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10/11/2023

Cinq scientifiques défendent le rôle bénéfique des petites retenues d'eau et appellent à le reconnaître

En France, et en Europe, une politique publique a valorisé l'assèchement des petites retenues d'eau au nom de la continuité en long: des milliers de réservoirs et biefs associés à des moulins et étangs anciens ont déjà été détruits. Une collectif pluridisciplinaire de scientifiques souligne les limites et carences de ce choix à l'heure où la gestion et régulation de l'eau comme la préservation de milieux pour la biodiversité aquatique sont un enjeu critique.




Préservation de la ressource en eau, protection des zones humides et de la biodiversité :  le rôle des petites retenues d’eau en France 
 
Avis de scientifiques français - octobre 2023 
 
Introduction

Ces 10 à 15 dernières années plusieurs milliers de retenues d’eau ont été détruites en France dans le cadre de la politique de « restauration de la continuité écologique ». Ces retenues sont des petits seuils de moulins et certaines digues d’étangs, installés en grand nombre et de longue date sur notre territoire. 
 
Cette politique a fait l’objet du vote d’un article 49 dans le cadre de la loi « climat résilience face aux effets du dérèglement climatique » visant à proscrire cette pratique en raison de ces conséquences préjudiciables à nos ressources en eaux et aux milieux naturels. 
 
Si l’édification d’importants barrages dès le XIXème siècle en France a provoqué la disparition documentée du saumon, tel n’est pas le cas de ces petits barrages traditionnels qui apparaissent aujourd’hui indispensables à la préservation des eaux et au maintien d’habitats aquatiques propres à la vie en particulier lors des périodes subissant des sécheresses, lesquelles ont tendance à s’accentuer depuis quelques années. 
 
Les éléments décrits ci-après que nous avons voulu le plus synthétique possible reposent sur nos propres travaux, direction de thèses, rédaction d’ouvrages incluant la relecture de plusieurs centaines d’études scientifiques françaises et internationales consacrées aux eaux, aux rivières et à leur aménagement. 
 
1- Un climat à la saisonnalité accrue : crues hivernales, assecs estivaux 

La pluviométrie sur le territoire français est globalement stable mais irrégulière à l’échelle interannuelle et en fonction des régions. Les précipitations hivernales sont étalées sur une saison « froide » plus courte alors qu’augmente la durée de la sécheresse de saison chaude.  
 
La sécheresse caractérise les sols, les nappes souterraines et les écoulements de surface ; l’été 2023 a montré que, dans le Sud-Est de la France, des précipitations orageuses localement supérieures à 50 et même à 100 mm sont incapables de recharger les nappes en raison de la sècheresse des sols et de de la consommation des eaux par le couvert de la végétation et son système racinaire.  
 
Il s’ensuit que le débit des sources n’augmente pas, même après de fortes pluies et que le débit des rivières demeure pendant de longs mois celui de l’étiage.  

En d’autres termes, la recharge des nappes et l’augmentation des débits fluviaux sont limités dans l’espace et éphémères. La traditionnelle saison de recharge de saison froide reste efficace mais sa durée se réduit. Sur les cours d’eau, en particulier en tête de bassin, l’écart entre le débit journalier le plus faible (fin août) et le plus important (mi-janvier) est fréquemment de 1 à 20 voire de 1 à 100. Aux forts débits hivernaux succèdent parfois des assecs estivaux quand le niveau de l’eau a été abaissé par des travaux d’arasement de seuils.  
 
Dans cette perspective, la présence de milliers de petites retenues qui ont la fonction de stocker d’importants volumes d’eau dans les rivières mais plus encore dans la nappe alluviale vont nous faire gravement défaut en période de réchauffement climatique. Ces petits ouvrages, en ralentissant la vitesse des eaux et en favorisant les débordements réguliers dans le lit majeur, jouent le rôle d’atténuateur de crues et favorisent la recharge hivernale des nappes alluviales connues pour restituer une partie de leurs eaux fraîches en période estivale. Notons que dans les régions de basse altitude au substrat imperméable, la seule possibilité de conserver l’eau durant la période déficitaire a toujours été la création de petites retenues, ceci étant attesté depuis plus de 10 siècles, quel que soit le lieu en Europe. 
 
Ce constat a de longue date été pris en compte sur la façade méditerranéenne de la France. Les retenues sont officiellement préservées sur un fleuve côtier, le Vidourle. Une étude recommandant la protection des retenues (Bernot et al., 1996) est toujours d’actualité car ces retenues tiennent la nappe, sont des refuges pour la faune et préservent la ripisylve. Au printemps 2023, un autre fleuve côtier, l’Hérault n’avait pas eu de crue d’hiver et la faune résistait grâce aux seules retenues. Dans la péninsule ibérique, l’assèchement des cours d’eau est si grave que des modèles prédisent la contraction de l’aire couverte par diverses espèces de moule d’eau douce. Des études scientifiques menées à l’échelle de l’Europe ont montré la gravité de la sécheresse chronique qui rend des cours d’eau éphémères ou intermittents alors qu’ils avaient de l’eau en permanence ; une partie de la faune souffre, s’appauvrit et est menacée d’extinction par l’effet du manque d’eau. Le problème est une préoccupation européenne. 
 
Dans ce contexte, stocker les eaux par l’intermédiaire de petites retenues artificielles devrait être une priorité des gestionnaires. Les scientifiques devraient être sollicités pour améliorer la connaissance actuelle portant sur le rôle positif des petites retenues fluviales et notamment la protection contre l’intermittence des eaux lors des sècheresses. La science évolue, s’adapte à de nouvelles réalités et la gestion doit faire de même. 
 
 
2- Des cours d’eau européens fragmentés pendant des millions d’années par des embâcles et des barrages de castors  

Le cours des rivières naturelles ou « sauvages », était autrefois fait de chenaux plus ou moins anastomosés délimitant entre eux de nombreux îlots. Dans les rivières de plaines la cote du fil de l’eau était proche de la surface de la plaine inondable. Le lit était encombré d’obstacles constitués d’embâcles causés par des chutes d’arbres mais également, fait notable, d’innombrables barrages de castors en particulier sur les têtes de bassin. 
 
Ces derniers ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques outre-Atlantique mais également en Europe à la suite de sa réintroduction (notamment de l’Université d’Exeter en Angleterre). Ils ont des effets positifs à très positifs à la fois sur la recharge des nappes, sur l’atténuation des crues « éclairs », sur la qualité de l’eau mais également sur la biodiversité aquatique ainsi que sur les écosystèmes associés (insectes, batraciens, mammifères, oiseaux). Ils permettent en particulier lors des saisons sèches, de conserver des volumes d’eau importants dans les rivières et dans les nappes superficielles (nappes alluviales).  
 
La fragmentation par de petits barrages (nous insistons sur la taille de ces obstacles) anciennement de castors, puis de moulins ou d’étangs est donc une constante de l’histoire des rivières de l’hémisphère nord, largement profitable aux milieux aquatiques, qui répondent à la saisonnalité marquée des pluies et des débits.  
 
3- Le cas français 

La politique de continuité écologique des cours d’eau en France, qui s’est manifestée par des campagnes d’arasement de ces petits barrages anciens s’est traduite par une baisse sensible du niveau d’eau à l’amont des ouvrages concernés. Les effets de ces travaux, combinés à ceux des surcreusements opérés en période de crue en raison de l’accroissement de la force érosive ont conduit à sensiblement abaisser le fil de l’eau et consécutivement le niveau de la nappe alluviale (de 1 à 2 m).  
 
A l’occasion de la nouvelle sècheresse qu’a connue la France en 2022, de nombreux articles de presse ont relaté que des rivières sur lesquelles ont été détruites ces retenues anciennes, ont connu des situations d’assec partiel, voire complet, entrainant avec elles la disparition des milieux aquatiques. Là où elles ont été conservées, la biodiversité aquatique a pu trouver refuge sur les linéaires d’eau préservés par ces retenues. 
 
4-  La continuité hydraulique au service des continuités longitudinales et latérales : le rôle clé de la cote du fil de l’eau  

Le rôle des nappes alluviales, ou nappes d’accompagnement, a de tout temps été primordial dans le maintien du débit des rivières de plaines. Ainsi que l’a modélisé Henry Darcy en 1850, la recherche permanente d’un équilibre piézométrique, calé sur la cote du fil de l’eau, est une caractéristique dominante des relations entre nappes et rivières. En raison de la faible vitesse de circulation de l’eau dans les sédiments cet équilibre ne peut s’opérer que si la nappe alluviale est correctement rechargée chaque hiver par débordement des eaux de la rivière.  
 
En période d’étiage, les eaux de la nappe alluviale s’écoulent vers la rivière et viennent en complément des apports de la nappe de versant. La nappe d’accompagnement, en restituant à la rivière et à la nappe sous-jacente une partie de l’eau emmagasinée lors des pluies d’automne et d’hiver, joue donc un rôle majeur dans le soutien du débit de la rivière même en l’absence de pluie pendant plusieurs semaines et favorise ainsi la continuité hydraulique.  
 
Une baisse du niveau d’eau dans la rivière de 1 mètre, à raison d’une porosité des sédiments de 25%, provoquera au bout de quelques années une perte de l’ordre de 250 000 m3 d’eau par km2 de plaine alluviale.  
 
Rétablir la continuité longitudinale en détruisant un seuil a pour effet immédiat d’abaisser le niveau d’eau du cours principal et de vidanger progressivement la nappe alluviale. Cette baisse du niveau de l’eau et de la nappe met ainsi en péril la continuité latérale par assèchement progressif des annexes hydrauliques (fossés, biefs) ainsi que des zones humides connexes. 
 
En outre, ces destructions aggravent, voire provoquent, des situations d’assecs lors des épisodes à forts déficits pluviométriques et mettent bien souvent en cause la continuité longitudinale sur des tronçons de rivières qui n’avaient jusqu’alors jamais connu de telles situations. 
 
Ainsi la présence de petites retenues le long des cours d’eau de l’hémisphère nord favorise la continuité hydraulique (permanence des eaux dans la rivière), la continuité latérale et la continuité longitudinale. 
 
Chaque année, en février, sont célébrées les zones humides partout en Europe. A cette occasion, il est important de pointer du doigt toutes les actions concourant à la baisse du niveau de la nappe alluviale dont les conséquences seront néfastes pour les zones humides de bordure, la biodiversité et la ressource en eau. 
 
5- Qualité de l’eau et retenues d’eau 

L’unanimité des études scientifiques françaises et internationales mettent en exergue le processus de dénitrification qui se produit dans les eaux fluviales ralenties et d’autre part dans la nappe alluviale grâce à la végétation riveraine. Dans ce dernier cas tout abaissement de la nappe a des répercussions négatives sur les prélèvements de nitrates assurés par cette végétation. 
 
Le ralentissement de l’écoulement des eaux dans les rivières en raison de la présence de petits seuils, joue à cet égard un rôle de dépollution, processus que ne permettent pas les eaux «vives».  

Dès lors, la destruction des petites retenues traditionnelles apparaît comme un facteur dégradant de la qualité des eaux. 

 Cette évolution est sensible aujourd’hui du fait du réchauffement climatique et des modifications du cycle de l’eau au détriment de l’écoulement de surface. La modélisation du changement climatique à terme renforce l’inquiétude des scientifiques à ce sujet. 
 
Conclusion 
 
La préservation des petites retenues d’eau aménagées de longue date sur nos bassins apparait primordiale et leur destruction nous privera des effets positifs escomptés, comme nous le constatons en France. 
 
Les petits barrages d’autrefois, grâce au maintien d’une cote élevée de l’eau, ont permis à la nappe alluviale d’assurer en saison sèche des débits minimums nécessaires à la vie aquatique tout en préservant des zones humides. 
 
S’agissant des poissons migrateurs, faute de pouvoir détruire les barrages plus récents et plus importants qui coupent l’accès à leurs frayères traditionnelles, il convient de faire en sorte que toutes les retenues dépassant les capacités de nage et de saut de ces espèces soient équipées de dispositifs de franchissement adéquats et avant cela que les zones de frayères potentielles soient suffisamment bien identifiées. 
 
Par ailleurs, lors des périodes de sècheresse prolongée, telles que celles que nous connaissons chaque été depuis 5 à 6 ans, les retenues d’eau sont souvent les seuls points d'eau accessibles à de nombreuses espèces terrestres. Elles jouent donc également un rôle important pour la préservation de la faune terrestre et pas seulement aquatique. 
 
Est-il préférable pour la biodiversité d’avoir des rivières à sec plutôt que des rivières permettant à la flore et à la faune d’y trouver temporairement refuge dans des secteurs plus profonds ? Pour une gestion optimale de l’eau ne faut-il pas tout faire pour maintenir l’eau dans les rivières et les nappes superficielles plutôt que de l’évacuer rapidement vers la mer ? 
 
Nous, hydrobiologistes, limnologues, géologues, géographes devons informer les différents acteurs agissant dans le domaine de l’eau que la politique d’effacement des petits ouvrages hydrauliques met immanquablement en péril la préservation de nos réserves d’eau douce, la sauvegarde des milieux humides ainsi que la biodiversité associée. 
 
Pascal Bartout géographe (limnologue), Jean-Paul Bravard (géographe), Christian Lévêque (hydrobiologiste), Pierre Potherat (géologue), Laurent Touchart (géographe, limnologue)

Texte diffusé par la FFAM



27/08/2023

Pas d’effet cumulatif d’une chaîne d’étangs sur la température de l’eau (Touchart et al 2023)

Etudiant une chaîne d’étangs sur une petite rivière du Limousin, des chercheurs montrent qu’il n’existe pas d’effet cumulatifs de réchauffement de l’eau. L’ombrage est le premier facteur de prévention de la hausse de température qui, avec une moyenne de 2°C en été, reste cependant raisonnable. Ces travaux font suite au constat de manque de connaissance scientifique de terrain sur l’effet cumulé des plans d’eau.


Dans le décret du 29 décembre 2011 «portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements», l’Etat français a imposé que, pour toute nouvelle création de retenue d’eau, les effets cumulés du projet avec ceux des plans d’eau déjà existants soient analysés. Cette obligation institutionnelle a réveillé une attention scientifique à un sujet déjà étudié par la recherche, mais de manière peu poussée : l’effet d’une chaîne de plans d’eau sur l’hydrologie et la température de l’eau. Une expertise collective sur l’état du savoir a acté en 2016 que les connaissances de terrain sont encore très rares.

Laurent Touchart et ses collègues ont étudié un cas sur le bassin de l’Oncre, en Limousin.

Au nord-ouest de Limoges, les plateaux du Haut Limousin sont drainés par un affluent de rive droite de la Vienne d’une quarantaine de kilomètres de longueur, la Glane. La rivière a trois plus grands affluents: la Vergogne (cours influencé par une grande retenue), le Glanet (cours peu impacté) et l’Oncre (cours influencé par une succession de plans d’eau). L’Oncre a donc été choisi comme objet d’étude. Les chercheurs exposent le système de retenues : « D’amont en aval, les superficies et les hauteurs e chaussée sont de 0,48 ha et 2,2 m pour l’étang à moine de Boscartus, 0,93 ha et 1,5 m pour les étangs Jumeaux (séparés par une digue longitudinale), dont 0,24 ha pour la partie ouest, la seule suivie, 3 ha et 3,5 m pour l’étang de la Cascade, 2 ha et 2 m pour celui Trois Iles, 17,5 ha et 4,5 m pour celui de Fromental et 2,5 ha et 2,5 m pour celui du Brudou. »

Ce schéma montre le site de l’étude (cliquer pour agrandir).


Cet autre schéma montre le bilan thermique sur un an (cliquer pour agrandir) :




Nous reproduisons la conclusion des chercheurs :

«Tant en valeur moyenne de réchauffement (environ 2 °C en été) qu’en longueur d’influence sur l’émissaire (environ 1,5 km), l’effet des cinq derniers étangs de la chaîne de l’Oncre est finalement du même ordre que celui d’un seul grand étang isolé (Touchart, 2001) ou d’un petit barrage (Zaidel et al., 2021) à déversoir. Le sixième étang, en remontant de la fin de la chaîne vers l’amont, étant le seul pourvu d’un moine, la température de référence de cette recherche, sans pouvoir être assimilée à celle de la source de l’Oncre, a néanmoins des caractères de fraîcheur et de faible amplitude diurne qui permettent de l’envisager comme un point de départ.

Dans le cas de la valeur de la température de l’eau, l’effet de la succession des plans d’eau est infraadditif, au sens de LaGory et al. (1989). L’impact cumulé géographique correspond ici à la somme du linéaire directement modifié par la chaîne étangs et du linéaire de l’émissaire influencé en aval sur la distance précédemment citée. Au lieu d’un effet cumulatif en valeur de réchauffement, il y a plutôt un fonctionnement presque indépendant de chaque étang de la chaîne. Cela tendrait à confirmer ce que Bolsenga (1975) avait exprimé il y a déjà longtemps pour les grands lacs naturels et qui a été validé depuis par Momii et Ito (2008), c’està-dire que la part radiative du bilan thermique d’un plan d’eau est en général si écrasante que la part hydrologique d’entrée et de sortie des cours d’eau est comparativement négligeable. Ici, dans le cas de la chaîne de l’Oncre, le filet d’eau qui passe d’un étang à l’autre, très réduit en été, ne pèse pas grand-chose sur le plan calorifique par rapport au bilan radiatif. Précédemment, Choffel (2019) avait montré qu’il existait des différences de température notables entre les parties ombragées et ensoleillées d’un étang isolé. Quant à Maxted et al. (2005) et Zaidel et al. (2021), ils concluaient que le réchauffement du réseau hydrographique dû aux petits plans d’eau à déversoir était surtout causé par le fait qu’ils fabriquent un espace plus large, donc ensoleillé, là où le cours d’eau était à l’ombre avant leur construction. D’une façon plus générale, la littérature internationale des dernières années commence à montrer que, même non barrés de plans d’eau, les petits cours d’eau présentent une hétérogénéité thermique conditionnée non seulement par les apports d’eau souterraine ou hyporhéique, mais aussi par les différences entre les parties à l’ombre et au soleil (Story et al., 2003, Malcolm et al., 2004, Webb et al. 2008, Marteau et al., 2022, Hoess et al., 2022).

Dans ce cadre, la présente étude aura donné quelques premiers résultats mesurant que, dans le cas d’étangs en chaîne, cette variable ombre/soleil est plus forte que l’effet de cumul de la succession des plans d’eau. Au moins de façon ponctuelle, un étang à l’ombre situé en milieu de chaîne est capable de laisser sortir de son déversoir une eau plus froide que celle qui y entre. Dans les moyennes cependant, la chaîne étudiée ici est construite de sorte que les deux étangs les plus en amont sont aussi les plus forestiers, les plus ombrés, si bien que, à l’intérieur du bilan calorifique, la variable radiative va dans le même sens que la variable hydrologique. Il conviendrait à l’avenir de lancer des études sur une autre chaîne d’étangs, où ces variables iraient dans un sens opposé.

En termes de recherche appliquée, il semblerait opportun de préconiser l’ombrage des déversoirs de surface des étangs et des premiers décamètres de leur émissaire fluvial là où ce n’est pas le cas, car l’efficacité de cette opération n’est pas n’est pas loin d’atteindre à celle de la construction d’un moine. D’autre part, le dernier étang de la chaîne est celui sur lequel doivent porter les principaux efforts. C’est lui qui, plus que le cumul de ce qui se passe en amont, conditionne la qualité de l’eau de l’émissaire fluvial.»

Discussion
L’absence d’effet de cumul thermique est une bonne nouvelle si elle se confirme par d’autres travaux comme un trait constant du bilan énergétique des successions de plans d’eau. La prédominance du terme radiatif du bilan (ensoleillement) suggère que le gestionnaire public doit avant tout proposer des bonnes pratiques de gestion des berges (ombrage).

Avec plus de 100 000 ouvrages formant retenues en lit mineur et sans doute près de 1 million de plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur, les systèmes lentiques et semi-lotiques sont une composante à part entière des bassins versants français.  Ils ont été très négligés comme objet d’étude, hormis les lacs (plus de 50 ha) et grands réservoirs pouvant être reconnus dans une nomenclature administrative. Ce décalage important entre la connaissance scientifique et la politique publique a suscité des controverses lorsque la seconde a prétendu statuer sur les plans d’eau d’origine artificielle en le désignant presque toujours comme des problèmes, mais sans réellement disposer à leur sujet de données hydrologiques, écologiques, sociologiques, géographiques ou historiques. Statuer sans savoir ou en sachant très peu est la définition du préjugé. Nous assistons à une lente correction de cette anomalie, ce dont il faut se féliciter.

24/05/2023

Les lacs naturels et artificiels perdent de l'eau depuis 30 ans – mais pas tous et pas toujours pour les mêmes raisons (Yao et al 2023)

Plus de la moitié des grands plans d’eau naturels et artificiels dans le monde ont vu leur volume se réduire au cours de ces trois dernières décennies, sous l’effet du changement climatique et des activités humaines, selon une étude venant de paraître dans Science. Un quart a vu ce volume augmenter et un quart n'a pas de tendance claire. Le stockage en réservoir artificiel a néanmoins connu un léger gain sur la période, car les constructions de nouveaux sites ont compensé les pertes des sites existants. La principale cause de perte de volume d'eau stocké en réservoir artificiel est la sédimentation, ce que les chercheurs suggèrent de prendre en compte dans les politiques de gestion des barrages et retenues. 


Tendance du volume d'eau des grands lacs, extrait de Yao et al 2023, art cit.

Les plans d'eau naturels comme artificiels ont un rôle important pour les sociétés humaines, comme le rappellent Fangfang Yoao et ses collègues en introduction de leur recherche : "Les lacs couvrent 3 % de la superficie terrestre mondiale, stockant de l'eau stagnante ou à écoulement lent qui fournit des services écosystémiques essentiels d'eau douce et d'approvisionnement alimentaire, d'habitat des oiseaux d'eau, de cycle des polluants et des nutriments et des services récréatifs. Les lacs sont également des éléments clés des processus biogéochimiques et régulent le climat par le cycle du carbone. Leurs biens et services potentiels sont modulés par le stockage de l'eau du lac (LWS), qui fluctue en réponse aux changements de précipitations et de débit des rivières, ainsi qu'en réponse aux activités humaines directes (barrages et consommation d'eau) et au changement climatique."

Pour mener leur évaluation, les chercheurs ont agrégé près de 249 000 images par satellite, en même temps que des batteries de données météorologiques et d'informations sur l’évaporation, l’humidité des sols et la transpiration des végétaux, les ruissellements et les écoulements, l’irrigation. Ainsi ont-ils pu estimer le poids des facteurs dans l'évolution de la ressource hydrique à la surface de la Terre.

Voici d'abord le résumé de leur étude :
"Le changement climatique et les activités humaines menacent de plus en plus les lacs qui stockent 87 % de l'eau douce de surface liquide de la Terre. Pourtant, les tendances récentes et les facteurs de changement du volume des lacs restent largement inconnus à l'échelle mondiale. 
Ici, nous analysons les 1972 plus grands lacs mondiaux à l'aide de trois décennies d'observations satellitaires, de données climatiques et de modèles hydrologiques, et nous avons constaté des baisses de stockage statistiquement significatives pour 53 % de ces masses d'eau au cours de la période 1992-2020. La perte nette de volume dans les lacs naturels est largement attribuable au réchauffement climatique, à l'augmentation de la demande d'évaporation et à la consommation humaine d'eau, tandis que la sédimentation domine les pertes de stockage dans les réservoirs. 
Nous estimons qu'environ un quart de la population mondiale réside dans un bassin d'un lac en voie d'assèchement, ce qui souligne la nécessité d'intégrer les impacts du changement climatique et de la sédimentation dans la gestion durable des ressources en eau."

Plus en détail, voici les informations clés qui ressortent de cette étude :
  • Une base de données mondiale des stockage d'eau en grands lacs a été composée de séries temporelles (1992 à 2020) de stockage infra-annuelles pour 1972 grandes masses d'eau, dont 1051 lacs naturels (100 à 377 002 km2) et 921 réservoirs (4 à 67 166 km2), qui représentent 96 et 83% du stockage naturel des lacs et réservoirs de la Terre.
  • Plus de la moitié (53 ± 2 %) des grands lacs ont subi des pertes d'eau importantes. La perte prévaut notamment l'ouest de l'Asie centrale, le Moyen-Orient, l'ouest de l'Inde, l'est de la Chine, le nord et l'est de l'Europe, l'Océanie, les États-Unis contigus, le nord du Canada, l'Afrique australe et la majeure partie de l'Amérique du Sud. 
  • Environ un quart (24%) des grands lacs ont connu des gains d'eau importants, qui se trouvent en grande partie dans les lieux de construction de barrages et dans les régions isolées ou sous-peuplées, telles que le plateau tibétain intérieur et les grandes plaines du nord de l'Amérique du Nord. 
  • À l'échelle mondiale, le stockage en lac a montré une baisse nette à un taux de −21,51 ± 2,54 Gt an−1, ou de 602,28 km3 en volume cumulé, ce qui équivaut à l'utilisation totale de l'eau aux États-Unis pour l'année entière de 2015
  • La perte de volume cumulée est d'environ 40 % supérieure à la moyenne des variations annuelles (c'est-à-dire les différences entre les valeurs maximales et minimales) sur la période 1992-2020
  • Le volume naturel des lacs naturels a diminué à un taux net de −26,38 ± 1,59 Gt an−1, dont 56 ± 9% sont attribuables aux activités humaines directes et aux changements de température et d'évapotranspiration potentielle (PET), c'est-à-dire la demande d'évaporation. Un total de 457 lacs naturels (43 %) ont subi des pertes d'eau importantes avec un taux total de −38,08 ± 1,12 Gt an−1, tandis que des gains d'eau importants ont été constatés dans 234 lacs naturels (22 %) à un taux total de 13,02 ± 0,41 Gt an−1. Les 360 lacs restants (35 %) n'ont montré aucune tendance significative. Plus de 80 % du déclin total des lacs asséchés provient des 26 pertes les plus importantes (>0,1 Gt an−1, p < 0,1).
  • Près des deux tiers (64 ± 4 %) de tous les grands réservoirs artificiels ont connu des baisses de stockage importantes, bien que les réservoirs aient affiché une augmentation globale nette à un taux de 4,87 ± 1,98 Gt an−1, en raison de 183 (20 %) réservoirs récemment remplis. Des baisses de stockage dans les réservoirs existants, c'est-à-dire déjà remplis avant 1992, ont été observées dans la plupart des régions. Le déclin global du stockage dans les réservoirs existants (−13,19 ± 1,77 Gt an−1) peut être largement attribué à la sédimentation : "Nos résultats suggèrent que la sédimentation est le principal contributeur à la diminution globale du stockage dans les réservoirs existants et a un impact plus important que la variabilité hydroclimatique, c'est-à-dire les sécheresses et la récupération après les sécheresses".
Discussion
Cet article de recherche montre que la disponibilité de l'eau devient un enjeu de plus en plus pressant en période de changement climatique et face aux besoins des sociétés. Une autre mission récemment lancée  – SWOT (Surface Water Ocean Topography) pour le Centre national d’études spatiales et la NASA – permettra à terme d'étendre ce travail à des millions de petits lacs et plans d'eau.

Il est notable que les chercheurs insistent sur le rôle de la sédimentation dans la perte de volume stocké des réservoirs artificiels. Le gestionnaire public doit réfléchir à simplifier les travaux de curage lors des vidanges d'entretien ainsi que la valorisation des sédiments. Car face au manque d'eau, et en particulier à la variabilité plus forte du cycle de l'eau (épisodes de fortes pluies alternant avec des épisodes de sécheresse), les sociétés humaines ne vont certainement pas abandonner le stockage en surface : il s'agit de rendre ce stockage plus efficient en même temps que de l'adapter aux connaissances nouvelles en écologie aquatique.

Référence : Yao F et al (2023), Satellites reveal widespread decline in global lake water storage, Science, 80, 6646, 743-749

28/03/2023

Les seuils et ouvrages en rivière aident à stocker l'eau face aux sécheresses

Un ouvrage en lit mineur de rivière ralentit, retient et infiltre l'eau. C'est vrai pour les ouvrages de castors comme pour ceux des humains. Le mouvement de défense des ouvrages hydrauliques le sait bien, mais il affronte un déni totalement aberrant de la part des pouvoirs publics en charge de l'eau et de la biodiversité, qui s'obstinent à nier, minimiser ou invisibiliser les intérêts des seuils et barrages.  Toutefois, lors d'une audition au Sénat, c'est la pdg du Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) qui a cru bon rappeler aux parlementaires les règles élémentaires de l'hydrologie, et notamment ce rôle des seuils. Les élus vont-ils en tirer la conclusion qui s'impose, à savoir valoriser et non plus vandaliser ces ouvrages? 



En février dernier, le Sénat a créé une mission d’information intitulée : "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement". Le 15 mars, cette mission auditionnait les experts en hydrogéologie du Bureau de recherches géologiques et minières.

A cette occasion, une mise au point intéressante a été faite : "Sur un sujet qui est polémique dans le domaine de l'eau, sur le sujet des obstacles ou seuils en rivières, quand il y a des seuils l'eau stagne un peu et donc cela s'infiltre davantage", a expliqué Michèle Rousseau (présidente-directrice générale du BRGM), en faisant le panorama des possibilités d'amélioration du stockage de l'eau en France métropolitaine.

En fait, ce phénomène est connu. Dans le monde naturel de l'aire européenne et nord-américaine, ce sont les barrages en série de castors qui jouent ce rôle de création de multiples retenues par petits barrages, et tous les travaux étudiant le phénomène concluent que ces aménagements ont un bilan hydrologique positif, tant pour l'infiltration dans les sols que pour les débordements par rehausse de niveau de la lame d'eau (voir nos publications sur le thème castor).  

Les propriétaires ou riverains de retenues et de biefs observent eux aussi le phénomène : si le niveau est baissé un certain temps par ouverture de vanne, alors le niveau des puits baissent, comme celui des éventuelles zones humides d'accompagnement à eau affleurante de type mare, prairie humide. Au demeurant, quand un projet d'aménagement de seuil concerne une retenue en zone de captage, des relevés piézométriques sont faits et la conclusion est immanquablement que le niveau du captage va baisser en cas d'effacement de la retenue et d'abaissement de sa ligne d'eau. On peut aussi lire la remarquable monographie de l'ingénieur public Pierre Potherat, qui a documenté le rôle des ouvrages dans le cas particulier des bassins sédimentaires des sources de la Seine et de l'Ource (voir cette recension). 


Ces constats n'ont rien d'extraordinaire, ils relèvent de lois bien connues en hydrostatique et hydrodynamique depuis le 19e siècle.

Ce qui est assez extraordinaire en revanche, c'est la politique de déni de ces réalités par les politiques publiques de l'eau, qui sont en France et pour partie en Europe arcboutées sur le nouveau dogme de la "continuité écologique", vu sous l'angle de l'effacement des ouvrages humains et du retour à une supposée "naturalité" de type sauvage. 

Refusant de reconnaître le moindre élément négatif de ce choix public, ces politiques passent sous silence le rôle des ouvrages dans la rétention et régulation de l'eau. Elles ne parlent immanquablement que de l'évaporation – comme si une zone humide naturelle ou une prairie ou une forêt n'évaporaient pas aussi en été, par un étonnant miracle physique! En fait, des travaux de recherche scientifique ont quantifié toutes ces évaporations et montré qu'elles sont du même ordre de grandeur, voire pire dans le cas de milieux naturels (cf Al Domany et al 2020).

La politique de continuité écologique est devenue le faux-nez d'une écologie assez radicale et polémique, dont la philosophie sous-jacente entend diaboliser et interdire la présence humaine au bord des rivières. Non seulement elle est nuisible à la régulation de l'eau alors que nous affrontons une multiplication des risques crues et sécheresses, mais elle heurte de nombreuses autres dimensions qui concourent à l'intérêt général et au bénéfice des riverains : patrimoine historique, culturel et paysager, production d'énergie renouvelable locale, réserve incendie, stockage pour abreuvement et irrigation, adaptation climatique, usages partagés. 

Nous demandons donc à nouveau à l'administration eau et biodiversité de respecter le choix parlementaire plusieurs fois réaffirmé de la nécessité de préserver, valoriser et exploiter les ouvrages hydrauliques, au lieu d'envisager leur effacement au nom d'un idéal non légal et non légitime de retour à la rivière sauvage. Nous demandons également au financeur public de solvabiliser les aménagements écologiques de ces ouvrages, qui optimisent certaines dimensions environnementales (franchissement piscicole, transit sédimentaire) sans en perdre les avantages. Nous demandons enfin une politique positive et intelligente des ouvrages hydrauliques, car l'amélioration de leur gestion et la responsabilisation de leur propriétaire sont un vrai enjeu public, bien plus nécessaire que la tentative d'ores et déjà ratée de détruire et assécher ces biens utiles. 

24/02/2023

Eau, biodiversité et adaptation climatique selon l'IGEDD

L'inspection générale de l'environnement et du développement durable a produit un rapport sur l'adaptation au changement climatique, qui vient d'être rendu public par le ministère de l'écologie. Nous publions son extrait sur le domaine de l'eau, précédé de quelques observations critiques. 

Le changement climatique devient perceptible et a des effets sur nos conditions de vie. L'eau est un domaine critique, puisque cette ressource est indispensable à la société, à l'économie, au vivant.

Le rapport de l'IGEDD synthétise les vues dominantes des expertises actuelles. Toutefois, sans être en désaccord sur le fond, nous soulignons trois points essentiels : 
  • Tout enjeu et toute priorisation des enjeux doivent être démocratiquement validées. Ce n'est pas le chercheur ou l'expert qui définit l'importance relative des sujets (climat, biodiversité, usages etc.), mais le citoyen préalablement informé par des expertises collégiales incluant tous les angles pertinents et toutes les connaissances légitimes. L'eau est une question sociale et politique, pas simplement une question naturelle.
  • Les assemblées élus (de la commune à l'Europe) sont les lieux de la discussion et de la décision démocratiques, ce qui suppose des élus motivés à examiner le fond des sujets et à refléter les attentes des citoyens les ayant élus. Ce rappel est nécessaire puisque nous voyons dans le fonctionnement de nos institutions un poids excessif d'administrations non élues et d'idéologies administratives non validées par les citoyens et leurs élus – en particulier dans le domaine de l'eau et de certains choix publics contestés. 
  • Tout programme public doit faire impérativement (et non facultativement) l'objet d'analyse coût-bénéfice sérieuse, ce qui est parfois difficile dans le domaine environnemental. C'est le seul moyen de conjurer le risque des effets de modes et de conformisme où l'on procède à des lourds investissements publics sans prendre soin au préalable de tester, observer et quantifier les résultats concrets. Par exemple ici, les solutions fondées sur la nature sont un sujet très en vogue mais où la recherche critique sur certains échecs de restauration de la nature doit inciter à être vigilant sur la réalité des résultats obtenus, particulièrement en stockage d'eau afin de prévenir tant les sécheresses que les inondations. Certaines solutions sont efficaces, d'autres non : la dépense d'argent public vise l'efficacité avant de viser la naturalité. 



Extrait du rapport :
Chapitre 4
L’adaptation des politiques de l’eau et de la biodiversité : à partir d’un noyau commun, de nouveaux types d’action émergent

4.1 Les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau sont bien mieux documentés que les impacts sur la biodiversité

Les conséquences du changement climatique sont souvent ressenties en premier lieu dans le domaine de l’eau : sécheresses à répétition entraînant restrictions et conflits d’usages, baisse du débit des rivières avec des impacts sur les espèces et les habitats, montée du niveau de la mer, intrusions salines, précipitations exceptionnelles et inondations, etc.

C’est en conséquence dans ce domaine que les impacts du changement climatique sont les mieux documentés. Pour la France, l’étude Explore 2070 a fourni en 2012 des scénarios concernant l’évolution des débits de cours d’eau et des nappes phréatiques au milieu du siècle, sur la base des travaux du GIEC. Ses conclusions annonçaient une baisse significative de la recharge des nappes, une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau et des débits d’étiages plus sévères, plus longs et plus précoces, de 30 à 60 %. L’étude Explore 2070 est en cours d’actualisation ; les résultats d’Explore 2 sont attendus en 2023.

L’impact du changement climatique sur la biodiversité est moins identifié ; pourtant, le premier rapport conjoint de l’IPBES et du GIEC « Biodiversité et changement climatique – résultats scientifiques » montre que le changement climatique, qui n’était qu’une pression parmi d’autres à l’origine de l’effondrement de la biodiversité, pourrait rapidement contribuer à accélérer cet effondrement, si rien n’est fait. En particulier, ce rapport estime que la proportion d’espèces menacées d’extinction du fait du climat se situe à 5% avec un réchauffement de 2°C, mais passe à 16% avec un réchauffement de 4,3°C.

Le 6éme rapport du GIEC indique qu’approximativement la moitié des espèces étudiées ont commencé à migrer vers les pôles ou vers des altitudes supérieures et constate qu’on observe déjà les premières extinctions d’espèces dues au changement climatique.

4.2 Les solutions retenues pour l’adaptation sont assez convergentes mais il reste difficile d’évaluer leur niveau de mise en œuvre effective

4.2.1 La poursuite des politiques de protection et de restauration et le développement des solutions fondées sur la nature sont retenus dans tous les plans étudiés

On trouve dans la plupart des pays étudiés des études d’impact du changement climatique et des feuilles de route dans le domaine de l’eau, au niveau national et dans les grands districts hydrographiques. Ces feuilles de route intègrent les impacts du changement climatique, à l’image en France des Assises nationales de l’eau de 2019 dédiées à l’adaptation, et des stratégies d’adaptation au changement climatique réalisées dans chaque grand bassin hydrographique.

Les horizons temporels pris en compte dans ces exercices sont de trois ordres :
  • Dans les pays européens, les feuilles de route par district hydrographique (bassin) respectent les temporalités de la directive cadre sur l’eau et de la directive inondations, soit des cycles de 6 ans. Les plans actuels visent l’horizon 2027, parfois (cas espagnol) se prolongent sur un ou deux cycles au-delà (2033 et 2039) pour la prise en compte des effets du réchauffement climatique,
  • certains plans nationaux ont des horizons de moyen/long terme, comme le « 25 year environment plan » britannique adopté en 2019, ou le programme Delta aux Pays Bas qui fixe des objectifs à l’horizon 2050,
  • enfin, certains plans ont des horizons encore plus lointains, notamment pour la prévention des inondations en lien avec l’élévation du niveau de la mer, par exemple le programme Estuaire de la Tamise 2100. Ces programmes s’inscrivent alors clairement dans une logique construite d’adaptation au changement climatique malgré les incertitudes, avec l’étude de plusieurs scénarios, et la notion de « chemins d’adaptation » conduisant à prendre progressivement des « décisions sans regret ». Ils prévoient des points de rendez-vous au vu de l’évolution des connaissances sur les impacts climatiques pour les décisions les plus structurelles.
Ces feuilles de route et programmes sur l’eau, qui se limitaient souvent initialement aux inondations (programme Delta aux Pays Bas) ou à la qualité des eaux environnementales (schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) en France), s’élargissent de plus en plus à l’ensemble du cycle de l’eau (eau potable, assainissement, et protection de la ressource en eau) et à la résilience des écosystèmes aquatiques et humides. Cette évolution globale conduit à compléter les programmes classiques d’infrastructures de génie civil dites « grises » (digues, réseaux de collecte des eaux de pluie et installations de traitement, etc.) par des projets de type « solutions fondées sur la nature (SFN) » comme les zones d’expansion de crues (programmes « room for the river » en Allemagne et aux Pays- Bas), la restauration de zones humides, la désimperméabilisation et la gestion à la source des eaux de pluie en ville, dont le rapport coût-bénéfice est souvent intéressant même s’il gagnerait à être mieux quantifié.

La mission constate que cette évolution conduisant à développer les solutions fondées sur la nature est citée comme un objectif dans tous les plans étudiés, au moins au niveau des principes. Il reste cependant encore difficile de juger de l’ampleur de l’application pratique, tant les SFN couvrent un champ vaste et sont parfois comprises différemment, même si une définition harmonisée émerge progressivement des travaux de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et de l’Assemblée des Nations-Unies pour l’environnement (ANUE).

Ce développement des SFN, qui est encouragé dans tous les pays comme en France par l’échange de bonnes pratiques et un certain nombre d’expérimentations pilotes, constitue une première étape vers la gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique que le GIEC et l’IPBES appellent de leurs vœux dans leur rapport conjoint.

Mais la notion de gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique ne signifie pas seulement la promotion des solutions fondées sur la nature : c’est aussi l’absolue nécessité de considérer les impacts de certaines solutions d’atténuation qui sont négatives pour la biodiversité. La biodiversité est l’un des champs où les risques de mal-adaptation sont les plus importants s’agissant notamment des bio-énergies, de l’hydroélectricité, de certaines politiques de boisement, du développement de l’irrigation et des retenues d’eau.

De manière générale, les plans et feuilles de route étudiées par la mission soulignent que l’accélération des politiques déjà engagées en matière d’eau et de biodiversité, ainsi que des politiques de protection des espaces et des espèces, apparait comme la réponse la plus pertinente.

L’accent est davantage mis, dans les plans étudiés, sur la nécessité d’accélérer les politiques de protection et de restauration des habitats, de leurs fonctionnalités, des continuités, des zones refuges, que sur le travail concernant directement les espèces, hormis quelques expériences de déplacement/réintroduction d’espèces très menacées (Japon, Royaume-Uni). Le rôle majeur du rétablissement des continuités (trame verte et bleue), pour favoriser la migration des espèces et la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, est souligné partout.

4.2.2 Au-delà de ce noyau commun d’accélération et de renforcement des politiques engagées, la rapidité du changement climatique nécessite de nouvelles actions

Quelques points plus spécifiquement liés au changement climatique doivent néanmoins être ajoutés ou renforcés dans les plans d’adaptation par rapport aux politiques existantes :

Dans le domaine de l’eau, la récurrence des sécheresses, leurs conséquences importantes, notamment sur l’agriculture, et la diminution progressive de la ressource disponible rend encore plus urgente l’accélération des politiques d’économies d’eau et de partage entre les usages - sujets peu traités par les directives européennes. L’examen des plans du parangonnage ne fait pas apparaître d’approche différente sur ces sujets de ce qui est fait en France : nécessité de fixer des objectifs chiffrés et répartis d’économies d’eau, gestion intégrée par bassin versant prenant en compte les besoins des milieux, priorisation annoncée des usages en termes d’intention mais encore peu développée dans le droit en vigueur. La liste des leviers mobilisables est connue et citée dans tous les plans (lutte contre les fuites dans les réseaux, réutilisation d’eaux usées, irrigation goutte-à-goutte etc.). Les plans citent parfois aussi les outils de tarification incitative qui sont expérimentés dans certains territoires. Une attention particulière est logiquement apportée au secteur agricole : avec des solutions à court terme qui peuvent reposer sur le développement de capacités de stockage et des solutions de moyen et long terme qui passent par une transformation des modèles de production.

En matière de prévention des inondations, la définition des aléas de référence doit intégrer les impacts du changement climatique : cela commence à se faire sur la montée du niveau de la mer et le recul du trait de côte (exemples des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la France notamment) et doit encore être développé en ce qui concerne l’impact des modifications du régime des précipitations sur les crues, les connaissances progressant rapidement dans ce domaine. De manière générale, les plans étudiés prévoient d’investir dans le développement et la fiabilité des dispositifs de surveillance et d’alerte sur les phénomènes extrêmes, indispensables et « sans regrets » notamment pour la France dans les territoires d’outre-mer.

Les politiques de prévention des inondations vont conduire dans certains cas à repenser très largement l’aménagement spatial de certains territoires. En ce qui concerne l’anticipation des conséquences de la montée du niveau de la mer, la mission a identifié tout particulièrement les programmes Estuaire de la Tamise 2100 et aux Pays Bas, la mise à jour 2022 du programme Delta, comme de bons exemples de politiques construites d’adaptation, associant le Parlement ou la société civile aux choix les plus structurants. En particulier, ces programmes conduisent à poser la question du niveau de protection souhaité des personnes et des biens face aux risques naturels, avec souvent trois options :
  • le maintien du niveau de protection actuel malgré le changement climatique, choix le plus courant, qui suppose un renforcement de la politique de prévention ;
  • l’objectif d’une augmentation du niveau de protection, pour certains secteurs ou territoires ;
  • une réduction du niveau de protection pour d’autres (voir en annexe la carte des enjeux du programme Tamise, publiée par l’agence anglaise de l’environnement).
Ce débat, naturellement très sensible, gagne à être explicité et partagé le plus largement possible, les deux programmes Delta et Estuaire de la Tamise 2100 constituent des exemples inspirants à cet égard.

Les études de risques au changement climatique, à l’échelle des aires protégées ou des écosystèmes, commencent à se développer (Royaume-Uni notamment), de même que la nécessité de développer des politiques intégrées de protection des sols prenant en compte rétention d’eau, biodiversité, capacité de stockage du carbone, en commençant par le développement d’indicateurs intégrés (Japon, Allemagne).

Les analyses coûts bénéfices restent encore rares, mais on peut citer notamment le calcul de retour sur investissement présenté dans le plan anglais d’adaptation en ce qui concerne la politique de prévention des inondations et de lutte contre l’érosion sur le littoral : le programme de dépenses de 2,6 milliards de livres sur 6 ans devrait rapporter 30 milliards de livres de bénéfices.

Ces différents exemples pourraient contribuer à la préparation du chapitre eau, risques naturels et biodiversité du futur plan d’adaptation français.

Recommandation : (MTECT) Compléter les feuilles de route nationales sur l'eau par des mesures portant sur des plans sectoriels d'économies d'eau, le développement de systèmes d’alerte précoce sur les risques naturels et l’organisation d’un débat sur le niveau souhaité de protection des personnes et des biens. Réaliser à chaque fois que possible des analyses coûts-bénéfices à l’appui de ces programmes.

01/02/2023

La loi d'accélération de l'énergie renouvelable n'accélère pas grand chose

C'est un sentiment de déception et d'échec qui prédomine aujourd'hui chez les acteurs des énergies renouvelables, notamment hydraulique. La France devait se doter dune loi pour accélérer la production d'énergie bas-carbone, mais le gouvernement et le parlement n'ont pas été capables de simplifier le droit. Dans le domaine hydraulique, on note la suppression de l'exemption de continuité écologique pour les moulins producteurs et la généralisation du médiateur de l'hydro-électricité en cas de conflit avec l'administration. 


La loi d'accélération de l'énergie renouvelable est sur le point d'être adoptée dans sa version finalement retenue par la commission mixte paritaire de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle ne contient aucune disposition d'accélération de l'hydro-électricité, au contraire.

L'article L 214-18 du code de l'environnement prévoit que le débit réservé peut être modifié de manière temporaire en cas de "menace grave sur la sécurité d’approvisionnement électrique", sous condition que le revenu tiré du turbinage soit affecté pour l'essentiel à la compensation écologique.

L'article L 214-18-1 du code de l'environnement, qui posait une exemption de continuité pour les moulins à eau producteurs d'énergie, est supprimée du code. En effet, le conseil d'Etat avait considéré en juillet 2022 que cet article contrevient à des règles européennes. 

La loi généralise aussi à tout le territoire le poste de médiateur de l'hydro-électricité, en charge d'examiner les désaccords entre l'administration et les porteurs de projets hydro-électriques. 

La mesure-phare attendue par la loi, à savoir attribuer à l'énergie renouvelable (de toute nature et toute puissance) une présomption de "raison impérative d’intérêt public majeur", a été amoindrie puisque le gouvernement a tenu à fixer par décret des conditions. Ce qui revient à nouveau non à accélérer, mais à complexifier et entraver certains projets.

On note qu'il y a eu une coalition politique des blocages, avec la droite hostile à certaines mesures en raison des éoliennes et la gauche en raison de la biodiversité. 

Au début de l'examen de la loi, les sénateurs avaient bel et bien adopté divers amendements pour accélérer la relance de la petite hydraulique, en simplifiant les procédures déclaratives et en exigeant du réalisme dans les mesures compensatoires écologiques. Mais ces avancées ont été abandonnées par l'Assemblée nationale, notamment sous l'influence du rapporteur de la majorité gouvernementale  et des ministres concernés, hostiles à la petite hydraulique. Nous prenons acte de cette hostilité pour la suite de nos rapports avec ces ministères et leurs administrations. 

Au final, la France révèle la profondeur de ses blocages : même face à une urgence climatique et énergétique frappant la population, l'appareil public n'est plus capable de prendre des mesures qui font la différence. 

Note sur le médiateur de l'hydro-électricité
Nous vous informerons lorsque les médiateurs seront connus dans chaque région. Nous mettons en garde les porteurs de projet : une médiation est parfois un moyen pour l'administration de retarder les contentieux, sans volonté sincère d'admettre que l'administration a tort dans le blocage qu'elle impose. Nous proposerons donc une méthodologie précise pour formaliser les problèmes et imposer un calendrier à la médiation, avec un délai de 2 mois pour débloquer les situations. Au terme de ce délai et en cas d'échec, une plainte pour abus de pouvoir devra être déposée, afin de ne pas retarder indéfiniment le moment où le juge doit trancher. Il convient de se souvenir que la loi obligé déjà, depuis 2019, l'administration à développer la petite hydro-électricité, comme elle obligé déjà, depuis 2006, l'administration à indemniser des charges spéciales et exorbitantes relevant de la continuité écologique. Il n'y a donc pas matière à pinailler sans fin si un fonctionnaire manifeste clairement une hostilité à un projet par des exigences et procédures disproportionnées, au lieu de faciliter au contraire sa réalisation. 

28/01/2023

Que nous dit un demi-siècle d'analyse des sécheresses en France et en Europe? (Peña‐Angulo et al 2022)

La sécheresse est l'un des aléas naturels les plus dommageables et les plus récurrents, avec des impacts socio-économiques et écologiques dévastateurs. Caractériser la gravité et le risque de sécheresse est donc un enjeu majeur. Des chercheurs européens viennent de publier une étude détaillée de 55 ans d'évolution des débits des cours d'eau, sur plus de 3000 points de mesure. Pour la France, le bilan ne se résume pas en une seule tendance claire : des bassins voient s'aggraver l'amplitude de la sécheresse, d'autres ont davantage d'eau. Il tend à tomber davantage d'eau dans les mois d'hiver et de début  de printemps, alors que l'été et l'automne évoluent vers de moins de précipitations. La gestion hydrologique des sécheresses comme des crues va être déterminante dans les décennies à venir, avec en toile de fond le dérèglement climatique qui aggrave les probabilités de phénomènes extrêmes. 

L'évolution de la sécheresse est influencée par plusieurs variables hydrométéorologiques (précipitations, évapotranspiration, ruissellement) et anthropiques (démographie, occupation des sols,  usages domestiques, agricoles et industriels de l'eau dans chaque bassin), ce qui complique l'évaluation du phénomène. Il existe en fait différents types de sécheresse : météorologique, hydrologique, agricole et socio-économique. Parmi elles, les sécheresses hydrologiques préoccupent particulièrement les décideurs politiques, en raison de la dépendance de la société et des écosystèmes à la disponibilité de l'eau dans les rivières et les aquifères.

Une équipe de chercheurs européens a analysé les tendances des observations hydrologiques sur un ensemble de stations présentant une bonne cohérence des données de 1962 à nos jours. 

Voici le résumé de leur étude :
"Cette étude présente un nouvel ensemble de données de débit mesuré (N = 3 224) pour l'Europe couvrant la période 1962-2017. L'ensemble de données Monthly Streamflow of Europe (MSED) est disponible gratuitement sur http://msed.csic. es/. Sur la base de cet ensemble de données, les changements dans les caractéristiques de la sécheresse hydrologique (c'est-à-dire la fréquence, la durée et la gravité) ont été évalués pour différentes régions d'Europe. En raison de la densité de la base de données, il est possible de délimiter les schémas spatiaux de la tendance des sécheresses hydrologiques avec le plus de détails disponibles à ce jour. Les résultats révèlent des changements bidirectionnels dans le débit mensuel, avec des changements négatifs prédominant sur l'Europe centrale et méridionale, tandis que les tendances positives dominent sur l'Europe du Nord. Temporellement, deux modèles dominants ont été notés. Le premier schéma correspond à une tendance à la baisse constante tous les mois, évidente pour l'Europe du Sud. Une deuxième tendance a été observée sur l'Europe centrale et septentrionale et l'ouest de la France, avec une tendance négative prédominante pendant les mois chauds et une tendance positive pendant les mois froids. Pour les événements de sécheresse hydrologique, les résultats suggèrent une tendance positive vers des sécheresses plus fréquentes et plus sévères dans le sud et le centre de l'Europe et inversement une tendance négative dans le nord de l'Europe. Cette étude souligne que les sécheresses hydrologiques montrent des schémas spatiaux complexes à travers l'Europe au cours des six dernières décennies, ce qui implique que le comportement de la sécheresse hydrologique en Europe a un caractère régional. En conséquence, il est difficile d'adopter des stratégies et des politiques « efficaces » pour surveiller et atténuer les impacts de la sécheresse au niveau continental."
Concernant la région de France métropolitaine en particulier, quelques graphiques aident à comprendre les évolutions observables sur un demi-siècle.


Sur la carte ci-dessus, les pointillés représentent des stations de mesure des débits des rivières, les couleurs représentent des ensembles cohérents (clusters) en comportement hydrologique. On voit que la France est divisée en trois zones suivant grosso modo un gradient Nord-Sud. 

Cette autre carte montre à droite la tendance en magnitude du changement (point rouge sécheresse plus marquée, point bleu sécheresse moins marquée), à gauche le caractère significatif ou non (au plan statistique) de la tendance. On voit que le nord et le sud de l'Europe ont des tendance assez claires (vers moins ou plus de sécheresse), mais que la France est une zone d'entre-deux, avec des zones qui s'assèchent au sud mais beaucoup d'autres qui n'ont pas de tendance claire, voire qui ont une tendance à la hausse des débits.


Enfin, cette carte informe la distribution temporelle (par mois) des débits. Le point notable pour la France est qu'il y a une tendance à l'excès d'eau (point bleu) entre décembre et mars, avec là encore des différences entre territoires, mais une tendance à la baisse les autres mois, en particulier de juin à octobre. La saisonnalité des pluies est donc davantage marquée.

Discussion
Les données relevées par Dhais Peña‐Angulo et ses collègues confirment de nombreux autres travaux en climatologie et hydrologie (voir cette synthèse). Pour la gestion quantitative et qualitative de l'eau, nous devons en retenir plusieurs choses :
  • l'avenir hydrologique de la France (et de l'Europe) est un sujet sérieux, les grandes sécheresses de ces dernières années ne sont pas des anomalies imprévisibles, mais des cas extrêmes pouvant devenir plus fréquents et plus intenses dans les prochaines décennies;
  • l'approche territoriale est indispensable, non seulement parce que chaque bassin versant a sa signature unique en hydrologie, géologie, climatologie, écologie et usages humains, mais aussi parce que les tendances sont différenciées sur le territoire français (on ne peut énoncer des constats et prédictions qui seraient valables en Bretagne comme en Corse, dans les Vosges comme dans les Pyrénées);
  • les tendances observables sur de nombreux territoires (hausse de l'eau disponible en hiver, baisse en été) suggèrent la nécessité de développer des choix appropriés de stockage de l'eau hivernale, selon des options pouvant relever de solutions fondées sur la nature ou sur la technique ;
  • au-delà des tendances et des moyennes, le dimensionnement de la réflexion, de l'occupation et usage des sols, des équipements de maîtrise hydrologique doit aussi intégrer les phénomènes extrêmes ponctuels (une sécheresse très prononcées sur 2, 3, 4 ans, une crue intense de dimension millénale ou davantage).
Référence : Peña‐Angulo Dhais et al. (2022), The complex and spatially diverse patterns of hydrological droughts across Europe, Water Resources Research; 58, 4, e2022WR031976.

A lire sur le même thème

09/01/2023

Perturbation du cycle océanique du saumon atlantique (Vollset et al 2022)

Les saumons atlantiques connaissent une accélération de leur maturation et une réduction tendancielle de taille quand ils reviennent migrer en rivière, ce qui a des conséquences sur leur survie. Une étude norvégienne sur plus de 25 ans de suivi de dizaines de milliers de saumons suggère que cette évolution serait due au changement climatique affectant le plancton en zone arctique, où grossissent les saumons. Ce travail rappelle que la gestion des poissons migrateurs doit envisager l'avenir des populations en intégrant tous les facteurs causaux et les trajectoires probables des prochaines décennies.  


Des études sur la croissance du saumon atlantique ont déjà révélé que sa taille selon l'âge a diminué dans de grandes parties de l'Atlantique Nord-Est, parallèlement à une réduction de la survie, affectant particulièrement les populations du sud de l'Europe. Plusieurs travaux ont suggéré que ces changements pourraient être liés au réchauffement des océans et aux changements du fonctionnement de l'écosystème marin. Knut Wiik Vollset ont compilé des données sur la croissance des poissons individuels au cours de leur première année en mer, qui correspond au stade de vie appelé post-smolt, soit le suivi de plus de 52 000 saumons atlantiques sur 180 rivières à travers la Norvège, entre 1989 et 2016. 

Voici la conclusion à laquelle parvienne les chercheurs :

"Des données uniques sur la croissance de la longueur corporelle au cours des premiers mois en mer obtenues à partir de la lecture des écailles du saumon atlantique ont révélé une réduction brutale de la croissance en 2005 pour de nombreuses populations migrant à travers la mer de Norvège depuis le sud et le centre de la Norvège. Cette croissance réduite s'est accompagnée d'une baisse du nombre de saumons atlantiques qui sont retournés dans les rivières au cours de l'année suivante après avoir passé un an en mer (appelés saumons atlantiques à un seul hiver ou castillon). 

Notre analyse a révélé une diminution océanographique coïncidente de l'étendue des eaux arctiques dans la mer de Norvège. Cette diminution des eaux arctiques a entraîné un réchauffement d'environ 1°C de la température, ce qui était corrélé à une réduction de près de 50 % de l'abondance du zooplancton avant l'émigration des smolts de saumon atlantique des rivières vers les régions de la mer de Norvège. Une réduction soudaine de la croissance corporelle a également été observée chez le maquereau bleu suite à cette réduction du plancton. Une croissance réduite du saumon atlantique vers 2005 a également été observée en France et en Écosse, suggérant que les facteurs affectant les populations du sud de la Norvège ont affecté les populations de saumon dans une vaste zone géographique. 

Nous émettons l'hypothèse que le changement océanographique dans les eaux arctiques a provoqué un changement de régime synchrone entre les niveaux trophiques dans une vaste zone de l'océan Atlantique nord-est."


Ces graphiques montrent la simultanéité de divers phénomènes avec un changement apparent de régime autour de l'année 2005 : (A) Proportion de saumons atlantiques retournant sur les côtes norvégiennes pesant plus de 3 kg. (B) Proportion de saumons multi-mer-hiver (MSW) par rapport au nombre total de saumons revenant de l'océan Atlantique à différentes années vers l'Europe du Nord (en rouge) et du Sud (en bleu). (C) Proportion d'eau arctique dans la mer de Norvège en mai. (D) Température moyenne de la surface de la mer (SST) en mer de Norvège de janvier à mai. (E) Biomasse de zooplancton définie en grammes de poids sec par mètre carré. (F) Longueur du maquereau de 6 ans. 

28/11/2022

Pluies et sécheresses en France, ce que les modèles climatiques prévoient pour ce siècle

Les modèles du climat appliqués à la France et couplés à des modèles de l’eau prévoient tous une tendance à l’aggravation des sécheresses et à la hausse de la variabilité des précipitations, avec des phénomènes plus extrêmes que ceux connus dans les archives historiques. Il pourrait y avoir en tendance un niveau égal ou supérieur de précipitation en saison pluvieuse, mais une baisse nette en saison sèche. Les tendances ne sont pas les mêmes au nord et au sud. Au regard de ces prévisions, il est critique de maintenir les outils de régulation de l’eau dont nous disposons, et d’en créer de nouveaux. L'interdiction de destruction des ouvrages de stockage d'eau devrait être généralisée à tous les bassins, et non seulement à ceux classés continuité écologique. L'évolution des pratiques estivales les plus consommatrices d’eau sera nécessaire afin d’augmenter leur résilience. 

Concernant l’évolution des précipitation, il faut garder à l’esprit une mise en garde : les prévisions des modèles climatiques sur l’eau restent entachées d’incertitudes, par rapport à celles des températures de surface. La raison en est que certains phénomènes physiques sont difficiles à modéliser comme l’évolution des nuages dans un climat réchauffé ou la modification des oscillations naturelles du climat (des couplages régionaux océan-atmosphères qui vont changer avec l’influence des gaz à effet de serre).  De plus, l’hydrologie ne dépend pas que du climat mais aussi des usages des sols, le couplage entre modèles climatologiques et hydrologiques ajoutant de l’incertitude sur les projections. En outre, il est plus difficile d’avoir des séries longues sur la pluviométrie que sur la température.

Cela étant dit, ces modèles physiques restent notre meilleur outil pour essayer d’anticiper et ils dégagent quelques tendances centrale ayant une plus haute probabilité de décrire l’avenir de l’eau dans nos territoires. 

Observations depuis 1900
Concernant déjà  les observations, le Hadley Center a fait récemment une synthèse sur l’évolution des précipitations en Europe entre 1901 et 2018 dans le cadre d’un exercice de détection-attribution des causes des observations (Christidis et al 2022).

Ce graphique montre l’évolution saisonnière en hiver (DJF), printemps (MAM), été (JJA) et automne (SON) :
On note en France une tendance dominante à la hausse des précipitations en hiver et à la baisse en été, avec des signaux plus divers les autres saisons. En revanche, la zone méditerranéenne a une tendance à la baisse dans quasiment toutes les saisons.

Autre enseignement des données : il existe une tendance à la variabilité des précipitations, leur caractère moins constante prévisible d’une année sur l’autre. Ce graphique montre la différence entre les 30 dernières années et les 30 premières du 20e siècle, une forte variabilité au printemps, un peu moins en hiver et en automne. En revanche les étés ont évolué vers une moindre variabilité sur la majeure partie du territoire en France :


Prévisions pour ce siècle
Venons en aux prévisions. Rappelons que celles-ci dépendent de scénarios d’émission (les RCP) qui changent selon la quantité de gaz à effet de serre que nous émettrons, donc le forçage radiatif de ces gaz (capacité de changement du bilan énergétique, RCP 2.5, 4.5 ou 8.5 W/m2) .

Les chercheurs français (Meteo France, CNRM, Cerfacs, IPSL) développent des projections climatiques de référence pour la France au 21 siècle, selon un modèle appelé DRIAS. Il y a toutefois des phases d’ajustement en cours entre ce modèle (qui est régionalisé) et les modèles globaux utilisés pour les rapports du GIEC (qui sont utilisés en simulations multi-modèles appelées CMIP). 

Concernant la projection climatique de référence de DRIAS et pour les précipitations, voici ce que donnent les résultats (selon les scénarios RCP et les périodes du 21e siècle)  :

On aurait un maintien ou une hausse légère des précipitations en hiver, un signal incertain au printemps et en automne, une baisse des précipitations en été.

Un autre publication (Dayon 2018) a utilisé les modèles globaux et analyser ce qu’ils disent pour la France, dans le scénario « business as usual » de poursuite des émissions de gaz à effet de serre.

Ce graphique montre les tendances des précipitations à la fin du siècle (2070-2100 par rapport à 1960-1990) en hiver (DJF), été (JJA) et moyenne de l’année :

Sur un tiers nord et est du pays, la tendance serait sans variation voire avec un peu plus de précipitations, mais pour les deux-tiers sud et ouest, la tendance est à la baisse. Mais il y aurait une hausse des précipitations hivernales dans le nord, une baisse dans la pointe sud. Et les précipitations estivales seraient plus faibles partout, surtout dans le sud. 

On le retrouve dans ce graphique des tendances de sécheresses hydrologiques (QMNA5), météorologique (PMNA5) et agricole / édaphiques (SMNA5) : 

Les sécheresses seront plus sévères dans tous les bassins versants. 

Cet autre graphique montre les tendances sur les quatre grand bassins versants métropolitains (Seine, Loire, Garonne, Rhône), où l’on peut voir par saison et à l’année les tendances estimées des précipitations (bleu), de l’évapotranspiration (vert) et du débit en résultant (rouge), avec les traits indiquant la valeur centrale selon les scénarios d’émission carbone : 


Les débits annuels diminueraient environ de 10 % (±20 %) sur la Seine, de 20 % (±20 %) sur la Loire, de 20 % (±15 %) sur le Rhône et de 40 % (±15 %) sur le Garonne.

Préparer la société à affronter un climat plus variable aux épisodes extrêmes plus dangereux
Face à ces évolutions, les mesures sans regret sont celles qui vont conserver ou augmenter la capacité de notre société à stocker et réguler l’eau, pour les besoins humains, pour la prévention des crues dangereuses et pour le soutien aux milieux naturels menacés d’assèchement. La difficulté pour le gestionnaire est de faire des choix avec deux cas extrêmes et contraires en hypothèse : des précipitations plus fortes que celles connues dans l'histoire (ce qui est probable en épisodes ponctuels), des sécheresses plus intenses que les cas archivés (idem).

Par ailleurs,  le climat et l’hydrologie ne suivent ne suit pas nos divisions politiques et administratives, il n’y a pas une seule stratégie nationale cohérente aux prévisions. Le sud et le nord de la France n’auront probablement pas les mêmes évolutions hydroclimatiques. Chaque bassin versant doit donc s’approprier les données et réflexions pour réfléchir depuis les réalités de son territoire. 

Concernant la question des ouvrages hydrauliques (retenues, plans d’eau, canaux), les prévisions des chercheurs sur la variabilité des précipitations, le risque accru de sécheresse, la possibilité de précipitations extrêmes, le décalage entre maintien des pluies en saison froide et nette baisse en saison chaude indique qu’il faut impérativement les conserver. La loi de 2021 interdit seulement de les détruire en rivière classée continuité écologique, mais cette interdiction devrait être étendue à tous les bassins versants. La France doit se doter d'une politique éco-hydraulique cohérente et prudente, au lieu des choix troubles et inefficaces faits depuis une dizaine d'années. En particulier, aucun chantier ne doit réduire le stockage d'eau en surface et en nappe, tout chantier devrait au contraire prévoir de l'augmenter. 

En revanche, ces systèmes hydrauliques vont avoir des contraintes plus fortes liées au réchauffement (eutrophisation, bloom, biofilm, etc.) : cela suggère d'en améliorer la gestion et surtout d’accélérer la dépollution des eaux, qui aggrave ses effets toxiques lors de la sécheresse. 

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27/07/2022

Les barrages de castors bénéfiques pour la quantité et la qualité d'eau en tête de bassin versant (Dittbrenner et al 2022)

Les castors et les humains sont les deux seules espèces capables de construire des retenues et diversions d'eau sur le lit mineur des rivières. Une nouvelle étude nord-américaine confirme, après de nombreuses autres, que la formation des retenues par barrages de castor tend à augmenter le stockage local de l'eau dans les sols et nappes, ainsi dans le cas étudié qu'à baisser la température de l'eau. Les chercheurs jugent ce bilan très bénéfique, notamment en situation de changement climatique qui réduit le débit des petites rivières de tête de bassin.  Ces travaux contredisent évidemment le dogme du libre écoulement des eaux selon lequel tout obstacle en rivière est un drame écologique, et toute retenue une somme d'effets uniquement négatifs. L'état normal d'une rivière est plutôt d'être parsemée de tels obstacles, qu'ils proviennent de castors, d'humains, d'embâcles, d'éboulis ou autres causes ni plus ni moins naturelles les unes que les autres.


La rivière avant et après la création de barrages et retenues par les castors, extrait de Dittbrenner  et al 2022, art cit.

Longtemps présent en abondance dans les ruisseaux et rivières de l'hémisphère Nord, les castors américains (Castor canadensis) et eurasiens (Castor fiber) ont connu une régression forte de l'Antiquité au 20e siècle, au point de frôler l'extinction. Désormais protégées, ces espèces ont entamé une reconquête progressive des vallées où elles vivaient, du moins celles qui présentent encore des biotopes favorables à leur cycle de vie. C'est le cas en particulier des têtes de bassin qui sont restées boisées.

Les castors se caractérisent par la construction de barrages, digues, canaux, huttes qui forment leur territoire. C'est la seule espèce avec la nôtre qui crée des plans d'eau par barrages. Les écologues et hydrologues s'intéressent aux castors pour comprendre l'impact des retenues d'eau qu'ils bâtissent.  Benjamin J. Dittbrenner et ses collègues ont analysé des bassins versants aux Etats-Unis en phase de reconquête par une colonie de castors. 

Voici le résumé de leur travail

"De nombreuses régions connaissent une augmentation des températures des cours d'eau en raison du changement climatique, et certaines connaissent une réduction des débits des cours d'eau en été et de la disponibilité de l'eau. Étant donné que la construction de barrages et la formation de retenues par le castor peuvent augmenter le stockage de l'eau, le refroidissement des cours d'eau et la résilience de l'écosystème riverain, le castor a été proposé comme un outil potentiel d'adaptation au climat. Malgré le grand nombre d'études qui ont évalué comment l'activité des castors peut affecter l'hydrologie et la température de l'eau, peu d'études expérimentales ont quantifié ces résultats après la relocalisation des castors. 

Nous avons évalué les changements de température et de stockage de l'eau suite à la relocalisation de 69 castors dans 13 cours d'eau d'amont du bassin versant de la rivière Skykomish dans le bassin de la rivière Snohomish, Washington, États-Unis. Nous avons évalué comment les barrages de castors affectaient le stockage des eaux de surface et souterraines et la température des cours d'eau. Les relocalisations réussies ont créé 243 m3 de stockage d'eau de surface par 100 m de cours d'eau au cours de la première année suivant la relocalisation. Les barrages ont augmenté l'élévation de la nappe phréatique jusqu'à 0,33 m et stocké environ 2,4 fois plus d'eau souterraine que d'eau de surface par tronçon de relocalisation. Les tronçons de cours d'eau en aval des barrages ont affiché une diminution moyenne de 2,3 °C pendant les conditions de débit de base en été. Nous avons également évalué comment les dommages, l'état, la fréquence d'entretien et la morphologie des étangs influençaient la température des cours d'eau dans les complexes de milieux humides naturellement colonisés. 

Nos résultats démontrent que la construction de barrages peut augmenter le stockage de l'eau et réduire les températures des cours d'eau au cours de la première année suivant la relocalisation réussie des castors. La morphologie fluviale et des plaines inondables des tronçons candidats à la relocalisation est une considération importante car elle détermine le type et l'ampleur de la réponse. La relocalisation vers des tronçons avec de petites retenues abandonnées existantes peut répondre aux critères thermiques en convertissant des tronçons de réchauffement en tronçons de refroidissement, tandis que la relocalisation dans de grands complexes abandonnés ou un habitat vacant peut entraîner un plus grand stockage de l'eau. Bien que la relocalisation des castors puisse être une stratégie d'adaptation climatique efficace pour conserver des régimes hydrologiques et une qualité de l'eau plus stables dans notre zone d'étude, il semble y avoir des facteurs environnementaux et géomorphologiques spécifiques à la région qui influencent la façon dont les castors affectent stockage et température de l'eau. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment et pourquoi ces différences régionales affectent le stockage de l'eau et la réponse de la température des cours d'eau dans les systèmes influencés par le castor."

Les auteurs rappellent que leurs analyses confirment de nombreux travaux antérieurs : "Il a été démontré que les complexes de castor augmentent considérablement le potentiel de stockage des eaux de surface et souterraines. On estime que, dans le monde entier, les complexes de castors stockent jusqu'à 11 km3 d'eau de surface (Karran et al., 2016) avec jusqu'à 30 % de l'eau de surface d'un cours d'eau stockée dans des retenues de castors (Duncan, 1984). Des études ont montré que le castor augmentait la largeur des zones riveraines le long des cours d'eau de 11 à 34 m (McKinstry et al., 2001), et dans les tronçons en aval des barrages, le volume des bassins augmentait également (Stack & Beschta, 1989). On a constaté que les tronçons de cours d'eau endigués étendaient l'étendue latérale de la zone hyporhéique jusqu'à 8 m au-delà des tronçons de contrôle à partir d'une largeur de 0,2 m avant la construction du barrage (Shaw, 2009), tandis que les retenues plus grandes étendaient l'étendue des eaux souterraines de plus de 50 m ( 10 m dans les tronçons témoins ; Lowry, 1993). Cependant, en raison de la complexité et de la grande variabilité de la géologie locale, du relief, du type de sol et d'autres caractéristiques morphologiques, les estimations du stockage total sont difficiles à quantifier. Bien que la plupart des études existantes aient documenté le stockage dans des complexes de castor bien établis, les effets du déplacement du castor sur le stockage des eaux de surface et souterraines restent sous-étudiés."

Concernant la température, les auteurs soulignent la dépendance au contexte local et la nécessité de bien fixer l'échelle de l'analyse thermique, en tenant compte notamment des remontées de nappes : "Les effets des barrages de castors sur la température des cours d'eau sont également très variables d'une étude à l'autre selon l'emplacement et la méthodologie d'étude. Des recherches antérieures ont trouvé des preuves de réchauffement (Avery, 2002; Patterson, 1951), de refroidissement (White, 1990), de réchauffement ou de refroidissement selon la saison (Avery, 1983), ou d'absence de relation entre la présence d'un barrage et la température (McRae & Edwards, 1994 ). Dans les systèmes d'amont à plus haute altitude, où les cours d'eau sont relativement froids, des augmentations de température de 6 à 9 °C ont été observées en aval des étangs de castors (Margolis et al., 2001). Des études plus récentes ont évalué les températures des cours d'eau à plus grande échelle et ont constaté que les étangs de castors peuvent également avoir un effet de refroidissement net (Weber et al., 2017; White et Rahel, 2008) en raison de la recharge et de la remontée d'eau souterraine (Pollock et al., 2007)"

Discussion
Le castor nord-américain bâtit des barrages de plus grande dimension que le castor européen, mais les deux espèces utilisent cette même stratégie de construction de niche pour remodeler les rivières. 

Le point évidemment étonnant de ces études sur le castor, c'est qu'elles contredisent totalement le discours dogmatique sur la nécessité d'un libre écoulement parfait des eaux de surface au nom de la continuité écologique des rivières. Dans la réalité, les rivières même sans humains sont cesse fragmentées, par des barrages d'embâcles, d'éboulis ou de castors. Leur lit est loin d'être le petit chenal lotique encaissé et sinueux que l'on montre souvent comme exemple de rivières "naturelles" alors que c'est un style fluvial tardif issu de l'exploitation humaine des bassins versants (voir Lespez et al 2015).

Si le petit barrage de castor diffère évidemment du petit barrage humain par sa conception, il est notable que de nombreuses propriétés et fonctionnalités hydrologiques sont semblables : hausse de la lame d'eau, élargissement du lit en eau sur l'emprise de la retenue, débordement locaux an amont si le foncier est prévu pour l'accueillir (ou diversion dans des canaux latéraux, sachant que le castor lui aussi est capable de creuser ces annexes hydrauliques). Au demeurant, d'autre travaux de recherche ont montré que la destruction des ouvrages humains mène à des incisions de lit, moindres débordements et moindres recharges de nappes (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

L'image ci-dessous montre une succession de petits plans d'eau humains en tête de bassin, sur une carte ancienne (Cassini, 18e siècle). Nos ancêtres, comme les castors, avaient une certaine intuition des moyens de retenir et gérer l'eau dans les bassins versants...

Référence : Dittbrenner BJ et al (2022), Relocated beaver can increase water storage and decrease stream temperature in headwater streams, Ecosphere, 13, 7, e4168


Succession de plans d'eau humains dans un aménagement d'Ancien Régime en tête de bassin.