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14/08/2020

Cinq siècles d'étiages et sécheresses

L'examen des 500 ans passés par l'histoire de l'environnement montre que nos épisodes de sécheresse ne sont pas seulement des anomalies récentes: la France a connu de longues périodes de pluies très basses dans le passé. Ce qui inquiète évidemment pour l'avenir, puisque la hausse des températures et des usages par rapport aux siècles antérieurs va accentuer la pression sur la ressource, cela en situation d'incertitude inédite sur des épisodes climatiques extrêmes. Les politiques de l'eau doivent s'inspirer du long terme et être davantage orientées vers la maîtrise des risques.


Ce graphique montre les épisodes de sécheresse (en ordonnées, le nombre de jours sans pluie) reconstitués sur 5 siècles (1500-2000) par l'historien Emmanuel Garnier, dans quatre zones : Languedoc-Roussillon, Lyonnais, Rhin, Ile-de-France.

Les flèches en rouge indiquent les périodes sèches pluridécennales. L'historien remarque :
"Une première interprétation globale démontre (...) que le XXe siècle ne détient pas le monopole des sécheresses. Si les dernières décennies enregistrent bien une tendance à la hausse, elles n’en demeurent pas moins inférieures à des périodes antérieures.

Qu’il s’agisse du Rhin, du Rhône, de la Saône ou encore de la Garonne, tous ces fleuves sont victimes de sécheresses accrues entre les années 1550 (avec une rémission ponctuelle vers 1590 néanmoins) et 1650. Or, ce pas de temps séculaire coïncide grosso modo, dans la grande histoire climatique, au fameux « hyper- PAG », tel que défini par Emmanuel Le Roy Ladurie. Une telle discordance ne cesse d’interroger quand on pense que le climat d’alors se caractérise par des années «froides et humides». Il en est de même pour le «petit» réchauffement de la première moitié du XVIIIe siècle. Observé sur les terres franciliennes, il est confirmé sur les rives du Rhin, dans la capitale des Gaules alors qu’il semble moins probant sous le soleil de Méditerranée. Une nouvelle fois, il y a de quoi être à l’image du temps de l’époque, autrement dit perturbé... En effet, la phase aride prend naissance dans la dernière décennie du Grand Siècle et englobe le «Grand Hiver» 1709, autant d’épisodes plus souvent associés au Minimum de Maunder (MM) au cours duquel on assiste à une quasi-disparition des tâches solaires. A l’image des travaux récents du climatologue suisse Luterbacher, les sécheresses historiques tendraient à renforcer l’impression d’une phase ascendante (dans quelle proportion?) combinée des températures et des épisodes secs voire très secs. Pour mémoire citons les chapelets de sécheresses très sévères de 1684, 1694, 1702, 1705, 1714, 1717, 1718 et enfin 1719 à Paris ou encore celles de 1685, 1694-1695, 1700, 1705-1706, 1716, 1718 et 1719 en territoire languedocien pour s’en convaincre définitivement."
Cette histoire des sécheresses sur le temps long inspire deux réflexions :
  • il serait naïf de penser que "la nature fait bien les choses" et que les seules perturbations récentes par l'homme du sol ou de l'atmosphère provoquent des sécheresses sévères. En réalité, les sociétés humaines ont toujours dû vivre avec des incertitudes climatiques et hydrologiques. Les mortalités des épisodes climatiques extrêmes se chiffraient jadis par centaines de milliers de personnes, essentiellement en raison des récoltes détruites et des maladies hydriques;
  • la période récente montre une hausse des sécheresses et, comme nous le savons, le climat terrestre ajoute désormais à sa variabilité naturelle le forçage anthropique par gaz à effet de serre, avec des niveaux de CO2 et CH4 jamais atteints depuis 2 millions d'années. Les scientifiques annoncent une hydrologie plus instable, des épisodes de canicule plus intenses et fréquents. Ce changement survient alors que la pression démographique et économique sur les milieux est plus élevée qu'elle n'a jamais été dans l'histoire, les sociétés modernes consommant bien plus d'eau que les sociétés anciennes.
Gouverner, c'est prévoir : il est indispensable que la politique française de l'eau fasse l'objet d'un ré-examen par des expertises contradictoires et d'un débat démocratique national sur nos options pour l'avenir. Le passage du paradigme hydraulique (gestion de l'eau par le besoin) au paradigme écologique (gestion de l'eau par l'équilibre naturel) après le vote de la loi sur l'eau de 1992 a entrainé un évident flottement dans l'action publique. Une raison en est que les concepts de l'écologie scientifique ne sont pas stabilisés et que les pratiques d'ingénierie écologique demeurent largement expérimentales. Or, dans une période à risque élevé, nous avons besoin de garantir la robustesse des choix opérés et la dimension adaptative des aménagements réalisés. Les générations présentes manquent déjà d'eau par endroit, et cela peut devenir pire pour les générations futures. Préserver l'eau sur nos territoires est un impératif qui doit irriguer tous les choix publics.

Source : Garnier Emmanuel (2009), Bassesses extraordinaires et grandes chaleurs.
500 ans de sécheresses et de chaleurs en France et dans les pays limitrophes, Colloque 193 SHF «Etiages, Sécheresses, Canicules rares et leurs impacts sur les usages de l’eau», Lyon, 7-8 octobre 2009

En complément
Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain
Mille ans d'évolution des zones humides
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19/08/2019

L'avenir des sécheresses et de la gestion de l'eau au 21e siècle (Wan et al 2018)

L'actualité du printemps et de l'été 2019 nous le rappelle encore: les sécheresses sévères entraînent des dommages socio-économiques importants par réduction de l'approvisionnement en eau, mauvaises récoltes, production d'électricité réduite, mortalités piscicoles et nombreuses autres perturbations. Huit scientifiques ont fait tourner des modèles climatiques et hydrologiques pour analyser la possible évolution des sécheresses au 21e siècle, en distinguant la sécheresse météorologique (défaut de précipitations), la sécheresse agricole (sols secs), la sécheresse hydrologique (baisse des nappes et débits). Leur travail (encore provisoire car les modèles doivent s'améliorer) montre que les épisodes de sécheresses devraient globalement s'aggraver dans la plupart des régions du monde, surtout aux latitudes moyennes. Plus on émet de gaz à effet de serre, plus l'impact sera fort: la prévention par transition énergétique est donc déjà une première nécessité. Les auteurs montrent aussi que l'on peut conjurer les sécheresses agricoles, mais au risque d'aggraver les sécheresses hydrologiques si l'usage de l'eau est localement excessif, notamment pour l'irrigation. Il devient indispensable d'avoir une vue précise de la ressource en eau de chaque bassin et de ses connexions à l'aval, tant pour les besoins de la société que pour la préservation des milieux aquatiques. En ce domaine qui relève de la sécurité des humains et de la survie de nombreuses espèces, le dogmatisme ne saurait être de mise. Notamment sur la question des barrages et retenues, otage de postures trop souvent radicales.   


Un épisode de sécheresse a généralement pour origine un déficit en précipitations (ou une augmentation de l'évapotranspiration) sur une longue période (sécheresses météorologiques), ce qui entraîne une réduction de l'infiltration et de l'humidité du sol (sécheresses agricoles) et, par conséquent, une réduction du ruissellement direct, des écoulements souterrains et des débits (sécheresses hydrologiques). Cette traduction d’une condition météorologique anormale en une sécheresse agricole et / ou hydrologique est définie en recherche comme une "propagation de la sécheresse". Elle implique des processus météorologiques et hydrologiques non linéaires : interactions entre déficits de précipitations, dynamique de la végétation, évapotranspiration excessive, dynamique des écoulements, activités humaines.

La majorité des études récentes attribuent au changement climatique une tendance croissante aux sécheresses météorologiques, agricoles comme hydrologiques.

Wenhua Wan et 7 collègues ont testé le couplage entre des modèles climatiques et des modèles hydrologiques pour analyser l'évolution possible de ces sécheresses au cours du 21e siècle, cela à l'échelle globale. Ils préviennent que ce travail reste préliminaire et indicatif en raison de la complexité des interactions, notamment dans les modèles hydrologiques et dans le couplage aux projections des activités humaines.

Voici le résumé de la recherche par les auteurs :
"Cette étude examine les effets du changement climatique et de la gestion de l'eau, y compris l'irrigation agricole, les prélèvements d'eau et la régulation des réservoirs, sur les futures sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques, et leurs connexions. L'analyse est basée sur les simulations de quatre modèles hydrologiques globaux forcés avec les projections de cinq modèles climatiques globaux pour la période historique 1971-2000 et la période future 2070-2099, avec et sans gestion de l'eau. Trois indices de sécheresse unifiés, l’indice normalisé de précipitation, l’indice normalisé d’humidité du sol et l’indice normalisé de débit, sont adoptés pour représenter respectivement les sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques. 
L'analyse suggère que les changements de la sécheresse pour cause climatique se renforcent, mais dans des directions différentes pour les trois types de sécheresse, tandis que les changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses agricoles et hydrologiques sont plus cohérents dans l'espace et les simulations. Globalement, les activités de gestion de l’eau réduisent la durée et l’intensité des sécheresses agricoles d’un ordre de grandeur environ, tout en augmentant celles des sécheresses hydrologiques jusqu’à 50%. Une analyse à l'échelle du bassin révèle que plus l'intensité de l'irrigation est élevée, plus les changements dus à la sécheresse induits par la gestion de l'eau seront importants. En raison des activités de gestion de l'eau dans certaines régions, les périodes de retour de sécheresses agricoles extrêmes (en termes de gravité) peuvent passer de 100 à 300 ans, voire plus, alors que des sécheresses hydrologiques typiques d'une durée de 100 ans sont susceptibles de se produire plus souvent dans les régions situées en latitudes 25°N–40°N et 15°S–50°S. 
Cette étude fournit une vision globale de la modification de la sécheresse dans l'Anthropocène, ce qui contribuera à améliorer les stratégies d'adaptation aux futures sécheresses."

Dans le détail, la projection confirme une aggravation des sécheresses dans la plupart des régions (dont la France), cela de manière d'autant plus marquée que les émissions de carbone augmentent (les RCP 2,6 et 8,5 désignent des hypothèses de forçages radiatifs par effet de serre de 2,6 et 8,5 W/m2 en 2100):
"Bien qu'en moyenne, les précipitations à l'échelle mondiale soient plus importantes au siècle prochain, cependant, en raison de la répartition inégale spatio-temporelle des précipitations et des influences humaines, les trois types de sécheresse s'intensifient, en particulier dans les régions peuplées. Comparativement, les changements dans la structure de la sécheresse sont beaucoup plus importants pour le RCP8.5 que pour le RCP2.6, ce qui peut être attribué à l'inégalité croissante des précipitations, accompagnée d'une température plus élevée et de taux d'évaporation plus élevés."
Ce tableau donne les tendances de la durée, intensité et sévérité des trois types de sécheresse, pour les 2 hypothèses d'émissions carbone. Les valeurs sont en pourcentages. La colonne Nat-hist/hist indique comment l'effet climatique seul augmente les effets des sécheresses par rapport à la situation de fin de 20e siècle. La colonne Hum-nat/nat indique comment la poursuite de la gestion actuelle de l'eau seule augmente (ou baisse) les effets des sécheresses par rapport à une situation où nous stopperions des prélèvements à leur niveau actuel.

Extrait de Wan et al 2018, art cit, cliquer pour agrandir. 

On doit ainsi s'attendre à une hausse de sévérité des sécheresses hydrologiques comprise entre 57 et 140% du seul fait du changement climatique. Mais la poursuite à l'identique des modes de gestion de l'eau peut encore aggraver cette sécheresse hydrologique, même si elle limite la sécheresse agricole.

Cette carte montre l'exemple de l'évolution des intensités de sécheresses agricoles et hydrologiques, selon les deux scénarios 2.6 et 8.5, avec ou sans évolution de la gestion humaine de l'eau.

Extrait de Wan et al 2018, art cit, cliquer pour agrandir. 

Les scientifiques observent : "Les effets de la gestion de l'eau sur les sécheresses agricoles et hydrologiques sont toutefois cohérents entre les RCP. Dans l'ensemble, les activités de gestion de l'eau permettront d'atténuer les caractéristiques de la sécheresse agricole, en particulier dans les régions intensément irriguées. Cependant, ces changements dus à la gestion de l'eau sont bien moins importants que les changements induits par le climat, mais atteignent un niveau de consensus plus élevé au sein des projections des modèles. En revanche, les changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses hydrologiques peuvent être soit un allégement lorsque la demande d'irrigation est relativement faible, soit une intensification lorsque la demande en eau d'irrigation est élevée. En outre, ces changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses hydrologiques peuvent être comparables aux changements induits par le climat. L'analyse des sécheresses extrêmes basée sur le concept de fréquence de sécheresse suggère que la gestion de l'eau conduira à des sécheresses agricoles extrêmes moins fréquentes, mais à des sécheresses hydrologiques plus fréquentes dans le monde."

Les auteurs concluent à la nécessité d'un partage des eaux fondés sur de bonnes anticipations :
"Cette étude souligne l’importance des activités de gestion de l’eau dans le contexte des changements climatiques futurs, en plus de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'évolution spatio-temporelle et la propagation des sécheresses ont souvent un impact important sur les systèmes intégrés d'eau, d'énergie et d'alimentation. Par exemple, l'atténuation des sécheresses agricoles (eg via le détournement de l'eau des canaux ou des réservoirs en amont) peut être bénéfique pour la sécurité alimentaire, mais entraîner une réduction du débit des rivières en aval, mettant ainsi en péril la sécurité de l'énergie et de l'eau. L'évolution et la propagation des sécheresses peuvent également franchir les frontières des pays et des régions, entraînant ainsi des conséquences politiques. Par exemple, la demande excessive en eau dans les pays en amont peut déclencher des sécheresses hydrologiques dans les pays en aval. En effet, non seulement le changement climatique, mais les activités de gestion de l’eau affecteront fondamentalement les caractéristiques et l’évolution des futures sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques, qui auront de profondes influences socio-économiques et politiques. Par conséquent, nous recommandons que des stratégies de gestion de l'eau appropriées soient prises en compte dans la modélisation de la gestion de la sécheresse et de l'atténuation de ses effets."
Discussion
Le partage des eaux entre les activités humaines, mais aussi entre le besoin humain et celui des milieux aquatiques naturels, est déjà un enjeu majeur et cette tendance devrait s'accentuer dans le siècle à mesure que s'installe une plus forte incertitude climatique. Pour être résilientes, nos sociétés devront être capables d'affronter des amplitudes thermiques et hydrologiques incluant des épisodes extrêmes. S'il reste une première approximation globale par modèles à améliorer, le travail de Wenhua Wan et de ses collèges a le mérite de montrer que la sécheresse agricole et la sécheresse hydrologique doivent être pensées ensemble. Leur étude suggère aussi in fine que la baisse des émissions de gaz à effet de serre par hausse des productions d'origine renouvelable non carbonée reste la première urgence du moment : un scénario à fort émission de gaz à effet de serre (RCP 8.5) produirait des effets nettement plus difficiles à gérer.

Dans une campagne contre la construction de barrages et retenues, France Nature Environnement a présenté ainsi ce travail de Wan et al : "Une étude publiée en 20181 dans le Journal of Geophysical Research montre que ces aménagements humains pourraient certes réduire la sécheresse agricole de 10 % mais conduiront à une augmentation de l’intensité des sécheresses sur l'ensemble du bassin à hauteur de... 50 %." (site FNE, version consultable du 17/08/2019)

Comme on le voit, la lecture attentive de la référence citée par FNE ne raconte pas tout à fait la même histoire. Une baisse d'un ordre de grandeur (un facteur 10) n'est pas une baisse de 10% : l'étude de Wan et al confirme bien l'efficacité possible de la lutte contre les sécheresses agricoles. Les sécheresses induites par le changement climatique seul seront de toute façon plus marquées, donc se pose d'une manière ou d'une autre la question de nos choix de gestion et d'abord de la prévention des émissions carbone. Savoir si la gestion humaine de l'eau aggravera les sécheresses hydrologiques reste une question ouverte et largement liée à l'intensité locale des besoins en irrigation. Enfin, cette recherche est muette sur la question des barrages de retenues et de leur répartition optimale dans un bassin versant : retenir toute l'eau à l'amont aurait forcément des effets négatifs à l'aval, mais répartir des retenues sur le bassin peut être plus intéressant. Au demeurant, c'était le cas en France jadis, les cartes anciennes montrant un grand nombre de petites retenues présentes dans toutes les vallées, certainement à but premier piscicole, mais aussi avec des effets probables de réserve d'eau. Bien entendu, du fait de sa consommation d'eau et de la hausse attendue du coût de cette eau, le modèle agricole est le premier concerné par une réflexion sur l'avenir des usages. C'est aussi le cas du tourisme continental en été, les rivières et plans d'eau voyant de fortes affluences.

L'INRA et Irstea ont publié en 2016 une expertise collégiale sur l'effet cumulé des retenues. Les chercheurs français y soulignaient le besoin de connaissance, car les modèles hydrologiques ne sont pas toujours convergents et les données empiriques sont encore rares. De plus, la gestion future de l'eau se fera bassin par bassin en fonction des données fines sur l'eau, les sols, la végétation, les besoins humains, les écosystèmes aquatiques et, dans le cas particulier des retenues, leur nature exacte (retenues collinaires, grands barrages réservoirs, plans d'eau déconnectés du lit mineur, plans d'eau sur lit mineur). L'hypothèse d'une meilleure recharge des nappes par restauration de zones humides est aussi à envisager par bassin : l'idée est bonne, mais elle dépend de l'incision des lits mineurs, de la dynamique de crue, de la disponibilité du foncier en lit majeur, du taux réel de recherche des nappes... toutes choses qui sont à étudier avant d'y voir une solution fiable et à échelle des besoins.  On ne peut donc pas accepter que les uns ou les autres mettent en avant "la science" sur la question de la construction future des retenues, car nous n'avons pas en réalité d'assertion scientifique forte sur le bilan coût-bénéfice.  Pour les retenues qui existent déjà, on peut douter de l'intérêt de les détruire dans une période aussi incertaine sur l'avenir hydrique, climatique et énergétique de nos sociétés. Hélas, l'Etat français a pour le moment choisi cette option au nom de la "continuité écologique".

Certains ne jurent que par les solutions fondées sur la nature, d'autres réclament des constructions de barrages partout où un besoin est exprimé. La solution ne sera probablement pas unique ni systématique, elle devra être fondée sur des faits et des preuves, des expérimentations avec des évaluations précises, des concertations locales visant à construire des compromis.  Il nous faut surtout éviter des postures de principe confinant au dogmatisme et des choix mal informés ne tenant pas compte de l'ensemble des attentes sociales sur l'eau.

Référence : Wan W et al (2018), A holistic view of water management impacts on future droughts: A global multimodel analysis, JGR Atmosphere, 123, 11, 5947-5972

Illustration en haut : Lit de la rivière Doubs complètement asséché, fin octobre 2018. Maisons-du-Bois-Lièvremont. CC Espirat

15/07/2019

Enquête sur les assecs induits par les destructions d'ouvrages (moulins, étangs, canaux): nous avons besoin de votre participation!

Alors que le gouvernement vient de demander un inventaire des zones humides de France et de faire du maintien de la ressource en eau une priorité nationale, les chantiers de destruction de moulins, étangs, canaux conduisent à des pertes de milieux aquatiques et humides ains qu'à des régressions du vivant. Mais cette réalité, physiquement évidente vu l'effet d'une destruction, est niée par les gestionnaires ayant conduit ces chantiers et par certains experts administratifs ayant prétendu à leur nécessité comme à leurs bénéfices. A l'occasion de l'étiage, nous demandons à nos lecteurs et aux associations correspondantes d'aller documenter sur leur région ces assecs induits par des choix de continuité en long, afin de nourrir un dossier qui sera transmis d'ici la fin de l'année aux élus et décideurs. Aucun chantier de continuité induisant des pertes de surface en eau et des pertes de milieux aquatiques ou humides ne doit plus être engagé en France tant que ce sujet n'est pas étudié sérieusement et contrôlé par les autorités (défaillantes) en charge de l'eau et de la biodiversité.



La destruction des digues d'étangs et des seuils de moulin a de nombreux effets secondaires sur l'eau et sur les milieux annexes des ouvrages : disparition des retenues, abaissement local de la nappe, assec estival ou permanent des biefs et des milieux humides attenant à ces biefs.

Ce schéma en expose le principe :


(cliquer pour agrandir ; vous pouvez télécharger et utiliser l'image librement pour votre communication locale)

Effacer des ouvrages revient à supprimer des milieux aquatiques et humides, alors même qu'en situation de changement climatique, la capacité à retenir l'eau partout sur les bassins versants est définie comme stratégique pour chaque territoire. Au demeurant, la plupart des arrêtés sécheresse des préfets demandent de maintenir fermées les vannes des moulins, étangs, usines, afin de préserver localement la lame d'eau.

Car la suite risque d'être difficile sur certains territoires :



Parce qu'une vision dogmatique refuse encore de reconnaître l'existence et la valeur de certains écosystèmes d'origine anthropique (moulins, étangs), ces réalités sont aujourd'hui niées, euphémisées ou mises de côté par l'Office français de la biodiversité (ex AFB, ex Onema), par les services techniques des agences de l'eau et par les gestionnaires publics (syndicats, EPCI-EPTB). Nous devons donc documenter nous-mêmes ces faits, afin de donner l'alerte et de demander aux décideurs l'arrêt d'une politique coûteuse et aberrante de destruction des milieux aquatiques anthropisés.

Nous demandons en conséquence à tous les volontaires de :

  • repérer dans votre secteur des chantiers de continuité ayant conduit à des destructions;
  • aller sur site en fin d'étiage (août-octobre) pour faire des vidéos et photos de l'état des milieux ayant perdu de l'eau (les retenues, les marges et queues d'étang, les biefs et déversoirs de moulins, les zones humides annexes qui étaient alimentées par des ouvrages, les prairies et ripisylves qui étaient nourries par nappe affleurante, etc.);
  • nous faire parvenir les documents avec indication rivière, lieu;
  • si possible, estimer la surface en eau qui a été perdue du fait du chantier;
  • si possible, joindre des photos ou vidéos des mêmes milieux en eau, pour comparaison.


Ce travail est d'autant plus nécessaire qu'à la clôture des assises de l'eau, le gouvernement vient de demander à l'OFB de procéder à un inventaire des zones humides en vue de programmer la protection de la ressource en eau en France. Ce travail n'aura aucune valeur scientifique et technique si l'OFB persiste à ignorer l'existence de centaines de milliers de retenues, canaux, zones humides latérales qui proviennent des écosystèmes d'origine humaine. Nous avons donc besoin de réaliser rapidement un dossier complet d'information afin de prévenir ce déni.

La recherche scientifique internationale en écologie reconnait aujourd'hui l'intérêt des milieux aquatiques anthropisés (Chester et Robson 2013, Beatty et al 2017Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018, Tonkin et al 2019),  et cette recherche insiste sur le fait qu'il n'y a pas de milieu "négligeable" quand on s'attache à maintenir la biodiversité locale (bêta et gamma notamment).

Nous ne pouvons donc pas continuer en France avec une expertise administrative qui est restée sur des concepts et des priorités datant des années 1980. En tant que citoyens et associations, nous ne pouvons pas non plus accepter la disparition de l'eau et de la vie dans ces milieux au nom des approches destructrices de la continuité écologique, alors que des solutions "douces" de continuité en long sont disponibles et évitent les conséquences négatives.

Nous vous demandons de participer à votre niveau à cette enquête et de nous faire parvenir votre documentation. Merci d'avance de votre mobilisation pour l'avenir de l'eau, du vivant et des ouvrages!

Illustrations : en haut, bief de l'Ource à sec ; en bas, sur l'Ource, réponse de la nappe et végétation de prairie aux vannages (photos et commentaires P. Potherat, droits réservés).

A lire en complément 
Identifier, protéger et gérer les habitats aquatiques et humides du moulin
Eau, climat, vivant, paysage: s'engager pour les biens communs

11/10/2018

L'Argentalet à sec à La Roche-en-Bresnil

Un riverain nous fait parvenir cette photo de l'Argentalet (affluent du Serein) à sec, au hameau de Clermont sur la commune de la Roche-en-Brenil. Avec ce commentaire : "du jamais vu, quand il y avait les étangs qui perdaient toujours un peu d'eau, la rivière ne se vidait pas. Certes, le climat change et cette sécheresse est très sévère mais on peut s'interroger sur la gestion de l'eau". Le 26 mai 2016, de fortes intempéries avaient causé la rupture de plusieurs digues d'étang sur l'Argentalet. Hélas, si ces dommages de crues entraînaient jadis la reconstruction rapide des digues, les services de l'Etat ont signalé aux propriétaires leur souhait de laisser la rivière en libre cours au nom de la continuité écologique. Autant dire qu'ils ont découragé toute tentative de restaurer les étangs, ce qui aurait sans doute demandé une longue bataille administrative, voire judiciaire.  Il n'y a donc plus de retenues sur cette zone. Mais il n'y a plus d'eau non plus lors des sécheresses sévères, comme sur la Romanée… Est-ce un gain pour la biodiversité aquatique et pour l'agrément des riverains? Où est la fameuse "continuité écologique" dans ces discontinuités temporelles et spatiales du débit, qui font disparaître localement le vivant? Nos élus vont-ils réellement engager une politique d'adaptation au changement climatique qui tienne compte des attentes des citoyens, sans se contenter de subir la fatalité de rivières devenant intermittentes du fait des sécheresses de plus en plus fréquentes et de la hausse des prélèvements d'eau? Ceux qui se flattent de penser "à long terme" sont-ils capables de se projeter au-delà des dotations à quelques années d'argent public? Autant de questions dont nous attendons des réponses convaincantes, pendant que nos rivières traversent épreuve après épreuve. 



01/08/2018

Le Doubs à sec, une discontinuité écologique radicale...

Depuis quelques jours, le Doubs est à sec entre Pontarlier et Morteau. On évoque des élargissements de failles qui, dans ces zones karstiques, engouffrent l'eau vers le sous-sol. Ces failles étaient jadis gérées, quand les moulins et usines à eau avaient besoin de conserver de l'eau en étiage, comme le rappelle un riverain connaisseur de la rivière. Les assecs du Doubs ne sont pas une nouveauté : on en trouve mentionnés dans les années 1980, et plus récemment dans les années 2000. Cette discontinuité hydrique, qui entraîne la mortalité de milliers de poissons, risque de s'aggraver avec les effets thermiques et hydrologiques du changement climatique. Les gestionnaires de rivière doivent intégrer les évolutions à long terme comme les contraintes locales dans leurs choix actuels d'aménagement et dans la définition de leurs priorités. 


Film de France 3 sur l'assec de 2018.

On trouve dans les Annales scientifiques de l'Université de Besançon: Géologie (1980, p. 16) la mention : "en étiage, le Doubs est à sec depuis la sortie de Pontarlier jusqu'à Ville du Pont ; seul un tronçon situé entre la confluence du Drugeon et le pont d'Arçon coule encore".

Plus récemment, en 2009, le Doubs était à sec en début d'automne au niveau de Villiers-le-Lac, et l'on pouvait franchir la frontière franco-suisse à pied (ci-dessous, extrait du journal L'Impartial du 7 octobre 2009).