humains, qui ont été colonisés par le vivant au fil de l'histoire, au lieu de persister dans leur déni ou dans une opposition stérile avec des milieux qui seraient plus "naturels".

Paysage des Fenlands, par Richard Humphrey, CC

Au Royaume-Uni, les Fenlands du Lincolnshire et du Cambridgeshire (les Fens) sont des zones anciennement formées de marais qui se composent désormais de terres agricoles d'importance nationale, entretenues autour de réseaux de fossés, de drains, de canaux et de rivières. En raison de leur importance à la fois pour l'irrigation et l'atténuation des risques d'inondation, les canaux de drainage artificiels sont omniprésents dans le paysage des Fenlands. Ils représentent un linéaire de 6100 km. Mais la biodiversité et la qualité environnementale globale de ces réseaux de drainage sont faiblement documentées.

Kieran J. Gething et Sally Little ont étudié quatre bassins versants (Steeping, Witham, Welland et Nene) dans les Fenlands, qui contiennent tous une rivière "mère", de vastes réseaux de drainage artificiel (drains et fossés ), des enregistrements de données à long terme sur les macro-invertébrés. Pour leur étude, les drains ont été définis comme fossés de plus de 4 m de largeur en débit à pleins bords et humides en continu. Dans les bassins versants sélectionnés, tous les drains avaient plus de 40 ans. Ils étaient gérés avec un contrôle annuel de la végétation, des dragages périodiques et des remblais.

Voici le résumé de leur recherche:

"Les réseaux de drainage artificiels, omniprésents dans les paysages agricoles de plaine en Europe et en Amérique du Nord, présentent une gamme de conditions physiques et chimiques et peuvent fournir un habitat important pour les organismes aquatiques. Les drains partagent des caractéristiques hydromorphologiques avec les rivières lotiques et les fossés lentiques, offrant potentiellement des opportunités pour un large éventail de taxons. Cependant, on en sait peu sur les communautés qu'ils soutiennent. 

Un ensemble de données de 23 ans sur les macroinvertébrés benthiques provenant de quatre bassins versants anglais a été utilisé pour déterminer les contributions des drains à la biodiversité dans un paysage agricole restauré grâce à une comparaison des bassins versants, des drains et des chenaux fluviaux. L'absence de différences significatives dans la diversité gamma et le chevauchement de composition élevé entre les rivières et les drains ont montré que les drains n'étaient pas appauvris et apportaient systématiquement une richesse comparable à celle des rivières. Un chevauchement de composition élevé suggère que les drains de différents bassins versants contribuent de manière comparable à la biodiversité aquatique à l'échelle du paysage. Des différences significatives dans les conditions environnementales (déduites des indices biotiques) entre les bassins versants peuvent avoir augmenté légèrement la diversité gamma du paysage par le biais du renouvellement. Malgré des similitudes dans la composition des communautés, les espèces non indigènes étaient moins abondantes dans les drains. 

Cette étude démontre l'importance des drains pour la fourniture d'habitats dans les bassins versants intensivement cultivés et met en évidence la nécessité d'une recherche ciblée sur leur potentiel de gestion et de conservation."

Ce graphique montre les scores d'invertébrés sur 3 échelles de mesures (BMWP-ASPT = la diversité, LIFE = invertébrés lotiques, PSI : invertébrés en sensibilité au sédiment) sur 13 points de mesure, les rivières marquées par un astérisque, les autres étant des drains.



Les chercheurs observent : "Aucune espèce présentant un intérêt pour la conservation n'a été enregistrée dans cette étude, mais elles peuvent avoir été manquées par le filtre moyen d'identification taxonomique appliqué à l'ensemble de données d'origine. Lorsqu'ils ont mené des enquêtes sur les drains South Drove et North Drove dans le bassin versant de Welland, Hill et al (2016) ont trouvé deux espèces en situation vulnérables pour la conservation (Oulimnius major et Scarodytes halensis), bien qu'en faible abondance. Cette découverte suggère que de tels taxons sont présents dans les drains de la zone d'étude, soulignant davantage l'importance potentielle des drains dans le paysage et la nécessité de poursuivre les recherches pour évaluer le plein potentiel de conservation de ces canaux."

Discussion
Comme le remarquent les auteurs, la directive européenne sur l'eau de 2000 a distingué des masses d'eau naturelles (devant atteindre un bon état écologique) et artificielles (devant avoir un bon potentiel écologique), concentrant l'attention des chercheurs et des gestionnaires sur les premières comme étant la "référence" des eaux de surface. Plus généralement, beaucoup de travaux en écologie de la conservation ont été conçus au 20e siècle comme préservation de milieux non impactés par des usages humains, avec une indifférence relative à ce qui se passait dans des milieux créés par les sociétés. Or depuis une vingtaine d'années, les représentations ont changé. On s'est aperçu par l'archéologie et l'histoire environnementales de l'ancienneté des modifications humaines de milieux, y compris parfois de paysages perçus comme naturels. Ce qui a donné naissance à l'hypothèse Anthropocène pour désigner notre époque géologique et souligner que "la nature" n'y est plus vraiment séparable de facteurs humains d'évolution. Des campagnes de mesure sur des nouveaux biotopes et paysages d'origine artificielle ont révélé que la vie peut aussi y prospérer, donc que leur simple négation comme espace dégradé et banalisé ne serait pas tenable. Hélas, il faut du temps pour que les données changent les représentations et les habitudes. Nous avons en France un urgent besoin de programmes de recherche dédiés à ces milieux (fossés, drains, canaux, biefs, mares, étangs, plans d'eau), qui sont très nombreux mais orphelins d'études systématiques et de réflexion sur de bonnes règles de gestion.

Référence : Gething KJ, Little S (2020), The importance of artificial drains for macroinvertebrate biodiversity in reclaimed agricultural landscapes, Hydrobiologia, 847, 3129–3138

28/07/2020

La Loue victime au premier chef des pollutions, et non des changements morphologiques

Des chercheurs du laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC (Franche-Comté) viennent de publier la synthèse de 8 ans d'études sur la Loue et ses affluents. Nous reproduisons et commentons leurs conclusions, qui imputent les dysfonctionnements écologiques des rivières comtoises en zone karstique aux excès de diverses pollutions, entraînant des proliférations précoces de végétation et des baisses de qualité d'eau. Les ouvrages en travers ne sont pas mentionnés comme cause majeure d'altération des bassins, la morphologie ayant été davantage impactée par les incisions et chenalisations (extraction de matériaux, évacuation de crue). Cela rejoint les conclusions des études de Jean Verneaux réalisées il y a déjà 40 ans, au début du phénomène. Le milieu des pêcheurs se trompe de cible sur la question de la continuité en long: les moulins étaient déjà là de longue date quand la Loue était un spot international réputé pour ses abondances de truites. 




Résumé présenté par les chercheurs 

L’étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants a été réalisée par le laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC, co-financée par la région Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs et l’agence de l’eau.

Les objectifs de ce travail, mené sur la Loue en tant que cours d’eau caractéristique et représentatif des rivières karstiques, étaient de définir l’état de la rivière, d’identifier les contaminants présents et de hiérarchiser leurs impacts.

Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.

1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles

2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires

3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).

4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau

5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).

6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.

7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.

Source

Commentaires
On notera que le bassin de la Haute Loue (jusqu'à la confluence avec la Furieuse) compte 50 ouvrages transversaux, cf bilan du SAGE 2013. Ceux-ci ne sont pas signalés dans l'étude des chercheurs francs-comtois comme faisant obstacle à la présence de salmonidés ou réchauffant les eaux au-delà de la limite de tolérance de ces espèces.

Déjà dans sa thèse célèbre soutenue en 1973 et faisant suite à 10 ans d'observations et mesures sur ces cours d'eau au moment des Trente Glorieuses, l'hydrobiologiste Jean Verneaux ne mentionnait nullement des ruptures de pentes, habitats ou températures comme un facteur de disparition des salmonidés. En revanche, il pontait déjà la disparition des taxons polluo-sensibles. Les travaux conduits sous la direction François Degiorgi et  Pierre-Marie Badot n'isolent pas non plus l'ouvrage transversal comme problème, en tout cas majeur. Les altérations morphologiques notables sont des incisions de lit par extraction de matériaux et chenalisation d'évacuation rapide de crue, des pertes de ripisylves et des bienfaits associés (zones tampon, déchets de bois en lit).

Les rivières comtoises ont été jusque dans les années 1950 des spots très réputés en France et en Europe de pêche à la mouche. Des ouvrages présents depuis un à six siècles n'avaient en rien empêché cette richesse faunistique. On se trompe de combat, on divise les riverains, on dilapide l'argent rare de l'écologie  et on détourne l'attention publique à harceler et démanteler les ouvrages hydrauliques anciens au lieu de traiter les pollutions. Il est bien dommage qu'une partie du lobby pêche agisse en complice de cette impasse, alors que des ouvrages bien gérés sont des facteurs utiles pour la gestion des eaux, surtout en période de changement hydroclimatique et de multiplication des assecs meurtriers pour toute la faune.

Référence disponible : François Degiorgi, Pierre-Marie Badot (2020), Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles.


09/07/2020

Pas d'effet remarquable de petites centrales hydro-électriques sur les invertébrés de Galice (Martinez et al 2020)

Une recherche menée sur 7 cours d'eau de Galice au droit de centrales hydro-électriques trouve la présence de 10 ordres et 116 familles différentes d'invertébrés. Les observations montrent que selon les périodes de l'année, les taxons les plus sensibles se trouvent tantôt à l'amont, à l'aval ou dans le tronçon court-circuité. Ce résultat ne dégage pas d'impact notable des centrales. D'autre recherches ont déjà conclu que les invertébrés n'ont pas de réponse très marquée ni très prévisible aux ouvrages hydrauliques, mais sont en revanche bien plus sensibles aux pollutions.  


Des chercheurs espagnols ont analysé l'évolution des invertébrés en présence de centrales hydro-électriques sur 7 rivières de Galice  : Deva-Pontevedra, Deva-Ourense, Fragoso, Limia, Tea, Tuño et Tambre. Les 6 premières, situées dans le sud de la Galice, correspondent à la zone hydrographique de Miño-Sil, une région caractérisée par des hivers doux et des étés frais, un air humide, des nuages abondants et des précipitations fréquentes tout au long de l'année. Le fleuve Tambre, situé au nord-ouest de la Galice, fait partie de la zone hydrographique de la côte galicienne, caractérisée par un climat chaud et humide et des zones où les précipitations sont très abondantes.

Voici le résumé de leur recherche :

"Malgré l'importance fondamentale de l'énergie hydroélectrique pour le développement socio-économique, la présence de centrales hydroélectriques entraîne des modifications à grande échelle du régime d'écoulement naturel des rivières et influence profondément les processus aquatiques et la biodiversité. Cette étude évalue l'impact saisonnier des petites centrales hydroélectriques en analysant et en mesurant la composition des communautés de macro-invertébrés. 

Nos objectifs étaient (1) d'examiner si l'abondance et la richesse des macro-invertébrés benthiques varient en fonction des altérations de la rivière, (2) d'identifier les familles de macro-invertébrés les plus sensibles à l'extraction d'eau par impact d'une centrale hydroélectrique, et (3) de déterminer s'il existe une composante saisonnière dans la régulation des rivières qui influe sur les communautés de macro-invertébrés. 

Un échantillon de 167 848 individus a été prélevé sur 6 embranchements différents et 10 ordres d'Arthropodes, représentant 116 familles de macro-invertébrés, dont la distribution et l'abondance dépendaient de la rivière, du moment et du site d'échantillonnage. Les éphéméroptères, les diptères, les trichoptères, les coléoptères et les plécoptères étaient les ordres les plus représentatifs à toutes les saisons de l'année, et possédaient également les familles les plus abondantes (Baetidae, Caenidae, Chironomidae et Simuliidae). 

Les taxons les plus abondants n'ont pas connu de grandes variations en automne et en hiver, mais les variations étaient importantes au printemps et en été. Nos résultats indiquent des différences dans l'abondance et la richesse des macro-invertébrés dans les systèmes aquatiques impactés par les centrales hydroélectriques et un processus de rétablissement en aval, où le niveau de l'eau et les habitats ne sont pas affectés négativement par ces centrales."

Ce schéma montre les 3 points d'échantillonnage à chaque station : contrôle dans une zone amont non impactée (1), analyse du tronçon court-circuité par le barrage (2) et zone aval de l'eau restituée (3).


Extrait de Martinez et al 2020, art cit.

Ce graphique montre la présence des taxons les plus sensibles à quatre saisons, selon la zone d'échantillonnage (gris foncé le contrôle amont, gris clair le tronçon du barrage, gris moyen l'aval du canal de restitution).


Extrait de Martinez et al 2020, art cit.

On voit des variations, mais sans unité au long de l'année, avec des taxons sensibles pouvant être plus abondant dans les différentes zones selon la période.

Les chercheurs notent : "Dans notre étude, les variations d'abondance des familles les plus sensibles semblent suivre un schéma spécifique, les distributions ne changeant qu'en fonction de la saison où elles ont été échantillonnées. Les tronçons moyens et inférieurs des rivières abritaient généralement des taxons plus tolérants aux perturbations environnementales (Rosenberg & Resh 1993, Benítez-Mora & Camargo 2014), ce qui coïncide avec les résultats de l'automne (Fig. 4) où les résultats montrent un faible pourcentage de familles sensibles en allant vers la restitution. En revanche, en hiver et au printemps, les valeurs les plus élevées pour les familles sensibles ont été enregistrées en aval des centrales hydroélectriques. Certains auteurs (Anderson et al., 2015 ; Feld et al., 2014) suggèrent que ces phénomènes peuvent être dus à une diversité accrue des habitats associée à des altérations anthropiques, en raison de la fourniture d'habitat, d'espace, de nourriture et de protection affectant la distribution et l'abondance des invertébrés lotiques (Álvarez-Troncoso et al 2015). En revanche, en été, les familles sensibles se trouvaient principalement dans la partie centrale des rivières, ce qui corrobore l'étude de Buss et al (2004), qui indique que, lors de l'échantillonnage en été, en raison du gradient du débit, l'abondance et la diversité des familles étaient plus élevées dans les zones plus proches du barrage que dans les autres zones. Cela peut s'expliquer par le fait que dans certaines zones en amont, les communautés sont trop proches du barrage pour être caractérisées par des conditions lentiques plutôt que lotiques, ce qui donne de nombreuses options différentes pour les microhabitats et la diversité. L'aval est différent et certaines études (Lobera et al 2015 & Lobera et al  2016 ;) ont fait remarquer qu'il y a un effet de charges sédimentaires élevées et des débits moins recruteurs, entraînant une accumulation de sédiments fins ; cette aggradation réduit la richesse en taxons, la diversité et la densité des macroinvertébrés, et seules les espèces tolérantes aux sédiments peuvent augmenter."

Enfin, les auteurs notent à propos de l'analyse statistique des indices de diversité locale entre saisons et entre sites de mesure : "En termes de valeurs de dissimilarité (tableau 1), la proportion de familles plus sensibles n'a atteint que 51% du total. En hiver, au printemps et en été, il y a eu une augmentation constante de ces communautés de l'amont à l'aval, tandis que l'inverse s'est produit en automne. En général, il n'y avait pas suffisamment de preuves pour déterminer que les petites centrales hydroélectriques affectaient négativement les communautés de macro-invertébrés les plus sensibles. L'analyse de l'impact possible des saisons ou des sites a révélé des différences dans la composition des communautés de macro-invertébrés et montre une grande variabilité au sein des groupes. L'impact possible des centrales hydroélectriques sur les communautés de macro-invertébrés n'était pas concluant".

Discussion
Les recherches sur les invertébrés en lien avec les petits ouvrages hydrauliques sont rares, et donnent toujours des résultats contrastés, difficiles à interpréter (voir la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015). De plus, les habitats concernés peuvent être différents, une usine hydro-électrique en activité n'étant pas un moulin sans production, un plan d'eau ou un étang (voir par exemple Four el 2019 sur le cas d'un étang). Une étude française a montré que les invertébrés répondent bien moins à la morphologie qu'à la pollution (Corneil et al 2018).

Cette recherche espagnole confirme la complexité d'interprétation des résultats. Si une écologie spécialisée discerne des variations locales intéressantes, on ne peut dire que l'abondance des taxons et la variation de leur répartition au fil de l'an témoignent d'un impact très grave sur la biodiversité des invertébrés au droit des petites centrales hydro-électriques. Cela pose à nouveau selon nous la nécessité d'une meilleure communication des résultats de recherche en écologie, afin de hiérarchiser les impacts et les interventions. En soi, toutes les activités humaines modifient des peuplements locaux, mais les citoyens et les décideurs ont besoin d'estimer l'importance relative des impacts.

Référence :Martinez Y et al (2020), Impact of small-scale hydropower stations on macroinvertebrate communities for regulated rivers, Limnetica, 39, 1, 317-334

21/08/2019

Une rivière de tête de bassin en déficit d'espèces lentiques (Seddon et al 2019)

Une étude anglaise a recherché ce que pouvait être les "conditions de référence écologiques" d'une petite rivière de tête de bassin au 19e siècle, par des carottages sédimentaires et des études des anciens invertébrés. Elle trouve une plus grande diversité d'espèces voici 150 ans, mais surtout davantage d'espèces lentiques, habituées des eaux calmes ou stagnantes. La cause en serait des tracés jadis plus sinueux, moins incisés, avec des zones humides annexes avant drainage et calibrage. Il y aurait donc ici un déséquilibre en défaveur d'espèces lentiques aujourd'hui... soit le contraire de ce qui est souvent entendu dans les choix de rivière de tête de bassin, où certains se plaignent  des zones calmes de retenues et de canaux "pas naturels". En fait, la discontinuité latérale confirme dans cette étude son impact souvent plus marqué sur la biodiversité aquatique locale que la discontinuité longitudinale. Mais de toute façon, l'état d'une rivière au 19e siècle peut-il être une "référence" et un objectif alors que cet état était déjà modifié et que le vivant a évolué de manière continue pendant 3 millénaires? Cette "référence" supposée devrait-elle concerner tout le lit de la source à l'exutoire, ou doit-on accepter que les actions humaines changent des stations et des tronçons, donc que co-existent divers habitats à divers degrés d'anthropisation? On a besoin de débats sur ces questions, car les citoyens doivent trouver du sens à l'action publique et à ses coûts. 

A quoi ressemblaient les rivières et leurs populations biologiques dans le passé, quand il y avait moins d'interventions humaines? Peut-on faire de ce passé la "référence" d'un état à retrouver dans le futur? Avec ces questions à l'esprit, Emma Seddon et ses collègues ont analysé la rivière Hull, cours d'eau septentrional du Royaume-Uni situé en zone sédimentaire (calcaire). La rivière prend sa source près de la ville de Driffield, sa zone amont comprenant plusieurs petits affluents, dont Eastburn Beck, principal site d'étude de cette recherche. Les sols entourant Eastburn Beck sont principalement composées de terres agricoles arables et pastorales depuis les années 1850. Le système est considérée comme typique des rivières de bassin sédimentaire au Royaume-Uni, avec des concentrations élevées en nutriments et en oxygène, des eaux claires, des niveaux variables en fonction des saisons (débits élevés en hiver et étiages en automne).

Cette carte montre le tracé de la rivière Hull et son évolution entre le parcours ancien (pointillés), au milieu du XIXe siècle, et le parcours actuel (trait plein). Le recalibrage vers un tracé rectiligne (rectification) est l'évolution la plus manifeste.


Extrait de Seddon et al 2019, art cit.

Voici le résumé de la recherche des universitaires anglais :

"La définition des conditions de référence est un élément crucial pour quantifier l'étendue de la modification anthropique et pour identifier les objectifs de restauration dans les écosystèmes de rivière. Bien que les approches paléo-écologiques soient largement appliquées dans les lacs pour établir des conditions de référence, leur utilisation dans les écosystèmes lotiques reste limitée. 

Dans cette étude, nous examinons les scores de biodiversité et de biosurveillance macro-invertébrés contemporains, historiques (1930 et 1972) et paléo-écologiques à Eastburn Beck, un affluent en amont de la rivière Hull (Royaume-Uni), afin de déterminer si les approches paléo-écologiques peuvent être utilisées pour caractériser les conditions de référence d'un système lotique. Les échantillons paléo-écologiques comprenaient une plus grande diversité gamma (18 taxons) que les échantillons contemporains (8 taxons), des échantillons prélevés en 1972 (11 taxons) et en 1930 (8 taxons). Les échantillons paléo-écologiques comprenaient davantage de communautés différentes de Gastropodes, Trichoptères et Coléoptères (GTC) sur le plan taxonomique par rapport à des échantillons contemporains et historiques (1930 et 1972). Les résultats des indices de biosurveillance utilisant la communauté GTC ont indiqué que le paléochenal avait (a) une qualité biologique similaire pour les invertébrés, (b) un régime d'écoulement moins énergétique et (c) une augmentation des dépôts de sédiments fins par rapport au chenal contemporain. 

Les résultats montrent clairement que les données paléo-écologiques peuvent fournir une méthode appropriée pour caractériser les conditions de référence des habitats lotiques. Cependant, il est important de reconnaître que les données fauniques provenant des gisements de paléochenaux fournissent un 'instantané' à court terme des conditions dans le fleuve immédiatement avant son isolement hydrologique. Les activités de restauration des rivières devraient donc s’appuyer sur de multiples sources de données, y compris des informations paléo-écologiques lorsque cela est possible, pour caractériser une gamme de conditions de référence reflétant la nature hautement dynamique des écosystèmes lotiques."

Les échantillons paléo-écologiques de restes d'invertébrés pré-fossiles ont été obtenus via la collecte de quatre carottes de sédiments provenant de paléo-chenaux identifiés sur les cartes d'arpentage de 1849, chenaux qui étaient alors toujours présents dans la plaine d'inondation adjacente du ruisseau.

Ce graphique montre les "boites à moustaches" de la répartition de la richesse en Gastropodes, Trichoptères et Coléoptères à différentes époques (à noter qu'on ne peut pas garantir à plus de 95% une perte brute de richesse taxonomique).


Extrait de Seddon et al 2019, art cit.

Sur l'évolution de la composition, les chercheurs notent plus précisément :

"À l'échelle gamma (paysage), la diversité des macro-invertébrés était nettement plus élevée dans les échantillons paléo-écologiques fluviaux que dans les échantillons contemporains. Les différences de diversité gamma ont probablement été provoquées par d'importantes modifications de l'habitat dans les eaux d'amont de la rivière Hull au 19e siècle, résultant du recalibrage du lit de la rivière et donc de l'isolement du paléochenal. Les eaux amont précédemment sinueuses ont été remblayées et canalisées pendant les années 1850, créant un chenal de lit de gravier en grande partie uniforme, droit et surincisé (à 2 m sous la plaine inondable) pendant la majeure partie de son cours (Environment Agency  2003). La modification de l'habitat dans les sources des cours d'eau du Royaume-Uni s'est traduite par des conditions d'écoulement plus homogènes (débit rapide), la déconnexion du principal chenal de la plaine inondable, la perte de la plupart des habitats de retenue et une réduction de la complexité de l'habitat (Collins et al 2011).

Du fait de la simplification de l'habitat, la communauté macro-invertébrée contemporaine était presque exclusivement composée de taxa rhéophes, adaptés aux grandes vitesses d'écoulement, alors que la communauté paléo-écologique contenait un mélange de taxons adaptés aux faibles vitesses à faible énergie (limnophile) et forte énergie d'écoulement (rhéophiles). En outre, l'examen de la carte topographique de 1849 indiquait que les zones humides riveraines, qui existaient auparavant, ont été perdues du fait de la réduction de la connectivité hydrologique entre la rivière et la plaine inondable, conséquence directe de la gestion du chenal et du drainage des terres."

Discussion 
Cette étude permet d'observer qu'a contrario de la tendance française à considérer systématiquement les espèces d'eaux vives (lotiques) comme la référence des rivières de têtes de bassin, c'est aussi bien le déficit d'espèce d'eaux calmes ou stagnantes (lentiques) qui peut caractériser l'évolution biologique sur 150 ans, quand elle est analysée sérieusement. Ce déficit provient de la discontinuité latérale ayant entraîné la disparition des annexes hydrauliques du lit principal, les débordements du lit majeur lors des crues et les zones humides. Nous sommes donc loin en ce cas des priorités de programmes et de financements assez simplistes qui ont insisté pour l'essentiel depuis 10 ans sur la nécessité de restaurer des cours lotiques en traitant la continuité longitudinale en priorité. A dire vrai, la cause de cette déviation des politiques françaises de morphologie de rivière a un suspect bien connu : le lobby des pêcheurs de salmonidés (truite, ombre, saumon) qui s'intéressent presque exclusivement aux conditions optimales de certaines espèces de poissons, et qui exigent des choix prioritaires sur celles-ci. Parfois au détriment d'autres habitats (retenues, biefs, zones humide latérales) qui se sont installés sur la rivière au fil de l'histoire, offrant des fonctionnalités plus adaptées aux espèces lentiques. Il conviendrait aussi d'examiner en détail sur quelle "référence" un indice de qualité comme l'I2M2 a été étalonné.

Mais à dire vrai, et sur le fond de cette étude, on ne se satisfera pas pour autant de la démarche d'Emma Seddon et ses collègues. Car la question venant immédiatement à l'esprit en lisant leur travail est : pourquoi considérer que l'état de l'eau et du vivant au 19e siècle serait une "référence" pour l'action humaine au 21e siècle?

Des chercheurs ont montré que sur des cours d'eau à faible énergie, les profils des berges et des lits ont en réalité changé de manière continue pendant au moins 3000 ans, et que le style méandriforme de la fin du Moyen Âe est déjà le résultat d'action anthropique et d'évolution naturelle post-glaciaire (Lespez et al 2015, Brown et al 2018). Cette dimension perpétuellement dynamique du vivent, dont on ne voit pas pourquoi elle s'arrêterait au cours de ce siècle et dans ceux à venir, pose donc de manière plus radicale et fondamentale la question de la rigueur scientifique de l'idée d'un état de référence (Bouleau et Pont 2014, 2015), mais aussi la question des préjugés davantage politiques que scientifiques concourant à élaborer des politiques publiques et des bilans de ces politiques publiques (par exemple Depoilly et Dufour 2015, Dufour et al 2017), bilan dont la rigueur est loin d'être au rendez-vous (Morandi et al 2014).

Autre question posée : pourquoi une rivière devrait-elle être reproduite à l'identique d'un modèle du 19e siècle sur tout son cours, alors que l'on peut très bien avoir des stations et tronçons préservés d'actions récentes et/ou renaturés (s'il y a  demande sociale ou services rendus), d'autres qui sont anthropisés à divers degrés, l'ensemble présentant a priori une diversité intéressante de peuplements, de fonctions, de styles fluviaux et de paysages?

Ces questions ne sont pas posées aujourd'hui dans la politique des rivières, où l'on préfère répéter des mantras assez simplistes venant de décideurs et financeurs publics. On les posera pourtant encore et toujours, car les riverains doivent comprendre et valider le sens des options qui leur sont proposées, en particulier quand les options impliquent des coûts et des contraintes.

Référence : Seddon E et al (2019), The use of palaeoecological and contemporary macroinvertebrate community data to characterize riverine reference conditions, River Res Applic. doi.org/10.1002/rra.3490

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Les effets complexes d'un étang sur la qualité de l'eau et les invertébrés en tête de bassin (Four et al 2019) 
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07/04/2019

Les effets complexes d'un étang sur la qualité de l'eau et les invertébrés en tête de bassin (Four et al 2019)

En comparant deux petites rivières mosellanes en tête du bassin de la Sarre, l'une avec étang piscicole datant du Moyen Âge et l'autre sans, six chercheurs ont étudié certains effets de la présence d'un plan d'eau. Leurs travaux montrent que les populations de macro-invertébrés à l'amont ne sont pas significativement modifiées par la présence de l'ouvrage et de sa retenue. A l'aval, la biomasse des invertébrés est trois fois plus forte quand un étang est présent, surtout parce que des gammaridés en profitent. La présence de l'étang modifie le cycle des nutriments et des réseaux trophiques, pouvant contribuer à détoxifier l'eau. Elle change aussi, dans un sens favorable, la disponibilité de l'eau à l'étiage dans ces têtes de bassin où les assecs sont fréquents. Les chercheurs proposent donc aux gestionnaires d'engager des études écologiques approfondies quand il s'agit de faire des choix sur les ouvrages, leurs plans d'eau et leurs services écosystémiques.


Si les ouvrages et plans d'eau ont acquis une mauvaise réputation à la suite de la directive-cadre sur l'eau de l'Union européenne (DCE 2000), qui a valorisé un "état de référence" idéal de la rivière sans aucune altération morphologique des conditions naturelles d'écoulement, ils rendent de nombreux services écosystémiques et leur bilan réel a finalement été très peu étudié par rapport à celui des systèmes lotiques.

Brian Four et ses cinq collègues (université de Lorraine, Université de lausanne, INRA) remarquant ainsi en introduction de leurs travaux.
"Les étangs piscicoles, créés par la construction d'un barrage sur des cours d'eau peu importants et utilisés pour la production de poisson, sont des agro-écosystèmes très répandus sur la Terre (Oertli & Frossard 2013). Ces plans d'eau artificiels sont généralement considérés comme des facteurs de modification des cours d’eau (directive-cadre sur l’eau: DCE, Union européenne, 2000). Par conséquent, ils sont fortement critiqués et leur élimination est favorisée par la DCE car ils peuvent entraîner des altérations hydromorphologiques, chimiques et écologiques dans les cours d'eau perturbant le continuum phyico-chimique et écologique naturel (par exemple, Bunn & Arthington 2002; Elosegi & Sabater 2013; Gonzalez et al 2013; Four et al 2017a, b). Cependant, ces modifications peuvent être profondément influencées par le mode de gestion des étangs piscicoles. Parmi elles, le degré d’intensification du système (par exemple la densité du poisson et/ou l’utilisation d’engrais/de nourriture) ou la gestion du barrage sont des pratiques qui peuvent fortement influer l’effet des étangs sur les eaux réceptrices (par exemple, Banas et al 2002; Gaillard et al 2016a; Four et al 2017b). Ces systèmes sont connus pour fournir de multiples services écosystémiques (Evaluation du Millénaire, 2005; Aubin et al 2014; Mathé et Rey-Valette 2015), tels que la production de poisson et le niveau élevé de diversité alpha dans l'environnement et autour de l'écosystème aquatique (augmentation de la richesse en espèces de plantes et d'oiseaux; Pinet et Hélan 2015; Convention de Ramsar 1971). De plus, lorsqu'ils sont gérés de manière extensive (sans utiliser d'engrais et / ou de nourriture) dans le paysage agricole, certaines études ont montré que la présence de ces agro-écosystèmes le long des cours d'eau pouvait également favoriser une diminution des teneurs en matières en suspension, en pesticides et en éléments nutritifs du coeurs d'eau à l'aval (Banas et al 2002; Gaillard et al 2016a,  b)."
Comme il a été démontré que les étangs ont des effets variables sur les rivières, il apparaît essentiel aux auteurs de "mieux évaluer les différentes modifications possibles avant de tirer des conclusions pertinentes en ce qui concerne leur gestion". D'autant que comme ils l'observent, "de manière surprenante, seules quelques études ont étudié les modifications de la matière organique (MO) causées par les agro-écosystèmes, en particulier par les barrages des plans d'eau piscicoles dans les petits cours d’eau".

Les chercheurs ont étudié deux rivières intermittentes en premier ordre de Strahler dans la tête de bassin de la Sarre. Très proches et donc dans la même hydro-éco-région, une rivière était dotée d'un étang piscicole sur son lit mineur (superficie de 4,7 ha, datant du Moyen Age) et l'autre non. Les usages des sols sur leurs bassins étaient comparables. L'étang était géré pour une production piscicole en polyculture (carpe, brochet, perche, gardon). Deux points d'étude ont été déterminés à l'amont et à l'aval des cours d'eau, dans un cas avec l'étang au milieu et dans l'autre en condition lotique de référence.

Les chercheurs ont notamment analysé sur chaque système :
  • l'abondance et la diversité des macro-invertébrés
  • la composition de ressources alimentaires et des réseaux trophiques
Parmi leurs principaux résultats :
  • 8077 individus de 56 taxons ont été répertoriés au total,
  • l'amont de la rivière libre et l'amont de la rivière discontinue ne montrent pas de différences significatives,
  • seul l'aval de l'étang piscicole a montré des différences significatives, avec notamment une densité d'invertébrés (8198/m2) trois fois supérieure aux autres sites,
  • l'aval de l'étang était dominé par des déchiqueteurs crevettes (Gammaridae) plutôt que des déchiqueteurs insectes,
  • les niveaux isotopiques d'azote et carbone montraient des variations, ainsi que les niches trophiques des invertébrés en particulier à l'aval de l'étang pour les sources autotrophes (biofilm et algues combinés), pour les matières organiques transférées (SOM) et pour les copépodes (appauvris en carbone 13 par rapport aux autres sites).
Ce tableau (cliquer pour agrandir) montre notamment les différentes mesures entre amont et aval de la rivière sans ouvrage (UR, DR) et de la rivière avec ouvrage (UF, DF).

Extrait de Four et al 2019, art cit.

Les chercheurs sont amenés à souligner la nécessité de relativiser l'impact de la discontinuité écologique selon le contexte de chaque rivière et ouvrage :
"En conclusion, nous avons montré que des études de ce type peuvent accroître la connaissance des impacts des étangs sur le fonctionnement des cours d’eau. Certes, les étangs piscicoles sont connus pour nuire à la continuité écologique des cours d'eau mais, lorsqu'ils sont établis dans des cours d'eau temporaires, leur impact peut ne pas être très significatif dans les affluents temporaires en amont. En fait, nous avons montré que les étangs piscicoles ne modifieraient peut-être pas radicalement les communautés de macro-invertébrés en amont, soulignant que dans les écosystèmes lotiques temporaires, la continuité des flux écologiques semble avoir une importance limitée en ce qui concerne la restauration du réseau trophique basal (les communautés de macro-invertébrés) en raison des schémas de dispersion aérienne des taxons dominants (Acuna et al 2005), ou de la colonisation limitée d’organismes provenant de l’étang. Cette étude a mis en évidence que la qualité de ces écosystèmes (pour favoriser la colonisation et la survie de ces taxons adaptés) et la densité des cours d'eau temporaires d'un même bassin hydrographique (pour faciliter la colonisation croisée d'insectes) sont plus importantes que la présence d'étangs pour préserver le fonctionnemment de cours d'eau amont. D'autre part, notre étude a montré que les étangs piscicoles entraînaient des modifications substantielles de la dynamique trophique dans les tronçons en aval. Étant donné que les étangs se trouvent généralement dans des bassins hydrographiques altérés par des activités humaines telles que les pratiques agricoles (Four et al 2017a) et qu'ils favorisent les densités de macroinvertébrés (en particulier celle de Gammarus pulex) dans les eaux, la présence d'étangs sur de petits cours d'eau pourrait augmenter la consommation allochtone et autochtone de matière organique dans les cours d'eau. En conséquence, cela pourrait faciliter l'immobilisation et la dégradation d'au moins une partie du surplus de matière organique produit dans les étangs  et/ou dans le bassin hydrographique en les intégrant dans les réseaux trophiques. En outre, cela pourrait également favoriser la détoxification dans le flux des polluants agricoles avec leur adsorption sur la matière organique transférée et un métabolisme intensifié au niveau de l'écosystème (Gan et al 2004; Hameed et al 2011). Cette étude s'ajoute aux résultats antérieurs montrant que les étangs à poissons peuvent favoriser la réduction des pesticides dans les cours d'eau en augmentant l'adsorption et la dégradation des pesticides (Gaillard et al 2016a, b)." 
Discussion
Les chercheurs ayant étudié les rivières avec et sans étang du bassin de la Sarre concluent à l'intention des gestionnaires par la nécessité d'une analyse fine de chaque situation en matière de gestion écologique des milieux aquatiques et d'évaluation de services écosystémiques.

Comme ils le disent aussi dans leur conclusion :
"Compte tenu de la complexité des effets des activités anthropiques (barrages, étangs, pratiques agricoles et pratiques connexes dans les bassins hydrographiques) sur les processus écologiques des cours d’eau et la qualité de leur eau à plus grande échelle, il serait pertinent d’intégrer le spectre des services écosystémiques (Tibi et Therond 2017) fournies par les étangs piscicoles dans les décisions de gestion, en particulier dans les zones d'activités agricoles intensives. Pour cela, généraliser ce type d’études intégrant le changement de communauté (par exemple, le changement de biomasse des différents groupes alimentaires fonctionnels de la communauté), le changement des niches trophiques (par exemple, les assimilations) et le changement de diversité fonctionnelle (basé sur des métriques pondérées par la densité des communautés) est crucial pour mieux comprendre nos conclusions et pour aider les décideurs à mieux prendre en compte la complexité des activités humaines dans les bassins hydrographiques, finalement pour promouvoir les services des écosystèmes aquatiques".
Qu'il s'agisse de la mise en oeuvre de la directive-cadre européenne sur l'eau de 2000 ou de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, la question de la bonne information écologique pour éclairer les décisions publiques est ainsi de première importance.

Faute de moyens associés à la programmation publique, les gestionnaires ont eu parfois tendance à partir d'orientations un peu simplistes, comme le fait qu'un état de référence "plus proche d'un milieu naturel" serait toujours une bonne chose. Mais les rivières européennes ne sont pas dans une situation "naturelle" depuis longtemps, elles subissent diverses pressions à effets additifs, synergiques ou antagonistes (devant donc être évaluées in situ), elles ont été modifiées dans leurs peuplements (y compris des exotiques et invasives reposant la question de la valeur de fragmentation), elles hébergent divers écosystèmes artificiels plus ou moins anciens. On ne peut donc se fier simplement à une biodiversité ou une fonctionnalité "de référence" pour faire des choix éclairés.

Pareillement, la politique française de continuité écologique est issue d'une trajectoire particulière et ancienne, d'abord centrée sur des enjeux halieutiques, ayant commencé avec la loi échelle à poisson 1865. Elle a été greffée sur le tard à la politique de gestion des rivières définie par la DCE 2000, mais en même temps se sont superposés d'autres enjeux d'écologie et de développement durable : protection de zones humides, gestion des inondations et assecs, problème des charges toxiques en intrants agricoles et rejets domestiques, prélèvements locaux en eau, hydro-électricité et changement climatique, usages récréatifs et paysagers des rivières aménagées, patrimonialisation de certains héritages techniques et industriels, prise en compte des services écosystémiques, etc.

Seule l'étude approfondie des ouvrages hydrauliques, de leurs biodiversités, de leurs fonctionnalités et des services écosysémiques associés à leurs usages permettra de nourrir une politique publique bien informée à leur sujet. Nous en sommes encore loin.

Référence : Four B et al (2019), Using stable isotope approach to quantify pond dam impacts on isotopic niches and assimilation of resources by invertebrates in temporary streams: a case study, Hydrobiologia, 834, 1, 163–181.

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Notre demande aux gestionnaires
Pour une étude de la biodiversité et des fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes