29/03/2021

La diversité végétale des plans d'eau peu profonds (Labat et al 2021)

Des chercheurs ont étudié la biodiversité des plantes dans 89 plans d'eau peu profonds en France. Ils montrent que la géologie et la distance à la source sont prédicteurs des assemblages biologiques, le second trait indiquant un rôle de la connectivité des plans d'eau aux hydrosystèmes de fleuves et rivières. La superficie est le premier prédicteur de diversité locale alpha des macrophytes. 


Une équipe française de recherche (Université de Rennes, CNRS, Aquabio) a sélectionné 89 plans d'eau peu profonds situés de 3 à 3340 m au-dessus du niveau de la mer, différant par leur géologie (calcaire à siliceuse), leur substrat (sable, argile, roche), l'approvisionnement en eau (précipitations, eaux souterraines, débit de la rivière), leur surface (de 1 m2 à 41,4 ha). Ces sites comprenaient à la fois des eaux permanentes, semi-permanentes (sèches exceptionnellement) et temporaires (alternant régulièrement présence et absence d'eau). Ils ont été sélectionnés dans quatre régions biogéographiques différentes: alpine, méditerranéenne, continentale et atlantique. Ces plans d'eau pouvaient d'origine naturelle (glaciaire, alluviale) ou le résultat de l'activité humaine. Les plans d'eau caractérisés par un ombrage égal ou supérieur à 75% n'ont pas été inclus dans l'analyse, en raison de leur faible richesse floristique.

Le but de Frédéric Labat et de ses collègues était de comprendre la diversité floristique (macrophytes) de ces sites et ses déterminants. Voici le résumé de leurs travaux :

"Les plans d'eau peu profonds [small shallow lakes=SSL] soutiennent une biodiversité exceptionnellement élevée et originale, fournissant de nombreux services écosystémiques. Leur petite taille les rend particulièrement sensibles aux activités anthropiques, qui provoquent un passage à des états turbides dysfonctionnels et induisent une perte de services et de biodiversité. Dans cette étude, nous avons étudié les relations entre les facteurs environnementaux et les communautés macrophytes. Les macrophytes jouent un rôle crucial dans le maintien des états clairs fonctionnels. Une meilleure compréhension des facteurs déterminant la composition et la richesse des communautés végétales aquatiques dans les conditions les moins touchées peut être utile pour protéger ces lacs peu profonds. 

Nous avons inventorié les communautés de macrophytes et collecté les données chimiques, climatiques et morphologiques de 89 SSL les moins impactés et largement distribués en France. Les SSL ont été échantillonnés dans quatre écorégions climatiques, diverses géologies et altitudes. 

L'analyse des grappes hiérarchiques a montré une séparation claire de quatre assemblages de macrophytes fortement associés à la minéralisation. Les facteurs déterminants identifiés par l'analyse de redondance basée sur la distance (db-RDA) étaient, par ordre d'importance, la géologie, la distance par rapport à la source (DIS, un proxy de la connectivité avec les hydrosystèmes fluviaux), la superficie, le climat et l'hydropériode (permanence de l'eau). Étonnamment, à l'échelle nationale, le climat et l'hydropériode filtrent faiblement la composition des macrophytes. La géologie et la distance à la source sont les principaux déterminants de la composition de la communauté, tandis que la superficie détermine la richesse floristique. La distance a été identifié comme un déterminant dans les écosystèmes lentiques d'eau douce pour la première fois."

Lien entre superficie (en abscisses) et diversité (en ordonnées, indice de Shannon en haut, indice de Simpson en bas).

Discussion

Les chercheurs rappellent l'importance écologique, sociale et économique des petits plans d'eau : "Les plans d'eau peu profonds fournissent de nombreux services économiquement précieux et des avantages à long terme à la société, tels que l'approvisionnement en eau potable, l'irrigation et l'aquaculture, et ils sont souvent utilisés pour différents types de loisirs, tels que la pêche à la ligne, la navigation de plaisance et la baignade, ou sont construits pour la valeur d'agrément. Ils fournissent des habitats pour une faune et une flore aquatiques riches et distinctes et contribuent également à la préservation de la biodiversité terrestre, comme les oiseaux et les chauves-souris, en fournissant des habitats et de la nourriture. Les plans d'eau peu profonds jouent un rôle dans le traitement régional du carbone, avec enfouissement dans les sédiments et émission de gaz à effet de serre naturels, et sont utiles pour la séquestration du carbone. Ils retiennent une partie des éléments nutritifs et des contaminants des bassins versants, et influencent l'hydrologie et l'hydromorphologie des rivières."

Et ils précisent : "Malgré leur importance économique et leur valeur de conservation, les plans d'eau peu profonds sont largement négligés par la communauté scientifique. En particulier, ils restent peu étudiés dans de nombreux pays européens, dont la France, bien que la disparition des plans d'eau ait atteint 90% dans de nombreuses régions, en raison de l'intensification agricole, de l'urbanisation et, probablement, du réchauffement climatique."

Nous ne pouvons que souhaiter l'expansion de ces recherches et leur prise en compte par les décideurs, à l'heure où de nombreux plans d'eau et canaux sont menacés par des mauvais choix de gestion, voire par des politiques sous-informées de destruction et assèchement au nom de la continuité écologique.

Référence : Labat F et al (2021), Principal determinants of aquatic macrophyte communities in least-impacted small shallow lakes in France, Water, 13, 609

19/03/2021

"Notre patrimoine naturel a été dessiné par les activités humaines"

La secrétaire d'Etat à la biodiversité Bérangère Abba a reconnu que l'expérience française et européenne de la nature relève d'une longue co-existence avec l'occupation humaine des territoires. Hélas, son propos a de bonnes chances de tomber dans les oreilles de sourds quand il s'agit de l'eau et des milieux aquatiques. Car l'administration dont Bérangère Abba a la tutelle tient un discours fort différent, où le "retour à la nature" consiste ici à détruire les biotopes créés par les humains, comme les retenues, biefs ou étangs. 


Paysage avec moulin à eau, François Boucher (1703-1770)

En visite en Bourgogne, la secrétaire d'Etat à la biodversité Bérangère Abba a déclaré : "Je lance la réflexion sur la stratégie nationale de la biodiversité en partant des territoires. (…) La protection à la française, ce n'est pas du tout une mise sous cloche mais qui accepte enfin l'idée que notre patrimoine naturel a été dessiné par les activités humaines."

Nous ne pouvons que saluer cet éclair de lucidité du ministère de l'écologie. Le problème : une bonne partie de l'administration de ce ministère ne partage pas du tout la vision de la secrétaire d'Etat.

C'est le cas en particulier chez nombre de fonctionnaires en charge de la biodiversité travaillant pour la direction centrale de l'eau, les agences de l'eau, l'office pour la biodiverité ou les syndicats de rivière, ce que certains universitaires ont appelée l'hydrocratie.

La discours public de la "renaturation" diffuse une image fausse et naïve de la nature
Depuis dix ans, ces fonctionnaires déversent en effet le même discours :
  • les milieux créés par les ouvrages hydrauliques sont sans intérêt, que ce soit des retenues, des biefs, des étangs, des plans d'eau,
  • il faut "renaturer" la rivière ou la "restaurer dans son état naturel", c'est-à-dire faire disparaître tous les milieux anthropiques vus comme des anomalies,
  • ce faisant, nous pourrons attendre et conserver un "bon état écologique" de la rivière.
Ce discours laissant entendre que l'on va revenir à une nature vierge du passé par quelques actions sur les ouvrages est intenable. En effet :
  • les lits mineurs et majeurs des rivières ont été massivement modifiés depuis 6000 ans en Europe, il n'y a rien de "naturel" au sens de non modifié par l'Homme dans ces lits,
  • les transits sédimentaires et régimes hydrologiques venant du bassin versant ont été transformés par les usages des sols et de l'eau,
  • un nombre croissant d'espèces exotiques d'invertébrés, de crustacés, de mollusques, de poissons, de végétaux s'installent et circulent dans les eaux,
  • le changement climatique a déjà modifié depuis 150 ans le cycle de l'eau comme son régime thermique, et même si nous arrêtons les émissions carbone, il va continuer de le faire pendant plusieurs siècles,
  • des milliers de molécules de synthèse circulent dans les eaux, sans rapport à leur morphologie mais avec des effets sur le vivant.
Les points ci-dessus été nettement démontrés par la recherche française, européenne et internationale depuis 20 ans. Mais le logiciel de formation des agents publics de la biodiversité aquatique semble être resté coincé quelque part au 20e siècle.

Pour ce qui est des ouvrages hydrauliques :
  • la diversion et canalisation d'eau commence avec la sédentarisation néolithique,
  • les moulins apparaissent à l'ère romaine, ils se développent pendant deux mille ans,
  • la déforestation et le drainage des zones cultivables avec développement d'étang piscicoles prennent leur essor dès le haut Moyen Age pour s'intensifier au fil des siècles,
  • les canaux, écluses et ouvrages de navigation se développent à l'âge classique et moderne,
  • les ponts, digues, rehausses de berge, routes, voies ferrées et autres infrastructures civiles diffuses imposent  peu à peu des contraintes à l'écoulement, 
  • les grands barrages d'énergie, d'eau potable, d'irrigation, d'écrètement de crue et de soutien d'étiage achèvent de modifier le régime des rivières à compter du 19 e siècle. 
Dans cet ensemble, les ouvrages les plus anciens encore présents (moulins et étangs) sont ceux qui ont créé de longue date des régimes alternatifs locaux de l'eau, avec un accroissement et non une diminution des milieux aquatiques (contrairement à d'autres aménagements qui visent à réduire la présence d'eau et écouler cette eau plus vite vers l'aval).

Sortir de l'écologie à oeillères ignorant les autres enjeux et les autres disciplines
Donc quand on détruit un ouvrage de moulin pour assécher sa retenue et son bief, quand on élimine un plan d'eau, un étang ou un lac, on ne revient nullement à un état d'équilibre ou un état antérieur de la nature. On détruit un "patrimoine naturel dessiné par les activités humaines" dont parle Bérangère Abba, mais en aucun cas on ne ré-invente quelque chose comme une rivière à l'état de nature. Et on laisse tous les problèmes en place, voire on les aggrave quand l'eau vient à manquer.

Plusieurs centaines de millions d'euros sont hélas dépensés dans cette illusion naturaliste, qui se révèle négative pour de nombreux autres aspects: paysage, patrimoine, énergie, maintien d'eau en étiage, bonne entente des riverains autour des usages multiples de l'eau.

Alors certes, Bérangère Abba a de bonnes intuitions. Mais les politiques passent, les administrations restent. Et comme les politiques passent très vite au ministère de l'écologie, les administrations y ont pris la mauvaise habitude de définir toutes seules les orientations du pays. La France a besoin d'un vrai débat démocratique sur l'écologie : celle-ci n'est plus une affaire de spécialistes ou d'experts travaillant dans quelques silos disciplinaires, mais désormais une question de société appelant une vision large des enjeux et des échanges sincères avec les citoyens.

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16/03/2021

"Les agences de l'eau ne détruisent pas les moulins", petites manipulations entre amis pendant l'examen de la loi Climat et résilience

Pendant l'examen en commission de la loi Climat et résilience, la rapporteure Cendra Motin et la ministre de l'écologie Barbara Pompili ont refusé les amendements visant à protéger les ouvrages hydrauliques, leurs milieux, leurs usages, venant pourtant de tous les bords politiques et toutes les régions. Lisant les notes préparées par sa bureaucratie de l'eau, la ministre a multiplié les omissions, les contre-vérités et les contradictions. Il est consternant de voir le gouvernement et les hauts fonctionnaires s'acharner à défendre une politique de destruction des ouvrages en rivière massivement rejetée dans les territoires depuis dix ans. Alors que mille choses utiles et nécessaires sont à faire pour l'écologie, Barbara Pompili défend encore la suppression de retenues et canaux d'eau, de sites de production énergétiques bas carbone, de milieux aquatiques et humides, de paysages appréciés des riverains. Cette approche rétrograde d'une "nature sans humain" nie la réalité de l'évolution historique de nos écosystèmes. Elle divise les citoyens au lieu de les rassembler. Elle est aux antipodes des  urgences écologiques, sociales et économiques du pays. 


Vidéo du débat, voir discussion à partir de 4'52''30

Lors de l'examen de la loi Climat et résilience à l'Assemblée, la rapporteure Cendra Motin (à qui l'on doit la phrase de titre) et la ministre de l'écologie Barbara Pompili ont balayé d'un revers de la main plusieurs dizaines d'amendements de protection des ouvrages hydrauliques, de promotion de la petite hydro-électricité, de défense des milieux aquatiques et humides d'origine humaine. Ces amendements transpartisans venaient pourtant de tous les groupes (dont le groupe majoritaire) et de tous les territoires. 

Barbara Pompili s'est contentée de lire la note préparée par la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, c'est-à-dire par la bureaucratie responsable du naufrage de la gestion de continuité écologique depuis plus de 10 ans.

Tout y est passé, les manipulations et omissions, les éléments de langage usés d'une administration répétant sa langue de bois. A peu près toutes les idées reçues que nous dénonçons ont été reprises. Mais répéter cent fois une contre-vérité n'en fait pas une vérité. Nous reprenons ici quelques éléments, sachant que chaque phrase ou presque de la ministre serait à reprendre. 

"on agit sur le seuil du moulin et en aucun cas sur le moulin lui-même"
Un moulin à eau est un bien hydraulique défini par sa retenue, son bief, son usage de l'eau, cela tant pour la valeur paysagère et patrimoniale que pour la valeur écologique et énergétique. Détruire le seuil, c'est laisser une maison en zone inondable, c'est détruire le moulin en tant que moulin. C'est surtout assécher des milieux usuellement en eau, éliminer le potentiel hydro-électrique, effacer le paysage de rivière aménagée. Il y a là une négation et une simplification de la réalité complexe des moulins. Par ailleurs, le moulin est le cas particulier d'une question générale : les ouvrages hydrauliques concernent aussi des forges, des centrales hydro-électriques, des étangs, des plans d'eau, des lacs, des lavoirs, des douves et plein d'autres cas. Notre association et la coordination eaux et rivières humaines demandent de prendre en compte l'ensemble des hydrosystèmes.

"il [le seuil] ne permet pas le transport du sédiment (...) quand les sédiments s'arrêtent, cela change l'écosystème"
Les sédiments ne s'arrêtent évidemment pas, la ministre de l'écologie ne comprend apparemment pas bien de quoi elle parle, ce qui est inquiétant quand on décide de la politique publique d'un pays sur son patrimoine hydraulique et ses rivières. Cette généralité sur les sédiments a été démontée par des travaux de recherche, y compris ceux tout récents d'une équipe de chercheurs ayant pris soin de montrer sur tout un bassin que l'effet sédimentaire des moulins et petits ouvrages est négligeable (Peeters 2020, voir aussi Collins 2020 et plus généralement nos rubriques sédiments et hydromorphologie). Par ailleurs, changer un écosystème n'est pas un mal en soi, toute l'Europe est formée d'écosystèmes changés par l'Homme depuis 6 millénaires : une prairie, une garrigue, un bocage, un alpage, un lac, un étang, ce sont des écosystèmes issus de la co-évolution culture-nature. La ministre en est encore à une vision de l'écologie des années 1960, où l'on imaginait une nature séparée de l'Homme, évoluant autour d'un équilibre qui change peu, ce qui est une conception archi-fausse du régime de la nature en général, et en particulier après le néolithique (pour l'eau et les sédiments voir Jenny 2019, Mooij 2019, Gibling 2018, Evans et Davis 2018 parmi des centaines d'autres travaux d'histoire environnementale ayant modifié notre connaissance de l'évolution des rapports société-nature). 

Le moulin provoquerait des "dégâts plus importants lors des crues"
Aucune base scientifique n'a jamais démontré cela, et les règles physiques de l'écoulement permettent de comprendre qu'une rivière avec des retenues et des diversions latérales (biefs) aura des crues moins rapides et moins violentes à l'aval qu'une autre où le lit mineur est devenu une conduite unique pour amener l'eau plus vite vers cet aval sans aucun obstacle. Là encore, on a l'impression que la ministre lit les notes de son administration sans comprendre les réalités dont elle parle. Et on a l'impression que les hauts fonctionnaires ayant rédigé ces notes ne se représentent pas non plus très bien les réalités. Des chercheurs allemands ont montré les effets néfastes de la suppression des seuils : incisions (creusement de lits), moindres débordements, débits plus rapides vers l'aval (Maaß et Schüttrumpf 2019). On est donc dans la négation du bon sens et des évidences. Si la continuité latérale devait être rétablie (ce qui est meilleur pour la biodiversité cf Ward 1999, pour la rétention d'eau et pour l'écrêtement de crues), on parlerait de travaux beaucoup plus importants afin de reconnecter lit mineur et lit majeur. Mais là, casser des ouvrages revient dans la plupart des cas à faire du lit mineur une conduite encaissée, en perdant l'effet bénéfique de la retenue, de la rehausse du niveau d'eau, de la diversion latérale dans un bief dans le cas des moulins, des marges humides dans le cas d'un étang ou d'un lac. 

Des migrateurs qui reviennent dans "l'Orne", "la Seine", "la Touques"...
Le retour des migrateurs n'est nullement dépendant de la casse des ouvrages, comme l'avait montré le bilan commandité par l'agence de l'eau Seine-Normandie elle-même sur la Vire, l'Orne, la Touques, la Bresles : passes à poissons et rivières de contournement fonctionnent aussi, voire le simple franchissement des plus petits ouvrages n'ayant jamais été des obstacles complets. Par ailleurs, quand des universitaires et non des administratifs examinent le bilan complet, il est moins bon, voir cet article sur la Touques et notamment Germaine 2011  ou Lespez et al 2016). Des chercheurs français ont publié une analyse des migrateurs sur 40 ans (Legrand et al 2020): une majorité de stations n'ont aucune tendance significative, plusieurs espèces sont en déclin comme les aloses ou les lamproies marines, d'autres comme les saumons atlantique n'ont pas de gain global malgré de lourds investissements publics et privés depuis les premiers plans des années 1970. D'autres chercheurs ont montré qu'à l'époque des moulins et étangs d'Ancien Régime (ceux que la bureaucratie de l'écologie détruit et assèche à tour de bras), on trouvait des migrateurs jusqu'en tête de bassin (Merg et al 2020). Il faut croire que d'autres causes de raréfaction des poissons sont à l'oeuvre. La ministre de l'écologie trouvera ces causes en se demandant ce qui a changé dans les rivières entre 1900 et nos jours, périodes où effectivement de nombreux tronçons ont perdu des migrateurs... en même temps qu'ils perdaient des moulins par ailleurs.

On défendrait l'"analyse au cas par cas" du plan de continuité apaisée
Les amendements refusés par la ministre visaient précisément le problème de la préférence systématique et programmatique pour l'effacement dans les planifications des agences de l'eau. Comment peut-elle oser prétendre qu'il existe un "cas par cas" alors que les services de l'Etat dans les agences décident à l'avance et a priori que seule la destruction sera financée au taux maximal? C'est honteux de travestir à ce point la sincérité de la parole publique. Barbara Pompili n'est pas capable d'assumer la préférence d'Etat pour la destruction devant les élus de la nation. 

*

Il faut se rendre à l'évidence : l'écologie du simplisme et du détournement d'attention continue de régner au gouvernement. Pendant que les pelleteuses détruisent les moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques présents depuis des siècles, la moitié des rivières n'atteignent pas la qualité écologique et chimique requise par l'Europe, et encore l'Europe ne contrôle qu'une fraction des polluants. Chaque nouvelle sécheresse nous vaut des rivières sans eau. Le réchauffement climatique continue, tout comme nos émissions carbone. 

La vision de l'écologie portée à la tête de l'Etat est mal informée et inefficace, quand elle n'est pas mal intentionnée et autoritaire. Elle divise les citoyens au lieu de les rassembler. C'est triste pour notre pays. 

Nous remercions les nombreux députés qui ont essayé de défendre les ouvrages en commission, et nous les appelons à le faire encore en séance publique. Nous appelons également les sénateurs, bons connaisseurs des territoires, à faire entendre leur voix face au déni des réalités qui persiste au ministère de l'écologie. Nous appelons enfin le mouvement des ouvrages hydrauliques à tenir bon et à protéger les cadres de vie face l'action néfaste des casseurs, cela par tous les moyens légaux à leur disposition. Cette parenthèse aberrante finira par se refermer. Il reste évidemment consternant que la France en 2021 perde encore du temps, de l'énergie et de l'argent à promouvoir des politiques ineptes conçues dans des bureaux et décalées des attentes des citoyens.

14/03/2021

Ne plus laisser les agences de bassin détruire le patrimoine et la ressource en eau des territoires

Nouvelle provocation des agences de l'eau : tous leurs projets de SDAGE 2022-2027 comprennent des appels à privilégier l'effacement des moulins, étangs, canaux et autres ouvrages hydrauliques de notre pays. C'est un mépris affiché des attentes du gouvernement et du parlement pour une continuité apaisée et sans dogme. C'est un scandale démocratique, puisqu'une poignée de personnes nommées par préfet et donc sans légitimité élective prétend imposer des normes absentes de la loi et dilapider l'argent des contribuables. C'est une aberration scientifique, alors qu'aucune étude ne démontre l'implication des ouvrages dans la pollution des rivières ou dans la non-atteinte des objectifs de la directive cadre sur l'eau. C'est une trahison du combat climatique de la France, alors que les efforts doivent être portés sur l'équipement des ouvrages et la protection de tous les milieux en eau, naturels comme anthropiques. Hydrauxois appelle l'ensemble du mouvement des ouvrages, ses acteurs nationaux comme locaux, à organiser la riposte que cette provocation appelle. Les agences de l'eau doivent mener les objectifs posés par les lois françaises comme par les directives européennes, au lieu de leur échec actuel à le faire et de leur gabegie d'argent public. 


A de nombreuses reprises depuis 10 ans, les parlementaires ont signifié leur attachement au patrimoine hydraulique des rivières françaises. Ils ont modifié plusieurs fois la loi (en 2016, en 2017) pour que la destruction des moulins, des étangs, des centrales hydro-électriques et autres ouvrages ne soient pas la solution retenue par les gestionnaires publics de l'eau. Par ailleurs, ils ont inscrit en 2019 dans la loi l'urgence écologique et la nécessité d'intégrer la petite hydro-électricité dans la lutte contre le changement climatique

Après le rapport critique du CGEDD sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, le gouvernement a adopté pour sa part un plan pour une politique apaisée de continuité écologique. Ce plan spécifie dans une note notamment adressée aux préfets de bassin et aux DREAL de bassin (donc in fine aux représentants de l'Etat dans les agences de l'eau) : "De nombreuses solutions sont possibles pour restaurer la continuité écologique, et la multiplicité des enjeux doit être prise en compte lors du diagnostic initial. Il n’existe aucune solution de principe. Parce que chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières), plusieurs scénarios devront faire l’objet d’une analyse avantages-inconvénients afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis."

Les agences de l'eau viennent de présenter en ce mois de mars les 6 projets de SDAGE 2022-2027 en consultation publique. En parfait mépris des attentes du parlement et du gouvernement, ces textes refusent d'admettre qu'il n'existe aucune solution de principe et comportent tous, à des degrés plus ou moins graves, des appels à prioriser la destruction des ouvrages hydrauliques. 

Les extraits ci-après montrent la programmation par les agences de l'eau de la destruction prioritaire des ouvrages. 

"Partout où cela est techniquement et économiquement réalisable, en prenant en compte l'ensemble des enjeux locaux, la suppression ou l'arasement des obstacles, notamment des ouvrages sans usage, est privilégié."

"Les solutions visant le rétablissement de la continuité longitudinale, et en vue de diminuer le taux d'étagement des cours d’eau, s’efforcent de privilégier, dans l'ordre de priorité suivant : l’effacement, le contournement de l’ouvrage (bras de dérivation…) ou l’ouverture des ouvrages par rapport à la construction de passes à poissons après étude. Pour les ouvrages à l'abandon, pour les ouvrages sans usage, l'effacement est donc privilégié."

"La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable, car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée."

"Pour les ouvrages existants et sans usage reconnu par l’administration, l’option d’effacement total sera privilégiée dès lors que l’étude préalable aura démontré la faisabilité technique, économique et réglementaire de cette solution." 

"Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l'effacement constitue une priorité dans les cas d'ouvrages n'ayant plus de fonction ou d'usage, ou lorsque l'absence d'entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage."

Les maîtres d’ouvrages d’opération de restauration de la continuité écologique, de manière à atteindre les objectifs de réduction du taux d’étagement et de gain de linéaire accessible, s’attachent à privilégier les solutions, dans l’ordre de priorité suivant :
- l’effacement, notamment pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés ; c’est en effet le seul moyen permettant de rétablir vraiment la continuité écologique et la pente naturelle du cours d’eau ;
- l’arasement partiel d’ouvrage et l’aménagement d’ouvertures, de petits seuils de substitution franchissables par conception ;(...)

Cette nouvelle provocation des agences de l'eau pose des problèmes graves. 

Dégradation et sous-information des politiques publiques : les agences de l'eau ont des résultats plus que médiocres sur leur obligation d'assurer les objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance est en 2027. Elles continuent de propager dans les SDAGE des affirmations simplistes sur la qualité de l'eau qui ne mobilisent aucun modèle scientifique d'évaluation des causes de détérioration de cette qualité. Quand de tels modèles sont utilisés par les chercheurs, ils ne trouvent en aucun cas la primo-responsabilité des ouvrages dans les mauvais scores de la DCE. Une abondante littérature scientifique montre que les ouvrages procurent des services écosystémiques et que l'opposition milieu naturel - milieu artificiel ne peut être un critère efficace en écologie. Les agences de l'eau prennent des décisions sur des milieux qu'elles n'étudient même pas sérieusement, voire qu'elles ont fait disparaître de leur nomenclature administrative.

Trahison des engagements climatiques de la France : en appelant à détruire les ouvrages en place et en mettant le maximum d'obstacles à la production hydro-électrique, les agences de l'eau s'engagent désormais contre les objectifs carbone de notre pays. La recherche a montré que des dizaines de milliers d'ouvrages hydrauliques peuvent être équipés et apporter une contribution significative à la décarbonation urgente de l'énergie française. Les agences de l'eau aggravent le bilan carbone du pays et ouvrent la possibilité d'un contentieux à ce titre, pour carence fautive et préjudice, motif pour lequel le gouvernement français a déjà été condamné

Poursuite de la conflictualité sociale sur les rivières : en prenant position en faveur de la destruction préférentielle des ouvrages, ce qui se retrouvera ensuite dans les financements des programmes d'intervention, les agences de l'eau enterrent l'idée de continuité apaisée avec les propriétaires et riverains des ouvrages. Tous les acteurs (dont les agences de l'eau au premier chef) savent très bien que le problème vient du manque de financement des passes à poissons, rivières de contournement et autres solutions non destructrices. C'est donc un mépris affiché des citoyens attachés à leur cadre de vie, l'impossibilité pour les syndicats de rivière d'avoir des budgets qui correspondent aux attentes des habitants, non aux diktats des technocraties.

Absence de légitimité démocratique : les membres des comités de bassin sont nommés par le préfet, et non pas élus. Ils sont très peu nombreux (quelques dizaines) par rapport à la taille et à la diversité des territoires concernés (des milliers de ruisseaux, rivières, plans d'eau). Les associations de riverains, de moulins, d'étangs et plans d'eau, de protection du paysage et patrimoine historique sont exclues de ces comités de bassin. Elles ne sont pas invitées à co-construire en amont des décisions les normes sur les ouvrages, alors qu'elles sont les premières concernées. Les agences de l'eau n'ont donc aucune légitimité démocratique à adopter des normes et des subventions qui dérogent à ce que dit la loi, à ce que demande le parlement et à ce que rappelle le gouvernement. Des chercheurs ont dénoncé la dérive autoritaire dans la gestion de l'eau.

Le temps de la riposte
Il fut peut-être une époque où les dominants pensaient que leurs mots ne prêteraient pas à conséquence, que les citoyens n'y prendraient pas garde, que leur responsabilité ne serait pas engagée. Cette époque n'est plus. Le choix des agences de l'eau est une nouvelle agression contre les ouvrages hydrauliques, contre les rivières, retenues, canaux, plans d'eau et contre leurs riverains. Elle a pour circonstance aggravante qu'elle est commise en toute connaissance de cause, alors que les élus du pays ne veulent notoirement plus de ces gabegies et de ces diversions de l'essentiel. 

Nous appelons donc l'ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques à se concerter et à nous accompagner pour mener les actions suivantes au cours des prochains mois:
  • saisine commune du premier ministre, de la ministre de l'écologie, du comité national de l'eau et des préfets de bassin afin de faire constater et cesser la dérive des agences de l'eau;
  • demande aux parlementaires, qui votent le budget des agences de l'eau dans le cadre de la loi de finances publiques, de procéder à un contrôle de normativité des décisions des agences par rapport aux textes de loi;
  • en cas d'absence d'effet de cette saisine et de refus de retrait des dispositions litigieuses, préparation d'une requête en contentieux contre le ministère de l'écologie et contre les SDAGE pour carence fautive dans la lutte contre le changement climatique, préjudice aux citoyens, mise en danger de la ressource en eau, organisation illégale de l'inégalité des citoyens devant les charges publiques ;
  • enfin au cas par cas et sur les milliers d'ouvrages concernés, préparation d'une procédure standardisée de plainte pour tout refus d'une préfecture et d'une agence de l'eau de financer les solutions constructives au même niveau que les solutions de destruction.
Incapables de cibler les causes de dégradation des rivières, les agences de bassin veulent détruire le patrimoine hydraulique du pays et les conditions d'une gestion durable de l'eau : nous ne les laisserons plus faire. 

10/03/2021

Une retenue peu large a un impact négligeable sur les migrations de saumons (Harbicht et al 2021)

Les poissons migrateurs doivent franchir les barrières naturelles ou humaines, mais ils doivent également éviter trop de désorientation, de pertes énergétiques en effort de nage ou d'exposition à la prédation dans les retenues des barrages. Une étude menée en Suède sur des smolts de saumon atlantique radiomarqués montre que cet impact dépend de la largeur du réservoir. Quand celle-ci est modeste et que l'exploitant renforce le débit par lâcher d'eau au moment de la migration, l'impact devient négligeable pour le saumon. Ce résultat permet de penser a fortiori que les retenues de moulins et petites centrales hydrauliques au fil de l'eau, de dimensions toujours modestes, n'ont pas d'impacts marqués sur la circulation des saumons.  


La rivière étudiée par les chercheurs (extrait de Harbitch et al art cit)

La rivière Mörrumsån est une rivière régulée du sud de la Suède, sur un bassin versant de 3369 km3 composée principalement de forêts et de terres agricoles. Le Mörrumsån coule sur 186 km à travers cinq lacs naturels et six barrages hydroélectriques avec réservoirs, avant de se jeter dans la mer Baltique. C'est le plus grand fleuve de sa région avec un débit annuel moyen de 27,3 m3/s. La rivière abrite une population de saumon atlantique qui peut accéder aux 32,5 km inférieurs de la rivière, jusqu'au quatrième barrage de la ville de Fridafors. Historiquement, le saumon migrait jusqu'au lac Åsnen, situé à environ 48 km en amont de la mer Baltique.

Andrew B. Harbicht et ses collègues se sont intéressés à un point connu comme pouvant retarder la migration des saumons: le fait de devoir nager dans un réservoir, et non pas dans un débit naturel où la force du courant donne des indications au poisson.

Voici le résumé de leur étude :

"Les barrages, les déversoirs et les installations hydroélectriques sont souvent cités comme des barrières migratoires qui réduisent considérablement la condition physique des espèces de poissons migrateurs. Même là où des options de montaison et dévalaison sont disponibles, le passage de la barrière peut encore souvent entraîner des coûts énergétiques ou physiques qui aggravent les retards ou entraînent la mortalité. Des études antérieures ont identifié des variables associées à de telles réductions de la condition physique, bien que peu examinent leurs effets dans le contexte de l'échelle de la rivière entière. 

À cette fin, nous avons évalué les taux de migration et le passage en aval des smolts de saumon atlantique (Salmo salar) radiomarqués à travers neuf sections de rivière (y compris deux sections de réservoir et une section de barrage) le long d'un tronçon de 20 km de rivière. Les arrêts de migration ne se sont pas révélés élevés dans les réservoirs ou les sections de barrage, tandis que les taux de migration étaient mieux décrits par les propriétés physiques de la rivière (largeur), les caractéristiques biologiques (longueur totale des smolts) et les variables saisonnières (période quotidienne) plutôt que par les facteurs anthropiques. 

Ces résultats suggèrent que l'effet négatif des réservoirs peut être principalement dû à leur influence sur la largeur de la rivière et peut être négligeable lorsque la largeur n'est en grande partie pas affectée par un bassin. De même, le lâcher d'eau pendant la migration des poissons comme mesure d'atténuation semble rendre les retards négligeables. Ces conditions et actions peuvent ne pas marginaliser complètement l'effet des barrages, cependant, car une tendance négative a encore été observée résultant des effets de passage au barrage."

L'étude précise encore : "Les arrêts migratoires se sont produits dans tout le tronçon de l'étude et n'étaient pas sensiblement plus élevés ni dans le réservoir (sections C et D) ni dans les sections endiguées de la rivière (section E), ni systématiquement plus élevés en dessous du barrage qu'au-dessus du barrage. Cela suggère que si les causes des arrêts migratoires, comme la prédation, peuvent être courantes dans le réservoir Marieberg (section C), elles ne semblent pas être plus abondantes que dans les sections non modifiées de la rivière (p. ex., Sections A et H). De manière concordante, les risques élevés associés au réservoir Marieberg ne semblent pas être exprimés de manière homogène dans tout le réservoir, car la moitié supérieure (section C) a connu deux fois plus d'arrêts migratoires que la moitié inférieure (section D). De plus, les mesures compensatoires prises par la société hydroélectrique - ouverture des vannes de déversement et arrêt des turbines pendant la migration des smolts - semblent minimiser la mortalité liée aux barrages, car les arrêts n'étaient pas plus fréquents dans la section de la rivière avec le barrage que dans les sections non touchées. De même, les arrêts n'étaient pas plus fréquents chez les smolts qui passaient par les vannes de déversement du barrage que chez les smolts au-dessus du barrage. Ces résultats semblent suggérer que les mesures d'atténuation à un barrage hydroélectrique peuvent être efficaces et que dans ce système d'étude, la force la plus forte influençant les arrêts migratoires ne sera probablement pas les altérations anthropiques de la rivière."


Ci-dessus, probabilité de risque (hazard ratio) pour les saumons à diverses conditions de la rivière, notamment avec ou sans barrage, avec ou sans réservoir, au-dessus et au-dessous d'un barrage (Harbitch et al art cit)

Les chercheurs ajoutent : "L'élément d'information le plus pratique de ce modèle était peut-être la relation négative significative entre la largeur de la rivière et les taux de transition des smolts. Cette relation résulte vraisemblablement d'une corrélation négative entre la largeur de la rivière et la vitesse de l'eau pour un débit donné. À ce titre, les smolts en migration seraient tenus d'exercer un effort plus important dans des sections plus lentes et plus larges de la rivière pour maintenir une vitesse constante. Étant donné que la création d'un réservoir augmente presque toujours la largeur de la rivière et diminue la vitesse de l'eau, les gestionnaires des ressources aquatiques devraient tenir compte de cette relation lorsqu'ils examinent l'effet que les réservoirs peuvent avoir sur les saumoneaux en migration. L'effet d'un réservoir sur la vitesse ou la survie peut être minime dans les situations où la largeur de la rivière n'est pas considérablement modifiée par la présence d'un barrage (par exemple, Havn et al 2018; la présente étude). À l'inverse, on s'attend à ce que les barrages qui augmentent considérablement la largeur de la rivière réduisent considérablement les vitesses de migration (Stich et a 2015) et par conséquent abaissent les taux de survie des smolts en migration."

Discussion
Les chercheurs font observer en conclusion de leur étude que si l'on souhaite optimiser une rivière pour la remontée des migrateurs, la solution la plus efficace sera toujours la suppression complète de la barrière et du réservoir en vue de revenir à une morphologie et à un régime de débit antérieur. Mais comme le démontre par ailleurs leur travail, des mesures d'accompagnement permettent un moindre impact sur la migration des saumons tout en conservant des aménagements de la rivière qui répondent à des usages sociaux et économiques. Il faut donc s'orienter vers cette écologie de la conciliation. 

On observera que les moulins et petites centrales hydrauliques au fil de l'eau ne sont pas des barrages réservoirs créant des retenues très larges. Il est donc probable que l'impact de la retenue d'eau comme risque de retard, désorientation ou prédation est alors négligeable dans le cas du saumon, en tout cas selon les critères examinés par Andrew Harbitch et ses collègues. 

Référence : Harbicht AB et l (2021), Environmental and anthropogenic correlates of migratory speeds among Atlantic salmon smolts, River Res Applic, 37, 3, 358-372

07/03/2021

Sur l'Anglin, le commissaire enquêteur demande de proscrire toute destruction d'ouvrage

Une enquête publique concernant le projet de restauration et d’entretien des cours d’eau du bassin versant de l’Anglin (Indre) s’est déroulée à l'automne 2020. Le commissaire enquêteur conclut à son approbation avec une réserve forte au plan environnemental: proscrire toute destruction d'ouvrage hydraulique amenant à l'abaissement de la ligne d'eau. Le syndicat SMABCAC a-t-il compris le message tout à fait clair, que nous reproduisons ici? Espérons-le. On ne veut plus voir de casseurs d'ouvrages ni d'assécheurs de biefs et retenues dans nos bassins versants, où l'argent public doit être dédié à l'intérêt général. 

Angles-sur-l'Anglin

Conclusion générale du commissaire enquêteur :

"Le cadre juridique a été respecté. Les actions prévues au contrat, en dehors de l’abaissement des lignes d’eau , représentent un intérêt incontestable. On ne peut que se féliciter du projet.

La libre circulation des espèces est nécessaire mais le commissaire regrette que les études à venir sur ce sujet n’abordent que les solutions d’abaissement ou d’arasement. Les financements prévus à ce poste pourraient être affectés à d’autres solutions comme le contournement ou l’utilisation des biefs comme passe ou écluse à poissons. Autrefois la faune piscicole circulait malgré l’existence des seuils. Ce qui a changé c’est l’arrêt des activités et les lâchers d’eau qui étaient pratiqués. Les crues lentes et régulières avaient lieu pendant des saisons bien marquées et cela plusieurs fois par an. Aujourd’hui avec le réchauffement climatique, le déficit hydrique est tel qu’aux périodes d’étiages il y a souvent des ruptures d’écoulement. La diminution des débits en rivière a pour effet de concentrer la pollution.

Bien souvent, avant la rupture de l’écoulement le débit du cours d’eau correspond au débit de rejet des stations d’épuration d’où l’intérêt d’être vigilant sur leur fonctionnement. D’ailleurs, afin de soutenir les nappes, Monsieur le Préfet est souvent obligé de prendre des mesures de restriction d’eau. Pendant ces périodes il n’est plus question de libre circulation mais de survie des espèces piscicoles. Il est vital pour les espèces de conserver les réservoirs que constituent ces retenues. Elles permettent d’étendre les crues dans les prés longeant l’Anglin afin que la nappe alluvionnaire reste au niveau le plus haut. Ainsi l’été elles pourront se décharger vers la rivière, évitant ainsi les ruptures d’écoulement.

(...) Le commissaire regrette qu’il ne soit pas obligatoire de joindre au dossier une étude d’impact et un profil en long permettant de juger des miroirs des retenues. 

Après avoir exposé dans son rapport le fond et la forme du projet, après avoir fait les recherches utiles auprès de services de l’état, d’organismes et sociétés privées ainsi qu’en bibliographie, et compte tenu du respect du cadre juridique, de tous les éléments versés au dossier, des réponses apportées au Procès Verbal de synthèse par le SMABCAC complété par les avis motivés et développés ci-dessus ainsi que du bon déroulement de l’enquête,
S’agissant d’une enquête unique le commissaire émet les avis suivants :
AVIS FAVORABLE A LA DECLARATION D’ INTERÊT GENERAL
AVIS FAVORABLE AVEC RESERVES A L’AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE
Réserves : Les arasements et abaissements de lignes d’eau sont à proscrire au profit de solutions de contournements ou d’aménagements."

Source : voir le site du SMABCAC (Syndicat mixte d’aménagement de la Brenne, de la Creuse, de l’Anglin et de la Claise)

06/03/2021

En France, la pression d'extinction est plus élevée sur les amphibiens, crustacés et reptiles que sur les poissons

À l’occasion de la Journée mondiale de la vie sauvage, la Liste rouge des espèces menacées en France a dressé son bilan, issu de 13 années d’évaluations menées sur la faune et la flore. Un travail utile, mais qui manque encore de transparence pour le public.


Le Comité français de l’UICN et l’UMS PatriNat (OFB-CNRS-MNHN) publient le bilan de 13 années de résultats, obtenus depuis le lancement de la Liste rouge nationale en 2008:
– 13 842 espèces ont été évaluées en France métropolitaine et en outre-mer;
– 2 430 espèces sont aujourd’hui menacées;
– 187 espèces ont disparu de France ou sont déjà éteintes au niveau mondial.

L'analyse des résultats en France métropolitaine permet d'observer que les amphibiens, reptiles ou crustacés sont davantage menacés que les poissons (cf ci-dessus). Il serait utle d'en tenir compte dans les programmations publiques de protection de la biodiversité, où les actions pour les poissons tendent à se tailler la part la plus importante des budgets.

On regrettera toutefois plusieurs manques dans le travail :
  • les données sources (brutes et retravaillées) ne sont toujours pas accessibles en ligne en même temps que les rapports, afin que les citoyens, associations, élus puissent voir en détail les méthodes, les effectifs, les points de mesure sur les territoires;
  • la distinction entre espèces endémiques à la France (présentes seulement sur des parties de son territoire) et espèces plus communes (existant aussi hors de France) n'est pas faite dans la communication. Or, certaines espèces peuvent disparaître d'un territoire parce que leur phénologie et leur aire de répartition évoluent, par exemple du fait du changement climatique. En ce cas, une menace d'extinction locale ne signifie pas toujours une menace d'extinction globale. 

03/03/2021

En 1857, on savait déjà comment faire de la continuité "apaisée" des rivières

En 1857, la Société zoologique d'acclimatation publie un "Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la France". Outre la régulation de la pêche et la replantation d'arbres en rives, l'ancêtre de la Société de protection de la nature conseille alors d'aménager les ouvrages où des poissons migrateurs sont bloqués et de repenser la gestion de leurs vannes. Voici donc plus de 150 ans, on avait déjà une idée de la continuité écologique "apaisée". On s'aperçoit au passage que loin d'être une originalité venant de découvertes scientifiques récentes, cette continuité est une redite d'éléments de langage qui circulent depuis le 19e siècle, voire plus tôt, dans les administrations de la nature et les expertises conseillant ces administrations. 


Extrait du Rapport :

"Sur un grand nombre de cours d'eau, on construit soit des usines, soit des barrages, écluses, etc., qui. ne permettent pas au poisson de circuler librement, et surtout d'aller frayer dans des endroits convenables. Il en résulte nécessairement que la reproduction de plusieurs espèces devient impossible ou du moins insuffisante, et que, par suite, le dépeuple1nent des eaux s'opère très rapidement.

Sans porter aucune entrave au service régulier des usines, de la navigation et du flottage, on peut facilement concilier les exigences de ce service avec celles de la reproduction naturelle du poisson.

Il suffirait, en effet, d'établir, sur les points où la libre circulation, et surtout la remonte du poisson, sont devenues impossibles, soit des passages libres toujours faciles à franchir par la Truite et par les migrateurs, tels que Saumon, Alose, Lamproie, etc., soit des plans inclinés avec barrages discontinus qui feraient l'office de déversoirs ou qui serviraient à l'écoulement des eaux surabondantes, soit enfin des écluses que l'on tiendrait ouvertes à l'époque de la remonte ou de la descente. L'organisation de ces passages naturels ou artificiels devrait être rendue obligatoire: 1 ° pour l'avenir, à l'égard des constructions, barrages, écluses, etc., qui seraient établis sur les cours d'eau, et qui, par leur situation, pourraient empêcher ou entraver la libre circulation, et notamment la remonte et la descente du poisson; 2° dès à présent, à l'égard des établissements de cette nature qui existent sur les cours d'eau dont l'entretien est à la charge de l'Etat."

Quelques remarques
De nombreux ouvrages anciens disposent déjà de ces "déversoirs en plans inclinés", qui sont surversés toute l'année, qui sont noyés en crue et qui permettent la circulation de poissons. Lorsque des études sont faites sur des ouvrages anciens de têtes de bassin à truite ou ombre, on observe bel et bien le passage des poissons (voir Ovidio 2007). De même, il n'est pas rare d'observer sur les chaussées de moulin (n'ayant pas été modernisées en parement vertical béton) que l'extrémité de la chaussée est légèrement abaissée, ce qui permet un passage par le côté avec des hauteurs de chute modestes, surtout en hautes eaux quand l'amont et l'aval s'égalisent. Quant à l'ouverture des vannes dans les périodes de migration des quelques espèces cibles, elle est réalisable pourvu qu'elle soit circonscrite dans le temps (pour ne pas vider les biefs et retenues ni empêcher la production d'énergie). S'ajoutent des possibilités comme des passes rustiques, des rigoles de contournement, des passes techniques. Tout cela est à portée de réalisation, le frein est surtout le coût (devenu très élevé) du moindre chantier en rivière (devenu très contrôlé). La question est aussi de savoir si cela correspond à une protection utile d'espèces menacées d'extinction réelle, sans quoi l'enjeu n'est guère prioritaire.

Si l'administration française était venue voir les moulins, étangs et autres ouvrages avec de telles dispositions d'esprit dans les années 2010, la continuité écologique se serait correctement passée. Mais cette administration a été pénétrée d'idées radicales allant très au-delà de la loi, selon lesquelles il faudrait désormais détruire le maximum d'ouvrages au nom d'un idéal du retour à la rivière sauvage sans modification humaine. Elle est aussi plus traditionnellement acquise à des idées technocratiques selon lesquelles un petit ouvrage est sans utilité réelle (et cette utilité serait forcément économique), seuls des grands barrages (si possible gérés publiquement) seraient d'intérêt. L'apaisement de la continuité écologique viendra quand ces discours et idéologies auront été clairement dépassés au sein de l'administration française. Sinon, on aura juste du double standard entre les paroles et les actes, avec une hypocrisie qui ne fera qu'attiser les tensions. 

Enfin, il est frappant d'observer la similitude des arguments du 19e siècle et du 21e siècle. L'idée de continuité écologique en long, dont nous avions retracé la généalogie, n'a rien d'original, elle n'a rien d'une urgence qui viendrait d'une découverte scientifique récente. Hier comme aujourd'hui, elle est demandée au nom d'une certaine maximisation de certains poissons. Mais il y a tout de même entre temps une littérature en écologie aquatique bien plus riche que ce sujet particulier. Il y a aussi des travaux en sciences sociales et humanités de l'eau qui aident à prendre la mesure de la diversité des attentes humaines face à la nature, voire à la diversité de nos définitions de la nature. 

Source : [Société nationale de protection de la nature] Société impériale zoologique d'acclimatation (1857), Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la france (C.  Millet rapporteur), Bulletin de la Société zoologique d'acclimatation, pp. 223 et suivantes.