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29/07/2015

Entre vocation hydraulique et renaturation écologique, les syndicats de rivière en pleine schizophrénie

Les événements de Vanvey continuent de propager leur onde de choc sur les communes riveraines de l'Ource, et par extension de la Seine car elle sont gérées par le même syndicat (Sicec). Ces deux dernières semaines, lors des réunions publiques ou des échanges de lettres ouvertes sur ces bassins, certains maires évoquent leur souhait de retirer l'adhésion de leur commune au syndicat. D'autres veulent un audit de gestion pour comprendre à quoi servent au juste les dépenses syndicales. Des remarques similaires ont été entendues ces derniers mois chez certaines communes adhérentes du Sirtava (rivière Armançon), peu satisfaites de l'insistance quelque peu obsessionnelle du syndicat à appliquer la continuité écologique au lieu d'autres travaux jugés plus importants par les élus.

Le rôle des syndicats contestés quand ils multiplient des opérations à l'intérêt douteux pour les riverains
Un motif évident d'insatisfaction, c'est que les syndicats consacrent désormais la plus grande ardeur (donc beaucoup de moyens humains et financiers) à la mise en oeuvre de certaines dispositions des SDAGE fixés par les comités de bassin des Agences de l'eau, dispositions dont beaucoup sont dérivées des décrets et circulaires de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie. Or, certaines de ces dispositions ont une portée discutable pour l'amélioration des milieux, et ne sont pas au centre des préoccupations des élus, sans parler des riverains propriétaires des parcelles qui en subissent les effets : reméandrements, créations de zones humides, interventions très pointues sur le morphologie… Rien de cela ne paraît de première importance au regard des autres enjeux vécus de façon très directe par les gens, comme la difficulté des agriculteurs ou des collectivités à respecter des normes environnementales aux contraintes de plus en plus lourdes à mesure que ces normes se font de plus en plus exigeantes et les coûts des travaux de moins en moins accessibles, le tout sur fond de croissance atone, de chômage persistant, de désertification et de vieillissement rural.

Sur le dossier de la continuité écologique longitudinale, les esprits s'échauffent encore plus facilement : au bord des rivières, c'est désormais le symbole des idées déraisonnables "venues d'ailleurs" (c'est-à-dire de quelque grande ville siège des bureaucraties de l'eau). Le choix de faire disparaître les seuils et barrages avec leur ligne d'eau, leur paysage familier, leur tenue de berge à toute saison paraît non seulement une dépense improductive et non prioritaire pour les habitants, mais elle est parfois ressentie comme une agression des idées abstraites et très éloignés des intérêts des premiers concernés, les riverains. Comme les syndicats de rivière embauchent souvent (en CDD) de jeunes chargés de mission frais émoulus de leurs écoles et portés (naturellement) à réciter ce qu'ils y ont appris, le message passe encore plus difficilement !

Mais le problème n'est pas qu'un défaut de communication. C'est un débat de fond que nous aurions dû avoir, mais n'avons jamais eu en France ni en Europe, car les questions de l'eau ont été confisquées par des experts (ou des lobbies).

Les syndicats schizophrènes entre leur mission hydraulique et l'injonction de renaturation
Revenons donc aux fondamentaux. Le syndicat de rivière est généralement un établissement public intercommunal. Sa fonction est de rendre service aux communes adhérentes en s'occupant de la gestion de la rivière, ce qui inclut par exemple la prévention des inondations, le retrait des embâcles et atterrissements, l'entretien et la restauration des berges, la lutte contre des espèces invasives. Jadis, et parfois encore sur certaines rivières, le syndicat assurait aussi la gestion des ouvrages hydrauliques (ouverture et fermeture des vannes, divers travaux de génie civil).

On a voulu convertir beaucoup trop rapidement ces syndicats de leur traditionnelle culture hydraulique vers une approche hydro-écologique, sans réel retour d'expérience ni base de connaissance très solide. Non pas que l'écologie des milieux aquatiques soit inintéressante : elle est au contraire passionnante! Mais c'est une question de mesure et de prudence dans la mise en oeuvre.

Cette évolution récente a poussé les syndicats à une certaine schizophrénie. Le discours devenu dominant de la "renaturation" des rivières comme horizon supposé émancipateur des riverains va en effet à l'encontre de leur mission fondatrice. Cette dernière consiste d'abord à mettre la rivière au service des communes et de leurs habitants, en évitant les sautes d'humeur imprévisible des cours d'eau (que ce soit les crues ou les assecs) et en produisant des paysages agréables aux riverains, aux usagers ou aux touristes. Cela suppose non pas de laisser la rivière et sa berge à elles-mêmes (faute de quoi elles deviennent vite inamicales à la présence humaine), mais au contraire d'intervenir en permanence pour réguler leur évolution.

On a pu lire dans l'Yonne républicaine (27 juillet 2015), à propos de travaux visant à supprimer deux barrages et créer une zone humide, ce discours étrange d'un technicien de rivière travaillant avec le Syndicat du bassin du Serein : "La rivière n'a pas besoin de l'homme, il intervient parce qu'il a besoin d'elle". Sans aucun doute. Et ce sont d'ailleurs les impôts de ses concitoyens qui paient ce technicien, pas la rivière...

Tandis que certains défendent une vision quelque peu idyllique et décalée du cours d'eau (la forcément sympathique rivière "sauvage"), ceux qui vivent au jour le jour cette rivière n'ont pas grande envie de la voir devenir ou redevenir "sauvage", et sont plutôt satisfaits des siècles de régulation des cours d'eau. On observe au demeurant les mêmes tensions dans le projet (GIP) de Parc naturel des forêts de Champagne et Bourgogne : certains mettent en avant des normes environnementales à ce point strictes qu'elles donnent clairement l'impression d'une volonté de supprimer des pans entiers de la ruralité pour rendre la nature à elle-même.

Sortir des tensions en commençant par sortir de la langue de bois
On ne peut pas se satisfaire de ce déséquilibre, de ces tensions. Nous sommes appelés à vivre et travailler autour des mêmes rivières, il faudra bien s'entendre. On ne saurait non plus, sous le coup de la colère, chercher des boucs émissaires, y compris chez les syndicats ne faisant généralement qu'appliquer des ordres venus de plus haut (les Agences de bassin, les services du Ministère en région soit les DDT Onema et Dreal).

Comment évoluer vers des rapports plus sereins? Voici quelque pistes :

  • les syndicats doivent retrouver le parler-vrai : on n'attend pas d'eux une enième régurgitation des textes des SDAGE, qui sont déjà eux-mêmes parfois jargonnants ou pompeux. De même, les syndicats ne sont pas seulement des machines à presser les boutons pour payer des bureaux d'études qui publieront des rapports de 200 pages peu lisibles (rapports eux aussi rédigés pour plaire à l'Agence de l'eau, à la DDT ou à l'Onema, et non pas pour réellement instruire le public et créer de la discussion);
  • les syndicats doivent produire du débat démocratique local, un débat interdit ailleurs : la "démocratie de l'eau" est quasi-inexistante à l'échelle parlementaire (les rapports critiques ne sont suivis d'aucun effet, le Ministère travaille au décret de façon autoritaire) et fort peu dynamique au niveau des comités de bassin (où la société civile est absente en dehors des usagers économiques et où l'essentiel se décide en commissions techniques). C'est sur le terrain que les débats se font et les syndicats doivent non seulement l'accepter, mais encore l'organiser;
  • les syndicats doivent défendre une vision équilibrée de la rivière, parce qu'ils sont les mieux placés pour savoir qu'entre les brillantes idées d'un aréopage de hauts fonctionnaires enfermé dans un bureau et la réalité du terrain, il y a un monde. Ce monde, c'est celui des rivières habitées par la présence humaine depuis des millénaires. L'idée de sortir brutalement de cette civilisation hydraulique n'est pas durable ;
  • les syndicats doivent rendre l'écologie positive, et non pas punitive : les dépenses en faveur de l'environnement rencontrent un consensus social plus ou moins important. Il faut favoriser les mesures les plus rassembleuses, et non s'acharner sur celles qui divisent et qui agressent. Et il faut faire remonter ce message de façon ferme aux financeurs (Agences) comme aux autorités (DDT-M, Onema, Dreal). 

Nous voulons un avenir respectueux de toutes les dimensions de la rivière, naturelles bien sûr puisqu'il faut viser son bon état chimique et écologique, mais aussi culturelles, sociales et économiques. La voie est étroite, mais cette voie existe. Ceux qui refusent les visions extrémistes ou réductionnistes de la rivière peuvent la construire ensemble.


Elus, associations, institutions, personnalités de la société civile : avec nous, demandez un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin d'éviter la destruction du patrimoine hydraulique et de permettre la recherche de solutions consensuelles, fondées sur la concertation et le retour d'expérience.

Illustration : la Bourgogne et ses rivières vues du ciel, © IGN Géoportail.