30/08/2016

Concilier continuité écologique et existence des moulins: le Ministère pratique toujours la langue de bois

Le Ministère de l'Environnement a répondu (par copier-coller) à une dizaine de nouvelles interpellations des sénateurs sur la destruction des moulins au nom de la continuité écologique. On note une prise en compte timide du patrimoine, avec appel à concilier l'existence des moulins et la restauration de continuité écologique. Mais cette concession est purement formelle: la prose ministérielle reste emplie de nombreuses approximations, voire contre-vérités. Analyse de texte.



La réponse du Ministère peut par exemple être consultée à cette adresse. Elle est reproduite ci-dessous avec commentaires.

"La continuité écologique des cours d'eau constitue l'un des objectifs fixés par la directive Cadre sur l'eau. Elle est indispensable à la circulation des espèces mais également des sédiments." 

La DCE 2000 se contente de signaler la "continuité de la rivière" dans son annexe V comme un des "éléments de qualité pour la classification de l'état écologique". L'absence de discontinuités d'origine anthropique y est désignée (1.2.1. Définitions normatives des états écologiques "très bon", "bon" et "moyen") comme une condition du "très bon état", et non du "bon état" qui est l'objectif recherché en priorité pour 100% des masses d'eau (nous en sommes loin en France).  L'essentiel de la directive européenne est orienté sur la lutte contre les pollutions (mot cité 66 fois dans le texte contre 4 seulement pour la continuité), domaine où la France accuse divers retards (tant dans la mesure des pollutions chimiques que dans leur réduction). On cache donc aux parlementaire le message essentiel: les moyens humains, matériels et financiers dédiés à la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros pour le programme d'intervention en cours des Agences de l'eau) ne répondent pas aux enjeux prioritaires de la DCE 2000 vis-à-vis desquels la France risque des amendes en 2027, vu le retard déjà accumulé sur les objectifs de cette directive comme sur d'autres (nitrates, eaux résiduaires urbaines, pesticides). Atteignons déjà le bon état écologique et chimique tel qu'il est défini par des indicateurs de qualité posés avec nos partenaires européens, nous verrons ensuite l'opportunité d'améliorer localement les conditions de milieu de certaines espèces de poissons ou d'insectes (voir cet article sur ce que demande et ne demande pas l'Europe).

"La conciliation entre ce principe et l'existence de moulins, dont l'aspect patrimonial de certains est indéniable, est cependant un autre objectif à atteindre."

C'est une nouveauté dans le discours du Ministère. Mais on voit déjà pointer un motif de futures interprétations arbitraires: affirmer que l'aspect patrimonial de la plupart des moulins n'existe pas, pour n'en conserver que quelques-uns en "vitrine" sur chaque rivière. Il faut inverser plus clairement les priorités normatives et leurs effets réglementaires : la préservation des moulins et de leurs organes hydrauliques comme éléments d'histoire, de paysage et de gestion de la rivière doit devenir le choix de première intention sur les cours d'eau de notre pays, leur destruction restant l'exception, pour des raisons motivées.

"Ainsi, afin de pouvoir appréhender au mieux la situation actuelle, l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a établi un inventaire des obstacles à l'écoulement de toutes sortes (barrages, buses, radiers de pont, etc.). Celui-ci recense plus de 80 000 obstacles. Parmi ceux-ci, un premier ordre de grandeur de 18 000 obstacles dont le nom contient le mot « moulin » peut être tiré. Moins de 6 000 d'entre eux se situent sur des cours d'eau où s'impose une obligation de restauration de la continuité écologique. Enfin, une partie d'entre eux sont de fait partiellement ou totalement détruits et d'autres sont déjà aménagés d'une passe-à-poissons ou correctement gérés et ne nécessitent pas d'aménagement supplémentaire."

Cette comptabilité approximative ("dont le nom contient moulin") est navrante : cela fait 10 ans que l'Onema travaille au ROE et l'on n'est toujours pas capable de définir clairement les ouvrages référencés selon les catégories désignées lors de l'étude de terrain (seuils, barrages, ponts, buses, écluses, etc.). Alors que le nombre des moulins français est estimé entre 50.000 et 80.000 (plus de 100.000 à leur extension maximale au XIXe siècle), il n'y en aurait plus que 18.000 dans cette nouvelle estimation totalement floue. Par ailleurs, cet argument est de mauvaise foi : tous les riverains constatent que les mesures de continuité écologique s'acharnent au premier chef sur les seuils et barrages de moulins, usines à eau ou étangs, et la disparition du paysage de plan d'eau permis par ces ouvrages est l'un des premiers motifs de désarroi des citoyens. Enfin, quelle proportion de moulins au juste a reçu un courrier du service instructeur DDT-Onema affirmant qu'il n'y a aucune mise en conformité à prévoir?  Le Ministère continue son déni et son maquillage de la situation réelle sur le terrain.

"Ainsi, il apparait important d'indiquer que la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins. En effet, cette politique se fonde systématiquement sur une étude au cas par cas de toutes les solutions envisageables sur la base d'une analyse des différents enjeux concernés incluant l'usage qui est fait des ouvrages voire leur éventuelle dimension patrimoniale. Cette approche correspond à l'esprit des textes règlementaires sur le sujet, aucun n'ayant jamais prôné la destruction des seuils de moulins."

Ce que ne précise pas le Ministère aux parlementaires : les études de continuité écologique ne mobilisent quasiment jamais les compétences d'historiens susceptibles de donner un avis éclairé sur le patrimoine ; la solution d'effacement est ouvertement favorisée dans les circulaires de 2010 et de 2013 de la direction de l'eau et de la biodiversité ; les Agences de l'eau financent très généreusement les destructions (80 à 100%) mais beaucoup plus difficilement les solutions non destructrices, donc les propriétaires, exploitants, collectivités se retrouvent face à des travaux à coût pharaonique, dont ils ne peuvent payer le restant dû s'ils choisissent autre chose que la destruction totale ou partielle du bien (voir cet article sur les pratiques réelles, cet article sur la priorité à la destruction donnée par l'administration).

"Pour atteindre le bon état écologique et respecter les engagements de la France en matière de restauration des populations de poissons amphihalins vivant alternativement en eau douce et en eau salée, tels que le saumon, l'anguille ou l'alose, il est indispensable de mettre en œuvre des solutions de réduction des effets du cumul des ouvrages sur un même linéaire. C'est pourquoi, la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau se fonde également sur la nécessité de supprimer certains ouvrages, particulièrement ceux qui sont inutiles et/ou abandonnés. Ce point ne concerne ni ne vise spécifiquement les seuils de moulins."

Le Ministère parle des migrateurs "amphihalins" : il oublie de signaler aux parlementaires que l'on détruit aussi bien des ouvrages pour la truite, le chabot, la lamproie de Planer, la vandoise, le brochet et autres espèces qui ne pratiquent nullement des migrations à longue distance entre deux milieux comme les saumons ou les anguilles, voire qui sont assez sédentaires car dépourvues de capacité importante de nage à contre-courant ou de saut (voir cet article sur l'habitude de ce genre de manipulation des parlementaires, à qui on parle saumons et esturgeons quand sur le terrain le discours est tout autre). L'interprétation locale de la continuité est souvent intégriste (renaturer de l'habitat, et non rétablir une fonctionnalité ; faire franchir toutes les espèces, et non des amphihalins menacés). Et cet intégrisme est couvert par les services instructeurs de l'Etat, quand il n'est pas encouragé par l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema. Par ailleurs, cette réponse ministérielle revient à la notion d'ouvrage "inutile" ou "abandonné" qui peut être détruit. Qui va décréter l'inutilité d'un ouvrage? Comment ne pas voir que ces arguties sont des sources de futurs contentieux?  (Voir cet article sur la notion problématique de moulin "sans usage"). Même quand les enquêtes publiques concluent à un avis défavorable à l'effacement suite notamment à la mobilisation des riverains (cas de l'Orge ou de l'Armançon cette année), les services de l'Etat passent en force et édictent des arrêtés pour démanteler malgré tout.



"Compte tenu des nombreuses réactions, notamment des fédérations de propriétaires de moulins et d'élus, dues surtout à des incompréhensions de cette politique, une instruction a été donnée le 9 décembre 2015 aux préfets afin qu'ils ne concentrent pas leurs efforts sur ces ouvrages chargés de cette dimension patrimoniale. Cette instruction les invite également à prendre des initiatives pédagogiques à partir des multiples situations de rétablissement de la continuité réalisées à la satisfaction de tous, y compris sur les moulins."

Huit effacements programmés en Nord Bourgogne à cet étiage pour zéro dispositif de franchissement: les belles paroles de la Ministre sur l'arrêt de la démolition du patrimoine ne s'incarnent pas sur le terrain où l'on poursuit la voie dogmatique de la destruction préférentielle des ouvrages et de l'absence de prise en charge publique pour les autres solutions. Quant à la "pédagogie", nom poli de la propagande d'Etat, nous lui préférons la démocratie: écouter ce que disent les riverains, déjà leur permettre de s'exprimer réellement dans les instances de programmation et de délibération, au lieu de les en exclure au profit de quelques associations choisies car elles répètent ce que dit le Ministère qui les subventionne. La politique de continuité écologique est fondée depuis dix ans sur un déni démocratique massif, avec exclusion des représentants de riverains et de moulins dans les comités de bassin, les commissions locales de l'eau, les comités de pilotage des contrats territoriaux, les consultations des MISEN, etc. Des petits conciliabules de "sachants" et "pratiquants" ayant tous la même idéologie imposent des solutions qui rencontrent rarement l'agrément des principaux concernés. On fait semblant d'écouter les gens, mais on ne prend jamais en compte leur avis s'il diverge de la solution définie à l'avance.

"Le groupe de travail organisé par le ministère de la culture et de la communication, dont le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer fait partie, ainsi que la mission du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), devrait permettre d'affiner la connaissance sur le nombre de seuils de moulins véritablement concernés. Il devrait proposer également des pistes pour renforcer la concertation locale et la prise en compte adaptée de la dimension patrimoniale des moulins dans le cadre d'une diversité de solutions de conciliation avec l'enjeu de restauration de la continuité écologique des cours d'eau."

C'est pratique, le conditionnel ("devrait"), cela permet de repousser à demain les promesses que l'on ne tient pas aujourd'hui. Pour l'instant, le groupe de travail du CGEDD a échoué à faire signer aux acteurs une "charte des moulins" car les extrémistes des rivières sauvages (FNE, FNPF) ne veulent pas en entendre parler, et l'administration quant à elle refuse d'inscrire clairement le principe de non-destruction du patrimoine hydraulique français (hors motif grave de sécurité, salubrité ou mise en danger des milieux).

Conclusion : sur le dossier de la continuité écologique, l'administration n'est manifestement pas capable d'une autocritique sincère de ses échecs, de ses excès et ses égarements depuis 10 ans. Le blocage reste toujours le même : de 10.000 à 15.000 ouvrages devant être aménagés pour lesquels il n'y a pas de financement adapté hors la destruction. Les solutions existent, mais elles demandent une nouvelle philosophie de l'action en rivière : admettre que la restauration ou la modernisation du patrimoine hydraulique est une action d'intérêt général (au contraire de sa destruction qui ampute l'histoire, le paysage et le potentiel énergétique de nos rivières) ; assurer le financement public des mesures écologiques en se montrant beaucoup plus sélectif et rigoureux dans la définition des priorités hydromorphologiques et biologiques ; sortir de l'illusion d'un "retour à l'état naturel" des rivières anthropisées depuis 8 millénaires, dont les peuplements biologiques comme les transferts sédimentaires sont massivement et durablement modifiés par l'action humaine ; cibler les interventions sur les espèces menacées d'extinction et ayant des besoins de migration à longue distance, d'abord sur des bassins où ce besoin est relativement facile à satisfaire.

Illustration : le superbe étang de Bussières sur la Romanée, considéré comme un "obstacle à l'écoulement" par l'Onema, la DDT et le Parc du Morvan, menacé donc d'effacement (la rivière est en liste 2). Tant que l'administration et le gestionnaire ne changeront pas leur regard sur la réalité de la rivière anthropisée, tant que l'on dépensera l'argent public pour des gains environnementaux mal estimés et non garantis, tant que l'on choisira la voie paresseuse de la négation de l'intérêt du patrimoine au lieu de la recherche de sa valorisation pour faire face aux nouveaux défis énergétiques, climatiques et écologiques, le dialogue de sourds continuera avec les riverains attachés à la préservation des paysages ou des usages créés par les retenues.

28/08/2016

Contre la destruction des seuils d'Avallon: réponse au Parc du Morvan

A l'issue de l'enquête publique sur l'effacement des 3 ouvrages communaux du Cousin à Avallon, le commissaire-enquêteur a donné un avis favorable au projet d'effacement, contrairement à son confrère ayant donné un avis défavorable pour les opérations sur Perrigny-sur-Armançon et Tonnerre. Notre association répond point à point aux arguments du Parc du Morvan. Il ressort de ce nouvel échange que le dossier ne respecte toujours pas certaines règles: justification d'un objectif concret de résultat pour les truites et les moules perlières, inventaire de biodiversité garantissant qu'il n'y aura pas de perte nette d'espèces présentes sur le tronçon, garantie que l'état chimique déjà dégradé du cours d'eau sera amélioré et non pas davantage altéré vers l'aval, motivation par l'autorité administrative compétente de la nécessité d'une démolition d'un patrimoine protégé en ZPPAUP. Le Parc du Morvan ne répond pas à sa vocation en envisageant ainsi la destruction des ouvrages hydrauliques du territoire qu'il a mission de valoriser. Un choix d'aménagement doux serait plus consensuel et plus intégrateur des différentes dimensions que le Morvan veut promouvoir : qualité des milieux bien sûr, mais aussi richesse culturelle, autonomie énergétique, diversité des paysages.

Le commissaire enquêteur en charge de l'enquête publique d'Avallon se livre à une intéressante et militante charge contre notre association, que l'on peut lire dans son avis. Il en ressort (par exemple) que promouvoir la vocation récréative des biefs et retenues provoquerait des catastrophes comme celle-ci : "Les enfants qui chassent les alevins à l'épuisette, qui retournent les pierres en détruisant des habitats, qui capturent de petits animaux pour les observer dans un seau n'ont pas franchement d'effet positif sur les écosystèmes, surtout en période de chaleur, au moment où le niveau d'eau est le plus bas. En outre l'agitation des sédiments modifie la turbidité de l'eau et ses caractéristiques physico-chimiques." Dont acte, les enfants seront à l'avenir formellement interdits d'approcher la "rivière renaturée" et transformée en musée intouchable de la biodiversité. Nous préférons pour notre part des rivières humaines et propres.

Pour l'essentiel et sur le fond, le commissaire-enquêteur ayant travaillé sur les effacements d'Avallon s'est appuyé sur le mémoire en réponse du Parc naturel régional du Morvan (PNRM). Nous y répliquons point à point ci-dessous.

A date, l'association Hydrauxois n'a toujours pas reçu de réponse de la Ministre de l'Environnement sur le respect de son instruction aux préfets et se trouve donc dans l'ignorance de la position de l'administration. Une réunion de notre conseil d'administration décidera de l'opportunité d'organiser des contentieux judiciaires et des actions de terrain sur les effacements qui viendraient à être engagés malgré tout. Comme le montrent les points détaillés ci-dessous et dans le cas d'Avallon, il y a largement matière à saisir le juge pour clarifier de nombreux points de droit nous paraissant problématiques.

Nota : les réponses du Parc (ou PNRM dans les paragraphes ci-dessous) renvoient dans l'ordre à chaque attendu de notre avis négatif, consultable à cette page si l'on veut se rafraîchir la mémoire.



1. La mission confiée au CGEDD (Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable) par la Ministre de l'Environnement a été reçue par le Parc naturel régional du Morvan du 20 au 22 juin 2016. Un grand nombre d'acteurs a été rencontré. Le cas des travaux réalisés sur le secteur d'Avallon les a particulièrement intéressés. L'approche, concernant ces ouvrages, a été étudiée au cas par cas. Une concertation permanente avec les propriétaires a été faite et nous avons privilégié la recherche du compromis optimum pour rendre les ouvrages compatibles avec la réglementation et répondre aux difficultés de gestion régulière des ouvrages par les propriétaires. Cela va dans le sens souhaité par la Ministre. En aucun cas le CGEDD n'a souhaité l'arrêt de nos actions, programmées de longue date par le LIFE.

Le point de l'association Hydrauxois n'est pas que le CGEDD serait pour ou contre l'arasement des seuils d'Avallon (les inspecteurs n'ont pas étudié le détail du dossier à notre connaissance, ni formulé d'avis, donc on évitera de parler à leur place), mais que la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal a demandé formellement aux préfets de faire une pause dans les destructions. Le Parc ne répond pas à cela, nous continuerons de le rappeler au préfet de l'Yonne.

2. Le constat d'impossibilité de gestion et d'entretien est fréquent. Les solutions d'aménagement pour rétablir durablement la continuité écologique sont souvent la seule réponse possible sur les ouvrages n'ayant plus d'utilisation économique.

Même observation : notre point est que la loi de 2006 instituant la continuité écologique en rivière classée liste 2 ne prévoit pas la destruction. Cette dernière se révèle plus coûteuse que des solutions de franchissement (plus de 100 k€ par ouvrage en moyenne pour les effacements ici considérés, moins de 100 k€ pour les 3 passes construites en 2015). La commune d'Avallon a les moyens d'entretenir les passes à poissons ou autres dispositifs de franchissement, ce qui n'est pas un très gros travail si ces dispositifs sont bien conçus.

3. Les seuils liés aux Moulins Poichot et Nageotte sont bel et bien des «ouvrages Grenelle». Le seuil du Moulin Mathey n'a pas été classé «Grenelle», mais fait partie du ROE (Référentiel des Obstacles à l'Ecoulement).

Même point que précédemment, le PNRM répond à côté de notre argument: lors du vote de la loi Grenelle de 2009, article 26, la commission mixte paritaire Assemblée nationale-Sénat a explicitement retiré le mot "effacement" au profit du mot "aménagement" pour les ouvrages de la trame bleue. Le Parc ignore le texte et l'esprit de la loi en portant des projets de destruction (à sa décharge, cette dérive administrative s'est généralisée, elle n'en reste pas moins une dérive sur laquelle il serait utile que le juge statue à l'occasion d'un contentieux).

4. Une des problématiques connues depuis longtemps (et pas seulement depuis les derniers relevés du bureau d'étude ARTELIA) est l'assainissement de la zone agglomérée d'Avallon. Parmi d'autres actions, et notamment l'amélioration de la continuité écologique sur le Cousin. l'enjeu d'amélioration de la gestion des eaux usées est une priorité. Depuis plusieurs années, la collectivité aidée par l'Agence de l'Eau et le Parc dans le cadre de son Contrat Global, améliore sa gestion. La station d'épuration a été refaite à neuf en 2008, une étude diagnostique faite en 2009, la mise en séparatif de 1500 ml en 2009, le remplacement de 1000 ml de réseau en 2009, la création de 650 ml de réseau et la réhabilitation de 200 ml en 2010. Le Contrat Global Cure-Yonne a prévu, en actions prioritaires. les travaux de réhabilitation des réseaux d'assainissement du bourg d'Avallon ainsi que la réhabilitation totale de l'assainissement du hameau de Chassigny. Des études et des consultations sont actuellement en cours pour réaliser des travaux prochainement.  Cette  problématique  n'est  donc  pas  oubliée. Les plans d'eau créés en amont des seuils (le remous), ne sont pas des lagunes d'épuration! La communauté scientifique en hydro-écologie ne reconnait pas cette fonction dans le cas de rivières vivantes et rapides comme l'est le Cousin.

Le fractionnement du cours d'eau et les successions de plan d'eau créés par les seuils diminueront, au contraire, la capacité d'auto-épuratoire du cours d'eau par modification des biocénoses naturelles, altération du taux d'oxygénation de l'eau et des échanges chimiques. Parmi les grandes références de l'hydrobiogie française, Jean Verneaux décrivait déjà dans les années 70 l'effet que peut avoir l'altération des conditions hydro-morphologiques sur la biocénose et les capacités de l'écosystème à réagir à une pollution. C'est particulièrement vrai en tête de bassin (cas du Cousin) car l'écart hydro-morphologique et biologique entre milieu naturel et milieu modifié par le seuil est grand. Un des derniers ouvrages de l'ONEMA (Les Poissons d'eau douce à l'heure du changement climatique 2074, page 708) fait état de cette évidence hydro­-écologique. Il précise, entre autres, qu'une des solutions les plus intégratrices pour retrouver ou conserver une qualité de l'eau compatible avec les enjeux biodiversité, et pour faire face au changement climatique, est probablement la restauration hydro morphologique des cours d'eau.

L'association Hydrauxois n'affirme pas que la problématique de la pollution est "oubliée", elle reprend simplement les conclusions du BE Artelia sur la dégradation du bon état chimique et physico-chimique par ce compartiment sur le Cousin avallonnais. Inversement, il n'est pas indiqué que le Cousin est dégradé (au point de vue des obligations françaises liées à la directive cadre européenne) sur le plan piscicole.

Nous demandons au gestionnaire de traiter d'abord la pollution (risquant de dégrader la rivière pour le bilan DCE), y compris les nouvelles substances ajoutées dans le contrôle obligatoire DCE et les micropolluants émergents, ensuite seulement de modifier la morphologie là où cela est nécessaire pour des gains écologiques significatifs et à coût raisonnable.

La "communauté scientifique" en hydro-écologie s'exprime par définition dans des publications scientifiques. Un rapport de l'Onema n'est pas une publication scientifique mais une "littérature grise" d'experts n'ayant pas franchi l'épreuve de l'examen par les pairs, n'apportant pas de résultats de recherche propres et n'échappant pas aux biais de spécialité de ses auteurs, même si certains sont chercheurs. Jean Verneaux, dont les principales publications datent d'il y a 40 à 60 ans, n'est pas chercheur en éco-toxicologie à notre connaissance et son principal apport concerne d'autres domaines. La capacité d'épuration emprunte des voies biologiques, physiques et chimiques qui n'ont rien à voir avec la problématique des "biocénoses naturelles" ou "l'écart morphologique" à une référence, cités dans la réponse du Parc. Il ne faut pas mélanger les sujets, on parle ici du cycle chimique des nutriments et des polluants. Nombre de travaux scientifiques parus depuis 30 ans ont montré le rôle d'épuration des ouvrages pour certaines substances (voir synthèse ici, voir l'expertise collective récente sur l'effet des retenues, voir le travail récent de Gaillard 2016 sur l'épuration des pesticides, etc.).

Nous demandons au PNRM de prévoir sur tout chantier des analyses avant / après pour contrôler la physico-chimie de la rivière avec et sans seuil : de tels résultats de mesure seront plus probants que des discours abstraits sans aucun élément de quantification ni de vérification.



5. Pas de réponses supplémentaires à apporter car l'argument épuratoire des plans d'eau créés par les seuils va à l'encontre des connaissances des hydro­-écologues en matière de capacités d'autoépuration des rivières. La retenue entraîne une modification de la granulométrie du fond (accumulation de fine empêchant le rôle de « filtre biologique » que peut jouer le sédiment s'il n'est pas colmaté), modification des conditions physico­ chimiques naturelles, baisse de l'oxygène dissous, augmentation de la température, et modification considérable des biocénoses naturelles. Ces ouvrages contribuent au contraire à modifier la capacité épuratoire naturelle du cours d'eau.

Il serait très inquiétant que la communauté des hydro-écologues définisse l'épuration comme un "filtre" par des sédiments non colmatés! Rappelons que l'épuration désigne des processus de métabolisation (voie biologique) ou de minéralisation (voie physique) de certains composés. Le PNRM confond là encore différents sujets et n'approfondit pas ses arguments, assénés sans preuve, sans référence et sans logique.

6. Effectivement, les monographies anciennes effectuées sur le Cousin, mais aussi sur beaucoup d'autres cours d'eau moins aménagés, décrivent souvent des situations d'abondance. Pour autant, ces données sont intéressantes sur le plan qualitatif, mais ne sont absolument pas reprises par les scientifiques pour suivre l'évolution des peuplements piscicoles sur le plan quantitatif (absence de protocole d'inventaires, pas de données sérieusement quantifiables). Dès lors, la tentation est grande de faire dire «n'importe quoi» à ces données anciennes. Le contexte de l'époque était d'ailleurs très différent : les moulins étaient gérés (ce qui n'est plus le cas pour la plupart), les polluants étalent différents (peu de pollution atmosphérique, pas de pollution chimique agricole, pas de molécules toxiques...), les températures globalement plus fraîches, etc... L'ensemble de ces facteurs fait que les situations passées et actuelles sont incomparables. Cependant, l'effet du fractionnement des rivières par des obstacles, de toute nature confondue, est plus qu'évident sur la dynamique des populations, l'accès aux frayères, le brassage génétique. L'effet positif de travaux de renaturation a été plusieurs fois démontré en France par des suivis sérieux de l'ONEMA.

Cette réponse du PNRM concerne la référence aux travaux de Moreau à la fin du XIXe siècle sur le peuplement ichtyologique du bassin de l'Yonne. Contrairement à ce qu'affirme le Parc du Morvan, les données piscicoles anciennes citées par Hydrauxois sont bel et bien reprises par les scientifiques pour définir des trajectoires de peuplement (cf Belliard et al 2016, publication récente qui inclut le Cousin à Avallon). Plutôt que d'ironiser sur le manque de sérieux de notre association, il serait bon que les gestionnaires de rivières fassent l'effort élémentaire d'une bibliographie scientifique et historique complète de la masse d'eau dont ils ont la charge, afin de mieux la connaître et de mieux informer les citoyens sur l'histoire de leur environnement.

Par ailleurs, le PNRM reconnaît lui-même dans sa réponse que la rivière Cousin s'est dégradée pour toutes sortes de motifs (pollutions, réchauffement) n'incluant pas les moulins (moins nombreux aujourd'hui qu'hier, et moins polluants aussi puisque certains avaient des productions industrielles connues pour dégrader les eaux, surtout avec les normes environnementales inexistantes du XIXe siècle). Par exemple, les moulins Poichot et Mathey ont été propriété de tanneurs aux XIXe et XXe siècles, le moulin Nageotte a été une usine à tan et écorces: ces activités sont connues pour modifier localement la chimie de la rivière. Il est inexact d'affirmer que les moulins en activité du temps passé étaient forcément plus favorables aux milieux aquatiques que les moulins sans activité d'aujourd'hui. Malgré cette production proto-industrielle dans la vallée du Cousin, les truites ne semblaient pas souffrir des activités des moulins.

7. Dans le cas des trois ouvrages (Poichot, Nageotte et Mathey), le franchissement de la truite n'est possible que de façon très exceptionnelle (forte hauteur d'eau: le dénivelé est trop important). Il n'y a  pas de fosses d'appel nécessaires au saut du poisson et la rugosité n'est pas favorable. Si les ouvrages étalent transparents et reconnus comme tel par les services de I'ONEMA, il ne serait pas utile d'Intervenir. De plus, la truite n'est pas la seule espèce repère même si les évaluations et calculs se font à partir des capacités de nage et de franchissement de cette espèce, bien connues à présent. Le chabot et la lamproie de planer, deux espèces d'intérêt communautaire (Directive habitats faunes flores, 1992) et dont les capacités de nages sont certainement inférieures à celles de la truite, bénéficieront des aménagements.

Le débit mensuel moyen du Cousin avallonnais en période de migration de la truite est de 6 à 8 m3/s, avec des débits maxima journaliers (QJ) et instantanés (QIX) de l'ordre de 30 m3/s. Dans de telles conditions, les seuils sont en partie noyés et (probablement) transparents au plan migratoire pour la truite adulte – éventuellement pour des espèces moins nageuses sur les zones latérales à vitesse plus faible. Par ailleurs, l'aménagement non destructif de voie de passage est possible et pourrait être réalisé à moindre coût. Enfin, la mise au norme des ouvrages demande le franchissement par les migrateurs, et non pas toutes les espèces y compris celles qui ont des moeurs sédentaires et ne sont pas morphologiquement adaptées à des migrations de longue distance.

Nous observons que ni Biotec 2013 ni Artelia 2016 n'ont procédé à une analyse ICE de la franchissabilité des ouvrages à différentes hypothèses de débit et d'ouverture des vannes. Or, le protocole ICE de l'Onema est censé être le référentiel d'instruction sur le volet piscicole de la continuité. Il est regrettable que de nombreux aspects du dossiers de l'effacement des seuils d'Avallon soient ainsi des assertions assez vagues sans mesures ni démonstrations, alors que les études préparatoires ont déjà un coût conséquent et devraient intégrer l'usage de tous les référentiels publics comme de toutes les mesures d'état écologique / chimique DCE.




8. On peut s'interroger sur cette référence scientifique et l'interprétation qui en est fait car elle manque sérieusement de précision. En effet les moules d'eau douces, selon les espèces, ont des biologies très différentes. Ici, il est probablement fait référence à des espèces appartenant au genre Anodonta ou à des Unio de milieux lentiques et non de la Moule Perlière qui est une espèce qui vit exclusivement dans des rivières à courant marqué. La référence à la fiche des cahiers d'habitats sur l'espèce, rédigée par Gilbert Cochet, relue avant validation par le Parc naturel régional du Morvan, est clairement sortie de son contexte. Certains biefs sont connus pour abriter des Moules Perlières qui y trouvent des conditions de vie acceptables pour les moules issues par dérive 'de l'amont des cours d'eau. Ces biefs sont caractérisés par des petites dimensions, un courant toujours bien présent et des fonds sableux bien nettoyés. Ce sont des exceptions tout à fait rares qui existent dans des conditions topographiques bien particulières, et dans le cas de populations très abondantes installées sur la rivière naturelle. Ce n'est pas le cas des biefs de la vallée du Cousin (ni ailleurs sur le bassin de la Seine). La fiche des cahiers d'habitats précise trois points essentiels à prendre en compte pour plus d'objectivité:
  • « Les tronçons sans courant sont inutilisables par l'espèce »,
  • « La Moule Perlière est très sensible à tout colmatage dû soit à une augmentation de la charges en matériaux fins, soit à une diminution du courant par la création de retenue.»,
  • « La préservation et la restauration des populations de salmonidés qui passent par une diminution de l'eutrophisation et une libre circulation des poissons permettrait d'assurer une meilleure reproduction de la Moule Perlière».

La citation extraite par notre association peut être consultée dans la fiche des cahiers d'habitats Natura 2000 de la moule perlière (Margaritifera margaritifera, et non pas une autre espèce). D'autres citations permettent de comprendre pourquoi les moulins n'ont pas d'impact majeur sur la moule perlière contrairement à certaines pressions présentes sur le Cousin :
  • "Au moins jusqu'au siècle dernier, la moule perlière était présente en grande quantité dans la quasi-totalité des rivières sur socle cristallin de France et d'Europe" (malgré la présence de moulins, donc, puisque tous ceux du Cousin et la grande majorité des sites du Morvan datent d'avant la Révolution française)
  • "Actuellement, la régression de l'espèce est due essentiellement à l'eutrophisation des cours d'eau"
  • "Les travaux forestiers avec débardages importants peuvent perturber le substrat des cours d'eau"
  • "Les plantations de résineux en bordure de cours d'eau sont à limiter fortement".
Au-delà de cette "guerre des citations", l'objectivité commande de reconnaître que la moule perlière n'est pas attestée sur Avallon (ni actuellement ni au siècle passé dans les monographies l'évoquant), que sa forte sensibilité aux pollutions rend peu probable son retour dans une rivière urbaine à court ou moyen terme, que l'argument de la restauration d'habitats pour la moule n'est donc pas fondé dans le cas des trois ouvrages traités.

9. Le Parc naturel régional du Morvan assure l'animation, pour le compte de l'Etat, du site Natura 2000 FR2600983 «Vallée de la Cure et du Cousin dans le nord Morvan». Il a également rédigé auparavant le DOCOB (Document d'Objectif), approuvé par le Préfet de région le 14 juin 2013. Les programmes européens LIFE sont des outils aux services de la politique Natura 2000. La compatibilité entre le DOCOB du site et le contenu du programme LIFE est le premier point examiné en détail par la Commission Européenne et conditionne son accord à ses financements. Ainsi, les données bibliographiques et les relevés effectués pour l'Inventaire des ZNIEFF (Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique; dans notre cas ZNIEFF type 1 N°260014890), et pour l'établissement du DOCOB Natura 2000, n'ont pas mis en évidence d'enjeux sur le patrimoine naturel (faune, flore, habitat) dans l'emprise des travaux. En revanche, le DOCOB indique clairement que le rétablissement de la continuité sur la rivière est un enjeu majeur pour les espèces de la Directive Européenne. Il n'y avait donc nul besoin de relevés complémentaires couteux, et le gain écologique est largement justifié par les Inventaires régionaux et le DOCOB gérés par le Ministère de l'Environnement.

Le PNRM répond ici à l'argument selon lequel le dossier d'effacement ne démontre pas l'absence de perte nette de biodiversité, comme l'exige la loi. Dans un chantier ayant un impact sur l'environnement, il est normal de procéder à un inventaire des espèces et cet inventaire est forcément spécifique au site dont les conditions écologiques vont être modifiées. Si par exemple un propriétaire prétendait construire un ouvrage (et non le détruire) sur un site quelconque de la zone Natura 2000, il ne pourrait certainement pas se contenter d'une présumée absence d'espèces d'intérêt dans l'emprise de la future retenue. Le Parc du Morvan fait donc encore preuve d'un argument d'autorité: au prétexte qu'il gère la zone Natura 2000 et une ZNIEFF, il s'abstient d'un inventaire exigible pour un chantier ayant un impact conséquent sur des milieux. C'est d'autant plus vrai que le projet LIFE+ se veut exemplaire au plan écologique et se tient dans un triple zonage (Natura 2000, une ZNIEFF type 1 et une ZNIEFF type 2). Ce point mérite comme d'autres d'être soumis à l'interprétation du juge, afin de savoir si oui ou non les projets d'effacement de plans d'eau appellent un inventaire faune-flore.

D'autre part, les relevés piscicoles Onema 2012 cités par Artelia font état certes d'une absence de truites à l'aval de la commune d'Avallon (sans cause claire, les ouvrages n'empêchent pas la dévalaison et la pollution doit plutôt être recherchée comme premier facteur d'impact) mais aussi d'une diversité piscicole liée à la présence d'eaux plus calmes dans les retenues (dont le hotu, protégé lui aussi par la Convention de Berne).



10. Il s'agit là d'une interprétation abusive de la loi puisque dans l'article L 411-3 du code de l'environnement, il est question uniquement d'introduction, de transport, de colportage, de vente d'espèces non indigènes au territoire et non domestiques. De plus, l'article L 288-3 du code rural et de la pêche maritime traite, lui, du fait de faire naître ou de contribuer à une épizootie. Ce dernier point peut être sujet à discussion concernant les écrevisses d'origines nord­ américaines, seules espèces non indigènes sur le bassin du Cousin. Or, les barrages constitués par les seuils de moulins, ainsi que les barrages verticaux de plusieurs mètres, ne sont pas des obstacles aux déplacements pour ces espèces qui voyagent facilement par voie terrestre ou semi-aquatiques. Les plans d'eau créés par les seuils de moulins, génèrent des conditions très favorables au développement des populations d'écrevisses allochtones, ainsi qu'aux poissons limnophiles (brochets, perches, carpes, gardons...), non présents naturellement sur les rivières de première catégorie piscicole (ce qui est le cas du Cousin à Avallon). 

L'objectif de rétablissement de la circulation piscicole pour le maximum d'espèces, y compris celles qui ont de faibles capacités de nage et de saut, est forcément de nature à favoriser également des espèces dites "indésirables". Après l'avoir reproché (indûment) à Hydrauxois, le Parc du Morvan raisonne à son tour comme si nous étions encore dans des conditions historiques "naturelles" (voici quelques siècles ou millénaires) et que le tiers des espèces piscicoles du bassin de Seine n'était pas désormais constitué d'espèces non natives, dont certaines potentiellement dangereuses (Pseudorasbora parva par exemple).

Par ailleurs, le PNRM signale que les biefs et retenues créent des habitats plus favorables au brochet, une espèce elle aussi protégée (y compris désormais en première catégorie halieutique). Cela rejoint la nécessité de démontrer qu'il n'y a pas de perte nette de biodiversité sur les populations piscicoles du Cousin telles qu'elles sont établies au moins depuis 120 ans et telles qu'on peut les inventorier sur le tronçon en projet.

11. La restauration de l'hydro-morphologie naturelle des cours d'eau est probablement la solution la plus intégratrice pour retrouver ou conserver une bonne capacité épuratoire et donc une bonne qualité de l'eau. «La préservation de l'ensemble des fonctionnalités hydre-morphologiques naturelles des cours d'eau permettrait de limiter l'échauffement de l'eau, de maintenir un taux d'oxygène dissous optimal» (Les Poissons d'eau douce à l'heure du changement climatique 2014, page 110-111). Les plans d'eau créés par les seuils ont l'effet Inverse. Actuellement, il y a plusieurs conflits en Bourgogne sur la non restitution des débits réservés aux cours d'eau sur le tronçon court-circuité lié à l'alimentation du moulin. A l'avenir, en cas de diminution de la pluviométrie et donc des débits naturels des cours d'eau, ces conflits risquent d'augmenter encore, avec la tentation pour le propriétaire de privilégier le débit du bief.
De plus, la restauration hydro-morphologique des cours d'eau, à travers des effacements d'ouvrage, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l'évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d'eau en période estivale car une eau stagnante se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu'une eau courante. Sur une longue durée d'ensoleillement, plus la surface d'eau exposée est Importante, plus les pertes par évaporation sont significatives. Ce phénomène est aggravé par le comblement progressif, parfois quasi-total, des retenues, par des sédiments, notamment dans le cas de seuils anciens qui ne sont plus gérés.

Le PNRM répond ici à l'argument selon lequel le réchauffement climatique doit augmenter la probabilité d'étiages sévères, ce qui pose la question de conserver la capacité de réguler les niveaux d'eau, tant à fin écologique que paysagère. La dimension paysagère est ignorée dans la réponse du Parc. La dimension écologique de cette réponse n'est guère convaincante.  L'étude Sialis 2013 a mis en lumière un éventuel signal de 0,4 °C de réchauffement des températures maxima lié aux ouvrages, mais ce signal n'est pas débruité des autres facteurs qui peuvent le provoquer (par exemple gradient adiabatique et échange avec l'atmosphère selon l'altitude du point de mesure, effet d'îlot de chaleur urbaine d'Avallon, effet de la ripisylve absente ou présente, etc.). Par ailleurs, comme l'association le démontrera si nécessaire, on peut mesurer aisément des variations locales de 1 à 2 °C dans la température de l'eau sur un même transect du Cousin, donc le protocole permettant de définir un effet thermique des seuils n'est pas assez rigoureux (le signal repéré est inférieur au bruit de la variabilité locale de la mesure).

Plus largement, le changement climatique crée une situation d'incertitude forte sur l'avenir de la rivière et le choix d'effacer le plus grand nombre possible d'ouvrages, inscrit dans la logique actuelle du PNRM, bouleverse sans retour les équilibres en place et les outils potentiels de gestion de l'eau. Cela ne répond pas aux critères élémentaires de précaution et nous le déplorons profondément. Le PNRM ne respecte pas sa mission fondatrice de valorisation du territoire et de préservation de sa capacité d'adaptation à toutes les évolutions possibles s'il persiste dans sa logique actuelle de prime à la disparition du patrimoine hydraulique du Morvan.




12. Les aspects paysagers en lien avec la ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) et les projets d'aménagements de la vallée réalisés ou en projet par la Commune d'Avallon, sont des points largement débattus avec les élus. Ces derniers ont donné leurs accords sur les projets de réaménagements des seuils. Des simulations paysagères ont pu être faites et montrent certes, un changement de paysage et de perception de la vallée, mals celle-cl retrouve une vie lié aux rythmes et aux bruits du cours d'eau selon les saisons. Redécouvrir la vie d'une rivière, même en contexte urbain n'a pas été jugé négativement, d'autant plus que les éléments liés au patrimoine historique encore présents sont conservés (bâtis, vannes, seuils en partie). Les biefs, eux, ont disparus et ont été urbanisés.

Selon le site du Ministère, on peut lire à propos des ZPPAUP:
"Les travaux de construction, de démolition (L 430-1 du code de l’urbanisme), de déboisement (R130-8 du code de l’urbanisme), de transformation et de modification de l’aspect extérieur des immeubles situés dans le périmètre d’une ZPPAUP et relevant des dispositions du Code de l’Urbanisme sont soumis à autorisation spéciale, délivrée par l’autorité compétente, après avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) fondé sur les prescriptions et les recommandations de la ZPPAUP."

Notre association demande de consulter cet avis de l'architecte des bâtiments de France, exigible pour les travaux sur une ZPPAUP. Il ne figurait pas dans le dossier d'enquête publique, alors que les 3 ouvrages sont situés dans le périmètre, de sorte que l'information des citoyens n'a pas été complète.

De surcroît, les ZPPAUP sont annexées aux PLU et la nouvelle formulation de l'article L 214-17 CE oblige à vérifier la conformité entre continuité écologique et patrimoine, la première devant garantir le respect du second :
"IV.-Les mesures résultant de l'application du présent article sont mises en œuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme."

13. Les aménagements permettront enfin d'accéder à la rivière, puisqu'effectivement le lit sera légèrement rétréci à l'image des sections naturelles visibles à proximité des 3 moulins, alors qu'à l'heure actuelle, les eaux plus hautes en permanences et les berges raides ne permettent pas un accès à l'eau aisé. Actuellement, la fréquentation est limitée et la baignade quasi inexistante. Les lieux les plus fréquentés sur la vallée correspondent à des secteurs où la rivière coule librement, ce qui montre qu'il n'y a pas un engouement particulier pour les étendues d'eau plate en amont des seuils. Celles-ci existeront d'ailleurs toujours, mais réduites en surface. Les berges, qui deviendront accessibles, auront peut-être plus d'intérêt qu'à l'heure actuelle.

Divergence d'appréciation n'appelant pas commentaire. Notons qu'un des seuils avait été rénové en 2002… à l'époque la dépense avait paru justifiée pour l'intérêt des riverains. Détruire ce que l'on a rebâti 15 ans plus tôt n'est pas vraiment une démonstration de clairvoyance ni de bon usage des fonds publics.

14. Le Préfet de l'Yonne (via la DDT) a informé la Municipalité d'Avallon, par courrier en date du 30 mai 2014, que les droits d'eau attenants à ces trois seuils étalent caducs et que la remise en état des sites était par conséquent nécessaire. Trois projets d'abrogation des droits d'eau ont été rédigés. De plus, dans le cadre du nouveau classement des cours d'eau, le Cousin étant classé en «liste 1» et «liste 2», la Municipalité d'Avallon, en tant que propriétaire des seuils de moulins, a l'obligation d'ici à 2017 d'assurer la transparence écologique de ces ouvrages hydrauliques. (…)
La régularisation administrative concernant le droit d'eau sera établi par la DDT à la suite des travaux. Le propriétaire (ici la mairie d'Avallon) sera le seul destinataire de cet arrêté préfectoral de modification de l'utilisation du droit d'eau (ici modification car pas de suppression du seuil). Cependant un projet d'arrêté a d'ores et déjà été envoyé à la mairie d'Avallon.

Dont acte. Rappelons simplement que les arrêtés d'abrogation de droit d'eau peuvent être contestés, pas seulement par le propriétaire mais aussi bien par les citoyens ou associations. Par exemple, l'absence du bief n'est pas un motif de ruine complète de l'ouvrage, de changement définitif d'affection ni d'impossibilité d'user de la puissance de l'eau. La légalité interne des arrêtés d'abrogation devra être respectée.



15. Après vérification cadastrale effectuée par les services de la DDT, il s'avère que les Moulins Nageotte, Poichot et Mathey appartiennent bien à la Ville d'Avallon (voir les documents en annexe 2: analyses de propriété faites par la DDT89). Il nous a été demandé de joindre les titres de propriété des ouvrages : cependant il n'existe pas de titre lorsqu'il s'agit d'ouvrages.

Ces pièces ont été transmises pour avis à l'avocat de l'association. (Les ouvrages peuvent bien sûr faire l'objet de titre de propriété s'ils sont cadastrés).

16. Plusieurs points engagent la responsabilité du maître d'ouvrage. Cependant, cela ne peut couvrir en aucun cas l'ensemble des modifications que naturellement un cours d'eau est capable d'entraîner, y compris sur des ouvrages mal entretenus ou mal consolidés qui risquent de disparaître tous seuls. La situation de travaux dirigés et suivis par un maitre d'œuvre offre des garanties supérieures au cas précédent. Les travaux s'effectuent tout d'abord après accord et conventionnement avec le(s) propriétaire(s). Ils sont encadrés par des procédures réglementaires, et répondent aux exigences de la loi imposant au propriétaire des droits et des devoirs (gestion, équipement et l'entretien) dans le but d'assurer la continuité écologique. Dans ce cadre, le propriétaire reste toujours le seul responsable de son ouvrage (seuil, bief, vannes...) et de son entretien. De part et d'autre de la zone de travaux, des travaux connexes de reprise de fondations (murs, murets...) sont prévus dans les marchés publics. Sur les points prévus aux marchés, les entreprises engagent leur garantie décennale, ainsi que le Maître d'Œuvre. Dès lors, le Maître d'Ouvrage Interviendra pour corriger d'éventuelles malfaçons. Au-delà des 10 ans de garanties, c'est bien entendu aux propriétaires d'entretenir leurs biens. Concernant l'entretien de la végétation rivulaire, Le Parc naturel régional du Morvan interviendra dans le cadre de sa Compétence GEMAPI, qu'il s'agisse de conséquence de l'abaissement de la ligne d'eau (risque estimé très faible par les études préalables) ou non.

Notre point attirait l'attention sur la nécessité de clarifier le régime de responsabilité pour l'avenir entre la Commune, le PNRM et l'Etat. Par exemple, le projet vise à laisser des éléments d'ouvrage en place sur certains sites. Or, ce choix (assez absurde au plan patrimonial, le patrimoine n'est pas un résidu amputé de vieilles pierres) crée des risques puisque la rivière finira immanquablement par emporter le seuil déjà fragmenté. Si un accident survient dans ce contexte, dans 5, 10 ou 15 ans, qui est responsable ? De même, le Conseil départemental par la voix de Mme Patouret a demandé à être consulté pour la route riveraine, ce qui n'a pas été le cas. Si la berge affouille malgré les assurances verbales en sens contraire, qui devra payer les travaux?

17. Les actions relevant de la continuité écologique ne représentent qu'une faible part des sommes investies par l'Agence de l'Eau Seine-Normandie pour l'amélioration de la qualité des hydro-systèmes. Sur le Bassin du Cousin entre 2008 et 2015, les actions « Continuité» représentent 493 600 €, alors que les actions «assainissement» se montent à 3 204 100 €. Les mesures agro­-environnementales, affectant directement la qualité des bassins versant et des zones humides, représentent environ 13 millions d'euros sur le Morvan (la part relevant du bassin du Cousin n'est pas calculable à ce jour). Concernant le potentiel énergétique des trois seuils, à la suite de la disparition des biefs des moulins, il est difficile d'imaginer un équipement possible. Ce n'est pas le cas sur d'autres ouvrages où cette question a pu être prise en compte.

Notre association pointait le coût de 367.000 euros pour 3 ouvrages seulement, cela à fin de destruction d'un patrimoine protégé et alors qu'une quarantaine d'ouvrages sont situés dans le tronçon classé au titre de la continuité écologique. Il est aisé de constater que l'ensemble de la réforme (n'ayant de sens que si la "continuité" est effectivement rétablie) a un coût conséquent. Les 367 k€ du projet contesté sont sans apport clair aux riverains en terme de services rendus par les écosystèmes, d'agrément paysager ou de valorisation patrimoniale. L'équipement énergétique n'a jamais été étudié à notre connaissance, pas plus qu'un aménagement récréatif ou autre. Il n'est donc pas étonnant que le PNRM ait du mal à "imaginer" quoi que ce soit en ces domaines, écartés au profit du seul enjeu de "naturalité" de l'écoulement. Nous souhaitons d'autres arbitrages pour le Cousin comme pour toutes les rivières du Morvan.

27/08/2016

Audit de la politique de l'eau: la continuité écologique n'est "plus jugée prioritaire"

Un rapport d'audit de la politique de l'eau et de la biodiversité rédigé par le CGEDD constate que la mise en oeuvre de la continuité écologique se heurte à des "problèmes techniques, économiques, sociologiques et patrimoniaux". Elle est antinomique de la volonté de relancer l'hydro-électricité des basses chutes. Le rapport souligne également que la politique de l'eau ne se donne pas les moyens de ses ambitions. L'inflation normative et réglementaire n'a pas beaucoup de sens si les financements ne sont pas disponibles à hauteur des programmations et des obligations qu'elles induisent.



La Synthèse nationale des audits de la mise en œuvre des politiques de l’eau et de la biodiversité conduits en 2015 est parue, sous forme d'un rapport du CGEDD rédigé par Pascale Boizard. Les départements de Haute-Savoie, du Haut-Rhin, de Lot-et-Garonne, de Guadeloupe et des Yvelines ont été retenus par le Directeur de l’eau et de la biodiversité (DEB) et la Directrice générale de la prévention des risques (DGPR) pour faire l’objet de cet audit.

Dans les principales observations de ce rapport, on retiendra notamment :
  • "les différents chantiers affichés au niveau national sans priorisation ne sont pas cohérents avec les moyens en réduction des services";
  • "les organisations professionnelles agricoles se sont opposées parfois de manière violente aux 5e “programmes d’actions nitrates” et à l’extension des zones vulnérables. Cette opposition est d’autant plus forte que le secteur de l’élevage qui supporte les obligations les plus impactantes économiquement, est en crise. Le mouvement d’abandon de l’élevage ou de reconversion et partant, de mise en culture des prairies engagé depuis de nombreuses années, s’en trouve ainsi accéléré au détriment de la qualité des eaux". ;
  • "le développement des connaissances relatives à la biodiversité et leur structuration progressent. Il reste encore insuffisant pour permettre de mesurer l’évolution de l’état de conservation de la biodiversité".
Concernant plus particulièrement la continuité écologique, voici l'extrait des conclusions de l'audit :

"La mise en œuvre des arrêtés de classement de cours d’eau au titre de la continuité écologique pose, selon les départements, les cas et les points de vue, des problèmes techniques, économiques, sociologiques et patrimoniaux. Certes fondés sur le plan scientifique, ils ne sont pas compatibles dans l’échéance législative prévue avec les moyens des services et se heurtent à la fois aux enjeux patrimoniaux des moulins et à une injonction paradoxale liée à la volonté de relance de la production hydroélectrique de basse chute. La démarche de restauration de la continuité écologique dont l’organisation était bien avancée, est ainsi à restructurer et, parfois, n’est plus jugée prioritaire."

A mi-chemin du premier délai de 5 ans pour aménager les ouvrages en rivières classées liste 2 au titre de la continuité écologique, cet audit acte déjà l'échec partiel de la réforme. Ses conclusions restituent ce que nous observons sur le terrain.

On peut en revanche douter que les classements des rivières de 2012-2013 aient été "fondés sur le plan scientifique", comme l'affirme le rapport. Pour cela, il faudrait disposer d'une publication complète des mesures et modèles ayant conduit à prioriser les rivières ou les tronçons à l'occasion de ces classements (et non d'un document technique d'accompagnement sous forme de simple listing sans aucune justification scientifique). Tout indique au contraire que le classement a été improvisé sur la base de données parcellaires et de reprises des anciennes "rivières réservées" à fin uniquement halieutique, sans aucune analyse réelle de l'ensemble de la biodiversité aquatique, des probabilités de succès pour les populations-cibles, de la part exacte de la continuité longitudinale dans l'altération des bio-indicateurs, des retours d'expérience de la restauration physique des rivières, etc. Sans parler du non-sens économique pour une exigence de mise en conformité très coûteuse et non solvabilisée, n'améliorant pas de manière claire les services rendus aux citoyens par les écosystèmes, conduisant de ce fait à une impasse programmée.

On attend désormais avec la plus grande impatience le rapport complet du même CGEDD sur l'audit de la mise en oeuvre de la continuité écologique et de ses blocages, prévu pour cette rentrée.

Référence : Boizard P CGED (2016), Synthèse nationale des audits de la mise en œuvre des politiques de l’eau et de la biodiversité conduits en 2015, Rapport n° 010665-01

18/08/2016

Histoire des poissons du bassin de la Seine, une étude qui réfute certains préjugés (Belliard et al 2016)

La cause paraît entendue : les sociétés développées ont connu une dégradation continue de leur eau depuis deux siècles, ne laissant dans les rivières vaseuses, polluées, fragmentées et privées d'oxygène que des espèces tolérantes aux habitats dégradés. En étudiant un siècle d'assemblages piscicoles et de traits écologiques sur 29 sites du bassin de Seine, Jérôme Belliard et ses collègues montrent que le tableau n'est pas si sombre ni tranché. Si les migrateurs régressent, malgré quelques reconquêtes récentes, en même temps que les exotiques progressent, les poissons rhéophiles (aimant le courant vif), lithophiles (aimant les substrats minéraux) et intolérant aux variations d'oxygène montrent plutôt une tendance à la hausse, au moins sur les bassins n'ayant pas connu d'expansion de la population humaine entre le XIXe siècle et aujourd'hui. 

L'environnement des sociétés humaines est modifié en permanence et les rivières ne font pas exception à la règle. Ces changements peuvent être de nature biologique (acclimatation ou disparition d'espèces), morphologique (modification de lit ou berge), chimique (introduction de substances parfois contaminantes), physique (changement de température, de pH). Les politiques écologiques de protection ou restauration de milieux visent souvent un "état de référence" peu dégradé par des activités humaines, mais il est difficile de définir cet état en raison de l'ancienneté et de l'ubiquité des influences anthropiques.

L'histoire de l'environnement peut contribuer à comprendre la nature, la tendance, le cas échéant l'ampleur des modifications humaines. C'est à cet exercice que se sont livrés Jérôme Belliard, Sarah Beslagic, Olivier Delaigue et Evelyne Tales, chercheurs à l'Irstea (et Université de Namur pour S. Beslagic), en analysant les peuplements de poissons du bassin de Seine depuis un peu plus d'un siècle.

Bassin de Seine, 17 millions d'habitats sur 78.600 km2
Ce bassin de Seine, d'une superficie totale de 78.600 km2, a connu une forte expansion de sa population depuis le XIXe siècle, passant de 4 à 17 millions d'habitants.  Mais les mouvements internes de ces populations n'ont pas été uniformes : hausse puis baisse des habitants dans les zones rurales (notamment amont), forte densification de l'agglomération parisienne (60% de la population sur 4% de la superficie).

Jérôme Belliard et ses collègues ont cherché sur ce bassin des tronçons de rivière sur lesquels on dispose d'une information assez ancienne et solide sur les assemblages de poissons (base Chips pour Catalogue Historique des Poissons de la Seine) : travaux de naturalistes et d'ichtyologues, monographies régionales, compte-rendus ou enquêtes d'autorités publiques, cartes halieutiques, archive des pêches électriques du Conseil supérieur de la pêche (aujourd'hui Onema), et bien sûr relevés piscicoles de la période récente (1981-2010).

Au final, 29 tronçons ont répondu à ces critères, dont la carte est indiquée ci-dessous (cliquer pour agrandir). On y observe des rivières de nos bassins (Laigne, Armance, Créanton, Serein à Chablis, Armançon à Tonnerre et Saint-Florentin, Cure à Vermenton, Cousin à Avallon, Yonne à Corbigny). Les plus anciennes données datent de 1850 (avec une première période trentenaire de référence consolidée sur 1871-1900).


Extrait de Belliard et al 2016, art.cit., droit de courte citation.

Concernant les assemblages de poissons (51 taxons), les chercheurs ont défini 5 traits écologiques ayant 3 modalités chacun : habitat (rhéophile, limnophile, eurytope), tolérance à l'oxygène, température de frai, substrat de frai (lithophile, phytophile, lithophytophile), régime alimentaire (omnivore, invertivore, piscivore). Ils ont également étudié les espèces migratrices (11 taxons, 20%), dont le déclin est largement documenté en Europe occidentale, et les espèces non-natives (17 taxons, 33%). La répartition des espèces suit un gradient amont-aval, avec des têtes de bassins moins riches (15 ou 16 espèces Andelle et Laigne) et des plaines alluviales plus diverses (36 espèces sur la Seine à Rouen). La distance de Jaccard (mesure de similarité de deux échantillons) a été calculée sur chaque site pour toutes les périodes disponibles.

Principaux résultats
Quelles sont les découvertes de Jérôme Belliard et ses collègues sur l'ensemble des sites?
  • les changements d'assemblage de poissons ont tendance à augmenter au cours de la période;
  • les espèces migratrices ont décliné entre la période la plus ancienne et la plus récente (sans jamais excéder une perte de 3 espèces par site et avec une tendance à la recolonisation récente sur certains sites);
  • les espèces non natives (exotiques) ont au contraire augmenté, mais principalement dans les larges cours d'eau (observation inverse dans les rivières de taille petite ou moyenne);
  • la diversité alpha (sur site) est constante, mais la diversité bêta (entre sites) tend à augmenter dans le temps, principalement en raison des espèces non natives;
  • la proportion des espèces rhéophiles et des lithophiles a augmenté au détriment des eurytopes et phytolithophiles, de même que les espèces intolérantes à la variation d'oxygène ont connu une croissance;
  • ces deux dernières tendances montrent une corrélation à la variation de la densité de population des bassins versants (seul facteur anthropique analysé);
  • il n'y a pas de changement notable sur la température de frai (donc pas d'influence sensible du climat, bien que la période historique commence dans la sortie du petit âge glaciaire en Europe et l'entrée dans le réchauffement moderne).

L'image ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique l'évolution des traits écologiques entre la période la plus ancienne et la période la plus récente des tronçons analysés.


Extrait de Belliard et al 2016, art.cit., droit de courte citation.

Les chercheurs concluent sur l'intérêt de l'approche historique pour connaître les évolutions complexes des milieux aquatiques, mais aussi sur les limites de cette approche quand le gestionnaire vise à définir des "conditions de référence" de ces milieux, conditions vis-à-vis desquelles un écart sera considéré comme une dégradation ou une amélioration (voir Bouleau et Pont 2015). On est enclin à penser que plus cette référence sera ancienne, moins elle sera altérée par l'homme et représentative d'un état "désirable". Les choses ne sont manifestement pas si simples.

Discussion
L'augmentation des espèces rhéophiles et lithophiles vient comme la principale surprise de cette étude, car ces poissons sont plutôt considérés comme des indicateurs de bonne qualité des milieux (point porteur d'un jugement de valeur qui serait à débattre par ailleurs, de même que la dépréciation des espèces non natives, mais ce n'est pas l'objet de cet article). Comme le note les chercheurs : "Une vue couramment admise assume qu'au moins dans les pays développés, les assemblages piscicoles des rivières ont connu une détérioration large et continue, particulièrement durant les deux derniers siècles (Hughes et al 2005). Nos résultats suggèrent au contraire que dans le cas du bassin de la Seine, cette vue doit être substantiellement nuancée, voire réfutée".

Parmi les explications possibles, les auteurs notent la suppression de petites retenues agricoles et étangs devenus sans usage un cours du XXe siècle, les travaux de drainage et recalibrage visant à accélérer l'évacuation des crues (donc créant un courant plus vif), l'exode rural et le déclin démographique de nombreuses zones du bassin. Cette dernière hypothèse est renforcée par le fait que les zones ayant gagné en densité humaine ont aussi une tendance inverse en faveur des limnophiles, omnivores et tolérants aux variations d'oxygène.

Un facteur n'est pas cité par les chercheurs : la pêche. Celle-ci a pourtant son influence sur les assemblages piscicoles, tant du fait de son déclin continu sur la période analysée que du fait des déversements d'espèces, qui ont eu tendance au contraire à croître (voir par exemple Haidvogl et al 2015 sur le Salzach).

Un autre point n'est pas clarifié : si l'évolution des populations piscicoles sur les périodes géologiques est connue, peut-on s'attendre à des variations naturelles (aléatoires ou non) des populations piscicoles sur les durées historiques, c'est-à-dire à échelle de la décennie, du siècle ou du millénaire? La recherche des causes anthropiques d'une évolution ("signal") demande déjà de bien calibrer le "bruit" de la variabilité naturelle, comme cela se fait par exemple dans les sciences du climat.

Enfin, si l'histoire de l'environnement est certainement l'un des champs de recherche très prometteurs pour mieux comprendre la variabilité spontanée et forcée des systèmes naturels (voir Boivin et al 2016), cette démarche est encore assez peu développée. Les sources historiques gagneront certainement à être consolidées et croisées à des données issues de l'archéologie, la paléo-écologie, la génétique des populations et la phylogénie moléculaire.

Référence : Belliard J et al (2016), Reconstructing long-term trajectories of fish assemblages using historical data: the Seine River basin (France) during the last two centuries, Environ Sci Pollut Res, doi:10.1007/s11356-016-7095-1

15/08/2016

Circulation des saumons, deux siècles d'aménagements problématiques sur l'Aulne (Le Calvez 2015)

Caroline Le Calvez, doctorante du laboratoire de géographie sociale à l'université Rennes 2, a choisi d'étudier l'Aulne canalisée, section aménagée d'un petit fleuve à saumons de Bretagne. Dans un article paru dans la revue Norois, elle dresse un bilan de deux siècles d'aménagements de la rivière et de projets de restauration de sa population de grands migrateurs. Ce cas concret a sa spécificité, mais bien des dimensions font écho à nos propres expériences et interrogations. Malgré plus d'un siècle d'actions et un soutien croissant des institutions, la situation du saumon n'est toujours pas bonne sur l'Aulne. L'expérimentation de "débarrage" à partir de 2010 a suscité de fortes oppositions et la restauration écologique de la rivière ne possède ni base sociale élargie, ni enjeu économique évident. En fait, sur l'Aulne comme ailleurs, il manque un vrai projet inclusif de territoire qui serait susceptible de justifier la remise en cause des usages et des paysages. Mais le discours actuel de "renaturation" est-il seulement capable de porter un tel projet, vu que son horizon programmatique est finalement de minimiser les interactions entre l'homme et la rivière? 



La Bretagne, région qui compte 25 cours d’eau fréquentés par le saumon atlantique, est depuis longtemps sensible à la question des grands migrateurs. Le fleuve côtier Aulne, choisi par Caroline Le Calvez (ESO-UMR 6590 CNRS, Université Rennes 2) pour son analyse historique et institutionnelle, est un bon reflet de ces préoccupations et de la difficulté de construire des consensus de gestion.

Après 1810, 28 barrages implantés sur l'Aulne pour la navigation
Les problèmes des saumons de l'Aulne ne viennent pas des moulins ni des pêcheries d'Ancien Régime mais, comme souvent, des aménagements plus récents. Ici, pour la navigation. Comme le relève la scientifique, "l’Aulne est un fleuve côtier anciennement aménagé par les populations locales pour la pêche au saumon (pêcheries) et l’utilisation de la force hydraulique (moulins). À partir des années 1810, la canalisation de l’aval de l’Aulne sur près de 70 km fait disparaître les habitats favorables à la reproduction du saumon et transforme les conditions d’accès aux sites de frai situés à l’amont sur l’Aulne rivière. (..) Le rehaussement du niveau d’eau pour la navigation est réalisé par l’implantation de 28 barrages, chacun équipé d'une écluse destinée au passage des bateaux, d'un déversoir droit ou en 'V' et d’un pertuis pour l’évacuation de l’eau notamment lors des vidanges d’entretien".

Le dépeuplement des saumons contrarie les pêcheurs qui, à la fin du XIXe siècle, se répartissent en pêche de subsistance, pêche commerciale et pêche sportive naissante. Un acteur local amodiataire de la pêche sur l’Aulne canalisée propose dans les années 1860 d'installer des échelles à poissons. "Ce premier projet se heurte à l’Administration qui reconnaît l’intérêt de la remontée des saumons mais remet en cause les échelles à poissons, considérées comme des dispositifs très onéreux et à l’efficacité incertaine. De plus, pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées ce ne sont pas les ouvrages du canal qui sont responsables du déclin des saumons mais la pêche en estuaire et le braconnage qui détruisent la ressource". On retrouve ici le scepticisme qui a accompagné la mise en oeuvre de la loi de 1865 (voir cet article). Une initiative privée mais soutenue par le Conseil général et par un député (lui-même amodiataire de lots de pêche) voit le jour au début du XXe siècle, sur 5 barrages. Entre 1906 et 1919, ce sont 14 échelles à poissons qui sont mises en place sur l’Aulne.

La pêche sportive devient le premier acteur militant, dans un contexte légal et réglementaire de plus en plus favorable
"Progressivement, remarque Caroline Le Calvez, l’enjeu se déplace d’un type de pêche à un autre pour se fixer sur la pêche sportive. Le tourisme de la pêche devient alors la justification majeure dans l’Entre-deux-guerres". Le cours d’eau est classé en "cours d’eau à migrateurs" au titre du décret du 31 janvier 1922 dressant la liste des cours d’eau où la libre circulation des espèces migratrices doit être garantie. Une nouvelle méthode est expérimentée puisque la Fédération de Pêche fait installer des échancrures dans les déversoirs de certains barrages. Cette disposition est alors facilitée par la raréfaction du transport fluvial sur la partie finistérienne du canal.

Malgré l’équipement en échelles à poissons et échancrures, le repeuplement artificiel, la réglementation plus sévères des pratiques halieutiques, le repeuplement du saumon n’est pas correctement assuré dans l'Aulne. Après-guerre, des ingénieurs du canal proposent une "suppression de toutes les installations du canal [pour favoriser] le rétablissement de l’Aulne dans son état naturel", mais cette option n'est pas retenue.

Vient ensuite une série d'évolutions régionales ou nationales:
  • loi sur l’eau de 1964 avec l’émergence de la "nature milieu", 
  • création en 1969 de l’Association pour la Protection et la Promotion du Saumon en Bretagne (APPSB), 
  • loi de protection de la nature de 1976 et premier Plan Saumon lancé la même année, 
  • premier plan quinquennal poissons migrateurs (1981-1985), 
  • Contrats de Plan Etat-Région en 1982, intégrant les migrateurs, 
  • loi sur la pêche de 1984, qualifiant le poisson de "bien commun" et rappelant l'obligation d'aménagement pour les migrateurs de 1922, 
  • création des Cogepomi (Comités de gestion des poissons migrateurs) et des Plagepomi (Plans de gestion des poissons migrateurs) en 1994,
  • directive cadre européenne sur l'eau de 2000 (transposée en droit français en 2004), citant la "continuité de la rivière" dans une annexe et posant le principe d'un "état de référence" du bon état écologique et chimique,
  • loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 réaffirmant la nécessité de restaurer la continuité écologique (piscicole et sédimentaire) sur des rivières classées, 
  • SDAGE 2010- 2015 Loire-Bretagne identifiant l'ouverture des axes migrateurs comme orientation fondamentale.

Des décennies d'investissement, avec des résultats jugés trop modestes par les pêcheurs
Qu'en est-il sur l'Aune ? "La succession des plans migrateurs depuis 1975 a conduit à l’équipement de 21 dispositifs de franchissement par le Syndicat mixte d’aménagement touristique de l’Aulne et de l’Hyères (SMATAH) en charge des travaux pour le compte de la Direction départementale de l’équipement. Des rénovations de passes à poissons sont réalisées sur certains ouvrages afin d’en améliorer la franchissabilité. Sur les barrages non équipés, des passes à poissons 'nouvelle génération' sont construites. Des dispositifs datant des années 1950-1960 sont conservés sur 7 barrages. Les campagnes des années 1990 visent à compléter l’équipement ou le rénover."

Ces choix occasionnent des coûts, relève Caroline Le Calvez : "les mesures prises pour restaurer et protéger la population de saumons représentent un effort financier très supérieur à celui consenti pour les autres espèces migratrices. Par ailleurs, c’est sur ce cours d’eau breton que se concentre l’effort financier régional. La libre circulation constitue en moyenne 24% des dépenses dans les différents plans et arrive en deuxième position après le soutien d’effectifs (Dartiguelongue, 2012)". Pourtant le résultat n'est pas au rendez-vous : "à la fin des années 1990, le constat d’une dégradation généralisée de l’état du canal fait réagir les acteurs locaux. La voie d’eau n’est presque plus empruntée sur l’ensemble de la section finistérienne faute d’entretien suffisant des aménagements, la pollution de l’Aulne est perçue comme problématique par les acteurs locaux. Pour les pêcheurs de saumon, la mauvaise qualité de l’eau est citée comme la principale cause limitant la qualité de la pêche devant l’impact de la canalisation (Salanié et al, 2004)".

Années 2000 : le SAGE relance le processus de débarage de l'Aulne
Le SAGE Aulne est lancé en 2001. Deux projets opposés voient le jour, "l’un organisé autour de l’Aulne comme voie de navigation fluviale et patrimoniale, l’autre en proposant de supprimer son caractère canalisé". Cette politique coïncide avec un projet de débarrage définitif qui remet en cause l’existence du canal. "Portée par la Fédération de Pêche et soutenue notamment par Eau et Rivières de Bretagne, cette suppression des barrages repose sur un argumentaire écologique : il s’agit d’apporter une réponse efficace à la problématique du saumon dans l’Aulne, améliorer la qualité paysagère de la vallée et retrouver une eau de qualité (Eau et Rivières de Bretagne, 1997)". Une étude de radiopistage du début des années 2000 montre que 3 à 4 % des saumons suivis parviennent sur les frayères à l’amont de la partie canalisée, proportion jugée insuffisante par les partisans du débarrage.

Du côté des institutions, des messages contradictoires sont envoyés : l’Aulne canalisée est classée en 2007 en "masse d’eau fortement modifiée" par le Comité de bassin de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne, une catégorie DCE permettant d'acter le changement anthropique profond d'un écoulement et l'impossibilité de revenir à un "état de référence" dans un court délai. Mais le programme Natura 2000 "vallée de l’Aulne" réaffirme de son côté la nécessité de garantir la circulation des poissons migrateurs.

Une expérience est alors menée : l’ouverture expérimentale des vannes des pertuis situés sur les barrages, pour former une "onde de migration temporaire et progressive aval-amont", deux fois par an (printemps et automne).

Le débarrage perçu comme une politique imposée et hors-sol, des usagers et riverains s'y opposent
Cette expérimentation est l’objet d’une controverse et engendre un conflit impliquant des usagers du canal opposés au débarrage, réunis au sein de l’Association de Sauvegarde de l’Aulne Canalisée (ASAC) depuis 2013. Ces usagers "nient l’efficacité de l’opération pour la restauration du saumon et l’accusent de détruire l’écosystème en place depuis la création du canal pour favoriser une espèce qui n’est quasiment plus pêchée. Ils expriment la crainte que cette expérimentation soit un coup d’essai avant une suppression définitive du canal".

Caroline Le Calvez souligne le caractère déconnecté de cette expérimentation, "développée comme une émanation de la politique européenne et nationale, que l’on pourrait qualifier de 'hors-sol', d’autant plus exogène qu’elle n’a pas été l’occasion d’une concertation sur sa justification locale avec l’ensemble des acteurs. Actuellement, la reconquête du saumon sur l’Aulne est dissociée des questions économiques et touristiques qui étaient un principe et moteur de l’action au début du XXe siècle. Ainsi, en un siècle de politique en faveur de la remontée des saumons, un basculement s’est opéré dans la justification de l’aménagement des ouvrages. Alors que le caractère expérimental pourrait être un moment privilégié de réflexion et de détermination d’un projet partagé, le processus d’ouverture des pertuis reste une intervention confidentielle, impliquant matériellement quelques animateurs-techniciens et usagers intéressés".

Deux visions s'opposent sur le rapport à la rivière
Le débarrage cristallise l'opposition deux visions du monde, l'une centrée sur les écosystèmes et demandant l'adaptation voire la disparition des patrimoines et paysages en place ; l'autre centrée sur le canal existant, ses représentations et ses usages, considérant que l'inadaptation partielle du saumon au site anthropisé est un motif secondaire d'action publique. "Très profondément, note la scientifique, l’expérimentation d’ouverture des pertuis a déclenché la manifestation de blocages sociaux, avec la mobilisation de groupes rétifs à la négociation et au compromis ; s’y cristallisent des clivages politiques et idéologiques plus généraux sur la légitimité de l’application locale de politiques publiques nationales et européennes. In fine, derrière cette confrontation de visions territoriales, se pose la question de la préservation des 'patrimoines' et des 'paysages' construits, représentés par le canal et ses aménagements d’une part, par les espèces migratrices et leur écosystème d’autre part".

Caroline Le Calvez souligne également le caractère clivant et définitif du démantèlement des ouvrages, qui modifie tout un territoire: "l’effacement des ouvrages, même temporaire, se distingue de l’équipement en passes à poissons par son impact socio-spatial. Il entraîne une transformation fonctionnelle du cours d’eau avec une diversification des écoulements. La baisse du niveau de l’eau induit des changements paysagers en fond de vallée. Les usages de l’eau doivent s’adapter à la nouvelle configuration du cours d’eau. Ce nouveau mode d’aménagement entre en tension avec le paysage hérité auquel la population locale est attachée, tensions que les discours et les prises de position des acteurs de l’opération retranscrivent".

Une solution politique? En attente de porteurs d'une vision intégrative du territoire
Sur l'Aulne comme ailleurs, des "camps" se forment selon leur préférence pour telle ou telle option. Les observations et enquêtes de l'universitaire amènent à remarquer que "la pensée des écologues, biologistes et hydrologues tend à plaider pour la qualité des conditions d’épanouissement des espèces migratrices en l’absence d’ouvrages, tout en restant incertains sur l’effet potentiellement contre-productif de la restauration des débits sans barrages. Les riverains, l’organisme de gestion du canal tendent à considérer le canal comme un écosystème de qualité, avec ses rythmes, ses caractéristiques paysagères, son histoire, ses espèces de poissons blancs. Pour ces acteurs locaux, dont font partie certains élus, le saumon doit transiger avec l’existant, alors que la politique publique portée par le Conseil départemental, l’EPAGA et la Fédération de Pêche vise à l’inverse à adapter la voie d’eau au saumon sans pour autant approuver les propositions de débarrage définitif qui avaient été formulées à deux reprises au siècle précédent"

Au final, face à cette diversité des attentes, valeurs et intérêts, face au caractère potentiellement conflictuel des visions en présence, c'est une solution politique qui doit émerger, et une solution venant du territoire, pour le territoire : "Les prises de positions favorables ou à charge font glisser ces projets initialement écologiques vers une réflexion sur le devenir socio-économique des territoires. Ils ne peuvent faire l’économie d’une appréhension par le politique. Ainsi, les controverses qui se développent conduisent à penser que la restauration de la continuité écologique doit sortir des cercles scientifiques et techniques et dépasser l’approche écologique dominante qui conduit à faire des cours d’eau des linéaires déterritorialisés."


Discussion
L'analyse sur la longue durée de Caroline Le Calvez nous rappelle opportunément que les problèmes de continuité écologique, ici le franchissement des obstacles par des grands migrateurs salmonidés, ne datent pas d'hier. Son travail nous inspire les observations suivantes.

Prépondérance (mais déclin) du lobby de la pêche dans la problématique de continuité – Le milieu des pêcheurs a toujours été et reste aujourd'hui le fer de lance des demandes d'aménagement ou d'effacement d'ouvrages hydrauliques, en particulier sur les cours d'eau à salmonidés. Mais depuis son âge d'or après-guerre, ce milieu a largement perdu de son importance sociale et économique, malgré des soutiens publics forts et répétés à l'occasion des grandes lois sur l'eau ou des planifications régionales. Du même coup, les réformes de type continuité écologique ont du mal à prétendre à une large assise citoyenne ou à de forts enjeux d'usage, puisqu'elles sont portées par une minorité de sachants et pratiquants associés à des institutionnels, avec au passage une dommageable confusion entre le service instructeur référent de l'écologie et le monde des pêcheurs (puisque l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques créé en 2006 n'est autre que l'ancien Conseil supérieur de la pêche).

Le nécessaire bilan de la politique de restauration du saumon – Selon l'Observatoire Bretagne grands migrateurs (données 2015), malgré des déversements conséquents depuis 30 ans (centaines de milliers de juvéniles), malgré les aménagements des ouvrages et l'expérience de débarrage depuis 2010, la situation du saumon n'est toujours pas satisfaisante sur l'Aulne. Le niveau du recrutement en juvénile est très mauvais à passable, toujours très inférieur à la moyenne régionale, avec des retours de géniteurs insuffisants à la reconstitution d’un stock sauvage de saumon. Sur l'Aulne et au-delà, cela fait 40 ans qu'il existe une politique des grands migrateurs. On est en droit d'en attendre un bilan qui ne soit pas seulement écologique, mais aussi économique, social et politique. A notre connaissance, il n'existe pas. Quel est le coût annuel actuel et la somme des dépenses consenties? Quels sont les conflits d'usage (et/ou coûts indirects) dans la restauration migratoire? Quelles sont les tendances de long terme observées sur la recolonisation des grands migrateurs et le gain sur chaque bassin une fois débruitée la variabilité naturelle? Quel est l'effet cumulé et tendanciel sur le loisir pêche comme activité économique? Quels sont les succès et les échecs, comment les objective-t-on et quelles leçons en tire-t-on? A-t-on progressé dans la modélisation des repeuplements de saumons (grands migrateurs par extension) avec capacité de prédire des résultats? Quelles sont les perspectives et quel sera leur coût pour la collectivité? L'écologie est passée avec un grand enthousiasme d'une phase militante à une phase institutionnelle au cours des quatre décennies concernées. Elle devient conséquemment soumise à une évaluation plus rigoureuse des politiques publiques (y compris au sein des politiques écologiques de qualité de l'eau et des milieux, où les besoins sont plus importants que les capacités, donc où l'optimalité de la dépense publique doit être recherchée).

Démesure du classement de 15.000 ouvrages en 2012-2013 – Les précédents classements de rivière à fin migratoire ont dans l'ensemble connu des échecs ou des applications très lentes depuis 1865, et le cas de l'Aulne en est un bon exemple malgré une sensibilité et une mobilisation locales. Ce n'est pas une découverte mais un trait assez constant de la politique des rivières depuis 150 ans. Au vu de ces difficultés connues de longue date pour trouver des solutions consensuelles et mobiliser des porteurs de projet, au vu de l'ancienneté de la plupart des "obstacles à l'écoulement" (digues, écluses, seuils, barrages) et de leur place dans la lente construction des territoires français, le choix administratif de 2012-2013 consistant à classer 15.000 ouvrages à aménager en l'espace de 5 ans a été (selon la meilleure hypothèse) inconscient, irrationnel ou irresponsable. De toute évidence, une telle ambition demanderait plusieurs décennies d'engagement, à supposer qu'elle ait un sens sur des rivières où il n'existe pas d'enjeux grands migrateurs immédiats. Tant que le politique et le gestionnaire n'admettront pas que ce type de programme a pour temporalité le siècle (et non pas la prochaine ré-élection ou la planification quinquennale), nous produirons des effets d'annonce ou des pressions absurdes, suscitant la confusion et dépréciant finalement l'intérêt pour l'écologie des rivières.

Les visions antagonistes de la rivière doivent amener à poser les vraies questions – Par rapport à l'étagement moyen des rivières françaises, l'Aulne canalisée est sans doute un cas extrême de discontinuité puisque toute la moitié aval du fleuve (70 km sur 145 km de linéaire) est formée d'une succession de biefs à écluses. Malgré cela, les antagonismes qui s'y dessinent peuvent être observés ailleurs. On ne saurait euphémiser ces antagonismes ou nier leur profondeur sous la forme d'un supposé "manque de pédagogie" (au sens où des citoyens ignares de l'écologie verraient nécessairement la lumière après une leçon donnée par une association environnementaliste, une fédération de pêche ou une agence de l'eau). Posé simplement, la question réduite à son enjeu piscicole est : à quoi consentent les citoyens (en dépense et en perte de l'existant) pour voir revenir le saumon (et d'autres migrateurs) en plus grand nombre sur le bassin supérieur de l'Aulne? La question élargie au territoire est : en dehors de la fonctionnalité du cours d'eau selon les "canons" de l'écologie, qui intéresse les spécialistes mais ne forme pas en soi une finalité politique, les gestionnaires ont-ils un projet de "renaturation" de l'Aulne canalisée qui produirait des services rendus aux riverains et susciterait leur adhésion? Enfin, la question la plus fondamentale pour la politique des rivières en France est : doit-on aujourd'hui et demain réduire pour l'essentiel l'aménagement de la rivière à un objectif de naturalité (convergence vers un "état de référence" peu anthropisé) ou doit-on assumer que la rivière n'est pas ou plus uniquement un fait naturel, car elle répond à une pluralité de valeurs, d'intérêts et d'actions (économie, paysage, patrimoine, loisir, etc.) modifiant son cours spontané, hier, aujourd'hui et (probablement) demain? Si l'on veut faire progresser la "démocratie de l'eau", les citoyens doivent avoir l'opportunité de se prononcer sur de telles questions à échelle de leurs territoires et sur la base d'enjeux concrets, de même que les élus doivent se saisir de la problématique sans langue de bois. Aujourd'hui, les normes, les objectifs et les procédures de la politique des rivières sont à la fois très complexes et non inclusives, même pour des élus et a fortiori pour de simples citoyens. L'effet "hors-sol" (technocratie coupée des gens) observé par Caroline Le Calvez en découle nécessairement. Ce n'est pas une fatalité.

Référence : Le Calvez C (2015), Rétablir la libre circulation piscicole dans les vallées fluviales : mise en perspective des enjeux et des aménagements à partir du cas de l’Aulne (XIXe-XXIe siècles), Norois, 237, 33-50

Illustrations : en haut, l'Aulne (Canal de Nantes à Brest) à Pont-Triffen (juste en aval de la confluence avec l'Hyères) ; en bas le moulin de la Roche (en ruine), en Cléden-Poher, sur les bords de l'Aulne, en amont de Pont-Triffen, photographies de Henri Moreau CC BY-SA 4.0