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01/03/2017

Cartographie des cours d'eau: qui a intérêt à entretenir le flou?

Le magazine Reporterre a consacré un long article à la cartographie des cours d'eau, présentée de manière assez univoque et tendancieuse comme une stratégie des agriculteurs pour avoir le droit de polluer librement. En fait, cette cartographie est la fille naturelle de la complexité et de la sévérité réglementaires dans le domaine de l'eau: sur tout sujet (pas seulement l'environnement), plus on élargit le champ du contrôle par les règles administratives, plus on soulève des problèmes d'exécution ou d'interprétation, plus on doit re-préciser le détail des règles ou de leurs exceptions. Bienvenue dans le monde merveilleux des bureaucraties où les codes doublent de volume tous les dix ans ! Davantage que la pollution, la question de la cartographie a été liée au curage, à l'entretien et au risque inondation, avec des conflits autour de la distinction fossé-cours d'eau et de l'intermittence de l'écoulement. Il y a plus de 500.000 km de rûs, ruisseaux, rivières et fleuves en France, la plupart en territoires ruraux avec un dense chevelu de tête de bassin, cela sans compter les fossés, drains et autres ravines. Donc ceux qui jettent la pierre aux agriculteurs sont les bienvenus pour proposer une solution économiquement viable d'entretien de cet immense réseau, et une solution juridiquement responsable quand un problème survient en cas de défaillance de cet entretien. Les têtes de bassin sont des lieux qui peuvent être riches en biodiversité. Leur préservation morphologique et chimique est donc d'intérêt sur le principe, mais ce sont également des surfaces considérables, représentant un vrai problème de réalisme dans leur gestion.  


Le magazine Reporterre publie un article en deux volets (ici et ici) sur la cartographie des cours d'eau. Cette démarche est présentée comme une action de la FNSEA visant à "en faire déclasser le maximum" et à "échapper aux règles sur la lutte contre la pollution". Par ailleurs, des associations environnementalistes se plaignent de ne pas avoir été entendues en Préfecture. Si c'est le cas, elles ont bien entendu raison de s'en plaindre. Et elles ne sont pas seules, puisque les associations de moulin n'ont pas été spontanément invitées par les préfectures à la concertation, alors qu'elles sont concernées par le statut des canaux et biefs. Le dialogue environnemental est comme toujours restreint: pas assez de moyens et de personnels en rapport à l'abondance des normes adoptées, des objectifs ambitieux et souvent irréalistes fixés par les politiques, il faut donc aller vite au lieu de prendre le temps d'argumenter, exposer ses accords ou désaccords, chercher des solutions raisonnables.

Le magazine écrit à propos de la définition des cours d'eau : "La fameuse instruction du 3 juin 2015 retient trois critères cumulatifs : la présence et permanence d’un lit naturel à l’origine, un débit suffisant une majeure partie de l’année, et l’alimentation par une source. Une définition « très restrictive », selon nombre d’experts, mais qui figure désormais dans la loi biodiversité. À la demande de la FNSEA : «Nous voulions que les choses soient claires, et cet article de la loi n’a presque pas été retouché : il y a eu un consensus», indique M. Thirouin. C’est donc sur ces critères désormais officiels que s’appuient les chambres d’agriculture et nombre de DDT."

Ce propos de Reporterre est inexact. Ce n'est pas la FNSEA ni la circulaire de 2015 qui a inventé ces critères repris dans la loi biodiversité, mais le Conseil d'Etat dans son arrêt du 21 octobre 2011. Que l'administration suive la décision de la plus haute cour de justice administrative paraît assez logique : l'aurait-elle ignorée que les contentieux auraient fleuri et auraient de toute façon été perdus par l'Etat (ou des ONG environnementalistes) si l'écoulement concerné n'avait pas les attributs posés par cette jurisprudence récente. De surcroît, on ne sait pas qui sont au juste les nombreux "experts" jugeant que la définition d'un cours d'eau naturel par une source, un écoulement et une origine non humaine serait quelque chose de particulièrement restrictif. Une expertise est légitime quand elle est définie et argumentée ; ici, on se demande ce qui manque au droit comme attribut essentiel d'un cours d'eau. Cela peut difficilement être la présence du vivant, car un grand nombre de milieux artificiels (ornières, fossés routiers, bassins de rétention et décantation, etc.) sont colonisés par des espèces opportunistes, ce qui n'amène pas à demander pour autant des protections particulières.

Mais surtout, l'article de Reporterre ne donne pas l'ensemble de l'arrière-plan de cette cartographie :

  • le renforcement des dispositions réglementaires depuis les lois de 1992, 2004, 2006 sur l'eau a rendu de plus en plus complexe la moindre intervention en rivière, pour laquelle il faut déposer soit une déclaration motivée soit une demande d'autorisation en préfecture (régime IOTA, installations, ouvrages, travaux et activités),
  • beaucoup d'agriculteurs estiment qu'ils n'ont pas la possibilité de suivre de telles complications procédurières alors que le curage des fossés et des rûs obéit généralement à des logiques d'urgences (risque inondation d'un chemin, d'une route, d'une propriété par des dépôts d'embâcles et atterrissements) ou à des effets d'opportunités (curage ou faucardage réalisé quand on a le temps et la machine à disposition, sans planifier à l'avance ni attendre qu'un agent de l'AFB-Onema vienne examiner la faune et la flore pour donner son avis),
  • les choses se sont localement envenimées quand des agriculteurs (ou des maires) et des agents de l'Etat se sont trouvés en désaccord sur la définition d'un fossé (intervention libre) ou d'un cours d'eau (intervention a minima déclarée, parfois avec dossier complet d'autorisation). Il y a eu des procès – certes rares, mais avec un fort retentissement local – et de manière générale une accentuation des contrôles et des antagonismes (exemples à Sainte-Florence, Laprade, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Salency, etc.),
  • ces distinctions entre fossé et cours d'eau ne sont donc pas toujours claires, de même que les distinctions entre actions en cours d'eau appelant précaution particulière et celles qui sont moins problématiques (voir cette fiche de l'Onema aujourd'hui AFB, d'où il ressort qu'avant d'agir il faudrait vérifier à chaque fois si des poissons ou des amphibiens ne sont pas présents, si un dépôt de 20 cm n'est pas créé car ce serait un obstacle à la continuité, si enlever un atterrissement relève ou non d'une modification du gabarit du lit, etc.)
  • par ailleurs et en tête de bassin versant, les naissances de petits cours d'eau se confondent parfois avec des zones humides aux frontières mal définies, et au regard de la tendance actuelle à imposer de fortes contraintes sur certains types de milieux, les propriétaires n'ont nulle envie de se retrouver du jour au lendemain en responsabilité d'un conservatoire d'espace naturel intouchable (surtout sans compensation pour les contraintes créées).


Aujourd'hui, un moyen d'échapper à ces incertitudes, complications et sources de conflit est donc la solution du classement en "cours d'eau" et "non cours d'eau". Ce qui peut paraître radical ou simpliste, mais il faut cependant rappeler plusieurs choses :
  • cours d'eau ou non cours d'eau ne sont pas pour le moment des catégories à valeur réglementaire opposable, simplement des indications de la manière dont l'administration instruira a priori des dossiers (la nuance est cependant un peu hypocrite, un adhérent de notre association est par exemple en pré-contentieux pour un étang qui est alimenté par un soi-disant cours d'eau devenu bel et bien opposable, écoulement pour lequel il faudrait faire de la continuité écologique malgré l'assec 6 mois dans l'année et l'absence manifeste de migrateurs)
  • le processus est itératif et les catégories sont réputées révisables, donc l'Etat n'a pas fermé la porte à une concertation dans le temps
  • on ne sait pas au juste (l'article de Reporterre n'apporte aucune précision factuelle validée) combien de présumés cours d'eau auraient été déclassés comme non cours d'eau. On croit comprendre que certains voudraient tout classer et tout contrôler, d'autre rien classer et rien contrôler, ce qui laisse probablement une marge de manoeuvre entre les deux pour chercher un juste milieu. A condition d'y être disposé et de ne pas refuser d'avance toute concession au nom de postures intégristes...
Les chevelus de tête de bassin sont des lieux qui peuvent être riches en biodiversité. Leur préservation morphologique et chimique est donc d'intérêt sur le principe, l'analyse motivée au cas par cas des potentialités biologiques étant cependant nécessaire. Mais ce sont également des surfaces considérables et cela représente donc un vrai problème.

Une solution cohérente pourrait être que l'Etat (ou une collectivité territoriale ou des associations à agrément public) décide de protéger ces espaces, de faire l'acquisition du foncier agricole / forestier nécessaire et d'en assumer la gestion conformément au souhait de haute qualité environnementale. Mais ce serait évidemment un gigantesque coût économique vu le nombre d'écoulements concernés, et une source inépuisable de contentieux dès que des écoulements débordent chez les riverains pour cause de non-entretien. Il apparaît que des zonages de protection comme les Natura 2000 ont déjà une gestion très défaillante (voir cet article), cela rend assez peu crédible l'hypothèse d'une soudaine avalanche de moyens humains et financiers pour faire les choses correctement et durablement en sanctuarisant la gestion des têtes de bassin. On est donc finalement assez soulagé que cette gestion revienne aux propriétaires privés, le plus souvent agriculteurs ou forestiers. Mais dans ce cas, on ne voit guère comment on échapperait à la demande des principaux intéressés: une définition précise de ce qu'est un cours d'eau et ce qui ne l'est pas, de ce qui est autorisé et non autorisé, afin de ne plus subir l'incertitude réglementaire et le risque judiciaire.

Illustrations : en haut, quoique réduit à des flaques éparses, cet écoulement de bas de thalweg à Montigny (21) est considéré comme un cours d'eau par la préfecture, qui réclame à un propriétaire d'étang de quelques centaines d'ares en aval d'assurer la continuité écologique et le débit minimum biologique à toute saison. La cartographie est née de ce genre de demandes absurdes ou disproportionnées. Ci-dessous, modélisation d'un chevelu de tête de bassin (source Territ'eau - Agro-transfert Bretagne, droits réservés).

30/05/2016

Cartographie: l'administration persiste à classer les biefs comme cours d'eau, et non canaux

D'après nos premiers échanges avec les DDT de la Nièvre et de la Côte d'Or, ainsi que les retours sur l'Yonne, l'administration veut qualifier comme "cours d'eau" les biefs et canaux des moulins, à l'exception de ceux qui alimentent des usines hydro-électriques en activité. Nous refusons cette qualification comme contraire à la jurisprudence et au projet de loi biodiversité s'en inspirant, mais aussi comme source de multiples problèmes à venir pour l'entretien déjà complexe des biefs et des ouvrages hydrauliques. Dans cet article, nous montrons que la prétention du Ministère de l'Environnement à désigner comme cours d'eau un bief qui capte la majeure partie du débit repose sur une base jurisprudentielle particulièrement fragile. Les propriétaires de biefs doivent signaler dès à présent leur désaccord aux DDT-M.

Rappel : par instruction du 3 juin 2015, le Ministère de l'Environnement a demandé aux préfets de procéder à une cartographie des rivières, afin de définir ce qui est un cours d'eau et ce qui ne l'est pas (fossés, canaux).

Enjeu : être considéré comme "cours d'eau" implique des règles particulières d'entretien des berges et du lit, notamment des dossiers d'autorisation avec étude d'impact et enquête publique si le linéaire concerné par les travaux dépasse 100 m. Par ailleurs, la notion de cours d'eau est liée à des enjeux connexes (débit réservé, continuité écologique).

Problème : alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat (21 octobre 2011, n°334322) pose comme l'une des conditions nécessaires d'existence d'un cours d'eau "un lit naturel à l'origine", l'instruction du 3 juin 2015 a tenté d'élargir la notion aux biefs et canaux en posant : "Ce critère ne doit pas par ailleurs faire perdre de vue que, en fonction des usages locaux, des bras artificiels (tels que des biefs) laissés à l’abandon et en voie de renaturation peuvent être considérés comme des cours d’eau. De même si un bras artificiel capte la majeure partie du débit, au détriment du bras naturel (et remettant en cause le critère de permanence de l’écoulement) le bras artificiel pourra être considéré comme cours l’eau."

Pour appuyer la position selon laquelle la "renaturation" ou "l'abandon" serait un motif de qualification de bief comme cours d'eau, l'instruction du 3 juin 2015 ne cite aucune loi ni aucune jurisprudence. Nous considérons donc cette proposition comme non recevable au plan juridique. (De surcroît, nous observons que l'administration tend à classer tous les biefs comme cours d'eau, même ceux qui sont toujours entretenus à fin hydraulique ou paysagère.)

Pour affirmer qu'un bief qui "capte la majeure partie du débit" doit être regardé comme un cours d'eau, l'instruction cite un arrêt de la Cour d'appel administrative de Bordeaux. Or cette base jurisprudentielle est fragile, et non unanime, comme nous allons le voir. Avant de l'examiner, rappelons que le poids d'une décision de justice sur la doctrine juridique est d'autant plus fort que l'instance est élevée dans l'ordre judiciaire : ce sont d'abord les décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui permettent d'asseoir les interprétations jurisprudentielles du droit. Or, ces décisions restent rares sur la question de la définition de ce qu'est un cours d'eau (par opposition au fossé ou au canal). Il est inexact de prétendre qu'une abondante jurisprudence aurait déjà réglé la question: cette dernière reste encore une friche normative, et la prudence s'impose quand le Ministère prétend avancer trop rapidement sur ce terrain.



Dans l'arrêt n°10BX00470 mis en avant par l'instruction du Ministère de l'Environnement, la Cour administrative d'appel de Bordeaux juge en 2010 un litige de riverain sur la répartition de l'écoulement des eaux entre un canal de dérivation et un canal de déversoir. Dans ses attendus, la Cour pose les observations suivantes :

"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le moulin de Mauvezin d'Armagnac, mentionné sur la carte de Cassini, est alimenté par les eaux de la Douze grâce à la présence, à environ 500 mètres en amont du moulin, d'un seuil de dérivation dont l'objet est d'empêcher les eaux, lorsque les vannes sont fermées, d'emprunter la partie basse de la vallée afin qu'elles se dirigent vers le canal d'amenée, situé dans l'axe de la rivière ; que, depuis que ce seuil existe, et en dehors des périodes limitées où les vannes sont ouvertes soit en période de crues soit pour permettre l'entretien des ouvrages du moulin, les eaux de la rivière s'écoulent pour l'essentiel dans le canal d'amenée du moulin ; que ce canal, affecté à l'écoulement normal des eaux de la Douze, cours d'eau non domanial, est ainsi, lui-même, un cours d'eau non domanial ; que, toutefois, il ressort également des pièces du dossier que les eaux en provenance du canal d'amenée, si elles ne s'écoulent désormais plus que marginalement par le canal de fuite, s'écoulent normalement par le canal de décharge ou canal déversoir, de sorte que, s'ils ont entraîné une modification de la répartition des eaux de la Douze entre le canal de fuite et le canal de décharge de l'ancien moulin, les travaux réalisés par les consorts A n'ont pas affecté le libre cours des eaux de cette rivière ; que, dans ces conditions, en ne faisant pas usage des pouvoirs de police qu'il tient des dispositions de l'article L. 215-7 du code de l'environnement pour assurer le libre cours desdites eaux, le préfet des Landes n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions."

Bien que la question soit évoquée dans le considérant de la Cour, le point principal examiné par les magistrats n'est pas ici de savoir si le canal est bien un cours d'eau. A la suite de travaux sur un moulin, le débit du canal de fuite a été limité au profit d'un canal de déversoir, et la plaignante situé à l'aval demande le rétablissement du débit initial. Elle sera déboutée. Cela implique que le juge estime que le libre écoulement des eaux dans le canal n'est pas impératif (ce qui aurait été le cas si le canal de fuite était une rivière pleinement reconnue comme telle) et qu'une dérivation latérale (par le déversoir) est possible en l'espèce.

Il est donc difficile d'interpréter ce jugement comme une définition normative du canal comme cours d'eau, ce que suggère la lecture très interprétée de la circulaire du 3 juin 2015.

Dans l'ordre civil et judiciaire, la Cour d'appel de Limoges, par l'arrêt récent n°14/00712 du 29 juin 2015, examine en revanche de manière beaucoup plus directe la question de savoir si un canal de moulin ou bief est assimilable à un cours d'eau. Dans cette affaire, les plaignants se divisent sur le fait de définir un bief comme bras de rivière afin de déterminer son régime de propriété.

"En l'espèce, il apparaît à l'examen du plan cadastral que le cours d'eau en litige est bien une dérivation de la Tardoire qui a été créée pour alimenter le moulin vers lequel il se dirige directement (canal d'amenée) puis pour permettre à l'eau de revenir dans le lit de la rivière (canal de fuite).

Ce canal de dérivation qui a été créé par la main de l'homme et qui est bordé de poteaux qui servent à conforter les berges traverse la propriété des époux Z... et, seulement sur une partie de son cours, longe les parcelles E 147, E 148 et E 149 appartenant aux consorts X... Y... qu'il sépare de la parcelle D 530 de leurs voisins qui, elle englobe la totalité de la dérivation et est bordée, sur sa partie sud, par le véritable cours de la Tardoire.

Cette dérivation a été créée, jadis, pour desservir le mécanisme hydraulique du moulin dont elle était un accessoire. Ce terme de 'dérivation' est utilisé par les autorisations administratives données aux époux Z... pour le curage du bief.

Dans une lettre du 28 novembre 2007, la DDA de la Haute Vienne, Service de l'eau, de l'environnement et de la forêt, précise bien que ces ouvrages 'ne sont pas situés sur le cours d'eau' ; elle autorise M. Z... à procéder au curage du 'tronçon dérivé au lieudit …' en indiquant qu'il s'agit du curage des canaux d'amenée et de fuite ; l'autorisation est donnée sous réserve de 'ne modifier ni l'ouvrage de dérivation des eaux, ni le point de restitution'.

Ainsi, pour l'autorité publique, le cours de la Tardoire ne se confond pas, contrairement à ce que soutiennent les appelants, avec le canal dérivé qui se situe entre 'l'ouvrage de dérivation', situé à l'Ouest de la parcelle D 530 des époux Z..., et le 'point de restitution' qui se situe à l'Est de cette parcelle.

Par ailleurs l'administration reconnaît que la dérivation qui avait pour vocation d'alimenter le mécanisme du moulin inclut 'les canaux d'amenée d'eau et de fuite'. Certes ces autorisations ont été délivrées sous réserve du droit des tiers. Il reste que, comme le fait l'observation de la configuration des lieux, elles confortent le sens qu'il convient de donner au mot bief qui est utilisé dans l'acte du 3 février 1983 par lequel les époux Z... ont acquis leur fond.

Cet acte est un titre de propriété qui, lui, est opposable aux consorts X...- Y... et il résulte des observations ci-dessus que le bief mentionné dans ce titre est bien l'intégralité de la dérivation qui traverse la parcelle D 530 des époux Z... en longeant une partie de la propriété des intimés, dérivation qui inclut les canaux d'amenée d'eau et de sortie.

Il est indifférent qu'un acte du 3 décembre 1923 par lequel l'auteur des appelants, M. E..., a acquis de la société MOREAU un jardin anciennement cadastré P 52 qui correspondrait aux actuelles parcelles E 148 et E 149 décrive ce jardin comme joignant la 'rivière Tardoire'.

Cette désignation qui est erronée dans la mesure où le canal qui longe les parcelles E 148 et E 149 est en réalité une dérivation de la rivière créée artificiellement pour le service de l'ancien moulin n'a pas pu faire acquérir de droit au propriétaire desdites parcelles sur le cours d'eau improprement qualifié de rivière."

La Cour d'appel de Limoges précise donc bien que le riverain d'un bief ne peut prétendre acquérir des droits propres à la riveraineté d'un cours d'eau, en raison du  caractère artificiel de la dérivation, que l'on ne peut assimiler à une rivière. On observe au demeurant qu'en l'espèce, les services administratifs ont correctement qualifié le canal dans leurs procédures.

Conclusion
Les moulins et usines à eau ont, depuis 10 ans, une mauvaise expérience des interprétations administratives de la loi. Il faut donc identifier et clarifier rapidement ce qui ne manquera pas d'être source de problèmes futurs. C'est le cas avec l'assimilation indue des canaux et biefs à des cours d'eau. Cette position actuellement soutenue par l'administration pour la majorité des biefs est de nature à soulever des conflits locaux d'interprétation. A titre d'exemple, si le bief est un cours d'eau, le débit réservé ou débit minimum biologique ne s'applique plus nécessairement (puisque le bief est un bras de rivière au même titre que le bras naturel court-circuité), l'exigence de continuité peut s'étendre au bief lui-même (pour la même raison), des opérations d'entretien comme le curage peuvent demander des mois d'instruction préalable en dossier d'autorisation "loi sur l'eau", etc. Arrêtons ces usines à gaz et à contentieux : le droit de l'eau a besoin de clarification, la gestion des ouvrages hydrauliques, déjà difficile, deviendra impossible si l'on ne met pas un frein aux exigences toujours plus tatillonnes venues des bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.

Il est nécessaire de protéger les milieux naturels, il est utile de définir de bonnes pratiques d'entretien des canaux, il est délétère de confondre ces deux besoins dans une réforme illisible pour les usagers.

Illustration : la prise d'eau d'un bief. Celui-ci est un canal artificiel et ne peut être assimilé à un cours d'eau, ce qui est non-conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat ("lit naturel à l'origine") et ce qui aurait pour effet de rendre bien trop complexes certaines tâches usuelles d'entretien. Le droit de l'eau, en particulier le droit des travaux et ouvrages hydrauliques, a besoin de simplification et de réalisme, pas de complications inutiles ni d'exigences disproportionnées.

A savoir : nous allons débattre de ces questions, comparer les pratiques administratives et indiquer la marche à suivre lors de nos 4es rencontres hydrauliques du 25 juin (débats de l'après-midi).

16/03/2016

Cartographie: un bief classé cours d'eau ne devrait plus être soumis au débit minimum biologique

Si l'administration persistait à classer par défaut les biefs comme cours d'eau – ce que nous ne souhaitons pas, sauf exception motivée par la renaturation complète du bief après son abandon ou des cas hydrologiques très particuliers –, elle devrait admettre que l'obligation de débit minimum biologique ne s'applique plus à l'ouvrage. Un bief réputé cours d'eau aurait en effet le droit de capter (et turbiner) tout le débit en étiage, puisqu'il est ipso facto considéré comme l'un des deux bras de la rivière, aussi "naturel" que le lit mineur d'origine. Voilà qui promet de belles complications, dans une réglementation déjà illisible et inapplicable à force d'exprimer l'obsession de contrôle administratif sur chaque action au bord des rivières. 


Notre association considère par défaut les biefs et autres écoulements dérivés de moulins ou usines à eau (canaux de décharge ou de vidange, exutoires des déversoirs) comme n'étant pas des cours d'eau. Il y manque en effet un élément essentiel de la jurisprudence, l'origine naturelle de l'écoulement. Le bief est un canal artificiel créé de main d'homme : il n'a pas la même hydraulicité que la rivière, pas les mêmes besoins d'entretien ni le même régime d'autorisation et de propriété. Le bief n'a donc pas à être soumis aux mêmes règles de gestion que le lit mineur du cours d'eau. Cela reste vrai même s'il abrite diverses espèces (en contradiction avec la doxa les réputant comme habitats très dégradés) dont l'existence n'est pas spécialement menacée par la reconnaissance du caractère artificiel de l'écoulement.

Ce qui aurait dû être simple – naturel ou pas naturel, c'est facile à déterminer par la présence du moulin – devient immanquablement compliqué avec l'administration française en charge de l'eau. Aussi nombre de biefs ont-ils été classés comme cours d'eau dans les premières cartographies publiées, à ce jour sans explication ni motivation aux propriétaires et à leurs associations par les DREAL et les DDT. Nous n'acceptons pas ce classement a priori, et nous déplorons surtout cette nouvelle manifestation d'indifférence envers les riverains. Nous attendons un service public de l'eau destiné à aider les citoyens en concertation avec leurs besoins, pas un organe arbitraire de contrôle et de répression dont le seul horizon semble être devenu l'imposition de contraintes imprévisibles et de règles illisibles.

Sur cette question de la cartographie, nous signalons ici un point qui n'a éventuellement pas été envisagé par les services de l'Etat : tant qu'un bief est classé comme cours d'eau, nous considérons qu'il n'a plus à respecter le débit minimum biologique (art L 214-18 CE), c'est-à-dire s'obliger à garantir 10% du module dans le lit mineur de la rivière.

Assimiler un bief à un cours d'eau, c'est en effet considérer que la rivière se sépare en deux bras créés au droit de l'ouvrage répartiteur (le lit mineur et le bief). Peu importe dans ce cas qu'un bras soit à sec (y compris le lit mineur naturel) pourvu que l'autre soit en eau. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux, essayer de naturaliser un bief tout en prétendant ensuite qu'il n'est pas vraiment naturel et ne mérite pas d'avoir un débit préférentiel à l'étiage. Si les services de l'Etat cherchent vraiment des complications, on voit qu'ils ne vont pas manquer d'en trouver. Mais tout le monde gagnerait à la simplicité.

L'incapacité de l'actuelle Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, de ses services déconcentrés et de ses agences administratives à produire une gouvernance apaisée et concertée devrait quand même alerter le gouvernement et les parlementaires sur le dysfonctionnement manifeste de l'Etat. D'autant que la Cour des comptes a déjà dénoncé à plusieurs reprises la gestion défaillante des mêmes administrations. La fronde des moulins, c'est plus que jamais le signal d'alerte d'une dérive grave qui, bien au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, concerne le manque d'efficience et de transparence de la gestion publique de l'eau, ainsi que ses inquiétantes pulsions autoritaires.

A lire en complément
Cartographie des cours d'eau: gare aux qualifications arbitraires des biefs comme rivières
Cartographie des cours d'eau: où est la concertation?

Illustration : départ de bief sur la Seine en Châtillonnais, avec ouvrage répartiteur sur la droite. Si le bief est classé cours d'eau et donc bras de la rivière au même titre que le lit d'origine dans la cartographie, il devient légitime qu'il prenne si nécessaire tout le débit à l'étiage. Il faudrait alors faire exception à la règle du débit minimum biologique, qui perd son sens. C'est le genre de complication où peut mener le refus par l'administration de classer les biefs comme canaux artificiels, avec des règles très simplifiées de gestion permettant leur bon entretien. Mais le mot "simplifiées" heurte à n'en pas douter les principes de certains hauts fonctionnaires du Ministère de l'Ecologie, dont l'objectif est manifestement de multiplier les normes, règles, contraintes et contrôles inapplicables pour mieux prétendre ensuite que les moulins sont mal gérés et que leur destruction est une issue désirable.

09/03/2016

Cartographie des cours d'eau: où est la concertation?

Le Ministère de l'Ecologie comme le Conseil scientifique de l'Onema avaient insisté sur la nécessité d'une large concertation amont avec les parties prenantes et usagers de l'eau en vue de préparer la cartographie des cours d'eau. Les associations de moulins, riverains et protection du patrimoine hydraulique de Bourgogne attendent toujours d'y être conviées, alors que les premières cartes réputées "complètes" paraissent et que les biefs y sont souvent classés comme cours d'eau. 

Les services sont invités à associer l’ensemble des parties prenantes à la mise au point et à la mise en œuvre de la démarche d’identification des cours d’eau. Il est en effet essentiel que la cartographie et, le cas échéant, la méthode d’identification des cours d’eau soient discutées en amont et in fine bien connues de l’ensemble des acteurs pour en faciliter l’appropriation et donc une bonne application.

Le conseil scientifique de l’Onema recommande (…) de développer une approche participative en associant les divers acteurs du territoire, et d’appuyer la démarche sur une approche consensuelle de la définition du cours d’eau, afin de limiter les erreurs



La cartographie des cours d'eau, lancée par Ségolène Royal au début 2015, a été dès le départ présentée comme un processus participatif fondé sur la concertation avec les différents usagers de l'eau.

Nous constatons que des éléments de cartographie sont déjà disponibles en Bourgogne Franche-Comté, avec des zones réputées "complètes" (illustration ci-dessus), alors que :
  • à notre connaissance, aucune association de moulins, de riverains, de défense du patrimoine hydraulique n'a été consultée à l'amont de cette cartographie pour donner son avis sur la question des biefs et canaux ;
  • aucun propriétaire d'ouvrage hydraulique adhérent de ces associations n'a reçu à ce jour de questionnaire dans le cadre d'une enquête individuelle ;
  • la cartographie montre que nombre de biefs, sous-biefs, canaux de décharge de déversoirs ou canaux de vidange des biefs des moulins ont été classés comme "cours d'eau" malgré leur origine indiscutablement artificielle (contrevenant au point 1 de la jurisprudence définissant un cours d'eau, "origine naturelle" de l'écoulement).
Le Code de l'environnement ne prévoit pas la participation des associations de riverains et moulins aux Comités de bassin ni aux Commissions locales de l'eau. Quand la Région décide hier de se doter d'un Schéma régional de cohérence écologique, les services instructeurs et les politiques ignorent les associations malgré leur implication notoire dans le dossier de la continuité écologique aquatique. Quand le Ministère de l'Ecologie lance aujourd'hui une procédure participative en insistant sur la nécessité de la concertation amont, les services déconcentrés Dreal, DDT et Onema se permettent encore et toujours d'ignorer les mêmes associations.

Le scandale démocratique continue donc de plus belle au bord des rivières. Administrations et gestionnaires de l'eau vont-ils finir par se réunir dans un bunker pour être absolument sûrs de ne pas être importunés par les demandes des citoyens engagés dans l'action associative? L'action publique atteint-elle de tels niveaux d'adhésion et de crédibilité dans ce pays que ses décideurs et exécutants peuvent se permettre d'ignorer les attentes des administrés? Le naufrage actuel de la continuité écologique dans la confusion, l'inertie ou le confit n'a-t-il pas suffi à démontrer que des réformes imposées deviennent des réformes rejetées?

23/11/2015

Cartographie des cours d'eau: gare aux qualifications arbitraires des biefs comme rivières

Plusieurs litiges sont survenus entre élus, agriculteurs et agents de l'ONEMA à propos de curages de «fossés» pour les uns et de «cours d'eau» pour les autres. L’entretien des fossés, des canaux, des biefs est parfois assimilé par la police de l’eau à une intervention dans un «cours d’eau», entraînant procès-verbal pour le contrevenant n’ayant pas déposé de dossier de déclaration de travaux à la Préfecture. La Ministre de l'Ecologie a demandé par instruction le 3 juin 2015 que la cartographie identifiant tous les vrais cours d'eau soit réalisée avant le 15 décembre 2015. Le point sur cette question et quelques conseils pour éviter les dérives. En particulier, sauf exception tenant à l'évolution de l'hydrologie locale, aucune propriétaire de moulin ne doit accepter que son bief (canal d'amenée et canal de fuite) soit cartographié comme cours d'eau.

L’administration a donc entrepris de revoir la cartographie des cours d’eau français (voir le pdf de l'instruction). La cartographie actuelle résulte d’un copier-coller de l’IGN jusque dans le moindre chevelu des têtes de bassins versants, avec des qualifications douteuses de cours d’eau. L’objectif sous-jacent était peut-être de faire répondre un linéaire hydrologique maximaliste aux exigences et prescriptions du Code de l’environnement ? Ce ne fut pas sans lourdes conséquences.

Cette actualisation, aussi  légitime qu’indispensable, s’explique par les contentieux observés à l’encontre de ceux qui entretiennent l’espace rural. Elle doit aussi permettre de susciter auprès des propriétaires attentistes, la nécessité d’agir à nouveau … dans un cadre apaisé. Indépendamment du fait que ce très court délai pose problème, quelques rappels historiques sont nécessaires.


Cours d’eau : une définition fluctuante et repoussée par le législateur
La notion de «cours d'eau» n'a jamais été définie par la loi depuis la Révolution. Depuis celle du 19 août 1790 sur le «libre cours des eaux». Aucune des grandes lois sur l'eau – 1898, 1964, 1992 et 2006 – ne s'y est risquée, sans aucun doute par l'évolution permanente des usages, car une éventuelle cartographie postérieure à chaque loi aurait été différente.

L'administration régalienne avait initié, par circulaire ministérielle du 30 juillet 1861, un recensement précis des cours d'eau - localisation, longueur, largeur, profil, pente, surface et débit, etc. (tableau A des services hydrauliques départementaux des Ponts & Chaussées), tenu à jour périodiquement.

Plus récemment, par une circulaire du 2 mars 2005, le Directeur de l'eau au Ministère souhaitait définir à l'échelon des territoires la «notion de cours d'eau», fondée sur les seuls deux critères jurisprudentiels de l'époque : présence et permanence d'un lit naturel et permanence d'un débit suffisant la majeure partie de l'année. Il ajoutait que la concertation locale devait se faire avec les différents acteurs, en particulier la profession agricole, mais tenait à préciser que les « méthodes scientifiques » d'incidence d'évaluation d'aménagements ou d'opérations particulières n'avaient pas à interférer avec la législation, ni à constituer une référence pour les missions de police.

Il faisait là allusion à un avis du Conseil supérieur de la pêche (CSP), daté du 14 octobre 2002, qui définissait toute une série de critères hiérarchisés dont la condition de base était la présence d'un thalweg, présence qui, croisée avec un seul des critères mentionnés, emportait la qualification de cours d'eau. Or, ces critères du CSP – devenu Onema en 2006 – se retrouvent dans les éléments de cadrage de l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015. Ce n'est sans doute pas un hasard.

Aux deux critères jurisprudentiels mentionnés en 2005 est venu s'en ajouter un troisième, découlant d'un arrêt du Conseil d'État du 21 octobre 2011 : «constitue un cours d'eau, un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant une majeure partie de l'année».

Trois critères cumulatifs… mais des interprétations peuvent subsister
Les trois critères retenus pour définir un cours d'eau sont donc actuellement:
  • présence et permanence d'un lit naturel à l'origine,
  • permanence d'un débit suffisant une majeure partie de l'année,
  • alimentation par une source.
La prise en compte de ces trois critères est relativement aisée, même s'ils peuvent poser problème dans certaines régions.

Il est malheureusement à craindre que la prise en compte des éléments de cadrage – annexe 1 de l'Instruction du Gouvernement – ne lèveront pas toutes  les ambiguïtés et pourraient continuer à alimenter des contentieux, ajoutés à ceux générés par le mot «suffisant» accolé au débit.

A titre d'exemple, il est précisé dans les éléments de cadrage, qu'en cas d'incertitude, un faisceau d'indices – repris de l'avis du CSP de 2002 – pourra être considéré. On pourrait être amené à juger de la présence de «coquilles vides ou non» (dans le critère de «présence de vie aquatique») ou à évaluer des «bras artificiels tels que des biefs» (dans le critère «lit naturel à l'origine»). Tous éléments,  parfois subjectifs, sont laissés à la discrétion des services de l'Onema.

Le paragraphe «Concertation» de l’Instruction ministérielle est de même facture que celui qui avait présidé aux classements au L 214-17, dans des délais encore plus réduits et paraît avoir été rédigé pour ne pas encourir de censure du Conseil d'État ou des tribunaux administratifs. Entre autre chose, il préconise l'instauration éventuelle d'une commission Cours d'eau – comprenant a minima un agent de l'Onema, un représentant de la fédération de pêche, un élu local et un représentant de l'agriculture. Le logigramme de mise en œuvre de la méthode d'identification d'un cours d'eau en cas d'incertitude est rigoureusement impossible à mettre en œuvre dans les courts délais impartis. On observe par ailleurs que les propriétaires d'ouvrages hydrauliques ne sont pas intégrés a priori dans la concertation: si aucun bief n'est intégré dans la cartographie, c'est logique; mais si (comme on peut le craindre) certains services instructeurs tentent de désigner des canaux de moulins ou usines à eaux comme des cours d'eau, cela risque de produire des contentieux.


Entretien des cours d’eau : en profiter pour clarifier le statut des canaux et biefs
Le dernier paragraphe de l'Instruction concerne l'entretien courant des cours d'eau. Il se contente de demander l'établissement d'un «Guide des bonnes pratiques» sur le modèle de celui de la DGALN (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature), adapté aux conditions locales.

Or cet entretien pose des problèmes que l'article L 215-14, issu de la LEMA de 2006, n'a pas résolu, notamment en ce qui concerne les biefs ou canaux créés de la main de l’homme.

Avant la LEMA de 2006, l'article L 215-14 CE stipulait que l'entretien devait se faire afin «de maintenir l'écoulement naturel des eaux». Depuis la LEMA, l'entretien a pour objet «de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre», (divers articles du Code Rural définissant les opérations d'entretien) dans les conditions d'un décret du Conseil d' État. Ce décret  du 14 décembre 2007 a créé l'article R 215-2 CE, qui détermine l'entretien selon les opérations prévues par le L 215-14 CE «sous réserve que le déplacement ou l'enlèvement localisé des sédiments...n'aient pas pour effet de modifier sensiblement le profil en long et en travers du lit mineur».

Outre que le mot «sensiblement» puisse donner lieu à des interprétations arbitraires, l'enlèvement des sédiments renvoie au L 214-1, expressément visé par l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015, et conséquemment au R 214-1 CE, c'est à dire la nomenclature IOTA des travaux sur la rivière.

Le 3-2-1-0 de cette nomenclature expose ainsi l’obligation d’entretien :
entretien des cours d'eau ou de canaux, le volume des sédiments extraits au cours d'une année :
  • supérieur à 2000 m3 : régime d’autorisation,
  • inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est supérieur ou égale au niveau de référence S1 : régime d’autorisation,
  • inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est inférieure ou égale au niveau de référence S1 : régime de déclaration. 
Il est loisible de penser que l'administration visait par les mots  «cours d'eau ou canaux» ces derniers en tant que voies navigables. Il n'en reste pas moins, en l'absence de précision, que les canaux propres aux ouvrages hydrauliques, également artificiels, peuvent être visés par cet article. Cette ambiguïté de rédaction doit être levée, afin d'éviter toute interprétation arbitraire et à charge.

D'autre part, le 3-2-1-0 s'est vu adjoindre l'arrêté du 9 août 2006, complété par ceux du 23 décembre 2009, 8 février 2013 et 17 juillet 2014, qui détermine le niveau S1 : quantité de polluants exprimé en mg par kilo de sédiment sec, avec obligation d'analyse par laboratoire agréé.

Tout riverain ou propriétaire d'ouvrage hydraulique, désireux de satisfaire à ses obligations d'entretien, peut donc être obligé de faire face à des dépenses exorbitantes (analyses, enlèvement, voire traitement) du fait d'une situation dont il n’est pas responsable. Cela peut mettre en péril l'exploitation du droit d'eau des ouvrages hydrauliques.

Un groupe de travail ministériel travaillerait depuis octobre 2014 sur l'ambiguïté de l'interprétation de mot «canaux». Mais pendant ce temps, les décrets et arrêtés sont applicables et les contentieux s'accumulent.

Discussion
On peut souligner à ce stade les points suivants :
  • il paraît douteux que cette révision de la cartographie, acceptée par la ministre dans un but légitime, puisse être réalisée de façon exhaustive et fiable compte tenu des délais impartis et des modalités de concertation;
  • les ambiguïtés doivent être levées rapidement comme par exemple l’intitulé de l’art R214-1 du CE (sa rubrique 1.2.1.0 comprend « cours d’eau, plan d’eau ou canal ») permet de faire l’objet de prescriptions complémentaires à la restauration écologique. Or le mot « canal » n’entre évidemment plus dans le champ des critères cumulatifs énoncés;
  • la responsabilité des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques concernant les opérations d'entretien et d'enlèvement des sédiments et atterrissements  doit être revue et précisée ; 
  • ne seront donc plus « cours d’eau » :
- tout ce qui a été creusé de la main de l’homme : rigole, bief, béal et canal de fuite de moulin, canal d’irrigation…
- les ruisseaux en assec pendant de nombreux mois,
- les petits rus temporaires qui naissent avec les eaux de ruissellement;
  • une sémantique consensuelle nationale devrait être utilisée. Le département de l’Ain, par exemple a publié la cartographie soumise à concertation. On y découvre :
- le « cours d’eau par défaut » serait celui identifié par un SIG et non contrôlé sur le terrain. C’est inadmissible dans la mesure où la marge d’erreur est trop forte pour le considérer «cours d’eau». On peut imaginer que cette cartographie s’effectuerait par étapes successives. Si c'est le cas, cet inventaire de «cours d’eau par défaut» doit être renommé «cours d’eau à valider» ou «cours d’eau à confirmer»,
- le « cours d’eau expertisé » signifie-t-il qu’il s’agit d’un postulat hors concertation? Le principe d’une expertise contradictoire doit être instauré, car en fonction de facteurs édaphiques et climatiques, l’analyse peut varier considérablement,
- la rubrique « non cours d’eau » est intéressante dans la mesure où elle confirme le caractère exhaustif de l’inventaire et évite les erreurs.
Notre conseil 
Nous encourageons les associations à se signaler à la Préfecture, à rappeler que les biefs sont des canaux artificiels non assimilables à des rivières et à signifier que si l'administration a un avis contraire, cet avis exige une procédure contradictoire.

Illustration : en haut, source CR, droits réservés. Les contentieux entre élus, exploitants et police de l'eau se sont multipliés ces dernières années, en raison du statut ambigu de certains chenaux. En bas, source Moulin Garnier, droits réservés. Il est aujourd'hui difficile de savoir si le curage d'un bief est libre, soumis à déclaration ou soumis à autorisation. Le texte réglementaire est ambigu, les services instructeurs tiennent des discours différents selon les départements.