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05/08/2020

Le juge donne tort à l'administration sur la détermination de la consistance légale d'un moulin fondé en titre

Les parlementaires ont demandé à l'administration d'encourager la petite hydro-électricité, mais celle-ci fait tout le contraire. Dans une affaire de détermination de la consistance légale fondée en titre d'un moulin, le ministère de l'écologie s'est acharné à contester les demandes du propriétaire et les conclusions de l'expert judiciaire mandaté par le tribunal en première instance. L'administration a essayé de faire valoir une contre-expertise sur les bases de la méthode proposée par INRAE-OFB, mais elle n'a pas été retenue comme crédible par le juge administratif. Ce que nous avions déjà souligné quand cette méthode (à charge) était parue en 2018. Voilà donc à quoi ressemble la continuité "apaisée" : essayer par tous moyens de détruire des ouvrages, quand on n'y parvient pas essayer par tous moyens de contester leurs droits. Pour les propriétaires et associations de moulins et étangs, le recours en justice contre l'administration de l'eau et de la biodiversité doit devenir la norme en cas de désaccord avec les services du préfet. Mais il faut aussi informer les médias et élus de ces dérives où l'argent public est dilapidé à des pinaillages bureaucratiques contraires à l'intérêt général. Car on parle en ce cas de la capacité d'un site à produire de l'électricité bas-carbone au service de la transition énergétique


Le propriétaire d'un moulin à eau sur la rivière la Baïse, équipé d’une micro-centrale de production hydro-électrique et d’un barrage en pierre, a déposé une demande auprès de la DDT de Lot-et-Garonne en vue de la reconnaissance d’une consistance fondée en titre de 409 kW. Le préfet a refusé de reconnaître une telle consistance, en estimant que la consistance légale devait être de 107 kW. Puis le préfet a proposé de reconnaître comme droit fondé en titre, la puissance électrique actuellement vendue à EDF, soit 220 kW. Le propriétaire a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l’annulation des décisions du préfet et la reconnaissance d’une consistance légale de 409 kW du droit fondé en titre attaché au moulin.

Par un jugement avant dire droit du 9 février 2017, le tribunal administratif a ordonné une expertise en vue d’apprécier la consistance légale. Après dépôt du rapport de l’expert, concluant à une puissance fondée en titre de 628 kW, le propriétaire a demandé que soit reconnu un droit fondé en titre à ce niveau de puissance, ce qui fut posé par un jugement du 1er février 2018. Le ministre a fait appel de ce jugement.

La cour d'appel rappelle d'abord que la consistance légale est la puissance maximale que l'on peut tirer d'un site autorisé :
"Le droit fondé en titre conserve en principe la consistance qui était la sienne à l’origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de l’usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer. Cette puissance maximale est calculée en faisant le produit de la hauteur de la chute par le débit maximum de la dérivation par l’intensité de la pesanteur. Le débit maximum à prendre en compte correspond à celui du canal d’amenée, apprécié au niveau du vannage d’entrée dans l’usine, en aval de ce canal. La hauteur de chute à retenir est celle de la hauteur constatée de l’ouvrage, y compris les rehausses mobiles, sans tenir compte des variations de débit pouvant affecter le niveau d’eau au point de restitution."
L'expert a donc évalué le site en conformité à cette recherche :
"l’expert judiciaire désigné par le tribunal a estimé dans son rapport du 22 juin 2017 que l’état initial du moulin (...) avant 1789, correspondait à une installation comprenant quatre meules entrainées chacune par une roue hydraulique pour la production de farine, un foulon pour préparer les fils de tissage et un atelier de filature, couplés à l’énergie produite par une roue à aubes. Selon lui, la chute d’eau présentait à l’origine une hauteur de 4 mètres, mais a subi ultérieurement des variations à la baisse, en sorte qu’elle s’élève actuellement à 3 mètres. Après prise de mesure de la fente d’alimentation du puits de l’ancienne roue de la seule meule qui subsistait sur les quatre meules installées à l’origine, il a estimé que les orifices disposaient alors d’une capacité d’écoulement de 1,5 m3 par seconde chacun et en a déduit que le débit total correspondant aux quatre meules était de 6 m3 par seconde. Enfin, il a évalué la capacité d’écoulement du canal d’alimentation de la roue à aubes à 10 m3 par seconde et, par conséquent, le débit total du moulin à 16 m3 par seconde et la puissance fondée en titre du moulin à l’origine à 628 kW." 
Pour contester ces conclusions, l’administration a chargé l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) de réaliser une contre-expertise dont le rapport ("établi unilatéralement" précise la cour) a été remis le 4 septembre 2017 sur la base des mesures relevées par l’expert judiciaire lors de sa visite sur place et des schémas contenus dans l’expertise.

Mais la cour d'appel écarte cette contre-expertise administrative. En particulier, ne sont pas opposables :
  • le fait de se prévaloir d’états statistiques sur les irrigations et les usines établis en 1899,
  • le comblement d'une partie de l’ouvrage, le canal du foulon,
  • l'influence de la disposition des meules anciennes sur le débit maximum.
Au final, le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal, retenant les conclusions de l'expertise qu'il a ordonnée, a fixé la consistance du droit fondé en titre du moulin à 628 kW.

Quatre leçons et réflexions depuis cette affaire :
  • en cas de désaccord avec un préfet, et après conseil juridique, le propriétaire doit avoir recours à la justice pour trancher (cette culture du droit est devenue indispensable pour les affaires d'environnement et énergie, les associations comme les collectivités doivent toutes travailler cela en priorité),
  • les propos des "sachants" et "experts" de l'administration sont à prendre avec des pincettes, car ils sont biaisés par une idéologie anti-ouvrage en France, donc ce qui paraît "objectif" est souvent orienté par certains préjugés à l'oeuvre dans la détermination des calculs et mesures,
  • les services de l'Etat mobilisent du personnel et dilapident de l'argent public dans une croisade insensée contre les ouvrages hydrauliques, y compris leur capacité à produire de l'énergie locale bas-carbone, alors même que les parlementaires ont demandé par la loi que la petite hydro-électricité soit encouragée,
  • la question des moulins et ouvrages producteurs devrait logiquement être retirée à la tutelle de la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère, pour être confiée à celle de l'énergie et du climat (DGEC). Car la DEB est devenue une haute administration au service de la destruction des moulins et barrages, ses instructeurs ayant perdu leur crédibilité sur le terrain après 15 ans de dérives en faveur d'une continuité écologique destructrice. Aucun service public ne fonctionne correctement sans la confiance du public.

Référence : CAA de Bordeaux, arrêt n°18BX01403, 16 juin 2020

A lire en complément
Un guide AFB-Irstea irrecevable pour le calcul de la consistance légale d'un moulin 

12/08/2019

Droit d'eau du moulin et ruine d'ouvrage, gare aux abus de pouvoir de l'administration

L'administration de l'eau et de la biodiversité a de plus en plus de mal à justifier la casse du patrimoine hydraulique français au nom de sa vision radicale et contestée de la continuité dite "écologique". Aussi recourt-elle à d'autres stratégies, comme l'abrogation des droits d'eau fondés en titre entraînant obligation de remise en état du site, notamment pour motif de ruine. Il ne se passe guère une semaine sans que notre association soit informée d'un cas par une consoeur, ou saisie par un propriétaire. L'abrogation de droit d'eau pour motif de ruine donne lieu à de nombreux abus de pouvoir des DDT-M. En effet, le conseil d'Etat se montre très exigeant dans la définition de la ruine, qui signifie concrètement la disparition quasi-totale des éléments utiles à la force motrice de l'eau et l'impossibilité à moins de lourds travaux d'exploiter une chute ou un débit. Un barrage ébréché même largement, des vannes absentes, un bief engravé ou encore une ruine du bâtiment du moulin ne signifient pas que le droit d'eau a disparu si la force motrice peut encore être mobilisée au prix de confortements et travaux d'entretien. Le point sur la jurisprudence pour savoir répondre à l'administration quand une ruine est alléguée. 



Le droit d'eau dans le cas des moulins et usines hydrauliques est un droit réel immobilier tenant à la capacité d'user de la force motrice de l'eau. Ce droit d'eau existe pour:
  • les usines hydrauliques de moins de 150 kW de puissance réglementées avant 1919,
  • les moulins en cours d'eau non domaniaux existant avant 1790,
  • les moulins  en cours d'eau domaniaux existant avant 1566.
Etangs et canaux d'irrigation ont aussi des régimes de droit d'eau, que nous ne détaillons pas ici.

Le droit d'eau dit fondé en titre (site existant avant 1790) ou sur titre (réglementé entre 1790 et 1919) d'un moulin ou d'une usine hydro-électrique est essentiellement attaché au génie civil du bien : à partir du moment où il est physiquement possible sur le site d'utiliser la force motrice de l'eau, le droit d'eau existe.

Le droit d'eau peut se perdre par la "ruine". Mais cette notion est complexe à apprécier. La préfecture (service de police de l'eau DDT-M, par défaut services de OFB, ex AFB-Onema) doit exposer matériellement un état de ruine. Il lui revient de démontrer l'exactitude de ses assertions factuelles et leur bonne interprétation au plan du droit.

Les arrêts du conseil d'Etat sur la notion de ruine depuis 15 ans
La jurisprudence du Conseil d'Etat exige une ruine complète qui empêche tout usage de la force motrice, et non pas une ruine partielle des divers éléments constitutif du droit d'eau (le barrage, le bief, la chambre d'eau, le coursier de roue, etc.). Les quinze derrières années ont vu une jurisprudence constante de la plus haute instance du droit administratif. (Rappelons que les interprétations du fond par le conseil d'Etat prévalent sur celles des cours de rang inférieur comme les tribunaux administratifs et cours d'appel administratives, donc que le plaignant doit si besoin faire appel puis cassation s'il estime que les cours inférieures ont mal jugé son cas).

L'arrêt "Laprade" (Conseil d'Etat, n°246929, 5 juillet 2004) a posé le principe d'interprétation qui prévaut et qui se trouve répété dans la plupart des arrêts ultérieurs: à savoir que "la force motrice produite par l'écoulement d'eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage et en aucun cas d'un droit de propriété ; qu'il en résulte qu'un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau ; qu'en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit".

Dans cet arrêt "Laprade", le conseil d'Etat observe qu'une ruine alléguée de barrage, une obstruction partielle de canal d'amenée et une végétalisation partielle de canal de fuite ne permettent pas de valider une perte du droit d'eau :
"Considérant ainsi que la non-utilisation du moulin Vignau depuis 1928 n'est pas de nature à remettre en cause le droit d'usage de l'eau, fondé en titre, attaché à cette installation ; que si l'administration fait état de la ruine du barrage, elle n'apporte pas la preuve de cette allégation et, notamment, ne fournit aucune précision sur la nature des dommages subis à l'occasion de la crue centennale de 1928 ; qu'en revanche la SA LAPRADE ENERGIE fait valoir, sans être contredite sur ces différents points, que le canal d'amenée n'est qu'obstrué par les travaux de terrassement entrepris dans le cadre d'une autorisation préfectorale accordée le 8 juillet 1983 puis annulée par le juge administratif ; que le canal de fuite, s'il est envahi par la végétation, demeure tracé depuis le moulin jusqu'au point de restitution ; qu'il pourrait être remédié à la dégradation subie en son centre par la digue, qui consiste pour partie en un banc rocheux naturel, par un simple apport d'enrochement ; qu'ainsi, la possibilité d'utiliser la force motrice de l'ouvrage subsiste pour l'essentiel ; qu'il suit de là que c'est à tort que le préfet des Pyrénées-Atlantiques a considéré que le droit fondé en titre de la SA LAPRADE ENERGIE était éteint". 

Dans l'arrêt du Conseil d'Etat n°263010, 16 janvier 2006, le caractère partiellement délabré d'un site ne suffit pas à abroger son droit d'eau dès lors qu'il peut encore "être utilisé par son détenteur":
"Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des actes produits par l'intéressé, que le moulin situé sur la rivière Le Lausset, dans la commune d'Araujuzon, acquis par M. A, existait avant 1789 ; que si cet ouvrage est partiellement délabré, ses éléments essentiels ne sont pas dans un état de ruine tel qu'il ne soit plus susceptible d'être utilisé par son détenteur ; que, dès lors, il doit être regardé comme fondé en titre et qu'ainsi le moyen tiré de ce que son exploitation serait soumise à autorisation selon les règles de droit commun ne peut qu'être écarté"

Dans l'arrêt du Conseil d'État n°280373 du 7 février 2007, l'absence d''entretien d'un étang de retenue, son encombrement d'embâcle et son assèchement n'implique pas que le moulin attenant ne peut utiliser la force motrice si l'hydaulique originelle est rétablie, donc cela ne suffit pas à établir que le droit d'eau devrait être abrogé:
"qu'en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit de prise d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ; Considérant qu'en se fondant, pour juger que l'étang situé sur la rivière 'Le Gouessant', à proximité du moulin dit de 'la Ville Angevin', ne pouvait être regardé comme fondé en titre, sur la circonstance que cet étang n'a pas été entretenu et est resté encombré de débris depuis au moins vingt ans, et se trouve actuellement asséché, sans rechercher si la force motrice de cet ouvrage était encore susceptible d'être utilisée par son détenteur, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché l'arrêt attaqué d'erreur de droit ; que M. et Mme A sont fondés à en demander, pour ce motif, l'annulation"

Dans l'arrêt du Conseil d'État n°414211 du 11 avril 2019, arrêt important dit "moulin du Boeuf", des dégradations passées affectant le barrage et les vannes, de même que l'engravement par le temps du bief n'empêchent nullement le propriétaire de faire des travaux de réfection, de faire constater l'existence d'une puissance hydraulique exploitable et donc de voir reconnaître son droit d'eau (et de faire valoir indemnisation en cas de perte d'un droit réel immobilier par action administrative) :
"il ressort des appréciations souveraines de la cour non arguées de dénaturation que si les dégradations ayant par le passé affecté le barrage et les vannes ont eu pour conséquence une modification ponctuelle du lit naturel du cours d'eau, des travaux ont été réalisés par les propriétaires du moulin afin de retirer les végétaux, alluvions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d'eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l'eau d'y circuler librement avec une hauteur de chute de quarante-cinq centimètres entre l'amont et l'aval du moulin, où une roue et une vanne récentes ont été installées. La cour, en jugeant que ces éléments caractérisaient un défaut d'entretien régulier des installations de ce moulin à la date de son arrêt, justifiant l'abrogation de l'autorisation d'exploitation du moulin distincte, ainsi qu'il a été dit, du droit d'usage de l'eau, a inexactement qualifié les faits de l'espèce."

Dans l'arrêt du Conseil d'État n°420764 du 24 avril 2019, le caractère ébréché d'un barrage, même assez largement pour restaurer un écoulement préférentiel en lit mineur, ne forme pas pour autant un état de ruine si la réfection n'implique pas "reconstruction complète":
"Par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation, la cour a tout d'abord relevé, que le barrage du moulin de Berdoues, qui s'étend sur une longueur de 25 mètres en travers du cours d'eau, comporte en son centre une brèche de 8 mètres de longueur pour une surface de près de 30 mètres carrés, puis relevé que si les travaux requis par l'état du barrage ne constitueraient pas une simple réparation, leur ampleur n'était pas telle " qu'ils devraient faire considérer l'ouvrage comme se trouvant en état de ruine ". Ayant ainsi nécessairement estimé que l'ouvrage ne nécessitait pas, pour permettre l'utilisation de la force motrice, une reconstruction complète, elle n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que le droit fondé en titre attaché au moulin n'était pas perdu dès lors que l'ouvrage ne se trouvait pas en l'état de ruine"

La philosophie commune qui anime l'ensemble de cette jurisprudence des conseillers d'Etat est claire: la ruine des éléments nécessaires à l'usage de la puissance de l'eau doit être telle qu'il est impossible d'exploiter cette puissance sauf à engager une reconstruction complète ou quasi-complète du site.

Les services de l'Etat sont donc en erreur d'appréciation et en excès de pouvoir quand ils tentent d'abroger des droits d'eau au motif d'un assec partiel, d'un barrage ébréché, de vannes manquantes, d'en engravement et végétalisation de bief, etc.

Procédure à suivre
Nous observons assez souvent des services instructeurs de la DDT-M qui ignorent ces dispositions et qui tentent d'imposer aux propriétaires un arrêté préfectoral d'abrogation du droit d'eau dans des cas ne le justifiant pas au plan des faits et du droit.

Les préfectures procèdent par constat sur site (soit de la DDT-M, soit de l'AFB-OFB), suivi d'un courrier au propriétaire avec projet d'arrêté d'abrogation.

En cas de désaccord avec la préfecture, vous devez suivre les étapes suivantes :

  • contester l'interprétation du constat de la préfecture (en citant les éléments de droit ci-dessus et en montrant par photos le bien en eau, donc en capacité d'user de la force motrice),
  • demander l'abandon de la procédure,
  • faire un recours gracieux si l'arrêté est malgré tout promulgué,
  • faire un recours contentieux si le recours gracieux est rejeté.

A noter qu'un syndicat de rivière ou une fédération de pêche ne dispose d'aucun pouvoir régalien en ce domaine du droit d'eau et ils doivent être dénoncés s'ils exercent des interprétations illégitimes du droit et des pressions indues sur un maître d'ouvrage (pour les récidivistes de l'abus d'autorité, une plainte pénale contre la personne prétendant à une fonction qu'elle n'a pas peut être déposée, au cas où le signalement au préfet du comportement abusif ne suffit pas à clarifier les rôles et stopper les abus).

Nous insistons sur la nécessité de rejoindre des associations de moulins et riverains, ou de les créer si elle n'existe pas sur le bassin. En effet, les propriétaires ne subissent le harcèlement administratif que du fait de leur isolement, de leur manque d'information, de leur absence de position unitaire et solidaire. Comme la gestion du moulin implique de nombreuses obligations (pas seulement éviter la ruine), il est de toute façon préférable  que les propriétaires d'ouvrage reprennent l'habitude d'une gestion concertée sur chaque rivière, partagent les bonnes pratiques et adoptent des positions communes vis-à-vis de l'Etat comme des tiers (communes, région, pêcheurs, kayakistes, riverains etc.).

L'erreur la plus classique est le propriétaire mal informé qui appelle de bonne foi l'administration pour s'informer de ses obligations sur l'eau et qui se retrouve avec un procès-verbal de ruine, car il ignore que l'Etat mène une politique active et contestée de destruction des moulins, en commençant par l'abrogation de leurs droits d'eau. Les agents immobiliers comme les notaires devraient eux aussi consulter régulièrement les associations de moulins de leur département en cas de doute, afin d'éviter des erreurs dans les actes et dans le bon déroulement des transactions. (Il est aussi nécessaire de connaître les devoirs du propriétaire d'ouvrage, pas seulement ses droits, et ces éléments doivent être spécifiés à l'achat puisque le droit d'eau est un droit réel immobilier. Trop de moulins sont encore achetés comme résidences secondaires sans connaissance des obligations de bonne gestion).

Quand ces politiques abusives d'abrogation de droit d'eau sont observées, il convient également pour l'association de lever l'opacité délétère et d'en faire un objet de débat démocratique:
  • écrire au préfet pour demander que cessent les abus de pouvoir des fonctionnaires concernés,
  • écrire au député et sénateur de la circonscription avec copie de la lettre au préfet, pour leur demander de saisir le ministre de l'écologie sur la persistance de la volonté administrative de destruction des moulins, forges, étangs et autres éléments du patrimoine (contraire à l'esprit soi-disant ouvert et respectueux de la "continuité apaisée"),
  • saisir les médias pour que ces manoeuvres opaques deviennent connues, qu'elles fassent l'objet d'un débat public et que d'autres propriétaires soient alertés des mauvaises pratiques des fonctionnaires de l'eau et de la biodiversité.
Aucune zone de confort ne doit être désormais laissée aux casseurs et harceleurs des ouvrages hydrauliques, qu'il s'agisse d'administrations, de collectivités ou de lobbies. Cette pression est nécessaire aussi longtemps que le ministère de l'écologie ne précisera pas formellement à tous ses agents que les ouvrages hydrauliques autorisés sont légitimes, que l'objectif n'est pas de les détruire, qu'ils n'ont pas à faire l'objet de harcèlement, mais bien d'un accompagnement de la part des services publics de l'eau et de la biodiversité.

Rappel : ce texte, comme tous ceux de ce site (en particulier ceux de la rubrique vademecum donnant des conseils précis) est libre d'usage. Il a vocation à être diffusé, réutilisé, simplifié, augmenté, etc. à la convenance du lecteur et selon les besoins. Il est très important que l'ensemble des propriétaires, collectifs, associations disposent des bonnes informations.

Illustration : une chaussée de moulin en voie de végétalisation. Cela peut arriver par négligence du propriétaire, ou par long intervalle de vente du moulin inhabité après une succession. Cette croissance d'arbustes puis arbres est mauvaise car elle fragilise l'ouvrage (dislocation progressive des empierrements par les racines). Mais en tout état de cause, elle ne constitue en rien un état de ruine et ne change pas le principe de diversion des eaux par la chaussée, permettant un usage de force motrice.

A lire en complément
Une règle d'or pour conserver un ouvrage: ne pas abandonner son droit d'eau
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07/05/2019

Ruine supposée d'ouvrage et droit d'eau: le conseil d'Etat condamne à nouveau les interprétations abusives du ministère de l'écologie

Pendant 4 ans, par appel puis cassation de décisions qui l'avaient débouté, le ministère de l'écologie s'était acharné à nier le droit d'eau de la commune de Berdoues sur un ouvrage hydraulique, au motif que le seuil du moulin présentait une brèche. Le conseil d'Etat vient de condamner ce qui n'était qu'une lecture infondée et abusive du droit par les fonctionnaires de l'eau et de la biodiversité. Après la victoire du moulin du Boeuf, ce nouvel arrêt de la plus haute juridiction de droit public vient en peu de temps sanctionner les dérapages de l'administration. Nous appelons plus que jamais tous les propriétaires et riverains à ne pas se laisser intimider par les interprétations souvent abusives des fonctionnaires de l'écologie, et à se battre en justice contre tous les excès de pouvoir. Pour les associations, n'hésitez pas à mentionner à vos parlementaires ces deux arrêts rapprochés du conseil d'Etat de 2019, qui démontrent le problème manifeste de l'acharnement infondé de l'Etat contre les moulins et autres ouvrages anciens. La croisade insensée d'une administration à la dérive pour détruire les seuils et barrages en rivière comme pour empêcher leur équipement hydro-électrique doit cesser.  



La commune de Berdoues (Gers) a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté du 17 avril 2015 par lequel le préfet du Gers avait constaté la perte du droit d’eau fondé en titre du moulin de Berdoues, appartenant à la commune, et installé sur la rivière Baïse.

Par un jugement du 20 juin 2017, le tribunal administratif de Pau avait annulé l’arrêté du 17 avril 2015. Par un arrêt du 20 mars 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté le recours formé par le ministre de la transition écologique et solidaire contre ce jugement.

Le ministère de l'écologie s'est acharné et s'est pourvu en cassation : il vient de perdre au conseil d'Etat.

Les conseillers rappellent les conditions d'existence du droit deau, notamment la caractérisation exacte de l'état de ruine :
"La force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété. Il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète."
Qu'en est-il de la qualification des faits jugés ici ?
"Par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation, la cour a tout d’abord relevé, que le barrage du moulin de Berdoues, qui s’étend sur une longueur de 25 mètres en travers du cours d’eau, comporte en son centre une brèche de 8 mètres de longueur pour une surface de près de 30 mètres carrés, puis relevé que si les travaux requis par l’état du barrage ne constitueraient pas une simple réparation, leur ampleur n’était pas telle “ qu’ils devraient faire considérer l’ouvrage comme se trouvant en état de ruine “. Ayant ainsi nécessairement estimé que l’ouvrage ne nécessitait pas, pour permettre l’utilisation de la force motrice, une reconstruction complète, elle n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que le droit fondé en titre attaché au moulin n’était pas perdu dès lors que l’ouvrage ne se trouvait pas en l’état de ruine."
Le ministère de l'écologie est donc débouté de sa demande et le droit d'eau est reconnu.

A retenir pour tous les propriétaires :
  • un ouvrage hydraulique de répartition (seuil, barrage) présentant une brèche même large n'est pas en ruine au sens du droit;
  • lorsque les travaux relèvent d'une réparation d'un élément du système hydraulique, il n'y a ni ruine ni perte du droit d'eau.

Référence : Conseil d'Etat 2019, arrêt n°420764, commune de Berdoues contre ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

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Victoire du moulin du Boeuf contre le ministère de l'écologie au conseil d'Etat! L'hydro-électricité des moulins reconnue comme d'intérêt général 

12/04/2019

Victoire du moulin du Boeuf contre le ministère de l'écologie au conseil d'Etat! L'hydro-électricité des moulins reconnue comme d'intérêt général

Après huit années de lutte dont près de 6 ans de combat judiciaire, le conseil d'Etat vient de reconnaître le droit du moulin du Boeuf d'exploiter l'énergie de la Seine à Bellenod. Le pot de terre l'a emporté sur le pot de fer : c'est une immense victoire pour Gilles et Marie-Anne, pour les associations Arpohc et Hydrauxois qui sont à leurs côtés depuis le début, pour les centaines de sympathisants qui ont aidé à financer le contentieux jusqu'au conseil d'Etat. Cette décision de la plus haute instance du droit administratif est aussi très intéressante au plan juridique puisqu'elle dit explicitement aux administrations du ministère de l'écologie que l'équipement des moulins entre dans la gestion durable et équilibrée de l'eau telle que la définit la loi, cela sans réserve sur la puissance modeste de chaque moulin. Le combat du moulin du Boeuf envoie un signal puissant à tous les moulins de France: battez-vous sur chaque site contre les administrations qui essaient de vous détruire ou de vous empêcher de produire une énergie locale, propre et appréciée!


Gilles Bouqueton (au centre) avec Christian Jacquemin et François Blanchot (Arpohc), devant la banderole qui orne depuis 6 ans le moulin du Boeuf.  La lutte a payé! Photo : le Bien Public.

En 2013, dans l'un des premiers articles de ce site, nous avions exprimé notre incompréhension lorsque la préfecture de Côte d'Or avait décidé de casser le droit d'eau du moulin du Boeuf (Bellenod-sur-Seine) et d'empêcher ses propriétaires, Gilles Bouqueton et Marie-Anne Portier, d'installer une roue pour exploiter l'énergie de la rivière. Le moulin est hors réseau EDF, et ses propriétaires l'avaient acquis dans une perspective écologique d'autoconsommation énergétique avec des ressources locales. Des réunions de concertation avec les représentants de la DDT et de l'Onema (aujourd'hui AFB) n'avaient rien donné.

En pleine période de classement des rivières (la Seine amont est liste 1 et liste 2 de continuité dite "écologique"), alors que la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère instruisait ses agents de la nécessité de détruire le maximum de moulins et d'étangs, le site du Boeuf devenait le symbole des premiers dérapages de la continuité écologique dans un sens excessivement tracassier, voire punitif et répressif. Mais Gilles Bouqueton et Marie-Anne Portier n'entendaient pas s'en laisser compter, et ont confié à Me Remy le soin de défendre leur cas devant les tribunaux et cours.

Près de six ans plus tard, dans sa lecture du 11 avril 2019 (arrête n°414211), le conseil d'Etat a donné raison aux propriétaires contre le ministère de l'écologie : il casse l'arrêt du 4 juillet 2017 de la cour administrative d’appel de Lyon, qui avait validé l'annulation du droit d'eau.

Cet arrêt du conseil d'Etat comporte des éléments d'intérêt pour le monde des moulins.

Dans son deuxième attendu, les conseillers citent l’article L. 211-1 du code de l’environnement en précisant :
"Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l’un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l’eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l’autorité administrative compétente, lorsqu’elle autorise au titre de cette police de l’eau des installations ou ouvrages de production d’énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage."
C'est une position très intéressante car cette jurisprudence sera opposable à tous les services administratif prétendant que la continuité dite écologique, également présente dans cet article L 211-1 code de l'environnement, aurait en quelque sorte une primauté sur le reste des éléments formant la "gestion équilibrée et durable de l'eau", donc concourant à l'intérêt général. Il n'en est rien. C'était l'appréciation que notre association et ses avocats faisaient de cet article : elle se trouve confirmée.

Précisant sa doctrine, le conseil d'Etat retoque également les appréciations de la cour d'appel qui avait allégué de la faible puissance du moulin pour justifier son absence supposée d'intérêt :
la cour a estimé qu’eu égard à la puissance du moulin du Bœuf, évaluée à 49,2 kilowatts, la perte du potentiel théorique mobilisable de ce moulin était minime à l’échelle du bassin de la Seine. En se prononçant ainsi alors que, en tout état de cause, aucune disposition n’imposerait d’apprécier le potentiel de production électrique d’une installation à l’échelle du bassin du cours d’eau concerné, et alors, que, au demeurant, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la puissance potentielle du moulin du Bœuf correspond à la production électrique moyenne d’un moulin, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
Donc non seulement l'hydro-électricité doit être considérée comme faisant partie de la gestion durable et équilibrée de l'eau, mais la contribution des moulins s'y apprécie en fonction de la puissance normale moyenne de ce type d'ouvrage (variant le plus souvent de 5 à 500 kW, ici 49,2 kW). On ne peut juger du potentiel des moulins en faisant référence "à l’échelle du bassin du cours d’eau concerné", mais on doit apprécier chaque potentiel particulier.

Cette précision du conseil d'Etat tombe à point nommé : le ministre de l'écologie prétend devant les parlementaires que la petite hydro-électricité serait sans intérêt pour la transition énergétique, a contrario de ce qu'avait dit le président Macron mais aussi des conclusions de la commission nationale du débat public sur la programmation énergétique et des attentes de la directive européenne 2018 sur les énergies renouvelables. La décision des conseillers d'Etat est assez logique dans ce contexte général du droit français et européen, et donc contraire aux propos de François de Rugy et des lobbies minoritaires qu'il défend sur ce cas d'espèce (pour des raisons parfois éloignées de l'écologie...)

Dernier point plus classique : les conseillers d'Etat rappellent qu'une absence d'entretien d'un site n'est pas synonyme de perte de son droit d'eau :
"il ressort des appréciations souveraines de la cour non arguées de dénaturation que si les dégradations ayant par le passé affecté le barrage et les vannes ont eu pour conséquence une modification ponctuelle du lit naturel du cours d’eau, des travaux ont été réalisés par les propriétaires du moulin afin de retirer les végétaux, alluvions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d’eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l’eau d’y circuler librement avec une hauteur de chute de quarante-cinq centimètres entre l’amont et l’aval du moulin, où une roue et une vanne récentes ont été installées. La cour, en jugeant que ces éléments caractérisaient un défaut d’entretien régulier des installations de ce moulin à la date de son arrêt, justifiant l’abrogation de l’autorisation d’exploitation du moulin distincte, ainsi qu’il a été dit, du droit d’usage de l’eau, a inexactement qualifié les faits de l’espèce."
Comme nous le précise Me Remy dans un commentaire de ce point, "l’état d’abandon ou l’absence d’entretien d’un ouvrage doivent s’apprécier, conformément aux règles de plein contentieux, à la date à laquelle le juge statue".

Référence : Conseil d'Etat 2019, arrêt n° 414211, Bouqueton et autres contre ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

02/02/2018

La définition juridique des zones humides

Deux critères permettent de définir une zone humide : la présence temporaire ou permanente d'eau, la présence de végétation hygrophile (plantes spécialisées de milieu aquatique ou humide). Le Conseil d'Etat a précisé que ces critères doivent être cumulatifs. Explications. [MAJ 2019 : voir cet article sur la modification de la loi]


Les zones humides sont définies en droit français dans l'article L 211-1 du code de l'environnement, qui entend assurer
"La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année"
Deux critères sont donc requis :
  • l'hydromorphie du sol, les terrains devant être "inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire";
  • la présence de végétation hygrophile. 
Dans un arrêt récent (n° 386325, 22 février 2017), le Conseil d'Etat a précisé que "une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d'eau et, pendant au moins une partie de l'année, de plantes hygrophiles", c'est-à-dire que "ces deux critères sont cumulatifs" et non alternatifs. [MAJ 2019 : la loi a restauré la notion de critères alternatifs]

Le caractère partiellement ou totalement inondé est assez évident à observer.

Le critère botanique doit être par ailleurs caractérisé. Comme le précise cet article du site "zones humides" de l'administration de l'environnement:
"On désigne par le terme d’hygrophytes toutes les plantes qui poussent en milieux humides mais, selon leur niveau d’adaptation, celles-ci se distribuent selon des gradients d’humidité et/ou de salinité. En France, on distingue ainsi les hydrophytes, toujours immergées ou affleurant à la surface de l’eau (cératophylles, potamots, nénuphars, élodées, lentilles d’eau…) et les amphiphytes qui poussent à la limite terre-eau et sont adaptées aux deux environnements ; ce groupe inclut les hélophytes qui sont enracinées au fond de l’eau et dont les parties aériennes sont émergentes (roseaux, Typha, Baldingère, carex…)"
Des plantes hygrophiles indicatrices des zones humides sont répertoriées dans des listes établies par région biogéographique (article R-211-108 code de l'environnement, à noter que le 2 aliéna de cet article n'est plus conforme à la loi).

L'annexe II A l'arrêté du 24 juin 2008 précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 code de l'environnement  définit une première liste de 775 espèces et 26 sous-espèces permettant de qualifier une zone humide sur le critère végétal.

Malgré leur intérêt pour la biodiversité, les zones humides naturelles sont aujourd'hui menacées par l'extension de l'artificialisation des sols et des milieux (construction, drainage, etc.). Les zones humides anthropiques (étangs, lacs, plans d'eau, biefs) sont mises en danger par certaines destructions d'ouvrages dans le cadre de la restauration de continuité en long (souvent pour des motifs halieutiques). Divers outils juridiques existent pour protéger les zones humides, même si le droit se montre encore contradictoire en ce domaine (voir Cizel 2017).

Illustration : marges et queue de l'étang de Bussières (89), dont on observe qu'elles réunissent les deux critères de définition de la zone humide. Ce site en ZNIEFF de type II est aujourd'hui menacé par des travaux de démolition de la digue et mise à sec des milieux humides d'intérêt par la fédération de pêche de l'Yonne, sans que notre association ait obtenu l'étude d'impact environnemental.

11/01/2017

Puissance maximale fondée en titre: le Conseil d'Etat contredit l'administration

Dans un arrêt important, le Conseil d'Etat vient de confirmer que la puissance hydraulique d'un ouvrage fondé en titre est bien la puissance maximale théorique telle qu'elle se déduit du génie civil, et non pas la puissance moyenne d'équipement ou la puissance signalée dans des documents anciens. Une interprétation que nous avions très exactement appelée de nos voeux.


Dans un article paru en septembre 2015, nous avions souligné ce problème de la puissance hydraulique, problème que le Conseil d'Etat vient de trancher en choisissant la solution (claire) que nous préconisions à l'époque. On ne peut donc que se féliciter de cette nouvelle jurisprudence.

Quel est l'enjeu?
Lorsque vous souhaitez relancer un ouvrage hydraulique fondé en titre (c'est-à-dire existant avant 1789 sur les cours d'eau non domaniaux et 1566 sur les cours d'eau domaniaux), il fait l'objet d'un porté à connaissance de l'administration (article R 214-18-1 CE), parfois d'une règlementation administrative (un nouveau règlement d'eau, qui ne peut s'opposer à l'exploitation du fondé en titre mais peut en spécifier certaines règles). Ce processus demande de définir la puissance hydraulique du site.

Quel est le problème?
Profitant de ce qu'il n'existe pas de définition légale claire de la puissance hydraulique fondée en titre, le ministère de l'Environnement a publié le 11 septembre 2015 un arrêté bavard et confus permettant plusieurs interprétations (voir l'arrêté, voir cet article). Dès avant cet arrêté, certains services administratifs essayaient de brider la puissance des droits d'eau fondés en titre — une situation très variable selon les départements en raison de l'arbitraire interprétatif et donc du parti-pris prévalant au sein de chaque préfecture. Plusieurs conflits ont été signalés avec des DDT(-M) souhaitant que la puissance du site soit celle des anciens états statistiques (fiscaux) du XIXe siècle ou du XXe siècle, voire celle estimée à partir des équipements anciens (roues, chambres d'eau).

Que vient de poser le Conseil d'Etat ?
Il existait un conflit entre la société SJS et l'administration du Doubs concernant un site hydraulique fondé en titre à Bourguignon. Le pétitionnaire estimait la puissance du site à 3358 kW, l'administration n'en a reconnu que 180 kW. Le tribunal administratif de Besançon et la cour administrative d'appel ont donné raison à l'usinier contre l'administration. Le ministère de l'Environnement a porté l'affaire au Conseil d'Etat.

Le Conseil d'Etat vient de confirmer les jugements de première instance et d'appel (arrêt n°393293 du 16 décembre 2016).

Voici le considérant essentiel de cet arrêt :
Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit 
Concrètement, cela signifie :
  • tout ouvrage fondé en titre peut revendiquer sa "puissance maximale théorique",
  • celle-ci est le produit de la hauteur de chute (entre prise d'eau et restitution d'eau) par le débit maximum de la dérivation (en entrée du canal d'amenée ou au fil de l'eau) par l'intensité de la pesanteur (g, force de gravité),
  • il en résulte que les équipements anciens ou les puissances mentionnées dans des documents antérieurs ne peuvent être opposés au porteur de projet pour brider la puissance fondée en titre,
  • il en résulte aussi que la puissance fondée en titre n'est pas une puissance "moyenne" (par exemple au débit du module ou au débit d'équipement), mais bien "maximale" (le meilleur cas de figure du site) et "théorique" (même si ce cas de figure ne sera pas la puissance équipée),
  • l'état actuel d'un ouvrage antérieur à 1789/1566 est présumé fondé en titre, sauf preuve contraire apportée par l'administration.
Le Conseil d'Etat confirme là une jurisprudence déjà ancienne, commencée au XIXe siècle avec l'arrêt Ulrich (CE, 28 juillet 1866, Ulrich). La puissance d'un site hydraulique n'est pas bridée par la capacité de tel ou tel équipement technologique (qui évolue sans cesse), mais uniquement définie par les grandeurs physiques dérivées du génie civil du site, définissant la hauteur et le débit exploitables sur la propriété.

Que faire ?
Les porteurs de projets de restauration énergétique de sites fondés en titre doivent désormais citer cette jurisprudence dans leur dossier de porté à connaissance de l'administration. Leur dossier comportera un relevé topographique et altimétrique montrant les valeurs physiques essentielles (hauteur de chute, débit maximum) mesurées sur les ouvrages fondés en titre (attention, cela ne concerne pas d'éventuelles modifications plus récentes). Toute tentative de pinaillage sur des valeurs de puissance issues de données anciennes ou d'équipements anciens doit se voir opposer une fin de non-recevoir ferme, le cas échéant un contentieux si le préfet valide l'attitude de ses services instructeurs.

Conclusion
Par sa volonté de vider les droits d'eau fondés en titre de leur substance, par son incitation à détruire les ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique et par la complexité et/ou le coût disproportionné des dossiers et compensations demandés en cas de relance énergétique, une partie de l'administration avait clairement déclaré la guerre aux moulins et usines à eau. Cette dérive est un échec qui a produit de la défiance et du découragement au bord des rivières. Engagés dans la transition énergétique et en retard sur nos objectifs, nous avons besoin au contraire d'encourager fortement les sources de production bas-carbone et de simplifier grandement le parcours des porteurs de projets. L'arrêt du Conseil d'Etat va en ce sens.

Illustration: équipement ancien d'un moulin (scierie de Vénarey-les-Laumes sur la Brenne). La puissance d'un moulin en projet énergétique doit être définie par les grandeurs physiques dérivées de son génie civil fondé en titre, et non par des valeurs historiques ou technologiques passées.

26/12/2015

On peut construire ou reconstruire des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 1

Deux décisions judiciaires (Cour d'appel de Bordeaux et surtout Conseil d'Etat) viennent de mettre fin à une interprétation tendancieuse de la loi par l'administration. Le législateur n'a pas interdit de construire des ouvrages en rivières classées en liste 1, mais simplement demandé que ces ouvrages ne soient pas des obstacles à la continuité écologique. Ce qui s'apprécie au cas par cas, selon les enjeux locaux de l'environnement et les mesures compensatrices proposées par l'exploitant. Le choix des juges administratifs et conseillers d'Etat porte comme doctrine sous-jacente que les ouvrages hydrauliques sont appelés à disposer de fonctionnalités d'intérêt écologique, en aucun cas qu'ils doivent être interdits (ou détruits s'ils existent) sur le principe car ils nuiraient par nature à une intégrité biotique/morphologique de la rivière. C'est donc une évolution importante de la jurisprudence.

Les classements des rivières de 2012 et 2013 à fin de continuité écologique – qui sont toujours en examen contentieux, de manière indépendante des décisions commentées ici – soulèvent de vives oppositions. Certaines d'entre elles concernent les rivières classées en liste 1, soit que ce classement concerne des soi-disant "réservoirs biologiques" dont la justification scientifique est absente, soit qu'il implique des refus non motivés de projets hydro-électriques. C'est ce dernier point qui était en cause dans les cas jugés à Bordeaux et à Paris.


Cour d'appel de Bordeaux: un projet hydro-électrique est recevable s'il respecte les milieux
La SARL Olympe Energie s'était vue refuser par le Préfet l'autorisation de disposer de l'énergie des cours d'eau du Payfoch et du Gérul, sur le territoire des communes d'Axiat, Lordat et Garanou (Ariège). Un bon exemple des complications, entraves voire stigmatisations que subissent aujourd'hui les porteurs de projet en petite hydro-électricité, cela alors que la loi européenne sur la transition énergétique et les décisions prises à la COP21 devraient encourager le développement des énergies bas-carbone. Le tribunal de Toulouse, puis la Cour d'appel de Bordeaux (CAA de Bordeaux, n°15BX00459, 3 novembre 2015) ont donné raison à l'exploitant contre le Ministère de l'Ecologie.

Les magistrats relèvent notamment que dans le cas examiné:
  • l'ouvrage fonctionnera au "fil de l'eau", sans diminution de la masse d'eau;
  • les débits réservés seront respectés;
  • un suivi hydrologique sera réalisé pendant trois campagnes afin, le cas échéant, de pouvoir adapter le fonctionnement des installations aux éventuels impacts négatifs;
  • la population piscicole constituée de truites fario, estimée dans la zone en cause comme importante et bien équilibrée, est respectée par les prises d'eau et consignes de vannage;
  • aucune des espèces protégées susceptibles d'appeler des mesures spéciales sur le bassin du Gérul, à savoir le desman des Pyrénées, l'écrevisse à pattes blanches, l'euprocte des Pyrénées, le triton palmé, la salamandre tachetée et le grand tétras, n'a pu en fait être observée dans les tronçons concernés.
Donc seule l'appréciation par les faits (in concreto) permet de dire que l'exploitant respecte les milieux, et notamment la continuité écologique.

Conseil d'Etat: l'administration doit instruire toute demande de création d'ouvrage en liste 1
Le Conseil d'Etat vient de donner une portée plus générale à ce principe. France Energie Planète l'avait saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la Circulaire du 18 janvier 2013 et l’association s'est vue donner raison dans un arrêt du 11 décembre 2015 (CE n° 367116).

Dans la circulaire d'application incriminée, le Ministère de l'Ecologie prétendait que sur une rivière classée en liste 1, tout projet hydro-électrique créant un ouvrage pouvait être débouté "sans avoir à examiner des dossiers de demande d’autorisation ou de concession au cas par cas (…) sans qu’il y ait besoin d’instruire les dossiers de demande".

Le Conseil d'Etat annule cette disposition en précisant :
"que la construction d’un ouvrage sur un cours d’eau figurant sur la liste établie en application du 1° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement ne peut être autorisée que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le respect de cette exigence s’apprécie au regard de critères énoncés à l’article R. 214-109 du même Code, qui permet d’évaluer l’atteinte portée par l’ouvrage à la continuité écologique ; que, par suite, en dispensant, de manière générale, les services compétents de l’instruction des demandes de construction de tout nouveau seuil et barrage sur ces cours d’eau, au motif que ces ouvrages constituent nécessairement des obstacles à la continuité écologique et ne peuvent par principe être autorisés, l’auteur de la circulaire a méconnu les dispositions applicables".
La haute juridiction administrative précise que cette interprétation vaut pour la reconstruction d'ouvrage autorisés mais tombés en ruine partielle ou totale:
"la reconstruction d’un ouvrage fondé en titre dont le droit d’usage s’est perdu du fait de sa ruine ou de son changement d’affectation ne peut légalement être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique et comme justifiant le refus de l’autorisation sollicitée, sans que l’administration n’ait à procéder à un examen du bien fondé de la demande".

Nos commentaires
La Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie a lancé depuis un certain temps déjà une campagne de harcèlement des ouvrages hydrauliques, provoquant une crise de confiance sans précédent entre les riverains et l'administration. Il est heureux que les cours administratives aient limité les interprétations tendancieuses dans le cas des projets hydro-électriques sur rivières classées en liste 1 (ce qui dans notre département concerne par exemple le contentieux en cours du Moulin du Boeuf sur la Seine). Incidemment, le choix des conseillers d'Etat signale que l'objectif n'est pas la "renaturation" intégrale des rivières ou la préservation d'une "intégrité biotique" synonyme d'absence totale d'impact humain – sinon, le choix aurait été d'interdire tout ouvrage. On veut simplement que les ouvrages hydrauliques respectent certaines fonctionnalités d'intérêt écologique. C'est donc une inflexion importante de la jurisprudence, signalant une défaite du parti des effaceurs et des excommunicateurs au sein de l'appareil d'Etat.

Selon notre association, la DEB s'est également livrée à deux interprétations tendancieuses du classement en liste 2 dans sa circulaire de 2013 :
  • en prétendant qu'il revient au propriétaire de payer à ses frais des études de continuité en vue de faire des propositions (alors que la loi demande à l'administration elle-même de proposer des mesures de gestion, entretien et équipement, sans charge spéciale ou exorbitante, sur la base de preuves d'un impact) ; 
  • en prétendant que l'effacement (arasement, dérasement) est une solution que l'administration peut prescrire dans le cadre de la continuité écologique (alors que cette option est absente du texte de loi L 214-17 CE et qu'elle est limitée à des cas précis de déchéance du droit d'eau pour atteinte grave à la sécurité ou aux milieux). 
Nous appelons donc l'ensemble des propriétaires, riverains, exploitants et leurs associations ou syndicats à préparer le maximum de contentieux contre les dérives administratives en liste 1 comme en liste 2, cela jusqu'à temps que le gouvernement redéfinisse une doctrine équilibrée des ouvrages hydrauliques et sanctionne les insupportables dérives observées depuis quelques années.

Informez-vous, défendez-vous, engagez-vous !
Vade-mecum de l'association face aux effacements

Plus de 1300 élus, associations et personnalités demandent déjà un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Plusieurs dizaines de questions ont été posées au gouvernement par des députés et sénateurs inquiets des dérives en rivière et du désarroi des riverains. Diffusez le message et engagez vos représentants à rejoindre le mouvement. Nous porterons des propositions au Ministère en 2016.

Illustrations : paysages hydrauliques de la Seine en son bassin amont, où elle est classée liste 1 et liste 2. L'administration n'a pas le droit d'arguer du classement en liste 1 pour refuser d'examiner des projets hydro-électriques. Le seul bassin cote-dorien et aubois de la Seine et du chevelu de ses affluents compte plusieurs centaines d'ouvrages qui pourraient être équipés afin de produire une énergie locale et propre. Au lieu de cela, la DDT, l'Onema et le syndicat Sicec consacrent le plus clair de leur temps passé sur les ouvrages hydrauliques à compliquer la vie des propriétaires et riverains, à livrer des interprétations maximalistes de la continuité (comme à Vanvey) et à engager des projets de destruction sans motif écologique clair ni résultats probants (comme à Nod-sur-Seine ou à Essarois), le tout sur financement public d'une Agence de l'eau acquise sans aucun esprit critique aux dogmes de la continuité écologique. Ces pratiques punitives et destructives doivent cesser, pour laisser place à une politique ouverte et constructive sur l'avenir des ouvrages hydrauliques.